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A la mémoire de Philippe Lopez, qui n’aimait pas beaucoup Shakespeare.

Et pour Camille, Bastien et Nicolas qui ont cru comme moi à cette réécriture.

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Personnages

Coryphée, chœur.

MAISON DELLA SCALLA

Béatrix, souveraine de Vérone.

Mercutio , comte, ami fantasque de Benvolio.

Paris, comte, amant de Juliette.

Mascarille, page de Paris.

Trois Gardes du Guet.

Trois Musiciens

MAISON CAPULET

Capulet, chef de famille, vieillard.

Lady Capulet, jeune épouse de Capulet.

Tybalt , gentilhomme colérique, neveu de Lady Capulet.

Rosaline, pieuse damoiselle, nièce de Capulet.

Angelica, vieille nourrice de Juliette.

Brighella, page fanfaron.

Casserole, page bouffon.

MAISON MONTAIGU

Montaigu, chef de famille, vieillard.

Lady Montaigu , épouse de Montaigu.

Benvolio, jeune gentilhomme, neveu de Lady Montaigu.

L ’Ombre, Roméo, fils unique de Montaigu.

Balthazar, page maure.

MONASTÈRE

Laurent , étrange moine franciscain.

Jean, moine franciscain.

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La pièce a été jouée pour la première fois par la Troupe de la Brette Noire, le 26 mars 2013 au Théâtre Naldini de la Maison de l'Enfance à Levallois-Perret.

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La scène est à Vérone. On voit deux bancs en fond de scène et un échiquier dans un coin, posé sur une table avec deux fauteuils. Les pièces ne sont pas mises en ordre.

CORYPHÉE

Deux illustres maisons, d’égale dignité Dans la belle Vérone où nous plaçons la scène,

Enflamment à nouveau leur vieille inimitié, Et l’acier dans le sang va distiller la haine.

Dans le giron fatal de ces deux ennemis Sont nés deux amoureux détestés des étoiles,

Leur immortel amour cessera à minuit, En cadavres sanglants et haines déloyales.

De leur funeste amour, ne feront point récit Les masques de cette nouvelle comédie Ici, jeunes en joie et parents opiniâtres

Vont trois heures durant occuper ce théâtre, Et si vous consentez à un peu de patience,

Nos efforts suppléeront à notre insuffisance.

Durant la chanson, entrent Laurent et Béatrix. Laurent demande à la Béatrix de choisir la couleur de ses pièces. Ils se placent à l’échiquier.

Sort le Coryphée.

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ACTE PREMIER

Scène I

Une place de Vérone.

Entrent Brighella et Tybalt, armés.

BRIGHELLA Par ma bonne lame, Monseigneur, ce n’est pas nous qui leur tiendrons la chandelle.

TYBALT Non par ma foi, il serait plus honnête de leur faire voir quelques flamberges.

BRIGHELLA Disons que s’ils nous échauffent trop, nous pourrions tirer quelque chose.

TYBALT Vrai, le roquet est prompt à tirer sur sa laisse.

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BRIGHELLA Moi, quand on m’a trop excité, c’est un coup que je tire, et vite.

TYBALT Mais tu n’es jamais assez vite excité pour frapper.

BRIGHELLA Un chien de la tribu des Montaigu, ça m’excite.

TYBALT S’exciter c’est trépigner et être brave c’est rester ferme, alors si on t’excite, tu te carapates.

BRIGHELLA Un chien de cette maison, ça m’excite à être ferme, le dos au mur que je les attends les hommes et les donzelles de Montaigu.

TYBALT Tout comme un faible esclave, car ce sont les esclaves que l’on ferre au mur.

BRIGHELLA C’est juste, et puisque les femmes sont les plus dociles des trophées, on les colle toujours au mur. Bon je délogerai les hommes du mur et j’y presserai les filles.

TYBALT La querelle est entre nous les maîtres, mais aussi entre vous nos hommes.

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BRIGHELLA C’est tout un ! Je me montrerai un tyran, quand j’aurai battu les hommes, je serai cruel avec les filles et je les frapperai.

TYBALT Au cœur ?

BRIGHELLA Au cœur ou au giron, prenez-le dans le sens que vous voudrez.

TYBALT A celles qui le sentiront de le prendre dans le bon sens.

BRIGHELLA C’est moi qu’elles sentiront tant que je serai capable de tenir et c’est bien connu que je cache un bel écureuil.

TYBALT Tant mieux si tu n’es pas une anguille, sinon tu ne ferais pas l’affaire, allons prépare-toi, voici le Maure des Montaigu qui vient.

Entre Balthazar

BRIGHELLA Mon arme à tous les vents, cherchez-lui querelle Monseigneur, je vous couvre.

TYBALT Par derrière, pour mieux te sauver ?

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BRIGHELLA Soyez sans crainte.

TYBALT Sainte Vierge, te craindre toi ?

BRIGHELLA Mettons la loi de notre côté, qu’il commence.

TYBALT En passant je le regarderai de travers, qu’il le prenne comme il voudra.

Tybalt bouscule Balthazar qui évite son regard.

BRIGHELLA Il n’ose rien face à vous, je vais lui siffloter au visage, s’il le supporte ce sera pour lui un affront.

Tybalt reste en arrière et Brighella vient siffloter derrière Balthazar.

BALTHAZAR C’est pour moi que vous sifflotez, Monsieur ?

BRIGHELLA C’est vrai, Monsieur, je sifflote.

BALTHAZAR Mais est-ce pour moi que vous sifflotez, Monsieur ?

BRIGHELLA bas Est-ce que la loi est pour nous si je lui dis oui ?

TYBALT bas Non !

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BRIGHELLA Non, Monsieur ce n’est pas pour vous que je sifflote, Monsieur. Balthazar s’éloigne. Mais je sifflote, Monsieur !

Balthazar revient sur Brighella, Tybalt s’interpose.

TYBALT Vous nous cherchez querelle, Monsieur ?

BALTHAZAR apeuré Une querelle, Monsieur ? Non, Monsieur !

BRIGHELLA Si c’est ça que vous voulez, je suis votre homme, Monsieur. Mon maître vaut bien le vôtre.

BALTHAZAR amusé Mais pas davantage…

BRIGHELLA Si ça vous chante !

Tybalt attrape le bras de Brighella.

TYBALT Dis davantage !

BRIGHELLA apeuré à son tour Si, Monsieur, davantage !

BALTHAZAR Vous êtes donc un menteur !

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BRIGHELLA Tirez votre arme et prouvez-le ! Monseigneur, n’oubliez pas votre fameuse botte !

Tybalt s’éloigne amusé. Ils se battent comme des chiffonniers. Entre Benvolio en courant, épée à la main.

BENVOLIO Imbéciles, séparez-vous ! Vous ne savez pas ce que vous faites !

Benvolio voit Tybalt. Ils se toisent et Benvolio recule.

TYBALT Quoi ? Dégainer parmi ces poules sans coq, en garde Benvolio et regarde ta mort.

BENVOLIO Je rétablis la paix, je ne fais rien d’autre. Rengaine, ou comme moi, sers-toi de ton épée pour séparer cette valetaille.

TYBALT L’arme à la main, parler d’apaisement ? Je hais ce mot, comme je hais l’Enfer, tous les Montaigu et toi : en garde, couard !

Ils se battent, Benvolio est touché à l’épaule. Entre l’officier, faisant tournoyer son épée et séparant les combattants.

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L’OFFICIER DU GUET Des massues, des pertuisanes, des piques, frappez ces gens, écrasez-les ! Au diable, les Montaigu et les Capulet !

Entre successivement Capulet, sa femme et Casserole portant l’espadon de Capulet.

CAPULET Qu’est-ce que tout ce bruit ? Hola, que l’on me donne mon espadon !

LADY CAPULET Des béquilles, des béquilles ! Pourquoi demander votre épée ?

CAPULET Mon épée, ai-je dit ! Le vieux Montaigu arrive, il me défie en brandissant sa rapière.

Entre Montaigu et sa femme le retenant

MONTAIGU Toi ! Infâme Capulet ! Ne me retenez pas, laissez-moi aller !

LADY MONTAIGU Vous ne ferez pas un pas du côté de votre ennemi !

Ils se chargent, l’Officier se recroqueville. Béatrix se lève de son fauteuil.

