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Tous droits réservés © Les Éditions Cap-aux-Diamants inc., 2009 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Document généré le 25 avr. 2022 01:48 Cap-aux-Diamants La revue d'histoire du Québec Virage à 180 degrés Des Canadiens devenus Québécois Geneviève Joncas Le français au Québec : un trésor à découvrir Numéro 96, 2009 URI : https://id.erudit.org/iderudit/6833ac Aller au sommaire du numéro Éditeur(s) Les Éditions Cap-aux-Diamants inc. ISSN 0829-7983 (imprimé) 1923-0923 (numérique) Découvrir la revue Citer cet article Joncas, G. (2009). Virage à 180 degrés : des Canadiens devenus Québécois. Cap-aux-Diamants, (96), 25–28.

Virage à 180 degrés : des Canadiens devenus ... - Érudit

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Tous droits réservés © Les Éditions Cap-aux-Diamants inc., 2009 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation desservices d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politiqued’utilisation que vous pouvez consulter en ligne.https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit.Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé del’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec àMontréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.https://www.erudit.org/fr/

Document généré le 25 avr. 2022 01:48

Cap-aux-DiamantsLa revue d'histoire du Québec

Virage à 180 degrésDes Canadiens devenus QuébécoisGeneviève Joncas

Le français au Québec : un trésor à découvrirNuméro 96, 2009

URI : https://id.erudit.org/iderudit/6833ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s)Les Éditions Cap-aux-Diamants inc.

ISSN0829-7983 (imprimé)1923-0923 (numérique)

Découvrir la revue

Citer cet articleJoncas, G. (2009). Virage à 180 degrés : des Canadiens devenus Québécois. Cap-aux-Diamants, (96), 25–28.

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VIRAGE A 1 8 0 DEGRES : DES CANADIENS DEVENUS QUÉBÉCOIS

PAR GENEVIEVE JONCAS

Depuis l'époque de la Nouvelle-France, les Québécois ont défini leur identité en

fonction de facteurs sociaux et historiques ayant façonné leur destinée collective. Depuis quatre siècles, ce questionnement identitaire a évolué, tantôt dans une relative sérénité, tantôt dans la turbulence. Les historiens et les sociologues en ont d'ailleurs abondamment traité. Cet objet d'étude est également un terreau fertile pour les linguistes : il est révélateur de constater qu'il y a eu quantité d'appellations pour désigner les fran­cophones du Québec depuis le début de la colonie (Canadiens, Bas-Canadiens, Canadiens français, Canayens, Québécois). L'étude de ces dénomina­tions ethniques en fonction de paramètres linguis­tiques (date d'apparition, vitalité, connotations, etc.) peut livrer de précieux indices sur l'évolution de l'identité à travers le temps. Ainsi, le passage d'une appellation à une autre s'explique par des mutations, fines et subtiles, sur le plan des idées et des mentalités.

CANADIEN SOUS LE RÉGIME FRANÇAIS

Les premiers Français établis en Nouvel­le-France ont vite pris conscience de former un groupe différent de celui de leurs frères restés de l'autre côté de l'Atlantique. La découverte des réalités nord-américaines, l'obligation de trouver des solutions aux nouveaux défis de la vie quoti­dienne, l'adaptation à des structures sociopoliti-ques et hiérarchiques inédites, le contact avec les Amérindiens sont autant de catalyseurs entraînant la formation d'une identité spécifique en terre d'Amérique. Ces pionniers n'étant désormais plus des Français, il était naturel qu'ils sentent la né­cessité de recourir à une autre dénomination pour se désigner eux-mêmes. Le mot Canadien, dérivé du toponyme Canada, remplira cette fonction dès la décennie 1660. Canadien (ou parfois Français Canadien) désigne d'abord les colons d'origine française établis en Nouvelle-France. Bientôt, le nom s'applique par extension aux descendants de ces colons nés au pays, comme l'observe Louis-Armand de Lom d'Arce, baron de Lahontan, en 1703 : « Canadiens, sont des naturels de Canada nez de père & de mere François ». À noter que seules les personnes établies à demeure au Ca­nada peuvent s'octroyer le titre de Canadiens; les individus qui sont dans la colonie pour rem­plir un mandat provisoire (militaires, religieux, administrateurs) demeurent des Français. Cette

