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duongthu
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Barnab, Sophie
Assistante en Psychiatrie infanto-juvnile
Centre de Guidance, 20, rue de Dinant, 4800 Verviers
Malchair, Alain
Pdopsychiatre et Mdecin Directeur
Centre de Sant Mentale Enfants-Parents, 16, rue Lambert Lebgue, 4000
Lige
2
A la rencontre des jeunes Mineurs Etrangers Non
Accompagns
Quel rle pour le pdopsychiatre ?
Aussi longtemps soit le sjour dun tronc darbre dans leau, il ne se transforme
jamais en crocodile (proverbe africain)
Meeting young non accompanied foreign minors. Whats the role of the pedo-psychiatrist ?
As long as a tree trunk can stay in water, it will never turn into a crocodile
(African proverb)
Abstract:
There are more and more young non accompanied minors in Belgium. Each of them
has a particular journey. These young people represent a heterogeneous category as
far as symptomatology, clinic and therapeutic means are concerned. In the context of
a use in a mental health Centre, the pedo-psychiatrist is confronted to these young
people and to all the ethic, therapeutic and administrative questions that they arouse.
These questions are tightly linked to the political context.
An integrative vision of the problem and a collaboration with the network seem more
than ever necessary.
Keywords:
Pedo-psychiatrist /Post-traumatic stress disorder/migration
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1) Introduction
La psychiatrie actuelle ne peut ignorer lvolution de la socit. La politique de
limmigration, avec ses adaptations et ses contestations en est une facette.
Larrive des Mineurs Etrangers Non Accompagns en Europe a commenc vers les
annes 80. Etant donn la situation gopolitique internationale, ce phnomne ne
cesse de samplifier, avec, en parallle, ses questions politiques, thiques,
sociologiques, juridiques, administratifs, psychologiques, etc.
Cet article propose une mise en perspective des questions de fond qui se sont poses
dans le cadre dune pratique de pdopsychiatrie en Centre de Sant Mentale. En effet,
le nombre grandissant de jeunes MENA en Belgique est une ralit de terrain, il
semble donc essentiel davoir certaines notions lesprit. Cest dans ce contexte que
nous avons contact diffrents intervenants : psychologues, ducateurs, coordinateurs
de plusieurs centres et associations qui ont lhabitude de travailler avec ces jeunes.
Nous avons galement rencontr dix jeunes, pour un entretien semi-structur centr
sur lhistoire de vie et la symptomatologie la plus frquente. Nous nous sommes
ensuite intresss la littrature et aux diffrentes options thrapeutiques. En fait, il
existe peu dcrits spcifiques sur le sujet, et les lments constitutifs de la question
renvoient aux biais importants que les tudes peuvent comporter. En effet, et nous
lavons expriment dans notre dmarche, il est extrmement difficile davoir une ide
prcise de la population concerne puisque ces jeunes vivent parfois dans des htels,
dans la rue, ou dans des conditions de vie qui ne permettent ni le recensement, ni
laide. Nous nous montrons donc prudents par rapport aux gnralits que nous
pourrions avancer. Ces rserves seront abordes plus loin.
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Vignette clinique
A. a 17 ans et demi. Elle est arrive de Guine Conakry il y a un an. Elle tait la seule de sa famille aller lcole.
Son pre ne voulait plus quelle continue. Il voulait la marier de force. Elle raconte une enfance douloureuse
(maltraitance et brimades) au pays. Ca me hante. Elle a dcid seule de venir ; elle connaissait quelquun qui
pouvait lemmener. Javais pas le choix On ma jete avec quelquun. Il ma amene loffice des trangers. Il
voulait juste maider. Elle se souvient des premiers jours en Belgique. Jtais perdue. Javais peur des autres.
Javais plein de trucs en tte. Je pensais que le mal allait marriver. Elle ne parvenait pas rester calme. Elle est
reste dans un C.O.O. pendant un mois puis a t transfre au centre El Paso de Gembloux.
