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Élise de La Rochebrochard (dir.) De la pilule au bébé-éprouvette Choix individuels ou stratégies médicales ?

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Élise de La Rochebrochard (dir.)De la pilule au bébé-éprouvetteChoix individuels ou stratégies médicales ?

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En matière de santé reproductive, des progrèsconsidérables ont été réalisés par la médecine cesdernières décennies : dernières générations depilules, avortements médicamenteux, techniquesd’assistance médicale à la procréation, dépistagesdes anomalies du fœtus. 74,6 % des femmes enFrance utilisent une méthode contraceptive en2000 et, lorsqu’elles sont enceintes, elles effec-tuent en moyenne 8,9 visites médicales prénataleset 4,5 échographies (p. 34). Quant à l’infertilité,elle est objet de traitements depuis le début desannées 1980 pour les femmes et depuis 1992 pourles hommes. En France, selon l’Organisation mon-diale de la santé, on compterait de 1,1 % à 1,4 %de naissances suite à une fécondation in vitro(FIV). Plus globalement, 5 % à 6 % des naissancessont obtenues grâce à un traitement médical, leplus courant étant la stimulation ovarienne. Onpeut ainsi parler de « médicalisation » de la viesexuelle et reproductive en ce sens où la médica-lisation est une transformation socioculturelle qui« consiste à conférer une nature médicale à desreprésentations et des pratiques qui n’étaientjusqu’alors pas socialement appréhendées dansces termes » (Fassin, 1998:5, cité p. 31 de l’ouvrage).L’objectif de cet ouvrage est justement d’inter-roger cette médicalisation et son impact dans lesrapports patients-médecins en se plaçant du côtédes patients. La réflexion a été conduite collecti-vement par des épidémiologistes, des sociologues,des démographes, des économistes et des psycho-logues qui présentent ici les principaux apportstant méthodologiques qu’empiriques de leursenquêtes.L’ouvrage a été conçu autour de grandes questionsqui constituent trois parties. La première ques-tion : sommes-nous tous égaux face à la médicali-sation ? Dès lors, quels types d’inégalités dansl’accès à cette médicalisation peut-on mettre enlumière : sociales, de genre ou géographiques ?Ainsi, la première partie de l’ouvrage s’ouvre surune étude de la fertilité menée à Beaumont-Hagueet Saint-Brieuc, deux zones rurales dont l’objectifétait de mettre en lumière d’éventuelles inégalitéssociales. Il s’agissait de tester les trois hypothèsesposées par Henri Leridon en 1991 pour expliquerl’augmentation de la fréquence des difficultés àconcevoir déclarées : une augmentation des

troubles de la fertilité, une augmentation de l’im-patience des couples et une diminution de la rési-gnation des couples (couples n’ayant pas consultéaprès un délai d’infécondité involontaire consi-déré comme long). Une observation sur dix ans,entre 1985 et 1995, alors que le taux d’infertiliténe varie pas, montre que la première hypothèsen’est pas valide et que l’augmentation des consul-tations médicales est bien liée à d’autres facteurs.Il n’existe pas non plus d’association nette entreles facteurs démographiques ou comportementauxet un recours aux soins. Les consultations pourinfécondité sont surtout le fait, assez logiquement,de couples n’ayant pas encore eu d’enfants. Ellesdépendraient pour partie du niveau d’instruction,ce qui conduirait à mettre en lumière des iné-galités sociales, mais de nombreux travaux sontencore à mener pour explorer plus finement l’en-semble du processus. Un autre chapitre s’intéressespécifiquement aux inégalités géographiques àpartir de l’étude du choix de la maternité dans ledépartement de Seine-Saint-Denis. L’objectif étaitde comprendre comment l’accessibilité géogra-phique (distance domicile-maternité) intervientdans le choix, et d’étudier les comportements enfonction des caractéristiques sociodémographi-ques des femmes enceintes face aux contraintesgéographiques. La proximité se révèle bien être unfacteur majeur, puisque 46,5 % des femmes del’échantillon ont choisi d’accoucher à la maternitéla plus proche. Pour les femmes enceintes quihabitent à proximité de Paris, elles quittentnéanmoins plus souvent le département. Toutefois,cette étude permet de mettre également enlumière des inégalités sociales en soulignant quel’absence de couverture sociale explique parfoisl’allongement du trajet moyen. De même, lesFrançaises du département choisissent plussouvent que les autres une maternité privée. Ilressort ainsi de cette étude que les réorganisationsspatiales de l’offre de soins pourraient affecterdifféremment les femmes selon leur origine géo-graphique, leur couverture sociale ou leur niveausocio-économique. Enfin, un dernier chapitretraite des inégalités de genre à partir d’une étudedes représentations de la sexualité féminine etmasculine dans des documents scientifiques, quimontre ainsi comment la médecine restreint les

Politiques sociales et familiales n° 95 - mars 2009

103 Comptes rendus de lectures

Élise de La Rochebrochard (dir.)

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2008, Paris, Institut national d’études démographiques, Les Cahiers de l'ined, 264 pages.

