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Document généré le 27 nov. 2018 04:00 Drogues, santé et société Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance : usages et discours de jeunes adultes québécois Christine Thoër et Michèle Robitaille Volume 10, numéro 2, décembre 2011 URI : id.erudit.org/iderudit/1013481ar https://doi.org/10.7202/1013481ar Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Drogues, santé et société ISSN 1703-8839 (imprimé) 1703-8847 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Thoër, C. & Robitaille, M. (2011). Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance : usages et discours de jeunes adultes québécois. Drogues, santé et société, 10(2), 143–183. https://doi.org/10.7202/1013481ar Résumé de l'article L’utilisation de médicaments stimulants par les étudiants pour améliorer la performance académique en l’absence de trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et hors du cadre de la prescription, est une pratique qui semble gagner en popularité auprès des étudiants américains. Cette recherche exploratoire basée sur des entrevues semi-dirigées réalisées auprès de 26 jeunes adultes québécois étudiants et travailleurs, âgés de 20 à 25 ans, visait à documenter l’usage de stimulants et à cerner les significations qu’ils construisent autour de ces utilisations. Nos résultats montrent qu’étudiants et travailleurs recourent aux stimulants pour augmenter leur concentration et leur capacité à rester alertes dans le but d’améliorer la qualité de leur travail et leur productivité. Les discours que construisent ces jeunes adultes autour de ces pratiques renvoient à trois problématiques : une faille personnelle, un déséquilibre perçu entre les ressources personnelles et les contraintes qu’impose l’environnement académique ou professionnel et une difficulté à concilier les engagements dans des rôles multiples. Le recours aux médicaments stimulants est ainsi présenté par les jeunes adultes comme une stratégie d’automédication ou comme une ressource pour favoriser l’adaptation aux exigences de l’environnement ou aux multiples engagements identitaires. Les médicaments stimulants sont perçus comme des produits efficaces et relativement sécuritaires, et leur utilisation pour améliorer la performance est jugée légitime puisqu’elle vise la réussite académique ou professionnelle. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique- dutilisation/] Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org Tous droits réservés © Drogues, santé et société, 2012

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Document généré le 27 nov. 2018 04:00

Drogues, santé et société

Utiliser des médicaments stimulants pour améliorersa performance : usages et discours de jeunes adultesquébécois

Christine Thoër et Michèle Robitaille

Volume 10, numéro 2, décembre 2011

URI : id.erudit.org/iderudit/1013481arhttps://doi.org/10.7202/1013481ar

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)

Drogues, santé et société

ISSN 1703-8839 (imprimé)

1703-8847 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet article

Thoër, C. & Robitaille, M. (2011). Utiliser des médicamentsstimulants pour améliorer sa performance : usages et discoursde jeunes adultes québécois. Drogues, santé et société, 10(2),143–183. https://doi.org/10.7202/1013481ar

Résumé de l'article

L’utilisation de médicaments stimulants par les étudiants pouraméliorer la performance académique en l’absence de troublede déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et hors ducadre de la prescription, est une pratique qui semble gagner enpopularité auprès des étudiants américains. Cette rechercheexploratoire basée sur des entrevues semi-dirigées réaliséesauprès de 26 jeunes adultes québécois étudiants ettravailleurs, âgés de 20 à 25 ans, visait à documenter l’usage destimulants et à cerner les significations qu’ils construisentautour de ces utilisations. Nos résultats montrent qu’étudiantset travailleurs recourent aux stimulants pour augmenter leurconcentration et leur capacité à rester alertes dans le butd’améliorer la qualité de leur travail et leur productivité. Lesdiscours que construisent ces jeunes adultes autour de cespratiques renvoient à trois problématiques : une faillepersonnelle, un déséquilibre perçu entre les ressourcespersonnelles et les contraintes qu’impose l’environnementacadémique ou professionnel et une difficulté à concilier lesengagements dans des rôles multiples. Le recours auxmédicaments stimulants est ainsi présenté par les jeunesadultes comme une stratégie d’automédication ou comme uneressource pour favoriser l’adaptation aux exigences del’environnement ou aux multiples engagements identitaires.Les médicaments stimulants sont perçus comme des produitsefficaces et relativement sécuritaires, et leur utilisation pouraméliorer la performance est jugée légitime puisqu’elle vise laréussite académique ou professionnelle.

Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des servicesd'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vouspouvez consulter en ligne. [https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/]

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.

Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Universitéde Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pourmission la promotion et la valorisation de la recherche. www.erudit.org

Tous droits réservés © Drogues, santé et société, 2012

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance : usages et

discours de jeunes adultes québécois

Christine ThoërProfesseure,

Département de communication sociale et publiqueCentre de recherche sur la communication et la santé

(ComSanté)Université du Québec à Montréal

Michèle Robitaille Agente de recherche

Centre de recherche sur la communication et la santé (ComSanté)

Courriel : [email protected]

CoordonnéesCase postale 8888, succursale Centre-Ville

Montréal (Qc) H3C 3P8 Tél : 514 987-3000, poste 3295

Télécopieur : 514 987-6186

Courriel : [email protected]

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Numéro non thématique

RésuméL’utilisation de médicaments stimulants par les étudiants pour

améliorer la performance académique en l’absence de trouble de défi-cit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et hors du cadre de la prescription, est une pratique qui semble gagner en popularité auprès des étudiants américains. Cette recherche exploratoire basée sur des entrevues semi-dirigées réalisées auprès de 26 jeunes adultes québé-cois étudiants et travailleurs, âgés de 20 à 25 ans, visait à documenter l’usage de stimulants et à cerner les significations qu’ils construisent autour de ces utilisations. Nos résultats montrent qu’étudiants et tra-vailleurs recourent aux stimulants pour augmenter leur concentration et leur capacité à rester alertes dans le but d’améliorer la qualité de leur travail et leur productivité. Les discours que construisent ces jeunes adultes autour de ces pratiques renvoient à trois problématiques : une faille personnelle, un déséquilibre perçu entre les ressources per-sonnelles et les contraintes qu’impose l’environnement académique ou professionnel et une difficulté à concilier les engagements dans des rôles multiples. Le recours aux médicaments stimulants est ainsi présenté par les jeunes adultes comme une stratégie d’automédication ou comme une ressource pour favoriser l’adaptation aux exigences de l’environnement ou aux multiples engagements identitaires. Les médicaments stimulants sont perçus comme des produits efficaces et relativement sécuritaires, et leur utilisation pour améliorer la perfor-mance est jugée légitime puisqu’elle vise la réussite académique ou professionnelle.

Mots-clés : médicaments, stimulants, performance, mésusages, étudiants, jeunes adultes

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

Use of prescription stimulants to enhance performance: Discourses and practices

among young adults in Quebec

AbstractNon-medical, stimulant-use to enhance performance seems to

be increasingly popular among American students who do not suffer from an Attention deficit hyperactivity disorder (ADHD). The objective of this exploratory study, based on semi-structured interviews with 26 young adult Quebecers aged 20-25, was to better document the use of stimulants among college students and young workers and to understand how they construct meaning for their drug use. Results show that both students and workers use prescription stimulants to help them concentrate, enhance alertness and to allow them to work for long hours without sleep. Their objective is to improve the quality of their work and their productivity. The reasons for using stimulants to enhance performance refer to three issues: a personal flaw, a per-ceived imbalance between personal resources and constraints imposed by the academic or work environment, and difficulties in dealing with commitments in multiple roles. The use of stimulant drugs is presented by young adults as a strategy of self-medication and a way to adapt to environmental demands or multiple identity commitments. Stimulant medications are seen as relatively safe and effective products and their use to improve performance is considered legitimate since it serves academic or professional success.