A. na plus de contacts avec sa famille. Il ne faut pas que mon pre sache que je suis l. Au pays, A. se sentait
souvent triste. Elle a eu des ides noires et des priodes o elle se sentait trs mal. Elle faisait souvent des
cauchemars. En Belgique, elle continue ressentir ces difficults : troubles du sommeil importants, irritabilit,
impulsivit, sentiment dinscurit ( Cest comme si jallais toujours voir mon pre en sortant ) et de tension quasi
permanent, priodes de crises avec dralisation, tristesse et dcouragement. Ici, je me sens libre, mais pas bien.
Je narrive pas sortir de l . Parfois, toute cette haine explose. Cest comme si ce ntait pas moi.
2) Gnralits : dfinition et parcours daccueil
La partie descriptive qui suit est essentielle pour la comprhension de la trame du
problme: en effet, la clinique des MENA est indissociable des ralits du terrain.
Selon la dfinition, un MENA est un mineur tranger non accompagn, cest--dire un
tranger de moins de dix-huit ans, qui est originaire dun pays hors Union europenne
et qui se trouve seul sur le territoire sans tre accompagn par une personne exerant
lautorit parentale ou la tutelle en vertu de la loi nationale du mineur.
Un MENA doit, en outre, se trouver dans lune des situations suivantes: soit avoir
introduit une demande d'asile, soit ne pas satisfaire aux conditions daccs au
territoire et de sjour fixes par la loi du 15 dcembre 1980.
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Les demandes dasile des MENA augmentent danne en anne (autour de 3000 par an
en Belgique). Les pays dorigine de ces jeunes dpendent du contexte gopolitique du
moment. Daprs les chiffres de 2011, ils viennent surtout dAfghanistan, de Guine,
dIrak/Pakistan, de RD Congo et de Somalie. Il y a 84% de garons pour 16% de filles.
Ce sont surtout des grands adolescents (entre 15 et 17 ans)
Le parcours daccueil se prsente comme suit1 (en thorie, vu les possibilits relles et
la situation proccupante de la crise de laccueil).
1re phase : observation et orientation
La plupart des jeunes arrivent par voie arienne. Ils sont reprs par lOffice des
Etrangers (OE), la police ou le Commissariat Gnral aux Rfugis et aux Apatrides
(CGRA) et sont orients vers un Centre dObservation et dOrientation (COO) qui
dpend de Fdasil. Cette phase dure en thorie trente jours au maximum pour que
soit dress le profil social, mdical et psychologique du jeune.
Le service des tutelles est contact et il attribue un tuteur. Sil y a un doute sur lge,
un test osseux est ralis (triple radiographie des dents, de la clavicule et du poignet).
Ces tests sont contests car ils nont que peu de validit scientifique. En effet, le test
du poignet a t conu dans les annes 30, pour une population amricaine en bonne
sant. Les donnes ne peuvent tre transposes telles quelles des jeunes dont les
origines ethniques et gographiques diffrent, ni des jeunes qui, par exemple,
auraient des problmes de malnutrition entravant leur dveloppement physique.
Quant aux tests dentaires et de la clavicule, on estime que leur marge derreur est de
plus ou moins deux ans. Seuls les mineurs reprs la frontire et dont les autorits
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mettent lge en doute peuvent tre maintenus dans un centre ferm six jours au
maximum, pendant que le Service des Tutelles procde la dtermination de lge.
Pendant cette premire phase daccueil, le jeune peut entamer diffrentes procdures
administratives pour rgulariser sa situation en Belgique : la demande dasile ou la
protection subsidiaire ; lautorisation de sjour pour motifs humanitaires ou
mdicaux ; la demande de protection en tant que victime de la traite des tres
humains ; le regroupement familial en Belgique ou ltranger ; le retour volontaire
et/ou la procdure spcifique prvue dans la circulaire du 15 septembre 2005 relative
au sjour des MENA.
2me phase : transition
Le deuxime lieu dhbergement du jeune est dtermin par les autorits
comptentes en matire daccueil et doit tre adapt la situation du mineur qui y
restera un an: soit un centre daccueil Fdral, soit un centre de la Croix-Rouge, soit
une initiative locale daccueil dpendant dun CPAS, soit ventuellement chez un
membre de sa famille. Dans cette nouvelle structure daccueil, le jeune tablit un
projet de vie avec son tuteur. Il va lcole, apprend une des langues nationales et, au
besoin, bnficie des interventions mdicales et/ou psychologiques appropries.
