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1 La culture 1 , un objet rebel ? Défis majeurs pour la socio-anthropologie Issiaka-P. Latoundji Lalèyê I Les sciences sociales ont investi le domaine des sciences humaines avec une ampleur et à un degré tels que l’idée de les soupçonner de n’être pas scientifiques paraît incongrue. Elles sont présentes dans notre vie quotidienne avec une telle fréquence et une telle régularité qu’elles renforcent continuellement leur légitimité. Pourtant, les sciences sociales n’ont eu leur première chaire qu’il y a à peine 125 ans 2 . Quand on songe que le premier laboratoire de psychologie expérimentale fut ouvert par Wundt en 1879 3 et que les deux ouvrages auxquels les spécialistes attribuent le mérite d’avoir vigoureusement fait démarrer l’étude scientifique de la culture remontent à 1877 4 et 1871 5 , mais que c’est seulement en 1894 que furent publiées Les Règles de la méthode sociologique 6 , tandis que certaines sciences humaines comme la philosophie et l’histoire sont des pratiques multi-millénaires et multi-séculaires, on admet volontiers que nonobstant leur présence et leur envahissement constants, les sciences sociales peuvent être considérées comme des sciences relativement jeunes. Dans les Règles de la méthode sociologique que la plupart des sociologues tiennent pour l’un des grands textes fondateurs de la sociologie, cette jeunesse des sciences sociales apparaît sur plus d’un point. Car, qu’il s’agisse de distinguer le normal du pathologique ou de constituer le substrat 7 sans lequel aucune explication ne saurait se prétendre à la fois sociologique et scientifique, Emile Durkheim laisse entendre clairement que la recherche à peine commencée doit encore être poursuivie 8 . La méthode comparative que les sciences sociales naissantes s’assignent nécessite en effet, d’une part, que le normal puisse être distingué de l’anormal – et en l’occurrence du pathologique 9 – et que, d’autre part, le sociologue ait à sa disposition une morphologie 1. La culture, un objet rebel .indd 5 25/06/2015 13:49:57

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  • 1La culture1, un objet rebel ?Dfis majeurs pour la socio-anthropologie

    Issiaka-P. Latoundji Laly

    I

    Les sciences sociales ont investi le domaine des sciences humaines avec une ampleur et un degr tels que lide de les souponner de ntre pas scientifiques parat incongrue. Elles sont prsentes dans notre vie quotidienne avec une telle frquence et une telle rgularit quelles renforcent continuellement leur lgitimit. Pourtant, les sciences sociales nont eu leur premire chaire quil y a peine 125 ans2.

    Quand on songe que le premier laboratoire de psychologie exprimentale fut ouvert par Wundt en 18793 et que les deux ouvrages auxquels les spcialistes attribuent le mrite davoir vigoureusement fait dmarrer ltude scientifique de la culture remontent 18774 et 18715, mais que cest seulement en 1894 que furent publies Les Rgles de la mthode sociologique6, tandis que certaines sciences humaines comme la philosophie et lhistoire sont des pratiques multi-millnaires et multi-sculaires, on admet volontiers que nonobstant leur prsence et leur envahissement constants, les sciences sociales peuvent tre considres comme des sciences relativement jeunes.

    Dans les Rgles de la mthode sociologique que la plupart des sociologues tiennent pour lun des grands textes fondateurs de la sociologie, cette jeunesse des sciences sociales apparat sur plus dun point. Car, quil sagisse de distinguer le normal du pathologique ou de constituer le substrat7 sans lequel aucune explication ne saurait se prtendre la fois sociologique et scientifique, Emile Durkheim laisse entendre clairement que la recherche peine commence doit encore tre poursuivie8.

    La mthode comparative que les sciences sociales naissantes sassignent ncessite en effet, dune part, que le normal puisse tre distingu de lanormal et en loccurrence du pathologique9 et que, dautre part, le sociologue ait sa disposition une morphologie

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  • Culture et religion en Afrique au seuil du XXIe sicle6

    sociale10 aussi complte que possible, cest--dire une description de toutes les formes possibles que la socit peut prendre.

    On voit facilement le lien qui unit ces deux soucis, lintrieur du souci comparatiste en tant que tel ; tant donn que cest dans la mesure dans laquelle la morphologie sociale aura repr une forme de socit et laura classe parmi les socits normales que le sociologue, dans son explication, sera fond considrer cette socit comme non anormale et donc son cas comme non pathologique .

    Or la rflexion consacre la distinction du normal et du pathologique, bien que convaincante, nest pas dfinitive. Et si lide de linventaire descriptif de toutes les formes de socit possibles est une ide claire, la morphologie sociale qui correspond cette ide nest pas encore acheve11 et il est mme possible quelle ne puisse jamais ltre totalement, tant donn la propension de la socit produire de lautre partir du mme12.

    Le premier chapitre des Rgles de la mthode sociologique a t, comme lon sait, consacr au fait social. On peut donc considrer quau moins sur la question de son objet formel13, la sociologie dispose, partir de Durkheim, dune thorie qui devrait bnficier du consensus des sociologues et de tous les praticiens des sciences sociales. De fait, les discussions entranes par la conception durkheimienne du fait social prouvent amplement que cest de haute lutte14 et avec beaucoup de mrite que lobjet formel de la sociologie a t circonscrit et dfini.

    Nonobstant les mrites incontestables, mais limits du raisonnement exprimental15, comment ne pas maintenir cette conception de lobjet de la sociologie dans le voisinage des deux projets idaux termins, mais non point achevs, de la distinction du normal et du pathologique, dune part, et de linventaire des formes possibles de socit, de lautre ?

    Ce travail de contextualisation ou de recontextualisation de lobjet de la sociologie par rapport au raisonnement exprimental et par rapport lexplication sociologique replac dans le voisinage de la morphologie sociale et de la distinction entre le normal et lanormal rapparat dans le cas de certains objets qui semblent, pour la sociologie, des objets idaux. Cest le cas de la culture qui parat avoir tant de ressemblances avec la socit que lon a tendance tablir une homologie totale entre lune et lautre.

