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1 Michel Lefeuvre Michel Troublé Une critique du modèle matérialiste. L'origine du vivant

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Michel LefeuvreMichel Troublé

Une critique du modèle matérialiste.

L'origine du vivant

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2 Une critique du modèle matérialiste

PRÉFACE

L'ambition de la science est unificatrice. Les astrophysiciens s'accommodent de plus en plus mal de la singularité du Big Bang. Ils espèrent qu'un jour prochain la physique théorique fondamentale saura découvrir la loi générale qui permettra de réconcilier la Relativité générale et la mécanique quantique et d'unifier en une seule force les quatre forces qui, selon notre connaissance actuelle, se partagent le gouvernement de l'univers. Il n'y a pas que les astrophysiciens qui regardent vers la physique théorique. Les sciences de la vie le font également. La physique demeure pour elles le phare par excellence. Il y a déjà trente ans, J. Monod se tournait vers la dernière apparue des sciences de la matière, la cybernétique, pour expliquer les arcanes du vivant. C'est ce projet que poursuivent aujourd'hui, au niveau de l'esprit, les cogniticiens. La science se trouve encore malgré tout aujourd'hui en face d'une mosaïque de lois. Le désir de nombreux scientifiques est que cet état cesse.

Le dualisme a pendant longtemps régné en maître presque absolu sur la pensée, au moins occidentale. Les phénomènes de la nature ont été pendant longtemps attribués aux caprices des dieux. La foudre et le tonnerre n'ont-ils pas été, dans la mythologie antique, considérés comme des attributs de Jupiter ? D'une façon larvée, cet état d'esprit régnait encore dans beaucoup d'esprits distingués, à l'époque de la Renaissance. Les lois ont remplacé progressivement les dieux à partir de l'âge classique. Pendant longtemps pourtant, ce ne sont que les sciences de la matière qui échappent à l'esprit dualiste. Un grand penseur comme Kant, à la fin du 18e s., élabore une distinction fondamentale entre les sciences de la matière régies par le déterminisme et les sciences de la vie par le finalisme. L'architecture philosophique sur laquelle repose cette distinction ne manque pas d'ailleurs de grandeur. Le

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Préface 3

vitalisme, parfois un peu caricaturé par la présence au cœur de la matière animée d'un homoncule qui, de sa position, dirige les opérations du vivant, est une forme avancée de dualisme. Il faudra vraiment attendre la parution de “Le hasard et la nécessité” de J. Monod1 pour que le vitalisme, et avec lui, le dualisme succombent sous les coups de la cybernétique. Depuis, des attaques n'ont cessé d'être portés, d'ailleurs parfois brillamment, à son cadavre. “L'erreur de Descartes” de Damasio2 est un exemple parmi d'autres que l'on pourrait citer. On va là d'ailleurs plus loin dans le « désenchantement du monde » que lorsque l'attaque portait seulement sur la vie. C'est le dernier bastion qui résistait encore et paraissait occuper une position imprenable qui est investi, lorsque paraît au début des années 80 un livre aussi fracassant dans son domaine que l'avait été dans le sien celui de J. Monod. Il est question bien évidemment de “L'homme neuronal” de J. P. Changeux3. L'esprit ne serait qu'une illusion.

Le monisme réducteur a-t-il enfin épuisé toutes ses armes contre l'ennemi dualiste ? La philosophie va elle-même s'en mêler. Un nom aussi paradigmatique que ceux de J. Monod et de J. P. Changeux s'impose : celui de D. Dennett4 qui prétend expliquer la conscience. Résumons trop brièvement un des points importants de la thèse, qui ne manque pas d'ailleurs d'une certaine vérité : la pensée doit se méfier du vocabulaire ; les catégories grammaticales ne sont pas nécessairement celles de la réalité ; elles engagent souvent sur de fausses voies de réflexion ; c'est le cas du vocabulaire dualiste qui partitionne l'être entre matière et esprit, étendue et pensée, phénomène et noumène. Ces découpages sont artificiels. Il faut penser en les ignorant pour atteindre un niveau plus authentique de la réalité.

C'est à toute cette problématique que nous, les deux auteurs de ce livre, avons été confrontés. Nous pensons que la critique du 1 J. Monod - “Le hasard et la nécessité” - Edition du seuil, Paris (1970).2 A. Damasio - “L'erreur de Descartes” - Editions Odile Jacob.3 J-P. Changeux - “L'homme neuronal” - Fayard, Paris (1983).4 D. Dennett - “La conscience expliquée” - Edition Odile Jacob, Paris (1993).

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vitalisme a constitué pour la rationalité un véritable progrès dans les connaissances. Il y a plus de rationalité dans les lois que dans les dieux, dans la cybernétique appliquée au vivant que dans l'homoncule. Si l'étude des mécanismes internes du vivant dépasse de beaucoup en intelligence ce que nous en savions, il y a cinquante ans, à l'époque où subsistait encore un certain vitalisme, la crispation réductrice qui l'accompagne est cependant dommageable. Le cas est particulièrement patent dans “Le hasard et la nécessité” de J. Monod où les différents niveaux d'organisation du vivant sont sacrifiés au profit de la cellule, sa plus grande simplicité se prêtant beaucoup plus facilement à un modèle technologique. Souvent d'ailleurs, dans ces projets réducteurs, l'usage des modélisations permet d'oublier la finesse et la complexité de la réalité. La toute-puissance accordée aux gènes sous la dénomination de ‘programme génétique’ dans l'auto-construction du vivant ne peut être qu'une vue théorique, un modèle, qui ne tient pas compte des faits observables. Le mécanisme s'impose d'autre part assez souvent grâce à l'occultation de données fondamentales ; il ne va pas de soi qu'un caractère singulier, fondant une nouvelle fonction, acquis par hasard par un vivant soit automatiquement transmissible à sa descendance. C'est même le contraire qui est vrai.

Des considérations souvent étrangères à la science ont orienté, dans le passé, des travaux en faveur du vitalisme. Le matérialisme est aussi apriorique que le dualisme. Affirmer que l'unité de la conscience est inexplicable dans l'état actuel de nos connaissances mais affirmer par ailleurs dans le même temps qu'une meilleure connaissance de la matière cérébrale, en tant que matière, permettra un jour de résoudre le problème est un postulat gratuit. De même affirmer que l'ontologie de la conscience est irréductible mais que, malgré tout, elle est causée par la matière est une affirmation tout aussi gratuite. L'émergentisme qui prétend répondre à l'accusation de réductionnisme faite habituellement au matérialisme, n'est donc pas davantage une solution au problème posé par la spécificité subjective de l'être vivant.

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Préface 5

Ce sont ces antinomies plus ou moins déguisées du matérialisme qui nous ont poussés à rompre avec ces ensorcellements de l'époque pour poser l'existence d'une certaine extériorité qui ne soit pas elle, matérielle. Nous venons d'horizons fort différents. Pourtant, à l'occasion de quelques rencontres, dans un groupe de recherches que nous fréquentions l'un et l'autre, nous nous sommes aperçus que nos accords étaient très importants sur l'essentiel. L'un d'entre nous est philosophe ; il possède une double spécialité, en phénoménologie et en philosophie des sciences. Le « retour aux choses » prôné par Husserl l'a très tôt convaincu, grâce tout spécialement à l'étude de Merleau-Ponty, qu'il fallait se débarrasser du clivage intellectualiste/matérialiste pour s'en tenir à l'enseignement des phénomènes. On ne reconstruit pas le phénomène, c'est-à-dire la lumière dans laquelle les choses deviennent connues, à partir de constructions artificielles. Il faut le prendre tel quel et dévider patiemment la trame qui fait de lui une perception, une image, un souvenir, un concept. Trop souvent dans le langage matérialiste des neurobiologistes et des cogniticiens, ces mots sont employés sans être auparavant définis et explicités. De quoi parle-t-on alors ? Tous les amalgames de pensée sont alors permis. Un mot tient lieu souvent d'explication alors que l'on n'a même pas commencé à expliciter son contenu. Le travail de la conscience à l'œuvre dans une perception, dans une image, dans un souvenir, n'est pas réductible à celui d'une machine, si sophistiquée qu'elle soit, parce qu'en tant que matérielle, elle est incapable de s'auto-observer et de se projeter vers l'extérieur en donnant sens à son environnement. Mais l'idéalisme ne réussit pas mieux que le matérialisme parce que le travail de la conscience n'est pas celui d'un pur esprit. Le phénomène qui n'est pas qu'un simple épiphénomène est indissociablement lié à l'organisation cérébrale qui le sous-tend. Ni pure machine ni pur esprit, qu'est donc la conscience ? Puisque le phénomène apparaît avec la vie, le phénoménologue un peu curieux ne peut qu'être tenté de se pencher sur ce que les sciences de la vie apprennent. Or en tant que phénoménologue que constate-t-il à l'orée de la vie ? La réponse

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ne peut être que l'apparition de systèmes matériels d'un nouveau type. Ceux-ci n'expriment pas seulement un certain ordre dans la nature, comme le système solaire ou un cristal. Ils sont pourvus d'une organisation qui leur permet de doubler d'une certaine subjectivité la connaissance aveugle, mécanique, « hors sujet » – l'expression est de Michel Troublé – que des systèmes matériels ordinaires tirent de leur environnement lorsqu'ils rentrent en interaction.

La matière jusqu'alors insensible devient sensible. Elle ne relève plus seulement du quantifiable, du mesurable. Elle est porteuse de sens – c'est en tant que telle qu'elle est sensible – pour les nouveaux systèmes matériels apparus qui recherchent et trouvent en elle la source d'énergie dont ils ont besoin pour se maintenir en vie. Un système matériel inerte ne se défend pas contre les agressions ; un être vivant tend obstinément à demeurer en vie. Les automatismes biochimiques sous-jacents à cette obstination ne peuvent dès lors qu'être chargés de sens. Parce que ses parties sont extérieures les unes aux autres, la matière ne peut qu'être distendue. C'est cette distension qui est réduite en partie chez le vivant parce que les différentes parties qui le composent ont un sens les unes pour les autres, dans le tout qu'elles constituent. Grâce à cette réduction, une conscience subjective, auto-centrée, si timide qu'elle soit à ses débuts, fait alors son apparition chez les premières cellules libres. Il s'agit d'une innovation radicale dans le cosmos, porteuse d'un immense avenir couvrant tout le chemin qui sépare l'homme des bactéries, en passant par des étapes aussi importantes que le passage des êtres unicellulaires aux êtres pluricellulaires, à ces cellules qui s'assemblent pour coopérer ensemble au sein d'un unique organisme. Cette auto-centration a évidemment sa répercussion sur le monde extérieur puisque c'est elle qui permet de concentrer en un éclair de conscience – dans la subjectivité – les myriades de corpuscules et d'ondes qui viennent frapper les organes périphériques de tout organisme. Il convient évidemment de remarquer que toutes ces activités se déroulent dans un monde sans

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cesse changeant dont le mode d'apparition est l'espace et le temps. La conscience en tant que flux incessant de phénomènes en perpétuel renouvellement en porte la marque. Mais c'est aussi à travers l'espace et le temps que se réalise la montée progressive du cosmos, qui voit la vie puis l'intelligence advenir à des systèmes matériels. Tout être vivant manipule plus ou moins profondément, selon le niveau d'organisation de son être, l'espace et le temps. Il les survole globalement par la reconnaissance d'un territoire quelconque. L'homme a en outre le pouvoir, en raison de son accession à la culture, de comprendre l'espace-temps qu'il habite, voir d'agir sur lui. Ne pourrait-on pas dès lors considérer en lui, un peu à la manière de Newton qui en faisait un « sensorium divin », le point de rencontre et d'interaction d'un Projet créateur se communiquant en faisant apparaître dans la singularité, dans l'individualité, dans la subjectivité des êtres dotés de plus en plus d'autonomie, voire de liberté, au fur et à mesure que l'évolution avance dans la complexification du règne animal ?

C'est d'une crise dans la phénoménologie que sont nées ces pensées. Elles rejoignent les propos de l'autre auteur de cet ouvrage puisque, pour lui, la matière ne peut sortir de son état de superposition originaire, où tous les possibles sont simultanément présents, sans le concours d'un Opérateur transcendant possédant la capacité exclusive, totalement étrangère à la matière, de pouvoir choisir.

Il y a pareillement crise aujourd'hui dans la robotique. Certains roboticiens, parmi les plus grands, se demandent si le pouvoir cognitif du robot n'est pas en train de surpasser celui de l'homme et ne constitue pas une grave menace pour ce dernier à plus ou moins brève échéance. « Vers 2050, des cerveaux de robots construits à partir de calculateur qui exécuteront 100 trillions d'instructions par seconde commenceront à rivaliser avec l'intelligence humaine » nous dit H. Moravec5 de l'Université de Carnegie Mellon spécialisée en robotique. Quel avenir nous attend ? L'homme est-il indépassable dans sa dignité spirituelle ou n'est-il

5 H. Moravec - “Rise of the robots” - revue Scientific American - décembre 1999.

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qu'un chaînon dans l'évolution capable de s'abolir en donnant naissance à des machines « massivement intelligentes – les artilects [machines massivement intelligentes] »6 ? D'autres scénarios sont envisageables tout aussi confusionnels tels que l'intégration de pouvoirs électroniques extraordinaires dans le corps humain, leur puissance de calcul rendant un peu dérisoires nos capacités de nous émouvoir, de ressentir, de nous émerveiller que l'on attribue à la sensibilité et à l'âme. Un grand sociologue allemand, Ulrich Beck, caractérise notre temps comme « l'ère des risques » mettant en danger la vie de l'humanité entière. Quelques-uns proposent même une sorte de moratoire dans la recherche, parallèlement à ce qui se passe dans le domaine de la génomique pour les généticiens. Ce n'est pas sur ce terrain que Michel Troublé se pose la question. La crise dans la robotique ne se situe pas pour lui, en premier lieu, sur le plan moral ; elle se situe, avant tout, sur celui de la pensée théorique et fondamentale. Comme R. Penrose7, il pense que l'homme possède une capacité cognitive que n'a pas la machine, réduite, elle, à la simple possibilité de faire des calculs, à son pouvoir computationnel. Penrose s'appuie pour le démontrer sur ce que l'on convient d'appeler les modèles de pavage ; à son avis ceux-ci « violent presque » un théorème mathématique standard concernant les réseaux cristallins8. Il y aura crise dans la robotique tant que le problème concernant le computationnel ne sera pas résolu. Michel Troublé en sort en démontrant qu'il y a dans la pensée humaine un pouvoir de l'esprit que ne possède pas la machine, à savoir, en référence à ce que pensait déjà R. Ruyer9, la capacité de survoler l'espace d'une façon domaniale, absolue, de généraliser ; en d’autres termes, de pouvoir faire des choix cohérents parmi les solutions possibles L'exemple simple d'un thermomètre gradué qu'on lira dans le corps de l'ouvrage en est l'explicitation.

6 H. de Garis - “Débats pour le siècle à venir” - Le Monde, 9/11/99.7 R. Penrose - “Les deux infinis et l'esprit humain” - NBS Flammarion (1999).8 R. Penrose - “L'esprit, l'ordinateur et les lois de la physique”, p. 473 - Interéditions (1999).9 R. Ruyer - “Paradoxes de la conscience et limite de l'automatisme” - Albin Michel (1966).

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Tandis que l'un d'entre nous insiste sur la refondation de l'être qui se manifeste avec l'apparition de la subjectivité dans l'organisme et du sens dans l'univers, l'autre voit une caractéristique fondamentale du vivant dans l'acte de survoler d'emblée et sans intermédiaire l'espace, et le temps. Ils se rejoignent encore sur un point plus basique : celui de l'Être qui n'est ni le ‘il y a’ heideggerien ni la ‘substance’ spinoziste puisqu'Il est animé d'un projet. Si embarrassant que soit pour un entendement humain de concevoir l'origine des choses on peut dire que, ni les objets matériels tels qu'ils nous apparaissent dans l'espace et dans le temps ni les êtres vivants ni la pensée, n'auraient pu venir à l'existence sans un Projet transcendant, créateur. Par des voies différentes, par l'analyse logique de la notion de mesure, c'est-à-dire d'une façon très concrète, très pratique, d'une part, d'autre part par la montée en puissance de la phénoménalité considérée dans l'évolution du monde du règne animal et son incapacité à rendre compte d'elle-même, nous nous sommes trouvés sur un terrain de dialogue qui s'exprime dans les pages qui suivent.

La première partie de notre réflexion porte sur la connaissance d’un objet quelconque. C’est dans cette perspective que nous introduisons la notion de mesure. Celle-ci présuppose un objet à connaître et un sujet connaissant. Nous mettons provisoirement ‘entre parenthèses’ le sujet connaissant pour ne retenir que le domaine où les entités matérielles peuvent entrer en interaction. Il s’agit d’une ‘expérience de pensée’, une pratique assez courante chez les scientifiques. Il s’avère alors que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces entités matérielles se trouvent originairement en état de superposition – état où tous les possibles sont simultanément présents –, pour reprendre un terme à la physique quantique. Cela ne signifie pas qu’il n’existe pas de lois dans la nature pour les gouverner, mais les lois sont des idéalités qui ne fournissent pas à ces identités que nous percevons comme des objets un statut de singularité qu’elles possèdent

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pourtant bien ; un objet est en effet singulier par les propriétés qui le caractérisent et par la situation qu’il occupe dans l’espace et dans le temps. D’où notre première idée concernant un Opérateur non-physique qui aurait la charge essentielle de réduire cet état de superposition originaire que connaît la matière.

Dans la seconde partie, nous réintroduisons le sujet connaissant. Or nous constatons que le sujet résout l’état d’ambiguïté ontologiquement antérieur, en créant des catégories mentales (les catégories de chaud, de froid, de lourd, de léger, …). Nous démontrons alors que ces catégories qui sont à la base de la reconnaissance d’un objet – « je reconnais comme étant un arbre cet objet que je perçois actuellement » – ne peuvent être le résultat d’un processus physique déterministe ni d’avantage d’un choix aléatoire. Elles ne peuvent résulter que de choix thématiques, stables et cohérents.

Pourtant une objection nous est venue alors à l’esprit : des réseaux de neurones artificiels construits sur le modèle de nos réseaux de neurones naturels ne pourraient-ils pas faire ce classement thématique que nous avons déclaré jusqu’alors impossible ? C’est de la question très actuelle des ‘animats’ en intelligence artificielle dont il s’agit ici. Notre conclusion est que sans une préparation exhaustive du domaine dans lequel les objets observés sont susceptibles de se déployer, aucun processus de reconnaissance n’est possible ; tout mécanisme physique de reconnaissance est donc à écarter. La nature n’aurait-elle pas cependant fait tellement bien les choses que par suite de hasards et d’un processus comme le processus darwinien de sélection naturelle, des êtres purement matériels auraient pu acquérir cette capacité de catégoriser et de généraliser la diversité quasiment infinie de l’expérience. Une démonstration rigoureuse fait apparaître l’impossibilité physique de cette transmission. Il n’y a pas de ‘reproducteurs universels’, contrairement à ce qu’affirmait von Neumann et Norbert Wiener.

Les êtres vivants possèdent pourtant cette capacité ; ce sont des êtres matériels. Qu’a donc alors de spécifique cette

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matérialité ? Tout être vivant est un être matériel doté de sensibilité. C’est la sensibilité qui fait la différence entre l’inerte et la vie. Et cette sensibilité est dotée d’une fonction : comme expression de son attachement à la vie, à la pérennisation de sa propre existence et de celle de son espèce, la sensibilité chez l’animal est amenée à extérioriser l’expérience en vue de s’adapter à son flux sans cesse changeant.

