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1 UNIVERSITE DE PARIS SORBONNE (PARIS IV) ENA École des hautes études en sciences de l’information et de la communication École nationale d’administration Master Professionnel 2 ème année Option : COMMUNICATION DES INSTITUTIONS PUBLIQUES Le recours aux émotions dans une campagne de communication publique sécuritaire : Analyse sémiologique des spots Stop-Djihad du SIG Sous la direction de : Madame Françoise Boursin, Professeur des Universités Au CELSA Paris-Sorbonne Et Monsieur Jean-Emmanuel Paillon Délégué général à l’administration des ressources et des services, INRIA 2015-2016 Nom et Prénom: Kharrat Driss Ines Promotion : Georges Orwell Option : COMMUNICATION DES INSTITUTIONS PUBLIQUES Soutenu le : Mention : Note du mémoire :

UNIVERSITE DE PARIS ENA...2 Remerciements Je remercie Madame Françoise Boursin, Professeur des Universités au CELSA Paris- Sorbonne, pour le temps précieux qu’elle m’a consacré

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1

UNIVERSITE DE PARIS – SORBONNE (PARIS IV)

ENA

École des hautes études en sciences de l’information

et de la communication

École nationale d’administration

Master Professionnel 2 ème année

Option : COMMUNICATION DES INSTITUTIONS PUBLIQUES

Le recours aux émotions dans une campagne de communication publique sécuritaire :

Analyse sémiologique des spots Stop-Djihad du SIG

Sous la direction de :

Madame Françoise Boursin, Professeur des Universités

Au CELSA Paris-Sorbonne

Et

Monsieur Jean-Emmanuel Paillon

Délégué général à l’administration des ressources et des services, INRIA

2015-2016

Nom et Prénom: Kharrat Driss Ines

Promotion : Georges Orwell

Option : COMMUNICATION DES INSTITUTIONS PUBLIQUES

Soutenu le : Mention :

Note du mémoire :

2

Remerciements

Je remercie Madame Françoise Boursin, Professeur des Universités au CELSA

Paris- Sorbonne, pour le temps précieux qu’elle m’a consacré.

Je remercie Monsieur Jean-Emmanuel Paillon, Délégué général de l’INRIA, qui m’a

pleinement fait profiter de son dynamise et ses qualités professionnelles.

Je remercie toutes les personnes qui ont accepté de me recevoir et de me consacrer

une partie de leur temps.

3

Sommaire

Introduction générale……………………………………………………………. 7

La problématique………………………………………………………………… 10 les hypothèses……………………………………………………………………. 11 plan du mémoire ………………………………………………………………… 12 Partie I- La prédisposition de communication publique à l’usage des

émotions……………………………………………………………….................

14

Introduction Partie I……………………………………………………………… 15 Chapitre I- La communication publique : De l’intérêt général au changement comportemental de la société…………………………………

17

Section I – La communication publique entre enjeux et définitions…… 18 I.1. les enjeux de la communication publique …….……………………….. 20

1. Enjeu réglementaire ……...……………………………………………... 22

2. Enjeu économique ………………………………………………………. 22

3. Enjeu social ……. ……………………………………………………….. 23

4. Enjeu politique ……. ……………………………………………………. 23

5. Enjeu technologique ……..…………………………………………….. 24

I.2. la définition de la communication publique ……..…………………….. 24

1. Communication politique et communication publique …….… 25

2. Communication sociétale et communication publique …….... 26

Section II – Une lecture dans différentes campagnes de communication

publique nationale visant la modification des comportements…………..

28

II.1. La campagne de la sécurité routière (2016) .………………………….. 28

II.2. La campagne de prévention du Sida Inpes (2015) .………………….. 33

Chapitre II- Les émotions : axe de communication publique

De l’émotion à la création attitudinale et comportementale………...........

36

Section I – Rôle des émotions dans l’efficacité des campagnes de

communication publique ……………………………………………………….

37

I.1. Définitions des émotions …………………………………………........... 37

I.2. La classification des émotions ………………………………………….. 38

I.3.Différence entre émotion et attitude ……………………………………… 40

I.4. La communication publique et la communication persuasive……… 41

Section II – Les mécanismes et outils de la communication persuasive

basées sur les émotions…………………………………………………………

43

4

II.1. Les mécanismes de la communication persuasive …………………. 43

1.1 La persuasion informative ……………………………………………….. 43

1.2 La persuasion mécaniste …………………………………………........... 44

1.3 La persuasion intégrative ……………………………………………….. 44

1.4 La persuasion suggestive ……………………………………………….. 45

II.2. Les outils de la communication persuasive basée sur les

émotions : ………………………………………………………………………….

46

1. Image …………………………………………………………………........ 46

2. Imagerie mentale………………………………………………………….. 47

3. La communication narrative (le storytelling)………………………… 47

4. L’effet de cadrage des conséquences………………………………… 48

Section III – Le cadre résumant le processus de communication axé

sur les émotions dans le cadre de notre étude ………………………......

49

Conclusion partie I ……………………………………………………………... 50

Partie II- La prévention de la radicalisation entre communication

sociale et politique sécuritaire…………………………………………………

51

Introduction Partie II…………………………………………………………….. 52

Chapitre III- Le contexte de la radicalisation en France………………….. 54

Section I – L’évolution de la radicalisation en France et la diversité des

profils des radicalisés …………………………………………………………..

55

I.1. Les indicateurs de la radicalisation …………………………………….. 55

I.2. Le dispositif de lutte contre la radicalisation en France …………….. 57

I.3. Le profil des jeunes radicalisés…………………………………………… 58

a. Les femmes : nouvelle cible des recruteurs radicaux……………….. 58

b. Des jeunes entre 15-21 ans ……………………………………………… 58

c. Toutes les classes socioprofessionnelles sont touchées ………… 59

d. Des familles de cultures diverses ……………………………………… 59

I.4. Le processus de radicalisation ………………………………………….. 60

Section II – La campagne de communication publique « stop

djihadisme » …………………………………………..…………………………..

61

II.1. Campagne janvier 2015 …………………………………………………… 61

II.2. Campagne octobre 2015 ………………………………………………….. 63

Chapitre IV- Etude de la campagne Stop djihadisme……………………… 65

5

Section I - Méthodologie de recherche ………………………………………. 65

I.I. : Recherche qualitative..…………………………………………………….. 65

I-1- Choix de la méthode de recherche .……………………………… 65

I-2- Méthode de collecte des données ..……………………………… 66

I-3- Choix des répondants ……………………………………………… 67

I-4- Guide d’entretien …………………………………………………… 67

I-5- Administration des entretiens……………………………………. 68

I-6- Méthode d’analyse…………………………………………………. 68

I.II. Analyse sémiologique ……………………………………………………… 70

Section II - Analyse des résultats …………………………………………….. 71

II.I. Phase 1 : focus group………………………………………………………. 71

II.II. Phase 2 : analyse sémiologique …………………………………………. 76

1. Spot 1 de la campagne de janvier 2015……………………………… 76

2. Spots de la campagne d’octobre 2015 ……………………………… 82

II. III. Interprétation des résultats ……………………………………………… 84

Conclusion partie II ……………………………………………………………… 86

Conclusion Générale……………………………………………………………... 87

Bibliographie……………………………………………………………………..... 90

Annexe A………………………………………………………………………….... 95

Annexe B………………………………………………………………………….... 97

Annexe C………………………………………………………………………….... 100

Annexe D………………………………………………………………………….... 101

Annexe E…………………………………………………………………………..... 102

Résumé…………………………………………………………………………....... 109

Mots clés…………………………………………………………………………..... 110

6

Liste des images

Image 1 : Le choc de l’accident et le nombre de victime induite 32

Image 2 : La victime de la sécurité routière 32

Image 3 : Une proche de la victime 32

Image 4 : Signature du spot de la prévention du sida 35

Image 5 : Affiches déclinées des spots de la prévention du sida 35

Image 6 : Affiche sécurité routière – Alcool 43

Image 7 : Affiche sécurité routière – ceinture de sécurité 44

Image 8 : Affiche protection de l’environnement – gestion des déchets 45

Image 9 : Affiche sécurité routière – ceinture de sécurité 45

Image 10 : Affiche sécurité routière – Le danger des téléphones en conduisant 47

Image 11 : Affiche sécurité routière – Le danger des téléphones en conduisant 47

Image 12 : Affiche sécurité routière – l’alcool au volant 48

Image 13, 14 et 15: Images véhiculées par les réseaux terroristes 58

Image 16 et 17 : Images véhiculées par les réseaux terroristes 59

Image 18 : Capture écran du film de prévention de la radicalisation 61

Image 19: Capture écran sur la signature de la campagne de la prévention de la radicalisation 62

Image 20 : Capture écran du spot montrant la prise de contact (le jeune - le groupe terroriste) 77

Image 21, 22 et 23 : Capture écran des séquences du plan 1 du spot 77-78

Image 24 : Captures écran sur la signature du spot des témoignages 83

Liste des figures

Figure 0 : Schéma de la communication verbale Jakobson 15

Figure1 : Le cadre de l’étude 49

Figure 2 : Profil des cas signalés 56

Figure 3 : Profil par tranche d’âge 57

Figure 4: Les canaux de la propagande terroristes pour le recrutement 60

Liste des tableaux

Tableau 1: Classement des émotions (Shaver et al. 1987) 40

Tableau 2 : Méthodes d’analyse de contenu 70

7

Introduction générale

Au cours de ces dernières années, la radicalisation est devenue une

préoccupation internationale. La prévention de la radicalisation conduisant à la

violence et au terrorisme est un défi permanent portant sur des enjeux sécuritaires et

de cohésion sociale.

Les termes « radicalisation », « prévention », « désengagement » et « dé-

radicalisation » se sont largement répandus depuis les attentats du 11 Septembre,

notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Allemagne et dans les pays du

Nord de l’Europe. Ces concepts sont liés et connaissent un regain d’intérêt en

France depuis les attentats de janvier 2015.1

En France, 8 2502 signalements destinés à prévenir des cas de radicalisation

violente ont été effectués depuis la mise en place d’une plate-forme téléphonique en

2014 par le ministère de l’Intérieur pour leur signalement des cas de radicalisation.

Selon certains analystes3, la hausse des signalements en 2015 est liée au contexte

particulier, de deux attentats majeurs ayant ensanglanté Paris conduisant à

l’instauration d’un État d’urgence.

A la suite des attentats de Charlie Hebdo, le SIG, Service d’information du

gouvernement, a lancé une campagne de communication « anti-jihad » dans le cadre

d’une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme. La campagne médiatique, une

des actions du plan d’action gouvernemental, est marquée par le lancement d’un clip

via les réseaux sociaux en janvier 2015 et la diffusion de spots télévisés dans une

vingtaine de média en octobre 2015.

Dans l’ère de l’image et de l’immédiateté, au moment où se démocratisent les

nouvelles technologies de l’information et de la communication, les messages de la

communication publique empruntent les codes de la communication publicitaire

dans un objectif de plus grande d’efficacité et d’impact sur les cibles.

1 Asiem el Difraoui, Milena Uhlmann, (2015) « Prévention de la radicalisation et dé-radicalisation : les modèles allemand, britannique et danois, Politique étrangère » 2015/4 (Hiver)

2http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/02/03/que-disent-les-chiffres-sur-la-radicalisation-en france_4858633_4355770.html 3 Id.

8

La communication publique est souvent définie comme un processus à sens

unique, avec d’un côté, des gouvernants et de l’autre des gouvernés. Les

contributions académiques concernant la communication publique demeurent faibles

comparées à d’autres formes de communication. Avec l’évolution des rapports entre

les citoyens et la sphère publique et le passage de la réception de l’information à la

communication, le souci de bien communiquer est devenu un enjeu majeur du

secteur public.

La sphère politique se sépare rarement des émotions, des passions et de la

communication selon Max Weber4. L’action gouvernementale actuelle,

particulièrement dans cette période de violence, de crise et d’incertitude, appelle un

certain type de discours fortement émotionnel.

On observe la place occupée par les émotions dans la confiscation de

l’espace politique et son inscription à un rang élevé dans l’agenda national des

questions sécuritaires. D’où le fait qu’une communication publique pourrait avoir tout

à gagner de l’instrumentalisation des émotions.

Les peurs, les angoisses, les menaces ont toujours été utilisées par les

politiciens, dans certains contextes et événements d’actualité, pour s’ériger comme

rempart ou garant contre l’insécurité ou le danger.

A ce stade, les questions suivantes doivent être posées: Est ce que les

pouvoirs publics peuvent mobiliser toutes les émotions ? L’émotion suscitée conduit-

elle à la transformation de l’état affectif à un état incitant à l’action ? Quelles sont les

techniques adoptées pour provoquer les émotions souhaitées ? Les émotions ne

varient-elle pas en fonction des cibles ce qui suppose une étude de marché

préalable? Comment évaluer l’efficacité de l’emploi des émotions dans une

campagne de communication publique ?

Dans ce travail, nous avons choisi de nous restreindre à l’étude des

émotions dans le message véhiculé par la sphère publique par le biais d’un

canal de communication au récepteur. L’objectif de l’institution publique est de

provoquer une réaction chez le récepteur par le changement de ses attitudes et/ ou

4 Citée par Cynthia Fleury (2008) ; « La passion de la communication », http://www.humanite.fr/node/384913

9

une prise de conscience d’un phénomène (objectif cognitif), par le développement

d’un état émotionnel (objectif affectif) et/ou le pousser à l’action (objectif conatif).

Pour atteindre ces objectifs, les institutions publiques ont emprunté les

méthodes du secteur privé. Zemor5 (1992) parle des moyens dont dispose une

organisation de services publics pour influencer, dans un sens favorable à la

réalisation de ses objectifs, les attitudes et les comportements des publics auxquels

elle s’intéresse.

Notre objectif principal est de mettre en évidence les techniques de

persuasion empruntées à la publicité marchande, dans la conception des spots

mêlant image et discours pour atteindre les objectifs de la campagne de prévention

de la radicalisation, basées sur les émotions.

Outre le défi sécuritaire que provoque la montée de la radicalisation, le

traitement du sujet sur la communication de la prévention de la radicalisation nous

semble nécessaire pour deux raisons principales.

La première provient d’un constat : la France fait face à une montée

croissante des actes violents issus de la radicalisation. Les budgets alloués à la

communication pour lutter contre la radicalisation étaient, avant les attentats, très

restreints et se limitaient à des actions ponctuelles sur le terrain (subvention des

associations, accompagnement des collectivités territoriales, etc.). En conséquence,

les campagnes de communication sont rares et seuls les discours des politiciens

relayent l’ampleur du phénomène auprès des citoyens.

La deuxième raison qui a motivé cette étude repose sur la nécessité de mener

des travaux dans le domaine de la communication destinée à la lutte contre la

radicalisation, qui, pour l’instant ne suscite que l’intérêt des politologues, sociologues

et anthropologues. Or, le challenge est de développer des argumentaires et des

contre-discours à la propagande extrémiste à l’attention des cibles. Ces contre-

discours élaborés pour le gouvernement reposent sur les conclusions et

recommandations des experts de différents domaines, mais ne peuvent être traduit

aux récepteurs qu’à travers des spécialistes en communication publique.

5 Pierre Zemor ; (1992) « L’information pour les usagers : les sens de la relation », Rapport officiel de la documentation française, p.8

10

Une question centrale se pose alors, celle de l’efficacité de la communication

de prévention de la radicalisation menée par le Service de l’information du

gouvernement.

Cependant, les études comparatives et les articles académiques manquent

dans ce domaine étant donné que le sujet est très récent. La problématique

générale de ce travail va se concentrer sur le décryptage des techniques persuasives

basées sur les émotions dans la mesure où l’on peut vérifier l’utilisation de ces

techniques par l’analyse des messages réalisés par le SIG.

La problématique de notre recherche est la suivante :

Comment le recours aux émotions dans la communication publique

sécuritaire, dans la conception des messages transmis par les Institutions

publiques à travers les images et les messages verbaux, se manifeste-il à

différents moments des discours, dans son contenu et dans l’adéquation entre

l’image/le contenu?

L’objectif est de démontrer le recours aux émotions pour la formation des

réponses attitudinales et comportementales à travers une analyse sémiologique du

message et un décryptage des spots et non par l’évaluation des effets sur les

récepteurs.

D’un point de vue théorique, l’intérêt de cette étude est de montrer que le

recours aux émotions dans la conception des messages émis par une institution

publique ne se limite pas aux campagnes sociales, mais peut, aussi s’étendre au

domaine sécuritaire. Dans ce travail, nous présenterons les techniques

émotionnelles, au lieu des habituels arguments informatifs auxquelles le

gouvernement peut avoir recours dans la création des messages verbaux et visuels

pour atteindre des réponses comportementales de la part de sa cible dans le

domaine sécuritaire.

En plus de cet intérêt théorique, ce mémoire peut mieux éclairer les

professionnels sur certains aspects managériaux. Le choix des axes de

communication et du message à concevoir pour le récepteur sont primordiaux pour la

réussite d’une campagne de communication sécuritaire. Les institutions publiques ne

disposent pas de budgets suffisants pour lancer plusieurs campagnes par an. Elles

11

doivent donc optimiser l’allocation de ces budgets et opter pour des choix judicieux et

délicats pour la création des visuels, la conception des spots, le contenu des

messages et le choix des médias. Avec les émotions, la communication sécuritaire

pourrait constituer un facteur clé de succès dans la stratégie nationale de lutte contre

la radicalisation.

La communication publique ne peut se réduire à une simple information ni à

une propagande. Le citoyen n’est plus un récepteur passif, c’est un partenaire actif et

exigeant, qui éprouve le besoin de réagir et de s’exprimer d’où la nécessité que le

message émis capte une motivation ou un frein pour agir du récepteur.

Dans le cadre de la communication de prévention de la radicalisation adoptée

par le SIG, le message est une combinaison entre des éléments visuels et verbaux.

Il est destiné à éveiller la conscience du récepteur par rapport au phénomène de la

violence terroriste en vue de le persuader d’agir dans un sens bien déterminé.

Pour répondre à notre problématique, nous avons formulé les hypothèses

suivantes :

H1 - Le cadrage des conséquences de la non adoption du comportement

préconisé par la communication étatique met en évidence les axes de

communication choisis par l’émetteur.

H2 – Le récit narratif des expériences vécues par les personnages des

spots (storytelling) évoque les émotions de la peur, d’indignation et de la

surprise.

H3 – l’iconographie à travers les signes et les symboles traduit les

émotions véhiculées par le message.

H4 – L’imagerie mentale amplifie les émotions évoquées par le message.

La méthodologie du mémoire :

Pour ce travail, nous avons adopté une démarche qualitative en nous

appuyant sur des données et des rapports sur la prévention de la radicalisation. Ces

informations ont été complétées par des ressources documentaires composées

12

d’ouvrages, articles spécialisés, articles de presse et sites internet pour un apport

théorique sur les techniques de communication utilisées.

La partie empirique du mémoire comporte deux phases. Dans une première

étape, à travers des entretiens de groupe, nous essayerons d’identifier la panoplie

des émotions suscitées dans la campagne stop djihads et de recueillir la perception

des participants quant à l’opportunité de les utiliser dans ce contexte particulier.

Les principales conclusions issues des analyses des entretiens de groupe

permettront, dans une deuxième étape, de procéder à une analyse sémantique des

spots diffusés (analyse des images, bandes sons et discours). Le champ d’étude

comporte deux catégories de spots diffusés :

- La première comporte le spot diffusé par le gouvernement via les réseaux

sociaux qui cible les jeunes en voie de radicalisation diffusé après les attentats

de janvier 2015.

- La deuxième catégorie comporte quatre spots diffusés de témoignages à

l’initiative des familles des victimes avec l’appui du ministère de l’intérieur. Ces

spots ont été diffusés sur les chaînes publiques à partir d’octobre 2015 pour

sensibiliser l’opinion publique au phénomène de radicalisation des jeunes qui

partent dans les zones de conflits.

Le plan du mémoire :

Afin de répondre à la problématique précitée, nous consacrerons la première

partie de ce travail à présenter les émotions, l’évolution de leur utilisation dans la

communication publique et son apport. Nous ferons, aussi, une présentation des

techniques de persuasion et des items développés par l’étude à savoir : l’image,

l’attitude, le storytelling (le récit narratif), la technique de cadrage du message et

l’imagerie mentale. D’autre part, la communication des organisations publiques fait

face à des contraintes qui lui sont spécifiques que nous essayerons d’exposer. Dans

une optique de benchmarking/ parangonnage (étude d’expériences similaires), nous

présenterons quelques expériences de communication publiques nationales ou

internationales ayant eu recours aux émotions pour induire un changement d’attitude

ou de comportement.

13

Dans une deuxième partie, nous avons choisi de présenter la campagne de

communication de prévention de la radicalisation dans le cadre de la stratégie

instaurée par le gouvernement dans sa lutte contre le Djihad. Nous justifierons notre

choix et nous présenterons les spécificités et le contexte de cette campagne. Nous

évoquerons la nécessité ou la justification du recours aux émotions à travers

l’analyse sémiotique des messages et un décryptage des vidéos diffusées. Cette

investigation permet, aussi, d’identifier les techniques de persuasion basées sur les

émotions utilisées par le gouvernement dans ce contexte particulier.

