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LETTRE DE PROSPECTIVE JUIN 2009 - NUMERO 16 Une lettre de la Direction générale adjointe chargée des Études, de la Prospective et de l’Innovation Directeur de la publication : Pierre TROUILLET Rédacteur en chef : Jean-Luc BIACABE Mise en page : Bénédicte MARTIN Contact : [email protected] Avertissement : Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de la CCIP. L ors du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, les dirigeants de l’Union européenne avaient adopté un programme fixant « un nouvel objectif stratégique pour les 10 prochaines années : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Neuf ans après, le bilan est en demi-teinte et l’on parle déjà d’un plan Lisbonne plus. Le rapport Cohen Tanugi en 2007 1 concluait que les objectifs étaient pertinents et devaient être poursuivis, mais que l’Europe n’a- vait pas rattrapé son retard par rapport aux États-Unis et qu’elle subissait la concurrence de certains pays émer- gents. En effet, partout à travers le monde, les États misent sur les territoires innovants et l’intelligence. Le monde entier est désormais sur cette stratégie de métissage entre industrie, recherche, entreprises et territoires et c’est très certainement là que va se jouer la compétition mondiale des prochaines années. Dans ce contexte, quels sont les atouts de la France dans cette course mondiale aux territoires innovants ? A ce jour, la France apparaît plutôt en retrait, alors que les différents responsables politiques nationaux n’ont eu de cesse d’affirmer, depuis une décennie, leur volonté de faire de la France un territoire innovant 2 . Cette volonté conduit à se poser les questions suivantes : existe-t-il un modèle unique de territoire innovant ? Quelle voie suivre pour la France ? Par Hélène PERRIN BOULONNE [email protected] Devenir le territoire le plus innovant du monde ? Divers exemples, qu’ils soient mondialement reconnus comme des territoires innovants ou qu’ils se situent dans des pays émergents, suggèrent des caractéristiques très différentes. La Bay Area ou l’économie schumpétérienne L’exemple « mythique » de la Bay Area (ou Silicon Valley) 3 tire sa particularité de sa capacité à fabriquer des start- ups et à faire émerger régulièrement de grands succès mondiaux. Ce sys- tème repose sur une forte concentra- tion de connaissance et de capital hu- main, sur la présence d’entreprises qui offrent des services avancés aux por- teurs de projets, sur l’existence d’insti- tutions financières spécialisées dans le financement de start-up et sur une population importante de business angels. Les investissements portent sur des projets risqués, il n’y a pas de place pour des projets sans ambition. Les entrepreneurs disent ainsi qu’il est plus facile de lever 300 000 dollars que 15 000 dollars dans la Silicon Valley. Pour leur part, les investisseurs accep- tent de ne gagner que sur quelques projets mais de gagner beaucoup sur ceux-là : les risques sont ainsi mutuali- sés (risk sharing). La bay area est en quelque sorte l’exemple appliqué de l’économie schumpetérienne avec une circulation permanente des capitaux et des per- sonnes, une présence d’investisseurs capables de prendre des risques, d’en- Existe-t-il un modèle de territoire innovant ? 1. La Place de l’Europe dans la mondialisation. 2. Ainsi, par exemple, la décla- ration récente du Président de la République à propos du plateau de Saclay : « Je vou- drais que l’on crée une vérita- ble Silicon Valley sur le plateau de Saclay ». 3. La Silicon Valley n’étant qu’une partie de la Région qui s’étend tout au tour de la baie de San Francisco appelée communément Bay Area par les Américains.

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LETTRE DE PROSPECTIVE JUIN 2009 - NUMERO 16

Une lettre de la Direction générale adjointe chargée des Études, de la Prospective et de l’Innovation Directeur de la publication : Pierre TROUILLET Rédacteur en chef : Jean-Luc BIACABE Mise en page : Bénédicte MARTIN Contact : [email protected] Avertissement : Les opinions exprimées dans le présent document sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement les vues de la CCIP.