Plusieurs possibilits existent. Si le mineur demande bnficier de lasile, il est alors
transfr vers une structure daccueil de Fdasil ou peut tre hberg chez un membre
de sa famille largie, si celui-ci rside en Belgique.
Sil ne demande pas lasile ou si la demande dasile est juge irrecevable et que tous
les recours ont t rejets, soit le mineur reste dans un centre qui lhberge jusqu
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ses 18 ans, soit il est assimil un mineur en danger ou en situation ducative
problmatique et relve de la comptence des services de protection de la jeunesse
des Communauts. Si le mineur est victime de la traite des tres humains, il est
accueilli dans un des centres conus pour rpondre ses besoins et offrir scurit et
discrtion.
3me phase : solution durable
Le jeune est orient vers une structure daccueil long terme (logements organiss par
les Communauts, initiatives locales daccueil, logement autonome supervis, location
dun logement personnel) avec comme objectif la mise en autonomie progressive.
Les MENA ont accs lducation, laide sociale, aux soins mdicaux et au travail. En
Belgique, lenseignement est obligatoire et gratuit pour tout mineur, mme en sjour
irrgulier. Il existe des classes passerelles.
Jusqu ses 18 ans, le MENA ne peut pas tre reconduit la frontire,
indpendamment du fait quil ait ou non introduit une demande dasile. Si avant ses 18
ans, il est reconnu comme rfugi ou sil obtient un autre statut de sjour, il a droit
laide financire dun CPAS. Une fois quil a 18 ans, le jeune dont la demande dasile na
t suivie daucune dcision est envoy dans une structure daccueil pour demandeurs
dasile adultes. Aprs ses 18 ans, tout jeune qui ne possde pas de permis de sjour
doit quitter le rseau daccueil.
A la lecture de cette procdure, force est de constater que les dplacements se
poursuivent encore aprs larrive en Belgique.
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Comme nous lavons soulev plus haut, la crise de laccueil est une ralit : certains
jeunes MENA nont pas accs ces structures et vivent la rue, en proie la faim, aux
personnes mal intentionnes, la criminalit et aux problmes de sant.
Vignette clinique
V. est Camerounaise. Elle a 18 ans. Elle est en Belgique depuis trois ans. Elle est fille unique et ses parents sont
dcds dans un accident de voiture. Elle vivait seule dans la maison avec laide de ses voisins. Elle a de bons
souvenirs de son enfance. Un jour, un cousin loign quelle ne connaissait pas bien est venu lui proposer de
laccompagner en Belgique car rien ne lattachait plus dans son pays. Elle ne connaissait pas le pays mais elle lui a
fait confiance. Ils sont partis quelques jours plus tard. A larrive en Belgique, le cousin la amene dans un
appartement. Elle faisait le mnage et ne pouvait pas sortir. Elle est reste l pendant deux ans. A larrive, tout
tait mauvais. Jtais dpasse et dcourage. Un jour, il avait laiss la porte ouverte et elle sest enfuie. Cest
comme si jtais libre dune prison. Jtais libre. Jtais bien. Elle a rencontr une dame qui la emmene lO.E..
Elle est alle dabord dans un C.O.O., puis dans un centre, puis dans un autre. Jtais perdue. Seule. Je navais
personne qui parler Elle se souvient avoir eu des difficults lors des transitions Chaque centre a ses propres
rgles. Cest pas facile de changer . Elle se souvient de troubles du sommeil, dides noires rcurrentes. Elle a
toujours beaucoup pens ses parents. Je narrive pas accepter le deuil. Ca vient, a part. Quand elle est seule,
il lui arrive de pleurer car elle est nostalgique de ses parents, de ses voisins. A prsent, elle est majeure et va quitter
le centre pour un kot et lautonomie. Je suis face mon destin . V. est toujours calme, mais elle dcrit de la
nervosit intrieure, des troubles de concentration et une difficult dadaptation. Quand elle est seule, elle rumine et
voque un profond sentiment de culpabilit. Elle voudrait faire des tudes dinfirmire puis retourner au Cameroun
car elle y serait plus laise.
