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Ce supplément de douze pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The Washington Post et d’autres grands quotidiens internationaux Distribué avec Le cinéma attaque l’histoire Lounguine et Mikhalkov sur les tabous russes Cinéma PAGE 11 Deux groupes d’experts en communi- cation débattent sur cette tâche ardue consistant à améliorer l’image de la Rus- sie en Occident. Avant que le verdict des urnes soit connu, la presse occidentale donnait - à tort - la Russie pour vainqueur. C'est un événement exceptionnel. Pour la première fois de son histoire, le musée du Louvre organise une exposition en- tièrement consacrée à l'art russe. Les plus grands musées russes s'y sont as- sociés. Les musées du Kremlin, bien sûr, le Musée historique d'Etat de Mos- cou, l'illustre Galerie Tretiakov, les mu- sées de Vladimir, de Souzdal et de No- vgorod, pour ne citer que les plus connus. L'immense majorité des 400 chef-d'œuvres présentés au Louvre n'ont jamais quitté leur patrie. Mais même les arpenteurs maniaques de la Russie auront droit à de l'inédit au cours de cette manifestation. Les plus fins connaisseurs se précipiteront pour observer les pièces fraîchement décou- vertes par les archéologues russes ces dernières années. Pièces qui n'ont ja- mais encore été vues du grand public. Cette collection vient directement du musée d'Etat de Veliki-Novgorod (non loin de Saint-Pétersbourg). Elle com- prend 47 objets rares des XIe-XVIIe siècles, notamment des bijoux. Les or- ganisateurs de l'exposition sont telle- ment chatouilleux à propos de cette collection jamais montrée aux étran- gers qu'ils n'ont pas donné à la presse le moindre détail sur le calendrier de son transport vers la France. Fin jan- vier, les caisses étaient encore jalouse- ment gardées à Saint-Pétersbourg avant leur transfert vers le Louvre, dont l’ex- position est la première expérience de coopération entre la France et les mu- sées proviciaux russes. Les amateurs de chiffres précis retien- dront qu’un total de 438 objets rares les attendent au Louvre. Les œuvres PAGE 8 PAGE 9 L'exposition « Sainte Russie » sera inaugurée en grande pompe le 2 mars prochain au musée du Louvre par le président russe Dmitri Medvedev, dans le cadre de sa visite d'État en France. Elle sera ensuite accessible au grand public du 5 mars au 23 mai. PAUL DUVERNET SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI DÉBATS ET OPINIONS Changer d’image Russie–Ukraine : sans illusions Les chantiers de la modernisation À LIRE EN PAGES 3, 4 ET 5 L’impact de la crise économique a très fortement touché l’ensemble de l’éco- nomie russe à partir de l’automne 2008. L’ébranlement ressenti dans toute la population remet en cause un modèle de croissance trop fortemement orien- té vers les exportations énergétiques de matières premières. Le tout aggravé par des investissements insuffisants et une trop grande dépendance à l’égard des marchés financiers internationaux. L’Etat n’a pas toujours favorisé une sortie rapide de cette situation. Obsé- dé par les effets pervers de la rente pétrolière, ne serait-ce que sur le vo- lume des importations et le niveau d’in- flation, la politique a cherché à limi- ter la masse monétaire et pratiqué des taux d’intérêts élevés peu favorables à l’investissement. Depuis mai 2009, le mot d’ordre gé- néral, repris comme un leitmotiv par Dimitri Medvedev, est la modernisa- tion du pays. Il s’agit d’un programme à long terme, sur 10 à 15 ans, qui doit impliquer l’Etat, l’entreprise et la so- ciété. Les appels au secteur privé ont été multipliés ces derniers mois. Ce sont les années à venir qui diront si cette fois, la Russie, ne se contentant plus de déclarations d’intention, pas- sera à une action concrète pour épou- ser le XXie siècle. - « Sainte Russie » se dévoile aux Parisiens Année France-Russie Une grande exposition au Louvre inaugure l'année croisée Les Russes attendent des transferts de technologie Technos françaises Économie Un grand défi présentées couvrent près d'un millénai- re de l'histoire russe. Les plus ancien- nes remontent à l'époque de la chris- tianisation, à la fin du Xe siècle. Les objets les plus récents sont contempo- rains de Pierre le Grand, c'est-à-dire le premier quart du XVIIIe siècle. Ce voyage à travers les âges commence par l'émergence un peu soudaine de ces « nouveaux » Russes dans l'histoire la- tine et byzantine. Déjà, un soupçon de géopolitique se profile avec l’évocation des rivalités et des luttes d'influence entre Latins,Vikings, Byzantins et Cau- casiens. La dimension religieuse de cette histoire sera mise en valeur à travers les premières conversions à la fin du Xe siècle. Déboulent ensuite les hordes mongoles, surgit le génial Andreï Rou- blev, qui ouvre la voie à l'âge d'or... la suite est au Louvre ! - Icône datant du XVIème siècle. Mercredi, 17 février 2010 Le borchtch universel Cuisine L’année croisée sur www.figaro.fr/larussiedaujourdhui PAGE 3 PAGES 6 - 7 Le charme suranné d'une ville secrète Régions Technologies nucléaires au fi n fond de la Sibérie C’est la journée du nettoyage bénévo- le et collectif de la ville par les étu- diants et le gouverneur de Kirov, Ni- kita Belykh, a mis les mains dans la poussière, comme tout le monde, rayon- nant de bonne humeur. Les jeunes vo- lontaires s’arrêtent de temps à autre pour observer cet homme étrange et énergique, l’antithèse de l’apparatchik de province. Avec sa casquette Yankee et son jean usé, on pourrait presque le prendre pour le cinéaste américain Mi- chael Moore. Belykh, 34 ans, est un étrange phéno- mène. Ce militant de la démocratie et ancien ennemi du pouvoir a eu maille à partir avec la police, avant d’être ré- cupéré par l’« establishment ». Le Kremlin consolide son emprise sur les réseaux Gazoducs du futur PAGE 5 Énergie Un réformateur sur le terrain LA SUITE EN PAGE 7 DIMITRI LOVETSKY _SERVICE DE PRESSE DU MUSÉE RUSSE ALEXANDRE GRONSKY De militant, Nikita Belykh s’est fait acteur de la démocratie en devenant gouverneur de Kirov. Il a dû relever le défi de travailler loin de Moscou, dans une région économiquement sinistrée, entouré de bureaucrates méfiants et sous l'autorité directe du Kremlin. ANNA NEMTSOVA SPECIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI NIKOLAÏ KOROLEV WWW.LUNGINSTUDIO.RU WWW.SUKHOI.ORG ANVAR GALEEV_RG IVAN GRANKIN_KOMMERSANT

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suite est au Louvre ! - ser le XXie siècle. - Ce supplément de douze pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu Cinéma Cuisine Économie PAGE 11 Régions Énergie Deux groupes d’experts en communi- cation débattent sur cette tâche ardue consistant à améliorer l’image de la Rus- sie en Occident. à tort - la Russie pour vainqueur . L’année croisée sur www.figaro.fr/larussiedaujourdhui PAGE 5 Distribué avec

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Ce supplément de douze pages est édité et publié par Rossiyskaya Gazeta (Russie), qui assume l’entière responsabilité de son contenu

Publié en coordination avec The Daily Telegraph, The Washington Post et d’autres grands quotidiens internationaux

Distribué avec

Le cinéma attaque l’histoire Lounguine et Mikhalkovsur les tabous russes

Cinéma

PAGE 11

Deux groupes d’experts en communi-cation débattent sur cette tâche ardue consistant à améliorer l’image de la Rus-sie en Occident.

Avant que le verdict des urnes soit connu, la presse occidentale donnait - à tort - la Russie pour vainqueur.

C'est un événement exceptionnel. Pour la première fois de son histoire, le musée du Louvre organise une exposition en-tièrement consacrée à l'art russe. Les plus grands musées russes s'y sont as-sociés. Les musées du Kremlin, bien sûr, le Musée historique d'Etat de Mos-cou, l'illustre Galerie Tretiakov, les mu-sées de Vladimir, de Souzdal et de No-vgorod, pour ne citer que les plus connus. L'immense majorité des 400 chef-d'œuvres présentés au Louvre n'ont jamais quitté leur patrie. Mais

même les arpenteurs maniaques de la Russie auront droit à de l'inédit au cours de cette manifestation. Les plus fi ns connaisseurs se précipiteront pour

observer les pièces fraîchement décou-vertes par les archéologues russes ces dernières années. Pièces qui n'ont ja-mais encore été vues du grand public. Cette collection vient directement du musée d'Etat de Veliki-Novgorod (non loin de Saint-Pétersbourg). Elle com-prend 47 objets rares des XIe-XVIIe siècles, notamment des bijoux. Les or-ganisateurs de l'exposition sont telle-ment chatouilleux à propos de cette collection jamais montrée aux étran-gers qu'ils n'ont pas donné à la presse le moindre détail sur le calendrier de son transport vers la France. Fin jan-vier, les caisses étaient encore jalouse-ment gardées à Saint-Pétersbourg avant leur transfert vers le Louvre, dont l’ex-position est la première expérience de coopération entre la France et les mu-sées proviciaux russes. Les amateurs de chiffres précis retien-dront qu’un total de 438 objets rares les attendent au Louvre. Les œuvres

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L'exposition « Sainte Russie » sera inaugurée en grande pompe le 2 mars prochain au musée du Louvre par le président russe Dmitri Medvedev, dans le cadre de sa visite d'État en France. Elle sera ensuite accessible au grand public du 5 mars au 23 mai.

PAUL DUVERNET SPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

DÉBATS ET OPINIONS

Changer d’image

Russie–Ukraine : sans illusions

Les chantiers de la modernisation

À LIRE EN PAGES 3, 4 ET 5

L’impact de la crise économique a très fortement touché l’ensemble de l’éco-nomie russe à partir de l’automne 2008. L’ébranlement ressenti dans toute la population remet en cause un modèle de croissance trop fortemement orien-té vers les exportations énergétiques de matières premières. Le tout aggravé par des investissements insuffisants et une trop grande dépendance à l’égard des marchés fi nanciers internationaux.L’Etat n’a pas toujours favorisé une sortie rapide de cette situation. Obsé-dé par les effets pervers de la rente pétrolière, ne serait-ce que sur le vo-lume des importations et le niveau d’in-fl ation, la politique a cherché à limi-ter la masse monétaire et pratiqué des taux d’intérêts élevés peu favorables à l’investissement.Depuis mai 2009, le mot d’ordre gé-néral, repris comme un leitmotiv par Dimitri Medvedev, est la modernisa-tion du pays. Il s’agit d’un programme à long terme, sur 10 à 15 ans, qui doit impliquer l’Etat, l’entreprise et la so-ciété. Les appels au secteur privé ont été multipliés ces derniers mois. Ce sont les années à venir qui diront si cette fois, la Russie, ne se contentant plus de déclarations d’intention, pas-sera à une action concrète pour épou-ser le XXie siècle. -

« Sainte Russie » se dévoile aux ParisiensAnnée France-Russie Une grande exposition au Louvre inaugure l'année croisée

Les Russes attendent des transferts de technologie

Technos françaisesÉconomie

Un grand défi

présentées couvrent près d'un millénai-re de l'histoire russe. Les plus ancien-nes remontent à l'époque de la chris-tianisation, à la fi n du Xe siècle. Les objets les plus récents sont contempo-rains de Pierre le Grand, c'est-à-dire le premier quart du XVIIIe siècle. Ce voyage à travers les âges commence par l'émergence un peu soudaine de ces « nouveaux » Russes dans l'histoire la-tine et byzantine. Déjà, un soupçon de géopolitique se profi le avec l’évocation des rivalités et des luttes d'infl uence entre Latins, Vikings, Byzantins et Cau-casiens. La dimension religieuse de cette histoire sera mise en valeur à travers les premières conversions à la fi n du Xe siècle. Déboulent ensuite les hordes mongoles, surgit le génial Andreï Rou-blev, qui ouvre la voie à l'âge d'or... la suite est au Louvre ! -

Icône datant du XVIème siècle.

Mercredi, 17 février 2010

Le borchtch universel

Cuisine

L’année croisée sur www.figaro.fr/larussiedaujourdhui

PAGE 3 PAGES 6 - 7

Le charme suranné d'une ville secrète

Régions

Technologies nucléaires au fi n fond de la Sibérie

C’est la journée du nettoyage bénévo-le et collectif de la ville par les étu-diants et le gouverneur de Kirov, Ni-kita Belykh, a mis les mains dans la poussière, comme tout le monde, rayon-nant de bonne humeur. Les jeunes vo-lontaires s’arrêtent de temps à autre pour observer cet homme étrange et énergique, l’antithèse de l’apparatchik de province. Avec sa casquette Yankee et son jean usé, on pourrait presque le prendre pour le cinéaste américain Mi-chael Moore. Belykh, 34 ans, est un étrange phéno-mène. Ce militant de la démocratie et ancien ennemi du pouvoir a eu maille à partir avec la police, avant d’être ré-cupéré par l’« establishment ».

Le Kremlin consolide son emprise sur les réseaux

Gazoducs du futur

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Énergie

Un réformateur sur le terrain

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De militant, Nikita Belykh s’est fait acteur de la démocratie en devenant gouverneur de Kirov. Il a dû relever le défi de travailler loin de Moscou, dans une région économiquement sinistrée, entouré de bureaucrates méfiants et sous l'autorité directe du Kremlin.

ANNA NEMTSOVASPECIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RUCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

02 Économie

Auchan fait affaire

L'annonce en automne dernier du dé-part de Carrefour a été interprétée par beaucoup comme une preuve supplé-mentaire de la « fuite des étrangers » causée par les difficultés spécifi ques po-sées par le marché russe. Le groupe, qui étudiait depuis longtemps ce marché, l’avait investi au printemps 2009... au pire moment, alors que la crise fi nan-cière battait son plein. Carrefour n’est pas le seul distributeur à retirer ses billes de Russie. En 2007, l'allemand Edeka Zentrale AG ferma l’hypermarché Marktkauf pendant que le turc Ramenka pliait progressivement sur deux ans sa chaîne de supermar-chés Ramstore. Ce sont en fait les per-dants d'une bataille qui a vu le triom-phe de plusieurs chaînes russes, mais aussi d'acteurs internationaux qui ont su trouver la bonne stratégie.Auchan a été l’une des entreprises étran-gères les plus déterminées à percer le marché russe. Encouragé par un po-tentiel de142 millions de consomma-teurs, le géant français a repris les hy-

Auchan possède actuellement 38 magasins en Russie et prévoit d’en ouvrir six autres en 2010.

Grande distribution Alors que Carrefour quitte la Russie Bourse Entrée réussie à Paris

TIM GOSLINGSPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Les faibles cèdent la place aux forts, c'est la loi de la concurrence. Pendant que Carrefour et Ramenka plient bagage faute d’une bonne stratégie, Auchan continue de se développer à toute vitesse sur un marché non moins dynamique... mais difficile.

permarchés de Ramenka et continue de développer ses opérations en Russie (tout comme la chaîne a réussi à le faire en Chine). Très en pointe sur les mar-chés émergents, où elle a su se forger une bonne réputation, l'enseigne pri-vée d’origine lilloise est entrée tôt dans l’arène russe pour en devenir l'un des acteurs les plus populaires, selon Jacob Grapengeisser de East Capital - un ges-tionnaire de fonds spécialisé sur l’Eu-rope de l'Est et un actionnaire impor-tant de Magnit, la deuxième chaîne russe. Auchan possède actuellement 38 magasins en Russie et prévoit d’en ouvrir six autres en 2010. Jean-Pierre Germain, PDG de Auchan Russie, a déclaré que le groupe « est prêt à s’adapter à chaque marché des différentes régions russes ». Pour preu-ve : la mise en place des magasins Ra-douga - un nouveau format « hard dis-count » - dans des plus petites villes avec moins de 50 000 habitants. Selon Natasha Zagvozdina, de la banque d’in-vestissement Renaissance Capital, l’en-treprise française fi gure sur la liste des cinq plus grands distributeurs alimen-taires du pays. Sur cette liste fi gurent également l’allemand Metro qui a beau-coup investi dans la région et trois autres opérateurs russes. Les distributeurs étrangers occupent désormais les 3e et 4e places du marché russe. Evidemment, c’est aussi la taille et la croissance de ce marché qui rendent la Russie aussi attirante ; Grapengiesser

prévoit que « les chaînes de supermar-chés continueront de se développer pen-dant de nombreuses années ». En fait, selon Zagvozdina, malgré l’attrait que continue d’exercer le marché russe pour les investisseurs extérieurs et les opé-rateurs indépendants, les magasins ali-mentaires représentent moins de 40% de part du marché de l’alimentation dans toute la Russie. « Les chances d'ex-pansion en Russie sont énormes », af-fi rme-t-elle. Une vision partagée par Lev Khasis (PDG du n° 1 russe X5 Re-tail Group) qui déclare que son entre-prise espère doubler son chiffre d’af-faires tous les trois ans.Auchan n’est donc pas le seul - loin de là - à concocter des plans très ambitieux sur le marché russe. Il n'est pas le seul à avoir vu sa position se renforcer ces deux dernières années. Magnit, par exemple, à l’aide d’une entrée en bourse réussie au mois d’octobre dernier, a pu lever 365 millions de dollars et envisage d’inves-tir 1 milliard dans l’ouverture de 580 nouveaux magasins en 2010 (en plus des 3 228 magasins existants à la périphé-rie des grandes villes). Le groupe prévoit également de renforcer son infrastruc-ture logistique. La distribution alimen-taire russe est depuis quelques années le marché qui connaît la plus forte crois-sance en Europe. Même avec la crise, le marché russe poursuit sa forte progres-sion, à la différence de la plupart des marchés occidentaux menacés d’un recul d'ici la fi n de l’année. -

Le géant de l’aluminum Rusal, introduit à la Bourse de Paris et de Hong Kong depuis le 27 janvier dernier, est le premier groupe russe ainsi coté sur le marché européen NYSE Euronext mais pourrait être suivi par d’autres sociétés russes, selon les analystes qui évoquent une capitalisation possible de 20 milliards d’euros.