L ors du Conseil européen de Lisbonne de mars 2000, les dirigeants de l’Union européenne avaient adopté un programme fixant « un nouvel objectif stratégique pour les 10 prochaines années : devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique

durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Neuf ans après, le bilan est en demi-teinte et l’on parle déjà d’un plan Lisbonne plus. Le rapport Cohen Tanugi en 2007 1 concluait que les objectifs étaient pertinents et devaient être poursuivis, mais que l’Europe n’a-vait pas rattrapé son retard par rapport aux États-Unis et qu’elle subissait la concurrence de certains pays émer-gents. En effet, partout à travers le monde, les États misent sur les territoires innovants et l’intelligence. Le monde entier est désormais sur cette stratégie de métissage entre industrie, recherche, entreprises et territoires et c’est très certainement là que va se jouer la compétition mondiale des prochaines années. Dans ce contexte, quels sont les atouts de la France dans cette course mondiale aux territoires innovants ? A ce jour, la France apparaît plutôt en retrait, alors que les différents responsables politiques nationaux n’ont eu de cesse d’affirmer, depuis une décennie, leur volonté de faire de la France un territoire innovant 2. Cette volonté conduit à se poser les questions suivantes : existe-t-il un modèle unique de territoire innovant ? Quelle voie suivre pour la France ?

Par Hélène PERRIN BOULONNE [email protected]

Devenir le territoire le plus innovant du monde ?

Divers exemples, qu’i ls soient mondialement reconnus comme des territoires innovants ou qu’ils se situent dans des pays émergents, suggèrent des caractéristiques très différentes. La Bay Area ou l’économie schumpétérienne L’exemple « mythique » de la Bay Area (ou Silicon Valley) 3 tire sa particularité de sa capacité à fabriquer des start-ups et à faire émerger régulièrement de grands succès mondiaux. Ce sys-tème repose sur une forte concentra-tion de connaissance et de capital hu-main, sur la présence d’entreprises qui offrent des services avancés aux por-teurs de projets, sur l’existence d’insti-tutions financières spécialisées dans le

financement de start-up et sur une population importante de business angels. Les investissements portent sur des projets risqués, il n’y a pas de place pour des projets sans ambition. Les entrepreneurs disent ainsi qu’il est plus facile de lever 300 000 dollars que 15 000 dollars dans la Silicon Valley. Pour leur part, les investisseurs accep-tent de ne gagner que sur quelques projets mais de gagner beaucoup sur ceux-là : les risques sont ainsi mutuali-sés (risk sharing). La bay area est en quelque sorte l’exemple appliqué de l’économie schumpetérienne avec une circulation permanente des capitaux et des per-sonnes, une présence d’investisseurs capables de prendre des risques, d’en-

Existe-t-il un modèle de territoire innovant ?

1. La Place de l’Europe dans la mondialisation. 2. Ainsi, par exemple, la décla-ration récente du Président de la République à propos du plateau de Saclay : « Je vou-drais que l’on crée une vérita-ble Silicon Valley sur le plateau de Saclay ». 3. La Silicon Valley n’étant qu’une partie de la Région qui s’étend tout au tour de la baie de San Francisco appelée communément Bay Area par les Américains.

