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Nutr Clin Mdtabol 1997; 11:215-216 Utilisation de l'insuline en nutrition artificielle chez le patient agress : introduction h la controverse Xavier Leverve Service d'Urgence et de R6animation, Unit6 de Nutrition Parent&ale, Grenoble. Introduire les deux textes que nous proposent Paul Boul6treau et Ren6 Chiot6ro en 6cho au d6bat vif et passionn6 qu'ils ont suscit6/t Gen6ve au cours de la journ6e organis6e par la SFNEP dans le cadre du congr6s de I'ESPEN, impose de rappeler l'6tat d'es- prit qui a entour6 le choix de ce sujet. En effet, le d6bat a d'abord commenc6 au sein du conseil de la SFNER car d~sesp+r6ment << r~tro >> (pour ne pas dire pass~iste) pour les uns, ce sujet repr6sentait pour les autres un v6ritable objet de d6bat tant le probl+me reste actuel et quotidien dans les services de r~animation et de soins intensifs. L'utilisation d'insuline chez les patients agress6s, en dehors du cadre de diab+te insulino-d6pendant ou << requ6rant >), reste assez large, souvent pour ma~triser une glyc6- mie, parfois avec une arri6re pens~e anabolique... Une fois ce choix d~cid+, il a fallu trouver les prota- gonistes, et si le champion de l'attitude <<contre >>a ~t6 facilement trouv~, le << pour >> a ~t~ plus difficile... Paul Boul6treau a gentiment accept6, sans doute pour le jeu, car l'int+r~t de cet exercice repose plus sur l'~change d'arguments rationnels que sur la conviction, ffit-elle tr6s grande. Aussi, je ne suis pas stir que nous lui ayons demand~ de d6fendre des id6es qu'il partageait. Par contre, il est int6ressant de constater qu'au fur et/t mesure qu'il s'est plong~ dans les arguments pour d&endre sa position, il s'est progressivement convaincu lui-m~me, et je crois que le texte pr6sent6 iciest r~ellement un plaidoyer pour l'utilisation de l'insuline en nutrition parent6rale chez le malade agress& Un grand merci /t tousles deux ! I1 existe deux principales indications d'insulinoth6- rapie en r6animation, l'une caract~ris6e par la ca- fence en insuline et l'autre par l'effet anabolique sur les diff6rentes voles m~taboliques et, en particulier, sur les prot~ines. En dehors du diab6te de type I, qui ne pose pas de probl6me de d~finition, la carence relative en insuline chez le patient agress6 est plus d61icate ~ d~finir : si l'insuline est en g6n6ral haute, l'est-elle assez par rapport fi la glyc6mie? Ce qui conduit/t poser la question (un peu embarrassante) de la valeur de l'insulin6mie la plus adapt6e au cours de l'agression. Lorsque, au cours de l'agression, l'apport de glucose /t l'organisme se limite /t la glucon6ogen+se spontan6e (ce qui n'est plus vrai- ment le cas habituel), l'insulinor6sistance est, de mon point de vue, un m6canisme r6solument adap- tatif/t t'6tat d'agression, permettant d'orienter au mieux ces carbones glucidiques si co~tteux lorsqu'ils proviennent des protdines museulaires [1]. A l'oppos6, si le glucose peut &re si largement perfus6 qu'il n'est plus mdtaboliquement ~ prbeieux ~, pourquoi se pri- vet d'activer son m&abolisme aussi largement que possible grfice ~ des apports supraphysiologiques d'insuline ? Cela conduit/t utiliser l'insuline selon les termes de Paul Boul&reau comme un facteur anabolique peu cher et tr+s efficace. En fait, l'insuline a de tr+s nombreux effets comme Paul Boul6treau et Ren6 Chiol6ro vont nous le rappeler ci-apr6s [2, 3]. Mais, en plus de leur diversit6, ces effets ne s'exercent pas pour les m~mes concentrations. En d'autres termes, pour b4n4fieier des effets sur le m4tabolisme des glue# des eta fortiori des prot4ines, il faut e passer ~ au prdalable par les effets puissants sur le mdtabolisme lipidique (inhibition de la lipolyse et de la e4togenOse et stimulation de la lipogenOse) et sur la d4pense 4nerg4tique. L'int6r~t de l'insulinor6sistance est de priver les deux principaux tissus qui peuvent &re particuli+rement <<gourmands en glucose >> : le tissu adipeux et le muscle. En rendant le tissu adipeux Correspondance : Pr Xavier Leverve, Service d'Urgence et de R6animation, Unit6 de Nutrition Parent&ale, BP 217, 38043 Grenoble cedex 09. Regu le 17 juillet 1997. 215

Utilisation de l'insuline en nutrition artificielle chez le patient agressé : introduction à la controverse

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Nutr Clin Mdtabol 1997; 11:215-216

Utilisation de l'insuline en nutrition artificielle chez le patient agress : introduction h la controverse

Xavier Leverve

Service d'Urgence et de R6animation, Unit6 de Nutrition Parent&ale, Grenoble.