Keywords: prescription drugs, stimulants, performance, misuse, students, young adults

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Numéro non thématique

La utilización de medicamentos estimulantes para mejorar el

rendimiento: usos y discursos de jóvenes adultos quebequenses

ResumenLa utilización de medicamentos estimulantes para mejorar el ren-

dimiento académico de los estudiantes, en la ausencia de trastorno por déficit de atención e hiperactividad (TDAH) y fuera del marco de la prescripción, es una práctica que parece ganar popularidad entre los estudiantes americanos. Esta investigación exploratoria, basada en entrevistas semidirigidas realizadas entre 26 jóvenes adultos que-bequenses de entre 20 y 25 años de edad, estudiantes y trabajadores, tenía por objetivo el documentar el uso de estimulantes e identificar el significado que construyen en torno a esta utilización. Nuestros resul-tados demuestran que los estudiantes y trabajadores recurren a los estimulantes para aumentar su concentración y su capacidad para permanecer alertas con el fin de mejorar la calidad de su trabajo y su productividad. Las declaraciones que ofrecen estos jóvenes adultos con respecto a esta práctica presentan tres problemáticas: una falla personal, un desequilibrio observado entre los recursos personales y las obligaciones que impone el medio académico o profesional y una dificultad para conciliar los compromisos dentro de los múltiples papeles. Los jóvenes presentan el recurso a los medicamentos estimu-lantes como una estrategia de automedicación o como un recurso para favorecer la adaptación a las exigencias del medio o a los múltiples compromisos relativos a la identidad. Los medicamentos estimulantes se perciben como productos eficaces y relativamente seguros y se juzga que su uso para mejorar el rendimiento es legítimo, ya que concierne el éxito académico o profesional.

Palabras clave: medicamentos, estimulantes, rendimiento, mal uso, estudiantes, jóvenes adultos

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

RemerciementsCe projet a été rendu possible grâce à un financement du

Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC) dans le cadre du programme pour l’établissement de nouveaux chercheurs.

Nous remercions Florence Millerand et les réviseurs de Drogues, santé et société pour leurs commentaires constructifs et très inspirants sur la première version de cet article.

Introduction En septembre 2011, des chercheurs canadiens soulignaient

dans un éditorial du Journal de l’Association médicale cana-dienne, les risques que courent les étudiants en consommant des médicaments stimulants pour améliorer leur performance aca-démique (Rosenfield, Hébert, Stanbrook, Flegel & MacDonald, 2011). Dans les faits, la consommation de médicaments sti-mulants par les étudiants est peu documentée au Canada. Les données épidémiologiques sont en effet presque exclusivement américaines. Par ailleurs, les pratiques sont encore mal cernées tout comme la perspective des utilisateurs.

L’objectif de cette recherche exploratoire est de cerner les usages à des fins de performance physique et/ou intellectuelle des médicaments stimulants par des étudiants et des jeunes tra-vailleurs québécois ainsi que les significations que construisent ces acteurs autour de ces pratiques de consommation.

ContexteL’utilisation non médicale des médicaments stimulants

disponibles sous ordonnance, c’est-à-dire leur consomma-tion par des individus qui ne détiennent pas de prescription

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Numéro non thématique

et qui utilisent ces médicaments hors de leurs indications thérapeutiques pour améliorer leur performance, a surtout été documentée chez les populations étudiantes. Ces travaux montrent que les étudiants âgés de 18 à 25 ans ont recours aux médicaments stimulants comme aide à l’étude indivi-duelle, pour améliorer leur concentration et leur capacité à rester alertes, et ainsi augmenter leur performance acadé-mique (Arria & Wish, 2005 ; Barrett, Darredeau, Bordy & Pihl, 2005 ; Carroll, McLaughlin & Blake, 2006 ; Kolek, 2006 ; Prudhomme-White, Becker-Blease & Grace-Bishop, 2005 ; Teter, McCabe, LaGrange, Cranford & Boyd, 2006). Selon des études américaines réalisées dans différentes universités aux États-Unis, l’usage des stimulants à des fins d’amélioration de la performance concernerait 1,5 % à 35 % des étudiants (Bogle et Smith, 2009 ; Wilens & al., 2008). Ces pratiques seraient plus fréquentes dans les collèges du Nord-Est des États-Unis et au sein des universités les plus compétitives. Elles seraient aussi plus répandues chez les hommes de race blanche, les étudiants obtenant des moyennes générales plus faibles et les membres de fraternités universitaires (McCabe, Knight, Teter & Weschsler, 2005).

Les produits privilégiés par les étudiants pour améliorer leurs performances cognitives sont l’amphétamine (Adderall®), la dextro-amphétamine (Dexedrine®) et le méthylphénidate (Ritalin®) (Teter, McCabe, LaGrange, Cranford & Boyd, 2006). De manière générale, l’accès aux médicaments stimulants ne semble pas problématique, les étudiants se les procurant essen-tiellement auprès de pairs détenant une prescription pour réguler leur trouble de déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) (Carroll, McLaughlin & Blake, 2006 ; DeSantis, Webb & Noar, 2008). Lovell (2008) parle de « fuitage pharmaceutique » pour décrire ce processus par lequel les médicaments passent de la sphère médicale vers d’autres contextes, soulignant que le phé-nomène peut prendre deux formes : « Les médicaments peuvent

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“couler” des lieux de la médecine (les officines, les cabinets) vers la sphère économique, où ils sont l’objet d’un trafic illi-cite. Ils peuvent aussi passer des mains des patients auxquels ils ont été prescrits à d’autres mains, comme des membres de la famille, des amis ou des inconnus » (Lovell, 2008, p. 309).

Selon deux études réalisées aux États-Unis et au Québec, l’utilisation des médicaments stimulants pour améliorer la performance académique ferait l’objet d’une certaine accep-tation sociale. L’étude de DeSantis & Hane (2010) réalisée auprès d’étudiants américains montre que ceux-ci jugent ces pratiques moralement acceptables puisqu’elles visent la réussite académique, sont motivées par le caractère compétitif de l’envi-ronnement, et restent modérées et occasionnelles. Au Québec, Forlini & Racine (2009a) ont réalisé une étude visant à cerner les représentations du méthylphénidate (Ritalin®) chez trois types d’acteurs : des étudiants montréalais âgés de 25 ans et moins, des parents d’étudiants et des soignants et mettent en évidence des croyances similaires. En effet, ces acteurs considèrent le recours aux médicaments stimulants comme une décision qui relève de la liberté individuelle et qui s’inscrit dans un contexte où les étudiants sont soumis à d’immenses pressions sociales pour réussir et performer.

L’utilisation des médicaments stimulants pour augmenter la performance concerne aussi des populations adultes en milieu de travail, mais elle y a été moins documentée sinon dans certains contextes professionnels précis comme les milieux académiques (Maher, 2008 ; Sahakian & Morein-Zamir, 2007). Les médica-ments stimulants figurent également parmi les médicaments détournés de leurs indications thérapeutiques par certaines caté-gories de travailleurs tels les pharmaciens (Dabney & Hollinger, 1999), les médecins (Laure & Binsinger, 2003), les conducteurs de camions (Leyton & al., 2011), ces travaux ne portent toutefois pas spécifiquement sur les usages à des fins de performance. À notre connaissance, aucune étude ne s’est ainsi intéressée

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aux pratiques de consommation des médicaments stimulants des jeunes adultes présents sur le marché du travail. On ne sait donc pas comment évolue la consommation des médicaments stimulants à des fins de performance lorsque les jeunes adultes entrent sur le marché du travail.

Cerner les usages et le sens du recours aux médicaments stimulants

La sociologie des usages et plus spécifiquement les tra-vaux d’Akrich (1996) montrent que le dispositif technique qui entoure le médicament (la galénique, l’emballage, la notice du produit et les intermédiaires existant entre l’usager et le médicament) encadre, voire encourage certaines actions des usagers. Toutefois, les individus sont capables d’être créatifs, de transformer les objets qu’ils utilisent dans leur quotidien et même, de contourner les usages prescrits (de Certeau, 1980). Dans le cas du médicament, sa relative disponibilité rend la technologie biomédicale accessible aux individus dans la sphère privée, ouvrant la voie à la construction d’usages nouveaux (van der Geest & Reynolds Whyte, 2003).

Comprendre les usages des médicaments, c’est aussi s’inté-resser aux contextes d’usage et aux modes d’appropriation de ces objets. Akrich (1996, p. 135) souligne ainsi l’importance « de reconstituer le monde dans lequel ils prennent sens, [de] s’interroger sur les ressources mobilisées par ses utilisateurs, [de] reconstruire les opérations par lesquelles ils s’en saisissent, [de] déployer le faisceau de liens dans lesquels ils les enserrent ». Par ailleurs, le médicament n’est pas un objet de consommation comme les autres, toutes les étapes qu’il traverse depuis son développement comme molécule jusqu’à sa consommation par l’utilisateur, en passant par la prescription par le médecin et la distribution par le pharmacien, marquent la construction des significations qui lui sont associées (Akrich, 1996 ; Garnier,

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2003 ; van der Geest, Reynolds Whyte & Hardon, 1996). Que se passe-t-il quand les étapes de prescription et de distribution sont réorganisées, comme c’est le cas lorsque le médicament est consommé sans supervision médicale et à des fins d’amé-lioration de la performance physique ou intellectuelle ? Quelle est alors la représentation du médicament ?