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treprises de croissance et de grandes universités. En revanche, on ne fabri-que rien dans la Silicon Valley, les coûts salariaux y sont extrêmement élevés et il n’y a pas de capacité indus-trielle. Le développement des produits se fait ailleurs et pas nécessairement aux Etats-Unis. Ce système n’est pas un mode de croissance linéaire. Depuis les années 1950, le territoire a connu plusieurs crises violentes. Aujourd’hui, il connaît une nouvelle période difficile : entre août 2008 et janvier 2009, le taux de chômage est passé de 7,7 % à 9,3 % et selon le cabinet Joint Venture Silicon Valley Network, les levés de fonds auraient chuté de 7,7 % en 2008. Pour-tant, la bay area pourrait de nouveau rebondir après une crise majeure. En investissant massivement dans les clean tech, elle pourrait bénéficier des milliards de dollars que le nouveau gouvernement américain compte y consacrer. Helsinki : le living lab du monde 4 Le living lab est défini comme : « une méthode de recherche pour percevoir, prototyper, valider et raffiner des solutions complexes dans un contexte évolutif de vie réelle à dimen-sions multiples » 5. Helsinki est un terri-toire impliqué dans le développement de l’innovation basée sur la capacité à expérimenter les usages dans les conditions réelles. Les utilisateurs sont intégrés dans les processus de R&D, d’innovation et d’expérimentation dans les conditions du réel formant ainsi un système de co-création pour les nou-veaux produits, services et infrastructu-res. La capitale finlandaise est un terri-toire qui rassemble l’ensemble des par-ties prenantes qui font la réussite d’un living lab : prescripteurs, concepteurs, développeurs et utilisateurs ; ce qui inclut le secteur public, les entreprises, les scientifiques, les universités et les utilisateurs finaux (particuliers et entre-prises). Les entreprises, qu’elles soient finlandaises ou non, trouvent ainsi un environnement qui permet d’utiliser la vie réelle pour mettre au point et tester leurs innovations. Helsinki, grâce à une volonté politique forte, a développé depuis 10 ans un living lab qui explique en grande partie les bons résultats économiques de la Finlande et qui a permis le développement de leader mondiaux. Elle s’est imposée comme

le living lab de l’Europe, voire du monde qui repose sur plusieurs pi-liers : acceptation du partage de la connaissance, forte réactivité des insti-tutions, acceptation du principe d’expé-rimentation. Ce rapide survol de deux territoires parmi les plus innovants au monde montre qu’il n’existe pas un modèle u n iq u e . D a ns l a b a y a r e a , l’intervention de l’Etat s’est faite princi-palement via l’investissement dans de gigantesques programmes de recher-che (notamment militaire) confiés aux entreprises de la région, alors qu’en Finlande, l’intervention publique s’est faite par la mise en place d’un environ-nement favorable. Pays émergents : des pratiques adaptées aux besoins locaux

De nombreux pays émergents déve-loppent également leur politique en matière de territoire innovant. Le Brésil a, par exemple, choisi un modèle de SPL (système productif local) 6. Le système se fonde sur une base territo-riale précise, avec un nombre impor-tant de petites et très petites entrepri-ses et des priorités en matière de formation professionnelle, de diffusion de la connaissance technologique, de design et de marché. Le pays a cons-truit sa politique en fonction des réali-tés de son territoire, le défi majeur étant de toucher toutes les régions. Il ne s’agit donc pas de développer quel-ques grands pôles autour des agglo-mérations et de laisser derrière le reste du pays. L’Afrique du Sud investit, pour sa part, le modèle des living lab en l’adaptant aux prob lémat iques du pays "Encourager l'innovation pour l'homme de la rue par l'homme de la rue". A la différence du modèle finlandais, les Living Lab sud-africains privilégient la recherche et l'innovation qui satisfont le plus immédiatement aux besoins des communautés. Il existe de nom-breux living lab à travers le pays avec chacun leur spécialité : entreprenariat rural, connexion des écoles et des cli-niques à Internet, service mobile, dé-veloppement économique des commu-nautés, télémédecine et systèmes de soins dans les zones rurales 7. Si chaque pays choisit son propre mode de développement, il existe

4. http://www.helsinkilivinglab.fr 5. Définition du concept par le professeur W.J Mitchell du MIT Media Lab and School of archi-tecture 6. Le Brésil compte aujourd’hui 200 SPL répartis sur l’ensem-ble de son territoire. 7. http://www.atelier.fr/institutions/10/24032009/afrique-du-sud-living-lab-communaute-partage-echange-wimax-e-commerce-e-gouvernement--38016-.html

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Quelle voie pour la France ?

néanmoins une caractéristique com-mune à tous ces territoires innovants : la capacité à valoriser l’intelligence existante. Les pays émergents pour-ront faire le choix de privilégier le déve-loppement local, quand des pays comme les Etats-Unis, la Finlande ou encore la Chine feront le choix de la

compétition mondiale. Dans cette course mondiale à l’intelligence et à l’innovation, les pôles de compétitivité qui sont la politique phare de la France en la matière, n’ont donc rien de pré-curseurs et ne font que s’inscrire dans une tendance mondialement partagée qui est de lier innovation et territoire.

8. 2006, Source : Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche 9. La Tribune 21 mars 2009 - Les pôles de compétitivité se cherchent encore

Il faut maintenant s’interroger sur les atouts de la France dans cette course mondiale aux territoires innovants. Les premiers bilans tirés des pôles de com-pétitivité sont mitigés : la démarche semble hésiter entre objectif d’aména-gement du territoire et objectif de com-pétitivité, ce qui a conduit à un saupou-drage inefficace, mais elle a incontes-tablement créé une dynamique et favo-risé des contacts entre des acteurs qui s’ignoraient. Avec un montant de 37,9 milliards d’euros 8 de dépenses intérieures de recherche et développement, qui la situe au 4ème rang des pays de l’OCDE en volume, la France devrait poursui-

vre, au travers de sa politique d’innova-tion, un objectif de compétitivité mon-diale et non un objectif d’aménage-ment du territoire. Certains regrettent, tel Jean Pierre Raffarin ancien Premier Ministre, que les pôles aient du mal à dépasser leurs limites géographiques et administratives et considèrent qu’ils ne devraient « pas être prisonniers des territoires » 9. En termes d’intensité des dépenses en R&D par rapport au PIB, la France se classe seulement au 10ème rang mon-dial avec 2,3 % du PIB, ce qui est infé-rieur à l’objectif de 3 % de la stratégie de Lisbonne et même en légère baisse sur une période de 10 ans.

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3,5% - Finlande3,4% - Japon3,2% - Corée

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% du pib

Intensité de l’effort global de R&D (dird/pib)

Source : OCDE - Main Science and Technology Indicators - Extraction mars 2009

C’est principalement en matière de dépenses de R&D dans les entreprises que la France est mal positionnée, avec un niveau très inférieur à ce que l’on peut observer dans d’autres pays de l’OCDE. Dans tous les pays, plus de

70 % des dépenses de R&D sont effec-tuées par les entreprises, ce chiffre atteignant même 80 % en Corée, alors qu’en France, l’intensité de R&D des entreprises ne représentent que 60 % du total. Cette relative faiblesse de

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l’effort de recherche des entreprises françaises s’illustre également par la part des chercheurs en entreprises. Le nombre de chercheurs est relativement élevé en France du fait de la recherche publique, mais on observe, par rapport

à nos principaux concurrents, un déficit de chercheurs dans les entreprises : aux Etats-Unis, 80 % des chercheurs sont dans les entreprises contre un peu plus de la moitié en France.

Ce déficit de R&D dans les entreprises serait particulièrement sensible dans les petites et moyennes entreprises, sans que les chiffres disponibles ne permettent de le mesurer réellement. Un récent rapport du CAE 10 émet l’hypothèse que les PME françaises, et plus particulièrement les PME indépen-dantes, seraient caractérisées par un sous-investissement en R&D. Cette hy-pothèse est sans doute à rapprocher des difficultés des PME françaises à grandir, constat aujourd’hui largement partagé. Ceci se traduirait également par les difficultés rencontrées par les

PME à trouver leur place dans les pôles de compétitivité. P. Veltz, dans La grande transition 11, note ainsi « la grande difficulté expérimentée par les PME pour entrer vraiment dans le jeu et les risques d’une nouvelle capture de cette politique par les grands groupes ». Même si ce constat mérite d’être atté-nué au regard du succès rencontré par les récentes mesures en faveur du cré-dit impôt-recherche, il n’en reste pas moins que la France semble disposer d’un potentiel de recherche qui s’exprime peu dans la croissance et la