Introduire les deux textes que nous proposent Paul Boul6treau et Ren6 Chiot6ro en 6cho au d6bat vif et passionn6 qu'ils ont suscit6/t Gen6ve au cours de la journ6e organis6e par la SFNEP dans le cadre du congr6s de I'ESPEN, impose de rappeler l'6tat d'es- prit qui a entour6 le choix de ce sujet. En effet, le d6bat a d'abord commenc6 au sein du conseil de la SFNER car d~sesp+r6ment << r~tro >> (pour ne pas dire pass~iste) pour les uns, ce sujet repr6sentait pour les autres un v6ritable objet de d6bat tant le probl+me reste actuel et quotidien dans les services de r~animation et de soins intensifs. L'utilisation d'insuline chez les patients agress6s, en dehors du cadre de diab+te insulino-d6pendant ou << requ6rant >), reste assez large, souvent pour ma~triser une glyc6- mie, parfois avec une arri6re pens~e anabolique... Une fois ce choix d~cid+, il a fallu trouver les prota- gonistes, et si le champion de l'attitude << contre >> a ~t6 facilement trouv~, le << pour >> a ~t~ plus difficile... Paul Boul6treau a gentiment accept6, sans doute pour le jeu, car l'int+r~t de cet exercice repose plus sur l '~change d 'arguments rat ionnels que sur la conviction, ffit-elle tr6s grande. Aussi, je ne suis pas stir que nous lui ayons demand~ de d6fendre des id6es qu'il partageait. Par contre, il est int6ressant de constater qu'au fur e t / t mesure qu'il s'est plong~ dans les arguments pour d&endre sa position, il s'est progressivement convaincu lui-m~me, et je crois que le texte pr6sent6 iciest r~ellement un plaidoyer pour l 'utilisation de l'insuline en nutri t ion parent6rale chez le malade agress& Un grand merci /t tous les deux ! I1 existe deux principales indications d'insulinoth6- rapie en r6animation, l'une caract~ris6e par la ca- fence en insuline et l'autre par l'effet anabolique sur les diff6rentes voles m~taboliques et, en particulier,

sur les prot~ines. En dehors du diab6te de type I, qui ne pose pas de probl6me de d~finition, la carence relative en insuline chez le patient agress6 est plus d61icate ~ d~finir : si l'insuline est en g6n6ral haute, l'est-elle assez par rapport fi la glyc6mie? Ce qui condui t / t poser la question (un peu embarrassante) de la valeur de l'insulin6mie la plus adapt6e au cours de l'agression. Lorsque, au cours de l 'agression, l ' appor t de glucose /t l 'organisme se limite /t la glucon6ogen+se spontan6e (ce qui n'est plus vrai- ment le cas habituel), l ' insulinor6sistance est, de mon point de vue, un m6canisme r6solument adap- t a t i f / t t'6tat d'agression, permettant d'orienter au mieux ces carbones glucidiques si co~tteux lorsqu'ils proviennent des protdines museulaires [1]. A l'oppos6, si le glucose peut &re si largement perfus6 qu'il n'est plus mdtaboliquement ~ prbeieux ~, pourquoi se pri- vet d'activer son m&abolisme aussi largement que possible grfice ~ des apports supraphysiologiques d'insuline ? Cela condui t / t utiliser l'insuline selon les termes de Paul Boul&reau comme un facteur anabolique peu cher et tr+s efficace. En fait, l 'insuline a de tr+s nombreux effets comme Paul Boul6treau et Ren6 Chiol6ro vont nous le rappeler ci-apr6s [2, 3]. Mais, en plus de leur diversit6, ces effets ne s'exercent pas pour les m~mes concentrations. En d'autres termes, pour b4n4fieier des effets sur le m4tabolisme des glue# des e t a fortiori des prot4ines, il faut e passer ~ au prdalable par les effets puissants sur le mdtabolisme lipidique (inhibition de la lipolyse et de la e4togenOse et stimulation de la lipogenOse) et sur la d4pense 4nerg4tique. L'int6r~t de l'insulinor6sistance est de priver les deux principaux tissus qui peuvent &re particuli+rement << gourmands en glucose >> : le tissu adipeux et le muscle. En rendant le tissu adipeux

Correspondance : Pr Xavier Leverve, Service d'Urgence et de R6animation, Unit6 de Nutrition Parent&ale, BP 217, 38043 Grenoble cedex 09. Regu le 17 juillet 1997.