L’ultime point de notre réflexion nous a amené à une philosophie de l’être très proche de celle de Merleau-Ponty dans le “Visible et l’invisible”. La sensibilité n’est pas une qualité seconde par rapport au quantitatif, comme beaucoup de philosophes l’ont pensé. Pour reprendre une expression de Merleau-Ponty, elle est « Élément de l’être ». Cet Opérateur non-physique dont nous parlons pourrait bien être l’Être qui en tant que « Sensible en général » se fractionne en tout vivant en « objet senti » et en « sujet sentant ». En tant qu’Elément de l’être c’est, lui, le Sensible qui assurerait la coordination entre tous les vivants dans un monde commun, unique.

Telle serait “l’archéologie du monde”, un dernier mot pour finir sur l’entrelacement du Sensible et de l’intelligence chez l’être, de nature mais aussi de culture, qu’est l’homme.

« Le sens du monde doit se trouver hors du monde » disait Wittgenstein – Tractatus, 6.41.

Les deux parties de ce livre sont chacune découpées en deux chapitres dont le premier est plutôt ‘technique’ et le second ‘philosophique’ car laissant une place importante à une vision méthodique des problèmes de la vie et aux dialogues entre les deux auteurs qui se livrent là à un jeu de questions/réponses sur les sujets développés dans les chapitres ‘techniques’. Une méthode possible de lecture pour ceux de nos lecteurs qui ne souhaiteraient pas aborder d’emblée des textes trop techniques, est de commencer l’exploration de notre thèse par les deux chapitres ‘philosophiques’ II et IV qui couvrent en effet l’ensemble de nos réflexions en faisant cependant

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systématiquement référence aux démonstrations données dans les chapitres techniques I et III.

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Sommaire 13

SOMMAIRE

PRÉFACE……………………………………………………9

SOMMAIRE………………………………………………. 21

CHAPITRE I par Michel TroubléIntroduction……………………………………………. 27L'existence d'un objet, sa connaissance

1.1 La mesure d'une propriété…………………………371.1.1 L'observateur…………………………………….371.1.2 L'appareil de mesure……………………………..401.1.3 La mesure d'une propriété………………………..411.1.4 Les événements………………………………….44

1.2 L'état de superposition…………………………………501.2.1 La réduction de l'état de superposition……………531.2.2 La nature des choix………………………………581.2.3 ‘Gasper, le gentil fantôme’……………………….61

CHAPITRE II par Michel Lefeuvre2.1 Atteindre un originaire…………………………….692.2 Le problème de la mesure…………………………792.3 L'aléatoire, « Dieu ne joue pas aux dés »………… 85

CHAPITRE III par Michel LefeuvreLes systèmes organisés, le vivant

3.1 La pensée…………………………………………. 983.1.1 L'acquisition d'une connaissance…………… 98

3.1.1.1 Le sujet crée des catégories……………..1003.1.1.2 Le sujet fait des choix thématiques……..1033.1.1.3 Un classement impossible………………1063.1.1.4 Un calculateur quantique………………. 109

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3.1.2 Les réseaux de neurones……………………1113.1.2.1 L'apprentissage………………………….1153.1.2.2 Ordre et organisation……………………1173.1.2.3 Un classement par sélections multiples…1223.1.2.4 Une recopie aléatoire…………………... 1243.1.2.5 Des propositions indécidables- Gödel…..1273.1.2.6 La capacité de généralisation…………...1283.1.2.7 Des choix thématiques…………………. 132

3.1.3 Le discours scientifique…………………….1333.2 Les structures matérielles vivantes……………… 139

3.2.1 Une définition des systèmes vivants………..1393.2.2 Un automate mimant un être vivant élémentaire…..142

3.2.2.1 La ‘survie’ de l'automate………………..1443.2.2.2 Un mécanisme naturel de catégorisation ?….1493.2.2.3 Les réflexes conditionnés……………….150

3.2.3 La sélection naturelle……………………….1523.2.3.1 La recopie d'une information innovante…….1583.2.3.2 L'autoréplication de molécules organiques…..1633.2.3.3 Des recopies successives sans erreur…... 1653.2.3.4 Fonctions : des créations impossibles…..1683.2.3.5 Le processus de reconnaissance………...1723.2.3.6 Une reconnaissance impossible…………1753.2.3.7 Une reconnaissance inclut une préparation…..1803.2.3.8 Un processus de filtrage………………...181

3.2.4 Les ‘animats’………………………………. 1823.2.5 Des choix thématiques……………………...1943.2.6 Les modes d'actions thématiques…………...195

3.2.6.1 Le plaisir/déplaisir………………………1963.2.6.2 Un centre de plaisir/déplaisir…………... 1973.2.6.3 L'affectivité, un facteur d'animation…….1993.2.6.4 L'origine de la vie, son évolution……….200

3.3 La conscience…………………………………… 204Conclusion……………………………………………. 211

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Sommaire 15

CHAPITRE IV par Michel Lefeuvre4.1 Sur la pensée……………………………………..215

4.1.1 La reconnaissance des formes……………... 2174.1.2 Le test de Turing, la chambre chinoise de Searle...2274.1.3 La conscience, les émotions………………...241

4.2 Sur le vivant……………………………………...2444.2.1 L'auto-organisation et les systèmes ordonnés…...2454.2.2 Qu'est ce que le vivant ?…………………….2514.2.3 La question de l'esprit………………………2604.2.4 Les causes efficientes et formelles………… 2734.2.5 Le rôle fondamental de la sensibilité……….283

4.3 L'homme est un paradoxe. La paradoxe de l'être……..2924.3.1 L'avènement de l'homme…………………... 2984.3.2 Le principe anthropique…………………….3014.3.3 Des mécanismes de l'évolution……………. 3024.3.4 L'homme comme anti-nature……………….3084.3.5 Nature et anti-nature chez l'homme………...3114.3.6 Le même et l'autre. À propos du mind……... 3144.3.7 Du pré-objectif aux négatités……………….3174.3.8 L'immortalité de l'âme……………………... 322

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CHAPITRE I

Michel Troublé

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Chapitre I- Introduction 17

INTRODUCTION

Quelle est la nature de l'homme, qu'est-ce que la pensée. Qu'est-ce que la conscience, cet état d'être qui nous fait participer au monde ?

Les matérialistes pensent que les hommes, et plus généralement tous les êtres vivants, ne sont que des machines aussi prodigieuses que peuvent être leur structure et leur capacité à réagir aux situations les plus imprévues. Issues de rencontres aléatoires entre des éléments physiques ordonnés à des degrés différents, ces machines répondent d'une façon plus ou moins déterministe aux sollicitations d'un environnement généralement hostile qui ne peut que les dégrader. En tant que machines, ces hommes ne sont donc ni plus ni moins importants que les gouttes de pluie qui viennent s'écraser sur le sol. Leurs actions se réduisent aux agitations d'une matière parfaitement amorale car indifférente à toute valeur qui implique une finalité n'ayant pas sa place dans le cadre du modèle matérialiste. Leurs joies, leurs souffrances, n'ont strictement aucun sens, il n'est nul besoin de s'en préoccuper. Quant à leurs pensées que ces matérialistes regardent avec une conscience qu'ils ne peuvent ignorer attendu que c'est par elle qu'ils perçoivent un monde autrement fermé sur lui-même, elles ne sont au mieux que des épiphénomènes, le monde matériel étant pour eux nécessairement causalement clos.

Quant aux spiritualistes, certainement aussi importants en nombre et en qualité que les matérialistes, ils sont au contraire intimement convaincus que l'homme est autre chose qu'un simple assemblage d'éléments matériels aussi complexes soient-ils ; les êtres vivants, dans toute leur diversité, ne peuvent pas être pour eux le fruit de rencontres aléatoires. Pour ces spiritualistes qui ne nient pas pour autant la réalité matérielle même dans ses manifestations les plus ordonnées, être n'est pas un vain mot. Ils ‘savent’ – sans avoir appris – qu'au bout de leur pensées, là où s'arrête tout discours, il est un domaine d'esprit, dont ils

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participent, qui n'appartient pas à cette Matière dans laquelle ils sont immergés et qui, au mieux, ne peut être qu'ordonnée mais certainement pas organisée comme l'est le vivant.

Et les protagonistes sont toujours dos-à-dos, l'extraordinaire croissance du nombre d'objets techniques de plus en plus complexes, disponibles à la consommation, creusant encore un peu plus tous les jours le fossé qui les sépare. Avec cependant quelques ponts jetés de-ci de-là par certains penseurs matérialistes qui soutiennent, assez paradoxalement d'ailleurs car étant eux-mêmes parties intégrantes d'une Matière qui ne peut être qu'amorale dans ses choix – un être vivant n'est pas plus précieux qu'un rocher qui éclate sous l'effet du gel –, une éthique strictement humaniste, où l'art, la compassion et l'amour du prochain sont leurs thèmes favoris.

Il est vrai que les matérialistes ont, sur un plan strictement utilitaire qui est le leur, de plus en plus de raisons de croire que leur philosophie est la bonne. N'arrive-t-on pas à expliquer aujourd'hui, en s'appuyant sur un corpus de lois physiques bien établies, des phénomènes qui dans le passé étaient parfaitement incompréhensibles sans l'intervention de quelque puissance divine tutélaire. La mécanique quantique, cette théorie physique quasi universelle, est à ce titre d'une extraordinaire efficacité ; ses prédictions n'ont jusqu'à ce jour jamais été démenties par l'expérience. Tout semble ainsi réussir à l'homme dans les diverses manipulations qu'il entreprend ; ses réalisations techniques innombrables sont toutes plus extraordinaires les unes que les autres et attestent avec éclat que la Matière est ainsi pleinement souveraine, autosuffisante. Rien ne semble donc échapper aux innombrables capacités techniques de l'univers matériel, pas même ce cerveau longtemps domaine inviolé, siège de notre ‘je’, de nos émotions, de nos initiatives ; ainsi, parmi les mécanismes intellectuels que nous qualifions volontiers d'intelligents, certains comme la reconnaissance des formes (un visage, une rue, ...) peuvent d'ores et déjà être réduits à de simples manipulations d'informations de type ‘0’ ou ‘1’ par les neurones, ces cellules de

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Chapitre I- Introduction 19

calcul, qui constituent les éléments de base de notre système nerveux. Mais ce n'est pas pour autant que ces réussites éclatantes doivent inhiber tout questionnement.

On peut ne s'intéresser qu'à la description, aux seules visées opérationnelles, des relations physico-chimiques qui lient les divers éléments dont l'être vivant ‘machine’ est constitué, ainsi que celles qui rendent compte de ces autres structures organisées que l'homme, au moins lui, construit sans relâche. Si on considère ainsi comme ‘naturel’ – dans le strict cadre des lois physiques, ces règles du jeu de la dimension matérielle –, le déploiement si extraordinairement cohérent dans l'espace et le temps de ces dites relations qui conduit à l'émergence des structures organisées, vivantes, alors effectivement tout est dit, les matérialistes triomphent. La plupart d'entre eux ne semblent en effet nullement interpellés par l'acte de création, cette extraordinaire capacité qu’ont certains êtres vivants, l'homme en particulier, d'organiser des domaines qui n'existaient pas encore. Ces matérialistes semblent ainsi ne pas se soucier de la cohérence interne de ces actions créatrices sachant pourtant que la Matière ne connaît que le hasard des rencontres ou, qu'au mieux, elle ne peut qu'expérimenter des associations d'objets imposées a priori sans souci du contexte qui à terme ne peut que les dégrader.

En se bornant à la seule description des solutions émergentes – celles qui sont observées –, il semble donc qu'il n'y ait rien d'autre en dehors de cet univers matériel, la vie serait simplement née de hasards multiples contraints par les lois physiques. Pour F. Crick10, prix Nobel de biologie (pour sa découverte avec J. Watson de la structure de l'ADN), « ... chacun d'entre ‘nous’ est la résultante du comportement d'un vaste ensemble de neurones interactifs ». Et la conscience, cet état d'être qui nous permet de prendre part au monde, ne serait qu'une illusion comme le dit si bien le philosophe D. Dennett11 dans son ouvrage “La conscience 10 Francis Crick - “L'hypothèse stupéfiante, à la recherche scientifique de l'âme” - Librairie Plon (1994).11 D. Dennett - “La conscience expliquée” - Edition Odile Jacob, Paris (1993).

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expliquée”. Rien par conséquent qui puisse éclairer cet univers froid du minéral : les hommes, ne sont que des automates qui s'agitent sans raison, comme ces branches d'arbre qui plongent de temps à autre leurs rameaux dans l'eau tumultueuse d'un torrent.

Cependant, il y a peut-être une façon d'éclairer ce débat plus que bimillénaire et toujours d'actualité, c'est de reprendre avec attention l'analyse des mécanismes physiques qui permettent aux êtres vivants, pour agir, de prendre connaissance des propriétés des éléments qui constituent l'univers dans lequel ils sont plongés et avec lesquels ils entrent sans cesse en interaction.

En voulant résoudre, dans le cadre de nos recherches, la question de l'intégrité d'un robot d'exploration terrestre devant se déplacer d'une façon autonome dans un environnement hostile capable de le détruire, ne serait-ce qu'à cause des heurts possibles avec des obstacles rencontrés sur son parcours, nous avons été aussitôt confronté à la problématique du choix qui accompagnait l'acquisition de toute ‘connaissance’ que le robot pouvait avoir sur le monde ; cette ‘connaissance’ élémentaire, hors sujet, étant pour le robot à la source de toute action possible comme celle de changer brusquement de direction afin d’éviter un rocher détecté par son système de perception (caméra vidéo, par exemple). Et à ce niveau élémentaire où il n'était pourtant pas encore question de système vivant, mais simplement d'un robot d'exploration percevant, mesurant, mécaniquement le monde, nous avons alors découvert que la ‘souveraineté’ de la Matière, dans le pouvoir qu'on lui prête de toujours se manifester sous forme d'événements différenciés, non-ambigus, de l'espace-temps – ce que toujours nous observons –, posait déjà un problème majeur.

Dans le Chapitre I nous nous intéressons d’abord ainsi à l'analyse de l'opération de mesure, processus physique fondamental grâce auquel un système matériel, quelles qu’en soient sa nature et sa complexité, acquiert de la ‘connaissance’ – en tant que source d’action – sur un domaine donné de l'univers avec lequel il entre en interaction. Par une approche logique nous montrons que le fruit de

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Chapitre I- Introduction 21

cette mesure est non pas une réponse unique mais plutôt un état de superposition, de confusion, où, paradoxalement, les choses sont et ne sont pas dans le même instant tant qu'un processus de choix, nécessairement irréductible au système de mesure, n'est pas venu réduire à une seule occurrence le nombre des solutions possibles.

Cette problématique du choix est au cœur même de notre thèse qui développe l'idée que le modèle matérialiste du monde est incomplet, l'univers matériel n'ayant en aucune façon la capacité de faire des choix parmi toutes les solutions potentielles qui, continûment, se développent chaotiquement en son sein. À la dimension matérielle, il faudrait donc adjoindre une autre dimension de l'Être, de nature non-physique, qui serait la source de tous ces choix sans lesquels rien ne pourrait se manifester.

Pour que notre robot d'exploration puisse, de lui-même, conserver son intégrité face aux sollicitations dégradantes de son environnement, il faudrait qu'il ait la capacité, que possède naturellement l'homme grâce à sa pensée, de créer des catégories cohérentes à partir de l'infinie variété des formes qu'il perçoit avec ses moyens de détection (caméra vidéo, radar,…) ; catégories qui ne sont pas celles d’Aristote ou de Kant comme la ‘qualité’ ou la ‘quantité’, mais simplement des classes dans lesquelles sont regroupées les différentes formes perçues qui doivent conduire à des actions identiques. Ainsi doté, ce robot serait en effet capable, à partir des différentes images issues de sa caméra vidéo, de construire des catégories d'actions répondant d'une façon cohérente aux impératifs de sa mission et aux agressions d'un environnement susceptibles de le détruire.

Dans le Chapitre III nous commençons donc par analyser les propriétés de la pensée, cette dernière en tant que processus de traitement des informations issues des différents capteurs extéroceptifs et proprioceptifs dont l'être humain est équipé. À cette fin, nous examinons la pertinence des processus de traitement de l'information qui seraient susceptibles de créer des catégories, bases de toute conceptualisation, à partir de la perception des formes, nécessairement toutes différentes, des objets constituant

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son environnement ; et c’est pourquoi nous étudions avec attention le fonctionnement des réseaux neuromimétiques qui simulent, en les simplifiant, certains éléments de notre système nerveux central considéré comme siège de notre pensée. Nous poursuivons ensuite plus avant notre investigation en examinant ce qu'impliquent, au niveau des mécanismes mis en œuvre, l'émergence et le maintien des structures matérielles vivantes dont certaines, parmi les plus évoluées, supportent précisément cette pensée. En reprenant l’exemple du robot d’exploration, nous nous interrogeons ainsi sur la nature des différents mécanismes de catégorisation possibles qui, en le rendant capable de réagir d'une façon adéquate aux sollicitations généralement dégradantes de son environnement, pourraient assurer sa pérennité ; autrement dit le rendre ‘vivant’. Les principes de ‘moindre action’ de Maupertuis ou Fermat, ou même les ‘formes’ a priori de R. Thom, qui résolvent dans le domaine de l'inanimé le problème de l'ordre – relatif à l'association stéréotypée de formes – sans faire appel à une quelconque finalité objective, ne seraient ainsi d'aucun secours en matière d'organisation des êtres vivants qui, quant à eux, fondent essentiellement leur existence sur la catégorisation cohérente, opportuniste, des formes perçues.

Nous essayons enfin de préciser la nature de la conscience, cet état de présence à soi toujours résolu qui nous fait participer au monde. C'est ainsi que nous tirons parti de cette capacité essentielle mais aussi très paradoxale que doit posséder tout être vivant pour assurer sa pérennité, de toujours pouvoir choisir d'une façon cohérente entre les solutions d'une alternative – fruits de l'interaction entre l'être vivant, en tant qu'appareil de mesure, et la chose mesurée – autrement en état de superposition, comme d'être à la fois semblables et différentes dans le même instant. Étant toujours dans un état qui, pour une qualité donnée, se réduit toujours à un seul terme – c'est ‘rouge’ ou c'est ‘vert’, mais ce n'est pas ‘rouge’ et ‘vert’ dans le même instant –, la conscience, cet état d'être qui nous permet de prendre part au monde, serait donc nécessairement de nature non-physique comme cette autre

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Chapitre I- Introduction 23

dimension de l’Être dont nous avons conjecturé l’existence car essentielle, par sa capacité unique de faire des choix, à l'émergence de toute entité individuée.

Pour résoudre ce problème fondamental, physiquement insoluble, de la problématique du choix – choix généralement aléatoires mais nécessairement thématiques pour expliquer l'émergence des êtres vivants –, nous serons finalement conduit à conjecturer l'existence d'un Opérateur Σ0 de nature non-physique car devant réduire, c'est-à-dire choisir, les solutions matérielles originairement en état de superposition que cet univers produit comme fruits de toute interaction. À ce titre, l’Opérateur Σ0 serait source de sens. Il serait une dimension d'esprit porteuse d'une véritable finalité objective et non pas métaphorique, un « tout se passe comme si …», qui, à terme, serait nécessairement réductible à un processus physique.

Opérateur Σ0 et conscience ne seraient-ils pas alors un seul et même objet de pouvoir ?