DIMITRI DE KOCHKOSPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Rusal : le premier mais sans doute pas le dernier

Techniquement, il fallait à ces groupes mettre leur comptabilité en conformité avec les exigences et les règles des auto-rités des marchés concernés. Economi-quement, les IPO (introduction en Bour-se) étaient peu envisageables tant que la crise économique frappait de plein fouet les matières premières. Rusal n’a pu re-lancer ce projet d’IPO que lorsque ses perspectives de sortir ses résultats du rouge ont été crédibles, grâce à une re-montée des prix fi n 2009 et malgré la consolidation boursière qui intervenait dans le monde dans ce domaine, au mo-ment même de l’introduction.L’opération a permis à Rusal de rembourser à ses créanciers étrangers et russes 2 143 mil-liards de dollars, a indiqué le premier producteur mondial d’aluminium et d’alumine sur son site internet. Rusal, contrôlé par le milliardaire Oleg Deri-paska et qui ne cache pas son rêve de devenir un conglomérat minier et mé-tallurgique mondial à l’image de l’anglo-australien BHP Billiton, a été très mal-mené par la crise économique mondiale en raison de la baisse d’activité indus-trielle de ses clients et s’est retrouvé for-tement endetté.Dans une interview quotidien économi-que Les Echos, M. Deripaska avait ex-pliqué le choix de la Bourse de Paris, au lieu de Londres où de tels groupes mi-niers sont cotés généralement, en disant qu’il avait fait « le pari de l’Europe conti-nentale. Vous (la France) avez une gran-de industrie, des compétences avérées et reconnues. Au Royaume-Uni, l’industrie n’est pas en bonne forme », estime-t-il. Ce qui laisse penser à un choix indus-triel et non purement fi nancier. Le grou-pe avait obtenu en décembre 2009 un accord avec ses créanciers, principale-ment le groupe Onexim du milliardaire Mikhaïl Prokhorov, pour restructurer sa gigantesque dette. A l’issue de cet accord, son endettement s’élevait à 14,9 milliards de dollars.Après le versement, rendu possible à la suite de son IPO à l’Euronext Paris et à Hong Kong qui lui a rapporté 2,24 mil-liards de dollars, le numéro un mondial de l’aluminum doit encore 12,9 milliards de dollars à ses créanciers. Les princi-paux bénéfi ciaires du remboursement

annoncé par la compagnie sont les créan-ciers internationaux du groupe (1,46 mil-liard de dollars), devant le groupe Onexim du milliardaire Mikhaïl Prokhorov (278 millions) et les autres créanciers russes (Banque du Commerce extérieur exclue) pour 253 millions. Malgré cet endette-ment, largement dû à la conjoncture, le groupe semble avoir retrouvé la confi an-ce des marchés, notamment grâce à son implication en Asie, ce qui explique le choix de Hong Kong. « Nous croyons à la croissance en Asie », a déclaré aux journalistes l’oligarque russe Oleg Deri-paska, 42 ans, dont Rusal le principal actif.Malgré des débuts difficiles aussi bien à Hong Kong qu’à Paris, où l’action est ré-servée aux investisseurs professionnels, le titre s’est repris au bout de quelques jours. Et M. Deripaska a confi é aux Echos qu’il rêvait toujours de créer un conglo-mérat minier et métallurgique géant avec le russe Norilsk Nickel, à l’image du grou-pe minier anglo-australien BHP Billi-ton.« L’idée de la formation d’un BHP Billi-ton (premier groupe minier mondial coté en Australie et en Grande-Bretagne) reste d’actualité. L’enjeu est la création d’un leader russe global des ressources miné-rales et des métaux » avec NorNickel, avait-il expliqué au moment de l’IPO sur les marchés boursiers de Paris et Hong Kong. Rusal est le premier actionnaire de NorNickel et avait prévu de fusion-ner avec ce groupe mais le projet a été abandonné à cause de la crise fi nanciè-re mondiale et à cause de dissensions avec un autre oligarque, qui possède 25% de NorNickel, M. Vladimir Potanine. La question de la fusion des deux groupes ne devrait pas être soulevée à nouveau avant la fi n de 2011, selon un accord entre leurs deux dirigeants, qui n’y ont du reste pas intérêt dans l’immédiat en raison de l’endettement de Rusal et de la cotation élevée de NorNickel à quelque 30 mil-liards de dollars. M. Deripaska insiste néanmois dans son interview sur les « synergies potentielles existant entre nos deux groupes ». -

La situation unique de Sotchi conjugue climat subtropical et sommets enneigés.

Sotchi s'offre une cure de rajeunissement musclée

Les Jeux de Sotchi de 2014 seront les premiers jeux d’hiver à avoir lieu dans un climat subtropical - oui, ne vous moquez pas - un endroit où, les pieds dans l'eau, les fesses dans le sable, on peut voir les montagnes enneigées. Un peu comme si Nice et Les Arcs étaient des voisins immédiats. Le drapeau of-fi ciel de la ville est d'ailleurs très char-gé. Y fi gurent non seulement un pal-mier et un soleil mais aussi un nuage lâchant des fl ocons de neiges. Les Jeux jouent sur cette proximité unique entre la neige et la mer avec deux comple-xes pour les épreuves. L’un, montagnard, à Krasnaya Polyana où les sports dits « de neige » se tiendront et un autre,

en bord de mer, où se dérouleront les sports sur glace. Ces prochains Jeux Olympiques seront les premiers que la Russie accueillera depuis les Olympiades d’été à Moscou en 1980. Leur site est d’ores est déjà le grand gagnant grâce à d’importants tra-vaux de rénovation. Plus de 6,25 mil-liards de dollars vont être investis à Sotchi pour faire d’une ville provincia-le russe à l'infrastructure délabrée une métropole digne des dieux du stade. Les investisseurs privés se faisant attendre, le fi nancement sera assuré par l’Etat et des entreprises publiques.Le chantier est immense. Les installa-tions sportives, quasiment inexistantes, le réseau des transports, inadaptée, et l'hébergement, très insuffisant en capa-cité comme en qualité pour accueillir un événement de cette ampleur : tout est à reprendre ou entreprendre à par-tir de zéro. C’est évidemment une aubaine. Selon le Comité d’organisation de Sotchi, les Jeux permettront le « rajeunissement de la ville » et entraîneront une « amé-lioration signifi cative de la qualité de vie ». Sotchi va également accueillir

L’heure est aux Jeux Olympiques d’hiver de Vancouver mais la Russie se penche déjà sur la préparation des Jeux suivants, dans l'ancienne station balnéaire soviétique de Sotchi. Tout reste à construire et le gouvernement ne recule devant aucun sacrifice pour mener à bien ce chantier colossal.

KEVIN O’FLYNNSPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Jeux Olympiques Les organisateurs livrent une course contre la montre, la corruption... et les écologistes

les Jeux Paralympiques, avec obliga-tion d’être accessible aux handicapés. Un pas en avant considérable pour un pays où, même à Moscou, il est pres-que impossible de se déplacer en chai-se roulante. Les Jeux laisseront der-rière eux de nouveaux hôtels, des centres d’affaires, des salles de concerts et autres infrastructures de poids. Un

RUSAL : les chiffres qui donnent du poidsRUSAL est le numéro un mondial de l’industrie de l’aluminium. Le groupe représentait en 2008, 11% de la pro-duction mondiale d’aluminium et 13% de celle d’alumine. RUSAL emploie plus de 75 000 salariés dans 19 pays sur les cinq continents et vend essen-tiellement sur les marchés européen, japonais, coréen, du sud-est asiatique et nord-américain.

nouvel aéroport a déjà été construit. Du coup, Sotchi ressemble désormais à un immense chantier au grand dam des habitants qui perdent patience. Cer-tains ont de bonnes raisons de renâ-cler. En effet, le gouvernement s'est ar-rogé le droit d'expropriation sans recours ni débats pour les acquisitions foncières nécessaires aux Jeux. Les ré-

sidents de Imeretinskaya – le quartier où le complexe côtier sera construit - ont manifesté leur mécontentement. Ils se plaignent de harcèlement, contraints de vendre leurs maisons à des prix bien en dessous du marché. « Ils piétinent les droits des particuliers », se lamente Valery Soutchkov, chef d’une associa-tion de quartier qui fait campagne contres les ventes forcées. « Nous som-mes des victimes en sursis »Les écologistes s'inquiètent de l’impact sur l’environnement des constructions des pistes de bobsleigh, de luge et du village olympique montagnard... en plein Parc national de Sotchi. Le pré-sident Dimitri Medvedev a ordonné une surveillance constante pour prévenir toute dégradation mais des organisa-tions écologiques comme le WWF ti-rent déjà la sonnette d'alarme.La question de l'utilisation des 6,25 mil-liards de dollars est également dans tous les esprits. Le président lui-même admet que la corruption en Russie atteint des proportions catastrophiques. Le nou-veau risque de détournement des de-niers publics que présentent les Jeux va nécessiter un sérieux contrôle... -

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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RUCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

03Économie

En bref Le vin français 30 fois plus cher en RussieL’agence anti-monopole envisage l’ouverture d’une d’enquête après constat des prix faramineux du vin importé de France dans les magasins russes. Soupçonnant l’existence d’une connivence entre les importateurs, elle va maintenant leur chercher les poux dans la tête. Selon le patron de l’agence Igor Artemiev, une bouteille de vin qui coûte 5 euros en France peut en valoir en Russie jusqu’à 150. Les amateurs de vins français résidant à Moscou constatent amèrement cette anomalie, ce qui pousse nombre d’entre eux à découvrir les vins du Nouveau Monde, dont les prix sont bien plus modestes. Les importateurs se défendent en accusant la douane russe d’extorquer des... pots-de-vin !

Dans le cadre de l'année croisée Fran-ce-Russie, l’agence française pour le développement international des entreprises Ubifrance emmènera, tout au long de l’année, 700 entreprises françaises en Russie sur plus de 25 opérations dont trois événements ma-jeurs : une exposition d’art de vivre à la française dans la salle du Manège de Moscou, une journée des vins et spiritueux français et un forum d’affai-res multisectoriel qui réunira plusieurs centaines d’entreprises des deux pays. En septembre 2010, l’agence ouvrira ses propres bureaux à Moscou, Saint-Pétersbourg et Ekaterinbourg, dédiés exclusivement à l’accompagnement des entreprises souhaitant développer leurs activités sur le marché russe.

700 sociétés françaises prospectent à Moscou

Le Kremlin a acquis début février un emplacement de premier choix dans la capitale française, pour une somme non dévoilée, a révélé Viktor Khrekov, porte-parole de l'administration pré-sidentielle. Moscou projette d’y faire construire une cathédrale orthodoxe et une séminaire. La Russie n’a pas procédé à de semblables acquisitions depuis 1917, a précisé M. Khrekov. Ce terrain, qui appartenait jusque là à l'Ins-titut national de météorologie, se situe entre l'attraction parisienne préférée des touristes russes et le pont Alexan-dre III construit en 1896 pour célébrer les liens entre la France et la Russie. L'édition russe de l’hebdomadaire amé-ricain Newsweek affirme que la valeur du terrain serait d’environ 60 millions d’euros.

Une église orthodoxe au pied de la Tour Eiffel

Salon international de l’agricultureDu 27 février ou 7 mars 2010, Paris Expo Porte de VersaillesInvitée du 47e Salon de l’Agricul-ture, la Russie y présentera une ex-position illustrant le dynamisme et les atouts du pays le plus vaste du monde dans l’industrie agroalimen-taire et l’avenir de ce secteur.http://www.salon-agriculture.com

Affairesà suivre

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Transferts de technologies Le savoir-faire contre les clés du marché russe

Les technos françaises bienvenuesMoscou brûle d’impatience pour obtenir les technologies de pointe nécessaires à la modernisation de son économie. Quitte à exiger bien souvent, des investisseurs stratégiques étrangers, des transferts de technologie en échange de l’ouverture de son marché.

MAUREEN DEMIDOFFSPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

La VnechEkonomBank devrait parrainer la future agence russe d’assurance des exportations, créée sur la base de la RosEksImBank. Selon les experts, cet organisme calqué sur ses pairs étrangers permettra d’augmenter les volumes d’exportation de produits de haute technologie.

ARAM TER-GAZARIANSPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Présente dès 1998 sur le marché russe, la France était en bonne position pour combler certains défi cits technologi-ques de son partenaire. Les échanges ont porté sur l'efficacité énergétique, l'amélioration des méthodes de raf-fi nage et l'augmentation de la pro-duction des groupes pétroliers ou en-core la modernisation des centrales thermiques. En 2004, l'Hexagone a senti qu'il avait une carte à jouer dans le secteur de l'énergie, et particuliè-rement dans le domaine de l'effica-cité énergétique en Russie. A cette époque, Paris était disposé à réaliser des transferts massifs de technologie de pointe et avait contracté de nom-breux accords, qui sont toujours d'ac-tualité. Le meilleur exemple est celui de Total, qui explore le grand gise-ment gazier en devenir de Chtokman, prometteur mais lourd de défi s tech-nologiques et fi nanciers pour les Fran-çais, et révélateur des problèmes aux-quels font face les Russes pour augmenter leur production : des pro-blèmes qui ne peuvent être résolus sans un savoir-faire étranger. La Fran-ce possède, en effet, la technologie permettant de séparer le pétrole du gaz, alors que la Russie n’utilise tou-jours pas le gaz qu'elle extrait du pé-trole.Ces dernières années, les Français ont pris une place de choix dans l'aéro-nautique. Plus d'un tiers des techno-logies utilisées pour la conception du Superjet-100, premier avion commer-cial russe construit depuis la chute de l'Union soviétique, sont françai-ses. Le russe Sukhoï s’est associé à de grands industriels français comme Thalès et la SNECMA. Cette derniè-

La Russie envisage enfin la création de sa propre COFACE

Faute de fi nancement, une première ten-tative de créer une telle agence en Rus-sie avait échoué au milieu des années 90. Par la suite, le gouvernement a pris conscience de l’impérieuse nécéssité de soutenir les exportateurs par des me-sures différentes, qui prirent la forme de garanties aux exportateurs de pro-duits industriels, de prise en charge d’une partie des taux de crédits export, de crédits export et d’assurances des contrats export contre les risques com-merciaux et politiques. Mais l’absence d’un organisme spécifi que pour ces aides désavantageait les exportateurs de pro-duits manufacturés russes et continue d’handicaper leur compétitivité.Le contrôle de l’agence doit être condié la banque publique Vneshekonombank

et l’assureur, la Roseksimbank, qui a été fondée à cette fi n dès 1994 sur dé-cret du premier président de la Fédé-ration de Russie, Boris Eltsine. L’Etat participera au capital social de l’agen-ce à hauteur de 30 milliards de roubles (1 milliard de dollars environ). L’agen-

ce devra assurer les risques des expor-tateurs et des banques en leur accor-dant des crédits, ce qui servira automatiquement à promouvoir les ven-tes de produits nationaux à l’étranger. Vneshekonombank, qui assurait déjà les crédits à l'exportation contre les ris-

re a créé une « joint-venture » avec le russe NPO Saturn pour la fa-brication du moteur. Les coopérations fl eurissent également dans le domaine des télécoms avec Alcatel et Rostechnologie, qui font cause commune pour développer les réseaux russes, et elles vont bon train dans le secteur des infrastructures où Vinci a signé avec le russe Rosavto-dor le contrat de concession du pre-mier tronçon de l'autoroute à péage Moscou-Saint-Pétersbourg. De son côté, Bouygues a remporté un appel d'offre relatif au contournement autoroutier de Saint-Pétersbourg. Et Alstom a noué un partenariat avec le principal équipementier ferroviaire russe, TransMachHolding, relançant ainsi l'idée de créer une nouvelle ligne à très grande vitesse entre Moscou et Saint-Pétersbourg.Même dans le domaine ultra-sensible du militaire, la France vend des tech-

nologies de pointe telles que des ca-méras thermiques ou du matériel de conduite de tir pour chars par le biais du groupe Thalès, travaillant avec des entreprises russes pour produire ce même type d'appareil que la Russie réservera ensuite à son marché d'ex-portation. La même Russie a manifesté sa vo-lonté d'acheter à la France le navire Mistral, bien qu'elle se considère ca-pable de fabriquer elle-même ce type de bateau pour au moins 80% du prix demandé par Paris. Mais c’est surtout là l'occasion pour les Russes d'acqué-rir des licences de fabrication relati-ves au système de navigation et de propulsion qui lui permettra de mo-derniser leurs chantiers navals.Dans le domaine spatial, Moscou s'in-téresse aux technologies que les diri-geants avaient choisi de ne pas déve-lopper pendant la période soviétique, comme les procédés à usage civil, les

satellites de cartographie, l'électroni-que embarquée ou les capteurs pour l'observation de la terre. Mais ici, la France semble peu encli-ne aux transferts, pour des raisons de sécurité. « Il s'agit de technologies ex-trêmement sensibles. Et entre la Fran-ce et la Russie, la confi ance mutuelle n'est pas suffisante », explique Isa-belle Sourbes Verger, spécialiste des transferts de technologie dans le do-maine spatial au CNRS. « Aussi les deux pays préfèrent-ils multiplier les coopérations pour que chacun garde sa technologie : on fabrique chacun de son côté, et on assemble les pro-ductions à la fi n ». Dans ce secteur, les experts s'accor-dent plutôt à parler de « transferts géographiques » et du besoin « d'ap-prendre à travailler ensemble », comme pour le partenariat « Soyouz en Guya-ne », dont le lancement est prévu en 2010, année France-Russie. -ques commerciaux et politiques, a at-tendu la fi n 2008 pour revenir à l’idée de créer une agence. Avec une bonne année de retard, le gouvernement de Vladimir Poutine s’est décidé à soute-nir cette initiative. Pour le porte-paro-le du premier ministre, Dmitri Peskov. « la nécessité d’une telle agence est évi-dente. En période de crise et d’après-crise, il est très important de promou-voir les exportations, en premier lieu pour assurer le développement des ca-pacités de production ».La stimulation des exportations par une assurance spéciale est depuis longtemps en place dans les grandes économies. Les noms les plus connus sont Ex-Im Bank (Etats-Unis), Hermes (Allema-gne), Coface (France) et Département des garanties de crédits à l’exportation (Grande-Bretagne). Les principales mis-sions de ces structures sont d’assurer contre les risques politiques, de mettre en œuvre les stratégies nationales d’ex-portation et de renforcer le système de d’aide au commerce, y compris les me-sures protectrices. Selon le Service fé-déral des statistiques, en 2009 le volu-me des exportations a chuté de 40% en 11 mois, pour redescendre à 270 mil-liards de dollars. Le premier ministre Poutine avait apparemment anticipé ces résultats, car dès le printemps 2009 il a demandé au ministre des Finances, Alexeï Koudrine, d’accélérer la créa-tion d’un outil de soutien des exporta-tions. Le processus est lancé mais le calendrier de sa mise en place reste fl ou et les exportateurs s'impatientent. -

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La proposition de la Russie d’acheter un Mistral est accueilie favorablement par la France.

