1992 L'apothéose des victomes_Nouvel obs

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René Girard1992 L'apothéose des victomes

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  • L'apothose des victimes PAR REN GIRARD Pris des grandes idologies ~' sommes-rwus sans defense deoont les dmons de la xrwplwbie, de lntgrisme, dufondnent:alisme ? Non. Car quelque clwse en nous leur rsis, qui plonge se,s racines dans lejudaique et le chrtien

    A. mesure qu'un peu partout les barri-res nationales s'abaissent, un peu partout galement une tentation se rpand, celle de les relever. A ce propos, on voque l'Europe de l'Est mais, dans nos pays riches, ce ne sont pas des nationalismes qui se rveillent, c'est une trs vieille peur, celle de l'immigration massive. Nous appelions l'Amrique de nos vux et nous som-mes exaucs : mme nos , dsormais, sont amricains. Les dmunis du monde entier voient en nous une autre Californie. Nous dcou-vrons la puissance des rflexes qui depuis toujours aux Etats-Unis militent en faveur de l'isolation-nisme et de la sgrgation raciale. Mais ici comme l-bas ces tendances sont voues l'chec.

    D'ici peu des avions d'une capacit cinq dix fois suprieure celle des Boeing 7 4 7 sillonneront la plante vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Sera-t-il possible de les rserver exclusivement aux vrais 1> touristes, ceux qui rentrent dans leur

  • nes victimes mais de toutes, sans distinction d'appartenance religieuse, culturelle, nationale. On est presque oblig ici de recourir des termes dont la conjonction parat absurde, de parler d'une apothose des victimes, ou mme de leur monte en puissance.

    On va se rcrier, on va me dire qu'il n'y a l qu'imposture, hypocrisie, mensonge, duperie. Tout le monde aspire dsormais occuper la position de victime suprme, la plus victimise de toutes. Chaque groupe a ses victimes lui, suprieures aux autres dans l'ordre victimaire, plus rellement pitoyables. On est cur par les querelles dont les victimes d'un monde tragique

    sont~ la fois l'enjeu, le drapeau, les projectiles et les boucliers. Sans doute, mais l'curement qu'inspirent ces surenchres, o peut-il bien s'enraciner sinon dans une modalit plus authen-tique, ou qui se voudrait telle, du souci que nous partageons tous, ce souci de toutes les victimes que mme les plus cyniqes parmi nous n'osent pas rpudier ?

    Pour bien voir ce que ce discours a d'inou, il faut renoncer un instant aux morales et contre-morales pour l'couter en ethnologue, et constater que personne ne l'a jamais tenu avant nous. Hors de chez nous, il serait proprement inintelligible. Ce langage, nous pensions nagure qu'il s'enraci-nait dans l'idologique, dans le discours marxiste sur l'exploitation du proltariat, par exemple, mais ce n'tait pas.vrai puisque, loin de l'affaiblir, la dbcle des idologies le renforce encore et en rvle l'origine religieuse. Tout s'enracine dans le judaque et le chrtien.

    Pour une fois Nietzsche avait raison, mais il est impossible de suivre ce philosophe dans sa dmence esthtisante, dans sa revendication monstrueuse d'une morale des matres contre celle des esclaves. Nous savons o mne cet esthtisme-l. Si la concurrence des victimes venait cesser, nous retournerions vite, c'est certain, celle de leurs bourreaux.

    J'invente, parat-il, un judo-chrtien qui n'existe pas. Qu' cela ne tienne, il suffit de renvoyer les uns et les autres leurs textes respectifs. En ce qui concerne les victimes et plus prcisment les trangers, les immigrants dmu-nis, la Bible hbraque et les Evangiles sont interchangeables. Pour la premire, voir la grande injonction du Lvitique ou, si l'on prfre, !'Exode ou le Deutronome : Si l'tranger rside avec vous dans votre pays, vous ne Je molesterez pas. Il sera pour vous comme un compatriote et tu l'aimeras comme toi-mme car vous avez t trangers au pays d'Egypte. Pour les seconds, voir le Bon Samaritain, et la parabole du jugement dernier: ]'tais un trangeret vous ne m'avezpas accueilli, nu et vous ne m'avez pas vtu, malade et prisonnier, et vous ne m'avez pas visit.

    Ces textes ont prsid beaucoup de choses dans nos diverses cultures et, en de des idolo-gies dfaillantes, ce sont eux, en dernire analyse, qui nous protgent un peu de nous-mmes et des protectionnismes matriels et spirituels par les-quels nous sommes tous tents.