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dysfonctionnements sexuels masculins unique-ment à l’organe – ne s’intéressant qu’au physio-logique – tandis que les dysfonctionnementsféminins relèvent, pour les médecins, de la « souf-france personnelle ». Les facteurs psychiques sontoubliés de la médecine dans les traitements mas-culins des dysfonctionnements sexuels.Dans la deuxième partie de l’ouvrage, les rapportspatients-médecins sont explorés à partir de l’inter-rogation suivante : quel est le poids réel du patientdans la prise de décision ? Les deux premierschapitres sont des analyses issues de l’enquêteCocon menée par l’INED et l’INSERM sur lacontraception et l’interruption volontaire degrossesse (IVG). Le premier porte sur le choix de lacontraception et montre que les logiques de pres-cription ne s’appuient pas forcément sur les atten-tes des femmes mais sur ce que les médecinspensent médicalement le mieux pour elles. EnFrance, la norme contraceptive telle que véhiculéepar les médecins est l’utilisation associée pilule etpréservatif au début de la vie sexuelle, la pilulequand la relation est stabilisée puis le stérilet quidépend de l’âge et du nombre d’enfants. Or, cedernier peut être théoriquement utilisé à n’importequel moment de la vie sexuelle. Le choix de laméthode contraceptive apparaît ainsi limité pourles patientes. Le deuxième chapitre, toujours àpartir de l’enquête Cocon, porte sur le choix de latechnique d’avortement : méthode médicamen-teuse en médecine de ville ou la méthode chirur-gicale. Cette question du choix de la technique estliée aux conditions d’accès à l’IVG. En effet, il esta priori plus facile de trouver une place pour l’actechirurgical parce que la pratique médicamenteuseest moins diffusée. Toutefois, il n’existe pas de lienentre la première personne contactée (gynéco-logue, généraliste, etc.) et la probabilité de choisirsoi-même sa méthode. De même, entre le faitd’avoir eu un entretien préIVG ou pas. L’enquêteCocon datant de 2000, il n’est pas impossible desupposer que l’accès à l’IVG médicamenteuses’est répandu depuis. L’étude mériterait ainsi assu-rément d’être réactualisée d’autant que la législa-tion a également changé depuis 2001 (possibilitéd’avorter jusqu’à douze semaines de grossesse etnon plus dix). Un autre chapitre est consacré audiagnostic prénatal. Il s’agit d’un exemple parti-culièrement intéressant pour étudier les rapportsmédecins-patients, le choix du patient étant déter-minant : faire une amniocentèse en tenant comptedu risque de fausse couche, décider d’avorter oupas si une anomalie est dépistée. Or, l’enquête parquestionnaires autoadministrée montre une ten-dance à la délégation des décisions de dépistageau professionnel de santé. Le dépistage (prise desang) entraînerait pour les médecins une décisionallant de soi de réaliser une amniocentèse, puisd’avorter le cas échéant. Le dernier chapitre decette partie relève également d’un choix indivi-

duel qui est celui de l’information du partenaireen cas d’infections sexuellement transmissibles.Une enquête sur les comportements sexuels enFrance menée en 1992 montrait que les patientsinformaient moins souvent leurs partenaireslorsque le diagnostic avait été réalisé dans unestructure publique plutôt que chez un spécialisteprivé ou un généraliste. Ce constat établi, uneenquête qualitative a été menée auprès de mé-decins et de gynécologues, qui confirme quel’information du partenaire serait dépendante descomportements des médecins : les hommes infor-meraient moins leurs partenaires que les femmesparce qu’ils consultent dans des structures où onles inviterait moins à le faire (dispensaires anti-vénériens ou structures hospitalières). On pourraitcritiquer pour partie cette hypothèse qui tientinsuffisamment compte des caractéristiques socio-démographiques des hommes qui consultent dansce type d’endroits (au lieu du médecin généralistepar exemple) et des aspects psychologiques (infec-tion qui peut être liée à la multiplicité des parte-naires ou qui relève d’une infidélité).Dans la troisième partie, il est question dessouffrances psychologiques vécues par les patients.La question posée est sur le vécu des hommes etdes femmes dans cet univers médicalisé. Unpremier chapitre traite du suivi des femmesayant eu une grossesse extra-utérine. Les femmesrecontactées six mois après, et non enceintes,déclarent se sentir fragilisées et diminuées dansleur féminité, ce qui se traduit par des arrêts detravail, voire un état dépressif. L’expression desdifficultés psychologiques varie en fonction duniveau socioculturel. Il est plus important avec unniveau d’études élevé. Toutefois, les femmes inter-rogées font toutes état d’un sentiment d’isolementpar rapport au monde médical et considèrent nepas avoir été suivies. Un autre chapitre porte surles souffrances psychologiques masculines, cettefois lors du recueil de sperme infertile en labo-ratoire. Les hommes interrogés ont fait part d’unsentiment d’intimité dépouillée. Pour les auteursde l’étude, cette pratique biomédicale repose surl’effacement relatif de l’usager et du couple. Enfin,le dernier chapitre s’intéresse à la FIV qui nécessitedes traitements lourds et contraignants pour lescouples, et plus spécifiquement pour les femmes.Les couples interrogés exposent un déficit d’infor-mations quant aux risques liés aux traitements hormo-naux et aux effets secondaires. Mais c’est surtoutdans la nature des relations avec les médecins queles couples donnent des éléments intéressants. Lorsdes FIV, les femmes ont le sentiment d’être mani-pulées comme un objet. Dans certains cas, il estpossible de parler d’« acharnement » du corpsmédical. Un tiers des couples finissent par changerde centre ; pour 62 %, parce qu’ils sont insatisfaitsdes rapports avec l’équipe. Le secteur privé semblebénéficier d’un taux de satisfaction plus élevé.