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L'existence d'un objet, sa connaissance

Pour essayer d'apporter un éclairage nouveau à la problématique de l'esprit et de son rapport avec le corps, nous allons chercher à répondre à la question suivante : comment prenons-nous connaissance, afin de pouvoir agir, des propriétés des éléments qui constituent l'univers dans lequel nous sommes plongés et avec lesquels, sans cesse, nous interagissons. Nous découvrirons que cette connaissance, qui est essentiellement action, ne peut se révéler qu’à travers un processus de choix qu’aucun mécanisme physique, quelle qu’en soit sa nature, ne peut assumer. La question du choix, fondamentale, est à la racine de tout existant.

L'acquisition par un observateur d'une certaine connaissance relative à un élément donné de l'univers consiste à effectuer la mesure d'une propriété que cet élément est présumé posséder. L’observation d'un élément de l'univers implique en effet une mesure – soit, in fine, un changement d’état affectant notre système nerveux central, au moins lui –, même si celle-ci n'est que qualitative ; effectuer une mesure (d'une grandeur) ne consiste pas à faire seulement de la métrologie, comme de mesurer la longueur d'un coupon d'étoffe avec un mètre ou la température d'un objet chaud avec un thermomètre. Dire que « le soleil est magnifique aujourd'hui…» suppose ainsi qu'une mesure est effectuée par nos sens laquelle porte sur l'existence d'un flux lumineux intense émis par le soleil. Ou bien encore, en imaginant la scène suivante : une personne se trouve à côté d'un gros rocher qui est soudainement percuté par une pierre venue de l'espace, une petite météorite par exemple. Sous l'effet de l'impact, le rocher va se briser en de nombreux fragments dont certains vont venir frapper la personne plus ou moins violemment : là encore, ces chocs ressentis sont bien

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Chapitre I - La mesure d'une propriété 25

l'effet d'une mesure mais portant cette fois sur les grandeurs associées de masse et de vitesse (ou ‘quantité de mouvement’, produit de la masse par la vitesse). La mesure étant effectuée, il semblerait alors naturel de dire, comme nous venons naturellement de le faire en décrivant la scène, qu'en fonction d'expériences passées la météorite existait déjà dans le ciel avec ses attributs de dureté, de poids et de vitesse avant même que le rocher soit brisé par elle; faisant ainsi le pari que ce qui a été, est encore de droit maintenant. Même s'il est ‘vrai’ (affirmation déduite d'observations successives) qu'il existe une certaine régularité dans le développement des phénomènes physiques – le soleil se lève tous les jours à l'est… –, ce n'est pas pour autant que cela doit nous autoriser à affirmer, sans restriction, qu'il existe nécessairement des ‘choses’ en soi, dotées de propriétés bien définies – un gros rocher brun, un chaud soleil,…–, dont l'actualisation, en tant qu'événements observables, s'effectuerait sans ambiguïté.

C'est pourquoi nous nous proposons de revenir à l'essentiel, en oubliant volontairement pour un temps ces enchaînements d'événements passés que notre esprit élabore pour son plaisir (ou au moins pour sa survie) : « la météorite existait déjà en tant que telle avant de venir s'écraser sur le rocher », « le soleil se couche tous les jours à l'ouest », etc… Nous ignorerons ainsi volontairement, car son existence pose justement problème, cette cohérence entre les choses que notre esprit manipule. La mesure actuelle d'une propriété est le seul fait que nous retiendrons, et pour pouvoir analyser sans biais le fondement des mécanismes qui nous permettent d'acquérir de la connaissance, nous baserons essentiellement notre argumentation sur des considérations d'ordre événementiel.

Dans l'expérience du rocher percuté par la météorite c'est le déploiement de l’action ‘des éclats de rocher frappent le corps de l’observateur’ qui va donc véritablement révéler au yeux de celui-ci l'existence même de la météorite dotée des propriétés d'avoir une masse et une vitesse.

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1.1. La mesure d'une propriété

La problématique de la mesure est fondamentale car, stricto sensu, nous ne pouvons parler de parler de l'existence – dotée d'attributs – d'un quelconque élément de l'univers physique et par extension de développer tout discours sur le monde, que si cet élément a, d'une façon ou d'une autre, fait l'objet d'une mesure suivant une propriété fixée par un ‘observateur’ ; c'est-à-dire lorsque cette mesure produit une action unique, bien déterminée. Un objet n'est connaissable dans ses effets qu'à travers une mesure ; « c'est très chaud », dit-on en touchant une pierre chauffée par le soleil : ce contact avec la pierre est une mesure sans laquelle il n'y aurait pas véritablement d'objet ‘chaud’.

1.1.1. L'observateurL'observateur, celui qui fait une mesure pour acquérir de la connaissance sur un domaine particulier de l'univers dans lequel il est plongé, est constitué, en tant qu'appareil de mesure, d'au moins une chaîne sensorielle comme l'œil avec sa rétine associée au cortex visuel par l'intermédiaire du nerf optique, pour déterminer la forme et la couleur des objets avec lesquels il entre en interaction ; pour notre précédent observateur qui était frappé par des éclats de rocher témoignant de l’existence d’une météorite tombant sur la Terre, l'appareil de mesure était alors constitué par un ensemble de cellules spécialisées de sa peau sensibles à la pression. Suivant les circonstances, l'observateur pourrait aussi faire appel à un appareil de mesure complémentaire comme une caméra vidéo ou une balance pour apprécier d'une manière plus précise la couleur ou le poids d'un objet.

Dans un premier temps, nous allons faire l'hypothèse que l'observateur qui expérimente, s'aidant ou non d'un instrument de mesure telle qu'une balance ou un thermomètre, n'est lui-même rien de plus qu'un appareil de mesure particulier composé, suivant les circonstances, d'une ou plusieurs chaînes sensorielles de nature

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Chapitre I - La mesure d'une propriété 27

physico-chimique (des cellules, des circuits nerveux, des fluides) ; l'état de sortie de cet appareil de mesure propre à l'observateur se manifestant alors soit par une émission sonore – la voix –, soit par des mouvements coordonnés – l'écriture –, soit encore par toute autre action spécifique. Dans cette optique, le développement d'une pensée consciente qui précède et fait normalement suite à toute mesure afin d'en apprécier et d'ordonner d'une façon cohérente son contenu, ne sera donc que le reflet accessoire d'un état particulier de la structure nerveuse du cerveau en tant que machine traitant de l'information. En d'autres termes, le fait que l'observateur en question soit conscient ou non de la mesure qui est effectuée n'interviendra nullement dans notre analyse. Le rôle de l'observateur, en tant qu'entité ayant, semble-t-il, la capacité consciente de faire des choix cohérents parmi toutes les solutions matérielles essentiellement variables qui se présentent à lui afin de les regrouper dans des catégories bien définies nécessaires à sa pérennité et à son évolution, sera analysé ultérieurement dans le Chapitre III.

Même en l'absence de tout sujet qualifiant le résultat de la mesure, notre hypothèse de travail, nous allons néanmoins être amené à parler de l'existence d'éléments distincts de l'univers physique et voir ce que cela implique au niveau des conditions de leur émergence. Nous nous proposons ainsi d'étendre la notion d'existence qualifiée (nommée) portant sur un grand nombre d'occurrences, exprimée naturellement par un sujet, à une notion d'existence singulière hors la présence de tout ‘sujet’ connaissant – existence donc non encore qualifiée, c'est-à-dire sans attributs spécifiques ; cette existence, plus fondamentale, ayant son origine dans les incessantes et multiples interactions qui se produisent entre les divers éléments de l'univers. C'est ainsi que nous constatons, a posteriori, qu'une ‘météorite’ a interagi avec un ‘rocher’ et l'a brisé à cause de la masse que cette ‘météorite’ possédait, propriété à laquelle le ‘rocher’ était sensible car lui aussi possédant une masse. Concernant l'éclatement du ‘rocher’, il s'agit là de ce qu'on pourrait appeler une mesure ‘hors sujet’, a-cognitive,

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de la présence de la ‘météorite’ dans l'environnement du ‘rocher’ : l'éclatement du ‘rocher’ – l'action dont il est l'objet – étant alors la manifestation de l'existence de la ‘pierre’ en tant que connaissance élémentaire singulière acquise par le ‘rocher’.

Si nous avons mis les mots météorite et rocher entre guillemets, c'est pour bien marquer le fait que ces objets ne sont désignés ainsi (possédant des propriétés spécifiques) que pour permettre le discours ; en réalité il ne s'agit là que d'entités qui n'ont pas encore attributs, c'est-à-dire de domaines plus ou moins denses et étendus de l'univers en déplacement les uns par rapport aux autres. La ‘météorite’, le ‘rocher’ ainsi que le fruit de leur interaction sont donc primitivement des entités innommées, elles ne font qu'exister ; ces entités ne seront effectivement nommées ‘météorite’ et ‘rocher’ qu'ultérieurement par un sujet qui aura ou non préparé l'expérience en vue de la qualification des éléments mis en jeu. Mais il n'empêche que ces différentes entités ainsi que le produit de leur interaction doivent certainement exister même si elles sont encore présentement innommées dans le scénario ‘hors sujet’ que nous avons développé. Ces existences primaires spontanées, non encore dotées de propriétés spécifiques, sont les prémices nécessaires à partir desquelles vont se constituer nos propres existences d'êtres vivants, lesquelles permettront, en tant que structures physiques, le développement ultérieur de tout discours de connaissances. Contrairement à ces connaissances que nous avons qualifié d'élémentaires – propres aux entités encore sans attribut – et qui peuvent se caractériser par une succession d'actions aléatoires, les diverses connaissances constituant un discours sont, quant à elles, nécessairement associées à une suite d'actions cohérentes. Nous verrons que cette capacité de créer de la cohérence entre les différentes actions, qui se peuvent se développer au sein d'une structure matérielle, est la caractéristique fondamentale de tous les systèmes vivants.

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Chapitre I - La mesure d'une propriété 29

1.1.2. L'appareil de mesureUn appareil de mesure, qu'il soit inerte telle une balance ou organique comme peut l'être l'œil avec sa rétine, est un système physique plus ou moins complexe qui est sensible à une certaine propriété (température, masse, couleur,...). Lorsqu'un appareil de mesure entre en interaction avec un domaine donné de l'univers qui est supposé contenir un élément possédant ladite propriété, il se met dans un état particulier caractérisé par une certaine disposition de ses éléments (c'est la colonne de mercure d'un thermomètre qui s'élève à une certaine hauteur dans un capillaire de verre, le ressort d'un peson qui s'allonge plus ou moins en fonction de la charge, l'état électrochimique d'un groupe de neurones dans un cerveau, ...). La disposition dans l'espace et le temps des éléments constituant cet appareil de mesure – c'est-à-dire son état – est donc la réponse que celui-ci fournit à une question qui est en quelque sorte posée implicitement à la nature : y a-t-il dans un domaine donné de l'univers physique des entités matérielles qui possèdent ou non la propriété en question ? Laquelle propriété résulte d'une disposition naturelle ou volontairement préparée par un sujet des divers éléments qui constituent l'appareil de mesure.

En rappelant que les notions de connaissance et d'action sont inséparables, on peut donc dire, comme nous l'avons déjà noté, que l'appareil de mesure prend alors littéralement connaissance de l'entité observée, en ce sens que son interaction avec cette dernière va se traduire effectivement par l'existence, encore sans attribut, d'un nouvel état spécifique de sa structure ; cette action qui résulte d'une mesure, étant par exemple le ressort d'un peson qui s'allonge sous l'effet d'un poids, le ménisque de mercure d'un thermomètre qui se déplace de quelques graduations dans le tube capillaire à cause du rayonnement thermique produit par un objet chaud rapproché, ou bien même encore la dépolarisation électrochimique, sous l'effet d'un quelconque éclairage, des membranes de neurones appartenant à la rétine de l'œil d'un opérateur. À ce titre, connaître, dans son acception la plus

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primitive de conduire à une action, ne serait donc pas le privilège exclusif des systèmes vivants qui seulement agiraient d'une façon orientée et non pas aléatoire comme le fait toute entité dite inerte.

Comme pour le ‘rocher’ et la ‘météorite’ qui le faisait ‘éclater’, précisons bien encore ici que les actions ainsi que les attributs qui sont attachés aux objets de ces diverses expérience (allongement d'un ‘ressort’, déplacements du ‘ménisque de mercure’ d'un thermomètre, polarisation de la membrane d'un ‘neurone’, ...) ne peuvent être logiquement nommés comme tels, que rétroactivement. Suite à l'interaction, ces entités ne peuvent au mieux qu'exister, en étant porteuses – en tant qu'éléments individués – d'attributs potentiels que le sujet, pour son bon plaisir (un système de valeurs), utilisera ultérieurement pour les nommer.

1.1.3. La mesure d'une propriétéPour analyser la façon dont se déroule la mesure d'une propriété, nous allons porter notre attention sur un appareil de mesure que nous savons être sensible, par exemple, à la température des objets avec lesquels il entre en interaction ; en l'occurrence, il va s'agir d'un thermomètre dans lequel la partie libre de la colonne de mercure, ou ménisque, se déplace d'une façon plus ou moins importante dans un tube capillaire en réponse aux variations de température du milieu extérieur dans lequel il est plongé. Par rapport à son équivalent organique (des cellules spécialisées sensibles à la température, situées sous la peau, qui font appel à de très nombreuses interactions physico-chimiques intermédiaires avant de produire un signal qui se propage dans une fibre nerveuse), un thermomètre présente cet avantage de posséder une structure simple qui est facile à analyser.

En réduisant l'expérience aux éléments essentiels, on peut dire que l'univers soumis à la mesure est seulement composé d'entités qui peuvent être ‘chaudes’ ou ‘froides’ et situées ‘ici’ ou ‘là’ (elles ne seront qualifiées comme telles qu'à l'issue de la mesure), et que, suite à leur interaction avec la colonne de mercure du thermomètre

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Chapitre I - La mesure d'une propriété 31

qui est localisé ‘ici’ ou ‘là’ dans cet univers, le ménisque occupera alors les positions dites ‘haute’ ou ‘basse’. Ces deux positions ‘haute’ et ‘basse’ sont les réponses possibles attendues que peut fournir cet appareil de mesure (voir Fig. 1). Notre question relative à cette mesure est alors la suivante : quelles sont les relations qui peuvent s'établir entre les domaines d'univers à mesurer – les entités ‘chaude’ et ‘froide’ – et les deux états possibles – les positions ‘haute’ et ‘basse’ – dans lesquels peut se mettre l'appareil de mesure ?

Conjecture essentielle : faire une mesure suivant une certaine propriété (position, nature) implique un partitionnement de l'univers, autrement continu, suivant les valeurs possibles qui sont attachées à la propriété cherchée. De supposer ainsi qu'il peut y avoir, maintenant, dans l'univers une entité ‘chaude’ (sa nature), implique logiquement qu'il doit exister, dans le même instant, un

entité ‘chaude’

entité ‘froide’

position haute‘ ’ du ménisque

position ‘basse’ du ménisque

Thermomètre

La mesure d'une propriété

Figure 1

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domaine complémentaire d'univers qui correspond à ce que nous avons nommé une entité ‘froide’ (‘non-chaude’) ; de même que l'existence d'un ‘ici’ (sa position), entraîne qu'il doit aussi exister un domaine complémentaire d'univers, un ‘là’ (‘non-ici’). Ce qui dans notre expérience thermométrique fait l'objet de la mesure doit donc être considéré comme se déployant simultanément suivant les quatre domaines d'univers suivants :

[‘chaude’, ‘ici’], [‘froide’, ‘ici’], [‘chaude’, ‘là’], [‘froide’, ‘là’]

Ces derniers domaines ne sont à ce stade que des potentialités d'être, sans consistance objective tant qu'ils n'auront pas été associés à des actions déterminées, lesquelles actions seront la marque effective de leur existence. Ce n'est donc que par commodité de langage que nous parlons des entités ‘chaude’ ou ‘froide’ et des états correspondants du ménisque en position ‘haute’ ou ‘basse’, comme si ces entités ou états existaient a priori en attente d'une mesure ; les guillemets utilisés sont donc là pour nous rappeler que les propriétés en question ne pourront être nommées ainsi qu'à l'issue de la mesure.

Dire que le ménisque de mercure du thermomètre, plongé quelque part dans l’univers composés d’entités ‘chaude’ ou ‘froide’, est en position ‘haute’ ou en position ‘basse’ dans le tube capillaire n'est qu'une façon raccourcie de dire les choses. Plus précisément, il s'agit là en effet que des positions moyennes d'un ensemble de molécules de mercure elles-mêmes composées d'un grand nombre de particules élémentaires P (des protons, des neutrons, des électrons, …). S'enquérir des positions du ménisque de mercure s'est s'interroger en fait sur les différentes positions que peuvent occuper les particules élémentaires qui le composent. S’appuyant sur la notion d’événement, notre analyse va porter ainsi sur une de ces particules P qui, en correspondance avec les déplacements du ménisque de mercure, pourra occuper deux positions différentes que, pour faire court, nous nommerons aussi ‘haute’ et ‘basse’.

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Chapitre I - La mesure d'une propriété 33

1.1.4. Les événementsDe quelle façon ces potentialités d'être que constituent les quatre domaines d'univers [‘chaude’, ‘ici’], [‘froide’, ‘ici’], [‘chaude’, ‘là’] et [‘froide’, ‘là’] vont pouvoir s'associer aux deux positions dites ‘haute’ et ‘basse’ dans lesquelles peut se trouver la ‘particule P’ de la colonne de mercure du thermomètre, par exemple, localisé ‘ici’ ? Autrement dit, suivant quelles modalités l'appareil de mesure localisé par exemple ‘ici’ va effectuer le classement dans les catégories ‘haute’ et ‘basse’ – ce qu'on attend d'une mesure – des domaines d'univers avec lesquels il va interagir ? Quand nous parlons de la ‘particule P’, ce n'est qu'une façon commode de parler d'un état d'être relatif à un élément de la colonne de mercure que seule l'observation finale permettra de désigner comme telle en tant qu'entité individuée.

Logiquement, les différentes positions que peut occuper la ‘particule P’ sont celles qui correspondent aux divers événements qui sont susceptibles de se produire : ces événements décrivent dans quelles circonstances se manifestent les diverses actions dont la particule P est l'objet. Autrement dit, à cause des actions qu'elles sous-tendent, les différentes collections d'événements qui vérifient les quatre domaines d'univers à mesurer se rapportent directement aux positions ‘haute’ et ‘basse’ que peut occuper la ‘particule P’. Ces événements correspondent à ce qu'en logique mathématique on appellerait des prédicats. C'est à dessein que nous utilisons le terme d'événement, celui de prédicat étant usuellement réservé aux ‘discours’ qui, par définition, ne peuvent porter que sur des ‘objets’ nécessairement premiers dans l'ordre de l'existence des choses.

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34 Une critique du modèle matérialiste

Correspondant aux 4 domaines d'univers [‘chaude’, ‘ici’], [‘froide’, ‘ici’], [‘chaude’, ‘là’], [‘froide’, ‘là’], il y a 16, et seulement 16, événements possibles, aussi légitimes les uns que les autres, qui peuvent survenir dans le cadre de cette mesure, tout autre événement se réduisant logiquement à l'un de ces 16 là :

– {ni chaude ni froide ni ici ni là},– {chaude et ici}, {froide et ici}, {chaude et là}, {froide et là},

{chaude}, {froide}, {ici}, {là}, {chaude ou exclusif ici}, non {chaude ou exclusif ici}, {chaude ou ici}, {froide ou là}, {chaude ou là}, {froide ou ici},

– {chaude ou froide} ou {ici ou là}.

