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MARDI 31 MAI 2016 0123 par michel noblecourt Editorialiste surligné par ERIC LEGER A u-delà de leur engagement dans la contestation – comme sur la loi El Khomri – ou dans la négociation, les syndicats ont un objectif commun : dé- velopper la syndicalisation. Depuis la réforme de 2008, c’est l’audience des syndicats dans les élections professionnelles qui garantit leur représentativité. Mais la con- quête des électeurs ne leur donne pas plus de militants. Une enquête de la Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, publiée en mai, va donner du baume au cœur aux dirigeants syndicaux. Si la France se situe toujours en bas de l’échelle européenne, son taux de syndicalisation, longtemps estimé autour de 8 %, était de 11,2 % en 2013, dont 19,8 % dans la fonction publique et 8,7 % dans le secteur privé. Cette enquête est d’autant plus intéressante qu’elle est fondée sur les ré- ponses à un questionnaire de 33 676 person- nes et qu’elle distingue les syndiqués – au nombre de 2,995 millions selon les huit prin- cipaux syndicats – des sympathisants (4,5 %). L’analyse par secteur d’activité dans le privé est éclairante. C’est dans les transports que l’on compte le plus de syndiqués (18 %), devant les activités financières et d’assurance (12,9 %) et l’industrie (12,2 %), où les restructurations ont fait des ravages dans les bastions syndi- caux. Par catégorie, les professions intermé- diaires (10,7 %) et les ouvriers (9,2 %) sont les plus syndiqués, alors que les cadres ne sont que 7,2 % à être encartés. « La stabilité de l’em- ploi, l’insertion dans un collectif de travail, la connaissance de son environnement sont des facteurs propices à l’adhésion syndicale », note sans surprise la Dares. Si on observe la taille des entreprises, c’est dans celles de 200 sala- riés et plus que le taux est le plus élevé (14,4 %), contre 5 % dans celles ayant moins de 50 sala- riés. Les statuts précaires sont des freins. Ainsi, 10 % des salariés en contrat à durée in- déterminée sont syndiqués, contre 2 % des CDD et 1 % des intérimaires… Une situation qui explique le faible taux de syndicalisation (3 %) des jeunes de moins de 30 ans. Il en est de même pour les employés à temps partiel (6,7 %). Globalement, les femmes adhèrent moins que les hommes (10 % contre 12 %). Dans la fonction publique, où la syndicalisa- tion est deux fois plus élevée que dans le privé, les différences sont notables entre la fonction publique d’Etat (24 %), la fonction publique hospitalière (17 %) et la fonction publique terri- toriale (16 %). C’est dans les finances publiques que le record est atteint (37,6 %), devant les mé- tiers de la sécurité (32,2 %) et ceux de l’éduca- tion et de la formation (23,7 %). Les policiers sont 49 % à avoir une carte syndicale. « Les syn- dicats de la police, comme ceux des ensei- gnants, explique la Dares, exercent une forte in- fluence dans les commissions paritaires qui sta- tuent sur la carrière des personnels. » L’enquête montre aussi que, globalement, les syndiqués sont moins satisfaits des relations de travail que les non-syndiqués, et qu’ils « signalent plus souvent que les autres avoir été victimes d’une agression verbale de la part de leurs collè- gues ou de leurs supérieurs hiérarchiques ». LE CHÈQUE SYNDICAL, UNE OPPORTUNITÉ ? Le chèque syndical, dispositif où l’employeur adresse à chaque salarié un bon de finance- ment qu’il peut allouer, ou non, au syndicat de son choix qui pourra ensuite le monétiser, peut-il être un outil de syndicalisation ? Ap- paru en 1990 chez Axa, avec la bénédiction de la CFDT et son secrétaire général confédéral, Jean Kaspar, il ne s’est pas étendu dans les en- treprises, en dehors d’un essai au Gan. Réali- sée par plusieurs chercheurs – Rémi Bourgui- gnon, Mathieu Floquet, Pierre Garaudel, Sté- phane Lefrancq –, et commandée par l’asso- ciation Dialogues, animée par Jean- Dominique Simonpoli, une étude en dresse le bilan. Elle souligne que le développement de la syndicalisation se heurte au faible engage- ment des salariés, phénomène connu sous le nom de « passager clandestin » : « Alors que le risque perçu de la syndicalisation est jugé, à tort ou à raison, élevé par l’adhérent putatif, le béné- fice est, lui, nul, puisque tous les salariés, syndi- qués ou non, bénéficient de l’action syndicale. » Pour les auteurs de l’étude, le chèque syndi- cal « adopte la logique incitative par la mise en concurrence et place, plus encore que l’élection, le salarié au cœur des choix d’allocation des res- sources ». Chez Axa, la campagne annuelle de collecte « suppose un intense travail de ter- rain » et incite les syndicats, à l’exception de FO, vent debout contre ce système, à « resser- rer les liens avec les salariés ». La compétition entre les syndicats peut générer des tensions et un « sentiment d’isolement », des responsa- bles interrogés dans cette étude « restituant parfois un discours les montrant en tension en- tre des salariés lassés et l’entreprise ayant un in- térêt financier à un succès limité de l’opération de collecte ». Ceux qui jouent le jeu et versent leur chèque à un syndicat ne se muent pas magiquement en adhérents. Ce sont des sym- pathisants, qui votent à 89 % pour les syndi- cats auxquels ils ont versé leur bon. Ainsi, la CFDT se situe à 34 % en tête aux élections et bénéficie de 41 % des chèques. Mais les auteurs pointent une difficulté des syndicats « à dépasser une conception militante de l’ad- hésion, à donner un réel statut aux sympathi- sants et donc à nouer un lien privilégié ». Sur les dix dernières années, le taux de ren- voi des chèques à l’employeur par les syndi- cats pour être monétisés fluctue autour de 55 %. En 2014, il était à peine supérieur à 50 %. Le bilan est « nuancé », mais cet outil « per- met d’améliorer la représentativité et d’entre- tenir un dialogue régulier avec les salariés habituellement distants » des syndicats. La piste reste à explorer. p SI LA FRANCE SE SITUE TOUJOURS EN BAS DE L’ÉCHELLE EUROPÉENNE, SON TAUX DE SYNDICALISATION, LONGTEMPS ESTIMÉ AUTOUR DE 8 %, ÉTAIT DE 11,2 % EN 2013 Le défi de la syndicalisation