Akrich (1996) souligne également le caractère social de l’usage des médicaments. Cerner le sens du recours aux médi-caments hors du cadre médical et à des fins d’amélioration de la performance renvoie ainsi aux représentations sociales de ces objets et nécessite de s’interroger sur les contextes macro-sociaux de leur consommation. Certes, le recours à des subs-tances, qu’elles soient prescrites ou non, légales ou illégales, pour augmenter les performances cognitives n’est pas une pra-tique récente. L’usage non médical des médicaments stimulants pour améliorer la performance académique existe quant à lui depuis de nombreuses années dans les milieux universitaires (Hall, 2004). Toutefois, ces pratiques semblent gagner en popu-larité dans certaines universités américaines (DeSantis, Webb & Noar, 2008). Or ces univers ne fonctionnent pas comme des univers clos ; l’usage des médicaments renvoyant à des normes et des logiques d’usage plus larges. Collin, Otero et Monnais (2006, p. 3) soulignent ainsi que les médicaments psychotropes constitueraient « de puissants instruments de socialisation, et pour certains de mise en conformité, dans des sociétés caracté-risées par un individualisme de masse, où prévaut une exigence d’adaptation permanente à des changements rapides et à une normativité sociale axée sur la responsabilité individuelle, la performance continuelle et la valorisation de l’autonomie ». Par ailleurs, l’effondrement des institutions traditionnelles a pour conséquence que l’individu « se morcelle en identités sociales multiples [et qu’il] doit faire face à des exigences lourdes en lien avec chacune » (van Caloen, 2004, p. 74). Comprendre le recours aux médicaments stimulants des jeunes adultes nécessite

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ainsi de saisir comment ceux-ci négocient leur investissement dans les différents rôles sociaux dans lesquels ils sont engagés.

Le recours aux médicaments pour améliorer la performance soulève aussi un débat sociétal : celui « du droit au “dopage” » (van Caloen, 2004, p. 75). Pour certains, les médicaments, comme d’autres technologies biomédicales, annonceraient, une ère de plus grande liberté individuelle. En refaçonnant les corps, ils contribueraient à l’émergence d’un « corps cyborg » à la fois naturel et fabriqué, permettant de transgresser les fron-tières, de dépasser le déterminisme biologique, et de réinventer les identités (Haraway, 1991). D’autres présentent une vision plus critique, soulignant le potentiel normalisateur de la phar-macologisation des corps (Monzée, 2010). Les pratiques de consommation du médicament hors de la supervision médicale pourraient aussi témoigner d’une volonté d’autonomie des indi-vidus à l’égard des médecins et de l’institution médicale (van der Geest, Reynolds Whyte & Hardon, 1996). Quels sens les jeunes adultes qui utilisent les médicaments stimulants à des fins d’amélioration de la performance donnent-ils à leurs pratiques ?

MéthodeAfin de cerner les usages et le sens que les jeunes adultes,

étudiants et travailleurs, donnent à leur utilisation des médica-ments stimulants pour améliorer leur performance, nous avons procédé à des entretiens semi-dirigés auprès de 26 jeunes adultes. La sélection des participants s’est faite sur la base des critères d’inclusion suivants : les participants devaient au moment de l’entretien être âgés entre 18 et 25 ans, avoir consommé au cours des deux mois précédents des médicaments stimulants d’ordonnance à des fins de performance et ne pas détenir de prescription pour ces produits. Pour la majorité, les partici-pants étudiants ont été recrutés grâce aux services de petites annonces universitaires alors que les travailleurs ont répondu

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

à des annonces placées dans un journal gratuit ainsi que sur différents sites d’annonces sur Internet. Six participants ont été recrutés par les agents de recherche eux-mêmes à titre de connaissances indirectes1.

Notre échantillon est composé de 19 garçons et 7 filles, dont 15 parlaient principalement l’anglais et 11 le français, âgés de 20 à 25 ans (moyenne d’âge de 23 ans), vivant dans la région du grand Montréal et issus des classes moyennes et supérieures. Vingt participants étaient en voie de compléter ou avaient terminé un premier cycle universitaire. Onze participants se définissaient avant tout comme étudiant (parmi lesquels sept possédaient un emploi), sept se définissaient comme étudiants/travailleurs (avec des implications sur le marché du travail allant de 25 à 30 heures par semaine), les huit autres étant uniquement sur le marché du travail où ils occupaient des emplois variés (cols blancs et cols bleus) à raison de 30 à 50 heures par semaine. Les étudiants provenaient des quatre universités montréalaises et étaient engagés dans différents programmes en sciences, en administration, en droit, en sciences humaines et en arts.

Quatre interviewers2 ont procédé à ces entretiens qui abor-daient les occupations du jeune adulte, la description d’une journée type, la perception de l’état de santé, les contacts avec le système de soins, les médicaments consommés à des fins médi-cales, les médicaments non prescrits consommés pour améliorer la performance, les sources d’information et d’accès au sujet de ces produits, l’initiation à la consommation, les contextes et les motifs d’utilisation de ces produits, l’expérience des effets et

1 La collecte des données s’est produite en deux phases, une première à l’été 2010 : au cours de laquelle ont eu lieu des entretiens centrés sur la consommation de médicaments stimulants à des fins de performance académique (N=14), puis une deuxième à l’automne 2010 et l’hiver 2011, centrée sur la consommation en milieu de travail (N=12).

2 Nous souhaitons remercier les trois assistants de recherche qui ont participé à la réalisation de ces entretiens soit : Geoffroy Renaud, Anne-Marie Denault et Marianne Bureau.

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Numéro non thématique

leur évolution dans le temps, les effets non désirés, la percep-tion des risques associés à la consommation de médicaments stimulants, le regard des autres sur la consommation personnelle de stimulants, les représentations sociales de cette pratique, le caractère légal ou illégal de la pratique et enfin, le rapport entre médicaments et drogues illégales. La grille d’entrevue préliminaire a été traduite pour répondre aux besoins de nos participants anglophones.

Étant donné la teneur du sujet de la recherche et l’hésitation exprimée par certains participants, nous avons choisi d’offrir à ceux qui le désiraient la possibilité de répondre aux questions par courrier électronique. Quatre étudiants ont opté pour cette procédure, les 22 autres entrevues ayant été réalisées en face à face3. Hunt et McHale (2007) soulignent que dans le cadre des entrevues asynchrones, le discours produit est souvent plus réflexif puisque le participant a plus de temps pour élaborer sa réponse. C’est effectivement ce que nous avons observé dans ces quatre entrevues au cours desquelles les participants ont amené une réflexion plus poussée sur le contexte sociétal de l’usage des médicaments stimulants. Par ailleurs, nous avons remarqué que les discours étaient plus construits, notamment en ce qui concerne les récits d’initiation à l’usage des stimulants. Enfin, les entrevues par courriel étaient plus courtes sans doute parce que le poids de la transcription repose sur le participant (Kazmer & Xie, 2008). Les thèmes abordés étaient par contre très similaires, peu importe le mode de collecte. Toutefois, le nombre réduit d’entretiens réalisés par courriel ne permet pas une véritable comparaison de la forme ou du contenu des dis-cours produits.

3 Les entretiens réalisés en face à face, d’une durée variant de 45 minutes à deux heures, ont été enregistrés et entièrement retranscrits. Pour ceux réalisés en ligne, en moyenne dix courriels par participant (cinq séries de questions, cinq séries de réponses) ont été échangés, excluant les échanges de sélection, d’introduction et de remerciement. À la fin des entretiens, chaque participant était invité à remplir une fiche signalétique et recevait une compensation de 20 $.

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

Notre analyse s’inspire des procédures de la théorisation ancrée (Paillé, 1994), soit d’une approche inductive, avec une analyse simultanée à la collecte des données, qui a amené plu-sieurs ajouts à la grille d’entretien au cours du projet. Une première lecture des éléments du corpus a permis de dégager les catégories thématiques pertinentes et de produire une grille de codification qui s’est enrichie au fur et à mesure de la collecte des données. L’analyse a été réalisée à l’aide du logiciel N-Vivo et a produit plus de 170 catégories que nous avons organisées autour de 14 thèmes généraux : les produits utilisés (dénomina-tions), les modes d’accès, les usages, les modes d’appropriation de la pratique, les sources d’information, l’initiation à la pra-tique, l’expérience des effets, les discours de légitimation, le rapport au risque, le statut des médicaments versus les drogues illégales, les formes d’expertise, le rapport à l’expertise médi-cale, les représentations sociales de la pratique, la transposition d’un univers de consommation à l’autre, les représentations du corps sous médication4. Nous avons systématiquement mis l’accent dans l’analyse sur les similitudes et les divergences dans les discours des étudiants et des travailleurs.