Le tableau Entités/Événements (Fig. 2) récapitule la façon dont ces 16 événements sont associés aux 4 entités de base dont la réunion constitue l'univers qui fait l'objet de la mesure. Les chiffre ‘1’ qui figurent dans les colonnes de ce tableau indiquent que les entités telle que [‘chaude’, ‘ici’] sont vérifiées – c'est-à-dire qu'ils ont leur existence attestée, confirmée – par l'événement qui se trouve sur la même ligne ; et ‘0’ si ces entités ne sont pas vérifiées par l'événement correspondant.

La façon certainement la plus parlante à l'esprit pour décrire le processus de mesure et voir précisément à quoi correspondent les 16 événements en question, est d'adopter la représentation graphique d'Euler-Venn (Fig. 3) : l'état de l'univers précédant l'interaction entre l'appareil de mesure et l'entité à mesurer est modélisé sous la forme d'une surface vierge de toute inscription ; la mesure (interaction) selon certaines propriétés est traduite par une partition de cet univers en un certain nombre de domaines distincts élémentaires.

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Chapitre I - La mesure d'une propriété 35

ÉNTITÉS/ÉVÉNEMENTSEntités: [chaude, ici]

A B

[froide, ici] A ¬ B

[chaude, là] ¬ A B

[froide, là] ¬ A ¬ B

n° Événements1 Ø 0 0 0 0

2 A ∩ B 1 0 0 03 A ∩ ¬ B 0 1 0 04 ¬ A ∩ B 0 0 1 05 ¬ A ∩ ¬ B 0 0 0 16 A 1 1 0 07 B 1 0 1 08 A ⊗ B 0 1 1 09 ¬ ( A ⊗ B) 1 0 0 110 ¬ A 0 0 1 111 ¬ B 0 1 0 112 A ∪ B 1 1 1 013 ¬ A ∪ ¬ B 0 1 1 114 A ∪ ¬ B 1 1 0 115 ¬ A ∪ B 1 0 1 116 E 1 1 1 1

‘chaude’ = A ‘froide’ = ¬A (¬A est le contraire de A) ‘ici’ = B ‘là’ = ¬B (¬B est le contraire de B)

∩ pour ‘et’ : 1 ∩ 1 = 1 1 ∩ 0 = 0 0 ∩ 1 = 0 0 ∩ 0 = 0∪ pour ‘ou’: 1 ∪ 1 = 1 1 ∪ 0 = 1 0 ∪ 1 = 1 0 ∪ 0 = 0⊗ pour ‘ou exclusif’ : 1 ⊗ 1 = 0 1 ⊗ 0 = 1 0 ⊗ 1 = 1 0 ⊗ 0 = 0∅ pour ‘toujours faux’ E pour ‘toujours vrai’

- Figure 2 -

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36 Une critique du modèle matérialiste

Suivant cette représentation, les 16 événements précédemment énoncés correspondent alors aux 16 associations possibles12 des 4 domaines élémentaires d1, d2, d3, d4 qui résultent de la partition de l'univers suivant les propriétés de nature (chaude, froide) et de position (ici, là). Les 4 domaines d1, d2, d3, d4 de ce diagramme sont les images des 4 entités ou domaines d'univers précédemment énumérées :

d1 ⇒ [‘chaude’, ‘ici’] d2 ⇒ [‘froide’, ‘ici’]d3 ⇒ [‘chaude’, ‘là’] d4 ⇒ [‘froide’, ‘là’]

12 Ils s'agit de toutes les associations 1 à 1, 2 à 2, 3 à 3 et 4 à 4 des 4 domaines élémentaires d1, d2, d3, d4 telles que : d1, d2,…d2 ∪ d3, …d1 ∪ d3 ∪ d4,…d1 ∪ d2 ∪ d3 ∪ d4. Soit 2m = 16 événements ou prédicats, où m = 22 = 4 représente le nombre des domaines correspondants aux deux propriétés de ‘nature’ et de ‘position’.

Figure 3

UNIVERS

Représentation d'Euler-Venn de la mesure d'une température

d2

chaud ici

làposition

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Chapitre I - La mesure d'une propriété 37

De considérer, comme allant de soi, que seuls les événements n° 2 {chaude et ici}, n° 3 {froide et ici}, n°4 {chaude et là}, n° 5 {froide et là} – et plus particulièrement les domaines {chaude et ici}, {froide et ici} –, sont susceptibles d'être à l'origine d'actions s'appliquant à la ‘particule P’, est une vision réductrice qui n'est pas logiquement fondée. C'est la façon utilitaire que nous avons d'appréhender le monde qui nous conduit à attribuer une vertu particulière à une collection d'événements spécifiques attachés à des domaines donnés de l'univers. Mais cette façon d'agir qui, nous le conjecturons tire son origine de l'existence même de la vie, ne nous donne aucunement le droit d'affirmer que toute interaction doit nécessairement s'établir sur un mode identique de sélection ; en l'occurrence, la prise en compte dans le processus de mesure que des seuls événements {chaude et ici} et {froide et ici}. C'est bien l'ensemble Ev des 16 événements du tableau Entités/Événements qui devront être pris en considération afin de pouvoir déterminer, sans parti pris, quelles sont les positions que peut occuper la ‘particule P’ en réponse à l'existence présumée des entités ‘chaude’ ou ‘froide’ situées ‘ici’ ou ‘là’.

Si on se rapporte au tableau Entités/Événements (Fig. 2), il est manifeste que les quatre domaines d'univers :

[‘chaude’, ‘ici’], [‘froide’, ‘ici’], [‘chaude’, ‘là’] et [‘froide’, ‘là’](les domaines d1, d2, d3 et d4 du diagramme d'Euler-Venn), partagent également le même nombre d'événements et ceci quelque soit la façon dont on regroupe deux à deux ces quatre domaines. C'est ainsi que le domaine [‘chaude’, ‘ici’] partage les quatre événements n° 7, 12, 15 et 16 avec le domaine [‘froide’, ‘ici’], et que ce même premier domaine partage aussi quatre événements, n° 6, 12, 14, 16, avec le domaine [‘chaude’, ‘là’] : ces quatre domaines sont donc strictement indiscernables. Ce résultat est généralisable à un nombre quelconque de propriétés : pour une mesure s'effectuant suivant trois propriétés, il y aurait ainsi 23 = 8 domaines possibles d'univers et 28 = 256 événements13, et deux quelconques de ces domaines parmi les 8

13 voir note 12.

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38 Une critique du modèle matérialiste

partageraient alors toujours le même nombre de ces événements, soit 64 en l'occurrence.

Conclusion très embarrassante s'il en est, car étant indiscernables du point de vue de l'appareil de mesure cela implique que, logiquement, ces quatre domaines d'univers vont, chacun pour leur compte, induire dans celui-ci l'occupation simultanée par la ‘particule P’ de mercure des deux positions nommées ‘haute’ et ‘basse’ ; ces dernières positions partageant en effet le même nombre d'événements qui vérifient chacun des domaines à mesurer. Autrement dit, indépendamment de leur nature (‘chaude’, ‘froide’ ?) et de leur position (‘ici’ ou ‘là’), les entités à mesurer vont se trouver, chacune pour leur compte, classées simultanément dans les deux catégories ‘haute’ et ‘basse’ lesquelles correspondent aux deux positions que peut occuper la ‘particule P’. Dans cette optique, les lois physiques qui régissent le milieu dans lequel se produit l'interaction ne font qu'attribuer des importances variables aux divers événements qui sont déployés sans pour autant sélectionner une collection réduite de ces événements qui conduirait à l'actualisation d'une position particulière ‘haute’ ou ‘basse’ de la particule P.

Que les quatre domaines d'univers en question soient tous indiscernables du point de vue de l'appareil de mesure dont le rôle est de fournir une réponse précise à une question posée à la nature, est un fait qui a été énoncé pour la première fois par le physicien S. Watanabe14 dans le cadre de ses recherches sur la ‘reconnaissance des formes’, avec un théorème connu sous le nom de “Le vilain petit canard”*.

Ce n'est pas parce que les objets que nous observons sont toujours parfaitement individués – le ménisque de mercure d'un

14 S. Watanabe - “Pattern recognition : human and mechanical” - John Willey & Son (1985) ; “Knowing and guessing” - John Willey & Son, New York (1969).* “Le vilain petit canard” est un conte d'Andersen où pour une mère cane un petit cygne et sa propre couvée de canards sont strictement indiscernables les uns des autres : suivant les circonstances, la mère cane fait ou ne fait pas la différence entre ses différents ‘enfants’.

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Chapitre I - La mesure d'une propriété 39

thermomètre est soit en position ‘haute’ soit en position ‘basse’ – que cela signifie pour autant que nous ayons atteint là l'état premier de ces objets. Entre notre perception immédiate et les produits originels d'une interaction pourraient bien s'insérer des processus intermédiaires sous-jacents qui, généralement, nous masqueraient cette origine confuse des choses où tout ne serait encore que potentialités d'être (l'occupation simultanée par la ‘particule P’ des deux positions ‘haute’ et ‘basse’).

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1.2. L'état de superposition

En l'absence d'un opérateur extérieur au thermomètre (l'appareil de mesure) qui choisirait, afin de produire une action déterminée, lesquels événements (parmi les 16 possibles) devraient être sélectionnés, la ‘particule P’ de mercure est donc dans un état paradoxal de ‘confusion’ des deux positions possibles ‘haute’ et ‘basse’ qu'elle occupe ainsi simultanément en réponse à l'existence d'une entité possédant la propriété recherchée d'être ‘chaude’ ou ‘froide’. C'est ce qu'en physique quantique on appellerait un état de superposition (cf. § 1.2.1).

Dire que le produit de toute interaction, au moins pour des entités microscopiques, est nativement dans un état de superposition est une conjecture déjà vérifiée par de nombreuses expériences de laboratoire (état de superposition ‘spin up ~ spin down’ d'ions de béryllium, au laboratoire NIST à Boulder Colorado15 ; expérience d'Young* avec une particule – un électron e– – qui traverse simultanément les deux fentes du dispositif pour produire des franges d’interférences,…). À la différence de la théorie quantique, notre approche ‘évènementielle’ du processus de mesure aurait semble-t-il cette vertu essentielle de s'appliquer à tout type de solution ; c’est ainsi que l'existence même de cet état de superposition que nous avons mis en évidence ne dépendrait ni

15 Dans une expérience faite au laboratoire NIST à Boulder Colorado (mai 1996), on a pu mettre en évidence l'existence simultanée des deux états ‘spin up’ et ‘spin down’ d'un ion de béryllium en deux zones différentes de l'espace (80 nanomètres) - un état de superposition ; cf un article de la revue Scientific American de juin 1997.* Dans l’expérience originale de Young, une source de lumière ponctuelle (constituée de photons, ou grains de lumière) éclaire deux fentes fines parallèles percées dans un écran opaque ; les lumières qui sortent de ces deux fentes sont reçues sur un écran en produisant des franges d’interférences (alternativement des bandes sombres et claires parallèles aux deux fentes).

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de la nature ni de l’état des entités matérielles qui entrent en interaction.

• Un choix qui s'avère nécessaire

Les objets macroscopiques que nous observons, composés d'une grand nombre de particules élémentaires, sont toujours bien individués car produisant chacune des actions non contradictoires. De sorte que l'état de superposition d'une particule élémentaire – brique de base de ces objets macroscopique –, doit bien plus ou moins promptement se réduire à une solution unique ; soit en l’occurrence, l'émergence d'une ‘particule P’ de mercure, bien individuée, occupant une des deux positions ‘haute’ ou ‘basse’. Si pour certaines expériences dites quantiques effectuées avec des particules élémentaires on a cependant observé (cf. note 15 : un ion de béryllium occupe deux zones différentes de l'espace) ce paradoxal état de superposition, cela signifie simplement qu'eu égard la nature du dispositif expérimental (le nombre des interactions mises en jeu, sa complexité) ce processus de réduction ne s'était pas encore produit.

Bien que nous soyons parti d'une expérience dans laquelle c'est un opérateur humain qui avait naturellement pour rôle d'observer les déplacements de la colonne de mercure d'un thermomètre, le lecteur aura compris que cet état de superposition ne se situe pas au niveau cognitif, de la pensée, mais au niveau matériel le plus fondamental ; donc avant même que l'opérateur, en tant que ‘sujet’, puisse ensuite intervenir en qualifiant les solutions qui auront été réduites. Ce n'est pas ainsi l'indécision de l'opérateur, quant aux choix qu'il peut effectuer, qui est responsable de cet état de superposition dans un univers où, comme il est habituel de se l'imaginer, il y aurait vraiment, en son absence, des objets en attente d'être observés ; c'est plutôt l'incapacité fondamentale qu'a cet univers matériel après toute interaction entre ses éléments, de se manifester sous forme d'entités distinctes, individuées.

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1.2.1. L'origine des choixCet état de superposition, très paradoxal, dont l'existence est rappelons-le déjà attestée par plusieurs expériences de laboratoire, est donc semblable à celui que décrit la théorie quantique de la mesure s'appuyant sur le formalisme des fonctions d'ondes. Dans cette théorie, toute entité matérielle est représentée par une fonction d'onde (ou vecteur d'état) notée Ψ qui représente la description ultime d'une matière considérée comme étant essentiellement de nature ondulatoire16 ; c'est-à-dire résultant de la combinaison de divers mouvements périodiques se déployant dans l'espace-temps, substrat fondamental du domaine matériel.e-

Mais cette similitude dont il est question n'est vraie qu'au niveau de la seule existence de cet état de superposition mis ainsi en lumière par la théorie quantique et par notre approche événementielle du processus de mesure. Il y a en effet une différence considérable, très lourde de conséquence pour notre propos comme nous allons maintenant le montrer, dans la façon dont ces deux théories résolvent le problème de la nécessaire réduction de cet état de superposition ; réduction qui, en son absence, laisserait la matière dans un perpétuel état de confusion, d'ambiguïté, dans lequel aucune action ne pourrait se produire et donc, par voie de conséquence, aucune vie se manifester.

• La réduction de l'état de superposition

Nombreux sont les physiciens qui, devant l'existence de cet étrange état de superposition manifestement contraire à tout ce que nous 16 Dans la théorie quantique de la mesure, le produit de l'interaction entre deux entités matérielles décrites par des fonctions d'ondes notées symboliquement ψ est un état représenté par une fonction d'onde unique ψr qui est constituée par la superposition d'un ensemble de solutions ψ1, ψ2... toutes potentiellement possibles mais à des niveaux différents de probabilité. La mesure proprement dite résulte alors de la réduction à un seul terme de l'ensemble de ces différentes solutions. Les probabilités qui sont attachées à chacune des solutions potentielles sont fonctions des lois physiques qui régissent les interactions dans le domaine d'univers considéré ; elles sont égales au carré de l'amplitude des fonctions d'ondes ψ1, ψ2...qui les représentent.

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pouvons observer ordinairement dans la nature, ont alors supposé et supposent encore que l'origine de cette situation paradoxale viendrait de ce que la théorie quantique n'est sans doute pas complète ; en ce sens qu'il doit certainement manquer un terme essentiel à cette théorie qui conduit faussement à prédire qu'après une interaction entre deux quelconques entités, le système reste indéfiniment dans un état de superposition où les choses sont et ne sont pas dans le même instant.

Il a été de la sorte proposé que cet état de superposition pourrait se résoudre spontanément à condition d'adjoindre au modèle théorique initial un élément qui aurait justement pour rôle de réduire, à une seule solution, l'ensemble des solutions résultants de la composition des différentes fonctions d'ondes Ψ en présence (l'équivalent des positions ‘haute’ et ‘basse’ de notre expérience thermométrique). C'est ainsi que pour le physicien Roger Penrose17, ce terme complémentaire pourrait résulter d'une forte ‘courbure’ locale de l'espace-temps – cette ‘courbure’ qui selon Einstein est à la source de l'attraction gravitationnelle entre les corps – laquelle ‘courbure’, par un effet de non-linéarité sur la fonction d'onde Ψ, réduirait ainsi le dit état de superposition à un état ordinaire ou ne subsisterait qu'une solution unique ; pour un autre physicien, D. Bohm18, c'est plutôt un facteur physique nouveau nommé potentiel quantique qui de par sa seule présence, permettrait alors la réduction à une solution unique parmi l'ensemble des solutions potentielles.

Par rapport aux hypothèses avancées par les physiciens, la théorie ‘logique’ de la mesure que nous proposons permet, au contraire, d'affirmer qu'aucun processus physique, quelle qu'en soit sa nature (le mécanisme de réduction basé sur une ‘courbure’ locale de l'espace-temps pour R. Penrose ou le ‘potentiel quantique’ de D. Bohm, …), n'a en fait la capacité de réduire ce

17 R. Penrose - “The Emperor's, new mind” - Oxford University Press (1990).18 B. d'Espagnat - “Le réel voilé, analyse des concepts quantiques” - Fayard, Le temps des Sciences (1994); F.J. Belinfante - “A survey of hidden variables theories” - Pergamon Press (1973).

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paradoxal état de superposition ; c'est-à-dire, faire des choix parmi les solutions matérielles susceptibles de se produire (en l'occurrence, les positions ‘haute’ et ‘basse’ de la ‘particules P’ de mercure de l'expérience thermométrique) ; démontrons cela :

Si ce processus de choix qu'invoquent les physiciens était en effet réductible à un élément quelconque de l'univers qui constitue l'environnement de l'appareil de mesure, ce processus réducteur R devrait pouvoir être défini à l'aide d'au moins une propriété Pr

(associée à son contraire non–Pr), par exemple la ‘courbure’ locale de l'espace-temps pour reprendre l'hypothèse formulée par R. Penrose. Aux entités ‘chaude’ ou ‘froide’ (située ‘ici’ ou ‘là’) de l'expérience thermométrique devraient donc être maintenant associée une entité réductrice quant à elle spécifiée par la propriété d'avoir une ‘courbure forte’, la propriété Pr. D'où cette fois l'émergence de 8 domaines d'univers – au lieu des 4 précédemment nommés –, décrits par 256 événements (cf. note 3) ; ces domaines d'univers sont les suivants:

[‘chaude’, ‘ici’, Pr], [‘froide’, ‘ici’, Pr], [‘chaude’, ‘là’, Pr], [‘froide’, ‘là’, Pr],

[‘chaude’, ‘ici’, non-Pr], [‘froide’, ‘ici’, non-Pr],[‘chaude’, ‘là’, non-Pr], [‘froide’, ‘là’, non-Pr].

Mais les domaines d'univers [‘chaude’, ‘ici’] et [‘froide’, ‘ici’], au moins ceux-là, qui devaient, grâce au mécanisme réducteur R (propriété Pr), donner naissance à des actions spécifiques, seraient cependant toujours aussi indiscernables l'un de l'autre (les domaines, [‘chaude’, ‘ici’, Pr] et [‘froide’, ‘ici’, Pr]), en vertu du fait qu'ils partageraient maintenant 64 événements (au lieu 4 événements dans le cas des deux seules propriétés de position et de nature). Pour reprendre l'hypothèse de R. Penrose, une entité réductrice R à ‘courbure forte’ ne ferait donc qu'augmenter la complexité du système sans pour autant réduire l'éventail des solutions possibles en état de superposition. À ce titre, contrairement à l'objectif que s'est fixé R. Penrose, il ne pourrait pas y avoir de « réduction objective (RO) »19 de l'état de 19 R. Penrose - “Les deux infinis et l'esprit humain” - Flammarion (1999).

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superposition, et ceci quelle que soit la nature des solutions matérielles proposées ; la mécanique quantique ne serait donc pas nécessairement une théorie incomplète.

Plus généralement, aucun mécanisme physique n'aurait donc la capacité de faire cesser cet état de superposition si contraire à notre entendement immédiat. Et pourtant, toutes ces entités bien individuées qui constituent l'univers que nous observons ne peuvent pas être le fruit de ces actions contradictoires auquel conduirait tout état de superposition.