14

Partie I-

La prédisposition de

communication publique

à l’usage des émotions

--------------------------------------------------------

Dominique Wolton « La communication n’est pas la perversion de la démocratie, elle

en est plutôt la condition de fonctionnement » Libération du 18 juin 2002

15

Introduction Partie I

Dans une démocratie, le gouvernement est tenu d’informer, en temps réel, les

citoyens de ses politiques et de ses actions. La communication constitue un élément

fondamental du bon fonctionnement de la démocratie et s’inscrit dans la politique

publique du gouvernement. L’adhésion des citoyens et la crédibilité des institutions

publiques dépendent de l’efficacité de l’information et de sa diffusion.

L’une des principales missions de la communication publique est de modifier

des comportements et attitudes collectifs des citoyens en empruntant au genre

publicitaire les techniques de persuasion afin d’appuyer et accompagner l’action de

l’institution publique. On peut citer les campagnes de la sécurité routière, de

prévention du sida, les campagnes sur le tabac et autres qui accompagnent des

politiques publiques mises en œuvre pour réduire, prévenir les comportements à

risque, éveiller la conscience collective et faire accepter les mesures prises ou à

prendre.

Dans la persuasion publicitaire, l’émotion joue un rôle important (Alex

Mucchieli6 2005). Les émotions occupent une place de plus en plus importante dans

nos sociétés : elles suscitent l’intérêt, s’étalent dans les médias et envahissent

l’espace public.

La première partie de ce mémoire présente ainsi, l’évolution de la

communication publique ayant pour objectif la prescription de nouveaux

comportements et/ou des attitudes ainsi que le rôle de la persuasion émotionnelle

dans sa conduite.

Lors du premier chapitre, nous exposerons, d’abord, les caractéristiques de la

communication publique et en particulier la communication à vocation sociale en

soulignant sa distinction de la communication sociétale et de la communication

politique. Ensuite, un benchmarking/ parangonnage (étude d’expériences similaires)

de communication publique fera l’objet d’une section de ce chapitre, à partir d’une

revue de la littérature focalisée sur des campagnes nationales afin de dégager

quelques techniques de persuasion émotionnelle utilisées.

6 Alex Mucchieli, (2005) « Place des émotions et des normes sociales dans la communication persuasive publicitaire », Market Management, 2005/1 (Vol. 5), 128 pages

16

Le deuxième chapitre portera sur le rôle des émotions dans la sphère publique

et tout particulièrement dans la conception des messages et l’élaboration des axes

de communication émis des différentes institutions publiques. Nous présenterons,

aussi, un aperçu des différents items en rapport avec les émotions dégagés du

chapitre précédant à savoir les attitudes, les images, l’imagerie mentale, la

victimisation et le storytelling (le récit narratif). A la fin de ce chapitre, nous

essayerons de dresser un modèle résumant le processus communicationnel d’une

campagne à vocation sociale.

17

Chapitre I-

La communication publique :

De l’intérêt général au changement comportemental de la

société

De la propagande, en passant par l’information ascendante pour se

transformer en une boucle d’échanges permanent entre citoyens et institutions, la

communication publique ne cesse et ne cessera d’évoluer à la lumière des progrès

technologiques.

Cette évolution perpétuelle exige un professionnalisme et une expertise qui

puisent leurs sources dans la communication marchande qui a fait ses preuves.

Entre études, sondages et médias, les budgets alloués à la communication publique

augmentent considérablement.

Le Ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l’Etat en 1996,

Dominique Perben7, avançait : « La communication institutionnelle publique a évolué.

Après des emballements, parfois des illusions, ayant pu faire l’objet de jugements

pas toujours positifs quant au gaspillage de fonds publics, [cette communication] est

entrée dans une phase plus sérieuse, plus approfondie. Une certaine sérénité

permet le tri. Quels messages ? Quels publics ? Comment favoriser l’échange ? … »

Cette nouvelle exigence explique la préoccupation des institutions dans la

conception de messages pertinents à véhiculer.

La communication publique dont le principe est d’établir un rapport entre les

citoyens et les institutions publiques en rendant compréhensible leurs actions, et qui

s’inscrit dans une démarche globale de gouvernance publique fera l’objet de ce

chapitre.

7 Marc Thébault (2011), « Evolution historique de la communication publique : les 6 grandes étapes », le 14 février 2011, http://thebaultmarc.expertpublic.fr/2011/02/14/evolution-historique-de-la-communication-publique-les-6-grandes-etapes/

18

Section I – La communication publique entre enjeux et

définitions

La communication a deux racines. La première lie communication et partage,

compréhension et respect d’autrui. C’est l’idéal de la communication au niveau

individuel ou collectif. C’est la dimension normative qui sert de référence aussi bien

sur le plan de la communication inter-subjectible qu’à celui des techniques, ou des

sociétés. La deuxième racine, plus récente, est renforcée par les techniques de

communication, dont la première d’entre elles l’imprimerie, insiste sur l’idée de

transmission. (Dominique Wolton, 2001)8

Elle constitue le moyen avec lequel deux entités entrent en contact. C’est une

forme de relation qui vise la diffusion d’un message d’un émetteur vers un récepteur

dans le but de lui transmettre une information ou modifier ses dispositions mentales

et attitudinales et/ ou de l’inciter à adopter ou changer un comportement. Les

modèles des processus de communication ont évolué avec les avancées

académiques et l’introduction de nouveaux champs d’études à savoir la psychologie,

les neurosciences, les sciences de l’information, les technologies, etc. Le modèle de

Jakobson résume schématiquement les principales fonctions à retenir du processus.

Figure 0 : Schéma de la communication verbale Jakobson9

8 Wolton Dominique, (2001) « La communication, un enjeu scientifique et politique majeur du XXIe siècle. », L'Année sociologique 2/2001 (Vol.51), p. 309-326, www.cairn.info/revue-l-annee-sociologique-2001-2-page-309.html 9 Dominique Picard de la communication à l'interaction (1993): « l'évolution des modèles, Communication et langages » Année 1992 Volume 93 Numéro 1 pp. 69-83, http://www.persee.fr/doc/colan_0336-1500_1992_num_93_1_2380

19

Le modèle de Jakobson saisit la communication humaine avec ses trois

éléments de bases en y ajoutant trois facteurs importants afin de leurs conférer les

six fonctions communicatives à savoir :

La fonction expressive (expression de l’émetteur)

La fonction conative (fonction du récepteur)

La fonction phatique (mise en place de la communication)

La fonction métalinguistique (le code est l’objet du message)

La fonction référentielle (le message renvoie à l’environnement extérieur)

La fonction poétique (la forme du texte devient l'essentiel du message)

Les organisations évoluent, aujourd’hui, dans un environnement incertain, de

plus en plus complexe et imprévisible. Héraclite (philosophe grec, 540 av J-C – 475

av J-C) affirme que « rien n’est permanent sauf le changement ». Cette évolution

perpétuelle oblige les organisations à communiquer d’avantage et mieux.

A l’inverse des entreprises du secteur privé, les institutions publiques ne

peuvent pas disposer librement des budgets alloués à la communication.

L’application des principes de la bonne gouvernance oblige à une utilisation efficace

et responsable des deniers publics.

Dans ses usages courants, le terme de « communication publique » sert à

nommer des pratiques aussi diverses que faire connaître une information utile à la

vie quotidienne des citoyens, promouvoir un acte de gouvernement avec des arrières

pensées électoralistes, fabriquer l’opinion en vue de préparer la population à une

décision dramatique, instiller de nouvelles croyances ou de nouvelles conceptions de

sens commun en « normalisant » certaines conduites ou encore propager une

idéologie afin de s’assurer une adhésion totale (Albert Ogien,10 2009).

La communication publique est transversale, elle s’intègre à l’ensemble des

départements et missions de l’entité publique. Ceci nécessite d’énormes

investissements matériels et surtout humains avec l’instauration d’une culture de

transparence et de responsabilité à travers tous les échelons de l’organisation. Elle

10 OGIEN Albert,(2009) « La perfection gestionnaire. Rhétorique de l’efficacité et démocratie », in C. Olivier-Yaniv et M. Rinn (dir.), Communication publique et gouvernement du social, Grenoble, PUG, 2009, p. 49-66.

20

fait partie intégrante d’une stratégie globale qui nécessite la cohésion de l’ensemble

des agents pour sa mise en œuvre et sa réussite.

Pour une entité publique, communiquer n’est pas un acte anodin. C’est, en

effet, un devoir qui lui incombe vis-à-vis de ses parties prenantes à savoir les

citoyens, les institutions de contrôle, les médias, la société civile, les syndicats, etc.

L’information doit être compréhensible et accessible. Elle se construit à travers

des enquêtes, des observations et des choix et s’adapte en permanence au

contexte. Ceci sous-entend une veille permanente, des études continues et un suivi

quotidien.

I.1. les enjeux de la communication publique :

La communication publique couvre plusieurs domaines :

La communication des institutions publiques ;

La communication des organismes assurant une mission des services

publics ;

La communication des collectivités territoriale.

L’article 1er de la charte de communicants publics, adoptée en 2002, dispose :

« devant le déploiement croissant de la société de l’information, la communication

publique s’affirme aujourd’hui comme une nécessité incontournable des institutions

et États démocratiques. De ce point de vue, elle s’apparente, non à un simple outil

technique de mise en forme des politiques publiques, mais à une démarche globale

inscrite dans l’exercice même de la gouvernance publique ».

Cet article met en évidence, les enjeux auxquels fait face la communication

publique avec le développement des moyens de communication et d’information et la

demande croissante en information de la part des citoyens.

Ces enjeux ont évolué à travers l’histoire de la communication publique lors de six

grandes phases :

a. La propagande : cette forme est perçue comme une modalité de

communication à sens unique qui n’implique pas de dialogue entre l’émetteur

et le récepteur. Cette forme vise à manipuler les opinions et les façonner.

21

b. L’information ascendante : cette forme se limite à l’émission de l’information

aux citoyens. Cette forme linéaire néglige la perception du récepteur et se

limite à une fonction informative.

c. Les années 80 et la découverte de la publicité publique : les années 80 furent

caractérisées par l’émergence d’une nouvelle classe politique soutenue par

des professionnels de la communication marchande qui ont vu dans ce

nouveau segment une augmentation de leur chiffre d’affaire et de leur part de

marché. Cette phase est marquée par l’accroissement des budgets consacrés

à la publicité publique en ayant recours à des experts non sensibilisés aux

spécificités de la sphère publique. Ces dépenses disproportionnées

provoquent un désintéressement des citoyens pour les affaires publiques.

d. Le minitel et internet : les technologies envahissent les espaces. Les

institutions publiques découvrent la communication high-tech. Cette phase a

vu le rôle des communicants se développer. L’attention est plus portée sur le

vecteur du message que sur le message lui-même.

e. Le récepteur au cœur de la communication : les organismes publics prennent

conscience de l’importance des récepteurs dans leurs stratégies de

communication. Cette nouvelle relation, inspirée des sciences humaines et

sociales, marque le développement de la communication ciblée et

interpersonnelle. L’évolution du modèle linéaire en cycle d’échanges

caractérise cette phase importante. Les citoyens exigent et exercent leur droit

d’accès à l’information.

f. De la communication publique au marketing public : la nouvelle orientation

gouvernementale, au début des années 2000, favorise la mise en place des

pôles de compétitivité pour impulser les territoires. Cette orientation fait

basculer les méthodes de communication en introduisant des techniques

d’études de marché et de recherche d’argument unique de différenciation.

Ces phases s’articulent autour des enjeux de la communication publique qui ne

cessent d’évoluer.

22

6. Enjeu réglementaire :

L’Article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme garantit à tous «

le droit de chercher, de recevoir et de répandre les informations et les idées par

quelque moyen que ce soit ».

L’accès à l’information publique constitue un élément fondamental de la bonne

gouvernance. Cet aspect permet l’instauration d’un débat et d’un échange avec les

différentes composantes sociales autour des affaires publiques.

La Déclaration française des droits de l’homme et du citoyen de 1789 a affirmé

dans son article 15 que « la société a le droit de demander compte à tout agent

public de son administration », mais ce principe prometteur est resté longtemps

théorique11.

En 1974, l’accès aux archives devient un droit civique pour tout citoyen. La

Déclaration Universelle des Droits de l’Homme oblige les gouvernements à

communiquer et diffuser les informations relatives aux entités publiques et de

répondre aux sollicitations des citoyens et des parties prenantes en demande

d’information.

Ces textes accentuent le rôle important de la communication publique dans

l’instauration de l’État de droit.

7. Enjeu économique :

En ce contexte de restriction budgétaire, les communicants publics sont tenus de

faire mieux avec moins de dépenses. A une époque où la demande en information

ne cesse de croître, le choix des axes des stratégies de communication est fortement

tributaire des montants consacrés à la communication.

L’enjeu économique pèse sur les moyens aussi matériels qu’humains. La

formation continue des agents du service ou de la direction de la communication,

l’adaptation des nouveaux moyens de communication, l’étendue des activités de la

communication font de l’arbitrage et l’allocation des moyens une problématique

11 La Constitution de 1958 fait référence à la Déclaration dans son préambule dont le Conseil Constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle par sa décision du 16 juillet 1971 (Décision Liberté d’association). « VERS UN DROIT D'ACCES A L'INFORMATION PUBLIQUE LES AVANCEES RECENTES DES NORMES ET DES PRATIQUES » Par Perrine Canavaggio 2013, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture http://unesdoc.unesco.org/images/0022/002268/226875f.pdf

23

surtout dans les structures dans lesquelles la communication est perçue comme un

accessoire et non comme une partie intégrante de la politique publique.

8. Enjeu social :

Michel Le Net12 justifie la communication sociale comme une communication

publique « centrée sur les effets, nécessaire aux progrès individuel et collectif et

s’adressant aux citoyens en tant qu’individus autonomes, responsables de leurs

propres comportements ».

Les institutions publiques visent dans certaines campagnes à modifier les

dispositions mentales des citoyens, à éveiller leur conscience à des phénomènes et/

ou les inciter à adopter un comportement, agir ou réaliser une action déterminée.

L’État a un rôle important dans l’accompagnement des citoyens par des

programmes de prévention et qui touchent à la santé et la sécurité de la société.

L’émetteur public doit veiller à ce qu’il n’y ait pas d’inégalité d’accès à

l’information et prévoir des dispositions pour accéder aux populations défavorisées. Il

doit s’assurer que ses messages ne portent aucune ambiguïté et traitent les sujets

sans discrimination ou ton culpabilisateur.

9. Enjeu politique :

Le citoyen est de plus en plus instruit et il a accès en quelques secondes à toutes

les informations instantanément. Le discours public doit de ce fait être crédible et

compréhensible. Il doit répondre à trois fonctions :

Une fonction informative (faire connaître)

Une fonction éducative (faire comprendre)

Une fonction affective (faire adhérer)

Le gouvernement doit maintenir sa crédibilité en délivrant des messages exempts

de toute ambiguïté qui pourrait induire les citoyens à l’erreur.

12 LE NET Michel (1993), « Pratique des campagnes d’information, notes et études », Paris, La documentation française, 1993 http://www.cairn.info/revue-les-cahiers-dynamiques-2005-3-page-26.htm#no3

24

10. Enjeu technologique :

La révolution numérique a bouleversé les pratiques habituelles des

communicants publics. Ils doivent s’assurer de l’accessibilité de l’information sur tous

les supports pour assurer une meilleure couverture. L’adaptation à ces nouveaux

supports nécessite des moyens humains qualifiés et un travail continu afin de

répondre aux besoins du citoyen.

I.2. la définition de la communication publique :

La communication publique est un échange intermittent entre une logique

unilatérale hiérarchique institutionnellement dominante et un contact des usagers

avec l’administration. Ainsi, la communication publique est très majoritairement à

sens unique, avec d’un côté des gouvernants qui disposent en permanence de

moyens d’actions communicationnelles institutionnelles et d’un autre côté des

gouvernés qui n’expriment leur volonté que sporadiquement (élections,

consultations). (Dominique Bessières13 2009)

Cette définition souligne l’aspect pyramidal dans la transmission de

l’information entre les « gouvernants » et les « gouvernés ». Elle fait référence à une

organisation hiérarchisée en minimisant le rôle des citoyens et le contexte. Elle

suggère que la communication publique est une pratique et non un concept propre.

Les professionnels de la communication publique perçoivent cette dernière

comme un pilote du rapport entre les institutions publiques et les citoyens et un

facteur important pour garantir la démocratie.

Pour Pierre Zemor, la communication publique trouve sa légitimité dans

l'intérêt général. C’est le résultat d'un accord entre les intérêts individuels et ceux

collectifs. La communication publique a pour principale mission la rencontre entre

l'État et les citoyens dans un but partagé.

13 Dominique Bessières,(2009) ; « La définition de la communication publique : des enjeux disciplinaires aux changements de paradigmes organisationnels », Communication et organisation, http://communicationorganisation.revues.org/686

25

Zemor14 définit la communication publique comme l’ensemble des messages

émis par les pouvoirs publics et les services publics qui ont pour objectifs d’améliorer

la connaissance civique, de faciliter l’action publique et de garantir le débat politique.

Pour Martial Pasquier15 (2012), il est possible de distinguer les fonctions

centrales des fonctions complémentaires sur la base du critère légal :

Les fonctions centrales : l'information du public, l'explication et

l'accompagnement de décisions, la défense des valeurs et la promotion des

comportements responsables, le dialogue entre les institutions et les citoyens

Les fonctions complémentaires : l'accueil des citoyens et des résidents,

l'écoute des besoins, notamment par le truchement de sondages, la promotion de la

légitimité des organisations et des actions publiques, la contribution au maintien du

lien social.

La clarification des missions de la communication publique permet de mieux

cerner les frontières de ce concept généralement confondu ou assimilé à la

communication politique et la communication sociétale.

1. Communication politique et communication publique :

L’amalgame avec la communication politique réside dans le fait que les

acteurs publics, généralement les ministres, le président, les gouvernements qui

mettent en œuvre les politiques publiques sont issus des élections suite à des

campagnes électorales à vocation partisane. Cette fine frontière rend la distinction

entre les deux concepts assez floue.

La communication politique selon Jacques Gerstlé16 se présente « comme un

ensemble disparate de théories et de techniques, mais elle désigne aussi des

pratiques directement politiques. Elle inspire […] des stratégies et des conduites qui

varient selon les positions de pouvoir occupées et les situations vécues par les

acteurs de la vie politique. »

14 Pierre Zémor, (1995), « La communication publique, Que sais-je ? », Paris, 1995 15 Pasquier, M. (2012). « Communication publique », dans L. Côté et J.-F. Savard (dir.), Le Dictionnaire encyclopédique de l’administration publique, www.dictionnaire.enap.ca 16 Jacques Gerstlé (2008) « la communication politique »Armand Colin, 256 pages

26

Cette définition souligne le caractère politique et partisan de ce concept de

communication qui vise à influencer les opinions et les électeurs dans un sens

prédéfini. La persuasion peut se faire à travers des arguments, des émotions, la

mobilisation dans le but de minimiser les chances de ses adversaires.

1er distinction : la communication publique cherche l’adhésion et le compromis

au nom de l’intérêt général tandis que la communication politique cherche à créer

des clivages et accentuer les différences entre les publics cibles.

2éme distinction : la communication publique émane des autorités publiques,

des institutions étatiques et suivant une stratégie prédéfinie. La communication

politique peut être spontanée, émane d’une personnalité ou d’un groupe d’individus

pour des intérêts individuels.

3éme distinction : la communication publique facilite la compréhension des

politiques publiques prises et leur mise en œuvre alors que la communication

politique vise le choix d’un parti ou d’une personne à la lumière des programmes

électoraux ou promesses annoncées.

2. Communication sociétale et communication publique :

Le terme communication sociétale désigne l’ensemble des activités de

communication, quel qu’en soit le support, délivrant un message au sujet des

engagements environnementaux, sociaux ou sociétaux d’une organisation

(entreprise, marque, etc.). (Benoit-Moreau, Larceneux, Parguel17 2010)

A travers la communication sociétale, une organisation cherche à améliorer sa

réputation, à légitimer ses actions et à fidéliser ses parties prenantes

(consommateur, fournisseur, pouvoir public, salariés, etc.). La pression des

consommateurs et des associations pour consommer des produits respectueux de

l’environnement, de l’éthique, des conditions de travail humaines et dignes et autres,

a poussé les organisations à s’orienter vers ce type de communication.