    Autrement dit, supposer que lon veuille se livrer une sociologie classique de la culture, et par sociologie classique, convenons dentendre une sociologie conforme aux intuitions et aux principales rgles de Durkheim16, lesquelles furent, nen point douter, aussi mritoires et magistrales les unes que les autres, quelle serait cette sociologie de la culture ? Quapprendrions-nous de cette sociologie de la culture qui nous aiderait comprendre toute autre thorie et toute autre explication de la culture ?

    Car si pour tre scientifique, lexplication sociologique17 a intrt se conformer certaines rgles, il ne sensuit pas que lexplication sociologique puisse prtendre puiser lexplication du phnomne humain. A condition quelle soit bien faite, lanalyse sociologique dun phnomne humain est certainement bonne

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  • Laly : La culture, un objet rebel ? 7

    rechercher ; mais de l exclure les autres regards, aucun sociologue ne saurait le prtendre.

    La culture nous force ainsi ds le dpart ne privilgier aucune approche, mais chercher pratiquer chaque approche avec le maximum de rigueur si nous voulons investir cet objet quest la culture et pouvoir, terme, agir sur la ralit ainsi dsigne, sans oublier que cest toujours de lintrieur de la culture quon essaie dagir sur la culture.

    Pour mettre en vidence les raisons pour lesquelles nous considrons la culture comme un objet rebelle et que nous nous proposons, en soumettant cet objet un regard socioanthropologique, de dgager les dfis majeurs quil faut relever pour quune connaissance de la culture soit possible, nous voudrions procder en trois tapes :

    dans la premire, nous nous proposons de considrer la culture comme objet de connaissance en gnral afin de pouvoir circonscrire la culture encore mais comme objet du regard socio-anthropologique ;

    dans une deuxime tape, nous reprendrons quelques points majeurs des rflexions que Durkheim a consacres la distinction du normal et du pathologique afin de mettre en lumire la porte et les limites des rgles dfinies par Durkheim pour le fait social, mais dans le cas prcis du fait culturel ;

    et dans la dernire tape, nous verrons comment venir bout de la rbellion que la culture, comme objet, semble opposer lapproche sociologique et mme anthropologique ; en sorte quil y a lieu de rechercher un nouvel humanisme susceptible de donner lhomme du XXIe sicle, sinon une matrise totale sur la culture, mais une emprise suffisante pour continuer de combattre pour lhomme en mme temps que pour la culture et pour la culture en mme temps que pour lhomme.

    II

    Une homologie trompeuse ?

    On admet, plus ou moins spontanment, que la culture ressemble la socit et quelle pourrait mme tre considre comme un objet idal de la sociologie18. Il convient nanmoins de se mfier dune homologie si spontanment perue, car elle pourrait tre trompeuse.

    Certes, la socit et la culture ont des liens ; elles ont des rapports et mme des relations19. La particularit de ces liens est davoir eu lieu au commencement de lexistence de la culture et de la socit20. Mais ces liens persistent plus ou moins longtemps aprs que ces deux ralits auront t spares lune de lautre. Comme il en va de toutes ces socits du pass qui ont cess de vivre, mais desquelles les cultures nous demeurent accessibles en des lambeaux plus ou moins importants21.

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  • Culture et religion en Afrique au seuil du XXIe sicle8

    Il nest pas ais de dire en quoi consiste cette ressemblance qui semble unir une socit et une culture. Ces deux ralits se ressemblent-elles la manire dont les pots dun potier ressemblent celui-ci ou bien se ressemblent-elles la faon dont tous les diffrents pots dun mme potier se ressemblent entre eux ? Car nous devons commencer par exclure une identit complte entre la culture et la socit, puisque, de toute vidence, lune nest pas lautre.

    La relation la plus intressante parmi toutes celles qui unissent une socit une culture nous parat tre celle quil y a entre le producteur et le produit. La culture serait un produit dont la socit serait la productrice. En admettant, de la sorte, une relation defficience entre la socit et la culture, bien des aspects de chacune de ces deux ralits pourraient dj tre tirs de lombre et soustraits, plus ou moins radicalement, aux suggestions et aux allusions du mythe et de la lgende22. Mme en ne considrant que cette relation defficience, lon est comme drout par le fait quelle se rvle tre rversible. Il semble, en effet, que toute culture ait pour principale fonction de produire et reproduire sa socit23.

    On le voit, le statut dobjet social idal que lon voudrait confrer la culture ncessite un certain nombre dajustements mthodologiques, voire doctrinaux, quil faut encore concevoir, analyser et appliquer. Tant il est vrai que, comme le dit Durkheim lui-mme, En fait de mthode, dailleurs, on ne peut jamais faire que du provisoire ; car les mthodes changent mesure que la science avance .24

    Il faut donc sapprter parcourir le vecteur de la causalit efficiente tantt de la socit la culture et tantt de la culture la socit. Mais si par hasard la socit et la culture devaient se ressembler la manire dont les diffrents pots dun mme potier peuvent se ressembler et avoir quelque chose de celui qui les a fabriqus, il faudrait alors admettre quen dehors, au-del et pourquoi pas au-dessus de la socit et de la culture, quelque chose ou quelquun serait la source do la socit et la culture puisent leur ressemblance.

    En fait, la ressemblance nest pas un concept qui puisse permettre une connaissance suffisamment objective et impartiale : elle peut, du premier coup dil, sauter aux yeux de certains qui voient deux objets ressemblants, mais exiger que certains autres transitent par des analyses plus ou moins dtailles de ces deux objets avant de percevoir leur ressemblance.

    La culture comme objet de la connaissance gnrale et spontane est victime des multiples approximations et imprcisions qui vont avec cette ressemblance spontane que lon croit pouvoir tablir entre la socit et la culture comme objet de la sociologie. Ce qui est en cause, ce nest ni lextriorit, ni la contrainte laquelle devrait satisfaire la culture pour tre un objet social. Car dans ce cas prcis de la culture, lobjet, en plus du fait dtre extrieur et contraignant, possde sur le sujet connaissant, quil soit sociologue ou non, un pouvoir de dtermination quil faut encore connatre.

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  • Laly : La culture, un objet rebel ? 9

    La culture, une totalit et/ou une partie ?

    Le concept dobjet implique pour le sujet connaissant un norme pouvoir dont il faut savoir prendre toute la mesure : cest prcisment le pouvoir pour un sujet de dire quel est son objet. Ce qui revient reconnaitre ce sujet le pouvoir de dcouper la partie de sa reprsentation25 quil dcide de soumettre son pouvoir dobservation, danalyse, bref, de connaissance.