Ce projet a été approuvé par le Comité institutionnel d’éthique de la recherche chez l’humain (CIÉR) de l’UQAM. Compte tenu de la sensibilité des pratiques à l’étude, les inter-viewers questionnaient les participants, en clôture de l’entre-vue, sur leur expérience de participation à la recherche et les préoccupations que celle-ci pouvait avoir suscitées. Ils les réfé-raient si nécessaire vers des ressources appropriées. Une syn-thèse des résultats sera diffusée aux participants à la recherche.

4 Toutes ces catégories ne feront pas l’objet du présent article.

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Numéro non thématique

Résultats La présentation des résultats est organisée en trois temps

avec en premier lieu, une description des usages et des moti-vations d’usage des médicaments stimulants par les jeunes adultes. Nous présentons ensuite leurs représentations de ces médicaments puis analysons les discours qu’ils construisent pour expliquer leur consommation.

Des usages variés souvent initiés pendant la scolarité

Nos participants rapportent utiliser les stimulants cognitifs essentiellement pour augmenter leur capacité de concentration et ainsi améliorer la qualité de leur travail ou leur producti-vité. Ceux qui se décrivent principalement comme étudiants s’inscrivent dans une recherche d’amélioration de leur ren-dement académique et utilisent les médicaments dans le but de rester concentrés pendant de longues heures pour préparer un examen ou rédiger un travail universitaire. L’utilisation du médicament donne notamment la possibilité d’aller au-delà des capacités de concentration et de travail habituelles et de se lancer dans des « marathons d’étude », plusieurs heures d’affilée, parfois toute la nuit.

Le médicament aide aussi à ne pas se laisser distraire par différentes activités ou par ses pensées ou ses émotions. À ce titre, il est d’ailleurs utilisé par certains étudiants pour réduire leurs difficultés à se mettre au travail :

« […] je suis en retard à l’école parce que je m’assois pour dix minutes et après, je veux boire du jus, après le jus, je regarde quelque chose que je faisais avant et je fais ça, et après je fais : ah oui le papier. Mais quand je prends l’amphétamine, je m’assois et je peux rester assise

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

pour deux heures, à travailler sur mon papier [sans] être distraite » (Zoé)5.

Les participants insistent tout particulièrement sur le fait que le médicament les aide à résister aux multiples sources de distraction associées au fait d’être connecté à Internet :

« Tu t’assis pis tu fais tes travaux, tu penses à rien d’autre. T’écoutes pas de musique, tu vas pas voir sur Internet, tu vas pas voir les e-mails, tu t’en vas pas sur MSN là. T’es assis et tu travailles » (Alain).

La capacité de concentration et la durée de concentration ne sont pas les seuls effets cognitifs rapportés. L’amélioration de la mémoire est un autre effet mentionné par certains de nos partici-pants. Plusieurs soulignent aussi que les idées leur viennent plus facilement et que les liens se font plus rapidement. Quelques-uns soulignent aussi que le recours au médicament réduit l’effort à fournir pour étudier ou réaliser un travail académique :

« Des fois, je vais à la bibliothèque un samedi ou un dimanche […] j’arrive là, je suis encore sur le len-demain de veille. […] t’as la tête qui est comme lourde […] t’ouvres ton livre, tu lis trois lignes et tu te souviens même plus de ce que t’as lu puis tu te remets à lire genre cinq fois avant de comprendre que … fake tsé, c’est plus simple de juste prendre ça […] pour avoir de meilleurs résultats en faisant moins d’effort ! » (Jean-Baptiste).

Certains signalent même un effet presque magique du médicament qui permettrait une rétention des connaissances sans effort : « En 30 minutes, la concentration est décuplée et la matière s’absorbe d’elle-même » (Éric).

5 Nous avons procédé à une correction partielle des verbatims, en supprimant notam-ment les hésitations de l’oral, de manière à rendre les discours compréhensibles à l’écrit.

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Numéro non thématique

Ceux qui se décrivent essentiellement comme travailleurs, utilisent eux aussi le médicament dans le but d’augmenter la capacité à rester concentré de longues heures. Ils y ont recours pour réaliser certaines activités précises, souvent des tâches fastidieuses ou nécessitant une plus grande concentration (pro-grammation sur ordinateur, participation à un congrès, montage vidéo, etc.).

« Il y a à peu près deux ans, j’ai réalisé que Adderall® pis Ritalin® ça m’aide beaucoup quand je travaille, quand je fais la conception de programmes. Il faut que je reste devant un ordinateur à travailler sur quelque chose pendant plusieurs heures, puis je trouve que quand j’en prends, ça m’aide beaucoup à me concentrer » (Mathieu).

Un des participants associe sa consommation à ses débuts dans un nouvel emploi qu’il jugeait particulièrement exi-geant en termes d’apprentissage et d’acquisition de nouvelles connaissances :

« […] ça fait un an et demi que je travaille [dans le domaine des assurances et] au début, je trouvais ça vrai-ment difficile parce que je ne connaissais pas le domaine. Il y avait beaucoup de choses à apprendre et je pense que la médication m’aidait vraiment à avoir une bonne mémoire à court terme, à être alerte et tout ça » (Roland).

Plusieurs travailleurs et étudiants-travailleurs utilisent éga-lement ces produits afin d’augmenter leur productivité pendant les heures de travail, ce qui leur permet d’obtenir un meilleur salaire (paye à la tâche), de démontrer leur efficacité, ou encore de disposer de plus de temps libre.

Pallier le manque de sommeil constitue une autre raison motivant la consommation de ces produits pour l’ensemble de nos participants qui les utilisent pour contrer la fatigue et retrouver « un second souffle ». Le manque de temps est un

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

thème central dans notre corpus. La consommation de stimulants permet par exemple, aux étudiants, de raccourcir le nombre et la durée des périodes d’études et ainsi « d’acheter du temps ».

« Ces médicaments-là ça me donne un grand pou-voir parce que ça achète le temps… ça le multiplie. Tu deviens euh… plus efficace, plus vite, meilleur ! » (Éric).

Le médicament peut aussi être pris ponctuellement en vue de l’engagement dans des activités précises ou plus régulière-ment pour faire face aux multiples activités dans lesquelles les participants sont engagés :

« […] ma vie est active, je travaille les nuits, je vais à l’école les jours, pis je consomme pour me garder debout [rires]. Me garder réveillé ! [rires] Parce que sinon, j’avais pas assez d’énergie pour faire mon shift de travail » (John).

On observe aussi une diffusion des pratiques dans d’autres univers. Plusieurs participants rapportent ainsi un usage récréatif occasionnel des stimulants pharmaceutiques. Certains y ont recours dans le but d’être plus à l’aise lors de rencontres sociales. Enfin quelques-uns rapportent consommer des stimulants pour accomplir des tâches ménagères.

Le rôle des pairs dans l’initiation à la pratique

Les formes d’initiation à la consommation des stimulants sont multiples. Parmi les participants qui utilisent ces médica-ments à des fins de performance académique, plus de la moitié ont à l’origine été initiés à cette pratique par leurs amis ou collègues d’études qui leur ont souvent offert une occasion de les expérimenter. Certains ont décidé de faire un essai de ces produits parce qu’ils en entendaient parler sur le campus.

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Numéro non thématique

« J’entendais des étudiants du département parler de cette soi-disant drogue magique qui donnait un certain avantage pendant les périodes d’examen. J’avais envie d’essayer » (Li)6.

Chez les travailleurs, certains ont été initiés directement sur leur lieu de travail, par des collègues qui leur ont conseillé d’utiliser des stimulants pour améliorer leur concentration ou lutter contre la fatigue.

« […] je travaillais pour une compagnie X, à Montréal et il y avait plusieurs de mes collègues qui prenaient de l’Adderall® au travail juste pour mieux se concentrer […] quelqu’un m’en a offert et j’en ai pris » (Mathieu).