En relation avec cette problématique de la réduction obligée, car de fait, de cet état de superposition, il nous faut mentionner cette récente expérimentation menée dans un laboratoire de l'École Normale Supérieure de Paris20 qui semblerait contredire notre dernière assertion. L'expérience consiste à envoyer dans une petite cavité métallique, un atome (par exemple de potassium) qu'on sait mettre dans un état de superposition, puis de continuer ensuite à envoyer un nombre de plus en plus important de ces atomes ; en partant d'un état cohérent – un état de superposition – correspondant à un atome unique, on constate alors que le système tend rapidement vers un état ‘classique’ dans lequel, à terme, la majorité des atomes sont donc dans un état bien défini. Et le physicien W. Zureck21 de conclure relativement à cette expérience, que la résolution (ou réduction) de cet état de superposition serait donc due à l'existence déstabilisante de l'environnement qui viendrait augmenter la complexité du système (théorie de la ‘décohérence’). Ce passage automatique à une solution ‘classique’ pour tous les systèmes ayant acquis une complexité suffisante, semblerait donc résoudre ce problème de la réduction de l'état de superposition ; en mettant ainsi fin par la même aux incessantes controverses sur l'état de vie ou de mort du célèbre “chat de Schrödinger”22 (selon le formalisme quantique un pauvre chat est dans un état de superposition – donc 20 “Bringing Schrödinger's cat to life” - revue Scientific American de juin 1997.21 W. Zureck - “Decoherence and the transition from quantum to classical” - Physics Today, vol. 44, n° 10, 36-44, october 1991 ; “Bringing Schrödinger's to life” - Scientific American, juin 1997.

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à la fois mort et vivant–, tant qu'un opérateur ne vient pas observer le résultat de l'expérimentation).

Suivant l'expérience réalisée dans ce laboratoire, il est incontestable qu'un système initialement dans un état de superposition va, suivant l'accroissement dans le temps de sa complexité (augmentation du nombre des éléments qui constituent le système), se retrouver rapidement dans un état ‘classique’ où toutes les choses sont alors bien individuées – le chat est vivant ou mort, la particule de mercure est en position ‘haute’ ou ‘basse’. Mais il ne faut pas pour autant en déduire hâtivement comme le fait W. Zureck qu'on aurait découvert là le mécanisme physique de réduction de l'état de superposition. Ce résultat, assurément très convaincant pour tous ceux qui sont persuadés que le modèle matérialiste du monde est complet, montre seulement en effet que l'état de complexité dans lequel se trouve un système matériel est une condition nécessaire – tout au moins lorsque aucun processus organisationnel mis en place par un ‘sujet’ est en jeu – pour que s'opère la réduction d'un état de superposition. Cette expérience ne dit par contre rien sur la nature des mécanismes qui effectuent ladite réduction, c'est-à-dire le choix des solutions matérielles en état de superposition.

Cette réduction de l'état de superposition par le biais de la complexité environnementale comme le propose ainsi Z. Zureck, est une solution qui ne serait donc pas plus recevable que celles qu'ont par exemple développées les physiciens R. Penrose (une

22 Un chat est placé dans un coffret en acier contenant les éléments suivants : un compteur de particules (un compteur Geiger, par exemple), une source radioactive de très faible intensité, une capsule en verre contenant du cyanure de potassium ; si une particule émise par la source est détectée par le compteur, celui-ci déclenche alors aussitôt la mise en mouvement d'un petit marteau qui vient briser la capsule en verre contenant le cyanure, mortel pour le chat. Selon l'interprétation que fait H. Schrödinger du formalisme quantique, tant que la mesure n'est pas complète, c'est-à-dire tant qu'un opérateur n'ouvre pas le coffret pour observer dans quel état se trouve le chat, celui-ci est à la fois mort et vivant ; il est dans un état de superposition.

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‘courbure’ locale de l'espace-temps)23 et D. Bohm (‘potentiel quantique’)24. Nous avons en effet montré (cf. § 1.2) qu'aucun élément matériel, en l'occurrence un système complexe constitué d'un très grand nombre de particules, ne peut réduire un état de superposition : en s'associant au système à réduire, l'élément supposé posséder cette propriété, la collection des particules, ne fait qu'augmenter la complexité du dit système.

En conclusion de cette première analyse où tout ‘sujet’ actif est exclu – l'observateur n'est rien d'autre qu'un système physique –, la nécessaire réduction à un seul terme de l'état de superposition originaire qui résulte de l'interaction entre des domaines d'univers, impliquerait déjà à ce niveau impersonnel où rien n'est encore qualifié par un sujet, l'intervention d'un opérateur décisionnel de nature non-physique effectuant cette réduction. Dans la suite du texte, nous nommerons Opérateur Σ0

cet opérateur. Par non-physique, nous entendons tout ce qui n’est pas de l’ordre du discontinu où les grandeurs des choses s’expriment par un nombre fini ou dénombrable de valeurs qui représentent la totalité de leurs propriétés potentielles ; l’existence, mesurable, de toute entité physique impliquant au moins une bipartition de l’être.

23 voir note17.24 voir note 18.

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1.2.2. La nature des choixChoisir, c'est faire une sélection parmi un certain nombre d'événements ; c'est donner la préférence à une chose particulière au détriment d'une autre. Doit-on ainsi maintenant s'interroger sur la nature de ces choix que nous avons dit être nécessairement de nature non-physique ; choix qui doivent permettre l'émergence de structures matérielles, individuées, bien distinctes dans leur trajectoire respective, et dont les occurrences successives, induites par les multiples interactions qui se développent sans cesse dans l'univers, doivent nécessairement présenter une certaine stabilité dans leur forme. Ce que peut témoigner n'importe quel opérateur observant que le ménisque de mercure d'un thermomètre est, par exemple, toujours bien en position ‘haute’, alors qu'essentiellement dynamiques les particules élémentaires qui le composent font sans cesse dans le temps l'objet d'interactions renouvelées ; cette stabilité de la position du ménisque attestant par là même l'existence d'une entité continuellement ‘chaude’ dans l'environnement proche du thermomètre. On peut songer aussi à la permanence observée, mesurée, d'une entité réputée ‘chaude’ comme le Soleil dans une région donnée de l'univers.

Suffit-il alors que ces choix qui réduisent successivement dans le temps les différents états de superpositions se fassent au hasard ou faut-il au contraire que ceux-ci soient déjà orientés, c'est-à-dire cohérents dans l'espace et le temps ? C'est la théorie quantique qui va nous fournir ici la réponse25. Dans cette théorie, on montre en effet qu'à chacun des termes, tous potentiellement possibles – en état de superposition – qui résultent de l'interaction entre deux entités matérielles, est attachée une probabilité d'occurrence qui est fonction des lois physiques qui régissent cette interaction dans le domaine d'univers considéré. Ce qui signifie que des choix successifs, seulement aléatoires, portant sur les différentes solutions en état de superposition pourront provoquer dans le temps l'émergence préférentielle des solutions auxquelles sont attachées les plus fortes probabilités. Il suffirait donc que les choix issus de l’Opérateur Σ0 soient aléatoires, pour 25 voir note 16.

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qu'émergent de l'indistinct toute structure matérielle individuée, stable dans l'espace et le temps. Relativement à notre expérience thermométrique, ce sont les choix aléatoires successifs de l’Opérateur Σ0 s'appliquant sur un grand nombre de particules élémentaires en état de superposition qui conduiraient le ménisque de mercure à, par exemple, occuper la seule position ‘haute’ ; soit corrélativement la présence d'une entité ‘chaude’ dans l'environnement immédiat du thermomètre. Pour pouvoir rendre compte d’expériences bien confirmées dans lesquelles des états de superposition ont une durée de vie suffisamment importante pour pouvoir être aisément observés (comme nous l’avons précédemment noté : état de superposition ‘spin up ~ spin down’ d'ions de béryllium, au laboratoire NIST à Boulder Colorado ; expérience d’Young avec une particule qui traverse simultanément les deux fentes du dispositif pour produire des franges d’interférences,…), il faudrait donc supposer que ‘l’intensité’ des choix aléatoires projetés par l’Opérateur Σ0 soit une fonction croissante de la complexité des systèmes dans lesquels se développent ces états de superposition.. Un système peu complexe tel qu’un faisceau de lumière (constitué de photons) traversant les deux fentes d’un dispositif d’Young* pour produire des franges d’interférences sur un écran ne ferait ainsi l’objet que d’un nombre réduit de ces choix aléatoires.

• Un joueur aveugle

On pourrait assimiler cet Opérateur Σ0 à un joueur aveugle qui lancerait une à une au hasard (d'une façon aléatoire) des fléchettes en direction des différents domaines d'univers (d1, d2, d3 et d4) de la représentation graphique d'Euler-Venn (Figure 3) supposée modéliser l'univers dans lequel se développe l'interaction. En

* Dans l’expérience originale de Young, une source de lumière ponctuelle (constituée de photons, ou grains de lumière) éclaire deux fentes fines parallèles percées dans un écran opaque ; les lumières qui sortent de ces deux fentes sont reçues sur un écran en produisant des franges d’interférences (alternativement des bandes sombres et claires parallèles aux deux fentes).

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supposant que les surfaces de ces domaines soient proportionnelles aux probabilités d'occurrence attachées aux solutions potentielles – probabilités régies par les lois physiques –, c'est bien le domaine qui a la plus grande étendue qui serait le plus souvent sélectionné. Pour fixer les idées, imaginons ainsi un instant que ce joueur lance successivement, au hasard, une série de mille fléchettes en direction de cet ‘univers’ ainsi partionné, et que les lois physiques en vigueur – les règles du jeu – font que la surface du domaine d1 ([‘chaude’, ‘ici’]) soit beaucoup plus importante que les surfaces des trois autres domaines. Dans ces conditions, on voit que même si les mille fléchettes sont lancées au hasard, le fait que le domaine d1 occupe presque toute la surface de ‘l'univers’ va entraîner que ces tirs successifs vont préférentiellement toucher le domaine d1. À l'issue de ces mille tirs, il y aurait par exemple 998 désignations du domaine d1 pour seulement 2 désignations des autres domaines ; d'où la prééminence statistique du domaine d1 ([‘chaude’, ‘ici’]) et par là même l'existence permanente en position ‘haute’ du ménisque de mercure du thermomètre.

Sans même encore parler du rôle actif que peut jouer un ‘sujet’ dans l'acquisition d'une connaissance – en nommant, en qualifiant un état qui se prolonge dans le temps – et de ce qu'implique l'émergence et l'évolution de tout être vivant dans un univers où il y aurait au mieux que de l'ordre (un système ordonné, nécessairement stéréotypé dans son expression comme peut l'être un diamant ou un ‘tourbillon de Bénard’26, n'est pas un système organisé autrement dit vivant), nous sommes ainsi amené à préciser notre conjecture initiale :

Que notre univers soit peuplé d'entités matérielles individuées – ayant seulement la propriété d'être, c'est-à-dire non encore qualifiées par un ‘sujet’ –, impliquerait l'existence d'un 26 Tourbillon ordonné qui naît dans un fluide initialement homogène contenu dans un récipient chauffé à la base : il s'agit là d'un système ordonné ‘loin de l'équilibre thermodynamique’ selon I. Prigogine. I. Prigogine et Stengers - “La nouvelle alliance” - folio Essais, Gallimard (1986) ; I. Prigogine - “Introduction à la thermodynamique des phénomènes irréversibles” - Dunod, Paris (1967).

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Opérateur non-physique Σ0 dont le rôle serait de réduire, au moins aléatoirement, les solutions matérielles en état de superposition que cet univers produit. En l'absence de cet Opérateur Σ0, l'univers ne serait que dans un perpétuel état de confusion, d'ambiguïté, où, dans un même instant, les choses seraient et ne seraient pas vis-à-vis de leurs propriétés et de leur localisation dans l'espace et le temps.

1.2.3. “Casper, le gentil fantôme”…A ce point de l'analyse, nous devons maintenant nous poser la question de savoir si notre hypothèse de l'existence d'un Opérateur Σ0 de nature non-physique dont la propriété essentielle serait de réduire à un seul terme l'état de superposition dans lequel se trouve nécessairement tout domaine matériel ayant fait l'objet d'une interaction, n'est pas en contradiction avec ce que nous savons des propriétés physiques de l'univers matériel. Autrement dit, ce processus de réduction de nature non-physique serait-il compatible avec les lois connues de la physique ?

Nombreux sont les chercheurs qui actuellement rejettent toute idée de ‘dualisme’ où coexistent, en interagissant, des principes essentiellement irréductibles comme le sont la dimension matérielle et cet Opérateur Σ0. C'est ainsi que le philosophe D. Dennett27

condamne sans appel tout modèle ‘dualiste’ en affirmant que l'esprit qui, dans un tel modèle, est par définition de nature non physique à l'instar de l’Opérateur Σ0, n'a donc aucune énergie propre et ne peut de ce fait agir sur un quelconque élément matériel. Pour ce philosophe « toute chose qui peut mouvoir une chose physique est elle-même une chose physique », et pour illustrer son point de vue il nous conte alors une histoire de ‘Casper, le gentil fantôme’ qui bien que capable de passer à travers les murs – étant en effet de nature immatérielle – est néanmoins capable d'attraper une serviette qui tombe d'un fil à linge sur lequel elle était accrochée.

27 voir note 11.

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Mais les arguments avancés par ce philosophe ne nous semblent pas pertinents. En effet, lors du processus de réduction de l'état de superposition des positions ‘haute’ et ‘basse’ d'une particule de mercure de notre expérience thermométrique, il n'y a pas réellement création d'un état ‘haute’ ou ‘basse’ ; création qui impliquerait effectivement l'apport d'une énergie nouvelle qui ne pourrait alors qu'être issue de l’Opérateur Σ0, auquel cas ce philosophe aurait raison. Dans cette opération de réduction de l'état de superposition il ne se produit en réalité qu'un simple aménagement ou ajustement des énergies déjà existantes correspondant aux entités qui sont déjà ainsi présentes en état de superposition. Et le processus par lequel l’Opérateur Σ0, ou ‘l'esprit’ selon Dennett, réduit l'état de superposition en faisant émerger une solution unique dans le domaine matériel (les positions ‘haute’ ou ‘basse’, dans notre exemple), ne viole donc en aucune façon cette loi physique fondamentale qu'est le ‘principe de la conservation de l'énergie’. Dit d'une façon plus stricte : dans une transition quantique, la réduction de la ‘fonction d'onde’ Ψ résultant d'une interaction entre particules élémentaires, il y a globalement conservation de ‘l'impulsion-énergie’28 ; le processus de choix attaché à l’Opérateur Σ0

n'introduit donc aucune énergie supplémentaire dans la dimension matérielle. Eu égard aux lois physiques existantes, le modèle ‘dualiste’ que nous proposons serait donc licite .

Avec cet Opérateur Σ0 de nature non-physique qui aurait le pouvoir exclusif de faire des choix, au moins aléatoires, nous avons ainsi mis en place l'élément fondateur de notre thèse. Même si la présence de structures matérielles vivantes dans notre univers implique, comme nous le montrerons dans le Chapitre III, que certains éléments ordonnés de celui-ci fassent l'objet de choix thématiques qui ne peuvent se rapporter à aucun processus physique déterministe, ce n'est pas pour autant que ce dit caractère

28 O.C. de Beauregard - “Le second principe de la science du temps” - Edition du seuil, Paris (1963).

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thématique devrait en effet entraîner sans réserve la nature non-physique d’un opérateur décisionnel capable de faire de tels choix.

Fort de cette conjecture minimale concernant la nature aléatoire des choix projetés dans la dimension matérielle par l’Opérateur Σ0, nous allons dans le Chapitre III poursuivre notre enquête en montrant ce qu'implique, en matière de choix, l'existence des systèmes organisés, autrement dit vivants, dont les plus évolués possèdent l'extraordinaire capacité de pouvoir penser et de le dire.

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CHAPITRE II

Michel Lefeuvre

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Chapitre II - Atteindre un originaire 55

« Il n'y a rien de si inconcevable que de dire que la matière se connaît soi-même ; il ne nous est pas possible de connaître comment elle se connaîtrait. » Pascal 29.

Sur quoi pointe la pensée de Michel Troublé dans le Chapitre I ? Sur un piège de la pensée qui sert de vrai faux fondement au matérialisme. Dans la mesure où il déjoue et démonte ce piège, il fait œuvre de dé-constructeur, comme on dit aujourd'hui. Mais en quoi consiste ce piège ? Il consiste à croire insidieusement, sans esprit critique, que la matière telle que nous la percevons, c'est-à-dire dotée de telles ou telles propriétés singularisantes, et parfaitement localisée dans l'espace, ici et non pas là, ainsi que dans le temps, est, par elle-même, indicative de ces caractéristiques. Or en fait, comme l'écrit Pascal, la matière ne dit rien d'elle-même ; elle serait nativement dans un état de superposition, de confusion, comme le démontre Michel Troublé à partir d'arguments logiques.

On pourrait prolonger la pensée de Pascal citée en exergue en la complétant par ce que Kant pense de la Nature. Celle-ci s'identifie pour lui à l'ensemble des phénomènes observables qui ne peuvent avoir de réalité que dans l'espace et le temps. Mais la Nature ne saurait contenir en elle-même à l'état brut, un principe d'identité déclarant au sujet d'une entité matérielle qu'elle est par exemple ‘chaude’, et non pas ‘froide’, et inversement. Par rapport à la nature, ces entités seraient véritablement en état de superposition en attente qu'un ‘sujet’ vienne les spécifier. La Nature nous paraît revêtir dans les choses matérielles – ses manifestations spatio-temporelles –, tel ou tel aspect précis, univoque et pas confus, que parce qu'elle est sous-tendue par un 29 Pascal - “Pensée”, 72 - éd. Brunschvig.

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Principe transcendantal, évidemment non-matériel. Sans ce dernier, elle serait en état d'incomplétude. Descendre aux racines de ce ‘transcendantalisme’ a paru essentiel à notre travail. En conclusion, nous aurions à dire que ce transcendantalisme, loin d'être une Idée figée, est présent, opératoire discriminant aussi bien dans la matière la plus élémentaire que dans l'intelligence moléculaire de la reconnaissance des sites ou l'agencement des circuits de neurones du cerveau.

Michel Troublé n'est pas seulement un dé-constructeur. Derrière le phénomène – les choses telles qu'elles apparaissent – ce qu'il recherche c'est l'Être. Et ce que sa pensée découvre, c'est l'Être en tant qu'Opérateur non-physique, extérieur et transcendant à la matière.

Dans ‘l'étant’ des choses, il y a manifestation de l'Être. Comment s'opère le passage de l'un à l'autre ? S'agit-il d'une action strictement et uniquement causale, comme l'entendait Einstein lorsqu'il affirmait que « Dieu ne joue pas aux dés ». N'est-ce pas rester sur le plan de la phénoménalité en répondant de cette façon ? Répondre comme le fait Michel Troublé que les choix de l'Opérateur non-physique sont aléatoires au moins en ce qui concerne l'actuation de la matière inanimée, n'est-ce pas mieux respecter son caractère transcendant, non-physique, laissant supposer l'existence d'un facteur X, inaccessible à la science, se déployant dans l'espace-temps mais en le survolant en tant que domaines d'Esprit, celui-ci donnant aux entités matérielles, gouvernées par des lois physiques, d'être ce qu'elles sont à nos yeux.