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Malgré la juxtaposition de chapitres sur desenquêtes dont les terrains sont très divers, et donton peine à trouver un fil conducteur, cet ouvrageest riche en travaux exploratoires. Il ouvre, eneffet, sur une série de recherches qui seraient àmener, notamment dans une perspective compa-rative avec les pratiques dans d’autres pays.Pourraient être ainsi comparés le suivi de lagrossesse et les conditions d’accouchement,

lesquels posent de nombreuses questions sur lesrapports patientes-médecins : choix des méthodespour accoucher, accès aux préparations à l’accou-chement, recours à la péridurale, épisiotomie,césarienne, etc.

Sandrine DauphinCNAF – Rédactrice en chef

de PPoolliittiiqquueess ssoocciiaalleess eett ffaammiilliiaalleess

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105 Comptes rendus de lectures

Cet ouvrage est issu d’une journée d’étude « Petiteenfance et rapports sociaux de sexe » qui s’esttenue en 2005 avec le soutien de l’associationColline, qui anime un réseau d’accueil des jeunesenfants. Le propos vise à mettre en lumière lesmodes de construction du genre dès la primeenfance. Deux vecteurs de socialisation sont iciétudiés : les structures collectives d’accueil desjeunes enfants et les parents. Dans l’introduction,après avoir rappelé leur cadre de référence, notam-ment composé des « pionnières » Simone deBeauvoir (1) et Elena Gianini Belotti (2), les auteu-res convoquent trois sciences : la psychologie, quienvisage la construction de l’identifiée (notammentsexuée), la sociologie, qui réfléchit en termed’organisation du pouvoir, l’économie qui pense larépartition des ressources. L’ouvrage s’articuleautour de trois grandes parties : les enfants à lacrèche, les professionnel-le-s, la place des pères.Le premier chapitre, « Le "jeu libre" en crèche, uneexpression des rapports sociaux de sexe ? », rédigé parDominique Golay, étudie les « jeux libres », censéspermettre le développement de la personnalité etl’épanouissement des enfants. L’auteure note queles règles, symboles et normes véhiculés dans cesjeux reproduisent des stéréotypes sexués ; ainsi, enl’absence d’intervention des adultes, les enfantsreproduisent des rapports de domination. L’inter-vention des adultes ne résout d’ailleurs pas forcé-ment la question. En effet, Geneviève Cresson a

observé la vie quotidienne dans les crèches. Lebilan qu’elle en tire montre que la question dugenre, pour les professionnelles, ne semble pas seposer ; leurs pratiques ne sont pas spontanémentinterrogées car elles sont perçues comme neutres.Les distinctions réalisées seraient justifiées par lecaractère individuel des enfants ou par leur âge.Une anecdote souligne l’écart entre cette idée etla réalité : derrière la directrice, qui énonce àl’enquêtrice le principe d’indifférence, se situent lesdossiers des enfants, roses pour les filles et bleuspour les garçons. Le monde est donc bien, dans lescrèches comme ailleurs, divisé en deux. La beautéest valorisée chez la fille, la motricité chez le garçon.Sous couvert de besoins individuels différents, sontproposés aux filles et aux garçons des jeux différents ;pour les mêmes jeux, les garçons sont davantageencouragés dans leurs efforts. La gestion des conflitsmontre également une naturalisation des comporte-ments : les professionnelles sont plus tolérantes àl’égard de l’agressivité des garçons qu’à celle desfilles. Le genre s’avère donc une grille de lectureimplicite utilisée par les professionnelles.Dans la deuxième partie de l’ouvrage, NadinePlateau relate une expérience de formation sur legenre dispensée à des enseignants. À la fois théo-riques ou basés sur l’expérience d’étudiants, cesmodules devaient éveiller les participants aux iné-galités entre les sexes, dans les sphères domestiques,professionnelles et scolaires. Les intervenantes ont

Nathalie Coulon et Geneviève Cresson (dir.)

LLaa ppeettiittee eennffaanncceeEEnnttrree ffaammiilllleess eett ccrrèècchheess,, eennttrree sseexxee eett ggeennrree

2007, Paris, L’Harmattan, collection Logiques sociales, 234 pages.

(1) LLee ddeeuuxxiièèmmee sseexxee, Gallimard, 1949.(2) DDuu ccôôttéé ddeess ppeettiitteess ffiilllleess, Éditions des femmes, 1976 (traduction française).