On remarque que les champs de communication portent sur des questions

sociales qui, généralement, relèvent de la responsabilité des acteurs publics dans

l’éveil de la conscience du citoyen. Les principales communications sociétales

portent sur la protection de l’environnement, le respect des écosystèmes, le non

17 Florence Benoit-Moreau, Fabrice Larceneux et Béatrice Parguel, (2010), « La communication sociétale : entre opportunités et risques d’opportunisme», https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00634442/document

27

recours à des animaux pour le test des produits, la lutte contre le travail des mineurs,

etc. Les organisations cherchent à montrer par leurs communications qu’elles

servent une cause qu’elles soutiennent et non un intérêt lucratif. D’une manière

générale, elles ont intérêt à choisir des causes appropriées avec leurs activités.

1er distinction : la communication publique cherche à sensibiliser les citoyens

sur un phénomène particulier qui émane d’une politique publique et qui nécessite

des actions auprès des citoyens afin de la mettre en œuvre tandis que la

communication sociétale cherche à se créer une image en instrumentalisant une

cause pour séduire plus de consommateurs et répondre à leurs besoins de produits

plus responsables.

2éme distinction : la communication publique émane des autorités publiques,

des institutions étatiques et suit une stratégie prédéfinie. La communication sociétale

émane d’une organisation du secteur privé dans le cadre d’une stratégie globale de

communication en parfaite cohérence avec les autres actions communicationnelles

et élaborée dans le but d’accroître sa notoriété et ses parts de marché.

3éme distinction : la communication publique sociale ne comporte aucun risque

pour la crédibilité de la parole publique alors que les entreprises privées courent un

risque en cas de non-respect de leurs engagements. En effet il faut associer les

messages aux actions pour se construire une légitimité aux yeux des

consommateurs. Les collectifs de citoyens, les associations et les journalistes

traquent les écarts entre les messages émis et les actions entreprises sur terrain.

Pour les entreprises privées, la communication sociétale risque de se transformer en

piège.

28

Section II – Une lecture dans différentes campagnes de

communication publique nationale visant la modification des

comportements

Les campagnes de communication gouvernementale en matière de prévention

sont une technologie politique, au sens où elles constituent un outil de régulation des

individus, de la population et du social. (Caroline Ollivier Yaniv18, 2009)

Les campagnes de prévention mettent l’accent sur la responsabilité

individuelle du citoyen dans la prévention de l’alcoolisme, du sida, des accidents

routiers. Cette responsabilisation se manifeste par la prescription de comportements

à adopter ou les attitudes à développer à l’encontre du phénomène en question.

Dans cette section, on examinera deux séries de campagnes

gouvernementales destinées au grand public et qui ont pour objet la prévention dans

le cadre de la sécurité en France. Une campagne sur la sécurité routière diffusée en

2016 et une campagne de L'Institut national de prévention et d'éducation pour la

santé (INPES) qui incite au dépistage du sida diffusée en 2015.

II.1. La campagne de la sécurité routière (2016) :

La sécurité routière s’apparente depuis au moins trois décennies à une cause

nationale dans laquelle l’État et ses structures jouent un rôle déterminant. (Isabelle

Pailliart, Cécile Poncin, Géraldine Strappazzon 200819).

La stratégie nationale de communication de prévention des accidents de la

route s’appuie sur des campagnes médiatiques à l’échelle nationale et à l’échelle

locale afin d’atteindre des publics plus précis en adaptant le message à des cibles

identifiées pour une meilleure efficacité de l’action de communication de l’État.

18 Ollivier-Yanniv Caroline et Rinn Michael ; (2009) « Communication de l’État et gouvernement du social » Presses Universitaires de Grenoble, pp 88

19 Isabelle Pailliartt, Cécile Poncin, Géraldine Strappazzon ; (2008) « entre État et acteurs locaux, les enjeux communicationnels de la sécurité routière » cité dans Marchetti Dominique ; « communication et Médiatisation de l’État, la politique invisible », Presses Universitaires de Grenoble, pp 73

29

Pour réduire le nombre des accidents routiers, les institutions publiques

déploient des actions nationales et locales par des aménagements spécifiques

(routes, radars, contrôle, etc.) complétées par une formation et/ou une information

qui influencent les comportements par l’apprentissage du récepteur (le citoyen).

En 2007, les arguments statistiques inondaient les messages émis. Dans le cadre de

la campagne « sortez-revenez », un des spots radiophoniques montre un groupe de

jeunes en fin de soirée évoquent des indicateurs statistiques de consommation

d’alcool et de stupéfiants faisant d’eux des conducteurs dangereux. Ces statistiques

décrivent l’ampleur du phénomène ou son évolution tout en justifiant les actions

répressives conduites par l’État et les sanctions encourues.

L’utilisation d’un contenu dramatique, plutôt que symbolique, exerce une

influence souvent directe sur les réponses cognitives, attitudinales et conatives à

vocation adaptative chez les récepteurs (Lavoisier-Mérieux, 2002 ; Paquette et

Daignault, 2005)20

La pertinence de la menace comme stratégie persuasive a été démontrée

dans plusieurs études relatives à la sécurité routière (Pénélope Daignault et

Guy Paquette21 2012).

Selon l’Observatoire national interministériel de sécurité routière22, en 2015,

les routes ont été particulièrement meurtrières. 3 464 personnes ont perdu la vie lors

d’un accident de la route cette année. Un chiffre en hausse de 2,4% par rapport à

2014.

Une étude23 menée par l’Institut français de l’opinion publique (IFOP) concernant

l’impact des accidents de la route sur la population a mis en avant les conséquences

sociales et/ou psychologiques qu’un accident engendre sur l’entourage, et ce, même

dans la durée. Près d’un français sur deux affirme connaître une proche victime

d’accident de la route – 56% d’entre eux gardent celui-ci à l’esprit lorsque l’accident a

lieu deux ans auparavant et 48% lorsque cela remonte à plus de dix ans.

20 Houria Bencherif, Farès Boubakour et Naima Belkacem, (2012) Les accidents de la route dans les médias de masse en Algérie Du traitement de l’information à sa diffusion ?, Communication, volume 30/1 / 2012 https://communication.revues.org/2967 21 Pénélope Daignault et Guy Paquette (2012), « Quelle efficacité de la menace dans les campagnes de sécurité routière  ? Une évaluation tridimensionnelle », Communiquer http://communiquer.revues.org/367 22 http://www.preventionroutiere.asso.fr/Nos-publications/Statistiques-d-accidents 23 http://www.cer.asso.fr/actualite-details/162-onde-choc-nouvelle-campagne-securite-routiere

30

Se basant sur les résultats de cette enquête, la sécurité routière (acteur public

chargé de la communication sur la prévention routière) lance une campagne de

communication qui prend comme axe les répercussions des accidents de la route sur

les proches de la victime.

Cette campagne s’articule autour d’un spot TV de 45 secondes qui est diffusé

dans les chaînes TV et au cinéma, deux spots radio et un site internet

www.routeplussure.fr avec l’activation du (# Tous touchés) pour les réseaux sociaux.

Cette nouvelle campagne intitulée « onde de choc » met en avant la peine, la

tristesse et les conséquences dramatiques supportées par les familles et proches

des victimes sur les plans personnels et professionnels. Ce spot utilise les

manifestations des émotions de tristesse et de souffrance.

Les slogans de la campagne « Derrière chaque victime de la route il y a des

victimes dans la vie » et « Tous touchés- tous concernés- tous responsables » jouent

sur le sentiment de culpabilité des citoyens pour les inciter à prendre leur précaution

afin d’éviter de telles souffrances à leur proche.

Fiche technique du spot :

Durée du film : 45 secondes

Axe de communication : l’onde de choc de l’accident sur les proches de la

victime

Slogans de la campagne :

« Derrière chaque victime de la route il y a des victimes dans la vie »

« Tous touchés- tous concernés- tous responsables »

Fond sonore : une composition musicale dramatique avec une voix décrivant

l’ampleur de la tristesse et des conséquences.

Traitement visuel : des images traitées sur un ton monochrome tournées au

ralenti où chaque séquence est détaillée pour créer plus d’impact et de

profondeur

Signature : Le logo de la sécurité routière

La Marianne (logo du gouvernement)

31

Analyse du spot:

Ce spot s’adresse à tous les conducteurs (jeunes, adultes, professionnels,

hommes, femmes, etc.). Il vise à heurter la sensibilité des récepteurs en exposant le

drame vécu par les proches des victimes, assimilé à une onde qui se propage à court

et long terme pour provoquer une prise de conscience de l’ampleur du drame.

Au moment du choc entre la voiture d’Étienne (personnage 1) et de Sophie

(personnage 2), deux citoyens normaux (pas de consommation d’alcool, pas de

sortie de boîte de nuit, pas de jeunes adolescents passionnés par la vitesse, mais

des profils auxquels chacun peut s’identifier), les destins basculent. L’accident

dévaste bien au-delà des seules personnes accidentées, mortes ou blessées mais

impacte durablement par cette onde les proches : père, mère, enfant, grand-père et

amis.

A travers le slogan « Tous concernés – Tous responsables », l’émetteur

souhaite éveiller la responsabilité de chaque conducteur en lui exposant les

conséquences sur la famille et sa part de responsabilité.

Les conducteurs ne sont pas interpellés par les conséquences physiques et

psychologiques qui peuvent être endurées mais sont interpellés par le malheur et la

tristesse qu’ils ont engendrés à leurs proches.

L’utilisation des émotions de tristesse et de culpabilité dans ce spot en misant

sur les effets techniques des images sans montrer des scènes de sang ou de

cadavres affectent plus les récepteurs en jouant sur la victimisation et l’imagerie

mentale induites par les images.

32

Image 1 : le choc de l’accident et le nombre de victime induite

Image 2 : la victime de la sécurité routière

Image 3 : une proche de la victime

33

II.2. La campagne de prévention du Sida Inpes (2015) :

La santé et le bien-être des individus occupent une place de plus en plus

grande dans les politiques publiques conduites par l’État. Les organismes publics,

chargés d’introduire une prise de conscience et instaurer et/ou modifier des

comportements jugés risqués, agissent par la production de textes réglementaires et

l’élaboration de campagnes de communication de santé publique.

L’objectif de la communication de la santé publique est de diffuser des

informations au grand public afin qu’ils adoptent des comportements bénéfiques

pour la santé. Ces campagnes sont nombreuses en France : tabac, alcool,

dépendance aux jeux, cancer, sida, etc.

L’épidémie du Sida est toujours très active malgré les avancées scientifiques

et la prise de conscience élevée auprès des citoyens. En 2014, 660024 personnes

ont encore découvert leur séropositivité et 5,325 millions de tests de dépistage au VIH

ont été réalisés dans les laboratoires d’analyse médicale. Après avoir augmenté en

2011, l’activité de dépistage marque un temps d’arrêt depuis trois ans. L’institut de

veille sanitaire (InVS) remarque que le dépistage généralisé du VIH montre ses

limites.

La première campagne nationale date de 1987 avec la ministre de la Santé

Michèle Barzach qui introduit la cause de prévention du Sida comme grande cause

nationale. Puis les campagnes se sont succédées, à raison de deux ou trois par an,

avec des budgets importants.

En 2015 et en s’appuyant sur les résultats des rapport de InVS, l’Inpes a lancé

une une campagne, avec l’appui du ministère chargé de la santé à l’occasion de la

journée mondiale contre le sida. L’axe de la campagne s’articule autour de la

responsabilisation et la confiance envers les autres et envers soi-même. La nouvelle

campagne incite au dépistage de la maladie ce qui permet de se protéger, protéger

les autres et procéder à une prise en charge médicale rapide.

24 https://www.sidaction.org/donnees-epidemiologiques-vihsida-france-2014 25 Ibid.

34

Le slogan de la campagne « Se faire dépister, c’est prendre soin de son

avenir » tente d’inscrire le dépistage comme un réflexe responsable pour toute

personne qui se projette à construire un projet de vie quels que soient sa situation,

son âge ou son origine.

Fiche technique des spots :

Durée du film : un spot de 40 secondes et 5 spots de 20 secondes chacun

Axe de communication : le dépistage un comportement responsable

Slogans de la campagne :

« Se faire dépister, c’est prendre soin de son avenir »

« Mon avenir, c’est aussi ma santé »

Fond sonore : des voix exprimant les avantages de procéder au dépistage

pour construire un projet

Traitement visuel :

Signature : Le logo de l’Insep

La Marianne (logo du gouvernement) avec la signature du

ministère des affaires sociales et de la santé.

Analyse du spot:

Les spots montrent des situations de vie mettant en scène des hommes et des

femmes de tous âges (jeunes et moins jeunes), à toutes étapes de la vie

(indépendance, situation amoureuse, devenir parent, engagement, etc) sans

discrimination en incluant des couples homosexuels et des couples de différentes

origines.

Ces situations ne sont pas des situations à risque, le but étant d’inscrire le

dépistage comme un comportement conscient de protection.

L’usage des termes « amoureux », « engagés », « prêts », « dignes de

confiance », « décidés », « indépendants », « responsables » renvoient à l’estime de

soi et au sentiment de confiance et de responsabilité.

35

Le cadrage sur les gains perçus du dépistage (stabilité, confiance,

responsabilité, etc) souligne l’importance de les mettre en avant dans le cadre d’une

communication persuasive. Le cadrage empreint d’émotions de confiance et de

bonheur (le bonheur de construire dans la durabilité) distingue cette campagne des

émotions de peur et des images chocs pour tenter d’instaurer des comportements

bénéfiques pour la santé comme les relations protégées.

Image 4 : signature du spot de la prévention du sida

Image 5 : affiches déclinées des spots de la prévention du sida

36

Chapitre II-

Les émotions : axe de communication publique

De l’émotion à la création attitudinale et comportementale

Une émotion renvoie à ce qu'elle signifie. Et ce qu'elle signifie, c'est la totalité

des rapports de la réalité humaine au monde. Le passage à l'émotion est une

modification totale de «l'être-dans-le-monde». Sartre, 1963

Les campagnes de communication publique à vocation sociale et préventive

cherchent à modifier les attitudes envers les sujets traités et visent également à agir

sur les comportements.

Lors de l’élaboration des stratégies de communication, les acteurs publics

concernés élaborent les arguments de leurs messages en fonction de leur cible afin

de garantir l’effet escompté en s’appuyant sur des études comportementales,

rapports de spécialistes et recommandations des professionnels des domaines

concernés. Ces arguments, constituant l’essentiel du discours des acteurs, visent à

persuader le citoyen en combinant ou privilégiant l’un ou l’ensemble des trois

registres de persuasion définis par Aristote: l’Ethos (la crédibilité). Le Pathos

(l’émotionnel) et le Logos (la logique). Le Pathos constitue une technique

argumentative faisant appel au côté émotif du récepteur.

Les campagnes de prévention ont évolué. L'information et les statistiques ne

suffisent plus à entraîner un changement d'attitude ou de comportement. Les

analyses de la section 2 du chapitre précédant illustrent le basculement des

campagnes vers une argumentation avec des mises en scène basées sur la peur

afin de susciter des émotions chez les récepteurs. La majorité des campagnes de

prévention observées, de nos jours, exploite la persuasion basée sur les émotions

pour atteindre leurs objectifs.

37

Section I – Rôle des émotions dans l’efficacité des campagnes

de communication publique

« Sans émotions, pas de communication et sans communication, pas de

société. » Jacques Cosnier, 1994.

Aujourd’hui, les émotions sont partout. Elles envahissent l’espace public et

jouent un rôle important dans la scène politique. Elles sont de plus en plus

présentent dans les médias, les discours, les débats et les campagnes électorales.

Les émotions se sont inscrites dans le paysage public et l’intérêt de leur usage

ne cessera d’évoluer au cours des prochaines décennies. Les communicants ont

recours aux émotions pour attirer l’attention, entraîner l’implication ou suggérer un

comportement. De nombreuses études s’intéressent au rôle des émotions dans le

message public et à son influence sur le comportement du récepteur.

La question qui se pose, à ce stade, est relative à l’apport de la dimension

émotionnelle dans un message de communication publique à vocation sociale et

préventive. En effet, les émotions, comme supplément de sens, exercent une

influence sur la pensée et la prise de décision sur le récepteur. De ce fait, elles sont

considérées comme un moyen à disposition de l’émetteur (l’acteur public dans notre

étude) pour persuader les citoyens cibles.

Après la seconde guerre mondiale, l’école de Yale avait tenté de répondre aux

questions complexes posées par la persuasion en politique, en publicité et dans les

campagnes de prévention26. La persuasion, étant perçue comme un moyen efficace

pour produire des changements attitudinales et comportementales de la société, est

un processus complexe qui dépend de plusieurs variables.

I.1. Définitions des émotions :

Bloch27 (1985) présente l’émotion comme un état fonctionnel de l’organisme

qui implique une activation physiologique (réaction neuro-endocrine), un

comportement expressif (réactions neuromusculaires posturales et faciales) et une

expression subjective (sentiment). 26 Claude Chabrol,Miruna Radu « Psychologie de la communication et de la persuasion: Théories et applications » pp 14 27 Bloch, S., (1985) « Approches pluridisciplinaires de l’émotion, modèles effecteurs des émotions fondamentales : relations entre rythmes respiratoires, postures, expressions faciales et expressions subjectives », Bulletin de Psychologie, vol.39, N°377, pp 843- 846

38

Gouteron28 (1995) définit l’émotion comme une réaction passagère

désorganisant un état durable et soumise à des facteurs exogènes constituant une

réponse affective, momentanée, multiforme et plus au moins intense qui est due à un

facteur perturbateur et externe à l’individu.

Les émotions représentent un phénomène motivationnel avec des

caractéristiques neurophysiologiques et des composantes expressives et

d’expérience. Elles incluent des sentiments comme la joie, la jalousie, la peur, la rage

et l’enchantement (Hirschman et Holbrook29, 1982).

Patrick Charaudeau30 distingue entre la notion de « sentiment » et celle

d’émotion dans la mesure où la première semble davantage liée à l’ordre de la

morale, alors que la seconde serait plutôt liée à l’ordre du sensible. Pour cet auteur,

les émotions émanent d’un sujet, orientées vers un objet « imaginé » parce que cet

objet est arraché à la réalité pour devenir un « réel » signifiant, le rapport entre ce

sujet et cet objet se fait par la médiation de représentations.

I.2. La classification des émotions :

Shaver et al31. (1987) identifient six émotions primaires : l’amour, la joie, la

surprise, la colère, la tristesse et la peur. Ce classement est issu d’une étude portant

sur un questionnaire administré à 112 étudiants en psychologie en notant sur une

échelle de 1 à 4 les connotations émotionnelles. Cosnier32, en 1994, a proposé un

modèle hiérarchique des émotions. Les six classes d’émotions sont composées

d’une émotion principale et d’émotions secondaires

Classe1 : l’amour

L'amour désigne une émotion d'affection et d'attachement envers un être, un

animal ou une chose qui pousse ceux qui le ressentent à rechercher une proximité

avec l'objet de cet amour et à adopter un comportement particulier (Wikipédia).

28 Gouteron, J., (1995) : « vers une connaissance des émotions en situations d’achat, application au marché du disque », Revue Française de Marketing, N° 152.pp 35- 48 29 Holbrook, MB. et Hirschman, E.C., (1982) ; « The Experiential Aspects of Consumption : Consumer Fantasies, Feelings and Fun », Journal of Consumer Research, Vol.9, N°2, pp 132- 140 30 Patrick Charaudeau,(2016) "Pathos et discours politique", in Rinn M. (coord.), Émotions et discours. L’usage des passions dans la langue, Presses universitaires de Rennes, Rennes, http://www.patrick-charaudeau.com/Pathos-et-discours-politique.html 31 Shaver, P., Schwartz, J., Kirson, D. et Cary, O., (1987) : « Emotion Knowledge : Further Exploration of a Prototype Approach » Journal of Personnality and Social Psychlogy, Vol 52, N°6, 1061- 1086 32 Cosnier Jacques, (1994), « Psycholgie des émotions et des sentiments » Paris, Retz, 175 p.

39

Intérêt, goût très vif manifesté par quelqu'un pour une catégorie de choses,

pour telle source de plaisir ou de satisfaction. (Larousse)

A cette classe, on peut ajouter les émotions de passion, compassion,

affection, attachement, etc.

Classe 2 : la joie

La joie est une émotion ou un sentiment de satisfaction spirituelle, plus ou

moins durable, qui emplit la totalité de la conscience. Elle se rapproche de ce qui

forme le bonheur. Elle se distingue des satisfactions liées au corps (les plaisirs), qui

n'affectent qu'une partie de la conscience. (Wikipédia)

Sentiment de plaisir, de bonheur intense, caractérisé par sa plénitude et sa

durée limitée, et éprouvé par quelqu'un dont une aspiration, un désir est satisfait ou

en voie de l'être. (Larousse)

Classe 3 : la surprise

La surprise est un état émotionnel provoqué par un événement inattendu ou

par une révélation allant à l'encontre de l'image qu'on se faisait d'une situation. Elle

est généralement brève, puis s'estompe ou laisse place à une autre émotion.

(Wikipédia).

État de quelqu'un qui est frappé par quelque chose d'inattendu. (Larousse)

Classe 4 : la colère

La colère est une émotion simple qui traduit l'insatisfaction. Elle est vécue à

l'égard de ce qu'on identifie, à tort ou à raison, comme étant "responsable" de notre

frustration. On éprouve donc de la colère envers "l'obstacle" à notre satisfaction.