Les autres participants qu’ils soient étudiants ou tra-vailleurs ont commencé à utiliser ces médicaments à l’école secondaire ou au Cégep, souvent à des fins récréatives. Enfin, deux participants avaient eu une prescription de méthyphéni-date (Ritalin®) lorsqu’ils étaient enfants et ont décidé une fois jeune adulte de reprendre des médicaments stimulants, sans consulter un médecin.

Un accès facile aux médicaments

Parmi les produits utilisés, le méthylphénidate (Ritalin®) et l’amphétamine (Adderall®) sont de loin les plus utilisés. Nos participants accèdent en général à ces produits par l’entremise de pairs qui vendent, échangent ou donnent les médicaments. Quelques participants affirment aussi acheter leurs stimulants d’un revendeur ou les obtenir d’un adulte de leur entourage (un employeur, une tante, un ami médecin, un pharmacien-collègue). Les coûts varient entre 1 $ et 10 $ le comprimé. Pour la grande majorité des participants, l’accès aux médicaments ne semblait donc pas poser de problèmes.

6 Notre traduction.

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

Mode et fréquence de consommation

Nos participants consomment ces produits de deux façons : soit ils avalent une dose en début de journée ou au début de la séance d’étude ou de travail (10 à 20 mg d’amphétamine ou de dextroamphétamine ou 5 mg à 10 mg de méthylphéni-date), soit ils ingèrent une plus petite dose répétée à plusieurs reprises au cours de la journée. La prise répétée est pratiquée de façon très variable selon les participants. Pour ce qui est de l’administration du médicament, elle se fait généralement par voie orale, mais quelques participants mentionnent l’avoir déjà consommé par voie nasale, l’un d’entre eux jugeant ce mode d’administration plus efficace.

La fréquence de consommation des stimulants est très variable chez les participants rencontrés. La majorité des étu-diants consomme de façon ponctuelle : lors des périodes d’exa-men, lorsqu’une échéance approche (de deux fois par année à cinq fois par mois). La consommation peut alors s’étendre sur plusieurs jours lors des périodes d’examen par exemple, ou d’activités intenses ; l’usage est dans ces cas répété au fil des jours. Plusieurs étudiants déclarent d’ailleurs gérer le stock de médicaments en leur possession en prévision de ces événements.

Un tiers des participants, notamment des travailleurs et étudiants-travailleurs, consomment d’une façon que l’on peut qualifier de régulière, soit d’une à cinq fois par semaine. Il semblerait ainsi que l’utilisation en milieu de travail tende à favoriser une plus grande régularisation de la pratique avec toutefois des périodes de repos la fin de semaine :

« […] je consomme présentement Adderall® euh… pas mal tous les jours, peut-être la fin de semaine un peu moins, avant d’aller au travail […], je sais pas on dirait que ça me donne un petit peu confiance, je me sens plus réveillé, je me sens plus alerte » (Roland).

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Numéro non thématique

En ce qui concerne l’avenir, la plupart des étudiants affir-ment qu’ils n’ont pas l’intention de poursuivre leur consomma-tion après leurs études. Toutefois, parmi ceux qui sont étudiants/travailleurs, certains avaient transposé leur pratique dans le milieu de travail. De plus, presque tous les participants travail-leurs avaient commencé à consommer des stimulants à des fins d’amélioration de la performance au secondaire, au collégial ou à l’université. Ceci donne à penser que le passage d’un usage en milieu académique vers un usage en milieu professionnel est possible. Chez les travailleurs, l’utilisation des stimulants, en plus d’être plus régulière, semble aussi beaucoup moins circonstancielle. Nos participants travailleurs ont en effet tous indiqué leur intention de poursuivre leur consommation pendant plusieurs années encore.

Représentations des médicaments stimulants et des risques associés à leur consommation

Lorsque l’on interroge les jeunes adultes sur les médica-ments stimulants, c’est avant tout leurs effets qui sont abordés et notamment leur efficacité pour améliorer la performance académique ou professionnelle. Certains témoignent toutefois d’une certaine ambivalence à l’égard de ces médicaments sou-lignant qu’ils peuvent aussi occasionner des effets secondaires et entraîner une dépendance. Néanmoins, nos participants jugent que les risques associés à la prise de médicaments stimulants restent limités.

Une efficacité éprouvée

Tous les participants, étudiants comme travailleurs, déclarent que la prise des médicaments augmente les capacités cognitives, en particulier au niveau de la concentration, ce qui leur donne le sentiment de travailler avec plus d’efficacité tant en termes de productivité que de qualité du travail. En ce qui

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

concerne le repérage de cette efficacité, les travailleurs insistent plus largement sur la productivité au travail et les étudiants sur la meilleure rétention des éléments étudiés et les bons résultats académiques obtenus avec l’aide de la médication qui poten-tialise les aptitudes.

« Tous les travaux que j’ai faits là-dessus, ça a tout le temps été très bon, et j’ai tout le temps eu des bons résultats grâce à ça. Bien grâce à ça, c’est sûr que ça vient de moi pareil là, mais ça là, je pense vraiment que c’est un plus » (Alain).

L’expérience de l’efficacité des médicaments stimulants semble ainsi jouer un rôle important dans la construction des repré-sentations qui s’y rapportent, et ce, même si le ressenti des effets a nécessité une période d’apprentissage pour certains des jeunes adultes rencontrés. Pour une des participantes, l’expérience des effets du médicament est même à l’origine de la prise de conscience de ce qu’elle qualifie chez elle de « problème de concentration » :

« C’est tout à fait possible que j’aie des problèmes de concentration. Mais ça, c’était pas vraiment un grand problème avant. Mais maintenant que j’ai trouvé quelque chose qui m’aide, je pense que c’est un problème » (Zoé).

Des effets secondaires limités et encadrés

Si quelques participants soulignent qu’ils ne perçoivent aucun effet indésirable lorsqu’ils prennent des médicaments stimulants – ce qui les encourage à recourir à cette ressource, ce n’est pas le cas de la majorité des participants rencontrés qui associent un certain nombre d’effets non désirés à l’utilisation des médicaments stimulants. Ces derniers se montrent plus ambi-valents à l’égard de ces produits. Pendant la consommation, le principal effet physique ressenti est la perte d’appétit. Quelques participants mentionnent également des grincements de dents, des tremblements, une augmentation du rythme cardiaque et de

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Numéro non thématique

la transpiration. Le lendemain ou les jours suivants la prise du médicament, tous les participants ressentent un certain degré de fatigue, certains rapportent être totalement vidés, « morts ». L’intensité de ces effets semble dépendre du nombre de journées d’affilée où le stimulant a été utilisé ainsi que de la quantité et du produit consommé. Chez les travailleurs qui prennent le médicament sur une base régulière, ces effets indésirables sont beaucoup moins rapportés. Près d’un tiers des participants mentionnent également une expérience de manque, notamment lorsque le recours au médicament s’est échelonné sur plusieurs jours. Toutefois, selon nos participants, l’évaluation des risques et des bénéfices associés aux médicaments stimulants reste glo-balement positive, entre autres, parce que les bénéfices leur semblent plus importants.

« Quand je prends du Ritalin®, je sais que j’aurais des effets positifs et des effets négatifs. J’ai évalué mes options et j’ai le sentiment qu’en ce moment, j’ai besoin de ces effets positifs ! » (Lucas)7.

Par ailleurs, afin d’éviter de développer une dépendance à ces produits pharmaceutiques, plusieurs participants procèdent à une autosurveillance étroite et une autolimitation visant à conserver le contrôle sur leur consommation tant en termes de fréquence de la prise que de dosage.

Un médicament ou une drogue ?

Les discours des jeunes adultes rencontrés témoignent de la complexité de la représentation des médicaments stimulants. Quelques participants comparent les médica-ments stimulants aux produits comme le café ou les boissons

7 Notre traduction.

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

énergétiques. D’autres sont plus ambivalents8 à l’égard des médicaments stimulants et jugent qu’ils s’apparentent aux dro-gues illégales ou s’en rapprochent sérieusement, notamment sur le plan de leur composition :

« […] c’est toujours une drogue, c’est toujours quelque chose de chimique absorbé. […] Je pense qu’il y a vraiment beaucoup de substances qui sont des dro-gues illégales et qui sont des médicaments en même temps » (Mica).