L'image d'un joueur projetant au hasard ses fléchettes sur une cible représentant l'univers, est celle d'un physicien qui, attentif aux lois immuables qui ordonnent l'univers, souligne que par rapport à l'acte décisionnel qui fait que les choses sont posées dans l'existence telles que nous les percevons, individuées et localisées dans l'espace et dans le temps, ces lois n'ont rien de contraignant. En ce sens « Dieu joue bien aux dés ».

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Chapitre II - Atteindre un originaire 57

2.1 Atteindre un originaire en mettant le ‘sujet entre parenthèses’

– Michel Lefeuvre : Je viens de résumer succinctement à ma manière ce qui m'a paru l'essence de tes propos, relatifs à la première partie de ton travail. J'ai parfois buté sur des difficultés que tes lecteurs pourront également connaître. C'est pourquoi je voudrais t'interroger maintenant pour obtenir certaines précisions, certains éclaircissements.

Ta thèse, il faut bien l'avouer, est tout à fait inactuelle, puisque tu te proposes d'établir l'existence d'un Opérateur de nature non-physique en l'absence duquel l'univers ne serait que dans un éternel état de confusion, vide de tout être vivant. Tu sais que tu vas à l'encontre d'un très grand nombre de tes pairs. Pour ceux-ci, malgré des différences parfois assez notables entre eux, il n'existe qu'un monde, celui de la matière, entièrement clos sur lui-même. Tout ce qui paraît s'en échapper, comme les états mentaux ou les impressions subjectives, n'en est qu'un épiphénomène pour certains ou mieux encore, pour d'autres, une pseudo-réalité qu'il est facile d'identifier à des processus neurophysiologiques prenant telle ou telle configuration psychique ou mentale particulière ; sans parler des êtres vivants, supports de ces pensées, qui ne seraient pour ceux-là que le fruit de rencontres aléatoires entre des éléments soumis aux lois de la physique, en somme de simples agrégats de matière. D'ailleurs, prétendre comme le fait K. Popper qu'il existe d'autres mondes que le monde I de la matière ou encore comme J. Eccles qu'il s'établit des interactions, dans les deux sens, entre le Monde I de la matière et le Monde III de l'esprit30, est contrevenir au principe fondamental de la physique, à savoir celui qu'exprime la loi de la ‘conservation de l'énergie’. Conclusion je dois dire que tu contestes fermement (“Casper, le gentil fantôme”, § 1.2.3 - Chapitre I) ; tu nous expliques en effet qu'une possible interaction entre ‘esprit’ et ‘matière’ serait licite attendu que dans le processus de réduction de l'éventail des solutions

30 K. Popper - J. Eccles - “The self and its brain”, p. 36 - Springer International (1977).C. Popper - “La quête inachevée” - Calmann-Lévy (1978).

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matérielles potentielles que produirait cette interaction, il y aurait toujours globalement conservation de l'impulsion - énergie ; en conséquence de quoi le sacro-saint principe de ‘conservation de l'énergie’ ne serait donc violé en aucune façon.

Il faut avouer qu'avec Popper et Eccles, tu n'es pas en mauvaise compagnie, mais vous êtes très minoritaires. C'est d'ailleurs par d'autres voies qu'eux que tu arrives à des conclusions à peu près semblables. Ta façon d'aborder le problème de l'esprit est tout à fait originale, car au lieu de faire porter ta réflexion, comme il est usuel de le faire en la matière, sur les propriétés de la pensée et des structures matérielles vivantes qui la portent, toi, tu commences par t'interroger sur les conditions d'existence de toute matérialité observable ; cette matérialité, avant que la pensée intervienne pour désigner, organiser, cette matérialité émergente. Tu pars donc de très bas, d'une pratique courante quotidienne, celle qui consiste à mesurer une température, un poids, etc…en te servant d'arguments logiques pour montrer ce que de tels processus de mesures impliquent au niveau de l'existence de ces entités matérielles qui sont mesurées. Et tu démontres ainsi que l'univers physique, en tant que collection d'entités individuées qui interagissent les unes avec les autres, n'existe que dans la mesure où un Opérateur, un Facteur décisionnel, de nature nécessairement non-physique, ne vient réduire, ne serait-ce qu'aléatoirement, l'éventail de toutes les solutions potentielles autrement en état de superposition.

Nous reviendrons plus loin sur la notion de mesure, mais ce qui retient de prime abord mon attention, c'est le terme de ‘logique’ appliqué à la notion de mesure. Le raisonnement logique m'intéresse en effet au plus haut point car si je ne pense pas que la logique explique entièrement ce qui se passe dans le cerveau – ce surplus qui échappe à la formalisation et à la calculabilité – il n'en reste pas moins exact que ces règles sont à la base de tout jugement vrai.

Logique, on pense immédiatement à logique formelle et mathématique. Cette logique dans laquelle une inférence – un raisonnement qui amène à une conclusion – est dite formellement

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Chapitre II - Atteindre un originaire 59

valide si elle le demeure quand on fait varier arbitrairement certains éléments de la phrase qui exprime l'inférence (indifférente au contenu sémantique)*. Quel rapport ta pensée entretient-elle avec cette discipline ? Il y a des tableaux logiques dans ton exposé ; le terme même de tableau logique renvoie immédiatement à Wittgenstein et au “Tractatus”31 pour lequel tu m'as plusieurs fois fait connaître ton admiration. Personnellement, je pense que ton accord avec le “Tractatus” n'est pas total, mais dans le paragraphe [2.201] de ce livre, tu dois certainement reconnaître un peu le fond de ta pensée, dans cette affirmation de Wittgenstein : « Le tableau représente la réalité, parce qu'il représente une possibilité de l'existence et de la non-existence des états de choses ». Les tableaux logiques tels que tu les présentes aux lecteurs, sont des combinatoires logiques d'entités qui possèdent des propriétés contradictoires telles que ‘chaude’ et ‘froide’ pour reprendre ton exemple de la mesure d'une température ; et c'est de la lecture de ce tableau que tu tires la conclusion que l'entité qu'est censée mesurer le thermomètre est fondamentalement en état d'indétermination, de superposition, pour reprendre un terme de la mécanique quantique. Comme l'écrit Wittgenstein, « le tableau représente la réalité » dans l'espace logique sous la forme de deux possibilités existantes : celle de l'existence des états de choses et une autre, celle de la non-existence des états de choses.

Je ne suis pourtant pas sûr que tu adhères totalement aux énoncés du “Tractatus” ni même à celui que je viens de citer, le paragraphe [2.201]. Ta conception de l'espace logique me paraît tout à fait particulière ; il me semble qu'il s'agit plutôt d'un espace de partition – je te demanderai de t'expliquer sur ce terme – qu'un espace fondé sur la formalisation de la pensée. Tu sais que chez les mathématiciens, on distingue entre l'école ‘formaliste’ selon laquelle les mathématiques ne seraient qu'une sorte de langage purifié, un système purement formel de déductions logiques et d'autre part, une école que l'on pourrait appeler ‘platonicienne’

* Définition de “l'Encyclopaedia Universalis” (1998).31 Wittgenstein - “Tractatus logico-philosophicus” Gallimard (1961).

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pour qui les mathématiciens sont comme des explorateurs d'un monde invisible constitué d'entités aussi réelles, à leurs yeux, que les entités physiques mais d'un autre ordre. Tandis qu'un jeu est constitué de règles purement conventionnelles, les mathématiques, par contre, loin d'être des constructions hypothético-déductives élaborées par l'homme, découvrent un monde déjà là, fait de réalités extérieures aussi contraignantes pour l'esprit que la structure de la matière l'est pour un chimiste ou un physicien. Or il me semble bien que ta position, mutatis mutandis, est beaucoup plus proche de la seconde position, celle des platoniciens, que de la première, celle des formalistes. Au fond, tes tableaux logiques sont plus des tableaux qui renvoient à un partage de l'univers selon des domaines qui correspondent à des entités physiques, telles que ‘chaudes’ ou ‘froides’, que des tableaux qui viseraient à la formalisation de la pensée. Seulement, pour toi, ces domaines d'univers qui résultent de l'interaction entre des entités physiques dans un monde en perpétuel changement, ne se présentent pas sous un aspect unique – un domaine ‘chaud’ ou bien un domaine ‘froid’ –, comme on aurait tendance à le penser ; ces domaines sont primitivement dans un état de confusion, simultanément existants, que seul un Opérateur de nature non-physique peut réduire à une seule occurrence manifestée. Cette question n'est pas purement technique ; elle me semble d'une importance capitale pour la suite. Nous touchons là aux assises de la réalité. J'aimerais que tu explicites ta pensée sur ce point. Mais avant, je voudrais faire une remarque de la plus haute importance car, à mon avis, d'elle dépend le sentiment intime de confiance que ton lecteur pourra éprouver vis à vis de la validité de ton argumentation. Elle concerne les ‘crochets’ ou les ‘guillemets’ que tu mets autour des propriétés de la matière, les qualias, telles que chaud/froid, lourd/léger. Ces crochets ont pour toi la vertu de faire passer à l'état d'entités vagues, innombrables, des domaines d'être qui, pour nos organes sensoriels, sont parfaitement déterminés, univoques. Beaucoup de nos lecteurs pourront se demander s'il ne s'agit pas que d'un artifice, un simple jeu d'écriture, un tour de

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Chapitre II - Atteindre un originaire 61

prestidigitation, sans portée réelle, ontologique.Pour dissiper le malaise, il me semble nécessaire de

s'interroger sur ce qu'est une perception. Percevoir une qualité sensible, c'est être affecté par un état de conscience, c'est ressentir en soi-même un certain état de la matière comme étant chaud, froid, lourd, léger, coloré, lumineux, etc. Toute perception est une sensation ; c'est son aspect subjectif. Mais percevoir est bien d'avantage ; la perception n'est pas quelque chose d'inétendu qui existerait dans la conscience du percevant ; elle est grâce à un acte intentionnel, projectif, de contraction – par la conscience – de la matière mouvante, multi-corpusculaire et ondulatoire, à l'aide de mécanismes neurobiologiques, la connaissance d'entités matérielles sous forme de choses, une pierre par exemple ou encore une verrière. C'est le côté objectif de la perception qui dans le concret de l'exercice perceptif ne fait qu'un avec son corollaire, le côté subjectif.

Dans ce contexte, quelle est la signification des ‘crochets’ ? Sa signification première est le démantèlement de l'aspect subjectif de la connaissance, puisque pour toi, comme tu la dis, il s'agit d'une connaissance ‘hors sujet’. Mais pour toucher à l'aspect subjectif de la connaissance perceptive – qui, remarquons le aussi à cette occasion, est toujours déictique, c'est-à-dire d'opérer toujours d'un certain point de vue, d'ici ou de là-bas –, est en même temps toucher à son aspect objectif, déterminé, univoque, en raison de l'organisation interne de la perception. On retombe alors sur un résidu d'existence, à la fois originaire et vague que ton argumentation logique fait apparaître comme étant un état de superposition.

– Michel Troublé : J'ai écrit que l'analyse du processus de mesure qui m'a conduit à conjecturer l'existence d'un Opérateur Σ0 de nature non-physique, était établie sur la base d'arguments logiques. À quelle logique fais-je référence, voilà ta question.

Dire qu'il s'agit d'arguments logiques est sans doute impropre, eu égard la signification qu'on donne habituellement au mot

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logique. Ces arguments logiques ne sont pas en effet ceux de la logique formelle ‘classique’ (logique bivalente: c'est oui ou non) ou ‘non-classique’ (tiers non exclu : c'est oui ou non, mais aussi peut-être), qui encapsule, en les codifiant strictement, des normes de la ‘vérité’ afin qu'il soit ensuite possible de raisonner juste en développant une suite cohérente d'idées. En parlant d'arguments logiques, j'ai voulu mettre l'accent sur le caractère fondamental, irréductible, des éléments de l'univers sur lesquels se fonde cette analyse. La démonstration proposée n'est pas ainsi basée sur une codification particulière des règles de la pensée, elle ne fait que s'appuyer sur la reconnaissance obligée des partitions de l'univers lesquelles font suite à toute interaction entre ses éléments ; cette partition en domaines qui discrétise l'univers autrement continu, uniforme, comme peut l'être une feuille de papier vierge ne portant encore aucun signe, donne naissance à un nombre fini d'événements observables – sous-tendant des actions particulières – qui laissent cet univers dans un état total de confusion, de superposition. Cette démonstration ne prend ainsi aucunement en compte les différentes modalités préférentielles d'agencement des domaines d'univers à l'instar de ce que font les logiques formelles ; elle ne fait que prendre acte de l'existence de ces domaines d'univers. À ce titre, on peut dire que l'argumentation utilisée se situe, en quelque sorte, ‘en dessous’ de la logique, ‘avant’ celle-ci, à la racine même de toutes les autres logiques, aux confins de l'Être. Ce qui pourrait donner un poids tout à fait particulier, fondamental, à la conjecture développée à l'exemple de cette autre conjecture familière qu'est l'énoncé du principe de conservation de l'impulsion-énergie.

S'il est vrai que j'utilise les notations de la logique booléenne dans le tableau Entités/Événements qui développe les relations existant entre les états du système et les événements qui y sont associés, ce n'est que pour rendre plus synthétique, comme il est usuel de le faire en la matière, l'écriture des différents éléments de ce tableau ; c'est ainsi que les 16 événements qui figurent dans ce tableau auraient pu être simplement représentés sous la forme de toutes

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les associations possibles des domaines élémentaires d1, d2, d3 et d4, telles que {d1 avec d2 avec d3} ou {d1 avec d3 avec d4}, qui résultent de la partition de l'univers autrement continu en ce qui concerne les propriétés de température et de position des entités dont il est question.

– Michel Lefeuvre. : Ta réponse me satisfait assez bien, car à te lire attentivement, il apparaît clairement que ce que ta pensée vise en priorité, c'est un ‘il y a’ originaire. Les tableaux logiques, à la manière de Boole, dont tu fais usage, n'ont d'autres utilités que de faire apparaître l'état de confusion dans lequel se trouve cet ‘il y a’ originaire, contrairement à ce que pense le sens commun pour lequel les choses possèdent d'emblée des attributs, des propriétés claires, distinctes, parfaitement déterminées, que la connaissance n'aurait plus qu'à recevoir passivement. Dans ta réflexion, la logique sert de point d'appui à l'onto-logie.Cela me fait penser à Heidegger qui par-delà les ‘étants’, les individualités singulières, recherchait, lui aussi, l'Être, le ‘il y a’ originaire. Husserl avait également entrepris cet effort et c'est plutôt vers lui que je vais me tourner pour t'interroger à nouveau. Sa méthode, pour parvenir à son but, était de « mettre le monde entre parenthèses », pratiquer une ‘époché’, comme on le dit en langage philosophique : en mettant provisoirement le monde hors circuit, la conscience peut être atteinte plus facilement dans sa pureté, ses démarches et sa fonction fondatrice ; c'est ce qui conduisit Husserl, au moins dans ses premières œuvres, jusqu'à la mise en évidence d'un Ego transcendantal. Mais toi, à ta manière, ne pratiques-tu pas aussi une ‘époché’, même si c'est une époché en sens inverse ? Toujours dans le but d'atteindre un ‘originaire’.

– M.T. : Comme je l'ai annoncé au début de ce livre, j'ai pris le parti d'orienter ma recherche d'une éventuelle dimension d'esprit qui serait source de vie, vers la nature des mécanismes physiques qui permettent à un système matériel de prendre ‘connaissance’ (d'aller avec), en tant que source d'actions, des propriétés des éléments qui constituent l'univers avec lesquels il entre en

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interaction. Pour reprendre l'exemple donné dans le texte, ce sont des mécanismes physiques qui causent l'éclatement d'un rocher soudainement percuté par une pierre venue de l'espace (une petite météorite…), et dont les éclats viennent frapper un observateur situé non loin de là ; ces mécanismes ont un pouvoir causal, ils créent un événement particulier (rocher éclaté). Or c'est cet événement particulier, une action qui change l'état de la pierre, qui doit être considéré comme une « co-naissance », au sens de Claudel : un effet – l'événement – naît, il apparaît, en faisant naître avec lui la ‘connaissance’ (co-naissance), à savoir qu'il y a quelque chose possédant une ‘masse’ (ce que spécifiera ultérieurement l'observateur blessé) qui a interagi avec le rocher.

On peut dire ainsi que quelque chose existe pour un système matériel – qui en prend ainsi ‘connaissance’–, qu'à travers l'action que cette chose provoque sur lui. Pour aller à la source de la connaissance que va acquérir un ‘sujet’, notre interrogation, il m'a semblé inutile, au moins dans un premier temps, de faire intervenir ce ‘sujet’ qui ne fera, au moins, que prendre consciemment acte de l'existence de cette action, de cet événement. Même si le ‘sujet’ est certainement essentiel pour spécifier sans ambiguïté l'action qui est concernée, il n'empêche que le processus d'émergence de l'action et des contraintes qui y sont attachées peuvent être d'abord seulement analysées en termes d'interactions. D'où la démarche que je propose de mettre d'abord le « sujet entre parenthèses » contrairement à ce que fait la phénoménologie avec Husserl qui pense que les arguments de l'esprit conscient peuvent être atteints plus facilement dans leur fonction fondatrice en mettant plutôt « le monde entre parenthèses » ; même s'il est peut être vrai que la conscience est au fondement de tout discours, ce n'est pas pour autant qu'on puisse directement accéder à ses propriétés en ignorant le reste du monde. Ce qui est directement accessible par le truchement de l'analyse, ce ne sont pas les propriétés de la conscience, de l'esprit, comme le propose à tort la phénoménologie, c'est plutôt le déploiement des actions possibles eu égard aux contraintes du moment que cette conscience, en tant que vision domaniale,

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englobante, aura alors la charge de spécifier en les réduisant. Et c'est seulement à partir du déploiement de ces actions, qui résultent d'interactions entre les éléments de l'univers, qu'il serait alors possible de justifier pleinement l'existence de ‘l'esprit’ et de ses propriétés fondatrices.

De parler d'abord du ‘monde’ puis ensuite du ‘sujet’ revient à dire que je fais l'hypothèse que notre existence consciente, individuée, celle qui est la source des discours de connaissance que nous faisons sur le monde, doit nécessairement s'appuyer sur un existant préalable, un substrat ; c’est l'action, fruit d'interactions hors ‘sujet’, qui révèle cet existant. D'où la nécessité de mettre d'abord le ‘sujet’ entre parenthèses, qui serait ainsi second par rapport au monde dans le développement de ses manifestations. Je pratique donc bien une ‘époché inverse’ comme tu nommes la chose car, me semble-t-il, c'est la seule façon d'atteindre véritablement un ‘il y a’ originaire à partir duquel il est alors possible de trouver les arguments qui légitiment l'existence d'un Opérateur non-physique qui permet l'émergence de l'organisé, de la vie, dans un univers autrement en perpétuel état de confusion, d'ambiguïté.

– M.L. : Au terme de son évolution intellectuelle, Husserl a été obligé d'admettre que son programme de « mise entre parenthèses » radicale du monde s'avérait impossible. Merleau-Ponty a repris cette idée en faisant même la base de sa réflexion : en naissant, nous sommes jetés au monde et nos liens avec ce dernier sont ontologiquement indestructibles. La « mise entre parenthèses de l'esprit connaissant », comme tu le proposes, se heurte en fait aux mêmes difficultés. Nous avons nous-mêmes souvent évoqué cette difficulté au cours de nos entretiens, et toi-même tu as parlé de ‘distanciation de l'esprit’ plutôt qu'une véritable ‘mise entre parenthèses’. Voudrais-tu t'expliquer sur ce concept en soulignant au besoin toutes les conséquences qu'il implique ?

– M.T. : Comme tu le sais, le cerveau n'a pas pour fonction selon Bergson de nous faire connaître la nature des choses mais de

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nous y adapter. Percevoir, c’est découper dans la réalité l'image qui nous permet d'agir sur elle ; comme si, par exemple, conduisant, je découvre, à l'horizon de la route, le virage qui va me permettre ne pas en sortir au risque de me tuer. Bref, le cerveau manipule la réalité en vue de l'action ; c'est cette manipulation que je veux, au moins dans un premier temps, mettre « entre parenthèses ». Que reste-t-il alors ? Il reste la forme générale de toute expérience, à savoir pour toutes, de se produire dans la simultanéité de l'espace et la succession du temps. Ceux-ci – l'espace et le temps – sont embrassés globalement, en quelque sorte survolés, par le regard en ce qui concerne l'espace, par le vécu intérieur là sans doute, comme le pensait encore Kant, de l'activité sensible de l'esprit, à laquelle nous ne pouvons échapper. Toutefois nous pouvons en faire abstraction pour ne considérer que les interactions qui s'y déroulent entre les éléments matériels. C'est ce plan basique de la réalité que je veux mettre en évidence.

– M.L. : Suivant le conseil de Descartes, avançons pas à pas en revenant sur les étapes antérieures de notre réflexion pour être sûr par cette remémoration de ne manquer aucun enchaînement. Marquons aussi le point précis où tu es arrivé dans ta recherche d'un ‘originaire’. Ta réflexion sur les mécanismes physiques t'a fait découvrir un monde d'entités matérielles, diverses et multiples, entrant en interaction les unes avec les autres. Il en résulte comme conséquence des événements nouveaux : ce sont des états nouveaux mais fruits d'interactions. Tu donnes comme exemple le bris d'un rocher, l'élévation du mercure dans le tube capillaire d'un thermomètre. En tout cela, tu es dans le droit fil de la mécanique newtonienne. Continuons : ces entités dont nous venons de parler sont réparties dans l'espace en plus ou moins grands nombres ; cette répartition inégale selon les lieux et les heures dessine en quelque sorte la structure changeante, en perpétuel mouvement de l'univers physique. Pour te faire une idée de ce qui se passe dans l'univers à un moment déterminé de ces forces en interaction, tu as

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recours à un diagramme, le diagramme d'Euler-Venn. Je renvoie le lecteur au paragraphe 1.1.4 de ton texte (Chapitre I). Je voudrais

cependant mettre ici le lecteur en garde contre une fausse interprétation de ce diagramme. Il ne s'agit pas d'un simple dessin sur papier qui, comme tout dessin, n'aurait qu'une fonction représentative, somme toute un dégradé passif de la réalité. Il s'agit au contraire d'un ‘diagramme/monde’, un analogon actif du monde concernant le puits d'être d'où tirent leur origine les différents entités/événements survenant dans le monde, sans qu'au moins en première instance, la conscience ou l'esprit d’un sujet y soit pour quelque chose. Tu prends toujours à titre d'exemple, parce qu'il s'agit d'un exemple simple, le cas du thermomètre. Si le mercure s'élève dans le tube de verre, c'est parce qu'il est en contact avec un certain domaine d'être, un puits d'être selon l'expression que je viens d'employer ; c'est l'interaction de la colonne de mercure avec ce domaine d'être inconnu tel qu'il est distribué aux alentours qui provoque l'élongation de la dite colonne. Et le diagramme de Venn est alors plus qu'un simple dessin, c'est une sorte d'organon, il est le champ des possibles sous la tutelle des lois de la nature qui contrôlent leur répartition domaniale sans pour autant désigner une solution particulière, celle qui sera finalement observée. C'est à partir de là que tu vas alors pouvoir démontrer que l'état originaire de la matière, c'est-à-dire l'état brut, après la ‘mise entre parenthèses du sujet’, ou plutôt de sa mise à distance, est en état de superposition.

2.2 Le problème de la mesure

– M. L. : Quand on lit les écrits de R. Penrose, et en particulier son dernier livre “Les deux infinis et l'esprit humain”32, on est frappé par la similitude des questions qui existent entre toi et lui, en ce qui concerne l'état de confusion dans lequel se trouve la matière sous

32 R. Penrose - “Les deux infinis et l'esprit humain” - Flammarion (1999).

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certains aspects. Pour Penrose, il y a dans la mécanique quantique des mystères dont il faut bien s'accommoder ; il les appelle les mystères Z. C'est par exemple le problème de la ‘non-localité quantique’ : il y a une autre façon de le désigner qui, me semble-t-il, te plairait assez bien en raison des résonances particulières que ce terme entretient avec le fond de ta pensée. Au lieu de ‘non-localité quantique’, certains physiciens parlent ‘d'enchevêtrement quantique’. Penrose écrit « l'enchevêtrement quantique est très étrange. Il se place quelque part entre une situation où les objets sont séparés et une autre où les objets sont en communication l'un avec l'autre »33. Toutefois, selon Penrose, le plus fondamental se trouve ailleurs, dans ce qu'il nomme les mystères X – X pour paradoXaux. « Le mystère X essentiel concerne le problème de la mesure », un terme qui fait penser à ta propre problématique. Penrose ajoute « c'est plus précisément le fait que les règles changent en passant de U – l'univers quantique – à C – l'univers classique »34. Tandis que Penrose pense que la décohérence relève de la physique, S. Hawking affirme que la conscience n'y est pas soluble. Il écrit « Penrose n'a pas dit clairement comment la ‘réduction objective’(RO) pourrait rendre compte de la conscience »35. R. Omnès est encore plus affirmatif « Il se pourrait bien que le mystère X soit encore plus profond qu'il [Penrose] ne le suppose et qu'il soit une vraie clé philosophique »36. Peux-tu encore préciser ton point de vue sur ces questions ?

– M.T. : En mettant le ‘sujet entre parenthèses’, en attente, c'est-à-dire en ne m'intéressant dans un premier temps qu'au seul fruit de l'interaction entre la chose à mesurer (l'entité ‘chaude’ ou ‘froide’) et l'appareil de mesure (le ménisque de mercure du thermomètre), j'ai montré que le système {entité ~ appareil de mesure} était, après cette interaction, dans un état de superposition de ses éléments. C'est-à-dire que le système en question était dans un état où, en attente qu'un principe extérieur au système vienne 33 voir note 32, p.82.34 voir note 32, p. 79.35 voir note 32, p. 191.36 voir note 32, p. 216.

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réduire l'éventail des différentes possibilités, les particules élémentaires constituant la colonne de mercure de l'appareil de mesure étaient paradoxalement à la fois en position ‘haute’ et ‘basse’ ; aucune action effective ne pouvait donc en résulter. J'ai emprunté l'expression état de superposition à la terminologie de la physique quantique qui a été en effet la première théorie physique, à ma connaissance, à mettre en évidence l'état de confusion du produit de toute interaction entre particules élémentaires. C'est une situation très singulière que cet état de superposition, car rien n'est généralement observé comme tel dans la nature ; lorsque nous regardons un thermomètre – c'est le ‘sujet’ qui décrit l'événement – le ménisque de mercure est toujours dans une position bien définie, haute ou basse, comme n'importe qui peut l'attester. Pour la majorité des physiciens actuels il doit donc nécessairement exister des facteurs matériels qui, sans qu'aucun observateur n'intervienne, viennent spontanément réduire à un seul terme les différentes solutions matérielles potentielles simultanément présentes ; le ménisque de mercure du thermomètre sera par exemple ainsi en position ‘haute’, soit, corrélativement, la présence d'une entité ‘chaude’ bien définie dans l'environnement immédiat de celui-ci.

Si ce que disent ces physiciens était vrai, l'existence de toutes choses, de l'inerte au vivant, pourrait se ramener, à terme, à la seule compréhension des différents modes d'action des lois physiques en tant que règles d'un extraordinaire jeu de construction ; et notre aventure se serait alors arrêtée là, car tout aurait été dit.

Même s'il est vrai qu'il y a une très grande similitude, sinon une parfaite identité, entre l'état de superposition qu'à mis en lumière la théorie quantique et celui dont j’ai révélé l’existence grâce à une analyse que, faute d'un terme plus adéquat, j'ai qualifiée de logique, ce n'est pas pour autant que j'adhère aux conclusions de ces physiciens en ce qui concerne la nature des mécanismes de réduction de cet état paradoxal où tout ce qui peut être est manifesté confusément dans le même instant. L'idée directrice qui conduit ces physiciens dans leurs hypothèses est que la théorie quantique n'est certainement pas complète ; en ce sens

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qu'il doit certainement manquer des éléments à cette théorie qui, en leur absence, ne peut alors que faire de fausses prédictions, dont cet étrange état de superposition. C'est ainsi que le physicien Roger Penrose, professeur à Oxford, très connu pour ses recherches mathématiques avec Stephan Hawking dans le domaine de la cosmologie, propose que ce terme réducteur (de l'état de superposition) pourrait résulter d'une forte ‘courbure’ de l'espace-temps – cette ‘courbure’ qui, selon Einstein, est à l'origine de l'attraction gravitationnelle ; pour un autre très grand physicien comme l'était David Bohm, expert en physique quantique, c'était plutôt un facteur physique nouveau nommé ‘potentiel quantique’ qui, de par sa seule présence, permettrait la réduction à un seul terme des différentes solutions possibles alors en état de superposition. Par rapport aux hypothèses proposées par ces deux physiciens que j'ai cité à titre d'exemple, l'analyse du processus de mesure que j'ai développée, établie sur la base d'arguments logiques, permet au contraire d'affirmer qu'aucun processus physique, quelle qu'en soit sa nature (‘courbure’ de l'espace-temps selon R. Penrose, ‘potentiel quantique’ selon D. Bohm, …), ne peut réduire ce paradoxal état de superposition. J'ai en effet montré que l'ajout d'un terme matériel supplémentaire réputé réducteur (‘courbure’, ‘potentiel quantique’,…) ne peut logiquement qu'augmenter la complexité du système sans pour autant réduire l'état de superposition initial. À ce titre, le processus de réduction de l'état de superposition par le biais de la complexité environnementale qui augmente le nombre des éléments mis en jeu, tel que le proposent les chercheurs du laboratoire de l'École Normale Supérieure de Paris (cf. § 1.2.1) ainsi que le physicien Z. Zureck n'est donc pas plus recevable. Tout au plus peut-on dire qu'une complexité croissante conduit, de fait, à la réduction de l'état de superposition mais sans pour autant avoir le droit d'affirmer que l'on connaît dès lors le mécanisme physique de cette dite réduction ; le point est d'importance me semble-t-il.

Il y aurait ainsi selon moi aucune solution matérielle imaginable pour résoudre cet état de superposition où aucune

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chose ne pouvant s'actualiser sous forme individuée, rien de ce que nous observons n'aurait sa place, nous-mêmes y compris. Propos qui nous ramène ainsi directement à la thèse que je soutiens où, pour résoudre cet état de superposition, je conjecture l'existence d'un Opérateur Σ0, non-physique, dont le rôle serait justement de réduire, c'est-à-dire de choisir, les différentes solutions matérielles que cet univers produit lors des différentes interactions dont il est le siège. Et il suffirait que l’Opérateur Σ0 fasse seulement des choix aléatoires pour qu'émergent de l'indistinct toutes ces entités individuées qu'ensuite ‘nous’ – en tant que ‘sujets’ – désignerons, étiquetterons, pour notre bon plaisir.

– M.L. : En exergue de cet entretien, j'ai cité une phrase de Pascal : « Il n'y a rien de si inconcevable que de dire que la matière se connaît elle-même... ». Une réflexion de Leibniz, dans ses “Remarques sur le dictionnaire de Bayle”, va également dans le sens de ta thèse selon laquelle la matière dans son état prime, originaire, basique, – ‘la matière première’ des scolastiques, comme pure potentialité, par opposition à la ‘matière seconde’, celle que nous percevons ordinairement – est, à cause de son indétermination radicale, dans l'impossibilité d'en sortir par elle-même en opérant un choix qui serait la source d'une action. Pour parler comme Leibniz, elle n'aurait pas en elle « la raison suffisante » pour s'extraire de cet état de superposition. Je cite Leibniz : « La matière est un être incomplet, elle manque de la source des actions. ». Autrement dit, elle ne trouve pas en elle la « raison suffisante » pour être cette chose singulière, mesurable, parfaitement déterminée, telle qu'elle apparaît ordinairement à chacun d'entre nous.

Quand on dit communément que tous les motifs de la nature, aussi bien les rayures et les taches sur le pelage des animaux que la forme en double hélice de l'ADN ont pour caractéristique de se produire spontanément, on se situe à un autre niveau de compréhension. Celui-ci concerne les formes. Mais au-dessous des formes et de leurs mécanismes d'apparition, physiques ou

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géométriques et fractales – je pense dans ce dernier cas à R. Thom37 et à ce qu'il écrit au sujet du désenroulement et au ré-enroulement des deux brins de la molécule d'ADN ou encore à ce qu'il dit de la formation des tissus et des organes au cours de l'embryogenèse – il y a lieu de considérer un autre plan de la réalité. Je pense par exemple à un thème tout à fait général de la nature comme celui de la loi universelle de la ‘conservation de l'énergie’. Or à ce niveau basique de l'être, où la matière irait-elle trouver « la raison suffisante » de faire ce choix qui constitue le fond même de la nature ?

Je voudrais maintenant t'interroger sur le mot ‘aléatoire’ que tu viens d'employer au sujet de l'action du démiurge que ta démonstration exige pour que les choses – non dotées de vie – soient telles que nous les observons ; il suffirait, dis-tu, que son action se résume dans des choix purement aléatoires pour qu'il en soit ainsi.

Je reprends l'essentiel de ta pensée telle qu'elle se manifeste dans ce premier chapitre. Conformément à l'épistémologie bachelardienne, tu ne penses pas, en accord avec ce que dit la physique quantique, que les propriétés physiques existent dans les choses en attente d'être mesurées. Une telle croyance dénature la réalité ; à la base de tout il y a des interactions physiques entre des domaines qualitatifs d'être, ‘le chaud’, ‘le froid’, ‘le ici’, ‘le là’ dont les proportions dans l'univers sont, statistiquement parlant, rigoureusement définies par les lois physiques que nous connaissons. À ce point de vue, tu n'es pas du tout sartrien puisque pour Sartre, la matière est de « l'en-soi compact », enfermée sur elle-même, dans sa pure ‘positivité’, et ouverte à aucun système de relations : la racine de marronnier dans le jardin de Bouville 38. Sartre ne s'est jamais intéressé au côté scientifique des choses ; toi, en tant que physicien, tu es plongé dans le domaine des lois.

37 R. Thom - “Structural stability and morphogenesis” - The Benjamin/Cummings Publishing (1975).38 JP. Sartre - “La nausée”

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Il y a donc dans ta pensée, accord avec l'épistémologie bachelardienne. Toutefois, ton investigation va beaucoup plus loin. Tu aimes à dire que ta réflexion est « basique » en ce sens que tu te tiens à l'écoute de l'origine. Et là, ta pensée est comme du vitriol. Nietzsche se définissait comme un « philosophe au marteau ». Par là, il entendait qu'il fallait casser la croûte superficielle des apparences pour découvrir l'essentiel ? Toi, tu décapes ce que nous pourrions penser de la matière telle qu'elle se présente à nos regards d'observateurs, pour en parler dans ce qu'elle est nativement, ‘hors sujet’, à l'état brut. Or elle apparaît originairement, non comme on le croit naïvement, bien spécifiée dans l'espace et dans le temps, bien déterminée dans ses propriétés ou attributs. Au contraire, elle est fondamentalement dans un état complet de confusion.

2.3 L'aléatoire ; « Dieu ne joue pas aux dés »

– M.L. : Seul un choix de nature non-physique, peut faire sortir la matière de cet état de confusion. L'existence d'un démiurge s'impose, non seulement métaphoriquement mais réellement. Quel est donc son rôle ? Einstein a été confronté au même problème que toi. Comme toi aussi, pour l'expliciter, il a eu recours à une image, celle du jeu. Tout le monde connaît son célèbre aphorisme : « Dieu ne joue pas aux dés », entendant dire par là que Dieu gouverne l'univers matériel par des lois rigoureuses qui ne se prêtent pas à de l'approximatif. Toi, tu présentes ton Dieu comme un joueur de fléchettes qui s'amuse à tirer au hasard sur une cible de dimension infinie ; et là on peut dire qu'il n'a pas tellement à calculer pour atteindre son objectif. N'es-tu donc pas en désaccord avec Einstein ? Mais ce n'est pas seulement avec Einstein que tu sembles en désaccord. Quand H. Reeves parle des constantes de l'univers, il déclare que l'univers aurait été ‘stérile’, qu'il aurait été incapable de « gravir les échelons de la complexité », si elles avaient été un tant soit peu différentes ; et dans la pensée de Penrose comme dans celle de Reeves, il eut suffi que ce tant soit peu soit de l'ordre du

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milliardième de milliardième pour que le monde où nous vivons n'eût existé.

Il y a peut-être une possibilité d'accord avec la pensée de Stephan Hawking. La pensée de ce dernier a évolué. Longtemps, il a cru à la singularité du Big-Bang. Pour que l'univers physique puisse exister, il fallait bien que le démiurge créateur choisisse rigoureusement les constantes de l'univers. Toutefois pour un physicien, ce n'est pas agréable de ne pas comprendre ce qu'il y a derrière le mur de Planck. C'est en guise de boutade que Wolfgang Pauli disait : « Ce que Dieu a séparé, nul homme ne pourra jamais le rassembler ». À partir de 10-33 secondes après le Big-Bang, l'univers est observable ; les lois de la physique sont valables ; si l'on veut remonter au-delà pour essayer de comprendre comment l'univers a débuté, tout s'embrouille ; toutes les théories, y compris la Relativité générale, s'effondrent. Si les limites de la physique ne peuvent être reculées au-delà du mur de Planck, 10-33 secondes, dans l'explication de l'origine du cosmos, il faut bien admettre qu'existe une ‘singularité’ dans le choix par une Intelligence supérieure des constantes de l'univers. Toutefois, si, un jour, les physiciens réussissent à sauter le mur de Planck et que contrairement à la plaisanterie de Pauli, ils parviennent dans une théorie générale à rassembler dans l'unité de leur théorie, les quatre grandes forces qui se partagent aujourd'hui le gouvernement de l'univers physique, alors on aura fait passer dans les lois de la physique ce que l'on attribue jusqu'à présent à un calcul extrêmement savant de la part du Créateur. Dans cette optique, y a-t-il encore un rôle pour ce dernier ? La réponse est apportée par Hawking : « Même s'il n'y a qu'une théorie unifiée possible, ce ne sera qu'un ensemble de règles et d'équations. Qu'est-ce qui insuffle le feu dans ces équations et produit un univers qu'elles pourront décrire ? L'attitude habituelle de la science – construire un modèle mathématique – ne peut pas répondre à ces questions ». Résumons donc en disant qu'il existe bien un rôle pour le démiurge mais assez restreint. Tout cela ne fait-il pas penser à ce rôle aléatoire, limité, que tu lui prêtes, puisque préprogrammé par les lois de la physique ? Dire, comme tu le fais,

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qu'il suffit que cet Opérateur Σ0, non-physique, ce démiurge, fasse seulement des choix aléatoires pour qu'émergent alors de l'indistinct, de la confusion, ces entités matérielles individuées qu'ensuite nous observerons en leur attribuant telle ou telle propriété, ne semble-t-elle pas une tâche très dérisoire eu égard le qualificatif de dimension d'esprit que tu attribues à cet Opérateur. Pourtant une question me vient à l'esprit : ces lois physiques sont-elles vraiment séparables de Dieu ? Ne seraient-elles pas, comme le pense Descartes, l'expression des Idées éternelles de Dieu ? Que penses-tu de tout cela ?

La controverse qui oppose R. Thom à Prigogine, le premier favorable à un déterminisme sous-jacent intégral à l'instar d'Einstein, le second à ce qu'il appelle le chaos déterministe, ne te concerne pas encore semble-t-il parce qu'elle porte sur des objets déjà singularisés, sortis de l'état initial de confusion où se tiendrait originairement la matière sans un apport décisionnel, non-physique, qui l'en fait sortir. Le problème fondamental est ailleurs, car pour toi comme pour tout un chacun, tu reconnais que notre connaissance porte sur des objets parfaitement individués dans l'espace et dans le temps, possédant des attributs qui leur sont propres, contrairement à ce qui devrait être, à s'en tenir aux seules capacités d'être de la matière.

– M.T. : Tu as raison de rappeler que le célèbre aphorisme d'Einstein « Je ne peux pas croire que Dieu joue aux dés avec le monde » s'oppose manifestement à l'idée que les objets singuliers que nous observons seraient le fruit de réductions aléatoires s'appliquant sur des domaines d'univers en état de superposition. Cette conception statistique de la physique – l'aléatoire serait à la source du réel – à laquelle s'opposait donc si farouchement Einstein, est originairement issue de la théorie quantique qui donne une interprétation probabiliste aux fruits de toute interaction. En ce qui me concerne, je n'ai fait que reprendre à mon profit ce que dit la mécanique quantique en matière de réduction aléatoire des solutions matérielles potentielles en état de superposition. Ainsi, il

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suffirait que les réductions – c'est-à-dire des choix –, opérées par l’Opérateur Σ0, soient seulement aléatoires, de l'ordre du hasard, pour qu'émergent de l'indistinct toutes les entités matérielles individuées que nous observons.

Ce caractère statistique des occurrences matérielles observées a été maintes fois vérifié expérimentalement dans le domaine microscopique (interférences entre des faisceaux de particules, comme des photons ou ‘grains de lumière’) ; pour les objets macroscopiques – ceux qui possèdent des dimensions notables –, c'est le très grand nombre des éléments composants ces objets qui masque, sans pour autant l'éliminer, le caractère statistique inévitable des réponses que fait la nature. On peut donc maintenant affirmer avec certitude qu'Einstein avait tort en disant qu'il ne croyait pas que « Dieu joue aux dés avec le monde », supposant ainsi l'existence d'un déterminisme fort – s'opposant à l'aléatoire –, où les événements individuels sont toujours prévisibles car obéissant strictement aux lois physiques.

« Dieu jouerait bien aux dés » ! ‘Dieu’ étant pour moi l’Opérateur Σ0

qui aurait au moins pour rôle de réduire aléatoirement l'éventail des solutions matérielles potentielles en état de superposition. Et contrairement à Einstein pour qui parler de Dieu n'était très probablement qu'une autre façon d'évoquer la Nature matérielle dans toute sa complexité, je soutiens quant à moi que cet Opérateur Σ0, qui ‘joue aux dés’, ne peut être que de nature non-physique ; la matière n'ayant en aucune façon la capacité de faire des choix.

Quant à la pensée de R. Thom, ton autre interrogation, je n'ai pas en effet à prendre parti ; l'aléatoire dont il est question dans mon analyse est un aléatoire irréductible à la dimension matérielle qui ne peut en subir que les effets ; cet aléatoire ‘vrai’, fondamental, qu'exerce l’Opérateur Σ0 est, en association avec les lois physiques, à l’origine de toute entité émergeante. Il ne s'agit donc pas de cet aléatoire, au sujet duquel R. Thom s'insurge avec raison , qui serait source effective d'ordre – ordre venant alors du désordre – comme le propose I. Prigogine (cf. § 1.1.2 - Chapitre I ; § 3.2.1 - Chapitre III) avec ses ‘structures dissipatives loin de

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l'équilibre’ ou von Foester39 avec ses petits bâtonnés aimantés qui s'ordonnent spontanément après les avoir fortement agités. L'aléatoire matériel que nous mesurons, celui qui, suivant ma thèse, résulte des choix aléatoires de l’Opérateur Σ0 – qui « lance des fléchettes au hasard » pour désigner des domaines d'univers en état de superposition – n'est effectivement pas lui-même source d'ordre. Le slogan « ordre par le bruit [désordre, aléatoire] », pour reprendre les termes de R. Thom, n'a effectivement aucun sens : l'ordre en question est en effet toujours issu d'un mécanisme strictement déterministe, où l'aléatoire, le bruit, n'intervient que comme facteur déclenchant d'un processus qui se déroule ensuite sans lui. Alors que l'aléatoire associé à l’Opérateur Σ0 pointe, quant à lui, vers des domaines d'univers particuliers ; à ce titre, cet aléatoire est à l’origine de l’existence toute entité matérielle individuée.

L’Opérateur Σ0 qui réduit au moins aléatoirement les solutions matérielles autrement en état de superposition est l'élément fondateur de ma thèse. De par sa capacité unique à faire des choix, il pourra de ce fait être aussi la source de choix thématiques, catégorisants, fondateurs de tout être vivant ; des choix aléatoires ne pouvant au mieux créer que de l’ordre. Reprenant ton interrogation, je ne pense donc pas que cette tâche de ‘jouer aux dés’, certes modeste eu égard le qualificatif de dimension d'esprit que j'attribue à cet Opérateur Σ0, à ce démiurge, soit aussi dérisoire que tu le dis. La capacité de choisir que possède cet Opérateur est fondamentale, elle serait à l’origine de toute manifestation.

Cet Opérateur Σ0 que j'assimile à un joueur de fléchettes, aveugle, qui enverrait ses traits au hasard sur des domaines d'univers alors en état de superposition, fait certes des choix aléatoires ; mais ces domaines sur lesquels s'appliquent ces choix, aléatoires, ont des extensions qui sont strictement régis par des lois physiques quant à elles parfaitement déterministes. Et finalement,

39 H. von Foerster - “On self-organizing systems and their environments” in Self-organizing systems de Yovitz et Cameron - Pergamon (1960).

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ces processus probabilistes issus de ces réductions aléatoires font néanmoins émerger des objets macroscopiques statistiquement stables dans leur forme et leur localisation dans l'espace.

Cette conception statistique de la physique n'est donc nullement en contradiction, me semble-t-il, avec ce que tu rapportes des propos d'Hubert Reeves quand celui-ci rappelle que l'univers aurait été ‘stérile’, c'est-à-dire incapable de gravir les échelons de la complexité et donc d'aboutir au vivant, si les constantes de l'univers avaient été légèrement différentes ce qu'elles sont actuellement. C'est à mon sens la même problématique que d'évoquer le réglage ajusté de ces constantes cosmologiques ou de parler de lois physiques en tant que mécanismes créateurs d'ordre ; les processus aléatoires en question venant révéler statistiquement un déterminisme sous-jacent qui répond tout à fait à cette interrogation concernant la capacité du monde à produire du complexe.

Je ne pense pas que l'action aléatoire que j'attribue à l’Opérateur Σ0 corresponde, comme tu le suggères, à ce rôle minimal, unique, primordial, que le physicien Stephan Hawking semble attribuer à un ‘démiurge’, lorsqu'il se pose la question de savoir «…qui insuffle du feu dans ces équations [celles qui constituent les éléments d'une théorie unifiée qui rassemblerait les ‘quatre grandes forces’ de la nature – les forces électromagnétiques, gravitationnelle, forte, et faible] et produit un univers qu'elles pourront décrire … ». Pour moi, cette action aléatoire, sans doute pas très ‘intelligente’ pour cet Opérateur Σ0

que nous pourrions assimiler à une dimension d'esprit, serait, dans un premier temps, le prolongement obligé d'une activité antérieure nécessairement thématique : celle qui aurait donné naissance aux lois physiques – de nature thématique – qui sont les règles fondatrices ayant permis l’émergence singulière de tous les objets matériels que nous connaissons.

Cette problématique de l'existence des lois physiques rejoint directement celle de l'existence du vivant que j'analyserai dans la Chapitre III : l'existence des lois physiques, comme celle des êtres

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Chapitre II - Atteindre un originaire 79

vivants, impliquerait en effet la mise en place de catégories qui seraient les fruits de choix thématiques lesquels ne pourraient être logiquement issus que d'un opérateur non-physique que, par raison de simplicité, j'assimilerai à l’Opérateur Σ0. Une loi physique telle que l'attraction gravitationnelle entre deux corps correspondrait ainsi au regroupement primitif d'un nombre infini d'événements dans une même catégorie lesquels, en l’occurrence, se rapporteraient à des ‘rapprochements’ plutôt qu'à des ‘éloignements’ des deux corps en question. Comme tu le rappelles, cette conjecture pourrait bien rejoindre celle de Descartes qui voyait dans les lois physiques « les idées éternelles de Dieu ».

Pour résumer mon point de vue, le rôle de l’Opérateur Σ0

serait primordial, puisque grâce à ses choix aléatoires et thématiques, il serait donc à l'origine de l'existence de toute entité singulière émergeant de l'état de confusion fondamental qu'engendre la dimension matérielle.

– M. L. : Je résume ta pensée : la réalité physique, à l'état brut, pourrait-on dire, est donc pour toi fondamentalement inintelligible. Comment est-on passé de l'inintelligibilité de la matière en tant que réservoir purement potentiel d'entités non révélées dans leur singularité, à l'intelligibilité de formes parfaitement individuées, telle me semble être ta question.

2.4 La réalité physique, à l'état brut, serait fondamentalement inintelligible

– M.L. : Pour sortir de cet état impensable de la matière puisque inintelligible en raison de son caractère contradictoire qui devrait pourtant être, logiquement parlant, celui de la matière, tu es obligé d'admettre l'existence d'une instance supérieure non-physique agissant par des choix aléatoires dans le champ du réel matériel. Ce raisonnement, tu l'avoueras, sonne comme une sorte de provocation choquante à l'oreille de l'esprit d'un grand nombre de nos contemporains et en particulier des physiciens. Alors que les

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astrophysiciens cherchent en effet à se débarrasser de la singularité du Big-Bang parce que, malgré tout, elle laisse planer dans les esprits l'intervention d'un Esprit suprêmement intelligent dans la conception et le réglage des constantes universelles, toi, tu institues une démarche inverse en démontrant que la matière, telle que nous l'observons dans ses diverses manifestations, exige le concours de tous les instants d'un Opérateur extérieur à elle-même.

L'existence de ce démiurge posée, c'est son statut dans l'ordre de la connaissance qu'il convient donc ici de préciser. Napoléon s'entourait de savants avec lesquels il aimait s'entretenir. À Laplace qui lui exposait sa théorie sur l'origine du système solaire, l'empereur fit remarquer : « Que faites-vous de Dieu dans votre hypothèse ? »… « Dans mon hypothèse, Sir, je n'ai pas besoin de Dieu. » répondit le savant. Qu'il est loin alors le temps de Descartes et même celui de Newton ! L'appropriation conceptuelle et mathématique de la réalité matérielle n'a plus besoin de clé de voûte – Dieu, le démiurge …– qui tiendrait ensemble tout l'édifice intellectuel. Par contre pour toi, la notion cartésienne « d'idées éternelles de Dieu » s'appliquant à ce que nous dénommons les lois physiques de l'univers, n'est pas dépourvue de sens. Tu aimes à en parler comme de ‘thèmes primordiaux’ dont la source serait cet Opérateur Σ0. Les lois physiques constitueraient le fond même de l'univers par rapport auxquelles cet Opérateur resterait cependant entièrement libre vis-à-vis de l'émergence de toute solution matérielle particulière ; il ne serait pas contraint par elles. Lorsque ensuite cet Opérateur engagerait sa volition dans l'acte de faire exister le monde matériel tel que nous le percevons, il lui suffirait alors, métaphoriquement parlant, de simplement jouer aux dés tout au moins tant qu'il ne s'agirait que de l'actualisation d'entités matérielles inanimées.

Je visitais récemment une grotte souterraine ; j'étais émerveillé par la dentelle des stalactites et des stalagmites. Malgré les lois qui président aux jeux des concrétions, l'aléatoire me semblait manifeste dans ce travail merveilleux, quasiment artistique pourrait-on dire. Toutefois, remontant à la surface, je

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n'en n'étais pas moins étonné par l'organisation des êtres vivants, végétaux et insectes qui s'y trouvaient. Une re-fondation de l'être me semblait évidente, et je pensais à ce que tu avais exprimé en matière de thèmes générateurs même s'il ne s'agissait là encore que de l'émergence d'entités matérielles inanimées.

À la différence de ce qui s'était passé dans la grotte au cours de ses 100.000 ans d'existence, ce savoir-faire étonnant des cellules végétales et animales pour construire et maintenir en vie en catégorisant sans faille la diversité multiforme des messages du monde, me semblait de toute évidence nécessiter l'existence de thèmes opérateurs sous-jacents opportunistes.

Que tous les éléments individués qui constituent notre univers soient, comme tu l'as rappelé, issus de processus d'actualisations aléatoires est certes surprenant – voir les réticences d'Einstein – mais en fait riche d'enseignement. Cela laisse en effet la porte ouverte à l'existence possible de choix thématiques et non plus seulement aléatoires qui auraient, quant à eux, la vertu de transformer certains de ces éléments déjà ordonnés en structures organisées. Si, comme le pensait Einstein, «Dieu ne joue pas aux dés », nous aurions bien un univers ordonné mais nous en serions resté là ; l'organisation par laquelle est caractérisée la matière vivante et ensuite la pensée n'aurait pas vu le jour.

Ainsi, parmi les choses matérielles qui peuplent la terre, il y en a qui se conduisent curieusement. Elles ne sont pas seulement réglées de l'extérieur par des lois qui font l'objet d'étude de la physique ; elles ont la capacité de s'autoréguler. La biologie prend le relais de la physique. C'est vers ces êtres matériels étranges, vivants, que tu vas nous conduire dans le Chapitre III.

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INDEX

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Index 83

GLOSSAIRE

Acide aminé : petites molécules (acides organiques) constitutifs des protéines.

ADN : acide désoxyribonucléique (acide nucléique), présent dans le noyau de la cellule, support du contrôle des activités cellulaires et de la transmission des caractères génétiques.

Allostérique : se dit généralement d'une enzyme (protéine) dont l'activité est modifiée lorsque sa structure spatiale (tertiaire ou quaternaire) est transformée par une molécule organique (substrat ou ligand) fixée à un site différent du site actif de l'enzyme.

Apprentissage : pour les réseaux de neurones formels, l’apprentissage consiste à calculer les paramètres de telle manière que les sorties du réseau de neurones soient, pour les exemples utilisés lors de l’apprentissage, aussi proches que possible des sorties ‘désirées’ (classe à laquelle appartient la forme que l’on veut classer, valeur de la fonction que l’on veut approcher, sortie souhaitée du processus à commander).

Caméra à positon : système d'observation basé sur la détection des positons (antiparticules des électrons) qui permet de visualiser l'activité (flux métabolique) des différents éléments du cerveau, notamment les neurones.

Cellules de Bénard : tourbillon ordonné qui naît dans un fluide initialement homogène contenu dans un récipient chauffé à la base : il s'agit là d'un système ordonné ‘loin de l'équilibre thermodynamique’ selon I. Prigogine.

Chat de Schrödinger : Un chat est placé dans un coffret en acier contenant les éléments suivants : un compteur de particules (un compteur Geiger, par exemple), une source radioactive de très faible

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intensité, une capsule en verre contenant du cyanure de potassium ; si une particule émise par la source est détectée par le compteur, celui-ci déclenche alors aussitôt la mise en mouvement d'un petit marteau qui vient briser la capsule en verre contenant le cyanure, mortel pour le chat. Selon l'interprétation que fait H. Schrödinger du formalisme quantique, tant que la mesure n'est pas complète, c'est-à-dire tant qu'un opérateur n'ouvre pas le coffret pour observer dans quel état se trouve le chat, celui-ci est à la fois mort et vivant ; il est dans un état de superposition.

Chromosome : particule du noyau cellulaire renfermant l'information génétique ; les chromosomes sont formés de protéines et d'acides nucléiques.

Cybernétique : étude des actions orientées vers un but ; ensemble des théories groupant les études relatives aux communications et à la régulation (systèmes de commandes) dans les machines et les êtres vivants.

Décohérence : la résolution (ou réduction) de l'état de superposition est due à l'existence déstabilisante de l'environnement qui vient augmenter la complexité du système. Il y a spontanément passage de l'état de superposition à une solution ‘classique’ pour tous les systèmes qui ont acquis une complexité suffisante.

Électron : particule élémentaire stable, de faible masse, généralement localisée autour du noyau d'un atome et possédant la plus petite charge d'électricité, négative.

Enzyme : protéine catalysant les réactions chimiques du métabolisme

Escherichia coli : bactérie rencontrée dans l’intestin (colibacille) et le côlon des animaux à sang chaud.

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Index 85

Espace-temps : représentation en quatre dimensions de l'univers, qui unit les trois dimensions spatiales x, y, z et l'unique dimension temporelle t.

État de superposition : existence simultanée de deux états d'une particule élémentaire en deux zones différentes de l'espace.

Flagelle : filament hélicoïdal mobile servant d'organe locomoteur à certains protozoaires comme les bactéries.

Fonction d'onde : distribution à valeurs complexes des coordonnées d'espace laquelle caractérise à chaque instant la probabilité de trouver une particule en des points différents.

Gène : correspond à une partie de la macromolécule ADN.

Généralisation : une fois l’apprentissage terminé, le réseau de neurones doit être capable non seulement de restituer les exemples d'objets appris (phase de reconnaissance), mais aussi d'identifier avec précision des objets non appris : c’est la faculté de généralisation.

Liaison covalente : type de liaison chimique, attractive, particulièrement stable reliant entre eux deux atomes adjacents dans une molécule par la mise en commun d'une ou de plusieurs paires d'électrons ; ce sont des liaisons fortes.

Liaison hydrogène : Une liaison hydrogène, attractive, se forme quand un atome d’hydrogène qui n'a qu'un seul électron cède celui-ci à un atome voisin ; c'est une liaison beaucoup plus faible que la liaison covalente. La liaison hydrogène est responsable de la réunion des molécules d’eau ou de glace, elle intervient également fortement dans beaucoup de matériaux organiques.

Mécanique quantique : théorie où les particules n'ont pas de position ni de vitesse définies avec exactitude, mais où elles se comportent sous de nombreux aspects comme des ondes.

Particules élémentaires : particules qui n'ont pas de structure interne

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Protéine : molécule géante constituée par une chaîne d'acides aminés attachés les uns aux autres

Protéinoïde : protéine non biologique.

Reconnaissance : pour les réseaux de neurones formels, identifier un objet parmi ceux qui ont servi d'exemples pendant la phase d'apprentissage.

Téléonomie : propriété fondamentale qui caractérise tous les êtres vivants. Conception selon laquelle s'exerce, tout au long de l'évolution, une finalité de nature purement mécanique (J. Monod.).

Thermodynamique : domaine de la physique qui étudie les relations entre la chaleur (énergie thermique) et le travail (énergie mécanique).

Transposon : élément génétique mobile, capable de se déplacer d'un endroit d'un chromosome à un autre.

Vilain petit canard : Le vilain petit canard” est un conte d'Andersen où pour une mère cane un petit cygne et sa propre couvée de canards sont strictement indiscernables les uns des autres : suivant les circonstances, la mère cane fait ou ne fait pas la différence entre ses différents ‘enfants’.