(Wikipédia).

État affectif violent et passager, résultant du sentiment d'une agression, d'un

désagrément, traduisant un vif mécontentement et accompagné de réactions

brutales. (Larousse)

40

Classe 5 : la tristesse

La tristesse est une douleur émotionnelle associée, ou caractérisée par des

sentiments de désavantages, à une perte, au désespoir ou au chagrin. Un individu

triste fait face à un état léthargique et se replie face aux autres. Le pleur est souvent

une indication de la tristesse. (Wikipédia).

État de quelqu'un qui éprouve du chagrin, de la mélancolie ; affliction.

(Larousse)

Classe 6 : la peur

La peur est une émotion ressentie généralement en présence ou dans la

perspective d'un danger ou d'une menace. En d'autres termes, la peur est une

conséquence de l'analyse du danger et permet au sujet de le fuir ou de le combattre,

également connue sous le terme « réponse combat-fuite ». (Wikipédia).

Sentiment d'angoisse éprouvé en présence ou à la pensée d'un danger, réel

ou supposé, d'une menace (souvent dans avoir, faire peur) ; cette émotion éprouvée

dans certaines situations. (Larousse)

Amour Joie Surprise Colère Tristesse Peur

Aspiration Satisfaction Etonnement Irritation Désespoir Terreur

Affection Euphorie stupéfaction Exaspération Souffrance Panique

Compassion Fierté Frustration Honte Anxiété

Tendresse Espoir Jalousie Culpabilité Malaise

Passion Amusement Indignation Sympathie Frayeur

Désir Contentement Haine Pitié Crainte

Tableau 1: Classement des émotions (Shaver et al. 1987)

I.3.Différence entre émotion et attitude :

La communication publique préventive vise à modifier l’attitude ou/et le

comportement du récepteur. Elle concerne l’aspect cognitif et affectif de l’individu.

L’aspect affectif regroupe les émotions de différentes polarités (positives ou

négatives) et d’intensité variable (faible ou forte).

41

Les attitudes résument les évaluations (positives ou négatives), les réactions

émotionnelles et les prédispositions à agir vis-à-vis d’un objet ou d’une idée. Elles

sont forgées à partir des croyances de l’individu et peuvent s’accompagner d’une

émotion. Elles représentent des prédispositions plus ou moins favorables envers des

objets, phénomènes ou idées.

Les attitudes se forment à partir de plusieurs facteurs à savoir : la culture qui

est le résultat d’un processus de socialisation, la famille, la personnalité, l’expérience

et les sources d’information

Ce qui distingue les émotions des attitudes est le fait que les attitudes sont

une combinaison de plusieurs variables qui forment une prédisposition envers un

objet ou une idée alors que les émotions sont des résultats instantanés face à un

stimulus qui provoque une tension psychologique et physiologique.

Les attitudes se forment sur un long processus et sont mémorisées pour une

longue durée tandis que les émotions sont immédiates mais aussi mémorisables.

I.4. La communication publique et la communication persuasive :

L’intérêt de l’emploi des émotions dans la communication publique sociale

peut se justifier par sa valeur ajoutée au processus de mémorisation et surtout par

l’attention portée par les récepteurs lors de l’exposition aux messages.

L’efficacité de l’action publique dans le domaine de la communication pose un

réel enjeu surtout lorsqu’il s’agit de campagne d’intérêt général et d’ordre social et

préventif. L’absence d’indicateur d’évaluation fragilise la légitimité de la campagne.

Cette dernière vise à mettre en évidence la complexité des problèmes et tente

d’inciter l’adoption de comportements et d’attitudes qui semblent parfois

contraignants (limiter la vitesse, manger équilibré et sain, privilégier les transports en

commun, etc).

Pour des campagnes efficaces, les communicants publics empruntent les

méthodes de la communication marchande. Les messages publics sont censés agir

sur la formation des attitudes et des croyances, influencer les mécanismes de

décisions, former des représentations sociales et modifier les comportements.

42

La communication persuasive représente le système à travers lequel l’acteur

public tente d’orienter les comportements des citoyens de manière à ce que

l’émetteur public réalise ses objectifs (réduire la mortalité dans les routes, augmenter

la consommation des produits recyclables, stabiliser les contaminations de la grippe

aviaire, etc). Grâce au développement des moyens de communication, les citoyens

sont exposés aux dispositifs persuasifs élaborés par les acteurs publics.

Plusieurs variables influencent le mécanisme de la persuasion. Les études

académiques mettent en avant la motivation du récepteur à l’exposition au message,

son degré d’implication et son niveau de connaissance. Par exemple, dans le cadre

d’une campagne sur la prévention du cancer du sein, les caractéristiques

individuelles des récepteurs (cadre socioprofessionnel, ville, âge, etc), le niveau des

risques perçus (antécédents médicaux, cas dans la famille, etc) et l’effet affectif

produit par la campagne générant des émotions négatifs ou positifs (la peur et/ou

espoir) jouent un rôle déterminant dans la réceptivité du message par le récepteur.

Le niveau d’implication du récepteur déterminera son intention à adopter le

comportement préconisé (dépistage du cancer, visite chez le médecin, etc).

Ces variables sont essentielles à prendre en considération lors de

l’élaboration de la stratégie de la communication. Les études et enquêtent préalables

conditionnent le choix des axes de communication.

Les campagnes de communication publique à vocation sociale et préventive

visent les mêmes objectifs que la communication persuasive : agir sur les

dispositions attitudinales du récepteur en vue de produire un changement de

croyances, d’attitudes et de comportements. Les communicants publics peuvent

augmenter l’efficacité de leur campagne en s’inspirant des modèles de

communication persuasive.

43

Section II – Les mécanismes et outils de la communication

persuasive basées sur les émotions

Le principe de la communication persuasive dans le domaine public est d’agir

durablement sur les attitudes et les comportements des citoyens par leur adhésion

aux causes suite à différentes opérations et actions de communication ciblées et

continues.

II.1. Les mécanismes de la communication persuasive

Les acteurs publics peuvent recourir à l’un ou à plusieurs mécanismes de persuasion

suivants :

1.1 La persuasion informative :

Pour une meilleure compréhension du message, l’émetteur public essayera de

convaincre le citoyen avec des arguments rationnels et un message informatif. L’axe

de la communication se basera sur des résultats d’enquêtes et d’observations. On

peut citer l’exemple de la sécurité routière :

« En France, chaque année, plus de 1 000 personnes sont tuées dans des accidents

avec alcool »

« Une personne qui a bu, a 8.5 fois plus de risque d’être responsable d’un accident

mortel »

Image 6 : affiche sécurité routière – Alcool

Arguments citoyen informé message informatif

44

1.2 La persuasion mécaniste

Ce mécanisme de persuasion cherche à conditionner le comportement du

citoyen. Elle se base sur la répétition d’un message simple. C’est le phénomène du

matraquage qui influencera le processus d’adoption du comportement. L’exemple du

port de la ceinture de sécurité illustre parfaitement ce mécanisme. La répétition du

message dans les radios, les TV, les journaux TV et les affiches a facilité la

mémorisation de ce message.

« La ceinture sauve des vies »

« Tout le monde a mis sa ceinture ?»

Image 7 : affiche sécurité routière – ceinture de sécurité

Répétition citoyen conditionné message mécaniste

1.3 La persuasion intégrative

Le citoyen évolue dans un groupe social. Cet ensemble de personnes partage

des valeurs, des normes et des croyances auxquelles s’identifie chaque membre.

L’acteur public peut jouer sur ces valeurs pour introduire un comportement ou le

modifier en le conformant à l’une des valeurs partagées. Les campagnes pour des

villes propres tentent d’accentuer la norme de la préservation de la nature et le

respect de l’écologie.

La valeur de la conscience écologique influence considérablement une grande

partie des citoyens comme le démontre plusieurs sondages

45

Image 8 : affiche protection de l’environnement – gestion des déchets

Valeur citoyen conforme persuasion intégrative

1.4 La persuasion suggestive :

Ce mécanisme se base sur la dimension symbolique et émotionnelle du

récepteur. Il fait appel à la psychologie de l’individu en créant une tension, un

déséquilibre inconscient suite à l’exposition au message. Ce message peut

comporter des images, des discours ou des vidéos qui interpellent l’inconscient et

suscitent un désir de réduire cette tension. Le comportement préconisé par le

message apporte la solution pour le récepteur qui en l’adoptant retrouve son état

d’équilibre.

Image 9 : affiche sécurité routière – ceinture de sécurité

Emotion citoyen affectif persuasion suggestive

46

II.2. Les outils de la communication persuasive basée sur les émotions :

1. Image

L’image est définie comme une représentation bidimensionnelle comme la

photographie, l’illustration et les dessins.

L’image en tant qu’information visuelle facilite la mémorisation du message et

de l’information verbale. Elle peut être classée de la plus abstraite à la plus réelle.

Selon Barthes33, dans l'image proprement dite, la distinction du message

littéral et du message symbolique était opératoire ; on ne rencontre jamais (du moins

en publicité) une image littérale à l'état pur ; quand bien même accomplirait-on une

image entièrement « naïve », elle rejoindrait aussitôt le signe de la naïveté et se

compléterait d'un troisième message, symbolique.

Les images sont un outil mis à la disposition des communicants pour

accentuer la portée du message en véhiculant une représentation mémorisable et

visuelle. Les nouvelles technologies ont participé à la diversité et la multiplicité des

images : images synthétiques, naturelles, retouchées et imaginaires. On assiste à la

création de plusieurs univers.

Les images sont capables d’entraîner les gens dans une voie émotive, tandis

que le matériel textuel ou verbal les maintient dans une voie de pensée plus

rationnelle, plus logique et plus linéaire (Joffe Helene 34 2007).

Les campagnes de prévention se focalisaient au début sur des messages

textuels qui ont été remplacées par des messages visuels sociaux. Ceci prouve que

le volet informatif ne suffit pas pour attirer du public. Celui-ci cherche à être interpellé

par un message visuel et captif qui le capte devant l’avalanche des messages

auxquels fait face le citoyen.

33 Barthes Roland (1964), « Rhétorique de l'image » In: Communications, 4, 1964. pp. 40-51. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1964_num_4_1_1027 34 Joffe Helene, (2007) « Le pouvoir de l'image : persuasion, émotion et identification. », Diogène 1/2007 (n° 217) , p. 102-115 www.cairn.info/revue-diogene-2007-1-page-102.html

47

Images 10 et 11 : affiche sécurité routière – Le danger des téléphones en conduisant

2. Imagerie mentale

L’imagerie mentale est définie comme l’apparition en mémoire de travail d’une

ou de plusieurs entités ayant une réalité propre, résultant de l’activation, sous

l’impulsion d’un stimulus, d’un ou de plusieurs éléments d’information multi

sensorielle préalablement stockés en mémoire à long terme, et éventuellement de

leur combinaison les uns aux autres ou de leur intégration au stimulus. (Helme-

Guizon35, 1998).

L’imagerie mentale suscitée par un stimulus émotionnel ou symbolique peut

améliorer l’impact du message sur le récepteur. L’impact de l’imagerie mentale lors

de la mémorisation d’un message dépend de l’émotion contenue.

3. La communication narrative (le storytelling)

Le cerveau humain intègre mieux les histoires que l’exposé d’arguments

scientifiques. Les communicants l’avaient redécouvert au début des années 2000

avec la campagne de George Bush qui racontait le récit d’une fille d’une des victimes

du 11 septembre. Ce nouvel outil influe sur les croyances et agit sur les

comportements. Il est basé sur la narration qui joue sur les émotions des récepteurs

sans qu’ils ne s’en rendent compte.

Cet outil de communication est souvent assimilé à la sphère politique. Les

grands leaders de l’Histoire étaient d’excellents conteurs.

35 Marie-Laure Gavard-Perret et Agnès Helme-Guizon (2003) « L'imagerie mentale : Un concept à (re)découvrir pour ses apports en marketing », Recherche et Applications en Marketing, December 2003 http://ram.sagepub.com/content/18/4/59.short

48

Le storytelling, explique Salmon36, met en place des engrenages narratifs,

suivant lesquels les individus sont conduits à s’identifier à des modèles et à se

conformer à des protocoles.

L’identification aux personnages utilisés lors des campagnes de prévention

pourrait, par le mécanisme d’assimilation, accroître l’efficacité de la campagne et

induire les changements attitudinales et comportementales souhaités.

4. L’effet de cadrage des conséquences

Le concept de « l’effet de cadrage » trouve son origine dans le domaine de la

psychologie. On distingue trois types de cadrage dans la littérature : le cadrage des

attributs, le cadrage des situations de choix risqués et le cadrage d’une

conséquence.

Dans les campagnes de communication préventive, le message émis peut choisir

comme axe de communication les gains tirés en cas d’adoption du comportement

préconisé par l’émetteur public. Les conséquences du comportement peuvent

s’exprimer positivement (gain) ou négativement (risque). Prenant le cas d’une

campagne pour la sécurité routière :

Image 12 : affiche sécurité routière – l’alcool au volant

Une conséquence désirable pourra donc être le fait « de rentrer en vie », de «

vivre plus longtemps ». Une conséquence indésirable sera quant à elle le fait « de

perdre un membre », de « voir son corps changer », de « mourir plus jeune ». 36 Christian Salmon (2007), « Storytelling, la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits », Paris, La Découverte, p 17

49

Section III – Le cadre résumant le processus de

communication axé sur les émotions dans le cadre de notre étude :

Figure1 : le cadre de l’étude

50

Conclusion partie I :

Le pouvoir persuasif d’un message est déterminé par la stratégie et les techniques

communicationnelles déployées par l’émetteur.

La première partie de ce travail souligne le rôle de la communication publique sociale

et préventive dans l’éducation des citoyens par :

- L’éveil de la conscience collective envers un phénomène ou un enjeu d’ordre

social, sanitaire, économique ou sécuritaire (l’exemple de la sécurité routière)

- La conduite de changement attitudinal et comportemental de la société à

moyen et long terme comme l’adoption de réflexes écologiques et

environnementaux.

L’influence des campagnes de communication publique dépend de plusieurs

variables : culture, réglementation, environnement socio-économique, etc.

Le message de la communication est issu de l’étude des analyses, rapports et

statistiques. Le communicant public opte pour la stratégie en fonction de son objectif

et de l’étude des prédispositions du citoyen à la réception de la nature de

l’argumentation affective ou informative ou mécaniste (adoption du comportement

par le matraquage du message).

Les différents cas analysés dans le chapitre I soulignent l’importance de la nature

émotionnelle dans les campagnes publiques. La réaction émotionnelle déclenchée

par l’annonce (réaction aux images, la peur, le risque, etc) influence

considérablement la réponse des récepteurs.

Durant cette partie, une présentation théorique des concepts à travers une revue de

littérature met en exergue la complexité de la conception d’une campagne de

communication publique du fait que cette dernière fait appel à plusieurs théories et

écoles sociales, psychologiques, comportementales, économiques, politiques et

autres.

Le cadre présenté à la fin tente de résumer les principaux concepts étudiés ainsi que

les hypothèses d’étude.

51

Partie II-

La prévention de la radicalisation

entre communication sociale

et politique sécuritaire

--------------------------------------------------------

« Le terrorisme ne détruira pas la République française car c’est la République qui le

détruira. »

François Hollande s'exprime devant le Congrès

réuni à Versailles le 16 novembre 2015

52

Introduction Partie II

L’évolution de la stratégie de communication et de recrutement des réseaux

terroristes, qui mènent un djihad médiatique, a contraint les pouvoirs publics à

déployer des plans et des stratégies pour prévenir la radicalisation.

La propagande djihadiste s’est adaptée à l’ère du web 2.0. Elle investit les forums,

les réseaux sociaux et les applications de la téléphonie mobile, tout en s’appuyant

sur les canaux de diffusions traditionnelles. Les statistiques des jeunes radicalisés

soulignent l’ampleur du phénomène auquel fait face le gouvernement et la société et

l’efficacité de l’arsenal médiatique des réseaux terroristes.

En avril 2014, le gouvernement a adopté un plan national de lutte contre la

radicalisation violente et les filières djihadistes. Ce dispositif s’articule autour de 24

mesures entre renforcement des moyens et révision des textes législatifs et

réglementaires. Ce plan comporte, également, un volet sur la prévention de la

radicalisation et l’accompagnement des familles par l’information et la communication

des dangers de l’embrigadement.

A la suite des événements tragiques du début de l’année 2015, le

gouvernement a diffusé une campagne de communication visant à apporter un

contre discours aux messages des groupes terroristes pour dissuader les jeunes de

les rejoindre. Une deuxième campagne est lancée, en octobre 2015, ciblant les

parents, les proches et les amis des jeunes radicalisés afin de les inciter à les

signaler et éviter leur enrôlement dans la spirale du djihad.

Le chapitre 3 de ce mémoire, sera consacré à l’exposé du contexte de la

stratégie nationale du gouvernement dans sa lutte contre la radicalisation, ainsi

qu’aux principales conclusions des rapports d’experts ou d’organismes concernant le

phénomène et les profils des jeunes radicalisés. Ensuite, une présentation de la

campagne de communication du ministère de l’intérieur, dans ses deux phases, fera

l’objet d’une section de ce chapitre en essayant de définir les cibles, les axes de

communication et le plan média.

53

Le quatrième chapitre portera sur la recherche empirique menée dans le

cadre de ce mémoire. Il s’agira de déterminer les émotions déployées dans les

messages émis ainsi que les techniques de persuasion privilégiées dans la

conception de la campagne de communication. Deux entretiens de groupe effectués

avec une douzaine de personnes et une analyse sémantique des discours des

messages publicitaires permettront de faire un diagnostic de la prédisposition de la

communication de la prévention du ministère de l’intérieur à l’usage des émotions

dans un volet sécuritaire et confirmeront ou infirmeront les hypothèses issues de la

problématique du mémoire.

54

Chapitre III-

Le contexte de la radicalisation en France

Le terrorisme représente une menace permanente en Europe et en France tout

particulièrement. Les attentats perpétrés à Copenhague et Paris, en 2015, et tout

récemment à Bruxelles en 2016, soulignent l’ampleur de la menace. La radicalisation

apparaît comme le facteur commun dans les attaques terroristes commises à Paris.

Le Premier ministre Manuel Valls, dans son discours le 13 janvier 2015 devant

l’Assemblée nationale, annonce que « […] Les phénomènes de radicalisation sont

présents sur l'ensemble du territoire. Il faut donc agir partout ».

Le Parlement européen dans sa résolution du 25 novembre 2015 sur la

prévention de la radicalisation et du traitement et du recrutement de citoyens de

l’Union par les organisations terroristes :

- […] estime que la Commission européenne devrait appuyer et soutenir le

développement, par les États membres, d'une stratégie de communication

efficace et intensive sur la prévention de la radicalisation et du recrutement de

citoyens européens et de ressortissants de pays extérieurs à l'Union qui

résident dans l'Union par des organisations terroristes. (article4)

- […] demande à la Commission d'encourager les États membres à

entreprendre une campagne de communication pour sensibiliser les jeunes,

mais également le personnel encadrant, aux questions de radicalisation;

souligne que les formations ou les campagnes de sensibilisation doivent être

axées en priorité sur une intervention précoce, afin de protéger les individus et

de les détourner de tout risque de radicalisation. (article 31)

Ces positions gouvernementales et européennes prouvent que la prévention de

la radicalisation constitue un axe important dans la lutte contre les phénomènes de

radicalités et montrent que le volet de la communication joue un rôle important dans

la sensibilisation de la société.

55

Section I – L’évolution de la radicalisation en France et la

diversité des profils des radicalisés

La France est confrontée au basculement des jeunes dans l’engagement

radical. Le processus de la radicalisation n’est pas bien déterminé et analysé car il

dépend de plusieurs facteurs : économiques, sociaux, culturels et psychologiques. Il

se construit suivant des étapes pouvant conduire à la violence et touche, souvent

des jeunes vulnérables au phénomène de l’emprise mentale.

Le parcours de la radicalisation de ces jeunes est un drame pour les familles

et proches. Ces derniers sont pris sous l’influence de la propagande djihadiste qui

s’appuie sur des réseaux de communication répandus auprès des jeunes.

Les services des renseignements estiment que le nombre de Français partis

faire le djihad en Syrie s’élève à 1800 dont 126 morts sur place (soit un djihadiste

français sur 7 est décédé). Ils signalent que 290 jeunes sont revenus dont certains

sont incarcérés. Le nombre de Français partis en Syrie a augmenté de 74% en 2014

et ce chiffre ne cesse de croître.

I.1. Les indicateurs de la radicalisation

La radicalisation est un processus progressif qui requiert une adhésion à une

idéologie extrémiste et l’adoption d’attitudes et de comportements violents.