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3) Rserves
Dans le cadre de cette rflexion, nous avons rencontr plusieurs jeunes mais nous
nous devons de rester prudents propos dventuelles gnralits car il existe de
nombreux biais.
Il nous semble fondamental de souligner limportance du cas par cas vu la singularit
des parcours de ces jeunes. La catgorie MENA est trs htrogne.
Dune part, il existe des biais gnraux.
En effet, comment peut on comparer des jeunes dont le vcu, lorigine, le sexe, lge,
le pays dorigine, le statut social, la culture, le trajet migratoire, la famille, les valeurs,
etc. diffrent ? Les vignettes cliniques illustrent bien ces distinctions.
Les jeunes rsident dans des structures daccueil diffrentes (Centres spcifiques pour
cette problmatique ou non, Initiatives locales daccueil) Cette diffrence
dencadrement participe au vcu du jeune et son mode dadaptation en Belgique.
(Ex : un centre qui accueille une cinquantaine de MENA spcifiquement est diffrent
dun centre Fdasil qui accueille plusieurs centaines de demandeurs dasile confondus)
La question de la vrit et du mensonge est une notion centrale dans le profil de ces
enfants et adolescents. Dabord, le contexte dans lequel les jeunes ont vcu et ont t
duqus va influencer leur faon de mentir ou ne pas dire la vrit : circonstances
traumatiques de guerre, de conflits, de dsaccords politiques, climat familial, etc.
Parfois, les jeunes MENA ne veulent pas dire tout parce que leur narration des faits
pourrait se retourner contre eux. Le mensonge peut, dans certains cas, tre un moyen
de survie, relle ou psychique. Dans certains contextes culturels, il peut tre considr
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comme une stratgie adaptative, ou une preuve dintelligence. Ensuite, durant leur
parcours daccueil, ils sont confronts de nombreux entretiens (ex : CGRA) au cours
desquels on exige deux une vrit absolue. Ils ont pourtant connaissance de scnarios
tout faits qui peuvent (en tout cas, cest ce quils pensent) les aider obtenir plus
facilement les papiers demands2. Se trouvent donc intriques ces dimensions
culturelle et logistique lintrieur de la personnalit du jeune, de son parcours
chaotique de vie et de sa mfiance lgard de ladulte inconnu. Les entretiens que
nous avons mens ont t raliss dans ce contexte. Nous ignorons si tous les dires
sont vrais, mais la recherche de la vrit nest pas lobjet de notre questionnement.
Pour les intervenants rencontrs, lenjeu nest pas non plus de savoir ce qui est vrai ou
faux dans l histoire , la composition familiale ou lge du jeune. Tout en exerant
une coute active du rcit fourni, il sagit de crer un lien dans un but daide et de
soutien.
Il existe, dautre part, des biais particuliers, relatifs prcisment cette recherche.
Pour cette synthse, nous avons contact plusieurs structures daccueil et plusieurs
tuteurs qui exposaient le projet aux jeunes. Ce sont donc ceux qui ont accept qui ont
t rencontrs. Ils ont des ges diffrents, des parcours diffrents et viennent de pays
diffrents. Le contexte est donc, de prime abord, incomparable. Remarquons que, de
faon alatoire, les jeunes rencontrs proviennent principalement dAfrique. Il y a
plusieurs hypothses quant cette observation : meilleure connaissance de la langue ?
Population plus importante ? Jeunes plus facilement daccord de rencontrer une
femme pour son travail de fin dtudes ?...
Ces biais doivent rester lesprit tout au long de la rflexion.
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Pour une question manifeste de facilit et de comprhension, la plupart des jeunes
rencontrs ont un bon niveau de franais. Ils sont donc scolariss et en Belgique depuis
au moins quelques mois.
Pour viter de perturber davantage ces adolescents, les intervenants nous ont propos
de rencontrer des jeunes qui leur paraissaient suffisamment stables au point de
vue psychologique afin dviter une ventuelle dcompensation dans le dcours de
lentretien.
