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20 AMC pratique n°215 février 2013 DOSSIER © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés CAS CLINIQUE Observation Nous rapportons l’observation de Monsieur Z., âgé de 32 ans, boulanger, se plaignant de dyspnée depuis trois ans, imputée à un asthme allergique et un tabagisme actif, vu en consultation de cardiologie en juin 2012 pour dyspnée d’effort classe 2 de la NYHA et épigastralgies à l’effort. Une radiographie thoracique a permis de découvrir des calci- fications péricardiques (figure 1), motivant l’avis spécialisé. L’examen clinique ne retrouve pas de valvu- lopathie audible significative mais un B3 très net ; l’auscultation pulmonaire est normale ; il n’y a pas d’hépatomégalie très perceptible mais des signes de turgescence veineuse à l’étage sus et sous-diaphragmatique. L’électrocardiogramme s’inscrit en rythme à commande atriale basse (« rythme du sinus coronaire ») avec des troubles diffus de la repolarisation en dérivations précordiales. L’échocardiographie transthoracique note, en 2 dimensions, un ventricule gauche non dilaté, non hypertrophié, avec fraction d’éjection (FEVG) conservée ; et en coupe TM parasternale gauche, un mouvement antérieur protodiastolique rapide du septum interventriculaire (figure 2). Il existe une dila- tation biauriculaire, ainsi qu’une veine cave inférieure très dilatée, non compliante. Il n’y a pas d’épanchement péricardique. Le mode doppler enregistre un flux trans- mitral restrictif (figure 3), le rapport E/E’ est normal (la vélocité de l’onde E’ - en doppler tissulaire - est normale). On note une diminution inspiratoire du flux aortique (figure 4), il n’y a pas de flux d’in- suffisance pulmonaire alignable. Le cathétérisme cardiaque réalisé en juillet 2012 confirme le diagnostic de syndrome restrictif hémodynamique bi-ventriculaire, en faveur de constriction péricardique : les pressions droites et gauches sont carac- téristiques de restriction ventriculaire, avec égalisation des pressions moyennes, pres- sions ventriculaires positives en protodias- tole avec dip plateau mésotélédiastolique, J. Perrin-Faurie, K. Bourdariat, J. Pineau, M. Ferrini, B. Ritz, J.-F. Aupetit Département de pathologie cardiovasculaire, Centre hospitalier St Joseph-St Luc, Lyon. [email protected] Une étiologie d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection ventriculaire gauche préservée : la péricardite constrictive Figure 1. Radiographie pulmonaire de face ou TDM montrant les calcifications péricardiques. Figure 2. Echographie transthoracique : TM du VG avec mouvement paradoxal du septum.

Une étiologie d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection ventriculaire gauche préservée : la péricardite constrictive

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20 AMC pratique � n°215 � février 2013

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© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

CAS CLINIQUE

Observation

Nous rapportons l’observation de Monsieur Z., âgé de 32 ans, boulanger, se plaignant de dyspnée depuis trois ans, imputée à un asthme allergique et un tabagisme actif, vu en consultation de cardiologie en juin 2012 pour dyspnée d’effort classe 2 de la NYHA et épigastralgies à l’effort. Une radiographie thoracique a permis de découvrir des calci-fications péricardiques (figure 1), motivant l’avis spécialisé.L’examen clinique ne retrouve pas de valvu-lopathie audible significative mais un B3 très net ; l’auscultation pulmonaire est normale ; il n’y a pas d’hépatomégalie très perceptible mais des signes de turgescence veineuse à l’étage sus et sous-diaphragmatique. L’électrocardiogramme s’inscrit en rythme à commande atriale basse (« rythme du sinus coronaire ») avec des troubles diffus de la repolarisation en dérivations précordiales.

L’échocardiographie transthoracique note, en 2 dimensions, un ventricule gauche non dilaté, non hypertrophié, avec fraction d’éjection (FEVG) conservée ; et en coupe TM parasternale gauche, un mouvement antérieur protodiastolique rapide du septum interventriculaire (figure 2). Il existe une dila-tation biauriculaire, ainsi qu’une veine cave inférieure très dilatée, non compliante. Il n’y a pas d’épanchement péricardique.Le mode doppler enregistre un flux trans-mitral restrictif (figure 3), le rapport E/E’ est normal (la vélocité de l’onde E’ - en doppler tissulaire - est normale).On note une diminution inspiratoire du flux aortique (figure 4), il n’y a pas de flux d’in-suffisance pulmonaire alignable.Le cathétérisme cardiaque réalisé en juillet 2012 confirme le diagnostic de syndrome restrictif hémodynamique bi-ventriculaire, en faveur de constriction péricardique :• les pressions droites et gauches sont carac-

téristiques de restriction ventriculaire, avec égalisation des pressions moyennes, pres-sions ventriculaires positives en protodias-tole avec dip plateau mésotélédiastolique,

J. Perrin-Faurie, K. Bourdariat, J. Pineau, M. Ferrini, B. Ritz, J.-F. AupetitDépartement de pathologie cardiovasculaire, Centre hospitalier St Joseph-St Luc, Lyon. [email protected]

Une étiologie d’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection ventriculaire gauche préservée : la péricardite constrictive

Figure 1. Radiographie pulmonaire de face ou TDM montrant les calcifications péricardiques.