Publicité encourageant les exportateurs sur fond de palais du gouvernement.

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04LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RUCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO Transports

Aéroports La bataille fait rage pour attirer les grandes compagnies aériennes

Moscou veutrelier l’Asie à l’EuropeLa capitale russe ambitionne de former une plateforme aérienne unique. Celle-ci pourrait attirer tous les flux commerciaux entre l’Union européenne et la Chine. Mais les onéreuses royalties exigées par la Russie, et la rivalité entre les trois aéroports de Moscou restent de gros obstacles.

IRINA SOUKHOVA, VIKTOR KUZMINSPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

« Des fi les d’attentes interminables, des douaniers perpétuellement de mauvai-se humeur, des couloirs sombres et ce stupide dessin sur le toit, c’est le sou-venir que j’ai de l’aéroport moscovite typique des années 1990 », rapporte Eugène Ponamorev, un ingénieur in-formatique russe qui a déménagé aux Etats-Unis en 2000. Pour la grande ma-jorité des étrangers visitant Moscou jusqu'en 2004, cette description conve-nait très exactement à Cheremetievo et c'était leur première vision - peu at-trayante - de la Russie.Exposés aux pressions de l’économie de marché et d’une forte concurrence, les aéroports de Moscou (et Chereme-tievo en particulier) sont en phase de

transformation accélérée tant du côté de l’architecture que du service et des systèmes logistiques.L’aéroport Cheremetievo, le deuxième de la ville en nombre de passagers après s'être fait battre à plate couture par le nouvel aéroport privé Domodedovo, a fait la une des journaux l’automne der-nier en inaugurant le tant attendu Ter-minal D. D’ici le printemps, le nouveau terminal desservira tous les vols do-mestiques et internationaux d’Aerofl ot, ainsi que tous les vols de ses partenai-res SkyTeam (y compris Air France). Voulant éviter les mêmes problèmes que ceux rencontrés par l'aéroport londo-nien de Heathrow (30 000 bagages ont

14 millions de passagers passent chaque année par Cheremetievo, le plus ancien aéroport international de Moscou.

été perdus lors que la mise en service du Terminal 5), la direction de Chere-metievo décida d'entrée de jeu d'utili-ser des scanneurs de bagages plusieurs mois avant l'ouverture du Terminal D.

Au terme de la période d'essai, un exer-cice grandeur nature a été organisé, lors duquel 600 personnes ont joué le rôle de passagers avec 5 000 unités de ba-gages à traiter. La direction de l'aéro-port s'est dite satisfaite du résultat des tests et a adopté illico le système de scannage. On espère que les passagers en seront aussi satisfaits.

Frais de SurvolL’émergence de la Chine fait miroiter à Moscou la possibilité de devenir un « hub » majeur pour les fl ux commer-ciaux Est-Ouest du XXIe siècle. En 2006, les vols vers la Chine représen-taient déjà presque 1/5ème du trafi c aérien européen vers l'international.

Un obstacle majeur reste les royalties exigées par la Russie pour le survol de la Sibérie par les compagnies étrangè-res. Des frais sont ensuite distribués entre des agences fédérales et Aerofl ot, la plus grande compagnie aérienne du pays. Les étrangers jugent ces royalties injustifi ées et contournent du coup la Russie, revigorant ainsi les « hubs » aériens au Moyen-Orient et en Asie cen-trale. Par exemple, le Kazakhstan a construit plusieurs aéroports ultra-mo-dernes, y compris dans la capitale, As-tana, attirant de la sorte les compagnies qui volaient depuis l’Europe vers l’Asie en passant par la Sibérie.La crise mondiale a enterré visiblement tout espoir de progrès sur ce dossier et

Interconnexion : une solution est à l'étudeLe métro vient à la rescousse de l'avi-on. Selon Vassili Kitchedji, directeur du département Transport et Commu-nications de Moscou : le problème de la distance entre les terminaux pourra également trouver réponse dès 2012. Une interconnexion au niveau du mé-tro devrait être créée pour permettre

aux passagers se rendant dans les aé-roports de transiter par une nouvelle station, appelée Kalantchevskaïa. Cel-le-ci se trouvera à proximité des trois principales gares de la capitale : Lenin-gradski, Iaroslavski et Kazanski, soit à quelques stations des trois autres ga-res moscovites.

trouvés entre les mains de pays indé-pendants. Les ports russes ont forte-ment souffert de la concurrence de leurs voisins. Dans les années 1990, 60% des cargaisons russes, y compris le pétrole, transitaient par les ports ukrainiens et baltes. Cette dépendance vis-à-vis des pays de transit, propre au marché des matières premières, a compliqué les re-lations déjà difficiles avec les ex-répu-bliques vassales de Moscou. Désormais, les ports russes se battent avec succès pour reprendre les clients de l’ex-URSS. La politique tarifaire protectionniste des Chemins de fer de

Russie, visant à soutenir les ports rus-ses, est d'une aide précieuse. Mais d'autres facteurs séduisent les clients, comme les investissements destinés à réduire le retard technologique des ports russes sur leurs voisins. La construc-tion de nouveaux terminaux et la re-construction de terminaux existants sont effectivement prévues ou sont en cours de réalisation partout dans le pays. Et surtout, cela concerne les terminaux du marché des exportations essentiel-les de la Russie, à savoir le pétrole et les produits pétroliers. En sept ans,10,5 milliards d’euros, dont 1,2 milliard issus

du budget fédéral, ont été investis dans la construction de nouvelles installa-tions de manutention (304 millions de tonnes), de quais d’accostage (10 km en mètres linéaires), et dans les capacités de rotation des navires(153 bâtiments représentant au total 8,1 millions de tonnes). Une somme colossale pour le secteur.Dans les années 2000, de nouvelles ins-tallations de transbordement de pétro-le ont été lancées au nord-ouest de la Russie, à Primorsk et Vissotsk, dans la région de Leningrad. Primorsk n’a cessé d’augmenter ses volumes d’exportation de pétrole et est devenu le port le plus important de son secteur au nord-ouest du pays. Novorossiïsk, deuxième port russe pour le trafi c pétrolier qui a mis en service en 2009 un nouveau système de contrôle des hydrocarbures, est en train de reconstruire son principal ter-minal et un quai supplémentaire. En tout, le Ministère du Transport pré-voit d’augmenter la capacité des ports russes de 454 millions de tonnes par an. Le montant approximatif des in-vestissements est estimé à 630 milliards de roubles (15 milliards d’euros), dont 182 milliards de roubles (4,3 milliards d’euros) du budget fédéral, soit plus de la moitié des dépenses totales pour les infrastructures de transport. Cet argent servira non seulement au développe-ment des terminaux de produits pétro-liers, mais également aux terminaux de charbon (à Oust-Louga, Vanino, Vos-totchny, Taman, Mourmansk) et de

conteneurs (Vostotchny, Saint-Péters-bourg, Oust-Louga, Novorossiïsk). Les produits pétroliers passent égale-ment par les nouveaux terminaux rus-ses. En mai 2008, le premier ministre russe Vladimir Poutine a indiqué qu'il est « tout à fait possible de faire pas-ser les capacités de transbordement de ce terminal à 24 millions de tonnes contre 8,4 millions de tonnes actuelle-ment, ce qui implique un rapatriement des volumes d'exportation transbordés dans les pays baltes vers les ports rus-ses ». Pour répondre à cet objectif, la construction de nouveaux terminaux de produits pétroliers est prévue à No-vorossiïsk, Mourmansk, Kozmino, Touapsé et Oust-Louga.Le port plurifonctionnel d’Oust-Louga jouera un rôle essentiel dans ces pro-jets. Actuellement en cours de construc-tion dans la région de Leningrad, il fi -gure, avec ses quelques terminaux ouverts, dans tous les plans du minis-tère des Transports. Le plan général ini-tial de 2004 prévoyait que dans la phase fi nale, le débit d’Oust-Louga serait de 35 millions de tonnes par an seulement. « Le port assurera 25% de tous les be-soins portuaires dans la région balti-que, devenant ainsi un sérieux concur-rent pour d’autres ports baltes, et il pourra attirer des fl ux de trafi c de mar-chandises, notamment sur la ligne Transsibérienne et la ligne Baïkal-Amour, ce qui permettra d’augmenter le potentiel de transit de la Russie », estime le directeur des Chemins de fer de Russie, Vladimir Iakounine. Mais les projets d’Oust-Louga sont aujourd’hui beaucoup plus ambitieux. Aux alen-tours de 2015-2020, sa capacité devrait passer à 120 millions de tonnes. Soit un peu moins du tiers du trafi c des mar-chandises du port de Rotterdam en 2009, l’un des plus grands ports au monde.Au terme des travaux réalisés actuel-lement, les infrastructures portuaires de Russie atteindront une capacité de 770 millions de tonnes de marchandi-ses, dont 700 millions de tonnes pré-vues par le ministère des Transports pour 2016, plus 15% de marge en cas de reprise de la demande globale plus forte que prévue. -

Malgré la baisse des échanges commer-ciaux internationaux, les ports mariti-mes de Russie sont l’un des rares sec-teurs de l’économie russe à avoir, en 2009, connu une augmentation de leur trafi c de marchandises. Mais si la crois-sance est impressionnante (environ 9,2%), le volume (500 millions de ton-nes) reste modeste par comparaison avec les leaders mondiaux. Reste que la ten-dance porte à l'optimisme puisque si l’on prend l’évolution sur les dix der-nières années, le taux de croissance en volume atteint 250%. La Russie vise à reprendre une position de puissance portuaire mondiale. Elle revient de loin. A l’époque sovié-tique, le développement des ports de la République russe était loin d'être la priorité des autorités. Les efforts se concentraient sur les sites portuaires d’Ukraine et des pays baltes. Du coup, après la chute de l’URSS, les ports construits autrefois par un Etat uni-que, où la majeure partie du budget était fournie par la Russie, se sont re-

Infrastructure Moscou face à la concurrence maritime de l’ex-URSS

Les ports russes chassent dans les eaux de leurs voisinsFâché de voir une grande partie des exportations russes (y compris les hydrocarbures) transiter par les ports de l'ex-URSS, le Kremlin a concocté une politique à la fois ambitieuse et protectionniste pour rapatrier le transbordement sur ses propres infrastructures portuaires.

IRINA SOUKHOVASPECIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

La Russie augmentera la capacité de ses ports à 454 millions de tonnes par an.

Composition du trafi c des marchandises d’exportation des ports russes par principaux types de cargaisons

Structure du trafi c de marchandisesdes ports russes en 2009

Trafic des marchandises en 2009 (mln de t.)

Evolution par rapport à 2008 (en %)

Cargaisons liquides 230,6 9,30%Charbon 63,9 20,40%Métaux ferreux 27,6 14,30%Blé 21 130,70%Minerai 4,1 110,30%Métaux non ferreux 4,1 3,60%Engrais minéraux 10 -14,60%Bois 5,8 -34,70%Cargaisons en containers 8,3 -4,10%

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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RUCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

05Énergie

Le Terminal D, inauguré cette année, va accueillir les compagnies de Skyteam.

fait fi gure de point noir dans les négo-ciations pour l'accession de la Russie à l'OMC. Il n'est un secret pour personne qu'Aerofl ot compte beaucoup sur cette cagnotte qui lui tombe littéralement du ciel pour enjoliver ses résultats fi nan-ciers.

Une rivalité moscoviteL'autre handicap est la concurrence que se livrent les trois aéroports internatio-naux de Moscou, très éloignés les uns des autres et appartenant à trois pro-priétaires différents. Domodedovo, le plus grand aéroport russe (20 millions de passagers en 2008) appartient à la compagnie privée East Line. Chereme-tievo (14 millions) est contrôlé par l’Etat

et Vnoukovo (8 millions) relève la mai-rie de Moscou.Grâce au Terminal D, Cheremetievo de-viendra sans doute un « hub » interna-tional pour l’Alliance SkyTeam dont Aerofl ot est membre depuis 2005. L'ab-sence complète de coordination entre les trois aéroports rend l'ambition mos-covite fort incertaine... -

Bien que le secteur énergétique affi-che un fonctionnement dans l’ensem-ble stable, l’état et le niveau technique des installations opérationnelles de-viennent critiques, selon le chef du Conseil des industries pétrolières et gazières de la Russie et ancien minis-tre des combustibles et du secteur éner-gétique, Youri Chafranik. Compte tenu de la nécessité pour la Russie de s’af-franchir de sa dépendance envers les pays de transit et son intention d’élar-gir sa présence sur les marchés effer-vescents d’Asie, Moscou a par ailleurs estimé que la construction de nouveaux pipelines serait plus logique que la ré-novation des anciens.Gazprom note que 38% des gazoducs du groupe sont âgés de 10 à 20 ans, et 18% d’entre eux ont plus de 33 ans (la durée de vie moyenne d’un gazoduc est de 30 ans). Au cours de la dernière décennie, l’industrie du gaz russe a procédé à la reconstruction de plus de 10 gazoducs, ainsi qu’au remplacement et à la modernisation des moteurs à turbine des stations de compression. Cependant, il est impossible de rapié-cer indéfi niment les ferrailles soviéti-ques qui commencent à rouiller. Selon Andreï Kobyakov, le plus profi -

table d’un point de vue stratégique pour la Russie est de construire de nou-veaux réseaux de tuyauterie, ce qui ré-soudrait en outre partiellement le pro-blème de la dépendance envers les pays de transit, notamment l’Ukraine, la Biélorussie et la Pologne.Parmi ces itinéraires alternatifs, les projets tels que le Système d’oléoducs de la Baltique (BTS-2), Nord Stream et South Stream sont examinés. Le pi-peline BTS-2 amènera le pétrole russe (la capacité du projet est de 50 mil-lions de tonnes) jusqu’à Oust-Louga

où, actuellement, se construit le port le plus important de Russie, avec un trafi c de marchandises prévu de 120 millions de tonnes par an (plus de 2/3 de la capacité portuaire de l’Ukraine entière). Les nouveaux projets de ga-zoducs sous-marins, Nord Stream et South Stream, sont destinés à remplir des fonctions similaires. Ainsi, le Nord Stream devrait passer par le fond de la mer Baltique, depuis la côte russe vers Vyborg jusqu’à la côte allemande à proximité de Greifswald, et le South Stream devrait contourner l’Ukraine de la côte de la mer Noire jusqu’à la Bulgarie ou la Roumanie, puis conti-nuer jusqu’au sud de l’Italie et jusqu’à l’Autriche. Les deux gazoducs, Nord Stream et South Stream, sont appelés

à remplacer totalement le réseau de transport de gaz de l’Ukraine qui, pour le moment, reste la seule et unique voie d’acheminement du gaz russe vers l’Eu-rope. Le débit total des deux gazoducs s’élève à 118 milliards de mètres cubes par an, soit la capacité actuelle du tran-sit du gaz de l’Ukraine.Conformément à sa nouvelle stratégie énergétique, la Russie va seulement dé-velopper certains éléments de l’infras-tructure existante du secteur énergé-tique : des gazoducs (Nord Stream et South Stream) et des oléoducs en di-rection de l’est (l’oléoduc Sibérie orien-tale - océan Pacifi que connu aussi sous l’acronyme russe VSTO), mais aussi l’extension des infrastructures d’ex-portation du gaz naturel liquéfi é (GNL) et des produits pétrochimiques. La stra-tégie énergétique prévoit également la reconstruction des centres de trans-bordement maritimes existants et la construction de nouveaux centres de transbordement pour l’exportation des produits pétroliers et du GNL (Extrê-me-Orient, Primorski kraï et Krasno-darski kraï, régions de Leningrad et de Kaliningrad). La modernisation du secteur énergé-tique comporte encore un aspect ur-gent : celui des économies d’énergie. Actuellement, une unité de production en Russie consomme trois fois plus d’énergie que dans les pays occiden-taux, et même 1,5 fois plus d’énergie que par le passé, en Union soviétique. Selon les estimations du ministère de l’Industrie, lorsque ce gaspillage sera maîtrisé, on observera une augmenta-tion de la production dans le secteur énergétique de 250 millions de tonnes d’équivalent pétrole par an. -

Un ambitieux programme de modernisation des pipelines se met en place pour assurer la pérénnité du secteur énergétique russe. Les tensions incessantes avec les pays de transit et le vieillissement des « tubes » ont contraint Moscou à redessiner son réseau et à l’étendre.