    De ce point de vue, pour un sujet connaissant, la totalit de son objet lui est toujours accessible. Bien plus, le sujet connaissant ne considre une chose comme objet qu la condition sine qua non que la totalit de cette chose lui soit accessible. Mais lon dit bien accessible, car, ainsi conu, lobjet nen possde pas moins une paisseur et une profondeur qui permettent justement au pouvoir de connaissance de se dployer et de seffectuer.

    Lorsque, sagissant de la culture, lon convoque les notions opposables de totalit et de partie(s), on veut attirer lattention sur le fait que lobjet auquel nous donnons le nom de culture se prsente nous tantt comme une totalit et tantt comme une partie.

    Certes, la conception litiste de la culture qui permettait de distinguer les personnes cultives de celles qui, ou bien le sont moins ou bien ne le sont pas du tout, a t substitue une autre conception que lon peut qualifier danthropologique et qui considre la culture comme une caractristique que possde toute socit, et par consquent tout individu, quelle que soit par ailleurs la position de cet individu dans sa socit. Mme en se limitant cette acception anthropologique de la culture, la question reste pose de savoir si lobjet ainsi dsign est lui-mme une totalit ou plutt une partie (de lune de ses parties).

    Ainsi, par exemple, chacun admet quune religion est une partie dune culture ; en mme temps, comment ne voyons-nous pas que plusieurs cultures peuvent embrasser une mme religion ou une religion investir plusieurs cultures ? Il est vrai que investir et embrasser ne sont pas des termes bien prcis.

    La science a beau natre et se dvelopper dabord dans une culture particulire, nous voyons bien de quelles manires progressivement, les autres cultures sont capables de sapproprier cette science ne ailleurs , de la dvelopper et parfois de la porter un point plus lev que celui auquel lavaient hisse ses initiateurs. On peut voir que pour la culture et la science comme pour la religion et la culture, en ne nous limitant qu ces deux exemples, contenir, investir et embrasser sont essentiellement affaire dchelle et affaire de temps. Ce qui signifie qutre une totalit ou une partie, lorsquon considre la culture et ses propres parties nest jamais donn une fois pour toutes ; ce nest pas une relation stable ; elle aussi se rvle rversible avec le temps.

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  • Culture et religion en Afrique au seuil du XXIe sicle10

    La culture, une ralit noumnale ou simplement phnomnale ?

    Nous devons Kant26, depuis le XVIIIe sicle, une distinction laquelle les sciences sociales devraient avoir recours plus souvent quelles ne se limaginent, plutt que den faire un apanage des philosophes et des mtaphysiciens. Cette distinction porte sur le phnomnal et le noumnal. Il faut commencer par dire que ces deux niveaux de ralit ainsi conus ne sopposent pas et ne sexcluent pas ; au contraire, une bonne comprhension de ce que peut tre le noumnal permet de confrer au phnomnal toute sa ralit, toute son paisseur et, pour tout dire, toute son inpuisabilit. Le concept dont linintelligence ou la mcomprhension pourrait entraner de graves confusions dans la relation entre le noumnal et le phnomnal est, bien au contraire, celui de ralit. Car, que le phnomnal soit rel, nul ne saurait en douter puisque la seule ralit que nous ayons est justement la ralit phnomnale. La difficult commence lorsquil sagit de penser la ralit du noumnal. Cette ralit est tout au plus intelligible et elle se trouve tre de lordre de lide plutt que de lordre de la matire et du sensible. Nous parlons du monde noumnal et nous pensons lui tout en reconnaissant quil ne nous est pas matriellement et sensiblement accessible27.

    Cela tant, concevoir la culture comme une ralit du monde phnomnal ne change rien tout ce que nous sommes en mesure de dire aujourdhui au sujet de lobjet quest la culture. Non seulement nos connaissances de tous ordres et selon toutes nos sciences portant sur la culture nous sont laisses intactes, mais il nous est loisible de continuer les produire, les corriger, les dfendre et les appliquer comme bon nous semble.Cependant, le danger encouru est de tenir cette ralit phnomnale de la culture pour ce quelle nest pas, savoir une ralit noumnale. Car alors, notre connaissance actuelle de la culture serait purement et simplement assimile une connaissance noumnale, cest--dire une connaissance parfaite et donc dfinitive.

    Cest l o apparat lutilit de la distinction entre une connaissance ordinaire de la culture et une connaissance scientifique de la culture, cest--dire, et pour reprendre les mots mmes dEmile Durkheim, une connaissance objective, spcifique et mthodique28. Or la sociologie est en droit daspirer une telle connaissance. Elle doit donc, en mme temps que les sciences sociales, venir bout des apories29 brivement mentionnes sur les points de savoir si la culture ressemble ou non la socit, si la culture est une totalit ou plutt une partie ou si la culture est une ralit du monde phnomnal ou plutt du monde noumnal.

    IIIPour la distinction du normal et de lanormal (pathologique), Durkheim, dans les Rgles, a nonc trois rgles. Nous voulons ici considrer la principale de ces rgles :

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    Un fait social est normal pour un type social dtermin, considr une phase d-termine de son dveloppement, quand il se produit dans la moyenne des socits de cette espce, considres la phase correspondante de leur volution30.

    On pourrait se demander pourquoi il faudrait dabord distinguer le normal de lanormal pour quune science soit possible. Durkheim rpond cette lgitime interrogation puisquil affirme : Pour que la sociologie soit vraiment une science de choses, il faut que la gnralit des phnomnes soit prise comme critre de leur normalit. 31. Il ny a donc pas de doute, le caractre normal ou anormal des faits sociaux doit tre dcid daprs leur degr de gnralit32.

    Lorsquon regarde de prs cette principale rgle quil faut appliquer pour distinguer le fait social normal du fait social qui ne lest pas, deux choses permettent dapprcier la gnralit prsente comme le critre de cette normalit : la premire est lappartenance du fait social donn un certain type, cest--dire le fait pour ce fait social dtre observ sur une socit pralablement range dans un type de socit. La seconde est que le fait social considr comme normal soit pris dans une socit dont le degr dvolution a t identifi et dtermin.

    Cest dans la partie des Rgles qui vient aprs celle de la distinction du normal et du pathologique que Durkheim noncera les rgles suivre pour tablir les types sociaux. Cela signifie que la rfrence faite aux types sociaux naura de contenu utilisable que lorsque ces rgles seront connues. Mais pour savoir le degr dvolution dune socit, une difficult se prsente, cest celle de traiter le cas des socits qui nont pas achev leur histoire33.

    Cette difficult nest pas confondre avec celle qui se prsente celui qui cherche tablir une morphologie complte dont on pourrait croire quil lui faudrait connatre toutes les socits avant de pouvoir commencer la sociologie34. Cet autre objectif supposerait en effet que les socits soient connues dans tout lespace et dans tous les temps, ce qui, videmment, est impossible. Le quatrime chapitre des Rgles expose comment Durkheim rsout cette difficult en ayant recours, dune part, lunit la plus simple dont toute socit se compose et, de lautre, aux diffrentes manires dont cette unit samalgame ses semblables pour former diffrents types ou espces de socits35. Georges Gurvitch a donc eu raison de dfinir la sociologie comme une typologie qualitative et discontinuiste des phnomnes sociaux totaux36.

    Ce qui nous proccupe, cest de savoir si lobjet de connaissance quest la culture en tant que fait social pourrait permettre de rsoudre ces deux difficults en se calquant sur la manire dont Durkheim les a rsolues pour la socit et la sociologie. Autrement dit, faut-il, dune part, que nous ayons une typologie complte des cultures37 et que, dautre part, nous puissions dire si une culture donne a oui ou non dj termin son histoire ? Quelle est lunit de culture simple qui pourrait jouer, pour une typologie de la culture38, le rle que Durkheim a fait jouer la horde pour la socit en tant que substrat du fait social ? Et a-t-on ide des diffrentes manires dont cette unit de culture simple va samalgamer elle-mme pour nous donner

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    diffrents types de cultures ? La sociologie est dfinissable comme une typologie qualitative et discontinuiste, soit. La sociologie de la culture devrait-elle aussi tre une typologie qualitative et discontinuiste des cultures ?

    Il semble plutt que du temps mme de Durkheim et autour de lui, des chercheurs acquis sa vision de la sociologie se soient contents dintroduire parmi les cultures observables un ordre, voire une hirarchie au terme de laquelle les socits suprieures ont des cultures suprieures et les socits infrieures ont des cultures infrieures. Car le prsuppos durkheimien, cette croyance si profonde en lexistence du genre et des espces pour permettre cette typologie des faits sociaux sans laquelle aucune explication sociologique vritablement scientifique ne peut se dployer, tait un prsuppos volutionniste. Et au regard de cette volution, certaines socits et certaines cultures taient considres comme suprieures tandis que dautres taient tenues pour infrieures.

    Car il ne faut point oublier que lorsque Tylor sest pench sur la culture, cest la culture primitive quil a choisi dtudier. Et lorsque Lewis Henri Morgan sest pench sur la famille, cest la socit ancienne quil a choisi dtudier. De la mme manire que Durkheim sest attel tudier le fait religieux en tant que fait social en en tudiant les formes lmentaires39 et que Lucien Lvy-Bruhl a tudi les fonctions mentales dans les socits infrieures avant de statuer sur ce quil a appel la mentalit primitive40.

    De fait, Lvy-Bruhl aurait pu tudier les fonctions mentales dans sa propre socit, Tylor tudier la culture dans laquelle il vivait, Morgan tudier la socit qui lui tait contemporaine et Durkheim prendre bras le corps ltude dune au moins des religions quil connaissait et qui taient de son temps. La qute du simple et de loriginel les a tous engags dans le primitivisme et larchasme en mme temps que dans le dogme de linfriorit des cultures.

    Cest contre tout cet volutionnisme et tout le primitivisme qui le portait que semble sinsurger et se rebeller notre objet actuel nomm culture. Un vent dgalitarisme n nen pas douter de la Rvolution franaise de 1789 et revigor par la Dclaration universelle des droits de lhomme de 194841 semble avoir atteint notre conception de la culture. Quil sagisse de Lvi-Strauss que nous clbrons comme le plus grand ethno-anthropologue du XXe sicle ou quil sagisse du cadre de lUNESCO dans lequel les plus grands anthropologues et sociologues du XXe sicle ont poursuivi leurs rflexions, les cultures sont dsormais reconnues comme gales en dignit et cest de bonne foi que nous uvrons la promotion et la protection de leur diversit42.

    IVPourtant, lvolutionnisme est loin dtre faux. Le primitivisme ne lest pas davantage. Et il nest point erron ni criminel de distinguer linfrieur et le suprieur, ni de comparer lun lautre. En nous et autour de nous, dans la culture comme dans la

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    socit, il y a de lvolution comme il y a de lorganisation et de la dsorganisation. Lesprit humain, en sa qualit desprit connaissant, ne peut faire autrement que danalyser, de juger, de synthtiser, de comparer sans cesse et sans cesse.

    Ce qui est en cause, ce nest pas seulement de voir la diffrence ni dessayer de lexpliquer, mais de constater quelle est sans cesse produite ; que chaque socit et chaque culture la produisent sans cesse. Ce qui est en cause, cest donc de grer la diffrence et de chercher inlassablement matriser nos rapports avec elle. Mais ce qui est, en revanche inadmissible, cest que lon admette que parce quil y a volution, lancien soit infrieur lactuel et que le prix payer pour lexplication de lhumain soit linfriorit dune de ses parties.

    Car quelque moment quon prenne lhumanit, toutes ses composantes ont le mme ge ; les diffrences qui apparaissent sans cesse au plan social et au plan culturel, quand on observe ces diffrentes composantes de lhumanit, posent la science et chaque science davantage un problme dutilisation quune simple question dexplication. Chaque science particulire (les sciences sociales et humaines non exceptes) a le droit, sinon mme la tche et le devoir de produire, en la construisant mthodiquement, sa part dexplication, sa part dclairage.

    La sociologie encore en train de se structurer se doit de soupeser avec les outils quelle se donne les diffrents objets quon lui prsente ou quelle choisit dtudier ; la culture nest quun de ces objets et elle suscite en notre temps un tel engouement quil faudra bien que chaque science sassure de la contribution quelle est en mesure dapporter sa connaissance.

    Nous suggrons pour notre part, que lon parte de lhypothse que lobjet que dsigne le mot culture, jusqu plus ample inform, soit considr comme une structure dont lune des caractristiques essentielles est de toujours et dj contenir le sujet qui se propose de la connaitre, que ce sujet soit par ailleurs individuel ou collectif. Il ne sagit pas ici de la reprise pure et simple du structuralisme lvistraussien qui sest, au demeurant, rvl un outil dexplication particulirement fcond de certains aspects de la culture. Car comme la pense durkheimienne, la pense lvistraussienne sest constitue sur des prsupposs encore tributaires de la vision hirarchisante des cultures elles-mmes. Nonobstant le fait que, comme on le voit dans ltude lvistraussienne de la pense sauvage, lattitude structuraliste de Claude Lvi-Strauss lui ait permis de ruiner une bonne partie du primitivisme et de la doctrine de linfriorit culturelle, Lvi-Strauss plaide pour une gale valeur des cultures, de toutes les cultures.

    Par rapport au structuralisme de Claude Lvi-Strauss, celui que nous suggrons ici pourrait tre considr comme plus englobant ; il nous pousserait ds le dpart admettre que nous nous trouvons toujours et dj dans la structure et que, par consquent, nous avons lucider le statut que nous y avons, en relation avec les actions que nous y posons, avec et y compris nos actions de connaissance. Dans une telle perspective, les actions en cours que nous accomplissons sur nous-mmes, les uns

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    sur les autres et sur la structure qui nous englobe en tant quindividu et en tant que socit, au lieu dtre premptoirement et au plan du discours tenues loignes de nos connaissances, seront, au contraire, maintenues dans notre voisinage immdiat comme des paramtres aussi importants les uns que les autres.

    Durkheim a lui-mme crit : Il est de rgle, en effet, que les socits engendres soient dune autre espce que les socits gnratrices, parce que ces dernires, en se combinant, donnent naissance des arrangements tout fait nouveaux. 43.

    Ce nest pas seulement dans les sciences de la nature, et nous savons cela depuis Galile et Bacon, que notre connaissance du monde et notre action sur le monde sont insparables lune de lautre et apparaissent ainsi comme les conditions conjointes de lefficacit et de notre connaissance et de notre action en tant que telles.

    Le fait social, parce quil est dabord un fait humain, ne saurait tre soustrait un regard si consciemment et intelligemment soucieux darticuler la connaissance laction et vice versa. Dans un effort digne dloge quil a entrepris pour renouveler le regard socio-anthropologique, Mike Singleton a conu une anthropologie quil a nomme anthropologie prospective44. A cette anthropologie prospective, il a assign une mthode tripartite qui comporte lpaississement empirique, lampliation analogique et linterpellation interprtative. Cest la troisime de ces composantes qui retient notre attention, car elle fait de laction une partie intgrante de la connaissance que lanthropologie prospective est appele produire et tre.

    Cest linterpellation que prconise Singleton comme action appele prolonger la connaissance. Interpellation de lindigne que lanthropologue prospectif vient dobserver et sur lequel son paississement empirique et son ampliation analogique lui permettent de dtenir, pour les avoir construites, un nombre de connaissances qui sont, certains gards, pour lui autant de vrits. En interpellant lindigne, lanthropologue prospectif larrache du monde des objets pour en faire un sujet et un sujet humain capable de recevoir linterpellation en tant que telle.

    Sur ce premier point dj, Singleton va plus loin que Lvi-Strauss qui refuse catgoriquement de nouer le dialogue avec lindigne pour mieux le retrouver dans son inconscient, puisque les structures lvistraussiennes existent et agissent surtout dans linconscient.

    Cependant, linterpellation interprtative ne se limite pas donner un objet son statut de sujet. Comme lment de mthode, elle instaure un dialogue entre deux sujets dont lun a pris la peine de connatre lautre sans pouvoir ignorer que lautre a galement pris le soin de le connatre, quand bien mme ces deux connaissances seraient acquises avec des outils ingaux, et seraient ce titre des armes ingales. Ce faisant, la connaissance anthropologique peine acquise est remise dans le jeu des relations interpersonnelles et se trouve appele, grce cela, se construire et se reconstruire sans cesse.

    Cest ce cadre interpersonnel entre le connaissant et le connu que nous souhaitons voir structural et cest dans cette structure-l que la connaissance est bien oblige de

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    sarticuler laction, au vu et au su de celui qui a commenc par la produire et de celui propos de qui et sur qui elle a t produite.

    VSur la base des considrations qui prcdent, le moins quon puisse dire de la culture est quelle nest pas un objet quelconque et ne peut pas tre traite, dans sa totalit ou dans ses parties, comme un fait social quelconque. On doit mme avoir le courage dadmettre, ne serait-ce qu titre dhypothse de travail, que ltude objective et mthodique de la culture nest pas encore ne. Les tentatives mritoires dj ralises ici et l nous placent tout au plus dans ce que nous aimerions pouvoir considrer comme une prhistoire. Prhistoire de la culturologie si nous convenons de nommer ainsi une tude objective et mthodique de la ralit culturelle.

    A cet gard, le raisonnement exprimental dont parle Michel Berthelot ne saurait suffire. Encore faudrait-il sentendre sur ce quil signifie. Car si cest le raisonnement appel tenir lieu de lexprimentation, nul ne saurait ladmettre, lexprience ayant une valeur incontournable, surtout lorsque le raisonnement essaie de se substituer elle. Mais le raisonnement exprimental conserve un sens et peut, selon nous, avoir une utilit si on le place et le maintient dans le cadre dun dialogue ou mme dun plurilogue45 ; ce sera alors sur la base de son exprience de la culture et de sa culture que chaque participant au dialogue/plurilogue entreprendra de faire advenir une connaissance de lhomme dans laquelle ce dernier naura pas t abusivement rduit au statut dobjet46.

    De mme, et comme mthode, le comparatisme ne saurait suffire. Certes, le rcit de voyage ayant t lanctre du discours ethno-anthropologique, on comprend aisment que la comparaison ait eu et conserve une place dans le savoir anthropologique comme tel. Il sen faut pourtant de beaucoup que cette place accorde la comparaison soit essentielle. Car non seulement toutes les sciences usent de la comparaison, mais il semble que tout esprit connaissant soit condamn comparer. De fait, lorsquon dsire utiliser un procd si lgitime, si rpandu et si constant comme une mthode, le moins quon puisse exiger cest que soient clairement indiqus les termes que lon compare, lchelle de la comparaison et, par-dessus tout, le but de la comparaison. Ce qui fait de la comparaison un procd constitutif de toute mthode, certes, mais un procd clairement subordonn au but que se propose datteindre celui qui en use.

    On voit quen prtendant ne stre servis que de la comparaison, les anthropologues dantan ont trouv tout naturel de considrer leurs propres cultures comme le terme suprieur de la comparaison et de svertuer ensuite classer les autres cultures dans lautre terme qui est, invitablement, linfrieur. Pendant ce temps, que les cultures qui ont conu une telle anthropologie aient pratiqu la colonisation pour gurir lhumanit de la traite esclavagiste trop visiblement inadmissible, ou que les Etats des socits ptries de ces cultures aient entrepris un partage du reste du monde

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    presquexclusivement assorti leurs intrts du moment, une telle anthropologie na pas, semble-t-il, besoin de sen proccuper. Au contraire, une anthropologie comparatiste peut en toute srnit se dcliner en anthropologie du dveloppement, en anthropologie du sous-quipement ou en anthropologie de la pauvret, puisquil lui suffit, ses yeux, de comparer pour pouvoir classer et enrichir inlassablement les types de cultures.

    Dans le cas de la culture comme objet de connaissance et comme fait social, le comparatisme se rvle particulirement strile ou tout le moins fallacieux. Pour comparer les cultures, il faut les connatre et il faut en connatre le plus grand nombre possible. Cependant, les cultures nont que faire dtre compares. Ds quune culture apparat lhorizon dune autre culture, la comparaison se dclenche comme un procd tout fait naturel dacquisition de connaissance. Ce qui fait problme, cest que ce soit sur la base de cette comparaison spontane que sont conues et excutes les actions entreprises par les socits porteuses de ces cultures et portes par elles pour agir lune sur lautre. Une anthropologie qui rige cette comparaison spontane en une mthode systmatique ne peut donc que prolonger le sens commun et se rendre complice consciemment ou inconsciemment de toutes les actions et de toutes les exactions subsquentes cette anthropologie.

    Cest pourquoi lanthropologie construire ne peut tre que critique. Tant mieux si le fait de se vouloir prospective, comme le souhaite Mike Singleton, peut contribuer accentuer son parti-pris critique. Parti pris critique qui portera sur lobjet irrmdiablement sujet aussi bien que sur la mthode consciente, pour sa part, de prolonger la comparaison par la construction. Construction de la connaissance anthropologique elle-mme certes, mais surtout construction de la convivialit, de la coexistence des individus et des groupes engags dans cette connaissance.

    Nous avons opt, voici dj quelques annes, duvrer la construction de cette anthropologie critique au plan de la thorie et aux deux plans de la pratique scientifique et de la pratique humaine. Cest cette anthropologie critique que nous proposons la phnomnologie vocative comme attitude mthodologique globale et la restitution phnomnologique47 comme un des procds constitutifs.

    Comment une telle connaissance est-elle possible ? Cest l toute la question quil faut oser se poser ; question qui mrite dtre transforme en un problme pour la rsolution duquel chacun conviendra que la mthode (ou les mthodes) que lon dcidera dutiliser sera (ou seront) toujours une mthode (ou des mthodes) provisoire(s).

    Cest l quun vritable humanisme48 simpose comme partie intgrante dune attitude intellectuelle dsireuse de soffrir la culture comme objet de connaissance. Il sagit bien dun humanisme puisquil faut poser ds le dpart, comme larrive, lhomme que lon est, lhomme que lon tudie et que lon cherche connatre comme une valeur.

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    Notes

    1. Cf. I.-P. L. Laly, Protger et promouvoir la diversit culturelle au Maghreb et en Afrique de lOuest francophone, tude valant outil pour informer, sensibiliser et duquer, Publications de lOrganisation Islamique pour lEducation, les Sciences et la Culture-ISESCO, 1431H/2010, 51 p.

    2. Larrt ministriel nommant Emile Durkheim dans la premire chaire de sciences sociales date du 20 juillet 1887. Jean-Michel Berthelot donne lire ce sujet, en citant au demeurant Jean Duvignaud : Mesure rvolutionnaire, car cette discipline nexistait pas encore. Cf. J.-M. Berthelot, Emile Durkheim, Les rgles de la mthode sociologique, Paris, Flammarion, 1988, p.246.

    3. Wilhelm Maximilian Wundt (1832-1920) est le fondateur, en 1879, du premier laboratoire de psychologie exprimentale, Leipzig en Allemagne.

    4. Lewis Henry Morgan, Amricain et premier anthropologue avoir fait du terrain (chez les Iroquois), publia en 1877 le livre intitul Ancient Society o il exposa, entre autres, les premiers lments de lvolutionnisme dans les sciences sociales.

    5. Primitive Culture dEdward B. Tylor fut publi en 1871. 6. Cette premire dition des Rgles fut faite dans la Revue Philosophique (fonde en

    1876). Les citations des Rgles faites dans le prsent article seront prleves de deux ditions diffrentes de cet important ouvrage ; la premire dition est celle des Presses Universitaires de France (PUF) faite en 1973 ; et la seconde, celle faite par les ditions Flammarion en 1988 et dont la caractristique est davoir t prpare par Jean-Michel Berthelot qui a fait prcder le texte de Durkheim dune longue introduction intitule : Les rgles de la mthode sociologique ou linstauration du raisonnement exprimental en sociologie. Cf. louvrage cit, pp.7 67.

    7. Ce substrat sera fourni la sociologie par ce que Durkheim appelle la morphologie sociale : on pourrait appeler Morphologie sociale la partie de la sociologie qui a pour tche de constituer et de classer les types sociaux . Cf. Durkheim, Les rgles de la mthode sociologique, PUF, 1973, p.81.

    8. Durkheim a crit : En fait de mthode, dailleurs, on ne peut jamais faire que du provisoire ; car les mthodes changent mesure que la science avance . Cf. Les rgles. PUF, 1973, p. XII.

    9. Et il sen faut de beaucoup que tout ce qui nest pas normal soit pathologique. Durkheim donne lire : Cest ainsi que, du point de vue purement biologique, ce qui est normal pour le sauvage ne lest pas toujours pour le civilis et rciproquement. La sant du vieillard nest pas celle de lenfant ; et il en est de mme des socits. Un fait social ne peut donc tre dit normal pour une espce sociale dtermine que par rapport une phase, galement dtermine, de son dveloppement ; par consquent, pour savoir sil a droit cette dnomination, il ne suffit pas dobserver sous quelle forme il se prsente dans la gnralit des socits qui appartiennent cette espce, il faut encore avoir soin de les considrer la phase correspondante de leur volution . (Cf. Les rgles, 1973:57).

    10. Dans son livre intitul Morphologie sociale et publi en 1938, Maurice Halbwachs a crit : Durkheim sest inspir dune vue plus systmatique. Il proposait dappeler morphologie sociale une tude qui porterait sur la forme matrielle des socits, cest--dire sur le nombre et la nature de leurs parties, et la manire dont elles-mmes sont

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    disposes sur le sol, et, encore, sur les migrations internes et de pays pays, la forme des agglomrations, des habitations, etc. Lauteur des Rgles de la mthode sociologique, qui recommandait dtudier les ralits sociales comme des choses , devrait attribuer une importance particulire ce qui, dans les socits, emprunte davantage les caractres des choses physiques : tendue, nombre, densit, mouvement, aspects quantitatifs, tout ce qui peut tre mesur et compt. Cest de cette dfinition que nous sommes parti. , Cf. Les Classiques des Sciences sociales, p. 5, consult sur internet, le 12 mars 2012.

    11. Cest le lieu de distinguer entre terminer et achever : mettre un terme une chose et notamment une activit, cest tout simplement observer une pause ou un arrt dans cette activit ; au contraire, achever une uvre implique que son auteur pense y avoir ralis une certaine perfection.

    12. a) Il est de rgle, en effet, que les socits engendres soient dune autre espce que les socits gnratrices, parce que ces dernires, en se combinant, donnent naissance des arrangements tout fait nouveaux. (Cf. Les rgles, 1973:87).

    b) Cf. I.-P. L. Laly, Le mme et lautre de lhomme. Le savoir aux prises avec la diffrence , dans in Philosophies africaines : traverses des expriences, Rue Descartes n36, Collge International de Philosophie, Juin 2002, Paris, Presses Universitaires de France, pp. 75-91.

    13. Distinction entre lobjet formel et lobjet matriel : en simplifiant les choses sans ncessairement les dnaturer, disons que lobjet matriel des sciences humaines est lhomme et que lobjet formel de chacune de ces sciences est la perspective particulire, langle spcial sous lequel cette science considre lhomme.

    14. La lecture de la prface la 2me dition des Rgles est instructive ce sujet ; Durkheim y a crit : Quand ce livre parut pour la premire fois, il souleva dassez vives controverses. Les ides courantes, comme dconcertes, rsistrent dabord avec une telle nergie que, pendant un temps, il nous fut presque impossible de nous faire entendre. Sur les points mmes o nous nous tions exprim le plus explicitement, on nous prta gratuitement des vues qui navaient rien de commun avec les ntres, et lon crut nous rfuter en les rfutant. (Cf. Les rgles, 1973:XI).

    15. Cf. Michel Berthelot, Les Rgles de la mthode sociologique ou linstauration du raisonnement exprimental en sociologie , in E. Durkheim, Les Rgles de la Mthode sociologique, Paris, Flammarion, 1988, pp.7 67.

    16. Durkheim donne une ide de cette sociologie scientifique lorsquil crit, dans la prface la premire dition : Notre principal objectif, en effet, est dtendre la conduite humaine le rationalisme scientifique, en faisant voir que, considre dans le pass, elle est rductible des rapports de cause effet quune opration non moins rationnelle peut transformer ensuite en rgles daction pour lavenir . Cf. Les rgles, 1973, p. IX. ; et lorsquil parle, dans la prface la seconde dition, de la sociologie objective, spcifique et mthodique dont la cause aura gagn du terrain sans interruption, en dpit des oppositions(Cf. Les rgles, 1973:XII).

    17. Voir le cinquime chapitre des Rgles consacr lexplication des faits sociaux o lon peut lire, notamment : Quand donc on entreprend dexpliquer un phnomne social, il faut rechercher sparment la cause efficiente qui le produit et la fonction quil remplit . (Cf. Les rgles, 1973:95).

    18. On peut citer titre purement illustratif : Philippe Coulangeon, Sociologie des pratiques culturelles, Paris, La Dcouverte, 2005, 124 p., ou bien Laurent Fleury, Sociologie de la culture et des pratiques culturelles, Paris, Armand Colin, 2006, 128 p.

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    19. Le sujet connaissant voit des rapports entre deux objets ou deux aspects dun mme objet ; il dclare alors que ces deux objets ont des liens. Mais parler de relations, cest dire que ces deux objets sont actifs lun et/ou lautre et agissent lun sur lautre.

    20. Mme si nous ne savons pas, comme le dit dailleurs Durkheim lui-mme, le moment prcis o nat ou meurt une socit : Nous ne savons mme pas distinguer avec une exactitude simplement approche quel moment nat une socit et quel moment elle meurt . (Cf. Les rgles, 1973:53).

    21. Cest le cas pour toutes ces cultures du pass qui, comme les cultures gyptienne, grecque ou romaine, nous demeurent accessibles par les nombreux vestiges qui nous en sont conservs.

    22. A moins que ces intuitions conserves par les mythes et les lgendes naient t de vritables rvlations.

    23. Il devient intressant de chercher savoir ce qui se passe en cas dacculturation et da-culturation.

    24. Cf. Les rgles, 1973, Prface la 2 dition, p. XII.25. Cf. E. Durkheim, 1898. Reprsentations individuelles et reprsentations collectives.

    Publi en 1898 dans la Revue de mtaphysique et de morale 6:273-302. 26. E. Kant, 1724-1804.27. Pour illustrer sommairement cette distinction kantienne entre les phnomnes ( les

    choses telles quelles nous apparaissent) et les noumnes (les choses telles quelles sont), on peut citer la Critique de la raison pure qui donne lire : Quand donc nous disons que les sens nous reprsentent les objets tels quils apparaissent et lentendement tels quils sont, il faut prendre cette dernire expression non pas dans son sens transcendantal, mais simplement dans un sens empirique ; cest--dire quelle dsigne les objets tels quils doivent tre reprsents, comme objets de lexprience, dans lenchanement universel des phnomnes, et non daprs ce quils peuvent tre indpendamment de leur relation une exprience possible, et par consquent aux sens en gnral, cest--dire. Cf. E. Kant, Critique de la raison pure, Paris, Presses Universitaires de France, 6 dition, pp.230-231.

    28. Cf. E. Durkheim, Les rgles, 1973, p. XII.29. Une aporie est un problme insoluble ou difficile rsoudre.30. Cf. Les rgles, 1973, p. 64.31. Id., p. 74.32. Nous lisons dans Les rgles : Nous ne croyons pas que jamais on se soit systmatiquement

    astreint dcider du caractre normal ou anormal des faits sociaux daprs leur degr de gnralit. Cest toujours grand renfort de dialectique que ces questions sont tranches . Les rgles, 1973, p. 73.

    33. ; par suite, on peut savoir chaque moment du dveloppement de lanimal, et mme aux priodes de crise, en quoi consiste ltat normal. Il en est encore ainsi en sociologie pour les socits qui appartiennent aux espces infrieures. Car, comme nombre dentre elles ont dj accompli toute leur carrire, la loi de leur volution normale est ou, du moins, peut tre tablie. Mais quand il sagit des socits les plus leves et les plus rcentes, cette loi est inconnue par dfinition, puisquelles nont pas encore parcouru toute leur histoire. Le sociologue peut ainsi se trouver embarrass de savoir si un phnomne est normal ou non, tout point de repre lui faisant dfaut . (Cf. Les rgles, 1973:61.

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    34. Pour ne pas se croire oblig de connatre toutes, les socits qui existent avant de pouvoir faire la sociologie, Durkheim fait sienne la distinction introduite par Francis Bacon entre les faits vulgaires et les faits dcisifs : Il est inexact, en effet, que la science ne puisse instituer de lois quaprs avoir pass en revue tous les faits quelles expriment, ni former de genre quaprs avoir dcrit, dans leur intgralit, les individus quils comprennent. La vraie mthode exprimentale tend plutt substituer aux faits vulgaires, qui ne sont dmonstratifs qu condition dtre trs nombreux et qui, par suite, ne permettent que des conclusions toujours suspectes, des faits dcisifs ou cruciaux, comme disait Bacon, qui, par eux-mmes et indpendamment de leur nombre, ont une valeur et un intrt scientifiques . (Cf. Les rgles, 1973:79).

    35. On commencera par classer les socits daprs le degr de composition quelles prsentent, en prenant pour base la socit parfaitement simple ou segment unique ; lintrieur de ces classes, on distinguera des varits diffrentes suivant quil se produit ou non une coalescence complte des segments initiaux .Cf. Les rgles, 1973, p.86.

    36. G. Gurvitch, La sociologie est la typologie qualitative et discontinuiste fonde sur la dialectique des phnomnes sociaux totaux astructurels, structurables et structurs, quelle tudie demble tous les paliers en profondeur, toutes les chelles et dans tous les secteurs, afin de suivre leurs mouvements de structuration, de dstructuration, de restructuration et dclatement, en trouvant leur explication en collaboration avec lhistoire . Cf. G. Gurvitch, Trait de sociologie, Tome I, Presses Universitaires de France, 1967; p.27.

    37. Il est frquent de constater chez les anthropologues le souci et le regret avou de ne pas pouvoir tudier certaines socits avant leur disparition. Cest certainement la recherche dune morphologie complte des cultures qui sous-tend ce souci. Mais cest faire semblant dignorer que la distinction faite par Durkheim entre les faits vulgaires et les faits dcisifs pourrait aussi sappliquer la culture comme fait social. Voir, supra, la note n34.

    38. Une typologie de la culture que lon pourrait appeler culturologie en un sens encore prciser.

    39. Cf. E. Durkheim, Les formes lmentaires de la vie religieuse, 1912.40. De laveu de Lucien Lvy-Bruhl, 1910 aurait dj pu tre lanne de la publication de la

    Mentalit primitive quil a publi en 1922 ; en 1910 paraissait Les fonctions mentales dans les socits infrieures.

    41. Il vaut la peine de bien distinguer La dclaration des droits de lhomme et du citoyen de 1789 de La Dclaration Universelle des Droits de lHomme adopte par lAssemble gnrale des Nations Unies le 10 Dcembre 1948.

    42. Cf. la Convention sur la protection et la promotion de la diversit des expressions culturelles, Unesco, Paris, 2005.

    43. Cf. Les rgles, 1967 : 87.44. Cf. Mike Singleton, De lpaississement empirique linterpellation interprtative en

    passant par lampliation analogique : une mthode pour lanthropologie prospective , in Recherches sociologiques, volume XXXII, numro 1, 2001, pp.15-40.

    45. Dans le mot dialogue, llment dia ne renvoie pas deux mais bien entre.46. Cest dans ce sens que nous avons suggr et pratiqu ce que nous avons appel une

    phnomnologie vocative. Cf. I.-P. Laly, La restitution phnomnologique. Porte mthodologique pour une pense africaine efficace, in Problmes de mthode en philosophie et sciences humaines en Afrique, Actes de la Septime Semaine Philosophique

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    de Kinshasa (24-30 avril 1983), Recherches Philosophiques Africaines n9, Kinshasa (Zare), 1986, pp.13-35.

    47. Cf. La restitution phnomnologique article cit.48. Cf. I.-P. L. Laly, Lamour du savoir, fondement dun humanisme globalis , in

    Globalizzazione e Umanesimo Latino, Convegno internazionale, New York 1-3 Maggio 2000, Atti del Convegno Volume II, Pubblicato a cura di : Fondazione Cassamarca, 1-31100 Treviso, Presso Europrint (Tv), 2000, pp.6-7.

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