Figure 2. Echographie transthoracique : TM du VG avec mouvement paradoxal du septum.

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CAS CLINIQUEJ. Perrin-Faurie, K. Bourdariat, J. Pineau, M. Ferrini, B. Ritz, J.-F. Aupetit

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Figure 3. Flux transmitral restrictif.

pelvien normal (pas de séquelle pulmonaire apparente, pas d’adénopathie pathologique, pas de calcification surrénalienne). L’échographie abdominale confirme l’hépato-mégalie avec dilatation des veines sus-hépa-tiques.Le patient bénéficie finalement d’une péri-cardectomie totale chirurgicale fin août 2012. L’anatomopathologie note une fibrose indifférenciée, sans inflammation, sans signe de malignité. Le patient est fonctionnellement très amé-lioré suite à la chirurgie. On conclut donc à une péricardite chronique constrictive idiopathique.

Commentaires

Le diagnostic de péricardite constrictive est un diagnostic le plus souvent d’élimination ou orienté par des éléments bien particuliers en rapport avec les principales étiologies : décou-verte de calcifications péricardiques (comme ici), antécédent de péricardite aiguë récidivante, antécédent de tuberculose, d’irradiation thora-cique ou de chirurgie cardiaque. Il est fréquent qu’aucune étiologie ne soit retrouvée comme dans l’observation ci-dessus et que l’on conclut à une péricardite constrictive idiopathique.Les examens orientant vers le diagnostic de constriction péricardique sont les suivants.

L’échocardiographie transthoracique (ETT)

C'est l'examen de première intention.• Les modes 2D et TM retrouvent une fonction

systolique du ventricule gauche conservée,

sans variation significative lors de l’inspira-tion (figures 5 et 6) ;

• les plaques calcifiées bordant la paroi infé-rieure du ventricule droit et paroi laté-rale haute du ventricule gauche sont bien visualisées ;

• le ventricule gauche, non dilaté, se contracte normalement : FEVG = 0,55 ;

• les artères coronaires sont macroscopi-quement normales, régulières, de bon diamètre, avec flux normal (réseau à domi-nance droite).

L’IRM cardiaque, réalisée secondairement, est concordante, en faveur du diagnostic de péricar-dite chronique constrictive : dyskinésie septale avec FEVG conservée à 54 %, sans anomalie du signal myocardique après injection de gadoli-nium, dilatation biauriculaire, calcifications péri-cardiques sans épanchement (figures 7 A et B).Le bilan complémentaire à visée étiolo-gique (recherche de tuberculose) n’a pas été concluant : IDR à la tuberculine et quanti-feron négatifs, scanner thoraco-abdomino-

Figure 5. Cathétérisme cardiaque : schéma du cœur avec chiffres de pressions.

Figure 4. Variation respiratoire du flux aortique.

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avec un septum paradoxal. Les oreillettes sont peu ou pas dilatées, la veine cave inférieure est classiquement dilatée non respirante.

• Le mode doppler retrouve un doppler trans-mitral restrictif dans les formes typiques. L’adiastolie peut être mise en évidence sur le flux d’insuffisance pulmonaire : retour rapide au zéro du flux témoignant de l’élé-vation de la pression diastolique du ventri-cule droit (une ouverture prématurée de la valve pulmonaire en 2D peut également être vue pour la même raison). Les varia-tions respiratoires caractéristiques des flux témoignent quant à elles de l’interdépen-dance entre les ventricules droit et gauche : augmentation des flux doppler tricuspides

et diminution des flux mitraux lors de l’ins-piration. Les pressions artérielles pulmo-naires sont normales ou peu augmentées.

• L’analyse des critères de fonction myocar-dique retrouve des données différentes de celle de la restriction myocardique : vélocité de l’onde E mitrale à l’anneau en doppler tissulaire conservée, strain longi-tudinal par speckle tracking également conservé.

Le cathétérisme cardiaque

Il permet de confirmer l’adiastolie par la mise en évidence de pressions ventriculaires protodiastoliques positives, de dip-plateau mésotélédiastolique et l’égalisation des pres-sions droites moyennes ; et peut mettre en évidence une variation respiratoire des pres-sions. En l’absence d’anomalie évidente, une épreuve de remplissage intraveineux peut être réalisée pendant le cathétérisme pour démasquer l’adiastolie.

L’IRM cardiaque

Il visualise de manière parfois plus précise que l’ETT le mouvement paradoxal avec res-saut du septum inter-ventriculaire.

Conflits d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêt en relation avec cet article.

Figure 7. Images d’IRM. A. Ciné IRM en protodiastole. B. Ciné IRM en télédiastole-> mouvement paradoxal du septum.

A B

Figure 6. Courbes de cathétérisme avec dip-plateau, augmentation des pressions de remplissage des deux ventricules, égalisation des pressions moyennes.