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moins sensible /t l'insuline, cet 6tat de r6sistance permet d'6viter les effets << lipidiques >> snr le tissu adipeux mais, bien stir, des concentrations 61ev6es d'insuline abolissent cette r6sistance. Autrement dit, faire le choix des effets anaboliques de l'insuline sur le m6tabolisme des prot6ines oblige l'organisme ~i m6taboliser davantage de glucides et /t synth6tiser massivement plus de lipides pour les stocker. Ainsi, il s'agit bien d'une vraie question de th6rapeutique avec un agent efficace, l'insuline, poss~dant diff6- rents effets, primitifs ou secondaires selon l'objectif choisi. Tout le probl6me sera donc de peser le fa- meux rapport b6n~fice/risque. ll est int6ressant de comparer les diff6rentes lectures qui peuvent ~tre faites ~i partir d'un m~me travail [4]. Chacun des 616ments mis en avant par Paul Boul6- treau [2] ou par Ren6 Chiol6ro [3] concernant ce travail est bien stir vrai, mais le probl~me est celui de l'effet global sur le patient. Concernant ce travail pr6cis6ment, on ne peut rester indiff6rent/t l'id6e de devoir fournir f i u n patient de 70 kg, m6me brtil6 s6v+rement, 9 800 calories par jour dont 1 400 g de glucose et ce pendant 7 jours ! Cette controverse permet de poser le v6ritable pro- blame qui est celui de !'objectif th6rapeutique r6el dans ce contexte : est-ce le maintien de la glyc~mie ? est-ce la stimulation de la synth+se des prot6ines en g6n6ral ? ou bien est-ce la r6duction de la morbidit6 des affections trait6es? Et si oui, comment 6valuer r6ellement cette modification de la morbidit6? On voit bien qu'il s'agit 1~i ~'un sujet d 'une brfilante actualit~ : comment ~valuer i'effiCacj~t6 de nos th6ra- peutiques nutritionnelles en r~animatibn ? I1 est clair que ces ~tudes sont part iculibrement difficiles et qu'on ne dispose que de peu ou pas de donn6es r~ellement convaincantes dans ce domaine. Ainsi, il est n6cessaire de s'imposer de r6sumer cette question comme une question classique de strat6gie th6rapeu- tique. Et, on le verra dans les deux textes, il existe des arguments fi consid6rer dans les deux points de vue pr6sentbs. - Si l 'objectif est de lutter contre une hyperglycbmie qui peut ~tre en soi d61~tbre, l'insulinoth6rapie est sans doute justifibe fi condition que l'on ait v6rifi6 au pr6alable, et en les chiffrant tous, que tes apports glucidiques ne sont pas excessifs. - Si l 'objectif est de << normaliser >> la glyc6mie, il est peut-~tre souhaitable de rappeler qu'une 16g6re hy-

perglyc6mie f ait partie des r6ponses << orient6es >> de l'organisme agress6 et qu'une hypoglyc~mie m6me transitoire est bien davantage dommageable qu'une hyperglyc6mie mod6r~e pendant quelques jours. - Si l 'objectif est de lutter contre <~ un d~ficit 6nerg6- tique >> li~ au manque d'insuline, il faut d'abord le documenter (hyperglyc6mie importante malgr6 des apports adapt6s aux d6penses mesur~es, c6togen6se excessive avec acidose, oxydation lipidique exclusive ou tr6s largement pr6dominante), puis il est sans doute licite de compenser ce qui est probablement un d6ficit relatif. - Si l 'objectif est d'obtenir un effet anabolique sur la synth+se des prot6ines, il faut au pr6alable documen- ter l'effet positif non seulement sur l'activation de telle ou tetle voie m6tabolique ou sur la composition corporelle, voire sur les syntheses prot6iques, mais surtout utiliser des crit+res de morbidit6, voire de mortalit~ qui permettent de quantifier l'effet global comprenant les b6n6fices r6els et les effets secondai- res d616t~res. En ce sens, ce d~bat sur l 'insuline est un d6bat exemplaire car si certains aspects paraissent bien (trop !) connus, d'autres sont encore dans l 'ombre et doivent imp6rat ivement n6cessiter des t ravaux convaincants pour passer de la recherche au do- maine des pratiques 6valu6es. La grande fr6quence de l'utilisation quotidienne de cette hormone doit nous amener fi r6fl6chir sur cette pratique.

Bibliographie

1. Leverve X, Fontaine E, Barnoud D, Guignier M. R6ponse hormonale 5. l'agression et hyperglyc6mie : r61e de la r6sistance fi l'insuline. In: Cons4quenees endocriniennes des dtats d'agression aiguO. Paris : Ar- nette, 1992: 101-20.

2. Boul6treau P. Pour un apport syst6matique d'insuline en nutrition parent6rale chez les patients agress6s. Nutr Clin Mdtabol 1997; 11: 217-20.

3. Chiol6ro R. Pas d'insuline dans la nutrition artificielle du patient agress6 ! Nutr Clin Mktabol 1997; 11: 221-4.

4. Sakurai Y, Aarsland A, Herndon DN, Chinkes DL, Pierre E, Nguyen TT. Stimulation of muscle protein synthesis by long-term insulin infusion in severely burned patients. Ann Surg 1995; 222: 283-97.

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