YOURI SOLOZOBOVLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Moscou estime que la construction de nouveaux pipelines serait plus logique que la rénovation des anciens

L’émergence de la Chine fait miroiter à Moscou la possibilité de devenir un « hub » commercial majeur entre l’Europe et l’Asie.

Sus aux pays de transit ! Le Kremlin développe tous azimuts sa « tuyauterie »

Energie Modernisation du réseau de pipelines

Pendant que l'attention du Kremlin était accaparée par ses problèmes avec l'Ukraine, une brèche a été ouverte sur le front de l'Est. La mainmise impéria-le de la Russie sur les producteurs d’hy-drocarbures en Asie centrale - héritée de l’Union soviétique sous forme d’oléo-ducs et gazoducs... - c'est fi ni !Un nouveau gazoduc traversant le Turk-ménistan, pays riche en réserves de gaz, en direction de la Chine, change la donne en rejoignant un autre gazoduc, issu du Kazakhstan, déjà en marche. Le Kremlin contre-attaque en construi-sant d’autres gazoducs tournés vers l’Est. Cette vague de nouveaux gazo-ducs tend à mettre en place de meilleu-res relations énergétiques entres les continents européen et asiatique. Des routes concurrentes obligeront à la fois l’acheteur et le vendeur à placer les in-térêts économiques au-dessus des dif-férends politiques.

L’oléoduc TransAsia change la donneLe 14 décembre le président chinois Hu Jintao s’est joint à son homologue turk-mène Gurlanguly Berdymukhamedov pour inaugurer l’oléoduc TransAsia, qui permet à une Chine affamée d’énergie d’exploiter les copieuses réserves de gaz

Énergie Pékin étreint rapidement et sûrement l'Asie centrale avec ses pipelines

Les Chinois grignotent le vieux monopole russeAlors que Moscou tente avec succès de bloquer les tentatives européennes d'accéder directement au gaz d'Asie centrale, la Chine perce le front de l'Est de l'ex-empire soviétique avec un gros gazoduc qui fait l’effet d’un pied-de-nez et porte un coup aux intérêts russes.

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Une fois construits, les gazoducs et oléoducs sont l'équivalent géopolitique d'un mariage

de l’Asie centrale. Selon Philip H. de Leon, l’éditeur de OilPrice.com, « le nou-vel gazoduc marque un changement de pouvoir économique au profi t de trois pays de l’Asie centrale, et de la Chine au détriment de la Russie ». Le gazoduc Transasiatique a coûté 6,7 milliards de dollars. C’est le premier en provenance de la région de la mer Caspienne et en direction de l’est, re-liant les réserves turkmènes au gazo-duc West-East chinois. Désormais, le gaz du Turkménistan peut être acheminé jusqu’à Shanghai ou Hong Kong. Le tuyau véhiculera jusqu’à 40 millards de mètres cubes d’ici 2013, soit la moitié des besoins gaziers de la Chine.L’importance croissante de la Chine dans la région oblige le Kremlin à imi-ter son initiative. En novembre dernier, Vladimir Poutine a signé un accord qui promet de livrer 68 millards de mètres cubes par an à Beijing à travers deux nouveau gazoducs installés en Sibérie et qui fourniront à la Chine l’autre moi-tié de gaz dont elle a besoin.Ce nouvel accord russe constitue un brusque volte-face pour le Kremlin, traditionnellement très méfi ant vis-à-vis de son voisin oriental. Les gazo-ducs et les oléoducs sont des monstres politiques lors des étapes de planifi -cation, mais une fois construits, ils sont l’équivalent géopolitique d’un maria-ge.Le gazoduc turkmène suit les traces d’un nouvel oléoduc kazakh en direc-tion de la Chine, ce qui donne forme à une infrastructure de transport éner-gétique à visage oriental. La première étape de l’oléoduc kazakh a été mise en œuvre en juillet dernier et la se-

conde phase a pour but d’acheminer les ressources kazakhes de la mer Cas-pienne vers la Chine.

Le Front Occidental tient encoreLes deux gazoducs chinois défi ent la Russie dans le jeu énergétique et ont cassé le monopole russe de transport d’hydrocarbures depuis la région de production vers les pays consomma-teurs de l’Europe occidentale.Cependant, la concurrence croissante

oblige le Kremlin à réagir et à défi er à son tour la Chine en renforçant son in-frastructure de transport existante. En outre, contourné par les pays clients, Moscou se venge en contournant les pays de transit.D'où NorthStream et SouthStream, qui feront la nique à l'Ukraine, tout en affrontant la concurrence de Na-bucco. En empruntant quasiment la même route, ce dernier acheminera le gaz de l’Asie centrale en contournant la Russie. Or, la demande existante ne

justifi e qu’un seul gazoduc. C'est soit Nabucco l'européen, soit le russe SouthStreamMoscou n'est pas trop mal placé, car TransAsia ne va en fait qu'absorber l’ex-cédent du gaz turkmène que Gazprom n'aurait pas, de toute façon, voulu trans-porter. Toutefois, en matière d'énergie, il ne faut jamais dire jamais... Des rebondissements sont à prévoir. Cer-tains acteurs pourraient radicalement changer la donne en construisant de nouveaux pipelines. -

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06LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RUCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO Régions

« Nous n'étions qu'une boite postale », m’explique le guide du musée histori-que de Krasnoïarsk, une jeune femme sobrement vêtue mais étrangement char-mante, en faisant allusion au nom so-viétique de la ville, Krasnoïarsk-45. Pen-dant la Guerre froide, ce genre de villes, généralement construites autour d’une unique usine spécialisée dans l’arme-ment, n’étaient indiquées sur aucune carte, bien qu’il en existât des dizaines sur tout le territoire de l’ex-URSS. Notre visite est liée à un événement de portée internationale : Michael Mc-Murphy, directeur de l'amont du géant d'Etat nucléaire français Areva, conduit une délégation pour l’inauguration du premier complexe commercial en Rus-sie destiné à la reconversion et le stoc-kage d’uranium appauvri. C’est aussi la première exportation de cette tech-nologie française dans un autre pays. A trois heures de bus de la capitale ré-gionale de Krasnoïarsk, le visiteur n’est autorisé dans la périphérie de Zeleno-gorsk qu’après un sérieux contrôle au « check-point » du Service de sécurité de l’usine. Le feu vert obtenu, il parcourt alors des kilomètres parsemés de dat-chas. Nombreux sont les résidents de l’agglomération employés directement ou indirectement par l’usine électromé-canique de Zelenogorsk (où fut dévoilé le nouveau complexe), entourée d’une barrière supplémentaire de sécurité. La ville de 70 000 habitants abrite égale-ment des garderies, des écoles, des ban-ques et un sanatorium. La place centra-le de Zelenogorsk, où se dresse une statue de Lénine, ressemble à toutes cel-les des villes de province russes, quoi qu'un peu mieux entretenue. Le visiteur est immédiatement frappé par une vi-sion quasiment fi gée dans le temps : les allées spacieuses et l’absence d’étran-gers dans les rues. Au restaurant « Iolka » (sapin), on bai-

Cachée dans les collines de la région de Krasnoïarsk, au cœur de la Sibérie, la ville de Zelenogorsk est un microcosme du développement économique de la Russie. Vingt ans après la chute du rideau de fer, la ville est toujours isolée et n’évoque en rien le centre majeur de technologies renouvelables qu’elle est appelée à devenir. Pourtant, les experts russes espèrent qu’elle deviendra un maillon essentiel du développement de l’énergie durable.

ARTEM ZAGORODNOVLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

gne dans une musique des années 1980. L'amabilité des serveurs sort tout droit des fi lms soviétiques et complète avec perfection le mobilier désuet.

Enfermée dans le passé Zelenogorsk fut fondée au milieu des années 1950 pour devenir centre d’en-richissement d’uranium, à l’aube de l’âge nucléaire. La situation géographique avait été choisie au hasard, avec pour seul impératif l’éloignement des fron-tières. Les ingénieurs qui l’ont conçue ont dû jurer d’ en garder le secret jusqu’à la fi n de leur jours. Bien qu’isolés (ou plus exactement parce qu'isolés) du monde extérieur, les habitants des vil-les fermées, comme Zelenogorsk, béné-fi ciaient d’un niveau de vie et de consom-mation bien au-dessus de la moyenne soviétique.C'est Daria Ozerova, l'attachée de pres-se d’Atomenergoprom, la holding fédé-rale regroupant toute l’industrie nucléai-re civile de la Russie, qui est chargée de répondre précautionneusement à nos questions. Elle attribue la baisse de la demande d’uranium enrichi, survenue au moment de la chute de l’URSS, à la vague des privatisations qui priva l’in-dustrie nucléaire russe d’investissements. A cette époque, le marché mondial d’ura-

nium enrichi ne s’était pas encore dé-veloppé et les résidents de Zelenogorsk durent chercher d’autres sources de re-venus lorsque les commandes d’État ces-sèrent brutalement. « Au milieu des années 1990, contrai-rement à la plupart des ville fermées, nous n’avons jamais connu les retards de paiement des salaires », raconte le guide du musée en s’arrêtant fi èrement devant une télévision. Afi n de survivre à la chute de la production, Zeleno-gorsk s’est reconverti en producteur de biens de consommation, développant sa propre marque d’appareils électro-ménagers. En 1992, le président Boris Eltsine signa un décret autorisant les villes fermées à utiliser les appellations historiques de leurs régions. Même si leur existence n’est plus niée officiel-lement, leur avenir demeure incertain. 42 villes fermées sont répertoriées en Russie aujourd’hui, la plupart sont ad-ministrées par le ministère de la Dé-fense et les autres, comme Zelenogorsk, par l’Agence fédérale d’énergie atomi-que Rosatom. « Les années 1990 furent difficiles », se souvient notre guide personnel, Serguei. « Différents hommes politiques venaient de Moscou, nous promettaient de l’aide. Mais seuls nos gouverneurs ici, sur place,

ont tenu leurs promesses ». Les choses ont commencé à s’arranger après la si-gnature du programme « Mégatonnes vers mégawatts » en 1993, dans le cadre des accords de non-prolifération entre les États-Unis et la Russie. Depuis 1995, 375 tonnes d’uranium enrichi ont été retraitées (soit l’équivalent de 15 000 ogi-ves nucléaires).

Des clients américains C'est la conception et l’exploitation des centrifugeuses à enrichissement d'ura-nium qui maintient Zelenogorsk dans son statut de ville fermée. Les ingé-nieurs qui l’ont conçue (dans une usine de la région de Vladimir, à des milliers de kilomètres de là) sont à ce jour en-core interdits de sortie du territoire russe. Alors que les réacteurs atomi-ques requièrent de l’uranium faiblement enrichi (contenant de l’oxyde d’uranium avec 3-5% d’U 235), pour l’armement nucléaire, on utilise de l’uranium hau-tement enrichi (à environ 90% d’U 235). Les centrifugeuses de Zelenogorsk ont été utilisées pour appauvrir l’uranium à destination de l’industrie nucléaire civile américaine. Depuis 1995, cet ura-nium a servi de combustible pour des centrales qui ont généré 10% de l’élec-tricité des États-Unis.

Résoudre la crise énergétique A l’issue de discussions au bureau cen-tral de l’usine, nous sommes montés dans un car LAZ, de fabrication ukrainien-ne, pour visiter les espaces en plein air du site, sous l’œil sévère d’un garde mi-litaire. On pouvait apercevoir, par la fe-nêtre, l’étendue du délabrement résul-tant des catastrophiques années 1990. La plupart des immeubles et des routes semblaient ne pas avoir été entretenus depuis l’époque soviétique.Areva développe à Zelenogorsk son pro-pre complexe pour convertir et stocker l'uranium appauvri. Il s'agit plus pré-cisément d'un isotope de l'uranium (l'U-238), un combustible particulièrement intéressant parce qu'il peut être utilisé dans un cycle complètement fermé. Une centrale nucléaire pourrait ainsi théo-riquement fonctionner uniquement grâce aux résidus de l'enrichissement. « C’est comme si nous avions une sour-ce d'énergie éternelle », n'hésite pas à affirmer Ozerova.Selon Randy Beatty, chef de projet sur les nouveaux réacteurs et cycles du com-bustible nucléaires de l’Agence inter-nationale de l’énergie atomique (AIEA), « de telles technologies appartiennent à un futur éloigné. Au-delà des coûts astronomiques, des problèmes persis-

Zelenogorsk Perdue au fin fond de la Sibérie, cette ville conçoit des technologies nucléaires du dernier cri

Le charme suranné des villes secrètes

La technologie d'enrichisse-ment d'uranium opérationnel-le à Zelenogorsk consiste en une cascade de centrifugeu-ses du dernier cri. Leur vitesse de rotation est de 1 500 tours par minute permettant de sé-parer les isotopes U-235 et U-238 sur la base de leur mi-nuscule différence de masse. Au terme du processus de sé-paration, l'U-235 reste au cen-tre de la centrifugeuse tandis que l'U-238 tapisse les pa-rois externes de la machine. Le produit extrait du cœur de la centrifugeuse est ensuite stocké dans des cylindres ga-zeux et finalement transformé en une poudre oxydée.

Ces technologies qui incitent les autorités à fermer Zelenogorsk

NIKOLAÏ KOROLEV (7)

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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RUCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

07Régions

Quelques semaines à peine ont séparé sa dernière détention au poste de po-lice (pour avoir dirigé des manifesta-tions anti-Kremlin devant l’Hermita-ge à Saint-Pétersbourg)... et sa nomination surprise, en décembre 2008, par le président Medvedev, au poste de gouverneur de Kirov, un immense territoire à 800 km au nord-est de Mos-cou dont la ville du même nom est le chef-lieu. L’ex-contestataire passé de l’autre côté de la barrière a un ambitieux program-me de réforme : le développement, éco-nomique, social et démocratique d’une région déprimée. « Je ne vais pas or-donner les changements, comme l’at-tendent certains », avertit le gouver-neur. « J’essaie de susciter des initiatives locales, aux gens de pren-dre le relais et d’agir indépendamment de moi ». Belykh ne semble pas per-turbé par ce que certains ont appelé « un calice empoisonné » : les Kiro-viens voient déjà des signes de pro-grès, et un gouvernement ouvert qui les change du clientélisme étatique. La région de Kirov, 1,5 millions d’ha-bitants, n’a ni gaz ni pétrole, des rou-tes dans un état lamentable, un chô-mage chronique, et peu d’espoir pour la population en déclin. Les jeunes es-saient de partir dès qu’ils sortent du lycée. L’an passé, 15 000 profession-nels ont quitté Kirov à la recherche d’un meilleur emploi. Maria Gaïdar, 27 ans, ancienne activiste de l’opposi-tion, a fait le chemin inverse en pre-nant un poste de responsable des dos-siers sanitaires et sociaux dans l’administration de Belykh. Celui-ci a bien besoin de se constituer son équi-pe à lui. Mais par où commencer ? « Ce que je peux faire, c’est réformer la société par le bas. Il est temps que les gens cessent d’attendre des instruc-tions de l’État, et commencent au contraire à nous demander des comp-tes, nous les bureaucrates », dit Belykh. A peine avait-il pris ses fonctions qu'il renversait les pratiques ancestrales gan-grenant Kirov et toutes les régions en Russie. Il autorise les manifestations urbaines de toutes sortes, interdites jusqu’alors. Les populations locales choisissent leurs représentants dans les services publics. Les médias sont libres de critiquer le gouverneur, et Belykh a instauré des rencontres hebdomadaires avec divers groupes d’intérêt de Kirov, notamment des organisations non gouvernementa-les et des syndicats, afi n de favoriser le libre échange d’idées. Du jamais vu en province. Pour attirer les entreprises, il a pour-suivi en justice les monopoles et pro-mis aux investisseurs une zone débar-rassée de la corruption. Pour établir un lien direct avec ses mandants, il a ajouté des milliers de noms à son ré-seau en ligne. Et il a ranimé une tra-dition soviétique « civique », selon la-quelle les dirigeants locaux nettoient les rues avec les citoyens. De son ac-tivité politique passée il a gardé des relations dans tous les secteurs, y com-pris parmi les oligarques. Belykh les