BÉATRIX Sujets rebelles, ennemis de la paix, profanateurs d’un fer que vous souillez du sang de vos voisins, n’entendrez-vous jamais ! Vous hommes, vous bêtes

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fauves, qui noyez le feu de votre rage pernicieuse dans les pourpres fontaines qui jaillissent de vos veines. Que vos sanglantes mains, sous peine de torture, jettent au sol vos intempérantes épées et écoutez la sentence de votre Suzeraine courroucée. Trois rixes fratricides pour des paroles de vent, par ta faute vieux Capulet et la tienne Montaigu, ont par trois fois troublé la quiétude de nos rues et contraint les anciens de Vérone à laisser là la gravité de leurs charges et à brandir dans leurs vieilles mains, leurs vieilles pertuisanes que la paix a rongées, pour séparer vos haines, elles aussi rongées. Si vous troublez une nouvelle fois nos rues, vos vies payeront ce manquement à la paix. Pour l’heure, que tous se retirent. Vous Capulet, vous nous suivrez et vous Montaigu, vous viendrez cet après-midi à notre vieux Ville-Franche, notre Cour de Justice, pour connaître les suites qu’il nous plaît de donner à l’affaire. Une fois de plus, sous peine de mort, que tous se retirent !

Sortent Béatrix, Capulet, mené par l’Officier, et Casserole, d’un côté. Sortent Lady Capulet, Tybalt et Brighella de l’autre.

MONTAIGU Qui a ranimé cette vieille querelle ? Dites neveu, étiez-vous présent quand tout a commencé ?

BENVOLIO Ils étaient là, les gens de votre adversaire et les vôtres, à se battre ferme, quand j’arrivai. J’ai dégainé pour les séparer. Mais survint alors l’impétueux Tybalt et son épée nue qu’il faisait tournoyer devant son visage, en me criant son défi aux oreilles et pourfendant les vents, qui n’en souffraient guère et lui

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sifflaient leur mépris. Comme nous échangions bottes et coups, des arrivants, d’autres encore ont pris part au combat. Puis ç’a été Son Altesse Béatrix qui a départagé les deux partis.

LADY MONTAIGU Où est Roméo ? L’avez-vous vu aujourd’hui ? Je suis heureuse qu’il n’ait pas été pris dans cette bataille.

BENVOLIO Madame, une heure avant que le divin soleil ait passé l’œil aux fenêtres d’or de l’Orient, mon esprit inquiet m’a poussé dehors et là, sous le bosquet des sycomores, qui prennent racines à l’Ouest de la ville, je vis votre fils matinal comme moi. Je vins vers lui, mais il me devina, il se glissa sous le couverts des bois et moi, conjecturant ses vœux d’après les miens, qui n’aspiraient qu’aux lieux les plus solitaires, puisque mon triste moi, ce m’était déjà trop, je suivis mon humeur, sans poursuivre la sienne et volontiers j’évitai qui volontiers me fuyait.

MONTAIGU Bien des matins on l’a vu là, augmentant de ses larmes la fraîche rosée, ajoutant aux nuages les nuages de ses profonds soupirs, mais dès que le joyeux soleil du plus lointain Orient commence d’écarter les rideaux vaporeux du lit de l’Aurore, mon sombre fils fuit la lumière du jour pour sa chambre, clôt ses fenêtres, chasse le beau jour et se fabrique une fausse nuit. Noire et bien redoutable deviendra cette humeur à moins que quelque bon conseil n’en chasse la cause.

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BENVOLIO Et connaissez-vous cette cause, mon oncle très noble ?

MONTAIGU Je n’en sais rien et ne peux rien apprendre de lui.

BENVOLIO L’avez-vous pressé par tous les moyens ?

MONTAIGU Moi-même et bien d’autres de nos amis, mais lui conseiller de sa propre affliction, et mauvais conseiller peut-être, le voici aussi secret, aussi fermé, aussi éloigné de l’épanouissement et de l’éclosion que le bouton de rose que le ver envieux ronge avant qu’il n’ait pu étendre ses pétales au vent et dédier sa beauté au soleil. Si nous pouvions connaître l’origine de son chagrin, volontiers nous lui donnerions les soins qui conviennent.

BENVOLIO Plus un mot cher oncle, tenez-vous à l’écart je vous prie, je saurai découvrir ce qui allonge les heures de Roméo.

LADY MONTAIGU Puissiez-vous avoir le bonheur d’une vraie confession.

BENVOLIO Je vous le promets, Madame, je connaîtrai son mal, ou ses rebuffades.