La radicalisation ne peut se manifester que sur un faisceau d’indicateurs. Ces

derniers peuvent être de plusieurs natures : apparences physiques, tenues

vestimentaires, attitudes agressives envers les autres, propos antisémites, ruptures

avec les amis et la famille, pratiques religieuses très ritualisées, etc.

Un groupe de travail interministériel piloté par le Secrétariat général du Comité

interministériel de prévention de la délinquance et constitué par des services des

ministères de l’intérieur, de la justice, de l’éducation nationale, des affaires sociales

et de la santé, de la ville, de la jeunesse et des sports et de la Mission

interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES) a

dressé un ensemble d’indicateurs de basculement divisé entre indicateurs forts et

indicateurs faibles.

56

Les indicateurs de la radicalisation ont à la fois trait à la personnalité de

l’individu, son milieu de vie, son rapport et sa place avec la société, son parcours de

vie (études, travail, relations, etc.) et ses antécédents juridiques. L’annexe A résume

les indicateurs recensés par le groupe de travail en fonction de leur nature et de

leurs degrés.

L’usage de ces indicateurs doit être maîtrisé afin d’éviter les amalgames et de

confondre les pratiques cultuelles et les cas d’enrôlement. La présence d’un

indicateur ne signifie pas que la personne est en cours de radicalisation. La présence

de plusieurs indicateurs peut indiquer, qu’éventuellement, l’individu est en cours

d’embrigadement.

I.2. Le dispositif de lutte contre la radicalisation en France

Le plan national de lutte contre la radicalisation lancé par la circulaire du

29/04/2014 a définit les missions du centre national d’assistance et de prévention de

la radicalisation (numéro vert) afin d’endiguer le départ des jeunes en Syrie. Ce

centre s’articule autour d’une plate forme téléphonique permettant de signaler des

cas de jeunes non détectés par les services de renseignement. Ce centre s’appuie

sur les préfectures de département qui sont appelées à constituer des cellules

d’accompagnement des familles. Selon les derniers chiffres officiels, 3 14237

personnes ont fait l’objet d’un signalement par leurs proches ou par les services

publics. Les figures ci-dessous résument les caractéristiques des individus signalés.

Figure 2 : Profil des cas signalés38

37http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/03/26/les-nouveaux-chiffres-de-la radicalisation_4602011_1653578.html 38http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/03/26/les-nouveaux-chiffres-de-la radicalisation_4602011_1653578.html

57

Figure 3 : Profil par tranche d’âge39

La circulaire du 25/06/2014 est axée sur la coopération des services de l’État

(Intérieur et Justice notamment) pour renforcer les échanges de données

La Loi du 13/11/14 renforce les dispositions de lutte contre le terrorisme

(interdiction de sortie de territoire pour les majeurs notamment).

Le 28 janvier 2015, le gouvernement lance le site internet: Stop-

djihadisme.gouv.fr et entame une campagne de communication avec un spot vidéo

diffusé sur les réseaux sociaux et sur internet avec une campagne d’affichage en

préfecture et dans les services de l’État pour l’information des usagers dans le but de

faire connaître le numéro vert de signalement.

Le 24 juin 2015, le Parlement adopte la loi sur les renseignements qui permet

de renforcer les moyens d’action des services de renseignement tout en protégeant

les Français dans le respect des libertés.

Le 7 octobre 2015, le gouvernement lance une nouvelle campagne de

communication ciblant les proches des jeunes radicalisés et vise à les sensibiliser au

départ des jeunes en Syrie.

39 http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/03/26/les-nouveaux-chiffres-de-la-radicalisation_4602011_1653578.html

58

I.3. Le profil des jeunes radicalisés

L’idée répandue et véhiculée par les médias est que le portrait de jeunes

Français candidats à la radicalisation est souvent celui de jeunes issus d’un

environnement social et familial fragile. Alors que les derniers rapports établis à partir

des signalements et entretiens avec les familles des jeunes victimes d’enrôlement

montrent qu’ils proviennent de milieux divers.

Le rapport de Donia Bouzzar permet de dresser les caractéristiques des

profils ciblés par le message djihadiste :

a. Les femmes : nouvelle cible des recruteurs radicaux

« Entre octobre 2013 et octobre 2015, la proportion de femmes parmi les

Français ayant rejoint la Syrie est passée de 12 % à 35 %, tandis que le flux de

départs des hommes fléchissait légèrement » (le Figaro40 2016).

Le nombre de jeunes filles radicalisées signalées en France représente 850

personnes alors que les statistiques parlent de 53 adolescentes françaises en Syrie.

Le discours des groupes radicaux est axé sur les causes humanitaires et sur

le rêve de fonder une famille avec un prince courageux et juste.

Image 13, 14 et 15 : Images véhiculées par les réseaux terroristes

b. Des jeunes entre 15-21 ans :

C'est la tranche la plus touchée: 63% des candidats au djihad recensés dans

les familles interviewées. Les jeunes entre 21-28 ans représentent 37%. Les

rapports pointent, aussi, que : 5% des jeunes radicalisés seulement ont commis des

petites délinquances et que 40% d'entre eux ont connu la dépression.

40 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/03/05/01016-20160305ARTFIG00121-deux-mineures-radicalisees-activement-recherchees-par-la-gendarmerie.php

59

La fragilité psychologique des jeunes en voie de radicalisation facilite leur

endoctrinement ce qui les présentent comme une cible privilégiée des recruteurs.

Ces jeunes, en perte de repères et de sens de vie sont fascinés par les

messages du «chevalier héroïque», du « sauveur » au nom d' «une cause

humanitaire», du «commandant» pour ceux qui rêvent de diriger des groupes, « du

jeu virtuel en dimension réelle » comme dans les jeux vidéos de guerre «Call of

duty», «Assassin's Creed» et autres.

Image 16 et 17 : Images véhiculées par les réseaux terroristes

c. Toutes les classes socioprofessionnelles sont touchées :

Le discours d’embrigadement touche toutes les classes sociales. Le rapport

montre que 67 % des jeunes interrogés sont issus des classes moyennes, 17%

appartiennent à la classe supérieure alors que seulement 16% sont issus du milieu

populaire. Le processus de radicalisation peut concerner des jeunes scolarisés dans

des grandes écoles ou des jeunes en pleine réussite et ascension sociale.

d. Des familles de cultures diverses :

Dans le rapport de l’anthropologue Donia Bouzzar, on peut noter que 80 %

des familles interrogées sont de référence athée, 20 % sont bouddhiste, juive,

catholique ou musulmane. Des faits dramatiques ont touché les jeunes au cours de

leur enfance ou ont grandi avec des éléments historiques handicapants ou honteux.

Le discours d’enrôlement vise cette fragilité en véhiculant l’image d’un

marginal de la société qui est différent car il était un « élu de dieu pour sauver le

monde ».

60

Le rapport de la chercheuse est important pour identifier toutes les cibles du

discours d’endoctrinement afin de préparer les contre-discours adéquats.

Néanmoins, ce rapport présente une limite considérable à savoir que les résultats ne

peuvent être généralisés. En effet, les signalements des cas d’embrigadement ne

sont pas systématiques et concernèrent, souvent, des familles des classes

moyennes et des supérieures qui se préoccupent plus de leurs proches alors que les

jeunes radicalisés des milieux populaires sont difficilement repérables.

I.4. Le processus de radicalisation :

La radicalisation relève d’un processus d’emprise mentale. L’espace virtuel et

Internet ont permis un accès direct aux jeunes, en quelques clics, tout en effaçant les

barrières des langues, de l’espace et du temps. Ils représentent un moyen de

communication privilégié pour accéder aux subconscients des victimes tout en

personnalisant l’offre de la radicalisation.

Les réseaux terroristes adaptent leurs messages d’embrigadement en fonction

de la victime en face de son ordinateur sans le moindre soupçon de ses proches. Sur

Facebook, Youtube, Twitter et autres applications, les recruteurs des jeunes usent

des meilleures techniques visuelles pour attirer, séduire et persuader les victimes de

les rejoindre en déployant des arguments personnalisés.

Le processus de radicalisation se poursuit par une rupture rapide avec le

milieu familier et s’accompagne rapidement d’un changement de comportement.

Figure 4: Les canaux de la propagande terroristes pour le recrutement41

41 Courrier international « hors-série » (octobre 2015) : « Daech : la menace planétaire »

61

Section II – La campagne de communication publique « stop

djihadisme »

II.1. Campagne janvier 2015

Le 28 janvier 2015, trois semaines après l’attaque de Charlie Hebdo, le

gouvernement a mis en ligne une plateforme « stop-djihadisme » comprenant des

vidéos et des articles en vue d’apporter un contre discours à la propagande

terroriste.

La vidéo diffusée sur Youtube, Dailymotion et autres réseaux sociaux cible les

jeunes qui sont en voie de radicalisation sur internet. Cette vidéo de deux minutes,

interdite au moins de 12 ans, reprend les codes de la propagande du groupe

terroriste.

Image 18 : capture écran du film de prévention de la radicalisation

Le film débute avec la prise de contact sur Facebook entre le jeune et le

groupe terroriste et ce qui s’ensuit d’échanges et de l’enrôlement dans un espace

virtuel en décrivant les techniques utilisées par le groupe terroriste comme les

images, les jeux vidéo et le discours.

Une série d’images en couleurs défile ensuite avec les arguments et discours

des groupes terroristes en fonction des cibles (aide humanitaire, cause juste, fonder

une famille, vivre en héros et sauver des enfants). Ces images en couleurs sont

extraites des vidéos de propagandes diffusées par les groupes terroristes pour

recruter des jeunes djihadistes. Elles sont entrecoupées par des images en noir et

blanc reflétant la réalité en Syrie (massacres, chaos, crimes, guerres, misère, etc.)

avec un discours décrivant la situation réelle qui attendrait les jeunes. Chaque

62

argument utilisé par les terroristes est démenti un par un à travers les vérités

dévoilées.

Le film se termine par le slogan de la campagne ainsi que le mot-dièse qui se

réfère au site gouvernemental #stop-djihadisme et le logo du gouvernement.

Image 19: capture écran sur la signature de la campagne de la prévention de la radicalisation

Fiche technique du spot :

Durée du film : 1 minute et 55 secondes

Axe de communication : le contre-discours

Annonceur : le gouvernement français

Slogans de la campagne :

"Les discours d'embrigadement djihadistes font chaque jour de nouvelles

victimes"

Fond sonore : une composition musicale pour chaque univers d’image.

Pour la phase de recrutement, on entend les cliques.

Pour les images en couleur, un fond de musique de guerre médiévale.

Pour les images en noir et blanc, un fond de musique de désastre.

Traitement visuel : alternances d’images en couleur et autres en noir et blanc

avec des messages écrits sur chaque séquence.

Signature : La Marianne (logo du gouvernement)

Canaux de diffusion : les réseaux sociaux et internet

Cible du film : les jeunes devant leurs écrans mais aussi les proches pour

prendre conscience du processus de radicalisation.

63

Synopsis :

Plan 0 :

Plan 1 : "Ils te disent: Sacrifie-toi à nos côtés, tu défendras une cause juste"

"En réalité, tu découvriras l'enfer sur terre et mourras seul, loin de chez toi"

Plan 2 : "Ils te disent: Viens fonder une famille avec l'un de nos héros.

"En réalité, tu élèveras tes enfants dans la guerre et la terreur"

Plan 3 : "Ils te disent: Rejoins-nous et viens aider les enfants syriens.

"En réalité, tu seras complice de massacres de civils"

Plan 4 : "Ils te disent: tu vis dans un monde de mécréants impurs, la vérité est ici.

"En réalité, comme seule vérité, tu découvriras l’horreur et la tromperie"

"Les discours d'embrigadement djihadistes font chaque jour de nouvelles

victimes",

#stopdjihadisme.

II.2. Campagne octobre 2015:

Suite aux attentats de novembre 2015, le gouvernement lance le 7 octobre

une nouvelle campagne de communication qui vise les parents et les proches des

jeunes en voie de radicalisation afin de les sensibiliser au phénomène qui peut

toucher toutes les familles. Cette campagne comporte 4 spots diffusés sur les

chaînes TV.

Les spots représentent un témoignage de proches de jeunes victimes

radicalisées parties faire le djihad en Syrie. Les proches sont issus de milieux

sociaux différents et variés (Véronique et son fils joyeux, Sahila et son petit Sabri,

Baptiste et sa fille chérie et enfin Jonathan et sa petite sœur). Chaque victime

raconte son drame et ce qui l’avait marqué afin de sensibiliser l’opinion publique et

64

de les inciter à signaler leurs proches pour leur épargner les drames de la guerre et

les aider.

Fiche technique du spot :

Durée du film : 4 spots d’une minute et 30 secondes chacun.

Annonceur : le ministère de l’Intérieur français

Axe de communication : ce drame peut arriver à tout le monde

Slogans de la campagne : « Vous êtes touchés par ce drame, vous n’êtes

plus seul. Appelez le 0800 005 696 »

Fond sonore : un témoignage sobre et direct sans retouche

Traitement visuel : vidéo sans retouche

Signature : La Marianne (logo du gouvernement)

Canaux de diffusion : les chaînes TV et les réseaux sociaux

Cible du film : les proches et familles des jeunes

Synopsis : Voir annexe B

65

Chapitre IV-

Etude de la campagne Stop djihadisme

Section I - Méthodologie de recherche

I.I. : Recherche qualitative :

Cette section explique le choix méthodologique de notre recherche. Nous

présenterons la méthode de recherche, la méthode de collecte des informations, le

choix de l’échantillon, la préparation du guide d’entretien, l’administration des

entrevues et les techniques d’analyse.

I-1- Choix de la méthode de recherche

Dans notre recherche, après avoir présenté l’usage des émotions dans les

campagnes de communication publique dans les précédents chapitres, nous

tenterons d’identifier la nature des émotions utilisées dans la campagne de

prévention de la radicalisation et les techniques de persuasion déployées par les

communicants. Pour ce faire, nous avons opté pour une recherche qualitative.

Contrairement à la recherche quantitative qui cherche souvent à tout résumer en

chiffres, la recherche qualitative permet de répondre à des questions d’un autre

ordre, comme le pourquoi et le comment des choses (Duhaime et Landry, 1995)42.

Donc, la recherche qualitative permet l’étude en profondeur d’un phénomène par la

collecte de données permettant la compréhension des attitudes et des motivations

des individus. Les techniques les plus répandues pour la recherche qualitative sont

les entretiens individuels ou les entretiens de groupes (focus group).

La définition de l’analyse qualitative donnée par Kirk et Miller43 (1986) permet de

justifier en partie le choix de cette méthode pour notre étude : « techniquement, une

observation qualitative identifie la présence ou l’absence de quelque chose

contrairement à l’observation quantitative qui implique de mesurer le degré de

présence d’une caractéristique ».

42 DUHAIME, C.P, LANDRY S. (1995) « Quand les ciseaux font place à l’ordinateur », Revue de Gestion, vol 20, N° 4

43 Kirk Jerome et Miller Marc L. (1986), « Reliability and Validity in Qualitative Research », SAGE Publications, 1986 - 87 pages

66

I-2- Méthode de collecte des données :

Les entretiens de groupe représentent la technique la plus répandue dans les

études qualitatives. Ils permettent de collecter des données tout en écoutant un

groupe d’individus échanger librement. L’intérêt majeur de cette technique est de

dégager des résultats non observables ou de faire émerger des informations

nouvelles. Le groupe est dirigé par un animateur qui veille à la bonne conduite de la

séance en établissant une bonne communication entre les participants et faire

progresser la discussion suivant les objectifs poursuivis.

Un groupe est généralement composé de huit à douze personnes appartenant à

la cible et présentant une expérience intéressante par rapport à la question à étudier.

Un nombre inférieur à huit personnes est insuffisant pour créer une dynamique de

groupe ; supérieur à douze personnes, il risque d’empêcher une discussion

cohérente et naturelle44.

L’avantage majeur de cette méthode réside dans l’interaction du groupe qui

permet de favoriser l’émergence des opinions, attitudes et avis comme une réaction

en chaîne.

Les avantages de cette méthode sont :

- Gain de temps : réunir 8 à 10 individus permet de réduire la durée du

temps à consacrer aux entrevues et observations ;

- Échange dynamique : les discussions de groupe favorisent les débats sur

des opinions contradictoires et l’approfondissement des idées exprimées et

dépasser les tabous ;

- La représentativité des individus ne répond à aucun critère scientifique

contraignant ce qui accélère la collecte des données.

-

Néanmoins comme toute technique de collecte de données, les entretiens de

groupes ont des limites à savoir :

44 Ebenkamp B.,(2001) « The Focus Group Has Spoken », Brand Week, 42, p. 17, 23 avril 2001. Fern E.F., Advanced Focus Group Research, Sage Publications, 2001.

67

- L’analyse des données est plus complexe que l’analyse des données

quantitatives ;

- Risque de blocage ou de domination de certains participants ;

- Les résultats ne peuvent pas être généralisés.

I-3- Choix des répondants

Pour avoir les réponses sur les questions de recherche les plus pertinentes

possibles, il faudrait interroger deux groupes d’individus de milieux divers.

Comme il s’agit d’une recherche qualitative, il n’y a pas de règles strictes

concernant la taille des groupes. Le but des entretiens est de collecter le maximum

d’information et d’opinions. Vu le temps qui nous a été imparti, notre échantillon sera

composé de 2 groupes comprenant chacun 8 individus.

La composition des groupes : (voir annexe C)

Pour le groupe 1 : le choix s’est porté sur huit jeunes volontaires entre 15 ans

et 22 ans issus de la banlieue parisienne car ils représentent le cœur de cible

directement concernées par la problématique de notre recherche et que les

messages de prévention de la radicalisation leurs sont destinés. Ils sont la première

cible des groupes terroristes, ils peuvent nous fournir les informations nécessaires

pour dégager la nature des émotions dégagées par les spots vidéo et les confronter

aux techniques utilisées lors de la deuxième phase de l’étude empirique.

Pour le groupe 2 : le choix s’est porté sur huit élèves du cycle international

long et master de communication des institutions publiques volontaires vu que leurs

profils correspondent aux décideurs et concepteurs de la campagne de

communication publique. Ils peuvent nous fournir les informations nécessaires pour

dégager la nature des émotions dégagées et analyser les techniques utilisées.

I-4- Guide d’entretien

Le guide d’entretien 45 se compose de questions liées aux thèmes abordés par la

problématique de ce mémoire.

45 Le guide d’entretien est disponible en annexe D

68

Les questions ont été structurées de manière à convenir à tous les participants.

Ces derniers peuvent aller au-delà des questions principales qui servent de grands

points de repères.

I-5- Administration des entretiens

Les entretiens de groupe ont été réalisés le 3 mai 2016 pour le groupe 1 à Paris

et le 15 avril 2016 à Strasbourg pour le groupe 2.

Les entretiens de groupe ont duré entre 1 heure et 1 heure 30 minutes

chacun. Dans un premier temps, nous avons opté pour une présentation du sujet,

son importance et son apport à la lutte contre la radicalisation avec une projection

des deux campagnes de communication (spots publicitaires).

Dans un deuxième temps, le déroulement des réunions de groupe s’est basé

sur la grille d’entretien dans un style interactif qui favorise la discussion et les

échanges entre les participants et la collecte des informations pour traiter tous les

aspects du sujet et s’assurer que les objectifs poursuivis ont été atteint.

Les propos ont été retranscrits dans un bloc note, le recours à l’enregistrement

vidéo a été évité pour éviter les réticences qu’auraient pu exprimer les participants.

Notre objectif est de vérifier la nature des émotions dégagées par le message

visuel et par le discours utilisé ainsi que de déterminer les techniques utilisées.

I-6- Méthode d’analyse

Les réunions accomplis, les entretiens ont été retranscrits. Les propos des

participants ont été rapportés parfois textuellement, parfois en enlevant ceux qui sont

jugés inutiles pour ne conserver que l’essentiel.

La lecture des entretiens va être décrite et expliquée la construction de la grille

d’analyse46. Elle a été construite après avoir élaboré une première grille trop

générale, traduisant tous les détails issus des entretiens et rendant difficile le

passage à un travail analytique. Sa mise en place a facilité le dégagement des

grands volets faisant l’objet de l’interprétation et de l’analyse.

46 La grille d’analyse générale est disponible en annexe E

69

L’interprétation des résultats se décompose en 3 grands volets :

Volet 1 : La nature des émotions

Pour dégager la nature des émotions des récepteurs, on a eu recours aux questions

suivantes :

Que ressentez vous en regardant ces vidéos ?

Quels sont les objectifs de la diffusion de ces vidéos à votre avis ?

Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces

messages ?

Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées

Est-ce que la présentation des conséquences du départ des jeunes en Syrie

décrites par les parents vous paraît pertinente et pourquoi?

Qu’est ce que les récits des parents suscitent en vous ?

Comment jugez-vous les images utilisées pour contredire la communication de

recrutement des djihadistes ?

Volet 3 : Impact des discours

Qu’est ce qui vous a marqué dans le discours du spot de recrutement ?

Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au

phénomène de la radicalisation ?

Quelle campagne vous a le plus marqué et pourquoi ?