Certains termes employés par les participants pour qualifier les médicaments stimulants renvoient d’ailleurs à l’univers des drogues illégales (« drogue magique », « drogue de la dernière chance », « speed »)9. Toutefois, la grande majorité de nos par-ticipants insistent aussi sur le statut des stimulants pharmaceu-tiques, qui sont considérés plus sécuritaires parce qu’ils ont été fabriqués en laboratoire, que leurs effets sont plus stables et plus prévisibles et que leur composition est connue :

« On parle d’une drogue qui est faite dans des labora-toires par des docteurs, qui a été approuvée par le FDA, par un processus plus que rigoureux […] savoir que ça a été fait par des vrais médecins et qu’il y a eu des panels et des boards qui ont pris le temps d’évaluer les consé-quences et les effets et toutes les possibilités possibles pour savoir si ça va être néfaste pour la population [est rassurant] » (Jean-Baptiste).

8 Il est à noter que cette ambivalence n’est pas propre aux médicaments stimulants utilisés à des fins non médicales, mais est inhérente au médicament qui est, depuis toujours, appréhendé alternativement comme remède et poison, le terme grec « pharmakon » référant d’ailleurs à la fois à ces deux notions (Collin, 2003).

9 Cette distinction est toutefois plus difficile à opérer chez les participants anglophones qui emploient le terme « drug » autant pour qualifier les médicaments que les drogues illégales.

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Numéro non thématique

Un autre élément qui atteste selon les jeunes adultes de la sécurité des médicaments stimulants, comparativement aux drogues illégales, est le fait qu’ils soient largement prescrits, en particulier aux enfants. Ainsi ces médicaments leur sont-ils familiers :

« Je sais qu’Adderall® est sécuritaire parce que c’est approuvé au niveau médical. Et puis c’est largement utilisé […]. À l’école secondaire, dans une classe de 20 personnes, il y en avait au moins sept qui étaient diagnostiquées avec un TDAH » (Raoul)10.

Toutefois, pour une majorité de participants, la perception du statut des médicaments stimulants varie en fonction de leurs usages. Plusieurs soulignent ainsi qu’utiliser des stimulants pour améliorer ses capacités cognitives est beaucoup moins dangereux que de prendre des stimulants à des fins récréatives, pratique qui présenterait selon nos participants, un plus grand potentiel d’abus et risquerait de favoriser le développement d’une dépendance.

« Avec Adderall®, je n’ai pas le sentiment que c’est une drogue. Ça ne me donne pas l’effet d’une drogue. […] une drogue pour moi, c’est quelque chose que l’on prend pour avoir du fun, pour s’amuser » (Raoul)11.

Cette distinction opérée en fonction de l’usage (récréatif versus performance) est centrale et également mentionnée pour légitimer le recours aux médicaments stimulants, comme nous le verrons dans la section suivante.

10 Notre traduction.

11 Idem.

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

Significations du recours aux médicaments stimulants

Les participants mobilisent plusieurs arguments pour expli-quer leur consommation de stimulants. Ceux-ci renvoient à des problématiques individuelles, aux environnements dans lesquels ils évoluent, ou encore à des normes sociales.

Compenser des limites personnelles

Pour près d’un tiers des participants, qu’ils soient aux études ou sur le marché du travail, le recours aux stimulants est justifié pour compenser certaines limites personnelles. Plusieurs consi-dèrent notamment, souffrir d’un déficit d’attention :

« […] si j’allais voir un médecin, il me le prescrirait de toute façon, car j’ai tous les symptômes d’un déficit d’attention avec hyperactivité, ce qui m’empêche d’être ordonné, me fait oublier plusieurs choses, etc. » (Éric).

Ces jeunes adultes présentent leur recours aux médicaments stimulants comme une forme d’automédication. Certains ont effectué des recherches sur Internet et décident d’utiliser des médicaments stimulants parce qu’ils présentent tous les symp-tômes du TDAH. Cette stratégie leur semble plus simple qu’une prise en charge médicale (manque d’accès au système de soins, pas d’accès à un médecin de famille, longueur du processus pour obtenir un diagnostic de TDAH). Certains témoignent aussi d’une mauvaise expérience lors d’une consultation passée ou craignent le regard moralisateur du médecin :

« […] j’ai demandé à mon médecin, la dernière fois que je l’ai vu […] je lui ai expliqué que j’avais déjà essayé le méthylphénidate pour des examens, je lui ai expliqué […] que vraiment, je scorais assez élevé sur l’échelle de troubles d’attention chez l’adulte, que j’ai été me chercher sur Pubmed. […] je lui ai expliqué que

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Numéro non thématique

j’aimerais ça avoir une prescription pour en prendre au besoin, il n’était pas très ouvert » (Sébastien).

L’engagement dans une stratégie d’automédication semble aussi procurer à quelques-uns de nos participants un plus grand sentiment de contrôle et de responsabilisation à l’égard de leur santé comme l’explique Mica : « je pense que s’il y a un méde-cin qui prescrit un médicament, ça enlève un peu du droit de conscience que d’en prendre soi-même ».

Les participants rapportent également des faiblesses per-sonnelles rencontrées quotidiennement sans qu’elles soient attribuées à un trouble spécifique. Le manque de sens de la planification préoccupe ainsi nombre de nos participants ainsi que la tendance à la procrastination, notamment sur Internet. D’autres évoquent le fait d’être lunatique et facilement distrait. Ces faiblesses peuvent aussi être temporaires comme dans le cas d’une participante qui, lors d’un retour aux études, est fragilisée par un deuil et commence à prendre du méthylphénidate pour surmonter cet événement. Elle présente les médicaments stimu-lants comme une alternative plus acceptable aux antidépresseurs que lui prescrirait le médecin si elle consultait.

S’adapter à des milieux jugés exigeants et compétitifs

Les pressions de l’environnement viennent en second rang dans la liste des justifications évoquées par nos participants. Les étudiants insistent sur le fait que les exigences académiques sont de plus en plus élevées ainsi que la charge de travail associée aux études, qui est jugée exagérée, voire ingérable. Respecter les dates de tombée dans les différents cours semble ainsi générer beaucoup de stress pour nos participants étudiants.

« Je suis généralement assez bonne pour gérer mon temps, mais parfois, c’est trop, et comme beaucoup

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d’autres jeunes, je deviens trop stressée pour terminer mes travaux à temps » (Sonia)12.

Plusieurs travailleurs, qu’ils occupent un emploi comme col bleu ou col blanc, soulignent aussi les exigences de leur milieu de travail (charge de travail, nombre élevé d’heures de travail, caractère fastidieux des tâches, horaire de nuit). Certains men-tionnent qu’ils occupent des emplois récents où ils doivent être performants et faire leurs preuves. Pour Andrei, qui est manu-tentionnaire, recourir aux médicaments est une aide nécessaire pour être et se sentir aussi efficace que les autres employés et conserver son emploi.

« […] quand je consomme, j’ai l’impression que […] je suis fonctionnel, que je suis capable de travailler plus à un point que ça fait la différence entre qu’ils me gardent à la job ou qu’ils me gardent pas [tandis que] quand j’en prends pas des amphétamines au travail, j’ai l’impression que je suis pas aussi bon que les autres. […] J’ai l’impression que si j’en fais pas, je vais rusher au travail » (Andrei).

L’usage du médicament donne ainsi à ces jeunes adultes un sentiment de confiance en leurs capacités et permet de réduire le stress associé à la perspective du travail à réaliser ainsi qu’à l’angoisse de réussir. Il aide à se sentir « en contrôle » et leur per-met de se concentrer sur leur travail. La prise médicamenteuse peut d’ailleurs avoir pour finalité de réguler le stress ou l’anxiété associés aux exigences académiques ou professionnelles :

« Si je suis anxieuse ou seulement super stressée, ou si je n’arrive pas à me concentrer peu importe la raison, parfois, je vais penser à prendre un Adderall » (Megan)13.

12 Notre traduction.

13 Notre traduction.

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Certains, notamment des étudiants, présentent aussi le recours au médicament comme un moyen de se démarquer dans ces environnements compétitifs.

« C’est une compétition en bout de ligne là, surtout à l’Université de Montréal où la moyenne en droit est calculée, où ta note est déterminée en fonction de la moyenne. Tout le monde est contre tout le monde là. Tu veux sortir on top, fake tu prends n’importe quoi pour avoir un edge là ! (…) une longueur d’avance sur tout le monde » (Jean-Baptiste).

Assumer ses multiples rôles sociaux

Un autre mode de légitimation de la consommation des médicaments stimulants que l’on retrouve chez les étudiants, notamment chez ceux qui travaillent, est de l’associer à une vie remplie d’activités, académiques, professionnelles et sociales, dont la conciliation est rendue possible grâce à la prise médi-camenteuse qui permet d’étirer le temps :

« [Être] capable de jongler avec une job, l’école, la blonde pis t’occuper de toi-même en même temps ? Pfff… Ça, c’est de la performance. Tsé, tout le monde veut être multi-task là de nos jours. Tout le monde a besoin d’argent, mais tout le monde veut aller à l’école, mais le monde veut une vie sociale aussi » (Jean-Baptiste).

Pour ces participants, si le recours au médicament reste un choix, une ressource valable pour assumer leur style de vie, il est aussi la seule solution qu’ils ont trouvée pour faire face à leurs multiples engagements.

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

S’engager dans une pratique courante et banalisée

La grande majorité des participants, notamment les étu-diants, banalisent le recours aux stimulants soulignant que cette pratique est largement répandue dans le milieu universitaire et dans leur entourage, et que les médicaments stimulants sont très accessibles. Pour certains, le recours aux stimulants fait partie de la culture universitaire (« It’s part of being a student ») et bénéficie d’une forte acceptation sociale :

« De toute façon, qu’on le veuille ou non, c’est socia-lement accepté là euh… check mes profs le savent, les étudiants le savent entre eux, c’est mon père qui est allé me chercher la prescription » (Jean-Baptiste).

Plusieurs étudiants soulignent aussi que l’utilisation des stimulants est tellement répandue dans leur milieu universi-taire, que sans le recours aux stimulants ils partiraient avec un handicap :

« J’ai commencé à prendre du Ritalin® pendant ma deuxième année au baccalauréat. […] Ça m’énervait de penser que les autres avaient une longueur d’avance sur moi. Je voulais que ce soit plus équitable pour tout le monde » (Li)14.

Un autre argument est de souligner le caractère légitime du recours aux médicaments stimulants. En effet, bien que les frontières entre l’usage récréatif et l’usage à des fins de per-formance semblent être couramment franchies par huit de nos participants, les jeunes adultes rencontrés insistent sur le fait qu’ils ne font surtout pas un usage récréatif de ces médicaments et soulignent le caractère moral de leur pratique : «Augmenter ses connaissances, il n’y a rien de mal à ça ! C’est pas comme si je prenais ce produit pour aller faire la fête ! » (Raoul)15.

14 Notre traduction.

15 Notre traduction.

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L’usage des stimulants à des fins d’amélioration des perfor-mances académiques semble ainsi très légitime pour la plupart des étudiants que nous avons rencontrés. Quelques-uns semblent toutefois plus ambivalents et évitent d’en parler dans leur entou-rage pour ne pas être pris pour des tricheurs, éviter d’être jugés, ou encore, ne pas vendre la mèche. Chez les jeunes travailleurs, le caractère moral de la prise de médicaments stimulants à des fins d’amélioration de la performance n’a pas été souligné.

DiscussionNos données confirment plusieurs des résultats d’études réa-

lisées auprès de populations étudiantes aux États-Unis. En effet, les étudiants se procurent généralement les médicaments stimu-lants auprès de pairs qui jouent un grand rôle dans l’initiation à la pratique. Ils les utilisent pour améliorer leur concentration et leur capacité à rester alertes, étirer les sessions d’études et ainsi améliorer leur productivité. Notre étude apporte aussi des précisions en montrant que le fait de favoriser la concentration signifie notamment de résister aux multiples sources de dis-traction, en particulier sur Internet. Le recours au médicament semble aussi faciliter, pour certains étudiants, l’engagement dans le travail, permettant de passer au travers des études sans trop d’effort.

Chez les travailleurs, les usages sont relativement simi-laires. Le médicament est utilisé pour améliorer le niveau de concentration et surtout la capacité à rester concentré (ou tout simplement éveillé) pendant de longues heures de manière à réaliser des tâches fastidieuses, à assimiler de nombreuses connaissances ou encore à augmenter la productivité. Il inter-vient aussi comme soutien à la socialisation en contexte de travail. À l’inverse des étudiants qui déclarent des utilisations plutôt ponctuelles, correspondant aux périodes de remise de travaux et d’examens, plusieurs travailleurs déclarent une

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

utilisation régulière et envisagent de poursuivre leur consomma-tion pendant quelques années. Ce constat est préoccupant dans la mesure où nos résultats semblent indiquer qu’il est possible que les étudiants poursuivent l’utilisation de stimulants une fois sur le marché du travail. Ces résultats témoignent aussi de la perméabilité des univers de consommation, les pratiques se transposant de l’univers académique à l’univers professionnel, social et domestique.

Un médicament efficace

Les étudiants et travailleurs que nous avons rencontrés se représentent les médicaments stimulants comme une solution pratique et efficace pour être plus productifs ou obtenir de meilleurs résultats. À propos des psychotropes, Collin (2002) met en évidence le rôle que joue l’expérience de l’efficacité dans l’élaboration des représentations du médicament. Lorsque celle-ci est constatée, signale-t-elle, cela peut conduire les indi-vidus à minimiser les effets secondaires des médicaments. C’est effectivement ce que nous constatons : les bénéfices de la prise de médicaments stimulants étant jugés supérieurs aux risques et aux effets secondaires qui leur sont associés. Toutefois, à la différence de ce que l’on retrouve dans l’étude de DeSantis et Hane (2010), la plupart de nos participants rapportent des effets indésirables, le développement d’une dépendance aux stimulants étant particulièrement redouté. L’un des moyens utilisés pour « gérer » ces risques de dépendance consiste, pour plusieurs des participants rencontrés, à garder le contrôle sur leur consommation.

Par ailleurs, le médicament reste marqué par son parcours et par le dispositif d’encadrement de la production et de la mise en marché (van der Geest, Reynolds Whyte & Hardon, 1996). Il bénéficie ainsi d’une image d’efficacité et de sécurité, et ce, bien que plusieurs étapes de ce dispositif (la consultation médicale

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et la distribution par le pharmacien) aient été éliminées dans le cas de l’utilisation à des fins d’amélioration de la performance. Cela témoigne de la grande autonomie du médicament qui est un objet porteur d’une technologie médicale certifiée.

Plusieurs jeunes adultes rencontrés insistent aussi sur la présence des médicaments stimulants dans leur entourage, ce qui facilite l’accès à ces produits. Il est possible que cette familiarité des médicaments stimulants, que certains vont même jusqu’à situer dans le continuum des boissons énergétiques et du café, participe de la construction d’une image d’un produit sécuritaire.

Toutefois, le statut du médicament est aussi tributaire du contexte et de la finalité de sa consommation. Ainsi, les médicaments utilisés à des fins récréatives, dont les usages ne semblent pourtant pas moins maîtrisés (Peretti Watel, 2005), sont-ils jugés par nos participants moins légitimes et plus sus-ceptibles d’engendrer des dépendances. Ces usages font passer les médicaments stimulants dans la catégorie des drogues illé-gales. Cela explique les efforts que déploient nos participants pour différencier leur consommation de médicaments stimulants des usages récréatifs et plus généralement de la consomma-tion des drogues illicites. Leur discours pour expliquer leur recours aux médicaments stimulants renvoie aussi à d’autres types d’arguments.

Une stratégie d’automédication

Pour plusieurs participants rencontrés, le recours aux médi-caments stimulants vise à pallier des faiblesses personnelles qui peuvent être attribuées à un TDAH et constitue une stra-tégie d’automédication. Ce qui frappe, c’est la facilité avec laquelle certains de ces jeunes adultes attribuent leur difficulté à résister à différentes distractions, notamment sur Internet, à un TDAH. L’augmentation du nombre de prescriptions de sti-mulants chez les enfants et les adultes n’a ainsi pas pour seul

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effet d’alimenter le « fuitage pharmaceutique » (Lovell, 2008), elle contribue aussi à rendre ces médicaments et les troubles pour lesquels ils sont indiqués plus familiers. La disponibilité même de ces médicaments, qui facilite leur expérimentation dans la sphère privée, semble ainsi favoriser la reconnaissance et l’étiquetage du TDAH, témoignant du rôle essentiel que joue le médicament dans le processus de médicalisation du social (Collin & Suissa, 2007 ; Conrad, 2005).