Un réformateur sur le terrainKirov Opposant au Kremlin hier, gouverneur aujourd’hui

a tous invités à venir lui prêter main forte pour réformer sa région. « J’ai fait circuler le message que Kirov est une zone politique et économique exemplaire, ouverte et transparente : venez, investissez votre argent, payez vos impôts, et je vous rendrai person-nellement compte de chaque clôture ou de chaque logement construit grâce à votre argent », dit-il. Au printemps, Belykh avait invité le président Medvedev à visiter Kirov. « Cela semblait peu probable que le président se déplace dans un endroit aussi inintéressant d’un point de vue stratégique », se souvient le gouver-

neur. Mais Medvedev est venu inspec-ter le travail de celui qu’il a investi à la tête d’une région faisant déjà fi gu-re de test de l’action présidentielle el-le-même en faveur de la modernisa-tion de la Russie. Le jour de sa visite, le président promit au gouverneur de l’aider à affronter les problèmes so-ciaux et économiques les plus comple-xes. Tous les soirs, Belykh rentre dans une maison vide (sa femme et ses trois fi ls sont restés à Moscou) et écrit les nou-velles du jour sur son blog personnel (livejounal.com). Il anime aussi une émission hebdomadaire, « Le journal du gouverneur », sur Écho de Moscou, sorte de radio-réalité des réformes tou-chant le quotidien des Russes. Des changements positifs sont déjà visi-bles aujourd’hui, et Belykh jouit du

soutien de certains magnats du pays. Alexandre Lebedev, le milliardaire qui possède en partie Aerofl ot, est venu à Kirov pour signer des contrats. Ami de longue date de Belykh, Lebedev, lui-même réformiste bon teint qui ne craint pas de tancer le Kremlin au be-soin, va construire des immeubles de deux et trois étages. Le géant Gaz-prom, entreprise d’Etat, a de son côté accepté de faire venir le gaz naturel jusque dans les plus petits villages, au prix d’énormes fi nancements diffici-les à rentabiliser dans une campagne défavorisée. Au cours de l’année à venir, Gazprom prévoit d’investir 1 milliard d’euros dans les gazoducs régionaux et dans la construction d’une piscine (Kirov n’en a jamais eue). Des routes sont en construction entre les villes de la région, jusqu’à présent reliées par des pistes bonnes pour des trac-teurs. La plus grande fi erté du gouverneur, c’est son programme original de trans-férer la collecte d’impôts aux collec-tivités locales. « Nous essayons de faire en sorte que les autorités soient contrô-lées par les citoyens sur chaque kopek du contribuable qu’elles dépensent », dit Belykh. Des 360 districts de la ré-gion de Kirov, 90 ont voté en faveur de l’imposition locale. Destinée à don-ner plus d’indépendance aux autori-tés municipales, cette réforme doit aussi les inciter à soutenir le développement des petites et moyennes entreprises. Mais elle se heurte à la réticence de fonctionnaires habitués à répartir les budgets. « Malheureusement, la plu-part d’entre eux se tournent encore les pouces en attendant mes instructions. Mais je ne suis pas Pierre le Grand qui forçait les boyards à raser leur barbe. Comme si depuis 300 ans la mentalité n’avait pas changé d'un poil », ironise Belykh. Il admet traverser des pério-des de doute, se dit parfois que des méthodes dictatoriales seraient plus efficaces... « Mais en général je suis heureux. Nous sommes une nouvelle génération de politiciens. Notre temps est venu, rien ne nous arrêtera ».-

« Nous sommes une nouvelle génération de politiciens. Notre temps est venu et rien ne nous arrêtera ».

Maria Gaïdar : « Je veux des résultats tangibles, ce qui contredit la logique du fonctionnaire »Comment ont réagi vos camarades de l’opposition quand vous êtes passée au service de l’Etat ?On m’a critiquée pour avoir eu des pro-pos violents à l’égard de Nikita Belykh, et puis d'avoir rejoint son administra-tion. Mais aujourd’hui, on m’envie, parce que j’ai vraiment la possibilité de tra-vailler.

Mais vous devrez attendre avant de voir des résultats. Les fonctionnaires ne sont-ils pas justement ceux qui bloquent le développement du pays?Si, bien sûr. À l’échelle fédérale, n’im-porte quelle initiative peut être bloquée. Mais ici, on à l’impression d’être pro-che des gens, de pouvoir les aider.

Et qu’en est-il de la méfiance des habi-tants locaux ? Après tout, vous êtes une

tent, comme la nécessaire fabrication de métaux plus résistants à la corro-sion. Qui plus est, un tel réacteur de-vrait être manœuvré à distance, à cause du niveau de radiation très élevé des produits de fi ssion dans un réacteur ra-pide ». Cela n’a pas empêché les spécialistes in-ternationaux de s’y intéresser. « La Chine est le pays qui a manifesté le plus d'in-térêt », explique Ozerova. « Un réacteur nucléaire supplémentaire est en construc-tion en ce moment à Beloïarsk. Les Chinois veulent l’acheter. Outre nos ins-tituts, ils sont parmi les principaux in-vestisseurs dans la recherche et le déve-loppement dans ce domaine », ajoute-t-elle.

Un avenir « fermé » Actuellement, le salaire moyen d’un in-génieur de Zelenogorsk s’élève à 790 euros par mois, en plus d’un vaste éven-tail d’avantages sociaux et médicaux. Pas si mal pour la province russe, mais misérable en comparaison des collègues occidentaux. Les annonces récentes fai-tes par l’État russe sur des milliards de dollars d’investissements imminents dans l’énergie nucléaire suffisent à entretenir l’optimisme. « On peut déjà obtenir des crédits à la consommation dans les banques ici, comme dans n’importe quelle ville », ra-conte Sergei, alors que nous passons de-vant un pâté de maisons fraîchement construites. Ces maisons, avec un jardin à l’arrière et des garages pour deux voi-tures, semblent transplantées d’une ban-lieue verte américaine. On ne peut s’empêcher de se demander où vont cette ville et ses habitants, qui doivent concilier au quotidien des réa-lités en apparence incompatibles, comme le secret et l’ouverture, l’ancien et le neuf. De manière ironique, l’histoire ici a tou-jours été façonnée par les forces géopo-litiques mondiales. En octobre 2009, la Russie et la France ont proposé de pro-duire de l’uranium enrichi pour l’Iran, dans le cadre d’un accord préparé par l’Agence internationale pour l’énergie nucléaire, afi n de convaincre Téhéran d’abandonner son propre programme d’enrichissement. A la question de sa-voir si Zelenogorsk pouvait servir à en-richir de l’uranium pour le très contro-versé réacteur iranien, Ozerova répond que toute information de ce type est hau-tement confidentielle. Toutefois, « en théorie, oui ». Officiellement, l’accord n’a pas été conclu, et l’Iran semble déter-miné à poursuivre son programme avec des objectifs, on le craint, militaires. Mais peut-être y a-t-il encore de la place pour des discussions, et il est impossible de savoir ce qui se passe en coulisses, y com-pris derrières les portes fermées de Ze-lenogorsk. Comme les activités de la ville demeurent secrètes, il est vraisemblable que sa prospérité économique ne pour-ra être maintenue qu’au prix d’un iso-lement permanent. La nuit, quand l’obscurité et le froid gla-cial sibérien s’installent, un calme mys-térieux descend sur la ville. Bien sou-vent, le seul bruit est celui de la neige qui crisse sous les pas, ou le vent qui souffle dans les arbres. Debout au mi-lieu de cet amalgame saugrenu - solitu-de et sérénité, uranium enrichi, un pay-sage saisissant, une surveillance constante, la chaleur humaine et la ca-maraderie -, on est absorbé par l’esprit tout aussi énigmatique de la Russie. -

Moscovite, une parachutée…C’est ainsi que me perçoit l’élite locale. Mais ça n’a pas d’importance pour moi. Dans les villages, les gens sont très ouverts. Le courant passe immédiate-ment, ou pas du tout.

Ne vous faites-vous pas des illusions ? Ne craignez-vous pas un manque d’ex-périence ?Je veux obtenir des résultats tangibles, ce qui est en contradiction avec la lo-gique du fonctionnaire. Comment ai-je trouvé un directeur pour le départe-ment de santé ? Je n’ai pas cherché parmi mes camarades de classe. J’ai choisi quelqu’un du cru, qui ne m’était pas acquis. Et cette personne travaille très bien. Je n’ai pas besoin de gens qui me soient loyaux.

KOMMERSANT, « OGONIOK »

4 Faitssur les villes« fermées »

1. Les villes « fermées » sont apparues et se sont développées dans l'après-

guerre, avec le début de la Guerre froide.

2. Les villes fermées n'avaient pas de nom et se cachaient derrière des codes comme

Sverdlovsk-45, Tcheliabinsk-70, Krasnoïarsk-26...

3. Après l’officialisation des villes fermées en Russie, on a vu apparaître trois

Jeleznogorsk, deux Zelenogorsk, Zaretchny, Krasnoznamensk, Mirny et Fokine.

4. A quelques kilomètres de la capitale russe se trouvait la ville de Moscou-2, qui était un

centre secret de conception de l'arme nucléaire.

En 1994, un décret spécial du Conseil des ministres de la Fédé-ration de Russie a établi les noms géographiques officiels des villes fermées. Officiellement, les habi-tants de ces villes n'existaient pas. Lors des recensements, ils étaient disséminés dans d'autres agglo-mérations ou rajoutés à la popu-lation des grandes villes. Ce n'est qu'en 1995 que fut obtenu pour la première fois la levée du secret-défense sur le nombre d'habitants des 19 villes et 18 communautés urbaines dites « fermées ».

Ces villes fantômes

C’est en 1949 à Sarov que furent créées la première bombe atomi-que russe puis, en 1953, la pre-mière bombe à hydrogène. En 1961, on testa, sur le terrain d'es-sais de la Nouvelle Terre, une bom-be à hydrogène de 100 mégaton-nes, la plus puissante au monde. Plus tard baptisée « Kuzkina mat »* par les journalistes, cette bombe a été larguée d'un avion et a explosé à la moitié de sa puis-sance, à une altitude de 4,5 km. L'onde de choc a fait plusieurs fois le tour de la terre.

* Littéralement, « la mère de Kuzma ». Cet-te expression idiomatique russe a fait sen-sation en 1960, après l’incident à la ses-sion de l'Assemblée générale de l’ONU, quand au cours de son intervention, Nikita Khruschev, alors président du Conseil des ministres de l'URSS, martela la tribune de sa chaussure tout en s'adressant vivement à la délégation américaine dans son langa-ge fleuri : « Vous allez voir la mère de Kuz-ma », ce qui signifie en russe : « On va vous apprendre à vivre ».

La ville la plus secrète de Russie

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« Ce que je peux faire, c’est réformer la société par le bas. Il est temps que les gens cessent d’attendre des instructions de l’État, et commencent au contraire à nous demander des comptes, nous les bureaucrates », dit Belykh.

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SondagesQui va moderniser le pays?

La majorité des Russes ne savent pas quels sont les groupes sociaux qui pourraient devenir la force motrice de l’innovation (59%), et 23% pensent même qu’il n’y en a pas. D’une manière générale, les Russes ne peuvent pas non plus désigner les forces sociales qui ne s’intéressent pas aux inno-vations (64%). Les autres désignent l’Etat (6%), les oligarches et les hommes d’affaires (3%), etc.Sondage effectué auprès de 1 600 personnes.

DE QUI DÉPEND SURTOUT LE SUCCÈS DE LA MODERNISATION, C’EST-À-DIRE DU PASSAGE D’UNE ÉCONOMIE BASÉE SUR LES MATIÈRES PREMIÈRES À UNE ÉCONOMIE BASÉE SUR LES INNOVATIONS?

SOURCE: WWW.WCIOM.RU

Le président ukrainien préféré... des russes

Sondage effectué auprès de 1 600 personnes.

LES RUSSES ESTIMENT QUE LA VICTOIRE DE VIKTOR IANUKO-VITCH AUX PRÉSIDENTIELLES EN UKRAINE EST UNE BONNE CHOSE POUR LES INTÉRETS DE LA RUSSIE.

SOURCE: WWW.LEVADA.RU

ANDREJ KRICKOVIC ET STEVEN WEBERTHE MOSCOW TIMES

IAN PRYDE, ADAM FUSS ET LAURA MITCHELLTHE MOSCOW TIMES

À l’instar de nombreux pays, la Russie fait des efforts considérables pour améliorer son image et sa réputation à l’étranger, mais sans grand succès. Peut mieux faire, mais comment ? Le premier pas serait d’admettre que les nations, comme les entreprises ou les individualités, ont besoin d’une identité, d’une image de marque ou d’un « label », bref, de signes distinctifs qui renvoient à un « signifi é » particulier et universellement re-connu. Une nation, précisément parce qu’elle est un assemblage hétéroclite de composantes hu-maines, historiques, culturelles et politiques, se doit de faire passer un message unifi é, immédia-tement reconnaissable et uniformément compré-hensible, une caractéristique qui la « raconte » dans l’imaginaire collectif des peuples.Les entreprises l’ont compris depuis toujours. Qui dit Apple dit « innovation ». Qui dit Warren Buf-fet dit « investisseur avisé ». Qui dit « American Express » dit « haut de gamme ». Aucune des mar-ques ne capte dans sa totalité la richesse et la complexité du sujet qu’elle désigne, mais toutes déclenchent une réaction affective qui condition-ne les comportements. L’Italie fait immanquable-ment penser à la gastronomie et la dolce vita ; la Chine, à « l’atelier du monde ». Et la Russie ? Quelle importance accorder, à l’heu-re de la mondialisation qui efface les particula-rismes nationaux, à l’existence ou à l’absence d’une image de marque quelconque ? Mais inversement, dans un monde de plus en plus uniformisé, l’ima-ge de marque est un « plus » indispensable. Prenons ce que les Américains appellent le « soft power », ou le pouvoir d’infl uence : il s’agit d’uti-liser la force du modèle pour donner envie aux autres de faire ce qu’on souhaite qu’ils fassent. En économie, cela se traduira par la capacité d’un pays à susciter l’intérêt des chefs d’entreprise, des investisseurs et des innovateurs internationaux qui engageront leurs capitaux, leur créativité, leurs technologies et leur savoir-faire chez vous plutôt que chez le voisin.Aujourd’hui, l’image de marque de la Russie est totalement négative. Nous avons mené une en-quête auprès des étudiants de l’Université Berke-ley de Californie, qui a débouché sur une base de données imparfaite mais fort utile. Nous leur avons demandé d’associer des mots à différents pays. Pour la Russie, les associations étaient massive-ment péjoratives : communisme (28%), froid (13%), vodka (7%) et corruption (7%) sont arrivés en tête de liste, la plaçant derrière les quatre autres pays du sondage (les États-Unis, la Chine, l’Italie et la Grande-Bretagne). La bonne nouvelle, c’est que l’image de marque peut changer. Au XIXe siècle, l’Allemagne était perçue comme le pays de l’idéalisme romantique et la France, comme une puissance militaire. Peu nombreux sont ceux qui feraient les mêmes rap-prochements aujourd’hui. Le Japon, l’Espagne, l’Allemagne, Singapour et, plus récemment, la Grande-Bretagne ont tous enregistré une amélio-ration spectaculaire de leur image de marque. Nous avons également découvert que nos sondés pen-sent à la Russie presque aussi souvent qu’à la Chine. La Russie retient l’attention, ce qui ouvre

Depuis que Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev ont accédé à la présidence, on parle beaucoup de changer l’image de marque de la Russie. Dans leur article (ci-dessus), Andrej Krickovic et Ste-ven Weber ont, à juste titre, souligné les efforts totalement vains du pays pour améliorer son image et sa réputation à l’étranger. Mais leur proposi-tion de redessiner une image de la Russie axée sur l’écologie, le multiculturalisme et le caractè-re « résilent » des Russes reste basée sur une vi-sion obsolète des relations publiques. Dans la Communauté des États Indépendants (CEI), ce que l’on appelle « relations publiques » n'est en fait qu'un héritage de la propagande com-muniste. La Russie n’en fait qu’à sa tête en poli-tique intérieure et extérieure, puis utilise les mé-dias nationaux fi dèles à l’État et des agences de communication à Washington, Bruxelles, Berlin et Londres, pour essayer de réparer sa réputation ternie. La Biélorussie et le Kazakhstan ont aussi testé cette stratégie, mais ce ne furent que des me-surettes non coordonnées et n’obéissant à aucune stratégie sur le long terme. L’impossibilité d'ob-tenir des résultats immédiats entraîne invariable-ment une déception chez les clients étatiques bor-nés. Parfois, on a vraiment l’impression qu’ils font exprès de créer une mauvaise image. L’approche américaine et européenne de la communication, qui consiste à accomplir de grandes choses puis à s’en vanter, n’a guère été suivie en CEI, parce que personne ne la comprend.

donc des perspectives d’évolution de la percep-tion que l’on en a.Dans les années 1990, la Grande-Bretagne a tro-qué son image de bastion de la décadence impé-riale (« Rule, Britannia ! »), pour celle d’un cen-tre d’innovation et de créativité, branché et multiculturel, « Cool Britannia ». L’une des clés

de ce succès, c’est que la Grande-Bretagne avait réellement changé. Il y avait un fossé entre la réa-lité et la perception qu’un effort de promotion d’image de marque pouvait combler en toute hon-nêteté. La Russie peut et doit faire le même effort pour transformer son image. Or, les Russes sont enga-gés aujourd’hui dans des débats passionnés sur l’identité de leur pays et la vision qu’il projette. Le fossé est immense entre la réalité de la Russie d’aujourd’hui et la perception que l’on en a à l’étran-ger. Si le pays est confronté à des problèmes inté-rieurs pressants, il a fait beaucoup de progrès de-puis la chute du communisme et le chaos des années 1990 qui a suivi. Les Russes doivent cesser de ressasser leur passé. Le monde n’a désormais que faire de Pierre le Grand, de Joseph Staline ou de la Guerre froide. La Grande Bretagne n’a pas changé son image en obtenant que ses anciennes