La grille d’analyse établie résume les réponses et propositions des répondants

aux principaux thèmes du guide d’entretien.

Concernant l’interprétation des réponses, nous avons opté pour la méthode

d’analyse de contenu. Cette méthode est généralement utilisée pour analyser les

discours, les articles de presse et les entretiens. Il existe trois méthodes utilisées en

analyse de contenu47 :

47 EVARD, Y ; PRAS, B ; ROUX, E ; (1997) « Market, Etudes et recherches en marketing », Fondement, Méthode, 2éme édition Nathan

70

Types d’analyse Exemple d’indicateur

Analyse Syntaxique Structure de discours

Exp : temps et mode des verbes

Analyse Lexicale Nature et richesse des verbes

Exp : fréquence d’apparition des mots

Analyse thématique Découpage par thème et fréquence

d’apparition

Tableau 2 : méthodes d’analyse de contenu

Dans notre recherche, on a opté pour l’analyse thématique, puisqu’elle est la

plus appropriée à ses objectifs. En effet, on a découpé les entretiens en thèmes.

I.II. Analyse sémiologique

La sémiologie est une discipline mixte, elle englobe la philosophie, la

linguistique, la sociologie, la psychologie cognitive, l’anthropologie et les sciences de

communication. Il n’existe pas une seule école en sémiologie. En fait, plusieurs

auteurs se complètent par leurs approches de la discipline dont on peut citer: Eco,

Lévi-Strauss, Barthes, Metz et autres. Roland Barthes est l’initiateur de la sémiologie

de la publicité.

Pour mieux répondre à la problématique de la recherche, on va procéder à une

confrontation des résultats des entretiens de groupes et de l’analyse sémiologique.

La sémiologie est la science qui étudie les signes à la fois verbaux et non verbaux.

Ferdinand de Saussure48 l’avait définie comme : « une science qui étudie la vie des

signes au sein de la vie sociale (…) nous la nommerons sémiologie ».

48 https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9miologie

71

Section II - Analyse des résultats

II.I. Phase 1 : focus group

Cette section présente les résultats de la recherche pour chacun des volets

cités ci-dessus, chaque volet sera divisé en un ensemble de thèmes.

a. le volet 1 : la nature des émotions

Thème 1 : Les ressentis de l’exposition aux spots

Les répondants sont unanimes sur le danger de la radicalisation. Ces spots

déclenchent chez eux une crainte et une peur de se retrouver un jour victime de ce

fléau. À travers la grille d’analyse, on remarque la convergence des réponses

concernant les vidéos des familles des jeunes radicalisés. Ils sont frappés par le

malheur et la tristesse des proches et ne souhaitent pas voir leurs parents dans des

situations pareilles. Dans plusieurs cas, on fait face à l’utilisation des mêmes termes

pour exprimer les émotions ressenties.

Les principales émotions évoquées par l’ensemble des participants sont les

suivantes :

- La peur : à l’analyse des propos des participants, on peut déduire que la

peur ressentie est plus intense par rapport aux vidéos des témoignages des

familles que celle destinée à dissuader les jeunes de ne pas sombrer dans

le discours d’endoctrinement. Ils sont unanimes sur le fait que la peur induite

par les propos de familles est plus réelle et plus touchante que le montage

des images des zones de guerre.

Les jeunes du groupe 1 expriment leur peur par rapport aux spots des

familles car ils ne savent pas si leurs proches (frères, cousins, amis et

autres) sont exposés ou pas à ces dangers et ils craignent que même ceux

qui sont considérés comme épargnés puissent être la cible de ces groupes.

Le spot des scènes de chaos n’a pas soulevé la peur auprès des deux

groupes qui le considèrent comme une compilation d’images diffusées lors

des journaux télévisés ;

- La tristesse : la majorité des participants étaient tristes de voir des vies et

des familles détruites par ce phénomène. Les spots des familles ont

72

provoqué une atmosphère emplie de peine et de compassion alors que

l’autre spot n’a suscité que peu de réaction de peine ;

- La colère : la majorité des répondants assure que les propos des familles

des jeunes partis au djihad les ont mis en colère envers ce fléau et envers

les institutions publiques qui n’arrivent pas à empêcher de tels drames.

Suite des échanges, ils révisent leur colère et partagent que ni la famille ni

les organismes publics ne peuvent prévenir le départ de ces jeunes.

La colère s’estompe avec les échanges et se limitent à une colère envers

les jeunes partis qui ne réalisent pas la peine qu’ils causent à leurs proches.

Le groupe 2 des élèves du Cil est mitigé entre une colère envers les parents

qui ne surveillent pas de près leurs enfants et une incompréhension de ces

jeunes partis faire le djihad. Ils n’arrivent pas à cerner leurs motivations.

Quelques participants du groupe 1 (des jeunes franciliens) maintiennent la

responsabilité de l’État concernant ces drames et ne comprennent pas

comment les autorités n’avaient pas pu observer les prémices ;

- La surprise : les répondants sont surpris de découvrir le processus rapide

et discret de la radicalisation décrit par les témoignages des proches ainsi

que la facilité d’aborder les jeunes via les réseaux sociaux exposée par le

spot d’endoctrinement. Le groupe 2 (des Cils) exprime un choc ressenti par

ce processus. Ils ont souvent suivi les affaires de radicalisation dans les

médias mais n’ont jamais été exposé au processus d’endoctrinement qu’ils

décrivent comme dangereux car les jeunes de nos jours sont constamment

connectés à leur ordinateurs et aux espaces virtuels.

Le groupe 1 (des jeunes de la banlieue) est plutôt surpris de l’impact des

départs sur les parents et de la diversité des profils des jeunes partis au

djihad. Ils pensaient que le phénomène ne concernait que les familles de

confession musulmane ou issues de l’immigration.

La majorité d’entre eux déclarent ne pas être surprise par les méthodes de

recrutement décrites dans les spots ni par la discrétion des jeunes qui usent

de méthodes de dissimulation bien connues induisant leurs proches en

erreur ;

73

- Un étonnement : le groupe 1 était dans son ensemble étonné par le spot

de recrutement réalisé pour dissuader les jeunes de partir. Ils affirment que

les images ne choquent pas et que les réseaux sociaux abondent d’images

plus atroces de guerre. Ils s’interrogent sur le degré de conscience des

autorités émettrices de la vidéo concernant les contenus partagés sur la

toile (internet).

Ils ajoutent aussi que les arguments avancés pour contredire le discours

d’embrigadement sont creux et vides et n’ont aucun effet sur les jeunes en

voie de radicalisation car selon eux : qui garantit la véracité des arguments

des institutions publiques sachant que les sources d’information sont

diverses et que la confiance accordée à la parole étatique est fortement

contestée par les jeunes de 15 à 22 ans.

Thème 2 : Les objectifs des spots

Les deux groupes sont unanimes sur la portée et l’objectif des spots diffusés. Ils

pensent que l’opinion publique est très peu alertée sur la gravité du phénomène.

Même si les médias et les émissions TV traitent de ces sujets à longueur de journée

surtout après les attentats, le profil des victimes ainsi que le processus restent

méconnus par la plupart.

- Une prise de conscience: Les répondants voient que ces spots aident les

citoyens à mieux cerner les contours de la radicalisation en exposant le profil

des jeunes en proie à la radicalisation, les arguments déployés (même si la

majorité partagent que les contre-arguments ne sont pas valables pour les

jeunes en voie d’enrôlement) ainsi que le processus de radicalisation qui

débute dans la chambre même du jeune et dans son environnement le plus

proche (ordinateur, téléphone et réseaux virtuels)

- Un changement d’attitude : le groupe 1 exprime un léger soulagement car il

pensait que la radicalisation se limitait aux jeunes des cités quand même ceux

appartenant aux classes moyennes et aisées peuvent succomber à

l’extrémisme religieux. Quelques uns du groupe 2 précisent que ces spots leur

ont donnée d’autres idées concernant le phénomène.

74

- Une incitation à agir : les jeunes du groupe 1 déclarent que ce qu’ils ont

sentis durant les spots les incitera à faire plus attention autour d’eux pour venir

en aide à des amis qui pourraient être victimes de radicalisation et de

surveiller de plus près les comportements suspects et alerter l’école ou la

famille du concerné en cas de doute. Les participants du groupe 2 voient qu’il

est plutôt urgent de surveiller le temps passé par les jeunes sur les réseaux

sociaux car c’est la porte d’entrée de la radicalisation.

Thème 3 : L’usage des émotions :

Les deux groupes sont conscients que les deux campagnes ont suscité en eux

plusieurs émotions. Ils voient que c’est le meilleur moyen de les toucher et d’attirer

leur attention. Ils sont unanimes que seuls la peur et la tristesse sont capables de les

pousser à réfléchir. Quelques uns ont été surpris de la qualité médiocre, selon eux,

du spot gouvernemental qui emprunte les codes des vidéos des terroristes sans

pour autant réussir à les contredire.

b. le volet 2 : les techniques de persuasion utilisées

Thème 4: Le cadrage des conséquences

Le groupe de jeunes de la banlieue se rend compte du fait que montrer la tristesse

des parents et leur désarroi pourraient avoir un impact sur la décision des jeunes qui

souhaiteraient partir en Syrie. Ils affirment tous que le malheur des parents est un

argument fort pour les dissuader surtout quand ils ont été témoins de la tristesse de

vrais parents et face à des témoignages réels.

Le groupe 2 est aussi unanime sur l’importance d’axer la campagne sur les

conséquences des départs sur les proches car d’une part cela pousse les parents à

agir et surveiller leurs enfants de très près et d’autre part peut dissuader les jeunes

de causer de pareilles tristesses à leurs proches.

Thème 5 : Le récit narratif :

Les deux groupes sont d’accord quand à la pertinence des récits des proches des

jeunes partis en Syrie. Ils remarquent les petits détails : faire des crêpes, prendre son

écharpe, le papa content que son fils l’appelle, la maman qui sourit en se rappelant

le sourire de son fils, etc. ont marqué leurs esprits. Un participant du groupe 1 se dit

étonné de la mémoire des parents qui n’oublient aucun détail de leurs enfants et qu’il

75

est ému de penser que sa maman le regarde chaque jour attentivement non par

critique mais par amour. Le groupe 2 ajoute que ces détails plongent le récepteur

dans l’ambiance de la famille pour après mieux ressentir l’impact du départ ce qui

distingue les deux campagnes de prévention et leur impact.

Thème 6 : Les images utilisées lors des deux campagnes :

Le groupe des jeunes issus de la banlieue parisienne ne comprend pas l’utilisation

des images de guerre partagées sur les réseaux sociaux. Ils disent que la

provenance de ces images n’est pas certain ; même si elles se réfèrent à la réalité

syrienne rien ne prouvent qu’elles sont les conséquences des groupes djihadistes

qui combattent le régime sur place. Ils sont unanimes sur les représentations

correspondant au recrutement sur Facebook car les réseaux sociaux facilitent le

contact entre les jeunes du monde entier.

Le groupe des élèves du Cil sont unanimes quant à la pertinence de la première

séquence du spot de recrutement et déplorent le manque de créativité lors de la

phase du contre discours qui se limitent à reprendre des images véhiculées par les

chaînes télé ou les réseaux sociaux. Ils disent que les jeunes sont suffisamment

intelligents pour contredire les contre-discours des autorités en usant des mêmes

techniques.

c. le volet 2 : L’impact des discours des spots

Thème 7 : Le discours du spot de recrutement

Concernant le discours du spot de recrutement djihadiste, l’unanimité est

frappante entre les deux groupes. Ils partagent tous l’opinion que le discours

employé est contre-productif car il n’apporte que la vérité présentée par les autorités

et que les jeunes tentés par l’obscurantisme n’ont aucune confiance dans l’appareil

étatique et ressentent une méfiance envers les représentants de l’État. L’un des

participants dit que « cette vidéo va encourager les "candidats" à aller vérifier sur

place si ce que prétend l’État est vrai ou pas ».

Les élèves du groupe 2 constatent que les concepteurs du spot n’ont pas

réellement compris le phénomène de la radicalisation et que cette campagne a été

76

faite à la hâte pour apporter une première réponse aux contestations après les

attentats de janvier pour calmer les opinions.

Thème 8 : Impact sur l’attention face au phénomène

Les deux groupes déclarent que les deux campagnes leur ont permis de mieux

comprendre certains aspects de la radicalisation sans pour autant leurs porter des

réponses et des contre-arguments. Mais, elles ont réussi à décrire le phénomène de

la radicalisation en France (profils des jeunes, processus et conséquences) et que

cela est suffisant pour être plus vigilants et attentifs. Ils regrettent que les vidéos de

témoignages des familles ne soient pas diffusées dans les canaux les plus consultés

par les jeunes car ils n’en ont jamais eu connaissance avant cette réunion de groupe.

Thème 9 : la campagne qui résume le mieux l’ampleur du phénomène

Une unanimité se dégage sur la réussite de la deuxième campagne. Cela prouve

que les participants ont été marqués par les témoignages des proches plutôt que par

les images des scènes de terreur. Ils avancent que la deuxième campagne a eu un

impact considérable sur leur perception du phénomène de la radicalisation.

II.II. Phase 2 : analyse sémiologique

1. Spot 1 de la campagne de janvier 2015:

Le spot vidéo de 1 minute et 55 secondes se compose de 5 plans. Il a été lancé

par le gouvernement français en janvier 2015 sur les réseaux sociaux.

Intitulé « Stop-djihadisme », ce spot met en scène le processus de recrutement des

jeunes sur internet et précisément sur les réseaux sociaux.

Plan 0 :

Le spot commence par un échange virtuel. On a l’impression d’être devant un

écran d’ordinateur, on entend les clics du clavier et de la souris dans un silence

rappelant la solitude du jeune devant son écran dans sa chambre. Les images

défilent avec les clics et on lit un message de « I am back… kuffar » (je suis de

retour… mécréants) lancé par un homme en tenue de guerre avec un visage caché,

une image du drapeau de groupe islamiste, des jeunes brandissant des armes en

tenues de guerres sombres, ils paraissent contents et unis dans un grand combat,

77

une autre image de mains entrelacées comme symbole d’unité et brusquement un

premier échange et la fenêtre de discussion de Facebook s’ouvre sur un message :

Image 20 : capture écran du spot montrant la prise de contact entre le jeune et le groupe terroriste

Un seul message et la vie du jeune adolescent bascule avec l’enchaînement

des séquences vidéo sur un fond de musique alternant drame et hymne de guerre

orientaliste.

Les 4 prochains plans sont en totale rupture visuelle avec le plan 0. Deux

compositions musicales accompagneront le défilé des plans et leurs séquences.

Elles seront des actrices principales du film publicitaire qui annoncent les

rebondissements et le choc de discours de radicalisation.

Plan 1 :

Image 21 : capture écran des séquences du plan 1 du spot

78

Images 22 et 23 : captures écran des séquences du plan 1 du spot

La première séquence du plan met en scène un groupe de jeunes gens

brandissant des armes et habillés en guérillas avec des enfants. La présence de ces

derniers symbolise que leur combat est contre un supposé tyran et qu’ils essayent de

protéger ces innocents. L’image est traversée par un film jaunâtre comme pour

annoncer l’effet des temps révolus d’une ancienne époque. La séquence est

accompagnée par une musique des anciens temps de guerre orientalistes et un sous

fond de rassemblement de troupe.

Un texte en police jaune sur un fond noir apparaît au dessus de l’image avec

une annonce au ton fort et direct avec un impératif d’ordre: « ils te disent … » en

utilisant aussi des mots assez symboliques relevant d’un champ lexical religieux et

héroïque (sacrifice, cause, juste, et défendre). L’utilisation des couleurs ne semble

pas anodine. En effet, dans l’imaginaire collectif le noir symbolise la mort, le deuil et

la tristesse (on se limitera aux significations négatives des couleurs) alors que le

jaune annonce la jalousie, l’avarie et la tromperie. Il est assez souvent associé à

Judas comme un symbole de trahison.

79

Soudainement, un effet de brouillage estompe petit à petit la séquence pour

laisser place à une autre séquence. Cette technique d’estompage trouble la vue

comme pour dévoiler une vérité cachée sous une image perfide.

La séquence dévoilée s’ouvre sur une image en noir et blanc avec un

nouveau fond sonore triste, mélancolique et évoquant la mort et la désolation. Une

séquence à moitié cachée par un texte en police noire et un fond blanc pour laisser

libre court au récepteur d’imaginer l’horreur dissimulée par le texte. Cette vidéo

monochromatique en noir et blanc illustre la réalité morte et désolante. Le texte

annonce directement la tromperie de la séquence précédente en évoquant « En

réalité… ». L’annonce renvoie à la mort, la solitude et l’enfer afin de remplacer le

champ lexical du discours des djihadistes.

Ce plan vise à dévoiler la vérité sur les réelles intentions des recruteurs qui

ciblent les jeunes gens désireux de donner un sens à leur vie en défendant des

causes humaines et de se comporter comme des héros en sauvant des civils.

La symbolique des images, des couleurs et la signification des mots utilisés

montrent bien le recours aux symbolismes dans le spot.

Le plan 2 :

Le plan 2 reprend les mêmes codes que le plan précédent : alternance de la

musique de fond avec l’alternance des séquences vidéos la première jaunie et la

deuxième en tons monochromatiques. Seuls les textes changent et les visuels des

séquences.

Ils te disent: Viens fonder une famille avec l'un de nos héros.

"En réalité, tu élèveras tes enfants dans la guerre et la terreur"

Le discours des djihadistes sur le même ton direct et impératif, cible dans ce

plan, les jeunes filles qui rêvent de fonder et construire une famille faisant miroiter

une vie idyllique auprès des héros (des gens supérieurs aux gens ordinaires) et en

montrant des enfants heureux et joyeux symbolisant la joie de vie.

Le brouillage de la réalité annoncée par le contre-discours révèle la vérité de

la guerre et de la terreur avec des enfants en sanglots et des familles dispersées.

80

Plan 3 :

En reprenant les mêmes codes que les deux plans précédents : alternance de

la musique et des séquences avec les mêmes effets visuels de brouillage et les

mêmes couleurs et leurs significations, le plan 3 s’adresse aux jeunes qui sont

animés par le désir d’accomplir des missions humanitaires pour venir en aide aux

sinistrés. Le discours djihadiste les incite à venir les aider à secourir les enfants

syriens en utilisant des mots appartenant au champ lexical de l’aide (rejoindre, aider

et enfants).

Le brouillage lève le voile sur une vérité noire, le champ lexical s’apparente à

celui du meurtre en soulignant les mots complice, massacre et civils.

"Ils te disent: Rejoins-nous et viens aider les enfants syriens.

"En réalité, tu seras complice de massacres de civils"

Plan 4 :

Le dernier plan fidèle au rythme utilisé durant les 3 plans précédents avec les

mêmes compositions musicales et le même traitement visuel des images. Des

séquences mettent en évidence le discours des terroristes pour cibler les individus

en recherche de vérité et de quête existentielle et spirituelle en utilisant des mots qui

appartiennent à un lexique religieux : mécréant, impur et vérité. La nouvelle

séquence qui dévoile la réalité du terrain est très désolante et terrifiante avec des

images choquantes et un texte qui renvoie à l’horreur et la tromperie.

"Ils te disent: tu vis dans un monde de mécréants impurs, la vérité est ici.

"En réalité, comme seule vérité, tu découvriras l’horreur et la tromperie"

Le Slogan du spot :

"Les discours d'embrigadement djihadistes font chaque jour de nouvelles victimes"

Le slogan identifie clairement les auteurs des discours de radicalisation, il est

sous la forme d’une phrase complète avec sujet, verbe et complément d’objet direct

tout en précisant le cadre temporel en utilisant le présent simple qui signifie que le

phénomène est toujours d’actualité.

81

L’annonceur assimile les recrues des discours djihadistes comme victimes afin

de ne pas les stigmatiser et de sensibiliser leurs proches à leur venir en aide.

La clôture du spot :

Le film vidéo se termine sur le logo du gouvernement avec la Marianne

« symbole de la République ». Ce qui confère au message une valeur institutionnelle

et prouve que la cause représente un défi national.

La signature gouvernementale est un gage de confiance pour les récepteurs

afin de crédibiliser les arguments avancés dans le discours du spot.

Le logo est inséré sur un fond noir. Ce fond rappelle inconsciemment la terreur

du phénomène. La symbolique de la couleur noire renvoie à la mort et au deuil qui

caractérisent la radicalisation.

L’insertion de l’adresse web du site gouvernemental « stop-djihadisme » à la

fin du spot invite le récepteur à se rendre sur le site pour se renseigner sur le

phénomène et pour s’informer sur les efforts déployés par les institutions publiques

pour prévenir ce fléau.

Le fond noir de l’écran, le fond blanc de l’insertion du texte et la police noire du

message renvoient à la charte graphique du site web susmentionné afin de ne pas

rompre l’effet visuel de la campagne de communication.

La corrélation images, effets visuels et compositions musicales renforce

l’implication du récepteur envers le message. La musique joue un rôle important

dans l’accompagnement du message.