opposition Canadien/Français n'est pas fondée uniquement sur le fait d'habiter en permanence ou non la colonie. Ce qui distingue ces deux entités est de nature plus profonde, comme le souligne Louis Phélypeaux, comte de Maurepas, dès 1699 : « [...] on ne doit pas regarder les Canadiens sur le mesme pied que nous regardons icy les Fran­çois, c'est tout un autre Esprit, d'autres manières, d'autres sentimens, un amour de la liberté et de l'indépendance, et une férocité insurmontable contractée par la fréquentation continuelle qu'ils ont avec les Sauvages ».

Plusieurs observateurs des XVIF' et XVIIF siècles établissent de telles distinctions entre les

I. B. Scotin. Canadiens en Raquettes allant en guerre sur la nege dans Claude Charles Le Roy Bacqueville de La Potherie. Histoire de /Amérique septentrionale, Paris, 1772.

CAP-AUX-DIAMANTS, N° 96 25

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Le journal Le Canadien, fondé à Québec en 1806

par des membres du Parti canadien, avait pour but de

défendre les droits et les intérêts des Canadiens

français. (Collection privée).

LE CANADIEN. Fi'it "JH-titia mol Ot/um.

*<KI] SAMI . t ) ! LR U U O f l MJ:RF, ifo*. fP.itJ-t - , < * | - H I . r-tofMa Nt». I . Stt. i . No. j (mit K t r - t une h.inr . | f inc. t ' j ."• e U l a » .'• .ff» l ia .WtKmi ife t W l , * I r i .u -u- * « M*r- ' f w * H et * i« .»c< t rmi i l * ««• Wt^jW * * , * " w

f l . f « t r W è J - . « f a r r r 1U1. la fimtl'c J - i l Ofe'P-V""* •"*•> •> ' « « r * . Olr f r t 'qa' i t •"< n p - - ' M h » * t « n - 4 « « l . l < p, lu,ra ,u , ;« , I J R .Ô ! * • • ' - t . " * " •« " " - " » . * • « q - ( b « r ftfc* «*

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t iu iHr. ptecmlrnies d |aoa..as rcsukr ccuo-c-, „ £ , „ . , , , ,1s,» h ;... i i .-rt..nd*t tor1Va'i 1*. a.„ f a . , monsrarque la presTe .mit alicrvie i un ( - „ , . l , , . , , ,le. sera. i H l o t t sp.r^'aaatl'.T -• r, pent, rt ft M c^n'd dn stsna fun dernier wustsaiu t . l - « Tab la i t t ra i t , mai l ,n  o i l ' i m posât s'asi juf lrrkr, afl arai.

No. 1. ssousssvn THOH.S caav,

Moa.r .us,—II , a quvl-iu'rrrcur dans la revu . ) . . ,e sou. i i t n . o , r ' k SU de te avnt, aa tujet da ma/iam des figuras da Cira. Celui rust I . I U . I las sutanssai n'rtofi pas J ' . . rsasti/r, . irmi aa

dts I t . i , Ln,s .ai les rqtutrs t tonns t i t ntoL's i, a l t s , as Iran l ispii l l t rieol une dot |6 ligoras outages. Cas ciicunllancts font . ' . pen d'ion

r a t l i i a n ' i - d'an aotre'intitaoc l a - . . , ar P.Soar, raft f a . l u L ia i , t /a i i , tPsaa imrtrrsna init ials' f l a t aal . . . . . ' . « . , / ' ! al l laJn rmfar ' i , ha f, , , ' , ! . . A a . . , . . , . . a, dr deal giraffci llsfftt ,;,u o'ovt pas aatora Ha eaarauaa'es.

M m r n l , 17 Jalons, i l&o . T N S Oatsaasa.

r « a . H .

of aa r.aar, Taaaastarts* isas U fas Canada. Ctitaint prorrdes da asore Stoat ans ilctnicre.

mens btsucnup attire l'attention pu:, l ira. J I H U I H T . matt r l k i normr-nr l „ j s te .jui fe f a tu hesueoup ,le lertnentasson, bcauctmp a tta p i l l , le lendemain. Le lend, a m 7**e i'..'.'rul lit dam Its tnn.erlatioao pesvrco. La I.Mtlr da snhstmc' one I..lent t-i-ur.opatad nana lm ove.it ' io l ' i . l ie . l l 1. Cuarcdantara Consiiiutam. M a i . l im i te r» i.an.ic • • ants, ah K I tTsaWl tfcsiinas ipti Heist Inn us.I.ic. l i I'sns n'en CMS usage 1 Pout Isi lsdafl. das saea'.i l ' .a. . , . <|u'.I. rnat i i l Cttsa qaen' ims... . lea eusmnssnicosi'iaa dc la Sacielt qui .aniens leaaenn la l i K t i e ' VasaWteleas ptH | . i Itosoonanftssoi d ins rajas tnsliti pas, ao lea or. I f , .s ifna i.'ui re qu'un lui s . o i tin daa trior ^.,„ , .. nelont enstitdua qua d'un pests noanbra, n'. inn qu'un SsooTOo I ' . l - . JnS qu, , i» t t ! m . , i uu srsaaosroos) iTstcioTa ise raOM ansa irtoa i n . n a aiîis liant le Codé' ttrnissersta a ilr.essis ( . . . us . deicntnnrs d'a.aisee a a'tt-a |tnas ctns.asncuof ^ nu, laves qu'.i iH un usa p u , <\ , „ ' , t , qu'il I'trtri,,.,,, ne pu. venu m . . . , , i . ' qua sous en-i i* . tsmiae |os. t, t ^ .a i r . l i . J ru t rOsVs •'. lequel, te i . lnu . I s . . . . . .le I. rt j i l i^wccll lassert. . • u i . i.on. mai. lui iqu' i l a uns loss r i rà . l i i , lun uht ' N..... ( .ua.!. n. stop so . sc t tta tapraui,..a narat eil tassa suffi Sun que Int. eitue. U n i r , . l i l ' u i i Cansdarn. et da I ' S I I I Angsoss. ï . i ra !:t n'. in.iHlir plullcar, lais entre lés • le'ut. ' r- l l i.ne guérie . ivile daaa Ir l'as s f '1 .o* le» habl-" , ' r i o n l a a r a. r r a l r l " Stmt d*ua roup i l h h,-,ism d.-la piusiminelnr. t list is Sonts IHIiaaSit v a . t apr - avnr laubrniqisemerM quelque, su, i,-- osa I Isa Ustglisqssri oo <!.i ont t . . p l u . n u i Ic ' r t so f t l l dso . os ploie, l l poi l . Isa-aStS San. le IStra fAsaajsMS, quo I t . . a nod una . t ! S .le .meosat .persoairt, mou Ion , onsrsnSi va ni ta | i . N. t.;ooa nous i . . a i . c .nru . , . , . , . . iraaetlinsire tarua lellrnitist la .u i iv l i ie ' , our au sas l'vupir, lomnia .tnieineiu. In , : , , . aal . . . i , cens qui eiweni f i t Irnt coasutcas a ta sossr. ' I is l fsaY is'rll ssSal stsaaTataaTaa I is t ls - , -II liai lue,.ira nmlu au a./rasa, rt es s,.ni en. |a<siisagr., av.. SJSSI l l .sedt. I.ntra, païul | . . . r , , lioscc' la potie d oa rnup de psed, ,1 aitsappc |e 'p, t„ . ,c ie s»is Jani s. l laatite . « Mun i , , . ! , . . . premier drr l . ja , rn bSllVc tr i suit r. h, r i de I. t . i , . i i le , sur I n lemioncns qui) SHItW caoOISOea, lallc, joranti lqsniunile ti.nacrrr, q i ' d c s i i i n i i r . ,> t n u tuipasTie, que ISUIMK J . ) % I I . . , . . . nrrmt ,sr la rare ,'e Is terre imss let .sut d . afti r r i t .n t n u s qui cnsspoiiiirns ente aiLir.i I M I I dan, ,)e ps i . i l , unsulci, t ruaqutavi , ni tt sjSttaasssasoajs 1 .n m ' i . ,n loujran.sait r .g , .1er la veille rxmmrnecrcns a paltr. et rattrnt la tuite couina. , 1 . . hornmr. Iuyau<, as daa l i i n t . . ; , us