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2,5% - Finlande

2,6% - Japon

2,5% - Corée

1,9% - Etats-Unis

1,8% - Allemagne

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1,1% - Royaume-Uni

% du pib

Intensité de l’effort global de R&D des entreprises (dirde/pib)

Source : OCDE - Main Science and Technology Indicators - Extraction mars 2009

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France

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Allemagne

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Etats-Unis

Source : OCDE - Main Science and Technology Indicators - Extraction Mars 09

10. G. Chertok, P.A de Malle-ray, P. Pouletty, Le Finance-ment des PME, CAE mars 2009. 11. Pierre Veltz, La grande transition, La France dans le monde qui vient (Seuil 2008).

Chercheurs en entreprises en % du total national

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dynamique des entreprises. Les mesures prises demanderont un cer-tain temps pour se répercuter sur la croissance. La DGTPE 12 estime ainsi que les effets de la réforme du CIR devraient induire un surcroît de PIB de 0,6 points au bout de 15 ans, soit environ 0,05 % de PIB par an en moyenne sur 15 ans.

Si l’on s’accorde sur l’objectif d’améliorer notre compétitivité mon-diale à travers une politique d’innova-tion et si l’expérience internationale montre que chaque pays doit s’attacher à trouver sa voie pour y parvenir, quelle piste notre pays pourrait-il alors suivre pour devenir un territoire innovant dans les années à venir ?

Faire le choix de se spécialiser dans la production et la commercialisation de connaissance

Les exemples développés ci-dessus ont montré que les territoires innovants ont avant tout utilisé un potentiel exis-tant, devenu un avantage comparatif. Dans le cas de la Silicon Valley, c’est la capacité à financer le risque qui fait essentiellement fonctionner le modèle. Or, la France est encore loin d’une éco-nomie innovante de type Silicon Valley, les obstacles ou les manques étant encore nombreux, notamment en ma-tière de dynamique entrepreneuriale 13. Un récent rapport du CAE sur le finan-cement des PME a pointé l’incapacité du système financier à appréhender et accompagner les entreprises ayant des projets risqués (projets risqués au sens extrêmement innovant et dont le risque est évidemment non mesurable). Quant au modèle finlandais, il repose plus sur un modèle de société (que sur un modèle économique) fondé sur une forte capacité des acteurs à travailler ensemble et un partage important des connaissances qui fonctionne dans une société de confiance. Là aussi, la France n’est guère réputée pour sa capacité à fonctionner en réseaux et un récent travail de Algan et Cahuc 14 a pointé les problèmes liés à la société de défiance en France. Les pôles de compétitivités essaient bien d’imposer une politique qui va à contre-courant de certaines réalités : une propension profonde des tissus économiques français au clivage entre grands groupes et PME et un climat de défiance régnant entre ces différents types d’entreprise. Si les experts s’en-tendent pour refuser de juger cette poli-tique moins de trois ans après son dé-marrage, reste qu’il n’est pas interdit de s’interroger sur des voies alternati-ves pour propulser la France dans le peloton de tête des nations dominant la future économie de la connaissance.

Si la France a peu de business angels et si elle n’est pas une société de confiance, elle dispose néanmoins d’un potentiel scientifique incontesté comme l’atteste, par exemple, les prix Nobels français en Physique 15, le nombre de médaillés Fields 16 (équivalent du prix Nobel pour les mathématiques), ou la qualité de la recherche médicale. Cer-taines politiques ont fait le pari de transformer ces chercheurs en entre-preneurs, avec un succès, jusqu’à pré-sent, très relatif. La France est par ail-leurs capable de former des gens de talents dans des domaines très pointus comme, par exemple, en mathémati-ques financières. Enfin, le niveau fran-çais en matière de recherche et de for-mation est excellent et si on peut identi-fier des experts français de niveau mondial, on peut aussi noter que très peu travaillent en France. Le constat est similaire pour le développement informatique, avec une communauté d’ingénieurs français importante dans la Silicon Valley, dont très peu sautent le pas de créer leur entreprise, à la dif-férence des indiens ou des chinois pré-sents. On serait alors tenté de parler de problème culturel. Une voie à suivre pourrait être d’inves-tir massivement dans la recherche et de se donner les moyens d’être attractif pour les meilleurs chercheurs du monde. Faire le choix de la spécialisa-tion dans la recherche scientifique. De même qu’Helsinki est le living lab de l’Europe voir du monde et Londres la capitale de la Finance, Paris serait la capitale de la recherche scientifique. A propos du cas des mathématiques financière, un article de G. Pagès évo-que ainsi que « l’une des solutions est sans doute de faire le pari qu’en déve-loppant et en consolidant sur place, en France, ce qui constitue nos points forts reconnus (la formation et la

12. DGTPE, Trésor Eco n° 50 – janvier 2009. 13. Voir « Aider les PME : modes, réalités et perspecti-ves », CCIP(2008). 14. Y. Algan, P. Cahuc, La Société de défiance, Comment le modèle social français s’au-todétruit. CEPREMAP (2008). 15. P. Gilles de Gennes 1991, G. Charpak 1992, C. Cohen Tounnoudji 1997 et A. Fert 2007. 16. Avec 9 médaillés depuis sa création la France est deuxième après les États-Unis, 13 médaillés.

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recherche), nous deviendrons attractif pour l’extérieur (la compétition de Paris avec Londres en tant que places finan-cières semble une cause perdue) » 17. Pour tirer parti de cet avantage il faut mettre en place une vraie politique de valorisation des savoirs et surtout de commercialisation de ces savoirs, en capitalisant sur ce qui est l’avantage comparatif de la France. Plutôt que de voir ce potentiel s’exporter sans contre-partie à l’étranger (on pense au cas très médiatisé du professeur Monta-gné) il faudrait permettre aux cher-cheurs de chercher et développer en parallèle une « véritable industrie de commercialisation du savoir et de la formation de très haut niveau ». Mais pour se faire un certain nombre de freins restent à lever. La France malgré l’excellence de ses chercheurs et de ses laboratoires connaît depuis plu-sieurs années un déclin de son attracti-vité dans ce domaine. Les échecs suc-cessifs des réformes de l’enseignement supérieur depuis 5 ans montrent la grande complexité des enjeux : gouver-nance et financement des universités, manque de lisibilité pour les étrangers du système grandes écoles versus uni-versités, problèmes de rémunération des chercheurs, inadéquation entre

recherche non applicable et besoin des entreprises…. Si l’enseignement supé-rieur réussissait à lever les obstacles qui bloquent sa nécessaire réforme pour retrouver sa place en termes d’at-tractivité mondiale, il resterait alors à transformer l’excellence de la recher-che en croissance. Il conviendrait pour cela de disposer d’une véritable « industrie » de la valorisation de la recherche qui aujourd’hui est quasi-ment entièrement aux mains d’organis-mes publics, à la différence des Etats-Unis où il existe un secteur très déve-loppé dans ce domaine. Un grand nom-bre d’entreprises privées de services ont ainsi pour objet de commercialiser les savoirs existants dans le monde de la recherche pour répondre aux be-soins d’une clientèle d’entreprises américaines ou non. En résumé, la France, pour devenir le centre de recherche du monde, doit impérativement réussir la réforme de ses universités et développer un sec-teur privé et concurrentiel spécialisé dans la valorisation et la commerciali-sation des savoirs. Tel est l’enjeu des prochaines années, en particulier en Île-de-France, principal territoire inno-vant national.

17. Problèmes Économiques 21 janvier 2009, Exportation de la french touch ou fuite des cerveaux ? Gilles Pagès.