Les champs lexicaux employés plongent le récepteur dans l’univers de la lutte

contre l’endoctrinement.

La mise en situation : à partir de la prise en contact sur le réseau social jusqu’à

l’immersion dans les terreurs de la guerre transporte l’imaginaire du récepteur dans

le champ réel en stimulant ses sens.

82

2. Spots de la campagne d’octobre 2015:

Analyse des images et des sons :

Les 4 spots d’une minute 30 secondes chacun, se ressemblent dans le

traitement cinématographique. Dès les premiers plans, l’ambiance et le ton sont

donnés. On sait et on s’attend à écouter des confidences ou un récit de vie touchant.

L’ambiance est narrative et le récepteur se sent en confiance.

Les gros plans sur les visages et les yeux des personnages rendent la

proximité inévitable entre les récepteurs et ces témoins. Un lien se crée à travers le

regard.

Et quelques secondes plus tard, les personnages s’expriment sans se

présenter comme s’ils se confiaient à des amis. Seul le texte en bas, les présente en

donnant leur prénom du proche et le prénom et l’âge de leur enfant.

La diversité des profils des personnages symbolise la diversité de la nation

dans sa cohésion et rend plus accessible le message pour toutes les classes

sociales.

La caméra s’attarde sur les expressions faciales des témoins pour donner du

poids à leur silence et rendre pesant l’aspect non verbal de l’émotion (la photo de

l’enfant tenue par la maman, des yeux emplis de larmes, un sourire crispé, un soupir,

un regard perdu dans les souvenirs du passé, etc.).

Les spots ne sont pas accompagnés de compositions musicales pour

accentuer l’aspect de la proximité et de la confidence d’un cadre réel.

Analyse du discours :

Les quatre discours ont eu recours à deux champs lexicaux antagonistes qui

renvoient à l’avant et l’après départ de l’enfant dans le théâtre de guerre.

L’avant départ se caractérise par la joie de vie, des moments de partage, des

rires et des gestes routiniers d’une vie ordinaire (belle journée, faire des crêpes,

aimer les sketchs, humeur joviale et joyeuse, etc.).

83

L’après départ se définit par la douleur, la mort et la surprise (mort, terreur,

douleur, enfer, guerre, bombardements, etc.).

Les proches ont recours à des négations répétitives pour accentuer leur refus

et leur incompréhension de ce qui s’est passé (je ne peux pas, je ne veux pas, je ne

crois pas).

La fin du discours se transforme en une demande ou une requête envers le

récepteur de ne pas les juger et de les comprendre.

« Nous ne sommes pas des parents de terroriste, nous sommes des victimes. »

« On a besoin d’aide parce que c’est douloureux. »

Le slogan de la campagne :

« Vous êtes touchés par ce drame, vous n’êtes plus seul.

Appelez le 0800 005 696 »

Ce slogan s’adresse aux récepteurs dans un ton direct et rassurant en

soulignant le fait qu’ils ne sont pas seuls.

Le numéro annoncé est en quelque sorte une perche aux téléspectateurs

concernés pour prendre contact avec les personnes qui peuvent les aider et les

écouter.

La clôture du spot :

Image 24 : captures écran sur la signature du spot des témoignages

84

Les quatre spots se terminent sur un fond flouté de la scène de confidence

pour demeurer dans la même ambiance et ne pas changer de cadre visuel qui

pourrait couper avec l’effet d’entraînement psychologique.

Le numéro vert est placé au centre de l’écran pour capter le regard

directement.

Le logo du ministère de l’Intérieur avec la Marianne souligne

l’accompagnement du gouvernement dans le soutien des familles touchées par ce

drame et ceci est bien mentionné avec le titre « avec le soutien du ministère de

l’Intérieur »

La mention « témoignages réalisées à l’initiative des familles » montre la

volonté de ces familles de partager leur douleur et à inviter ceux qui hésitent encore

à s’exprimer de crainte d’être rejetés.

II. III. Interprétation des résultats

Nous avons entrepris ces analyses afin d’apporter une confirmation des

hypothèses formulées au début de ce mémoire.

H1 - Le cadrage des conséquences de la non adoption du comportement

préconisé par la communication étatique met en évidence les axes de

communication choisis par l’émetteur.

Les interprétations des entretiens des groupes dans les thèmes 1, 2 et 4

confirment que le cadrage des conséquences négatives du phénomène impactent la

perception du récepteur et que la campagne stop-djihad a eu recours à cette

technique afin de sensibiliser l’opinion publique.

H2 – Le récit narratif des expériences vécues par les personnages des

spots (storytelling) évoque les émotions de la peur, d’indignation et de la

surprise.

Les résultats de l’analyse des thèmes 1, 2 et 5 ainsi que l’analyse

sémiologique confirment l’énoncé de l’hypothèse en montrant que les récits narratifs

(le storytelling) jouent un rôle important dans la persuasion par les émotions. Les

85

récits des parents des victimes illustrent bien les émotions de la peur et de la

tristesse à travers les détails de leurs histoires personnelles.

H3 – l’iconographie à travers les signes et les symboles traduit les

émotions véhiculées par le message.

L’analyse sémiologique des spots des deux campagnes confirme que le

recours aux signes et symboles linguistiques, auditifs et visuels en fait des variables

qui impactent considérablement les émotions contenues dans le message. Les

couleurs, les musiques et le choix de mots reflètent l’univers créé par l’émetteur en

accentuant la peur et le deuil.

H4 – L’imagerie mentale amplifie les émotions évoquées par le message.

L’analyse des thèmes 1, 3 et 6 ainsi que l’analyse sémiologique des spots prouvent

que le recours à l’imagerie mentale dans les deux campagnes stimule l’imaginaire du

récepteur en recréant dans son inconscient le contexte de la séquence de

recrutement et les univers des familles touchées par la radicalisation.

86

Conclusion partie II :

Notre travail empirique illustre la manière donts= les institutions publiques,

dans une situation de défis majeurs et divers à savoir un défi sécuritaire, social,

identitaire et économique, peuvent utiliser la communication persuasive basée sur

les émotions comme une partie intégrante dans leur stratégie de prévention de la

radicalisation.

Le cas de la campagne «stop-djihadisme » renseigne sur les techniques

persuasives (cadrage, images, sons, symbolique, storytelling et autres) et la

meilleure façon de les adopter afin de maximiser les effets du message audio-visuel

sur les récepteurs par la mémorisation du spot et par la formation de l’opinion.

La dimension émotionnelle de la campagne joue un rôle important dans la

formation attitudinale des récepteurs face au fléau de la radicalisation.

Les objectifs de cette campagne sont multiples. D’une part, le gouvernement

souhaite rassurer les citoyens dans sa gestion du phénomène par la compréhension

des différentes étapes du processus de la radicalisation et l’identification des cibles

potentiellement fragiles aux discours d’embrigadement. D’autre part, le

gouvernement veut accompagner les proches des victimes pour leur apporter le

soutien nécessaire et pour les inciter à être vigilants, attentifs et alerter les autorités

en cas de doute ce qui facilitera le travail des services concernés par la

radicalisation. Et enfin, le gouvernement tente à travers ces spots d’expliquer la

légitimité de certaines actions entreprises comme les contrôles sur les réseaux

sociaux jugés comme une atteinte à la liberté individuelle mais justifiée par la

sauvegarde de l’ordre public.

87

Conclusion Générale

Le recours aux émotions dans la communication publique s’est développé

avec les campagnes de communication sociale et préventives conduites par les

gouvernements afin de sensibiliser les citoyens sur certains dangers d’ordre sanitaire

ou sécuritaire. Les campagnes de sécurité routière et de prévention de certaines

maladies comme le cancer et le sida ou de certaines addictions comme l’alcool ou le

tabac ont largement contribué dans le rapprochement des techniques

communicationnelles des secteurs privé et public.

Même si les finalités des deux secteurs différent, le secteur marchand tente

d’augmenter ses bénéfices et d’accroître sa notoriété alors que le secteur public

tente d’instaurer un climat social, économique et sécuritaire adéquat au bien être de

ses citoyens à travers l’adoption de politiques publiques qu’il se doit de les lui

expliquer, les actions de communication sont quasi similaires. La communication

publique ne s’improvise pas, c’est une démarche qui nécessite beaucoup de

professionnalisme pour aboutir à remplir ses objectifs.

La communication persuasive conduite par les institutions publiques est

perçue comme une communication intentionnelle, verbale et visuelle, dans le but de

faire changer les attitudes et les comportements. Les techniques de persuasion sont

diverses et s’appuient soit sur le logos (raison) ou le pathos (émotion) pour influencer

le récepteur.

Dans notre cas d’étude, la communication persuasive permet aux citoyens

d’adhérer volontairement dans une démarche de changement pour la prévention de

la radicalisation et de comprendre que l’État ait restreint certaines libertés en

l’instaurant l’état d’urgence pour assurer la sécurité du territoire.

Les émotions ne se limitent pas à susciter la peur ou l’angoisse dans cette

campagne, elles servent aussi à faciliter la prise de conscience collective de

l’ampleur du fléau et provoquer une implication émotionnelle de la part des citoyens

qui seront plus réceptifs aux arguments et prescriptions des autorités publiques.

88

Recommandation 1 : le recours aux émotions pour susciter l’intérêt envers la

communication s’accompagne d’une proposition de solution ou de comportement à

suivre. Susciter la peur sans proposer une alternative pour l’atténuer peut provoquer

une frustration chez le récepteur qui n’accordera plus d’attention aux messages émis

concernant ce sujet.

La communication « stop-djihadisme » utilise les émotions de la peur et de la

tristesse pour atteindre les récepteurs exposés aux messages. La peur est

représentée par des images et des menaces réelles auxquelles peuvent être soumis

des individus vulnérables aux discours des terroristes. L’intensité de la peur peut

générer une réaction attendue par les pouvoirs publics c'est-à-dire un citoyen plus

averti qui alertera les autorités en cas de doute, comme elle peut générer une

réaction de fuite et d’esquive si la peur est ressentie de façon trop brutale ou non

réaliste. Les émotions sont un vecteur de messages dont l’usage doit être étudié

avec soin

Recommandation 2 : le recours à la peur ne doit être ni excessif ni en totale

rupture avec le thème à communiquer. L’usage de la peur doit être étudié et justifié

par des rapports et des tests. Une peur trop exagérée peut conduire le récepteur à

fuir le message et une peur non adéquate au sujet décrédibilise l’émetteur et le

message.

Le recours aux émotions et à la persuasion dans la communication publique

peut provoquer des contestations de certains groupes ou d’associations qui

dénoncent ces manières d’instrumentalisation des publics pour des motifs électoraux

ou personnels. La frontière entre la communication publique et politique est très

floue, d’où les suspicions de calculs stratégiques pour le maintien ou la conquête des

mandants. Le traitement médiatique de la radicalisation dans l’espace public, a été la

cible de plusieurs critiques de la part des partis politiques et des associations en

dénonçaient l’usage par l’exécutif. La nuance entre manipulation et l’obligation

d’informer les citoyens porte à confusion si elle ne s’insère pas dans une stratégie

globale.

Recommandation 3 : le média planning des actions communicationnelles doit

être bien établi pour éviter la congruence des messages ou la confusion des

intentions et motivations de la campagne.

89

Les mécanismes qui agissent sur les récepteurs afin qu’ils modifient leurs

attitudes ou leurs comportements sont complexes et relèvent de plusieurs domaines

de recherche ce qui rend l’évaluation de l’efficacité de la campagne de

communication assez difficile. Les changements constatés peuvent être le produit

d’un ensemble de facteurs exogènes à l’action publique ce qui empêche de vérifier

l’atteinte des objectifs poursuivis par la communication et la pertinence des

ressources financières et humaines allouées à cette action. Dans notre étude de cas

sur la radicalisation, le coordinateur européen pour la lutte anti-terroriste, Gilles de

Kerchove49 annonce le 11 mai dans une interview sur France info que le nombre de

candidats au djihad a chuté au cours des derniers mois en Europe. L’atteinte de ce

résultat ne peut être expliquée par l’unique action de la communication. C’est la

conjonction de plusieurs politiques publiques qui a permis ce résultat. L’effet de la

communication publique est tributaire du contexte dans lequel elle est insérée sans

pouvoir l’évaluer quantitativement.

Recommandation 4 : l’évaluation des campagnes de communication

publique suscite le débat. Identifier certains indicateurs pour la mesure des résultats

en amont du projet peut répondre à cette contrainte.

Cette recherche a réussi à identifier plusieurs autres pistes de recherches à

mener au niveau de la communication publique pour la prévention de la

radicalisation. Il sera intéressant d’étudier l’apport des études comportementales et

sociales menées par les cercles de réflexion dans l’élaboration de la stratégie de

communication de proximité auprès des cibles vulnérables.

De même, la conception d’une stratégie de communication européenne et

régionale (la rive sud et la rive nord de la méditerranée) commune peut faciliter la

compréhension de certains facteurs méconnus par un pays ou une communauté ce

qui permet de mieux concevoir les axes de communication.

Enfin, l’étude de l’efficacité des canaux de diffusion des messages ne doit être

oubliée étant donné la diversité des profils des cibles à atteindre et l’évolution des

techniques de communication.

49 http://www.franceinfo.fr/fil-info/article/terrorisme-le-nombre-de-candidats-au-djihad-litteralement-chute-coordinateur-europeen-788865

90

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PIETRASANTA (Sébastien) Député des Hauts-de-Seine Rapporteur du projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme (juin 2015) « La dé-radicalisation, outil de lutte contre le terrorisme » http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/154000455.pdf

Internet :

http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/02/03/que-disent-les-chiffres-sur-la-radicalisation-en-france_4858633_4355770.html https://communication.revues.org/2967 http://www.preventionroutiere.asso.fr/Nos-publications/Statistiques-d-accidents http://www.cer.asso.fr/actualite-details/162-onde-choc-nouvelle-campagne-securite-routiere

https://www.sidaction.org/donnees-epidemiologiques-vihsida-france-2014 http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2015/03/26/les-nouveaux-chiffres-de-la radicalisation_4602011_1653578.html http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2016/03/05/01016-20160305ARTFIG00121-deux-mineures-radicalisees-activement-recherchees-par-la-gendarmerie.php https://fr.wikipedia.org/wiki/S%C3%A9miologie http://www.franceinfo.fr/fil-info/article/terrorisme-le-nombre-de-candidats-au-djihad-litteralement-chute-coordinateur-europeen-788865

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Annexe A : Indicateurs de la radicalisation

Domaines Indicateurs Indices repérables

Rup

ture

s

Comportement de rupture avec

l’environnement

habituel

Signaux forts

Rupture avec la famille et les amis

Absences prolongées et inexpliquées du domicile avec un intérêt soudain aux armes et clivage exacerbé entre les hommes et les femmes

Signaux faibles

Déscolarisation soudaine

Financement d’activités humanitaires et caritatives

Changement d’apparence (physique,

vestimentaire)

Signaux forts

Modification soudaine et non cohérente pour l’entourage (barbe, voile intégral, djellabas ou volonté de dissimulation)

Pratique religieuse hyper ritualisée

Signaux forts

Participation à des groupes de prières et cercles de réflexion radicaux

Signaux faibles

Changement de décoration au domicile habituel (réorganisation de la chambre, retrait de toute représentation humaine)

Mimétisme culturel et religieux

Environnem

ent

pers

onnel de l’in

div

idu

Image paternelle et/ou parentale défaillante

voire dégradée

Signaux faibles

Absence ou rejet du père et recherche d’identité

Environnement familial fragilisé

Signaux forts

Immersion dans une famille radicalisée

Signaux faibles

Traumatismes personnels ou dont l’individu a été témoin

Environnement social Signaux faibles

Fragilité sociale

Traits de personnalité

Signaux forts

Dépendance à une personne, un groupe ou sites internet

Signaux faibles

Absence d’affect, hypersensibilité, anesthésie affective, dogmatisme, refus du compromis

Recherche de reconnaissance et de valorisation

Réseaux relationnels Signaux forts

Contact avec des réseaux réputés pour leur radicalisme

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Thé

orie

s et

dis

cour

s

Théories complotistes et conspirationniste

Signaux forts

Allusion à la fin des temps et du monde ou développement d’une vision paranoïaque du monde

Double discours, admiration, vénération des terroristes

Signaux faibles

Allusion à un complot judéo-maçonnique

Changement de vocabulaire

Changements de comportements

identitaires

Signaux forts

Menace de l’Etat français et soutien aux djihadistes

distinctions entre les bons et les mauvais musulmans (imis, takfir..)

Signaux faibles

Attitude discriminatoire vis-à-vis des femmes et critique de l’Etat français

Propos asociaux

Prosélytisme

Signaux forts

Activité prosélyte en vue de radicaliser son entourage voire d’un recrutement

Signaux faibles

Conversion soudaine

Tec

hniq

ues

Usage des réseaux virtuels ou humains

Signaux forts

Changement régulier des puces téléphoniques

Fréquentation des sites internet et des réseaux sociaux à caractère radicale ou extrémiste

Fréquentation de lieux de culte ou tout autre lieux connus pour des tendances radicales exprimées ou sous-jacentes

Signaux faibles

Comptes facebook ouverts sous de nouvelles identités

Utilisation du téléphone et d’internet de manière excessive et intense

Stratégie de dissimulation/duplicité

Signaux forts

Découverte de caret de voyage et des brochures de voyage vers la Turquie et Syrie

Historique de consultation de sites internet radicaux

Voyages touristiques ou projets humanitaires en Turquie

Attitude conformiste

Pratique du double discours

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Annexe B : Synopsis des spots de témoignages

Véronique, Ile-de-France

Notre fils vivait dans un univers plutôt privilégié

Il aimait la musique, le sport, il faisait des sketchs

Et c’est ça, aussi, qui est dur

C'est-à-dire que ça laisse beaucoup de désarroi

C'est-à-dire qu’on passe un weekend magnifique

On fait des crêpes, c’est la fête

Il y a la famille, son frère, on fait plein d’activité

Et puis, le lendemain matin, il part en Allemagne, et puis de l’Allemagne, il ne revient pas

[silence]

Et on a su qu’un mois après où il était, ….. et il est en Syrie

On ne sait pas précisément où il est, ce qu’il fait

On ne peut pas aller le chercher

On ne peut pas le ramener

C’est horrible parce que moi

Je voudrai le prendre dans mes bras, je ne peux plus (sourire nerveux)

Je ne peux plus l’embrasser

Je ne peux plus le serrer dans mes bras

[silence]

C’est très difficile de raconter ce que l’on vit,

Parce que c’est mal vu, c’est mal compris

Il y a beaucoup d’amalgames

Il ne faut pas rester seule parce que le pire c’est de ne pas parler

On a besoin d’aide parce que c’est douloureux

« Vous êtes touchés par ce drame, vous n’êtes plus seul. Appelez le 0800 005 696 »

Sahila, Belgique

Mon fils Sabri est parti en août 2013 pour la Syrie

Quand je lisais cette phrase « Maman, je suis en Syrie »

Mon cerveau me disait « Maman, je suis mort »

Et, je disais à mon mari « Ecoute, Sabri est mort »

Il me dit « Mais non, Sabri est en Syrie »

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Je lui dis « Non, il est mort »

Parce que, pour moi, dans ma tête, il était mort

[Yeux remplis de larmes]

Il a côtoyé, des gens qu’il n’aurait jamais dû côtoyer

Donc, des gens qui sont comme ça à l’affût et qui guettent les nouveaux venus on va dire

Il allait fêter ses 19 ans, mon mari était parti se promener et il reçoit un appel de Syrie

Il se dit « Ah ! Mon fils m’appelle. Enfin, je vais entendre mon fils »

Il décroche le téléphone et c’était un syrien qui le félicitait parce que son fils était tombé martyre.

Et quand on vous annonce la mort de votre enfant, on ne vous donne pas son nom véritable, on vous donne son nom de combattant.

C’est comme si vous, vous n’étiez plus le parent de cet enfant là

[Image de la maman tenant le portrait de son fils les yeux larmoyant]

Peu importe les origines, peu importe la religion au départ, ça peut arriver à tout le monde.

« Vous êtes touchés par ce drame, vous n’êtes plus seul. Appelez le 0800 005 696 »

Baptiste, Île-de-France

Le départ de Léa s’est passé une belle journée.

Elle a pris un sac à dos, une écharpe.

Et depuis ce jour là, Léa a disparu.

On n’a rien vu, on n’a rien compris.

C’est elle qui nous a appelés, qui nous a dit :

« Papa, Maman, je vais vous faire du mal… je suis partie….je suis partie en Syrie pour faire le Djihad ».

Et là, vous avez toute la terre qui vous tombe dessus.

Léa a eu un enfant, elle a construit sa vie dans un monde en guerre.

Quelque part, elle a voulu trouver un monde meilleur, mais, je pense qu’elle a trouvé l’enfer.

On nous a volé notre enfant.

Léa, qui est partie, cette personne joviale, joyeuse…

Est pour nous…est morte.

Nous ne sommes pas des parents de terroriste nous sommes des victimes.

« Vous êtes touchés par ce drame, vous n’êtes plus seul. Appelez le 0800 005 696 »

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Jonathan, Picardie

Sarah la veille de son départ encore en rigolait ensemble.

Elle avait 17 ans.

Et normalement, quand elle quittait l’école, elle appelait mon père. A 17h, toujours pas d’appel. Mon père est parti à la gare, pas de Sarah.

Et en fait, le vendredi elle a téléphoné, je lui ai dit « t’es où ? Dis-moi ! T’inquiète. Je ne le dirai pas, ça reste entre nous ». Et elle m’a dit « Je suis en Syrie »

[Silence]

On se l’est pris en pleine gueule, quoi

Tout était calculé. Elle appelle ma mère en Skype.

Ça fait un an que c’est toujours les mêmes discours : faut pas s’inquiéter, qu’il faut venir !

Maintenant, c’est « il faut y aller ! », « C’est le paradis là bas ! »

On a envie de la secouer de lui dire « ouvre les yeux !... c’est pas ça la vie, c’est ce que tu veux ? vivre là dedans, les bombardements… »

Je pense que même un an après, on a encore du mal à…c’est coincé là [geste d’auto étranglement]

C’est…de vivre tous les jours avant de dormir ou en se levant en se demandant si elle est encore en vie

Si j’avais connu certaines personnes avant que ma sœur parte, bien sûr, elle ne serait jamais partie. Ça m’aurait aidé à empêché tout ça quoi !

« Vous êtes touchés par ce drame, vous n’êtes plus seul. Appelez le 0800 005 696 »

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Annexe C : Composition des groupes

Groupe 1 Groupe 1 3 mai 2016 15 avril 2016

Île-de-France (Haut de Seine) Bas Rhin (Strasbourg) sexe âge Niveau

d’étude sexe âge Pays

M 22 lycée M 28 Cameroun F 20 Terminal M 30 Inde M 18 Collège F 32 Colombie M 21 Lycée M 37 Madagascar F 22 Lycée M 30 Turquie M 18 Lycée M 35 Maroc M 18 Lycée F 26 Moldavie M 21 BTS M 30 Côte d’Ivoire

101

Annexe D : Guide d’entretien

Introduction (10 à 15 minutes)

Annonce du contexte et des objectifs poursuivis par la réunion

Présentation du déroulement

Tour de table

Phase 1 : Projection du spot « stop-djihad » (30 minutes)

Volet 1 : La nature des émotions

Que ressentez vous en regardant ces vidéos ? Quels sont les objectifs de la diffusion de ces vidéos à votre avis ? Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces messages ?

Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées

Est-ce que la présentation des conséquences du départ des jeunes en Syrie décrites par les parents vous paraît pertinente et pourquoi?

Comment jugez-vous les images utilisées pour contredire la communication de recrutement des djihadistes ?

Volet 3 : Impact des discours

Qu’est ce qui vous a marqué dans le discours du spot de recrutement ? Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au phénomène

de la radicalisation ?

Phase 2 : Projection des spots des témoignages des parents (30 minutes)

Volet 1 : La nature des émotions

Que ressentez vous en regardant ces vidéos ? Quels sont les objectifs de la diffusion de ces vidéos à votre avis ? Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces messages ?

Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées

Qu’est ce que les récits des parents suscitent en vous ?

Volet 3 : Impact des discours

Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au phénomène de la radicalisation ?

Conclusion (15 minutes) Quelle campagne vous a le plus marqué et pourquoi ? Remerciement des participants

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Annexe E : Grille d’analyse

Groupe 1

Spot 1

Volet 1 la nature des émotions Que ressentez vous en regardant ces vidéos

Des vies gâchées (une fille) C’est angoissant de voir cette facilité de prise de contact

entre les jeunes et les terroristes On voit des images plus atroces sur internet, est ce que

le gouvernement est conscient de ça ? Est-ce qu’ils pensent vraiment que ces images nous

choquent ?? c’est pathétique de voir à quel point ils ne savent rien de

la toile c’est comme même terrifiant la vue des cadavres (une

des filles) Ca ne me fait ni chaud ni froid C’est triste de finir de cette manière, j’ai de la peine pour

ces jeunes C’est comme même marrant que l’État reprend le style

de Daesh, si les messages n’étaient pas écris, j’aurais pensé que c’est la publicité de Daesh

Malheureusement, ces images ne nous font rien, tous les jours on voit la misère dans le monde partout

Quels sont les objectifs de la diffusion de ces vidéos à votre avis

Je pense que le gouvernement veut nous conseiller pour ne pas tomber dans le piège des terroristes

Nous faire changer d’avis ou nous faire comprendre les messages cachés par le groupe terroriste

J’ai du mal à comprendre la finalité de cette pub Nous faire connaître les dangers d’aller en Syrie Ah ! ils pensent qu’ils changeront la perception des

jeunes de la cité avec ces arguments envers les présumés terroristes

Alerter les gens et les citoyens sur les dangers de la guerre en Syrie

Nous montrer comment les jeunes sont pris au piège Comprendre la naïveté des jeunes qui partent faire le

djihad Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces messages

elle est nécessaire, même si je ne vois pas la peur dans cette pub

c’est essentiel pour nous toucher (fille) plus c’est terrifiant, plus ça attire le regard c’est difficile de sentir la peur, on dirait qu’on regarde les

infos du soir je suis surpris qu’ils veuillent nous faire peur avec ça ??

ont-ils déjà vu les vidéos sur Youtube ça ne fait même pas peur à ma petite sœur c’est horrible ce que j’entends de la bouche des mecs,

pour moi ceci est terrifiant je suis surprise par la réaction des garçons mais j’ai les

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même à la maison, les mecs regardent pire sur internet ce qui me fait flipper c’est le fait que ça ne fait pas peur

Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées Comment jugez-vous les images utilisées pour contredire la communication de recrutement des djihadistes ?

ces messages sont nuls car qui nous prouvent que c’est la vérité

ils nous prennent pour des cons ?? depuis quand les jeunes de la cité font confiance aux flics (dans la tête du jeune, c’est le ministère de l’intérieur qui a conçu le film)

ils utilisent les mêmes images que les terroristes ? c’est marrant, ils sont en manque d’imagination

moi je trouve que c’est bien car ils essayent de nous montrer les nuances des images, ça me choque qu’il y a tant de drames

il y a d’autres images plus choquantes à exploiter j’ai apprécié le déroulement des images : derrière chaque

image présentée par les terroristes il y a une image dans le même cadre mais vu sous un autre angle

les images nous parlent plus que les conseils, moi je n’écoute pas ce qui se dit je ne fait confiance qu’à ce que je vois

Volet 3 : Impact des discours

Qu’est ce qui vous a marqué dans le discours du spot de recrutement ?

moi ce qui m’a frappé c’est le vocabulaire de la mort comme si c’était un cadeau, il nous dit sacrifie toi ?! et pourquoi je le ferai est ce que ma vie n’a pas de sens ?

c’est vrai que l’argument de la belle histoire d’amour me parle (une fille) on rêve toutes d’avoir une maison, c’est difficile de nos jours les hommes ici sont très ordinaires, mais je ne me vois pas suivre un terroriste

moi je suis choquée de l’utilisation des enfants comme un argument, les pauvres ils sont déjà tout perdu, ça nous donne envie de les aider. Mais on sait que c’est une manipulation

je connais un voisin d’un ami qui est parti en Syrie, il est parti pour assister les blessés, c’est méchant d’utiliser la bonne foi des gens

Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au phénomène de la radicalisation

je ne crois pas car les terroristes ont plus d’un argument, il parle un autre langage celui de la religion

ça peut pousser les jeunes à chercher encore la vérité, mais je doute qu’un jeune qui commence à se radicaliser sera séduit par ces arguments

moi (une fille) je vais en parler à mes parents, j’ai peur pour mon petit frère, je vais le surveiller surtout quand il est sur son ordinateur

oui et non car on oublie vite cette pub au bout de quelques jours

104

Spot 2 : les témoignages des parents

Volet 1 la nature des émotions Que ressentez vous en regardant ces vidéos

quel malheur de voir des parents si triste, ça me brise le cœur

j’ai eu les larmes aux yeux surtout quand la maman racontait la joie du père qui espérait entendre la voix de son fils

comment peut-on faire un tel chagrin à sa maman, c’est incompréhensible

c’est une honte de faire ça à ses proches je suis en colère contre le gouvernement qui n’empêche

pas ses jeunes de partir, il sait ce qui attend ces pauvres gamins pourquoi il les laisse faire

je suis effrayée par la facilité que trouvent ces jeunes de disparaitre sans rien laissé voir

je suis très ému de voir les larmes de ces parents qui sont abattus, on sait leur tristesse et ça fait de la peine

Quels sont les objectifs de la diffusion de ces vidéos à votre avis

nous pousser à faire attention aux agissements de nos proches

convaincre les jeunes de ne pas partir pour ne pas faire du mal à leur famille

nous obliger à surveiller nos amis, et notre famille, on ne veut pas que ça nous arrive

changer nos comportements envers nos parents, je pensais qu’ils me harcelaient en me surveillant mais en fait ils craignent qu’il m’arrive un malheur (une fille)

je vais montrer ça à ma famille comme ça on sera tous avertis

Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces messages

il faut utiliser la peur si c’est le moyen d’arrêter le mal les parents ne comprennent pas ce qui s’est passé, eux

qui étaient en contact avec leur enfants, c’est étonnant comment on peut être à côté de la plaque avec nos familles

la peur nous oblige à réfléchir, c’est bien de l’utiliser dans ce cas

la peur vient des petits détails de ce que raconte les proches, c’est quand on pense que tout va bien alors que le mal est là, c’est ce qui est effrayant !

la peur pousse à prendre des résolutions c’est bien de la montrer

la peur ici est psychologique c’est ce qui touche le plus je suis surprise que même les blancs qui ne sont pas

comme nous originaires d’Afrique soient touchés aussi c’est choquant que ces terroristes ciblent de très jeunes

gens je suis étonné de voir que même un jeune en bonne

famille soit pris dans le piège Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées

Qu’est ce que les récits des parents suscitent en vous

ça provoque en moi une colère envers le système qui a poussé les jeunes dans les griffes du mal

je suis pleine de tristesse, ça me fond le cœur, ils racontent les départs comme si c’était hier limite on les

105

voyait la pauvre maman qui veut embrasser son enfant que lui

reste il de son fils même pas une tombe pour la consoler que des souvenirs (une écharpe, un crêpe) j’ai l’impression de les voir

je suis en rage contre ces imbéciles de jeunes comment peuvent-ils faire ça à leur maman

je suis toute en larme face à ces drames c’est comme si j’étais avec eux

je ne comprends rien, ça me dépasse

Volet 3 : Impact des discours Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au phénomène de la radicalisation ?

oui, certainement, voir la douleur des parents qui ont réellement perdu leur enfants ça pousse à être attentif

oui bien sûr car personne ne veut faire ça à sa famille c’est sûr que ça change de voir ça, on sait que toute

personne peut être une cible fille garçon blanc ou rebeu il faut faire attention ça c’est sûr car ils sont partout il faut agir et parler plus en famille pour que les secrets

ne trouvent pas de place

Conclusion Quelle campagne vous a le plus marqué et pourquoi ?

sans aucun doute celle des parents elle est plus touchante

de loin je préfère celle qui raconte le malheur des parents car elle me parle plus

celle des témoignages car elle est vraie et sincère celle des parents car ils sont des vrais victimes et nous

racontent leur malheur malgré la douleur celle des parents car elle est claire et directe on se sent

pris dans l’histoire

Groupe 2

Spot 1

Volet 1 la nature des émotions Que ressentez vous en regardant ces vidéos

Ça fait mal au cœur de voir des jeunes partir dans ces zones

Ça m’angoisse de voir le processus de radicalisation sur internet, je pense à tous ces jeunes sur les réseaux sociaux, ils sont tous susceptibles d’être pris au piège

Ça ne fait peur de voir la facilité d’approche C’est triste de voir des jeunes aimer ce genre de

messages, que cherchent-ils ? C’est terrifiant, ça fait peur, j’ai peur pour mes proches,

on est aussi en danger Je ne pensais pas qu’il est si facile de contacter les

terroristes, c’est grave

Quels sont les objectifs Le gouvernement cherche à nous avertir du danger de la

106

de la diffusion de ces vidéos à votre avis

radicalisation L’objectif est clair que nous prenons conscience de la

gravité du phénomène Nous informer sur la dangerosité de la menace Nous prévenir que le terrorisme est partout même dans

nos maisons Faire attention à ce que nos enfants regardent sur

internet Trouver les bons arguments pour dissuader les jeunes de

partir Nous sensibiliser à la cause de la lutte contre la

radicalisation Nous convaincre de son action de lutte contre le

terrorisme

Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces messages

C’est assez convaincant comme axe de persuasion mais dans ce film, la peur n’est pas trop visible

Les images font un peu peur mais on sait bien que sur la toile il y a pire

Je pense que les images sont moins choquantes, les reportages à la télé montrent des atrocités plus choquantes

La surprise provient du moyen de recrutement, je n’ai jamais pensé qu’il était aussi facile de capter les jeunes sur internet

Ça fait peur car nos enfants sont constamment connectés aux réseaux sociaux

C’est bien d’utiliser la peur car ça attire l’attention La peur capte les sentiments des parents ça les rend

plus vigilants Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées

Comment jugez-vous les images utilisées pour contredire la communication de recrutement des djihadistes ?

Les images ne sont pas aussi choquantes Les images sont plus pertinentes que les discours, ça

impacte plus la mémoire et ont un effet plus durable Ça donne une idée sur ce qui se passe sur les terrains

de guerre Les images ont un impact plus puissant que les conseils

ou les chiffres On oublie souvent ce qui se dit mais rarement ce qu’on

voit Je suis surpris que c’est diffusé sur internet seulement,

ils peuvent passer ça à la télé Volet 3 : Impact des discours

Qu’est ce qui vous a marqué dans le discours du spot de recrutement ?

La diversité des arguments avancés par les terroristes, ils ont un discours spécifique à chaque cible

Le vocabulaire de la mort et du chaos, c’est très frappant Le discours spirituel des groupes terroristes ils touchent

vraiment des aspirations de générosité et spirituelle, le contre discours n’apporte pas de réponse à l’aspect religieux sur les mécréants, c’est une limite très frappante mais c’est compréhensible

L’absence d’argument religieux dans le discours de l’État, ces jeunes sont attirés par la religion et non pour des

107

motifs nobles Les arguments des djihadistes sont plus percutants Il ya une certain oublie de certains motifs, il y a des

jeunes en perte d’espoir et d’identité, le contre discours est assez creux

Je ne pense pas que le contre discours est efficace, il est loin de la vérité

Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au phénomène de la radicalisation

C’est un peu difficile, les jeunes attirés par la radicalisation ne font pas accorder de l’attention à ce film

Je pense que ça aura un effet sur les proches de jeunes en voie de radicalisation et non sur la cible

Ils seront peut être plus avertis mais pas plus

Spot 2 : les témoignages des parents

Volet 1 la nature des émotions Que ressentez vous en regardant ces vidéos

Une colère immense envers ses jeunes qui font du mal à leur proche par leur égoïsme et insouciance

J’ai le cœur brisé par cette peine qui se voit sur les parents, ça fait mal de voir que les parents souffrent et qu’on leur a volé leurs enfants

Je suis en rage car on est incapable d’empêcher le départ de ces jeunes et de les voir à jamais perdus

Je suis triste et en même temps en colère J’ai peur que ça m’arrive, c’est effrayant de voir que des

jeunes normaux peuvent basculer si vite J’ai peur car je ne saisie pas ce qui se produit Je me mets à la place de ces proches soit doit être dur à

supporter et à vivre de tels drames Quels sont les objectifs de la diffusion de ces vidéos à votre avis

nous montrer que personne n’est à l’abri, toutes les classes sociales sont concernés, même les plus insoupçonnées

que le drame nous concerne tous, et qu’on doit agir faire attention à nos familles et proches, on doit être

vigilants pour remarquer tous les changements Faire attention à nos enfants Agir avant qu’il ne soit trop tard Nous sensibiliser au drame de ces parents et de ne pas

les juger Éviter de jeter la responsabilité sur les parents, c’est

difficile à croire qu’ils n’ont pas pu prévenir ça, mais il semble que c’est le cas et c’est ce qui me fait peur

A aider ses pauvres parents dans leur combat Comment expliquez-vous l’usage de la peur et de la surprise dans ces messages

La peur est implicite ici, elle touche notre imagination car ce sont les récits qui te poussent à recréer les émotions, et c’est qui est très percutant

La peur est un argument essentiel pour nous toucher, autrement on oublie

La surprise provient du fait qu’on ne s’attend pas à écouter de tels récits. Une vie ordinaire qui bascule d’une minute à une autre c’est terrifiant

La peur est inévitable dans ce cas car ce phénomène est

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difficile à cerner Je ne vois pas comment on ne peut pas avoir peur, ça

peut nous arriver à nous, personne n’est à l’abri

Volet 2 : Les techniques de persuasion utilisées Qu’est ce que les récits des parents suscitent en vous

Quand ils parlaient avec tous les détails je voyais les scènes qu’ils décrivaient, j’étais avec eux et ça fait comme un choc de ressenti leur perte et leur douleur après

On vit avec eux leur drame, c’est difficile à expliquer mais on a l’impression de voir leur cadre

La tristesse, car ils vivaient normalement avec une vie ordinaire, je me voyais avec mes enfants entrain de rigoler et imaginer leur départ de cette manière me terrifie

C’est difficile à décrire, on a vécu avec eux tout au long du récit, c’était vivant et la douleur est plus intense

C’est dur de ne pas sentir la peine des témoins, ils expriment leurs malheurs avec tant d’émotions retenues, ils ont peur qu’on les juge, et ça fait mal de penser qu’il y a des amalgames encore

Volet 3 : Impact des discours Pensez vous que les individus exposés à ces vidéos seront plus attentifs au phénomène de la radicalisation ?

Certainement, ça pousse à l’action, déjà on devient moins moralisateur envers les proches

Bien sûr, on est plus conscient de la complexité du phénomène et forcément on sera plus attentif

Ça pousse les jeunes à réfléchir avant de partir, je ne pense pas qu’ils supporteront de voir leurs parents dans cet état

Oui les jeunes seront conscients de l’impact de leurs actes avant d’agir, montrer les conséquences est très pertinent comme stratégie

En tout cas ça ne laisse pas indifférent Oui il faut le diffuser assez souvent pour rappeler les

conséquences causées aux proches C’est très efficace pour nous inciter à faire attention et

surtout à faire attention à ce qui nous entoure Conclusion

Quelle campagne vous a le plus marqué et pourquoi ?

Le film des témoignages est meilleur car il étale bien les conséquences

Le spot des parents, c’est très percutant on sent la douleur et c’est très fort

Le témoignage des familles est meilleur que le spot de recrutement, les messages des parents sont plus touchants

Le spot des familles provoque plus d’émotion que le précédent

Pour convaincre les jeunes il faut les toucher directement et il n’y a pas mieux que les parents qui peuvent les faire changer d’avis

Je préfère le spot des familles c’est plus réel, on sent qu’il est plus spontané

Les familles m’ont touché avec leur récit l’autre est resté sans impact majeur on l’oublie assez vite

109

Le résumé

Est ce que les pouvoirs publics peuvent mobiliser toutes les émotions ?

L’émotion suscitée conduit-elle à la transformation de l’état affectif à un état incitant à

l’action ? Quelles sont les techniques adoptées pour provoquer les émotions

souhaitées ? Les émotions ne varient-elle pas en fonction des cibles ce qui suppose

une étude de marché préalable? Comment évaluer l’efficacité de l’usage des

émotions dans une campagne de communication publique ?

En France, la radicalisation représente un défi majeur d’ordre sécuritaire et

identitaire qui menace la cohésion sociale. Le gouvernement a opté pour une

stratégie nationale pour prévenir la radicalisation. La communication publique

représente un axe important de cette stratégie afin de sensibiliser l’opinion publique

et créer des réflexes comportementaux chez les citoyens.

L’objectif principal de ce mémoire est de mettre en évidence les techniques de

persuasion empruntées à la publicité marchande, dans la conception des spots

mêlant image et discours pour atteindre les objectifs d’une campagne de prévention

de la radicalisation en se basant sur les émotions comme axe de communication.

La première partie du mémoire présente les enjeux de la communication

publique, le rôle des émotions dans la persuasion à travers une analyse des

campagnes de communication de la sécurité routière et de la prévention du Sida.

La deuxième partie est dédiée à l’étude empirique du mémoire. A travers une

recherche qualitative en deux temps à savoir par la conduite d’entretiens de groupe

et une analyse sémiologique, les hypothèses formulées seront confrontées aux

résultats et interprétations empiriques.

110

Mots clés

Comportement

Communication publique

Communication préventive

Djihadisme

Émotion

Image

Persuasion

Radicalisation

Recherche qualitative

Sémiologie