Vers un nouveau syndicalisme français ?

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Page 1: Vers un nouveau syndicalisme français ?

MARDI 31 MAI 2016

0123 par michel noblecourt Editorialiste

surligné par ERIC LEGER

Au-delà de leur engagementdans la contestation – commesur la loi El Khomri – ou dansla négociation, les syndicatsont un objectif commun : dé-velopper la syndicalisation.

Depuis la réforme de 2008, c’est l’audience dessyndicats dans les élections professionnellesqui garantit leur représentativité. Mais la con-quête des électeurs ne leur donne pas plus de militants. Une enquête de la Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques (Dares) du ministère du travail, publiée en mai, va donner du baume au cœur aux dirigeants syndicaux. Si la France se situe toujours en bas de l’échelle européenne, son taux de syndicalisation, longtemps estiméautour de 8 %, était de 11,2 % en 2013, dont 19,8 % dans la fonction publique et 8,7 % dans le secteur privé. Cette enquête est d’autantplus intéressante qu’elle est fondée sur les ré-ponses à un questionnaire de 33 676 person-nes et qu’elle distingue les syndiqués – au nombre de 2,995 millions selon les huit prin-cipaux syndicats – des sympathisants (4,5 %).

L’analyse par secteur d’activité dans le privéest éclairante. C’est dans les transports quel’on compte le plus de syndiqués (18 %), devantles activités financières et d’assurance (12,9 %)et l’industrie (12,2 %), où les restructurations ont fait des ravages dans les bastions syndi-caux. Par catégorie, les professions intermé-diaires (10,7 %) et les ouvriers (9,2 %) sont les plus syndiqués, alors que les cadres ne sont que 7,2 % à être encartés. « La stabilité de l’em-ploi, l’insertion dans un collectif de travail, la connaissance de son environnement sont des facteurs propices à l’adhésion syndicale », note sans surprise la Dares. Si on observe la taille des entreprises, c’est dans celles de 200 sala-riés et plus que le taux est le plus élevé (14,4 %),contre 5 % dans celles ayant moins de 50 sala-riés. Les statuts précaires sont des freins. Ainsi, 10 % des salariés en contrat à durée in-déterminée sont syndiqués, contre 2 % des CDD et 1 % des intérimaires… Une situation qui explique le faible taux de syndicalisation(3 %) des jeunes de moins de 30 ans. Il en est demême pour les employés à temps partiel (6,7 %). Globalement, les femmes adhèrent moins que les hommes (10 % contre 12 %).