Au terme des nombreux contacts pris avec diffrents intervenants qui connaissent
bien le rseau, il est apparu que laccs ces jeunes est plutt difficile. (manque de
temps et de moyens pour les infrastructures et le personnel affect cette tche,
mfiance des intervenants, multiplicit des structures organisationnelles et manque de
communication, dsintrt de la part du grand public, divergence des volonts
politiques, etc.) Nous navons donc pas pu rencontrer un grand nombre de jeunes
MENA. Cet chantillon est trop rduit pour tre reprsentatif dune population et
permettre den dgager des notions gnrales. Cependant, les informations sont
compltes par des contacts avec les intervenants et des lectures pour cerner le sujet
de la manire la plus large possible.
La forme mme des entretiens induit aussi un biais, car ils sappuient sur les souvenirs
et les faits raconts postriori par le jeune. Les informations sont donc subjectives en
fonction du contexte, du recul et de ltat motionnel du jeune, de sa mmoire, etc.
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4) Existe-t-il une typologie ?
Angelina Etiemble3 dcrit plusieurs profils de jeunes :
Les exils : ils viennent de toutes les rgions ravages par la guerre et les conflits
ethniques. Ils quittent leur pays de peur des rpressions, en raison des activits
politiques de leurs proches ou de leur appartenance ethnique. Lmigration est
envisage comme stratgie familiale venant rpondre la pauvret ou linscurit
ou comme lunique chance de survie des orphelins.
Les mandats : ils sont incits partir par leurs parents ou des proches afin
dchapper la misre. Ils sont encourags par la famille avec lespoir quils auront
une vie meilleure. Leur retour est parfois vu comme un chec. Ils sont choisis par
la famille pour leur ct dbrouillard. Ils ont en gnral une forte volont
dapprendre le franais.
Les exploits : Ils sont aux mains de trafiquants de toutes sortes.
Les fugueurs : ils quittent leur domicile en raison de conflits avec leur famille (ou
linstitution) ou parce quils sont victimes de maltraitance.
Les errants : ils taient dj en situation derrance dans leur pays dorigine
(mendicit, emplois de fortune, dlinquance, prostitution...). Ils dcident de tenter
leur chance dans un pays riche.
Il faut remarquer que la frontire entre ces profils est permable (des exils
peuvent porter un mandat familial, mme sil nest pas explicite, tous peuvent
tomber entre de mauvaises mains et devenirs exploits). Cette typologie nest
pas fige.
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Vignette clinique
S. a 24 ans. Elle est arrive de Guine Conakry quand elle avait 14 ans et demi. Elle na pas connu son pre qui est
dcd quelques semaines aprs sa naissance. Elle a perdu sa maman 13 ans. S. avait t marie de force et elle
ntait pas la premire pouse. Pour moi, jai t viole . Elle a fui, sest cache dans la capitale pendant environ
un mois. Elle a reu laide dune connaissance, un commerant, qui voyageait souvent. Il lui a donn le passeport de
sa fille et la prise lors dun de ses voyages. Il la dpose en Belgique lO.E. avant de repartir. Elle sest sentie
perdue et dit navoir ralis vraiment la situation que quatre mois aprs son arrive. Elle est passe quelques
semaines dans un C.O.O. puis elle a t oriente dans un centre Fedasil. Durant plusieurs mois, elle raconte
dimportantes difficults psychologiques. Elle tait en retrait et ne parlait pas aux autres On se protge des gens.
Contre tout le monde. Je sentais que tous les autres taient des ennemis. Elle dcrit des troubles du sommeil :
difficults dendormissement, rveils nocturnes et cauchemars rcurrents. Je faisais toujours le mme rve. Jtais
sur une voie ferre. Je ne pouvais pas bouger et le train arrivait. Elle voque une impression permanente de danger
et une sensation trouble de ne pas pouvoir en sortir. Elle tait nerveuse et a eu pendant plusieurs mois une priode
danorexie. Elle se souvient dtre reste prostre sans pouvoir sortir pour aller lcole. Elle a t hospitalise
plusieurs reprises pour dshydratation ou malaises. Elle faisait galement des crises dangoisse. Elle a bnfici de
consultations chez une psychologue extrieure mais elle estime que laide ntait pas constructive. Aprs environ un
an au centre, elle a rencontr un petit copain. Il tait l. Avec lui, je pouvais parler. A partir de ce moment, son
tat sest amlior progressivement. A 17 ans et demi, elle a t place en autonomie en kot. A prsent, elle est en
couple, elle a un fils de huit mois et elle travaille dans une administration. Elle dit quil lui a fallu trois ans pour se
sentir un peu mieux. Elle ne fait plus de cauchemars depuis la naissance de son fils. Maintenant, je suis fixe et jai
envie davancer. Je me sens plus forte.
5) Quelle symptomatologie ?
On peut tenter dvaluer ltat psychologique et la symptomatologie du jeune en trois
temps : dans le pays dorigine dabord ; ensuite, au moment de larrive, avec le
dcalage et le choc culturel (priode de rupture, o se mlangent dculturalisation et
reculturalisation) et enfin, distance de larrive, cest--dire actuellement. Dans le
pays dorigine, il y a ou non une fragilit. La rupture fait dtonateur.
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Chez ces jeunes, la symptomatologie prdominante est une symptomatologie anxio-
dpressive: humeur triste, troubles du sommeil, anxit, irritabilit, difficults de
concentration, troubles alimentaires, passages lacte auto/htro-agressifs. Les ides
suicidaires sont rarement voques. Selon les jeunes rencontrs, cette caractristique
est mettre en lien avec le fait que la religion est trs importante et que leur foi les
pousse ne pas perdre espoir. Les aspects dpressifs sont souvent ractionnels au
contexte de vie.
Devant ces considrations, on constate quil ny a pas de tableau clinique typique .
Les symptmes ainsi que leur mode dexpression varient fortement en fonction du
jeune, de sa personnalit et de son parcours.
Les troubles observs rpondent gnralement bien plus ce qui a t dcrit comme
le tableau d ESPT complexe (Herman, 1992 ; Van der Kolk, 1996, Frey et al., 2001).
Ce trouble associe des perturbations affectives svres, des symptmes dissociatifs,
des manifestations somatiques, des altrations de la perception de soi (culpabilit,
honte, sentiment de modification identitaire) et de lagresseur (dsir de vengeance ou
idalisation), de la relation aux autres (mfiance, re-victimisation, htro-agressivit)
et enfin une altration des systmes de sens (dsespoir et perte des croyances
fondamentales) 4.
En plus de (des) lventuel(s) traumatisme(s) vcu(s), et en plus du traumatisme li la
migration en elle-mme, le jeune doit vivre son adolescence seul et en dehors de ce
quil a connu auparavant. Cette errance solitaire un ge cl de la structuration
15
psychique complexifie encore les processus en jeu dans la construction identitaire,
dans cette priode charnire de la vie.
Il faut noter que lon observe de grandes disparits dune rgion du monde une autre
dans la signification du concept dadolescence (ex : dans certaines socits
traditionnelles africaines, la pubert pour les filles signifie lentre dans lge adulte.
Elles sont mariables). Les socits traditionnelles formalisent le passage de lenfance
lge adulte travers un rite, une preuve et/ou une crmonie qui engage
directement le jeune dans ses responsabilit sociales.
Les consquences dun traumatisme psychique peuvent tre immdiates, post-
immdiates ou diffres.
Lorsquil y a traumatisme, celui-ci est souvent mis entre parenthses pendant la
procdure dasile. On parle alors de symptmes congels . La premire
proccupation de ces jeunes est le retour la normalit. Aprs lobtention du permis
de sjour, le jeune est souvent confront un contrecoup qui sexprime par diffrents
problmes de sant psychique et/ou mentale : cauchemars, troubles du sommeil ou de
lalimentation, douleurs au ventre, au dos, phobies 5. Lobjectif est alors de faire le
lien entre les symptmes et lvnement traumatique.
On ne peut voquer ces jeunes sans aborder la notion de rsilience, ce processus
dynamique donnant lindividu la capacit de ragir lorsquil est confront
ladversit, de rebondir dans la vie, de puiser dans ses ressources internes pour
rapprendre vivre une autre vie, une vie aprs lvnement traumatique6.
16
En effet, les capacits de rsilience vont influencer la manire dont le jeune va vivre sa
migration et sapproprier ou non son nouveau cadre culturel. