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VOL. 49,No 4 SIÈGE SOCIAL: MONTRÉAL, AVRIL1968 Voir loin TOUT CE QUE NOUS FAISONS maintenantinflue en défini- tive surle cours de notre vie. Lesécologistes nous disent quepas unefeuille ne tombe dans la forêt ni une goutte de pluie dans l’océan sans queles co~lsé- quences de ces phénomènes se répercutent indélini- ment dans le temps et dans l’espace. Au Canada, les jeunes gens ont amplement l’oc:a- sion de profiter du présent pour préparer leur avenir. Ils disposent à cette fin de l’instruction etde riches possibilités, et ce qu’ils seront demain, grâce à ces avantages, ils sont déjà entrain dele devenir. Nul ne peut direaux autres comment vivre pour bien se tirer d’affaire en finde compte, mais il est possible de dégager certains principes quipeuvent aider lesjeunes à l’apprendre pareux-mêmes. Chose certaine, la vie ne s’offre pas à nous comme valant la peine d’être vécue; il faut larendre digne de l’être. Cela exige toute l’ardeur dont on est capable. Avec de l’idéal, on peut faire cequ’on veut desa vie, à condi- tion d’avoir de bons instruments, de bons matériaux etde ladétermination. Savoirce qu’on veut Ilestétonnant de constater combien peu d’obstacles se dressent sur laroute de l’homme qui a del’ambition. Beaucoup naturellement désirent certaines choses, mais seuls ceuxqui travaillent pourles obtenir prennent partà la course. L’homme qui se contente detoucher son salaire etde revenir à la maison à temps pour regarder sonémission préférée de sixheures à la télévision ne court pas dans le stade; il secache lui- même la lumière et se demande pourquoi sa vie est si terne. L’ambition n’est pas un don exceptionnel accordé aux uns et refusé aux autres. Elle s’acquiert en appli- quant son imagination à découvrir cequidevrait être. Elle incite l’homme à l’esprit sain à rechercher des possibilités defaire valoir ses talents. Un effort s’impose pour atteindre les bienfaits su- périeurs que la vie nous offre. Manger, boire, dormir, jouer, tout cela est accessoire à lavie. Sous cerapport, nous ne nous distinguons pasde la brute. 1 Avoir unbut, voilà cequi donne unsens à l’activité humaine. On ne peut bien jouer au football sans savoir oùse trouve la ligne de but. De même, on ne peut jouer lejeu delavie humaine sans avoir dejustes aspirations, qui nousamènent à accomplir des choses durables. C’estle philosophe William James qui a dit:"La grande utilité d’une vie, c’est del’employer à quelque chose qui subsistera après elle." Uneambition très louable estd’essayer de battre ses records antérieurs; de se surpasser soi-même. L’un des plus grands obstacles que l’on puisse opposer au progrès est de se leurrer soi-même en imaginant que l’on a fait de sonmieux. Il ne faut pasprendre les rêves chimériques pour des réalités. La Cité céleste, dont il est question dans Le Voyage du pèlerin de John Bunyan, n’est pas uneravissante cité de rêve, mais un lieu réel où l’on parvient en triomphant du danger, des fatigues et des fausses séductions. Pendant tout sonvoyage, le pèlerin est animé parsesespérances. Ce qu’il faut pour réussir, c’est avoir des aspira- tions, acquérir des connaissances, être enthousiaste et travailler. Votre goût pour les résultats à long terme atténuera les peines etles difficultés nécessaires pour les atteindre, mais il faudra mettre toute l’ardeur de vosefforts dans chaque tâche que vous entreprendrez. Cherchez-vous la renommée ? Peudegens se suffisent à eux-mêmes. Ilsont besoin que l’on apprécie cequ’ils font. Il nes’agit pas néces- sairement de l’acclamation publique, qui déplaît à certains. Ce quechacun désire, c’est quel’on com- prenne ses buts et ses efforts, quel’on partage avec lui le sentiment que le travail de ses mains, qu’il soit beau ou utile, a de l’importance. La recherche de la renommée n’est pasuneambition ignoble, mais qu’est-ce quela renommée? A l’entrée dujardin des Tuileries, à Paris, setrouve une sculpture représentant une femmemontéesur un cheval et embouchant la trompette; cette uvre d’art s’appelle "La Renommée". Entendre la fanfare des applaudis-

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VOL. 49, No 4 SIÈGE SOCIAL: MONTRÉAL, AVRIL 1968

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TOUT CE QUE NOUS FAISONS maintenant influe en défini-

tive sur le cours de notre vie. Les écologistes nousdisent que pas une feuille ne tombe dans la forêt niune goutte de pluie dans l’océan sans que les co~lsé-quences de ces phénomènes se répercutent indélini-ment dans le temps et dans l’espace.

Au Canada, les jeunes gens ont amplement l’oc:a-sion de profiter du présent pour préparer leur avenir.Ils disposent à cette fin de l’instruction et de richespossibilités, et ce qu’ils seront demain, grâce à cesavantages, ils sont déjà en train de le devenir.

Nul ne peut dire aux autres comment vivre pourbien se tirer d’affaire en fin de compte, mais il estpossible de dégager certains principes qui peuventaider les jeunes à l’apprendre par eux-mêmes. Chosecertaine, la vie ne s’offre pas à nous comme valant lapeine d’être vécue; il faut la rendre digne de l’être.Cela exige toute l’ardeur dont on est capable. Avec del’idéal, on peut faire ce qu’on veut de sa vie, à condi-tion d’avoir de bons instruments, de bons matériauxet de la détermination.

Savoir ce qu’on veut

Il est étonnant de constater combien peu d’obstaclesse dressent sur la route de l’homme qui a de l’ambition.Beaucoup naturellement désirent certaines choses,mais seuls ceux qui travaillent pour les obtenirprennent part à la course. L’homme qui se contentede toucher son salaire et de revenir à la maison à tempspour regarder son émission préférée de six heures à latélévision ne court pas dans le stade; il se cache lui-même la lumière et se demande pourquoi sa vie estsi terne.

L’ambition n’est pas un don exceptionnel accordéaux uns et refusé aux autres. Elle s’acquiert en appli-quant son imagination à découvrir ce qui devrait être.Elle incite l’homme à l’esprit sain à rechercher despossibilités de faire valoir ses talents.

Un effort s’impose pour atteindre les bienfaits su-périeurs que la vie nous offre. Manger, boire, dormir,jouer, tout cela est accessoire à la vie. Sous ce rapport,nous ne nous distinguons pas de la brute.

1

Avoir un but, voilà ce qui donne un sens à l’activitéhumaine. On ne peut bien jouer au football sans savoiroù se trouve la ligne de but. De même, on ne peut jouerle jeu de la vie humaine sans avoir de justes aspirations,qui nous amènent à accomplir des choses durables.C’est le philosophe William James qui a dit: "Lagrande utilité d’une vie, c’est de l’employer à quelquechose qui subsistera après elle."

Une ambition très louable est d’essayer de battreses records antérieurs; de se surpasser soi-même.L’un des plus grands obstacles que l’on puisse opposerau progrès est de se leurrer soi-même en imaginant quel’on a fait de son mieux. Il ne faut pas prendre lesrêves chimériques pour des réalités.

La Cité céleste, dont il est question dans Le Voyagedu pèlerin de John Bunyan, n’est pas une ravissantecité de rêve, mais un lieu réel où l’on parvient entriomphant du danger, des fatigues et des faussesséductions. Pendant tout son voyage, le pèlerin estanimé par ses espérances.

Ce qu’il faut pour réussir, c’est avoir des aspira-tions, acquérir des connaissances, être enthousiaste ettravailler. Votre goût pour les résultats à long termeatténuera les peines et les difficultés nécessaires pourles atteindre, mais il faudra mettre toute l’ardeur devos efforts dans chaque tâche que vous entreprendrez.

Cherchez-vous la renommée ?

Peu de gens se suffisent à eux-mêmes. Ils ont besoinque l’on apprécie ce qu’ils font. Il ne s’agit pas néces-sairement de l’acclamation publique, qui déplaît àcertains. Ce que chacun désire, c’est que l’on com-prenne ses buts et ses efforts, que l’on partage aveclui le sentiment que le travail de ses mains, qu’il soitbeau ou utile, a de l’importance.

La recherche de la renommée n’est pas une ambitionignoble, mais qu’est-ce que la renommée? A l’entréedu jardin des Tuileries, à Paris, se trouve une sculpturereprésentant une femme montée sur un cheval etembouchant la trompette; cette �uvre d’art s’appelle"La Renommée". Entendre la fanfare des applaudis-

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sements, voir son nom à l’enseigne lumineuse d’uncinéma ou sur la jaquette d’un livre, ce sont sans doutedes signes de notoriété! Mais derrière les ovations, lenéon, et la vedette, il doit y avoir une �uvre solide, etc’est là la réalité qui doit compter à vos yeux.

Feuilletez les pages de l’histoire et voyez combienpeu de ceux dont les noms étaient naguère sur toutesles lèvres ont survécu à l’épreuve de la qualité; com-bien minime est aujourd’hui leur célébrité qui étaithier si grande. Le rang, la pompe, les titres et les splen-deurs sont illusoires. Comme l’écrit Plutarque au sujetde César: "I1 n’a cueilli aucun autre fruit qu’un vainnom et une gloire odieuse".

Qu’est-ce que le bonheur ?

En fin de compte, c’est le bonheur que nous recher-chons. Si quelqu’un vous demande si vous êtes heu-reux, ne cherchez la réponse ni dans la somme de vosbiens matériels, ni dans votre enveloppe de paie, nidans votre notoriété, mais dans votre travail. L’hommeéprouve plus de bonheur à créer des choses qu’à enposséder ou à en recevoir gratuitement, si délectablessoient-elles.

Goethe écrit dans son Wilhelm Meister: "L’hommequi naît avec un talent qu’il est appelé à utiliser trouveson plus grand plaisir dans son utilisation."

Quant à la grandeur, ne croyez pas un instant quela distinction tombe du ciel: il faut la mériter. Lesuccès n’est pas une fin en soi, mais un accessoirequi s’ajoute à une tâche bien faite. Il est la récompensede celui qui sait cerner une situation et s’appliquer parses efforts personnels à résoudre un problème.

Pour être considéré comme grand, l’homme doitcollaborer à quelque chose. Aucune action ayant safin en elle-même ne peut concourir à la grandeur.L’homme qui désire être grand s’est donné pour tâchede laisser après lui un certain enrichissement à l’huma-nité. En agissant ainsi, il a la fierté d’accomplir quelquechose, d’appartenir à l’élite de ceux qui font �uvre utile.

Pourquoi attendre ?

Le principal avantage d’être jeune, c’est d’avoir letemps d’apprendre, mais il n’est pas nécessaire d’at-tendre l’âge viril pour agir si l’on a une bonne idée.Beaucoup de jeunes gens frais émoulus de l’écolesecondaire se plongent jusqu’au cou dans le travail detoute leur vie. Certains s’emparent d’une idée que l’oncroyait morte depuis longtemps ou à laquelle onn’avait jamais songé, et qui s’anime soudain entreleurs mains.

Le Dr William Carleton Gibson, professeur d’his-toire de la médecine et des sciences à l’Université de laColombie-Britannique, a écrit un livre qui doit êtreune source d’encouragement pour les jeunes. Dans cetouvrage intitulé Young Endeavour, l’auteur traite de lacontribution apportée au progrès des sciences par lesétudiants en médecine au cours des quatre dernierssiècles.

Beaucoup de choses apprises dans les premièresannées de la vie se révéleront utiles un jour ou l’autre,même si elles ne sont pas immédiatement transfor-mables en biens ou en services. Telles sont les lois quirégissent les phénomènes. La vie n’est pas une guerrede coups de clairon, de ronflements de moteurs et debrillants étalages, mais une application ou une modi-fication patientes, persistantes et ingénieuses des loisconnues en vue de faire face à de nouvelles situationset de résoudre de nouveaux problèmes.

L’existence ainsi comprise est comme un appareilphotographique; elle vous prend tel que vous êtes. Ilvous faut donc savoir ce que vous êtes, et un peud’auto-appréciation s’impose. Vous devez pouvoirvous dire franchement la vérité à vous-même sur voscapacités, vos ambitions, vos goûts, ainsi que sur ledegré et la force de volonté que vous possédez.

Si vous ne le faites pas, vous ne parviendrez peut-être pas à construire un cadre assez grand pour rece-voir le tableau que vous êtes capable de peindre. Toutcomme une huître ignore la valeur de la perle qu’ellerenferme, vous traverserez peut-être la vie avec desavantages inexploités.

Le but que vous poursuivez en voulant mettre uneimage de qualité dans le cadre de votre vie est votrepropre satisfaction. Vous devez être un critique plussévère que ceux qui portent un jugement sur votre�uvre. Vous voulez accomplir quelque chose devalable, et vous y arriverez en faisant preuve d’intelli-gence dans votre appréciation de vous-même, del’initiative voulue pour entreprendre ce que vous vouscroyez capable de réaliser et d’un intérêt soutenu dansce que vous faites.

Dans votre auto-appréciation, n’acceptez pas derestrictions à moins d’être sûr qu’aucun moyen nes’offre à vous pour vous frayer un passage par laréflexion et l’effort.

Si vos années de jeunesse sont déjà terminées, il estencore temps de faire une nouvelle appréciation devous-même. Il n’y a pas de raison pour que le désir dese perfectionner s’éteigne avec la jeunesse. Un critiquemusical disait, il n’y a pas longtemps, au sujet de PabloCasais et de ses 91 ans" "Chaque année de sa miracu-leuse vieillesse, Pablo Casais connaît un renouvelle-ment, un élargissement héroïque de l’esprit humain."

Savoir et expérience

Il est plus important en définitive d’avoir un hautniveau d’intelligence qu’un haut niveau de vie.

L’amour de l’étude trouve une vigueur nouvelledans le plaisir qu’elle procure. Cela est particulière-ment vrai pour l’homme qui reconnaît que l’instructionn’est pas simplement la voie à suivre pour gagner savie, mais la porte du savoir qui fait la valeur de la vie.

Le principal but des études secondaires ou universi-taires est d’acquérir les matériaux qui vous permet-tront de poursuivre votre but dans la vie. Tout lereste est secondaire.

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Vous aborderez ensuite la pratique. A l’école, vousavez appris les principes universels; l’expérience vousenseignera à les appliquer à des cas particuliers.

L’expérience n’est pas nécessairement une attentepassive des événements. Le mot vient du latin "expe-riri", qui veut dire essayer. L’expérience s’acquiertnotamment par l’expérimentation.

Habituez votre esprit à classer les faits et à relier lesfaits nouveaux aux anciens, afin de disposer au besoind’un ensemble cohérent de matériaux de réserve.Profitez de tous les exemples instructifs; vous appren-drez ainsi à faire face à la complexité. Mettez vosexpériences à contribution. Wagner a composé plu-sieurs opéras, mais s’il n’avait pas eu à affronter unetempête en traversant la mer du Nord, il n’auraitpeut-être jamais pensé au "Vaisseau fantôme".

Prendre conseil équivaut à acquérir de l’expériencesans revivre les événements. Il y a une certaine puéri-lité chez l’homme qui refuse de rechercher et de prendreles sages avis que lui donnent ceux qui savent à quois’en tenir.

Entrez en lice

Personne ne peut gagner une course ou une épreuvesportive quelconque sans participer au concours. Onne décerne pas de médaille à ceux qui se contentent des’asseoir sur les lignes latérales et de dire comment ilfaudrait jouer.

Vos débuts seront peut-être modestes, mais il n’estcommencement si petit qu’une application soutenue nefinisse par rendre grand. C’est ici que réside l’avantagede l’initiative: penser à quelque chose de valable et lemettre en branle.

Une chose qu’il importe de faire assez tôt dansl’élaboration de vos plans d’avenir est empruntée auxsciences, à l’économie et à la sociologie: vous devezétablir un équilibre satisfaisant entre les fins que vousdésirez atteindre et le prix que vous êtes prêt à ymettre. Les jeunes gens qui entrent dans le monde dutravail négligent souvent d’analyser toute la situation.Comme les amoureux, ils se laissent captiver par lesavantages prétendument supérieurs qui s’offrent pourles séduire.

Ce n’est pas une preuve de réalisme que de se limi-ter à avoir un but élevé. Vous devez vous assurer danstoute la mesure du possible que vous trouverez ce quevous voulez vraiment sur les hauteurs que vous avezl’intention de gravir. Il y a un avantage indéniable àse ménager des choix. Examinez plusieurs voies afinde prendre la bonne et ayez une vaste vue stratégiquedans laquelle vous utiliserez des plans tactiquesperspicaces.

Le fait de tracer la route de votre vie telle que vousla voyez actuellement constitue déjà un départ pra-tique. Vous serez étonné par les nouvelles possibilitésqui se dévoileront. Selon le Dr P. B. Meadawar, prixNobel de médecine en 1960: "La plus grande libéra-

tion de la pensée réalisée par la révolution scientifiquea été de donner aux êtres humains le sens de l’avenirdans ce monde".

Persévérez

Vous ferez chaque pas avec toute la sagesse dontvous êtes capable, sagesse faite d’attention aux cir-constances, des données recueillies auprès des autreset dans votre expérience personnelle, le tout examinéavec soin à la lumière de vos désirs et de votre milieu.A chaque étape, vous devez mériter le droit non seule-ment de progresser, mais de rester où vous êtes.Napoléon résume ainsi la question des aptitudes:"Les outils à celui qui sait s’en servir."

Toute progression exige une certaine adaptation àdes situations nouvelles. Si vous voulez accomplirquelque chose de grand et de durable, il est importantde rester ouvert aux changements. Peut-être mêmedevrez-vous étudier soigneusement les possibilités dechanger d’orientation. C’est là une question à bienexaminer, compte tenu de votre but initial dans la vie,de l’évolution des circonstances et des faits nouveauxque vous avez appris. Changez de direction après avoirmûrement réfléchi n’est pas un recul, mais un progrèsfondé sur l’expérience et des connaissances plus vastes.

Vous devrez vous appliquer à persévérer dans toutce que vous entreprenez. La réussite exige que vouspoursuiviez sans cesse votre but. Les gens qui ont dusuccès dans votre entourage n’ont pas atteint leur buten butinant de fleur en fleur à la recherche de la nou-veauté et à la poursuite du plaisir, mais en persistantdans la voie qu’ils ont choisie.

C’est une erreur capitale que de confondre le manquede fermeté et la souplesse. L’esprit qui pèse desmotifs et des plans différents modifie sa direction sui-vant l’attrait des buts antagonistes. Vous devez vousappliquer avec une certaine ténacité à bien accomplirvotre tâche quotidienne, mais cette application pourrase transformer en une agréable persévérance grâce àvotre imagination.

Tout cela exige de la patience. La patience n’est pasune vertu passive. Elle est le fruit du désir intelligentd’obtenir quelque chose de bon à la longue et de lavolonté qui sait attendre tout en s’efforçant d’yatteindre. Dans les montagnes, dit un philosopheallemand, le plus court chemin est d’aller de pic enpic, mais il faut pour le suivre avoir les jambes longues.

Acceptez les adversitcSs

La route n’est pas barrée simplement parce que vousn’avez pas réussi à avancer dans un domaine particu-lier. Ne cessez pas de croire dans ce que vous voulezsans avoir une excellente raison, admise après avoirlonguement réfléchi sur tous les faits et consulté un bonconseiller. Au pis aller, vous rassemblerez les frag-ments de votre plan et vous analyserez et mettrez àprofit les leçons de votre échec. Le désappointementsera peut-être un remède salutaire, qui vous poussera

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à de nouveaux efforts. Nous connaissons le cas d’unjeune homme qui, ayant échoué en 12e année, sut seressaisir et mériter la médaille d’honneur à sa sortiede l’université. Ce ne sont pas tant les choses quiarrivent qui importent que vos idées à leur sujet, etvous pouvez toujours maîtriser vos idées même si vousne pouvez pas maîtriser les événements. Le princePhilip disait dans une allocution: "Je me rappelleplusieurs expéditions où j’étais misérablement mal àl’aise, ennuyé, trempé, malade, désolé et fourbu; prêtà tout lâcher. Chose curieuse, plus ces expéditionsont été pénibles, plus le souvenir m’en est cher. Dansla vie, on ne regrette que les fois où l’on a abandonnéla partie."

Tout le monde est exposé à rencontrer des adversités,mais celles-ci peuvent servir à stimuler nos efforts.Vous éprouverez certaines incertitudes. Comment lesculpteur sait-il qu’une statue se cache dans le bloc demarbre? La voyant dans son esprit, il enlève dumarbre avec son ciseau et son marteau jusqu’à ce quele chef-d’oeuvre en jaillisse. Naturellement, s’il n’avaitpas essayé, on ne pourrait pas lui reprocher son insuc-cès, et cela peut être une satisfaction pour les âmestimorées.

Vous vous buterez aussi à des problèmes. Y a-t-ilautre chose qui donne plus de sel à la vie? Ce qu’ilfaut faire, ce n’est pas d’aborder les problèmes avecénervement, mais en apprécier immédiatement lesdimensions. Quelle importance le problème a-t-il ensoi? Dans quelle mesure sa solution dans un sens oudans l’autre peut-elle influer sur les ambitions devotre vie ?