L’automédication de ce que les jeunes présentent comme des failles personnelles, attribuées ou non au TDAH, semble par ailleurs conférer aux jeunes adultes un pouvoir individuel et réduit la dépendance envers les médecins. Cette stratégie permet notamment d’échapper au contrôle social qu’impose le passage par la consultation médicale et constitue un facteur d’autonomie pour ces jeunes adultes qui se sentent plus outillés que le médecin pour adapter leur prise médicamenteuse à leurs besoins personnels (van der Geest & Reynolds Whyte, 2003).

Une stratégie d’adaptation à l’environnement et aux multiples rôles

Le recours aux médicaments stimulants s’inscrit aussi dans une stratégie d’adaptation aux milieux universitaire et profes-sionnel, qui sont perçus comme étant particulièrement exigeants. On peut toutefois distinguer deux formes d’adaptation.

Pour certains, une minorité dans notre échantillon, l’utilisa-tion des stimulants s’inscrit dans une recherche de performance scolaire ou professionnelle, un « dépassement sans limite et permanent de soi » (Ehrenberg, 1992, p. 11), dont l’objectif est de se démarquer et de figurer parmi les meilleurs : le médicament confère une longueur d’avance. Pour d’autres, la majorité des participants dans notre étude, la prise médicamenteuse est plutôt une stratégie pour s’adapter aux pressions sociales auxquelles ils se sentent soumis. Il ne s’agit donc pas de figurer parmi les

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meilleurs, mais seulement de passer au travers du cursus scolaire ou de survivre au nouveau contexte de travail. Ces étudiants ou jeunes travailleurs témoignent d’un niveau important de stress qui semble résulter, comme le suggère le modèle proposé par Lazarus et Folkman (1984), d’un déséquilibre entre les pressions imposées par leur environnement (charge de travail, contraintes de temps) et les ressources dont ils jugent disposer pour y faire face (capacités de concentration et de mémorisation, producti-vité, aisance sociale, etc.). Le recours au médicament contribue pour ces jeunes adultes à augmenter la confiance qu’ils ont en leurs capacités à réussir et, de ce fait, réduit leur niveau de stress.

Ces pressions sociales sont augmentées par le fait que de nombreux jeunes adultes rencontrés souhaitent concilier études, travail et vie sociale. L’investissement dans ces multiples acti-vités, que rend possible le recours au médicament stimulant, est pour certains présenté comme un choix personnel, une adhésion à un style de vie actif (Forlini & Racine, 2009a). Toutefois, on peut se demander dans quelle mesure cette dimension du choix est réellement présente d’une part, parce que tous sont soumis à l’injonction sociale de réussir dans toutes ces sphères, et d’autre part, parce que certains disposent de moins de res-sources, notamment économiques, pour concilier ces rôles mul-tiples auxquels ils sont plus ou moins bien préparés (van Caloen, 2004). Ainsi, souligne cet auteur, le recours aux médicaments psychotropes, qu’il situe dans une tendance croissante à la res-ponsabilisation individuelle, agirait comme « multiplicateur identitaire artificiel » (p. 85).

Une pratique normalisée ?

Pour nombre de participants rencontrés, plus spécifique-ment les étudiants, le recours aux médicaments stimulants est justifié parce qu’il serait largement répandu et qu’il poursuit un objectif légitime : la réussite académique ou professionnelle.

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La plupart des étudiants témoignent ainsi de l’acceptation sociale de cette pratique, ce qui a également été souligné dans l’étude américaine de DeSantis et Hane (2010).

Dans le cadre des milieux universitaires, la consommation de médicaments stimulants est pourtant loin d’être généralisée, mais c’est ainsi qu’elle est perçue par les étudiants qui auraient tendance à surestimer la prévalence de l’utilisation des stimu-lants par leurs pairs (McCabe, 2008). Cette perception est sans doute attribuable au fait que la consommation de stimulants est probablement plus répandue au sein de certains groupes et sous-cultures au sein des universités.

Ce processus de normalisation de la consommation de sti-mulants est renforcé par l’image généralement favorable dont profitent les usages de médicaments stimulants à des fins de performance dans les médias grand public. Forlini et Racine (2009b) ont ainsi montré que, dans la presse québécoise, l’uti-lisation des stimulants par les étudiants est présentée comme relevant d’un choix individuel, constituant un moyen acceptable d’atteindre des objectifs académiques. Goffette (2008) qui a analysé le contenu de guides de pratique américains, qui se sont multipliés sur l’utilisation des stimulants, met aussi en évidence une image très favorable de ces médicaments qui sont décrits comme une avancée scientifique, permettant une augmentation des capacités cognitives (brain enhancement). Mieux documen-ter les risques associés à l’utilisation des stimulants et réaliser des campagnes pour les faire connaître au grand public pourrait aider à contrebalancer ces discours enthousiastes. L’utilisation des stimulants renvoie également à des enjeux éthiques impor-tants qu’il convient de continuer à analyser (Forlini & Racine, 2009a). L’existence de cette pratique en milieu universitaire constitue-t-elle une forme de tricherie ? Crée-t-elle une pres-sion à la consommation pour ceux qui n’ont pas recours aux médicaments stimulants (Hall, 2004) ?

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Limites de la recherche et pistes à explorer

Cette recherche exploratoire présente plusieurs limites qui ont trait notamment à la constitution de l’échantillon. En effet, si l’échantillon des étudiants est assez diversifié, il a été plus difficile de recruter des jeunes travailleurs, plusieurs de ceux que nous avons rencontrés poursuivant aussi des études. Le nombre de jeunes qui sont uniquement sur le marché du tra-vail est donc limité et les milieux professionnels représentés peu diversifiés, ce qui ne permet pas d’atteindre la saturation théorique des catégories pour ce sous-groupe.

De nouvelles recherches sont ainsi nécessaires pour mieux cerner le sens du recours aux médicaments stimulants chez les jeunes adultes en milieu professionnel. Il serait également important de mieux comprendre comment évolue la consom-mation de stimulants une fois que ces personnes sont entrées sur le marché du travail.

Il semble également très important de mieux identifier les facteurs qui expliquent le déséquilibre mentionné par les jeunes adultes entre les contraintes de l’environnement et les ressources dont ils disposent. Comment perçoivent-ils leur environnement d’étude ou de travail ? Quelles sont les normes de performance auxquelles ils font référence ? Pourquoi ont-ils le sentiment que leurs ressources sont inadéquates ? Enfin, comment se construit la représentation d’une faille personnelle chez certains d’entre eux ? Il serait d’ailleurs important de cerner plus finement les motifs qui poussent ces jeunes adultes à utiliser les médica-ments stimulants pour traiter sans supervision médicale ce qu’ils pensent être un TDAH.

Enfin, des enquêtes statistiques sont également à développer pour évaluer la prévalence de la consommation des médica-ments stimulants à des fins de performance chez les jeunes adultes, dans les milieux universitaires et professionnels au

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Utiliser des médicaments stimulants pour améliorer sa performance

Canada. Des approches comparatives seraient particulièrement utiles pour identifier les caractéristiques des milieux où ces pratiques sont plus fréquentes. Mieux connaître la prévalence de la consommation de stimulants à des fins de performance permettrait de réajuster la perception qu’ont les étudiants d’une normalisation de la consommation de stimulants sur les campus.

ConclusionCette recherche qualitative qui explore les usages à des fins

de performance des médicaments stimulants par des étudiants et des jeunes travailleurs québécois met en évidence des motifs d’usages assez similaires : les médicaments étant utilisés pour augmenter la qualité du travail et la productivité. La fréquence de ces pratiques de consommation semble toutefois plus régu-lière chez les jeunes travailleurs que chez les étudiants, mais ce constat serait à valider par des enquêtes quantitatives.

Les discours que construisent les jeunes adultes autour de ces pratiques renvoient à trois problématiques : une faille per-sonnelle, un déséquilibre perçu entre les ressources personnelles et les contraintes qu’impose l’environnement académique ou professionnel et une difficulté à concilier les engagements dans des rôles multiples. Le recours aux médicaments stimulants peut ainsi être vécu comme une stratégie d’automédication ou comme une ressource pour favoriser l’adaptation aux exigences de l’environnement ou aux multiples engagements identitaires.

Les médicaments stimulants sont par ailleurs perçus comme des produits efficaces et relativement sécuritaires, et leur uti-lisation pour améliorer la performance est jugée légitime et largement répandue, notamment dans les milieux universitaires.

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