Cela dit, même cette approche ne serait pas effi-cace en CEI. A l’ère de la communication mon-diale instantanée, quels que soient les endroits d'où surviennent les mauvaises nouvelles, elles sont répandues partout en quelques secondes, sou-vent accompagnées de vidéos fi lmées sur des té-léphones portables, comme l'ont découvert I’Iran et la Chine. Reste que la Russie semble ne tou-jours pas comprendre que l’on ne peut pas créer une image, une marque et une réputation de stan-ding mondial à partir de mauvaises nouvelles. Et malheureusement, des mauvaises nouvelles, la Russie en fournit en pagaille. Les principaux médias mondiaux vont continuer à pointer du doigt le clientélisme qui règne dans le milieu des affaires russes et ses relations étroi-tes avec le Kremlin. En dépit la starifi cation des super-riches russes dans des magazines comme Forbes, pas une seule compagnie russe n’a enco-re créé de marque mondiale et peu, s’il en est, sont connues en dehors du cercle des familiers de la Russie. Aucun oligarque russe, aucun, n’a donné lieu à un « culte de la personnalité » à l’instar du patron de Apple, Steve Jobs, ou du fondateur de Virgin, Richard Branson. Cette mauvaise image est la conséquence de pro-blèmes systémiques. Des fonctionnaires ont été arrêtés pour négligence suite à l’incendie dans la boîte de nuit de Perm, mais la même négligence fut à l’origine d’un autre incendie fatal dans une maison de retraite, avec des barreaux aux fenê-tres et des sorties condamnées. Les problèmes de la Russie sont avérés et large-ment connus dans le monde. Par conséquent, les

colonies pensent différemment le XIXe siècle. Elle a réussi parce que les gens ont une idée différente de la Grande Bretagne du XXIe siècle. Un discours novateur sur la Russie devrait met-tre en valeur les atouts suivants :• La Russie multiculturelle. C’est une société mul-tiethnique qui a su gérer sa diversité. • La Russie écolo. C’est une société aimant pro-fondément la nature ; les datchas, les vastes fo-rêts épaisses et l’étendue territoriale sont plus que des symboles nationaux : ils refl ètent un style de vie respectueux de l’environnement. • La Russie « résiliente ». Le peuple russe gère avec succès l’instabilité, répond aux chocs, en-caisse les crises sans broncher, et survit. L’histoi-re de la résistance russe est profondément humai-ne, tout le monde peut s’y retrouver et en tirer une leçon. Parmi les éléments susceptibles d’infl uencer po-sitivement leur opinion de la Russie, les étudiants de Berkeley ont cité les réussites environnemen-tales et multiculturelles. L’avenir, c’est la solution aux problèmes actuels par les partenariats.Il ne suffit pas de « communiquer » par le biais des grands médias internationaux, anciens ou nou-veaux, pour changer une image de marque. Il faut aussi donner aux populations des raisons de par-ler différemment de la Russie. En fi n de compte, une marque qui a du succès n’appartient pas à l’entreprise ou au pays qui la revendique, mais au consommateur. -

tentatives de créer une nouvelle image de marque d’un pays écolo seront immédiatement sapées par un dossier environnemental catastrophique. Un pays « multiculturel » ne passera pas non plus, compte tenu des données négatives sur les atta-ques contre les non-Russes, surtout les ressortis-sants du Caucase et d’Asie centrale. Enfi n, une Russie endurcie, qui a du caractère, c’est faire le grand écart. L’image extérieure sera le même cli-ché d’un peuple russe qui souffre, d’une société sclérosée socialement et économiquement. Engager des agences occidentales de communi-cation et de lobbying prestigieuses, mais qui ne connaissent ni la langue, ni le terrain, n'est pas une solution. Enfoui profondément dans le dis-cours à la nation de Medvedev en novembre, il y avait cet aveu, passé inaperçu : « Rien ne chan-gera en Russie tant que nous ne changerons pas nous-mêmes ». Les Allemands disent « PR ist Chefsache » (la communication, c'est le boulot du chef). Dans une société aussi verticale que la société russe, il n’y a qu’une seule personne, peut-être deux, qui peu-vent régler le problème. Poutine (et Medvedev) doivent mener le combat pour changer sérieuse-ment et avec professionnalisme l’image du pays. Et c’est seulement à ce moment-là que l’on pour-ra fabriquer une nouvelle marque. -

Andrej Krickovic est chercheur à l’Institut d’Étu-des internationales de Berkeley en Californie. Steven Weber est professeur de management et chercheur au Centre de recherche d’infrastructu-res à l’École de gestion Skolkovo à Moscou.

Ian Pryde est le fondateur et PDG de Eurasia Strategy & Communications (ESC) à Moscou. Adam Fuss est vice-président de ESC North Ame-rica. Laura Mitchell est directrice générale de ESC North America.

RUSSIE ROUGE PUIS RUSSIE COOL

COMMUNICATION... OU « BARATIN » ?

L’image de la Russie soit s’appuyer sur un nouveau discours reflétant les valeurs profondes dans lesquelles son peuple se reconnaît et que le monde peut lui envier

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09LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RUCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO Débats et Opinions

hôpitaux. La situation devient absurde quand à l’est du pays et en Crimée, les gens parlent russe dans la rue, mais sont obligés de regarder des fi lms en ukrainien dans les cinémas. Pen-dant cinq ans, Ianoukovitch promettait de ré-gler cette question. Mais, majoritaire à la Rada, son parti n’a pas levé le petit doigt. Timochen-ko est opposée à cette réforme, se positionnant avant tout comme une « politicienne ukrainien-ne nationale ». Ensuite, Ianoukovitch devra régler la question de l’Union douanière, créée le 29 novembre 2009 par les présidents de Russie, de Biélorussie et du Kazakhstan. En vertu des documents signés, l’espace douanier unifi é des trois pays commen-cera à fonctionner le 1er juillet 2010. La Russie souhaite que l’Ukraine rejoigne l’Union afin d’augmenter le volume des échanges entre les pays. Comme de nombreux produits russes et ukrainiens ne sont pas compétitifs sur le mar-ché mondial, les voisins ont encore besoin l’un de l’autre en tant que partenaires de commerce extérieur (l’Ukraine a représenté 5,4% des im-portations russes en 2008, et la Russie 23,3% des ukrainiennes). Pour toute une série de mar-chandises, il existe une dépendance réciproque. Par exemple, les usines automobiles en Ukrai-ne utilisent des engins et des mécanismes four-nis par la Russie, alors qu’une grosse partie de leur production, en retour, est utilisée dans l’in-dustrie pétrolière russe, l’exploitation forestière et la construction. En outre, Kiev mise beau-coup sur un projet commun avec la Russie: la fabrication de l’avion Antonov An-148, à laquel-

le participent 34 entreprises ukrainiennes. Du point de vue technique, l’avion régional de la nouvelle génération n’a rien à envier à ses ana-logues mondiaux, il en surpasse même certains en qualité et résistance. Le revenu global sur la construction de 80 avions déjà commandés s’élè-vera à 590 millions d’euros. Annoncé l’an der-nier pour le trajet Moscou-Saint-Pétersbourg, l’An-148 est le premier des six avions de ligne commandés par la compagnie aérienne Rossia. Il existe aussi un programme commun de mise en orbite de satellites, le « Sea Launch », sur la base des véhicules porte-satellites « Zénith-3 », « Cyclone » et « Dnipro », ainsi que la fabrica-tion d’avions de transport An-225 Mriya et An-124 Ruslan. Enfi n, au cœur des relations entre les deux États : le gaz. En janvier, l’Ukraine a payé une facture de 396 millions d’euros à la Russie, soit deux fois moins que ce qui était prévu dans le contrat. Gazprom n’a pas voulu aggra-ver la situation pendant les élections, mais l’at-titude future du géant gazier russe dépend aussi de la manière dont vont se régler les questions qui « préoccupent » Moscou. Le Kremlin ne peut pas laisser à l’Ukraine le contrôle des gazoducs. Kiev est catalogué pour longtemps parmi les partenaires problématiques. Par conséquent, la stratégie russe continue de reposer sur un contournement de l’Ukraine. -

Avant même que les Ukrainiens n'aient voté, les médias occidentaux répétaient déjà d’une seule voix que le vainqueur du scrutin serait... Mos-cou. Au Kremlin, on acquiescerait volontiers, sauf que l’on ne sait que trop bien que rien ne changera fondamentalement entre Moscou et Kiev : l’Ukraine continuera à s’aligner sur l’Eu-rope. « Il est évident que la défaite du président sortant, qui s'est positionné en nationaliste anti-russe, aura pour conséquence un rapprochement entre l'Ukraine et la Russie », commente le Wall Street Journal.« Le premier tour n'a pas permis de trancher qui sera le président d'Ukraine. Une chose est sûre : les deux candidats sont très scep-tiques quant à l'entrée de l'Ukraine dans l'Orga-nisation du traité Atlantique Nord (OTAN), et tous deux militent pour de bonnes relations avec la Russie voisine. Moscou à gagné à Kiev », écrit le Spiegel allemand. En Occident, on considère que Ianoukovitch, comme d'ailleurs Timochenko, sont pro-russes, contrairement au pouvoir précédent. Si l’on en-tend par là l’aspiration déclarée des deux can-didats à améliorer le dialogue avec le Kremlin, c’est en effet une différence nette d’avec l’an-cien président Iouchtchenko. En réalité, c’est sa rhétorique antirusse qui a empêché Iouchtchen-ko de récolter plus de 5% des voix. Avec aussi, bien sûr, les effets de la crise économique, qui a durement frappé le pays.Même si le Kremlin se satisfait de l'échec de la réthorique antirusse, il ne se fait plus d’illusions sur son infl uence à Kiev. Même avec Ianouko-vitch, l’Ukraine continuera son cheminement vers l’Union européenne (UE) et l’OTAN. Les pas les plus importants pour l’adhésion de l’Ukraine à l’UE ont été accomplis pendant que Ianoukovitch était premier ministre, d’abord sous Koutchma, puis sous Iouchtchenko. L’Alliance nord-atlantique a déjà pris les devants : dès le début de l’année 2010, l’Ukraine s’est vue pro-poser une participation à la Force de réaction de l’OTAN en 2015-2016, ce qui donnerait lieu à un réarmement éclair en quelques années (en 2008, l’Organisation avait refusé l’entrée de l’Ukraine en arguant d’un niveau insuffisant de préparation militaire). C’est une question épi-neuse, car le Kremlin redoute de voir les trou-pes de l’OTAN stationner aussi près de Mos-cou. Kiev doit désormais avant tout régler les pro-blèmes de développement et de survie économi-que. Compte tenu de la dépendance économique envers la Russie, beaucoup de compromis sont au programme. En premier lieu, il s’agit du sort de la fl otte de la mer Noire. Conformément aux accords entre les deux États, les navires russes doivent quitter Sébastopol en 2017. La Russie va faire des propositions pour conserver sa base, et l’Ukraine aura à choisir entre deux options : marchander pour des conditions plus avanta-geuses ou exiger un départ défi nitif, ce qui ne va pas manquer d'enrager Moscou. Une majo-rité de Russes estime que la Crimée est un ter-ritoire russe improprement transféré sous l'auto-rité de la République Socialiste Soviétique d'Ukraine en 1954 par décision de Nikita Khrouchtchev. La question reste donc ouverte... et politiquement chargée.Seconde question : le désir de Moscou que le russe acquière le statut de seconde langue offi-cielle en Ukraine. La moitié de la population du pays ne parle pas le russe, considéré comme lan-gue maternelle, ni dans les écoles ni dans les

ALEXANDRE MITYAEVSPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

KIEV : LE KREMLIN SANS ILLUSIONS

Alexandre Mitiaïev est un journaliste indépen-dant qui a longtemps collaboré avec le quotidien The New Times.

Ces sacrés Français...

NATALIA GEVORKIANSPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

J’en étais sûre. Ma voiture ne veut pas démarrer. Normal : elle n’a pas roulé depuis deux mois et, même garée dans un parking souterrain chauf-fé, elle ne veut rien savoir. C’est la batterie. Plus morte que morte. Surtout qu’elle a au moins qua-tre ans.Résignée, j’allume une cigarette, en essayant de me souvenir de ce que j'aurais fait à Moscou dans la même situation. Il aurait fallu pousser la voiture pour essayer de la faire partir. Mais cela ne marche que si le moteur donne des si-gnes de vie, aussi infi mes soient-ils. Ou alors il aurait fallu appeller au secours des amis auto-mobilistes, pourqu'ils débarquent avec leurs câ-bles, leurs pinces... pour qu'ils branchent la bat-terie morte à une batterie vivante, et hop.Ici, au troisième sous-sol du parking du Marais, il n’y a ni la place ni les candidats pour pousser. En soi, c’est un espace particulier, ce parking. Durant ma première année à Paris, quand il fal-lait entrer ou sortir, mes genoux commençaient à trembler. Tout est calculé au centimètre près, et il semble impossible de passer sans racler les murs. D’ailleurs, les érafl ures sur les parois dans les passages les plus compliqués prouvent bien que tous les conducteurs n’y arrivent pas. Après les grands espaces russes d’où les parkings sou-terrains sont quasiment absents, garer ma voi-ture à Paris était devenu une épreuve quotidien-ne. Aujourd’hui, je peux faire la manœuvre les yeux fermés.Je reçois un appel d’un ami de Moscou. En m’écou-tant pleurnicher au sujet de ma voiture qui ne veut pas démarrer sous terre, il remarque, phi-losophe, « Je te comprends. Pas envie de faire des efforts ».« Les efforts », c’est une promenade de cinq mi-nutes jusqu’au premier minuscule garage, qui fait aussi station-service. Le patron m’ouvre grand ses bras et je me jette sur sa poitrine en espérant le salut, qui suit immédiatement.Outre l’essence que je viens lui acheter réguliè-rement, nous partageons, avec le patron, l’amour des cigares. C’est-à-dire qu’il les aime, et moi, quand j’y pense, je lui rapporte quelques bons cubains du « duty free » de Cheremetièvo. Nous parlons aussi politique. Ou débattons des prix raisonnables des ressources énergétiques et du rôle de la Russie dans cette affaire.L’assistant du patron attrape un petit appareil, enfourche sa mobylette, moi derrière, et nous des-cendons allègrement dans le souterrain. Deux minutes plus tard, mon moteur pousse un gro-gnement et se met en marche. Le gars m’escorte jusqu’au garage. Sur le tableau de bord, s’allu-me le mot « service ». Normal : s’il y a des pro-blèmes, autant qu’ils surviennent tous d’un coup. Samedi midi. J’ai vite fait mon calcul selon les standards moscovites : peut-être que mardi après-midi, je pourrai récupérer ma voiture.- Bon alors, je passe mardi ?, dis-je avec précau-tion.- Ou mercredi ou jeudi, si t’as pas besoin de ta voiture à ce point. Et la batterie, va falloir la changer tout de même.- C’est ce que je me suis dit. Bon, je passe quand alors ?- Dans une heure et demie... disons deux heures maxi.Deux heures plus tard, je roule dans ma propre voiture en direction de la maison de campagne de mes amis, avec juste un peu de retard. Et mentalement, je calcule à combien revient la commodité de l’existence parisienne. Deux heu-res et trois cents euros pour une batterie neuve, un contrôle technique et écologique et un réser-voir rempli à ras bords. A Moscou, j’aurais ap-pelé mon ami, il aurait redémarré ma voiture gratis avec ses pinces, je n’aurais pas changé la batterie, j’aurais remis le contrôle technique à un avenir indéfi ni, pris moins d’essence, et oublié le contrôle écologique. Bref, j’aurais, sans frais, repoussé les problèmes à plus tard. Et puis, pour la même somme, j’aurais eu, à un moment ou à un autre, à les résoudre un par un aux différents bouts d’une ville immense, immobilisée par les bouchons. Et tout ça parce qu’à Moscou, il n’y a pas, à deux pas de chez moi, de petit garage privé, compact et accueillant, capable, même pour 12 000 roubles, de résoudre des problèmes techniques certes routiniers, mais de nature à jeter dans le désarroi même les femmes les plus endurcies.-Natalia Gevorkian est correspondante à Paris du journal Kommersant

Ces sacrés Russes...Course au logement : les mirages de MoscouPas une année sans qu’on te la fasse : Moscou est l’une des villes les plus chères au monde, dixit les grands cabinets d’audit. Ce n’est pas faux, mais les petites choses du quotidien restent à portée de bourse. Sauf évidemment si tu as l’idée sau-grenue de vouloir dormir ailleurs que sous un pont.Prends Jean-Pierre. Fraîchement débarqué de Cla-mart (Hauts-de-Seine) avec pour tout bagage un contrat raisonnable et une base de russe, l’animal habite dans l’un de ces appartements loués hors de prix à la journée, le temps de trouver la perle rare.Un coup d’oeil sur les petites annonces et il glous-se. Pour 40 000 roubles (926 euros), on lui propo-se photos, à l’appui, tout un tas d’appartements ultramodernes, de quoi te faire chialer dans ton deux-pièces minable au métro Ourcq. La cuisine est séparée du salon par un zinc de bar scintillant; le lit est inspiré du dernier succès porno-chic. 70 mètres carrés au pied du métro... Jean-Pierre ta-pote déjà sur son téléphone.C’était sans compter sur la malice de l’agent im-mobilier. Jean-Pierre est ramené à la réalité: il

François Perreault, expatrié à Moscou depuis quatre ans

s’agit d’une erreur, l’appartement n’est pas dans la base. Ni les autres d’ailleurs. Vous cherchez quoi ? 40 000 roubles pour habiter au centre-ville : au bout du fi l, l’agent s’étrangle. Mon pauvre monsieur, c’est impossible. Mais je te rassure, l’histoire se termine bien, parce que l’aima-ble agent promet de le tenter, l’impossible.(Ici, Jean-Pierre a deux choix : soit il est suffi-samment riche pour se laisser guider par l’agent, qui lui prendra au passage une commission de 800 euros; soit il est modestement fortuné, il cher-chera lui-même dans les méandres de l’immobi-lier moscovite... et l’agent du propriétaire lui pren-dra au passage une commission de 800 euros).Volontaire, Jean-Pierre l’a toujours été. Fissa, il sta-bilote les pages du journal. Première visite, un petit deux-pièces presque central dans un bâtiment pres-que sans âme: exit le zinc dans la cuisine; la mo-quette fut probablement épaisse, mais elle ne sen-tait pas alors le tabac froid; le lit consiste en deux canapés brejnéviens côte-à-côte. Le papier peint à fl eurs est déchiré (ici, tu vois, regarde), et le buffet du salon est rempli d’un service de dix couverts de mauvais goût, qu’il-ne-faut-enlever-sous-aucun-

prétexte, dixit le propriétaire. Las ! Pour 1200 euros, c’est – il faut le reconnaître – une bonne affaire, mais qui défonce le budget limité de Jean-Pierre.Les visites suivantes auront raison de sa pingre-rie. De retour au premier appartement, il négocie habilement: 1 050 euros plutôt que 1 200, en échan-ge de cours de français pour le fi ls du proprio. Aujourd’hui, il a caché le papier peint déchiré par une bibliothèque, et viré la moquette. Ne lui reste plus qu’à comprendre le fonctionnement tortueux de la gazinière soviétique. D’ici à quelques semai-nes, ça devrait être chose faite. -

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La panne et la «démerde»

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10LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RUCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO Perspectives

Seconde Guerre mondiale L'auteur entend défendre la mémoire de ceux qui ont combattu Hitler

La Russie face à son héritage idéologiqueQuelque chose a changé dans l’esprit de la société russe. Vingt ans après l’effondrement du pays et de toutes les valeurs de l’ancienne société soviétique, et après vingt années de silence, les Russes sont de nouveaux en quête de valeurs et d’idéaux. Et voilà que le sujet de la guerre se retrouve inopinément au centre de l’attention publique. Il ne s’agit pas seulement de ses aspects factuels, qui restent importants eux aussi, mais surtout de son esprit, qui se résume à la question des valeurs au nom desquelles on a combattu.

ALEXANDRE MEKHANIKEXPERT MAGAZINE

L’anniversaire du pacte Molotov-Rib-bentrop a catalysé cette tendance. Mais on ne s’est pas limité à une réproba-tion. L’Eglise orthodoxe russe hors fron-tières a pris la défense du général Vlas-sov, Gavriil Popov a publié un article sur les trois étapes de la guerre où il justifi e également les actes de Vlassov et Daniil Granine a écrit que Staline avait dû arrêter notre armée à la fron-tière polonaise pour laisser l’Europe ré-soudre ses problèmes internes. Et quand des vétérans de la guerre se sont sentis outragés de voir un restaurant-grill prendre le nom d’« Antisovietskaya », le journaliste Alexandre Podrabinek s’est déchaîné contre eux, les traitant de défenseurs des crimes staliniens. On a découvert soudainement que nous avions non seulement une approche dif-férente de l’histoire de la Russie, mais également une attitude différente vis-à-vis des valeurs sur lesquelles elle s’était construite, du moins au XXe siè-cle. Cet antagonisme de valeurs risque d’ailleurs d’affecter toutes les couches de la société. Et notamment l’Église or-thodoxe de Russie. Il serait étonnant que l’ensemble du clergé et des fi dèles accepte l’idée que Vlassov n’était pas un traître, mais un personnage tragi-que, combattant pour la Russie démo-cratique, comme le disent notamment les auteurs proches des dirigeants de l’Eglise orthodoxe à l’étranger dans leur histoire de la Russie en deux volu-mes. Le général Vlassov se retrouve au cen-tre de cette polémique simplement parce que si l’on admet que le pouvoir soviétique était un régime tyrannique caractérisé par la misanthropie et l’athéisme militant, alors tout est per-mis contre lui. Vlassov, et tous les ci-toyens de l’ex-URSS et des anciens pays socialistes qui ont combattu aux côtés des nazis, sont dans ces condi-tions des fi gures tragiques de la résis-tance contre ce régime. Autant parler de mission libératrice des nazis vis-à-vis du régime stalinien criminel... (sur-tout que ce régime fut effectivement criminel). C’est une mission dont les

victimes furent ceux qui portaient un nom comme Podrabinek, ou autre pa-tronyme similaire. Les mouvements de « libération nationale » en Ukraine et dans les pays Baltes ont bien aidé les nazis en cela. A ce propos, Podrabinek écrit dans son article que les vétérans indignés par le nom du restaurant-grill ont dû être des « vertoukhaï » (gardiens) dans les camps staliniens. Sans faire précisément ré-férence à ces vétérans-là, je voudrais noter qu’effectivement de nombreux vé-térans, surtout des officiers de guerre blessés, n’ont pas été démobilisés à la fi n de la guerre mais ont été transférés dans les troupes du ministère des Af-faires intérieures, y compris dans les camps. Ceci ne signifi e rien pour ces derniers, mais illustre la complexité et la tragédie de notre histoire, où les cri-mes et la Victoire sont liés, quand les mêmes personnes pouvaient être en même temps le héros et le méchant, sou-vent contre leur gré.

Mise en perspective On peut dire qu’il y a actuellement en Russie et dans le monde deux points de vue sur la Seconde Guerre mondia-le, qui ne sont pas toujours énoncés, mais qui sont clairement sous-enten-dus. Le premier, qu’on peut considérer comme traditionnel, prétend qu’en dépit du caractère incontestablement tyran-nique du régime stalinien, la guerre était néanmoins menée pour des valeurs hu-manistes et pour la liberté. Et l’Union soviétique a effectivement contribué à la victoire de ces valeurs et de ces idéaux, malgré le fait qu’elle-même n’en a pas offert un bon exemple dans la pratique. Le deuxième point de vue, qu’on pourrait appeler révisionniste, est le suivant : en réalité, la Seconde Guerre mondiale aurait caché deux guerres différentes, l’une sur le front ouest pour les idéaux de démocratie et de liberté, l’autre sur le front est pour le droit des tyrans à opprimer et asservir les peuples.

Un célèbre politologue russe a écrit qu’alors que les alliés combattaient en Europe occidentale pour des valeurs démocratiques, en URSS la majeure partie de nos concitoyens ne compre-naient pas bien ce qu’étaient le nazis-me et la démocratie, et c’est pourquoi ils combattaient tout simplement pour la Patrie. Et encore, on a pris le temps réfl échir avant de commencer le com-bat, car on en avait tellement « ras le bol » du régime stalinien que beau-coup étaient prêts à se rendre tout sim-plement. Ceci explique notamment le fait qu’on ait perdu le début de la guer-re, que des millions de nos soldats se soient retrouvés en captivité et que beaucoup d’entre eux, ainsi que des civils, se soient vite mis au service des Allemands. Que la majeure partie de nos conci-toyens aient combattu simplement pour la Patrie, sans trop se soucier d’idéologie, est aussi incontestable que le fait que la dans coalition antinazie,

la population et les résistants ont pour la plupart combattu pour la même cause. Et il est tout aussi incontesta-ble que le début de la guerre a été perdu par tous les adversaires de l’Al-lemagne et du Japon. Telle était en effet la nature de la Seconde Guerre mondiale, qui donnait un avantage cer-tain à l’attaquant. Si l’on parle de ceux qui se sont ren-dus à l’ennemi et qui sont passés sous ses ordres, cela ne fut-il pas le cas de la majorité de la population de tous les pays européens ? Faut-il rappeler les traumatismes nationaux nés des souffrances, des blessures et des divi-sions causées par l’occupation alle-mande ? -

La majeure partie de nos concitoyens ont incontestablement combattu simplement pour la Patrie, sans trop se soucier d'idéologie.

Lu dans la presse

Nouveaux mots, vieilles menaces Alexeï Nikolskiï

Tu ne frapperas pas le premierAliïa SamigoullinaOlga Bolotova

Doctrine anti-militaireOlga Bojieva

La nouvelle version de la doctrine militaire, entérinée par le président Dmitri Medvedev, ne présente pas de différences fondamentales d’avec le texte de 2000, mais suscite le mécontentement de l’OTAN, désigné comme le principal ennemi.

L’OTAN est-il le principal ennemi ?

En affirmant que nous pouvons avoir recours à l’arme nucléaire même lors-que des armes conventionnelles sont uti-lisées contre nous, nous reconnaissons ne pas posséder l’armement adéquat pour résister à une attaque non nucléaire. Nous ne serions capables de retenir l’agres-seur qu’en le menaçant sans cesse. Beau-coup voient dans une telle interpréta-tion l’agressivité d’une Russie « qui se relève ». Mais pour les spécialistes, il s’agit plutôt de la preuve de notre fai-blesse, y compris dans la sphère de la

Le président Medvedev a entériné une nouvelle version de la doctrine militai-re, censée remplacer l’ancienne, qui date de 2000. Elle dresse une typologie des menaces modernes et des mesures gé-nérales que doit prendre la Russie pour les neutraliser.Sur la question clé des conditions dans lesquelles l’arme nucléaire peut être uti-lisée, la doctrine reprend l’ancienne po-sition. La Russie s’octroie le droit au recours à l’arme nucléaire en cas d’agres-sion nucléaire et non nucléaire, contre elle-même ou contre ses alliés, lorsque « l’existence même de l’État est mena-cée ».Parmi les menaces militaires extérieu-res, au premier rang « la volonté de l’OTAN de mondialiser ses fonctions, rapprocher des frontières russes l’in-frastructure militaire des pays mem-

Dans le projet du document à la dis-position de Gazeta.ru, la position per-mettant à la Russie de recourir à l’ar-me nucléaire non seulement en cas d’agression, mais également « en ré-ponse à une menace de recours à l’ar-me nucléaire » a disparu. Désormais, la Russie ne s’autorise à avoir recours à l’arme nucléaire qu’en cas d’agression. Dans le même temps, la défi nition du terme « agression » a également disparu. Ce mot désignait tout recours à la force armée illégal du

stratégie nucléaire. L’ingénieur nucléai-re Petr Belov, expert du Comité de la défense à la Douma, insiste que « nous ne pourrons faire ainsi peur à nos agres-seurs potentiels que jusqu’en 2015-2017. Notre système d’armes de destruction massive se dégrade, alors que croissent les possibilités de déploiement d’un sys-tème antimissile américain, et nous n’aurons pas les moyens de faire peur aux États-Unis, car leur potentiel sera deux à trois fois supérieur au nôtre ».En outre, alors que l’OTAN était dési-gné comme notre principal ennemi dans la doctrine, le président Medvedev don-nait son accord défi nitif pour l’achat du porte-hélicoptères français Mistral. Ne serait-il pas plus juste de classer un tel « ennemi », avec lequel on prévoit de collaborer à la fabrication de maté-riel de guerre, dans la rubrique « prio-rités de la coopération politique, tech-nique et militaire » ?

Préparé par Veronika Dorman

Lisez la suite sur notre sitewww.fr.rbth.ru

bres de l’OTAN, notamment par la voie de l’élargissement du bloc ». Sont éga-lement cités le développement d’un sys-tème stratégique anti-missiles et d’ar-mes stratégiques conventionnelles, les confl its locaux, le terrorisme.

point de vue de l’ONU, direct ou indi-rect, par un Etat contre la souveraine-té et l’intégrité territoriale ou l’indé-pendance politique d’un autre état ou peuple. L’agression n’est plus défi nie dans la doctrine.

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Nous poursuivrons ce débat dans le prochain numéro.

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LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RUCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO

11Culture

« Russian Style » retrace les révolutions du costume russe

Le premier révolutionnaire de la mode fut Pierre le Grand, qui habilla les Rus-ses à la mode de l’Occident. Les hom-mes rasèrent leurs longues barbes, s’es-

sayèrent au pantalon, pendant que les femmes se débarrassaient des foulards qui leur couvraient les cheveux, et ex-posaient dumême coup leur décolleté.L’aristocratie russe des XVIIIe-XIXe siè-cles s’habillait exactement comme ses homologues français et prussiens, mais au tournant du XXe siècle, le style tra-ditionnel de la Rus moscovite - tissus lourds, broderies élaborées d’or et de pier-res précieuses, « kokochniki » (coiffure féminine en demi-lune) - est revenu en force pour conquérir l’Europe avec les Ballets russes de Serge Diaghilev. Pré-sentés au Grand Opéra et à Covent Gar-den, « L'oiseau de feu » et « Petrouchka » de Stravinski, au côté du « Coq d'or » de Rimski-Korsakov, ont révélé la complexi-té de la mode d'avant Pierre.Dès leur grande entrée sur la scène euro-péenne, les Ballets ont façonné la re-présentation de la mode russe qui était offerte au public européen, image in-délébile d’une culture vestimentaire ex-travagante, bariolée et criarde. La révolution de 1917 a obligé la mode

à s’adapter aux nouvelles normes com-munistes qui condamnaient tout ce qui était « bourgeois » et tape-à-l’oeil. A ses premières heures, l’État soviéti-que introduisit l’égalité entre les sexes et les classes, ce qui eut des conséquen-ces immédiates sur le vêtement, radi-calement simplifi é. Inventives, les fem-mes russes réussirent à se préserver du style « imposé », même dans les pires moments, quitte à copier les robes de Jackie Kennedy. Mais ce n’est qu’avec l’épouse de Gorbatchev, Raissa, que la mode russe réapparut dans l’arène mon-diale. Raissa en vint à symboliser l’es-prit libre de la perestroïka. A une épo-que de grands changements, son sens du style apporta une nouvelle vague d’optimisme. Et bien que l’industrie de la mode en Russie soit encore jeune, le succès d’Alena Akhmadullina, de Denis Simachev et d’Igor Chapurin sur les podiums internationaux prouve bien que la mode russe est de retour, dans toute sa magnifi cence et ce que les Amé-ricains appellent « glamour ». -

Codes culturels Tout sur les rapports entre l'histoire et le style vestimentaire

Dans l’histoire russe, les révolutions vestimentaires ont toujours coïncidé avec les plus grands changements po-litiques : de Pierre le Grand à la révo-lution de 1917 puis à la perestroïka de Gorbatchev.Rendus célèbres dans le monde par les collections « à la russe » d’Yves Saint-Laurent et les Ballets, les éléments prin-cipaux de la mode russe contemporai-ne sont le résultat de réformes spectaculaires.

L’un de écrivains russes contemporains les plus marquants, Viktor Pelevin, a dit un jour que l’histoire russe était, d’une certaine manière, une histoire de la mode. Le décor et les costumes des protagonistes peuvent changer, mais l’essence des processus profonds demeure la même. On peut ne pas être d’accord, mais en ce qui concerne la mode russe, c’est indéniablement vrai.

KSENIA GALOUCHKOSPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Le cinéma attaque l’histoire

Le film « Tsar », de Pavel Lounguine, a ranimé en Russie un vieux débat sur la double identité d’Ivan le Terrible, tyran fou ou libérateur du joug tatare et orthodoxe pieux. Rien de surprenant à cela. La Russie continue à ce jour d'avoir une attitude ambivalente à l’égard de ses tyrans.

D’APRÈS VLADIMIR TIKHOMIROVKOMMERSANT

Ivan s'est dédoublé au début du XIXe siècle. Les enfants de la noblesse, sous le choc de la guerre patriotique et de l’intervention de leur idole française Bonaparte, civilisateur progressiste de-venu envahisseur abhorré, se sont alors tournés vers l’histoire russe et les va-leurs nationales. On s'est mis à faire d'Ivan un orthodoxe pieux qui a mis à genoux toutes les hordes tatares et autres opritchniks, effaçant du même coup leurs actes sinistres... Ceux-ci sont ensuite réapparus dans le « Chant du tsar Ivan Vassilievitch, du jeune oprit-chnik et de l’audacieux marchand Ka-lachnikov » de Mikhaïl Lermontov, où l’auteur fait d’Yvan un opritchnik hy-pocrite. Le public progressiste y vit un hymne à la lutte contre la tyrannie des

tsars. Ainsi furent créés les deux tsars nommés Ivan mais représentant un même personnage à double facette.Le nouveau a contribué à noircir le ta-bleau : l’Ivan le Terrible de Lounguine est un psychopathe « fole-en-Chist » squi se délecte de scènes d’exécutions massives et de torture. Les trahisons, les complots et les guerres, à l’arrière-plan, sont un prétexte à de nouveaux bains de sang. Lounguine fait d’Ivan le Terrible la source de tous les maux his-toriques de la Russie, se disant « convain-cu » qu’il « a brisé la Renaissance russe. La spirale ascendante d’une société… s’est transformée en manège, et depuis nous tournons en rond...»La réaction à la nouvelle version tour-ne également en rond. Les partisans de la canonisation immédiate ont brandi des parchemins anciens selon lesquels Ivan Vassilievitch n’aurait jamais tué le métropolite Philippe Kolytchev, mais l’aurait au contraire vénéré. Et il n’aurait pas tué son fils non plus, quoi qu’en suggère le tableau d’Ilya Répine (« Yvan le Terrible tue son fi ls » 1885).. Que son sadisme serait donc une légende... On peut ainsi tourner en rond à l’infi ni car il n'est pas question de laisser sa dé-pouille aux seuls historiens... -

Un symbole de foiBillet d'humeur

MIKHAIL SHVYDKOISPÉCIALEMENT POUR LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Le dernier film de Pavel Lounguine, Tsar, ne raconte pas tant le destin d’Ivan le Terrible, dont la figure a fasciné pein-tres, écrivains et cinéastes russes, de Re-pine à Eisenstein, que l’opposition entre pouvoirs laïc et ecclésiastique. Beaucoup ont été outrés par l’humble résignation des serfs face à la cruauté arbitraire d’Ivan le Terrible et des ses opritchniki. Les tenants de la poigne de fer, qui voient dans Staline un écho d’Ivan, ont critiqué l’interprétation de Piotr Mamonov : le tsar ressemble davantage à un fol-en-Christ qu’au dompteur implacable de Pskov, Novgorod, Kazan, et, au passage, de son propre peuple. Bref, en Russie, ce film a déjà provoqué d’âpres débats, moins esthétiques qu’historiques et politiques. Mais il semble que tous aient oublié, ou manqué de noter la base historique du film. En tant qu'ancien directeur de l’Agence fédérale de la culture et du cinéma, qui a financé en partie le projet de Lounguine, j’ai assisté à la conception de Tsar. J'ai noté que le réalisateur avait demandé et obtenu la bénédiction du Patriarche Alexis II.L’opposition entre Ivan et le métropolite Philippe n’est pas qu'un conflit entre deux personnages historiques hors du commun. Tsar est une tentative réussie d’aborder l’un des thèmes les plus sen-sibles de l’histoire russe. Le conflit entre l’Église et l’État marque presque toutes les étapes de l’histoire de la Russie. Les seigneurs laïcs ont prétendu non seulement au pouvoir sur la vie sociale et physique de leurs sujets, mais aussi sur les cœurs et les esprits. Le principe « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » n’a jamais été suivi par les souverains russes. Pierre le Grand s’est même intronisé à la tête de l’Église, en révoquant le Patriarche. Le système patriarcal n’a été restauré qu’au lendemain de la révolution de 1917... pour subir la répression des bolchéviques. L’Église orthodoxe russe n’est devenue libre que dans la Russie nouvelle d’après 1991, tout comme les citoyens de Russie. Ils ont entre autres obtenu la liberté de conscience, qui n’est pas déterminée par les nécessités d’État. La liberté de chercher la vérité et la foi. Le film de Pavel Lounguine montre à quel point ce chemin est tragique.Hier, aujourd’hui, toujours.

On a reproché à Nikita Mikhalkov d'avoir pris des libertés injustifi ées avec le scénario de Douze hommes en colè-re, de Sidney Lumet. On l'a accusé d'avoir fait un mauvais « remake », qui enlève tout sans rien apporter à l'his-toire originale. On lui en a voulu d'avoir dressé non un portrait mais une cari-cature de la société russe, à travers sa galerie de personnages aux contours trop grimaçants. Et pourtant. Mikhalk-ov n'a jamais prétendu proposer une nouvelle lecture d'une histoire ancien-ne, ni même remettre à la sauce russe une fable profondément américaine. Son intention était de s'appuyer sur une œuvre célèbre pour dresser un état des lieux de la société russe, en affirmant son crédo : la compassion (le cœur), est au-dessus de la loi (la raison), et sau-

vera la Russie. En réunissant à l'écran les meilleurs acteurs, Mikhalkov a of-fert au talent de chacun le temps et l'espace pour révéler les travers, les an-goisses, les espoirs et les désespoirs, la médiocrité et la grandeur de l'homme en général, du Russe en particulier. Mais malgré le souffle tragique qui balaie ce magistral huis-clos, en dépit d'un jeu virtuose et d'un texte puissant, nonobs-tant quelques plans-séquences vérita-blement remarquables, le fi lm s'abîme dans une fi n qui n'en fi nit pas de fi nir. Écueil plus grave : certes, c'est la com-passion, que chacun des jurés découvre au fond de lui à force de confi dences enfl ammées et de jeux de rôles éprou-vants, qui sauve l'adolescent innocent; mais c'est à l'armée russe que le petit Tchétchène doit sa survie, in fi ne. Une première fois, alors que ses parents ont été sauvagement assassinés, il est re-cueilli par un officier devenu l'ami de la famille. Une seconde fois, suite aux délibérations. En effet on découvre que le peintre discret (joué par Nikita Mikhalkov) n'est autre qu'un officier lui aussi, vétéran de la guerre de Tchét-chénie. Il a tiré toutes les fi celles et re-cueillera le gamin disculpé. Morale : à l'armée russe le peuple tchétchène re-connaissant. -

A Moscou, dans un tribunal de quartier, douze jurés s’enferment pour décider du sort d’un adolescent tchétchène, accusé d’avoir assassiné son père adoptif, un officier de l’armée russe. Au début de la séance, tous s’accordent sur la culpabilité du gamin. Tous sauf un…

VERONIKA DORMAN LA RUSSIE D'AUJOURD'HUI

Ivan rend « schizo »

Le juge Mikhalkov

Paru en 2009 en français, « Russian Sty-le » d’Evelina Khromtchenko est un abé-cédaire des codes et des symboles culturels.

Littérature :

Prix pour les russophonesLe 4ème « Prix de la Russophonie », une distinction réservée aux meilleures tra-ductions de textes russes en français, a récompensé le 30 janvier dernier deux lauréates d'un coup. Sophie Benes a été couronnée pour sa traduction du Conte de la Lune non éteinte de Boris Pilniak tandis que la poétesse, artiste et traductrice Christina Zeitounian-Belous a été honorée pour sa version française du poème Premier rendez-vous d’Andreï Bely. La remise du prix a eu lieu au Kremlin-Bicêtre (dans la ban-lieue de Paris), à l’occasion du Festival Russenko des cultures russophones au début de l’Année de la Russie. -

Pour en savoir plus sur le festival RussenKo et le Conte de la Lune non

éteinte, consulter le site www.fr.rbth.ru

Cinéma Lounguine et Mikhalkov se risquent à filmer les tabous russes

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12LA RUSSIE D’AUJOURD’HUI WWW.RBTH.RUCOMMUNIQUÉ DE ROSSIYSKAYA GAZETADISTRIBUÉ AVEC LE FIGARO Culture

Tous les détails et bien davantage sur notre site www.fr.rbth.ru

À l'affiche de l’Année Croisée 2010

Sainte Russie – L’art en Russie des origines à Pierre le Grand5 mars-23 mai, Musée du Louvre, ParisPour la première fois de son histoire, le musée du Louvre organise une ex-position consacrée à l’art russe, en as-sociation avec le musées du Kremlin, le musée historique d’Etat de Moscou, la Galerie Tretiakov, les musées de Vladimir, de Souzdal et de Novgorod, etc. Près de mille ans d’histoire de la Russie seront retracés : depuis sa christianisation à la fin du Xème siècle jusqu’à l’époque de Pierre le Grand, dans le premier quart du XVIIIème siècle.http:// www.louvre.fr

Chefs-d’œuvre de la collection du Musée national Picasso24 février-23 mai, Musée Pouchkine/ Prechistenka 12/2, MoscouLe Musée national Picasso présentera à Moscou puis à Saint-Pétersbourg 200 chefs d’œuvres (peintures, sculptures, dessins) du fondateur du cubisme. Cette exposition illustrera, de la mort de Casagemas en 1901 aux musiciens hiératiques de l’été 1972, le génie créa-teur d’une des personnalités les plus marquantes de son siècle.http:// www.pushkinmuseum.ru

Festival « Drougoï Théâtre de France » 24 février-4 mars, Centre Meyerhold/ Novoslobodskaïa 23, MoscouLe projet « Drougoï Théâtre » est né de l’envie de présenter au public russe un théâtre de petites formes mais de grande créativité, mêlant avec beaucoup d’esprit différents arts scéniques et visuels. A l’affiche : le « Projet RW » par le Collectif Quatre Ailes, « Gaff Aff » par la compagnie Zimmermann & de Perrot et « A notre insu » par Turak Théâtre. Une présentation du Centre culturel français de Moscou et du Théâtre des Nations.http://www.meyerhold.ru

Le borchtch universel

Cuisine

JENNIFER EREMEEVALA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Magnifique borchtch ! Telle une carte téléphonique de la Russie : soupe violette, unique en couleur et en goût, infinie dans ses manifestations, œcu-ménique par son appartenance, elle est servie brûlante avec des pommes de terre par les orthodoxes d’Ukraine, et glacée avec de la crème fraîche, les jours de grosse chaleur, par les épiciers juifs de New York. Tant que vous avez l’ingrédient essentiel, la betterave, peu importe ce que vous y ajoutez, cela reste du borchtch. Mais ceci n’empêche pas les gens de débattre passionné-ment des détails de la recette.Une terrible guerre du borchtch fut déclenchée en 1994, à la veille de la visite en Russie de la reine Elizabeth, qui avait gracieusement précisé qu’elle voulait goûter à la cuisine russe. Branle-bas de combat à Saint-Pétersbourg. Un éminent chef européen, dans le seul hôtel cinq étoiles de l’époque, trima sur une version « nouvelle-cuisine » de la fameuse soupe : de la betterave jeune et de petites carottes délicatement pochées dans un bouillon clair et léger, qui tournait au rose délicat quand on y ajoutait une cuillère de crème fraîche maison. Lors d’une séance de dégusta-

tion par le haut personnel, les Russes se révoltèrent. Quelqu’un alla chercher sa babouchka à la datcha, avec sa cé-lèbre recette : une potée épaisse, pres-que gélatineuse de viande, un léger film de gras ajoutant du lustre au bouillon violet, exhalant l’ail et l’aneth, avec des morceaux de chou flottant entre les patates et les carottes. Le chef menaça de poser sa démission par principe. La trêve fut difficilement obtenue : on dilua le bouillon de la babouchka et on ajouta les betteraves et carottes jeunes du chef. Ou bien ce fut l’inverse ? Peu importe, Sa Majesté envoya ses compli-ments à la cuisine.Il n’y a vraiment qu’un seul secret au bon borchtch « babouchka » : une tasse de « rassol », ou saumure de cornichons russes au sel, qui crée ce goût acidulé et pétulant, et stabilise la couleur vio-lette de signature. Il faut savoir être imaginatif avec le « rassol » : le jus du chou mariné fera l’affaire, aussi bien que la saumure de cornichons français. Au pire, utilisez 1/3 de tasse de vin rouge ou de vinaigre de pomme.

Lisez la recette du borchtch sur le sitewww.figaro.fr/larussiedaujourdhui

Borchtch classique

Théâtre Après 30 ans, les retrouvailles parisiennes d’un joyau de la scène

Le grand retour de l’Opéra de PermL’Opéra de Perm occupe une place particulière dans le monde du théâtre et de l’art lyrique russes. Il doit son ouverture (il y a presque 140 ans) en grande partie à la famille Diaghilev dont est issu Sergueï Diaghilev, le grand promoteur de l’art russe dans le monde. entier), qui avait largement participé au financement de la construction du bâtiment en pierre de l’Opéra.

ELENA FEDORENKOLA RUSSIE D’AUJOURD’HUI

Son histoire contemporaine est liée au metteur en scène Gueorgui Isaakian, di-recteur artistique du théâtre. Ce gestion-naire mais surtout visionnaire a su pro-pulser l’établissement sur la scène internationale. Il a su, le premier, don-ner au théâtre de province plusieurs mis-sions simultanéess : à la différence de la capitale où chaque institution occu-pe une niche particulière, l’Opéra de Perm, sans conservatoire dans un rayon de 400 km, est un créateur et produc-teur de spectacles dictés à la fois par la baguette d’un chef d’orchestre et le génie d’un metteur en scène. Son programme est l’un des plus riches dans le pays avec des spectacles, pro-duits à un rtyhme effréné, appréciés du profane comme de l’initié : de six à huit premières dans la saison, plus de 50 opé-ras et ballets, soit au total un cocktail d’œuvres classiques, russes et européen-nes, mêlant traditions et accents contem-porains. C’est à Perm qu’a été, pour la première fois, mis en scène l’opéra «Lo-lita» de Rodion Chtchedrine, d’après le roman de Nabokov. Le metteur en scène a retrouvé des partitions longtemps considérées comme perdues, comme cela avait été le cas de l’opéra « Tchertogon» de Nikolaï Sidelnikov, une adaptation de la nouvelle de Nikolaï Leskov. L’une des dernières « premières » à venir promet d’être un véritable événement, pour l’opéra russe et pour de nombreu-ses scènes mondiales. Gueorgui Isaakian a eu l’audace de mettre en scène « Une journée d’Ivan Denissovitch », adapté du roman d’Alexandre Soljenitsyne, sur une musique du compositeur contem-porain Alexandre Tchaïkovsky. L’auteur était tout d’abord sceptique à l’idée de raconter la vie d’un prisonnier du gou-lag en des termes dévolus à l’art lyrique, mais il écrira plus tard que l’opéra est peut être le seul genre théâtral apte à traiter ce sujet délicat, particulièrement sensible à Perm, une ville dans la région

de laquelle des camps pour prisonniers politiques ont existé jusqu’en 1986. Mais dans l’esprit du metteur en scène Gueor-gui Isaakian, la représentation lyrique dépasse le thème de l’emprisonnement pour inviter à une réfl exion sur la soli-tude, la liberté et sa perte, des notions qui parlent à tout le monde. Le specta-cle est déja nominé pour le plus grand prix de théâtre russe, le Masque d’or, dans sept catégories.L’école de ballet a été créée à Perm « grâce » à la Seconde Guerre mondia-le et, plus précisément, pendant le repli à Perm du Théâtre Mariinsky. Cette pé-riode a été tellement fructueuse que de nos jours, Perm est considérée comme la troisième Mecque du ballet russe après Moscou et Saint-Pétersbourg. L’une des

initiatives les plus brillantes de son Opéra a été d’inclure à son program-me les ballets de Balanchine. Selon Gueorgui Isaakian, « l’histoire intitulée « Ballet de Balanchine » a été ignorée en Russie ; Perm a donc décidé de com-bler cette lacune ». Le théâtre s’est adres-sé au Fonds Balanchine et a reçu les originaux des mains des anciens dan-seurs de «Mister B» (à prononcer à l’amé-ricaine, « bi »).Le « Ballet imperial », connu pour la complexité de ses rythmes et de sa tech-nique, a été interprété par les danseurs de Perm avec une telle originalité que les chercheurs étudiant le patrimoine de Balanchine ont introduit une nou-velle notion, celle de « Balanchine dans la version de Perm ». Le néoclassicisme et la poésie de la chorégraphie ayant été totalement maîtrisés, le théâtre de Perm peut dorénavant piocher librement dans Balanchine pour alimenter son réper-toire. C’est ainsi qu’à mille lieues des scènes de la capitale, une ville de pro-vince a conduit la Russie vers la « ba-lanchisation totale ». « Sérénade », « Concerto barocco », « Thème avec variations », et « Somnam-bule » (le dernier et l’un des rares exem-ples de ballet à thème chez Balanchine) s’inscrivent sur un terrain déjà labouré. Les novices intégrant le corps de ballet dansent désormais Balanchine au même

titre que leur cher (Marius) Petipa. Les danseurs de Perm transmettent avec un lyrisme profond les poses nettes, la vi-tesse new-yorkaise et les arrêts palpi-tants, inspirés de « Mister B ». Créé il y a dix ans, le Festival interna-tional « Les saisons de Diaghilev : Perm–Saint-Pétersbourg–Paris » est actuelle-ment le label de la ville. La portée multiculturelle et multi-genres du fes-tival (premières théâtrales mondiales et russes, concerts, présentations de créa-tions musicales, colloque scientifi que, sé-minaires des critiques, expositions, Nuit des musées, forums cinématographiques, présentation de nouveaux livres, défi lés de mode) tient à une hardiesse débri-dée, à un fl air artistique sans faille et à une propension à s’attaquer à tout à la fois, toutes qualités qui étaient propres à Diaghilev. Et cela, sans oublier le Concours ouvert d’artistes de ballet de Russie, « Arabes-que », qui a pour directeur artistique Vladimir Vassiliev. Ainsi que le projet « Chorégraphie contemporaine » sur la scène de Perm, grâce auquel, l’année pro-chaine, la ville recevra une nouvelle fois des chorégraphes du monde entier venus y présenter leurs spectacles. Située à des centaines de kilomètres de Moscou et de Saint-Pétersbourg, Perm pourrait aujourd’hui leur disputer le titre de « capitale culturelle ».

« Une journée d’Ivan Denissovitch »

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— « Cléopatre » de Massenet ;— « Lolita » de Chtchedrine :— « Orphée » de Monteverdi ;— « Alcina » de Haendel ;— « Le Christ » de Rubinstein ;— « Vague des jours » de Denisov.

Le premier théâtre russe à mettre en scène les opéras suivants :

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