Po Irs-saat /Sa saVKtsnSsa >rao fin* :, r lui J . " u>. ,.,u.ricoat t ..nni-uiiues. Pour ne ivunr tsveme, es lut slimna infdolemtot Is sna.ii, ils ;u- ' * I r«a„ : t : . i r ts de teste*

Jusque dans la seconde moitié du XX' siècle, certains

produits de « Canadiens » sont tenus en haute estime

au Québec parce qu'ils sont fabriqués selon la plus pure

tradition canadienne-française. Ici, une étiquette de la

fameuse bière d'épinette La Canadienne fabriqué

par la maison F.A. Fluet enr. de Québec. (Collection

Yves Beauregard).

Canadiens et les Français, comparaisons qui sont souvent à l'avantage des premiers, à qui on at­tribue des qualités physiques et morales flatteu­ses, même si on leur reproche leur insoumission. L'émergence, au XVIIF siècle, de la locution à la canadienne (dans s'habiller, se battre à la ca­nadienne) est un autre indice qui témoigne de la reconnaissance des Canadiens en tant que groupe distinct des Français.

LES HEURES DE GLOIRE DE CANADIEN SOUS LE RÉGIME ANGLAIS

Le terme Canadien survit à la conquête an­glaise de 1760. Contre toute attente, le nouveau

régime n'en fragilise pas l'usage. Bien que le ter­ritoire conquis porte désormais officiellement le nom de Province of Quebec, les descendants des colons français établis dans la vallée du Saint-Laurent utilisent encore le toponyme Canada et se réclament toujours de l'appellation Canadiens. L'arrivée massive d'immigrants anglophones des îles Britanniques n'y change rien : on leur refuse d'emblée le titre de Canadiens. Pour nommer ces nouveaux arrivants, les Canadiens ont recours à l'appellation générique Anglais, appliquée à tous ces immigrants, qu'ils soient d'Angleterre, d'Ecosse ou d'Irlande. Canadien et Anglais s'ins­crivent donc dès le début du Régime anglais dans une dynamique d'opposition, même si certains représentants de la couronne anglaise préfére­raient que les anglophones et les francophones se rallient autour d'une appellation unique plutôt que de se diviser, comme en témoigne cet extrait de La Gazette de Québec du 30 juin 1791 : « Nous sommes [...] habitans d'un même pais et sujets du même souverain. Toute idée de distinction devrait cesser. Tout homme qui respire l'air du Canada, quelque soit le pais qui lui ait donné naissance, se doit regarder comme Canadien, aussi intéressé à la prospérité de la province que celui qui est né en Canada ».

À partir des années 1770, les autorités an­glaises tentent d'imposer les formules Canadien d'extraction française/anglaise, Canadien d'origine française/anglaise, et Canadien français/anglais (calquées de l'anglais), ce qui trahit une volonté de souligner qu'il y a aussi des Canadiens non francophones. Or, ni l'idée de regrouper les an­ciens et les nouveaux sujets sous le générique Canadiens, ni celle d'y adjoindre des qualificatifs pour préciser l'origine des groupes ne s'imposent. Les francophones, beaucoup plus nombreux que les anglophones, persistent à restreindre l'usage de Canadiens aux descendants des colons fran­çais. Successivement, les gouverneurs anglais vont donc finir par se plier à cet usage.

Canadien va résister à tous les changements politiques sous le Régime anglais, dont ceux pré­sidant à l'Acte constitutionnel de 1791, par lequel l'Angleterre scinde la Province of Quebec en deux entités : le Haut-Canada et le Bas-Canada. S'en­suit la création des gentilés Haut-Canadien et Bas-Canadien qui, bien qu'ils apparaîtront dans des textes parlementaires, ne s'implanteront pas dans l'usage.

Contre vents et marées, les francophones de la vallée laurentienne demeurent donc des Cana­diens sous le Régime anglais. Mieux encore, ils commencent à affirmer l'existence d'une nation canadienne, comme en fait foi cette citation du gouverneur James Craig (1810) : « Leurs habi­tudes, leur langue et leur religion sont restées aussi différentes des nôtres qu'avant la conquête. En vérité, il semble que ce soit leur désir d'être considérés comme formant une nation sépa­rée. La Nation Canadienne est leur expression constante [...] ».

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Le chant populaire de 1835, Avant tout je suis Canadien, de George-Etienne Cartier, est l'expression du sentiment d'unité qui rallie alors les Canadiens, rassemblés autour de leur premier emblème national, la feuille d'érable. Ces mani­festations patriotiques s'inscrivent dans l'intense mouvement de nationalisme, ponctué de luttes politiques, qui a cours au Bas-Canada entre 1800 et 1838. Durant cette période, les articles engagés se multiplient dans les journaux, tout comme les discours enflammés sur la place publique avec des orateurs comme Louis-Joseph Papineau, chef du Parti canadien. Dans ce contexte politique abou­tissant à l'insurrection de 1838, porter le nom de Canadien équivaut à une profession de foi :

« Qu'est-ce que les Canadiens? Généalo-giquement, ce sont ceux dont les ancêtres habi-toient le pays avant 1759 [...]; politiquement, les Canadiens sont tous ceux qui font cause commu­ne avec les habitans du pays, [...] ceux qui ont un intérêt réel et permanent dans le pays, ceux en qui le nom de ce pays éveille le sentiment de la patrie [...]. Ceux là sont les vrais canadiens [...]» (La Minerve, 23 avril 1827).

Ceux qui ne répondent pas à ces critères se voient attribuer une dénomination résolument péjorative : ce sont les Anti-Canadiensi Dans la même optique, on créera plus tard le sobriquet Mange-Canadiens (ou Mange-Canayens) pour dé­signer les ennemis des francophones.

CANADIEN FACE À SES PREMIERS CONCURRENTS APRÈS I 8 6 0

Il faudra attendre la seconde moitié du XIXe

siècle avant que d'autres appellations, Canadien français et Canayen, n'émergent pour désigner les francophones du Québec. Or, l'apparition de mots nouveaux n'est jamais le fruit du hasard : les mots se créent pour répondre à des besoins. Et le besoin expressif en cause ici réside dans le fait que le Canada est devenu, en 1867, une fédération de quatre provinces. Tous ses habitants ont donc pu dès lors se réclamer du titre de Canadiens, peu importe leur origine, ce que célébrera la devise

Le Canada pour les Canadiens! Canadien n'étant plus une appellation exclusive aux francophones du Québec, certains proposent d'y renoncer et d'opter pour un nom plus distinctif : « [J]e crois que vu que ceux des autres races qui s'appellent aussi des Canadiens, parce qu'ils sont nés au Ca­nada, sont aujourd'hui beaucoup plus nombreux que nous-mêmes, l'appellation de "Canadien" comme devant s'appliquer à un des nôtres exclu­sivement, perd quelque peu de son essence et de sa signification » (La Patrie, 28 avril 1892).

C'est en raison de cette soif de distinction que le nom Canadien français et sa contrepartie Canadien anglais, mousses par une partie de l'élite intellectuelle, commencent à gagner en popularité au Québec dans la seconde moitié du XIXe siècle.

VIVE

CANADIENNE

Souvenir du 24 Juin 1880 Pitt # • #

S O M M A I R E .-

Vive Ut CiwiJu'i 'u.

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Char allégorique rendant hommage aux chants cana­diens lors d'une parade de la Saint-Jean-Baptiste. Carte postale photographique, vers 1930. (Collection Yves Beauregard).

Document publié lors de la grande rencontre des Canadiens français à Québec, en 1880. (Collection Yves Beauregard).

— i n t

CAP-AUX-DIAMANTS, N° 96 | 2 7

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Affiche de recrutement lors de la Première Guerre mondiale qui s'adresse aux francophones du Québec.

(Collection privée).

CANADIENS •Suivez l'Exemple de

N attendez pas l'ennemi au coin du feu, mais allez au devant» de lui.

Enrôlez-vous dims les Réoiments Canadiens - Français

ex» Adresser-vous au Comité de Recrutement Canadien-français

L'apparition du mot Canayen, à la même époque, rend compte également du besoin qu'éprouve alors la population du Québec de se redéfinir au moyen d'une nouvelle appellation spécifique. Le mot Canayen, qui résulte de la prononciation relâchée de Canadien, est employé spontané­ment dans les milieux populaires pour désigner de manière exclusive les Canadiens français, en particulier les individus qui apparaissent comme les représentants les plus authentiques de ce peu­ple : on parlera ainsi de vrai, de bon Canayen, de Canayen pure laine. Cependant, les connotations négatives dont l'élite intellectuelle investira le mot Canayen vont freiner sa progression.

À l'heure où pénètrent Canadien français et Canayen dans l'usage, le premier chez l'élite, l'autre chez le peuple, des intellectuels s'opposent au principe d'adopter des dénominations qui se subs­titueraient à Canadien, concession injuste à leurs yeux. Ils vont défendre l'idée qu'il faut s'accrocher au nom Canadien, appartenant historiquement en propre aux francophones : « Nos aïeux [...] étaient purement et simplement des Canadiens. Canadien-français est un pléonasme : qui dit ca­nadien dit français. [...] Nous étions déjà des Cana­diens sous le régime français, nous sommes restés canadiens après la cession, et c'est pour conserver ce titre de Canadien que nos aïeux ont lutté contre les conquérants» (La Presse, 9 avril 1892).

Cette prise de position sous-tend la pensée que les descendants des colons français sont les véritables habitants du Canada : puisque leurs

ancêtres sont les fondateurs du pays, ne méritent-ils pas le titre de Canadiens en exclusivité? C'est sans doute sur la base de ce raisonnement que cet emploi a pu se maintenir longtemps dans l'usage. La survivance de Canadien dans son acception originelle est corroborée en 1909 par la fondation du Club de Hockey Canadien, équipe alors com­posée en majorité de joueurs de langue française. De même, plusieurs années après la naissance du Canada moderne, l'adjectif canadien persistera à s'inscrire dans des contextes où il est question de pratiques culturelles du Canada français. Ainsi sera-t-il longtemps associé à des types sociaux an­crés dans l'imaginaire collectif (voyageur, coureur des bois, habitant, défricheur canadien, etc.), à des produits du terroir d'antan (beurre, bouilli, tabac canadien, tire, tourtière canadienne), au folklore et aux traditions légués par les ancêtres (soirée, veillée, légende canadienne). Dans ces contextes, la valeur de l'adjectif canadien dépasse largement l'aspect dénotatif : il en appelle à un passé et à une mémoire qui refusent de mourir.

LE TRIOMPHE DE QUÉBÉCOIS

Et pourtant, dans la province où on se sou­vient, Canadien allait bientôt tomber en désuétu­de : le règne de Canadien au sens de « descendant des colons de la Nouvelle-France » s'achève au début des années 1960. Le nom Québécois entre alors en scène et détrône tous ses compétiteurs, incluant Canadien français et Canayen. La vitesse à laquelle Québécois s'est imposé et a supplanté ses rivaux dans l'usage est remarquable : à la faveur de la vague nationaliste déferlant sur le Québec des années 1960 et 1970, Québécois est rapidement adopté par l'ensemble de la popula­tion. Dans les milieux prônant l'indépendance du Québec, Québécois devient le symbole de l'affir­mation de l'identité nationale et de la libération du peuple du Québec.

L'apparition de Québécois dans le vocabu­laire a engendré un étrange phénomène : Qué­bécois n'a pas tardé à s'opposer... à Canadien] En effet, on peut observer, depuis les années 1980, que Canadien sert souvent à désigner les habitants de l'une ou l'autre des provinces cana­diennes, à l'exception du Québec. Or, cet emploi restrictif équivaut à un virage à 180 degrés sur les plans linguistique et historique. La mémoire collective aurait-elle donc complètement oublié les trois siècles au cours desquels les Québécois se disaient... Canadiens? •

Geneviève Joncas est chercheuse au Trésor de la langue française au Québec.

Pour en savoir plus : Gervais Carpin. Histoire d'un mot : l'ethnonyme Canadien de 1535 à 1691, Sillery, Les éditions du Septentrion, 1995, 225 p.

28 CAP-AUX-DIAMANTS, N° 96