Dans la fonction publique, où la syndicalisa-tion est deux fois plus élevée que dans le privé,les différences sont notables entre la fonction publique d’Etat (24 %), la fonction publique hospitalière (17 %) et la fonction publique terri-toriale (16 %). C’est dans les finances publiquesque le record est atteint (37,6 %), devant les mé-tiers de la sécurité (32,2 %) et ceux de l’éduca-tion et de la formation (23,7 %). Les policierssont 49 % à avoir une carte syndicale. « Les syn-dicats de la police, comme ceux des ensei-gnants, explique la Dares, exercent une forte in-

fluence dans les commissions paritaires qui sta-tuent sur la carrière des personnels. » L’enquête montre aussi que, globalement, les syndiqués sont moins satisfaits des relations de travail que les non-syndiqués, et qu’ils « signalent plus souvent que les autres avoir été victimes d’une agression verbale de la part de leurs collè-gues ou de leurs supérieurs hiérarchiques ».

LE CHÈQUE SYNDICAL, UNE OPPORTUNITÉ ?Le chèque syndical, dispositif où l’employeur adresse à chaque salarié un bon de finance-ment qu’il peut allouer, ou non, au syndicat de son choix qui pourra ensuite le monétiser, peut-il être un outil de syndicalisation ? Ap-paru en 1990 chez Axa, avec la bénédiction de la CFDT et son secrétaire général confédéral, Jean Kaspar, il ne s’est pas étendu dans les en-treprises, en dehors d’un essai au Gan. Réali-sée par plusieurs chercheurs – Rémi Bourgui-gnon, Mathieu Floquet, Pierre Garaudel, Sté-phane Lefrancq –, et commandée par l’asso-ciation Dialogues, animée par Jean-Dominique Simonpoli, une étude en dresse le bilan. Elle souligne que le développement de la syndicalisation se heurte au faible engage-ment des salariés, phénomène connu sous le nom de « passager clandestin » : « Alors que le risque perçu de la syndicalisation est jugé, à tort ou à raison, élevé par l’adhérent putatif, le béné-fice est, lui, nul, puisque tous les salariés, syndi-qués ou non, bénéficient de l’action syndicale. »

Pour les auteurs de l’étude, le chèque syndi-cal « adopte la logique incitative par la mise en concurrence et place, plus encore que l’élection, le salarié au cœur des choix d’allocation des res-sources ». Chez Axa, la campagne annuelle de collecte « suppose un intense travail de ter-rain » et incite les syndicats, à l’exception de FO, vent debout contre ce système, à « resser-rer les liens avec les salariés ». La compétition entre les syndicats peut générer des tensions et un « sentiment d’isolement », des responsa-bles interrogés dans cette étude « restituant parfois un discours les montrant en tension en-tre des salariés lassés et l’entreprise ayant un in-térêt financier à un succès limité de l’opération de collecte ». Ceux qui jouent le jeu et versent leur chèque à un syndicat ne se muent pas magiquement en adhérents. Ce sont des sym-pathisants, qui votent à 89 % pour les syndi-cats auxquels ils ont versé leur bon. Ainsi, la CFDT se situe à 34 % en tête aux élections et bénéficie de 41 % des chèques. Mais les auteurs pointent une difficulté des syndicats « à dépasser une conception militante de l’ad-hésion, à donner un réel statut aux sympathi-sants et donc à nouer un lien privilégié ».

Sur les dix dernières années, le taux de ren-voi des chèques à l’employeur par les syndi-cats pour être monétisés fluctue autour de 55 %. En 2014, il était à peine supérieur à 50 %. Le bilan est « nuancé », mais cet outil « per-met d’améliorer la représentativité et d’entre-tenir un dialogue régulier avec les salariés habituellement distants » des syndicats. La piste reste à explorer. p

SI LA FRANCE SE SITUE

TOUJOURS EN BAS DE L’ÉCHELLE EUROPÉENNE, SON TAUX DE

SYNDICALISATION, LONGTEMPS

ESTIMÉ AUTOUR DE 8 %, ÉTAIT

DE 11,2 % EN 2013

Le défi de la syndicalisation

Eric LEGER
Texte surligné
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