    L'Europe du mpris PAR AIAIN FINKIELKRAUT Est-ce parce que la grande ide de cosmopolisnie s'est dgrade chez nous en shopping plantaire que nous qualifions de tribale la soif d'identit des peuples librs ?

    D eux ans aprs l'ivresse de la chute du mur de Berlin, les dmocrates de l'Europe opulente ont la gueule de bois. Le postcommunisme les doit ou les inquite presque autant que, nagure, le communisme. L'Eu-rope de l'Est, disent-ils, amers, n'a pas tenu ses promesses. Elle recule au lieu d'aller de l'avant. Au lieu de choisir la voie royale des valeurs universelles, elle s'enfonce dans la recherche perdue de la plus petite diffrence. A l'heure du village global, elle ressuscite les querelles de clocher. Quand tout se mle, se confond, se

    . mondialise, elle tombe en proie !'ethnocen-trisme.et la xnophobie. On attendait la fin de !'Histoire, c'est--dire l'adhsion de tous les hommes la dmocratie et au march, ce sont les vieux dmons qui se lvent et l'on risque de voir renatre le temps des tribus.

    tion, disait Pguy avant que l'idologie totali-taire ne s'empare dfinitivement de ce mot, n'est pas (1 une situation de transbordement ou de chambardement autoritaire, arbitraire et livresque, mais, au fond, un appel une tradi-tion plus profonde; une rvolution est un appel d'une tradition moins parfaite une tradition plus parfaite, un appel d'une tradition moins profonde une tradition plus profonde, un reculement de tradition, un dpassement en profondeur; une recherche des sources plus profondes ; au sens littral du mot, une res-source .

    Il faut avoir oubli ce qu'est le monde et, l'instar du communisme dfunt, considrer l'individu sous l'angle exclusif de la production et de la consommation pour ne voir dans un tel ressourcement que repli frileux (tout ce qui n'est pas conforme, de nos jours, est~ frileux & ) sur l'ethnicit. Ce n'est pas, autrement dit, parce que nous sommes cosmopolites mais parce que la grande ide de cosmopolitisme s'est dgrade chez nous en shopping plan-taire et parce que nous avons rduit l'homme universel un Walkman Sony, vtu d'un jean Levi's et d'une chemise Lacoste que nous qualifions de tribale la soif d'identit qui saisit aujourd'hui les anciennes colonies de l'empire totalitaire.

    Toutes les traditions, tous les mondes que l'Europe sinistre s'efforce de ramener au jour sont loin, certes, d'tres dmocratiques, sym-pathiques et roses. Et les nations en mal de pass sont d'autant moins enclines faire le tri

    i qu'en censurant tout le communisme a tout magnifi, mme le fascisme. L'Europe du

    .. J sicle a provoqu et subi deux catastrophes if"eiedelliberti Vilniuset1sep:mbrel!J9' . totalitaires. !l lui incombe maintenant d'ap-

    :,.:;. : ,:;..c" y . 1 . . .:r:;. ~;. ~ ;p.reI)dre ~ne plus les jouer l'une contre l'autre .; ~~;diagnostic.~sabuse r~v~le d'atldrd.1Jile ; et ne pas s~ servir'9e la plus rcente pour profiid, .une incroyable meoJinaissanc'du ... effacer celle qui Pa prcde. Mais c'est trahir communisme. Celui-ci, en effet, ne supprime ce mandat que de frapper d'infamie le patrio-. pas seulement l libert, il abolit la pl\ltalitdes tisme mme des anciennes-nouvelles nations

    mond~ au profit d'un monde qui ri' est th~1l11e eW-OPennes et de dcrter fascistes ou antis-pas un monde mais l'alternance SerriPit~inelle mites leurs revendications identitaires. Au nom d'un t.ravail monotone et d'une co11sommat{on du pls jamais~!&, on en vient alors refuser ~'a~tant plus 9bsdante .qu'elle e~tdifficllt~. toute alternativ. l'euro-disneylandisation de p~r~.p'o~ Ia tenriltiye,;~~:f~is J~li~rt .~ l'I!urope, voife, comnie c'est le cas quand on ~nq.ise, de redonner un .n.to1J;fli~~e; cJ i . trlt d'oustachiS lesvictimes croates du natio recbmtituet U.n chez-sol qui Ii sit'~.liniit~ + nal-commurusme serbe, cautionner le retour la sphre priv, et de retrouver une m111oit~ : du crime de masse sur le sol europen. L'antito-une sensibilit~ qui vous relient d'autres tres taJitarisme mritait mieux. que ceux dejotre classe sociale. Une fvolu'.' AR

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