Vous ne rechercherez pas les conflits et le déran-gement, mais vous ne les fuirez pas non plus. Tout celaest normal dans notre monde, et il faut s’en accommo-der. Il est impossible de progresser dans le gouverne-ment, les affaires ou une profession sans courir derisques. Il faut parfois cesser de prendre des précau-tions pour atteindre un résultat précis.

La profondeur d’esprit est très utile dans toutes lessituations qui se présentent. Il ne suffit pas de s’entenir à la surface des choses. En faisant le tour d’unobjet- ce qui est fort bien- on en obtient une vuecomplète de l’extérieur. Mais ce n’est qu’en pénétrantà l’intérieur de l’objet, qu’on en arrivera à le connaîtreà fond et à le comprendre.

Cela favorise le développement de l’intelligence. Lasélection naturelle du plus apte à survivre n’a pas cesséavec la publication de la théorie de Darwin. Il estpossible que la sélection par l’instinct et l’adaptationait fait place à la sélection par l’intelligence.

Nous sommes peu empressés à reconnaître la néces-sité du développement intellectuel, qui, contrairementau développement physique, suppose une activitévolontaire. L’enrichissement de l’esprit est une tâchesans fin. Même si vous êtes, pour le moment, dans unemploi où vous n’avez qu’à exécuter les ordres et àfaire de la copie, il convient d’exercer votre intelligence.L’homme ne s’encroûte pas dans la médiocrité s’il en-

Le Ministëre des Postes, à Ottawa, a autorisël’affranchissement en numéraire et l’envoi commeobjet de deuxième classe de la présente publication.

tretient en lui le goût de l’aventure intellectuelle. Lemonde où nous vivons est aussi varié que merveilleux;il nous offre le moyen d’échapper à la banalité etl’occasion de nous mouvoir avec aise dans le vasteroyaume des idées.

Voler de ses propres ailesPuis vient la maturité. La maturité implique la

capacité de voler de ses propres ailes. Vous connaissezmaintenant à fond le train quotidien de l’existence.C’est le moment de mettre de côté les enfantillagescomme l’incapacité d’apporter un intérêt soutenu à unetâche jusqu’à ce qu’elle soit terminée. Cette attitude ap-partient à l’époque de votre existence où l’instantprésent était le seul qui comptait vraiment et où vousne vous rendiez que vaguement compte de l’importancede l’avenir.

Il faudra tempérer par un peu de philosophie et deréflexion votre hâte juvénile de vous affirmer vous-même avant de pouvoir passer de l’impétuosité à lasérénité. Vous parviendrez ainsi à la maturité d’esprit,à la maturité de sentiment et à la maturité d’action.

S’il y a déjà longtemps, cette année, que vous avezterminé vos études, il n’est pas nécessaire de vousreporter à votre jeunesse comme au continent perdude l’Atlantide. Votre jeunesse a eu son utilité, et vousprofitez de ses enseignements dans votre maturité.Elle a été irréfléchie, mais elle vous a donné du discer-nement; elle a été impétueuse, mais elle vous a préparéà donner des conseils; elle a été inconstante, mais ellevous a rendu apte à entreprendre des choses durables.

La maturité du jugement, à laquelle tout le mondeaspire, est la somme du savoir, enrichie et prolongéepar l’expérience et les connaissances nouvelles. Ellen’étouffe pas nécessairement vos ambitions; mais elleest souple, adaptable, sagace et assez sûre d’elle-mêmepour courir les risques qui semblent mériter de l’être.Vous apprendrez, grâce à elle, à distinguer entre laréalité et l’imaginaire, à déceler l’absurdité, à rejeter lesfausses doctrines et à vous comporter d’une façonassez sensée pour qu’il ne soit pas nécessaire de vousimposer des contraintes.

Ayez confiance en vous-même

Avoir confiance en vous-même dès maintenant,c’est là la condition essentielle de votre succès et devotre bonheur futurs. Vos études actuelles, votre tra-vail actuel, vos projets actuels sont d’une importancecapitale pour votre avenir.

La vie est une lutte perpétuelle, et il serait manifeste-ment peu sage de compter que les choses iront toutesseules. Rappelez-vous ce que disait Richard Planta-genet, duc de York: "Je ne peux pas être votre roiavant d’être couronné."

Ce qui est très encourageant, c’est de penser quevous ne mériterez pas votre place dans la vie par lafaveur des autres, mais uniquement par l’orientationintelligente de vos efforts.

IMPRIMÉ AU CANADA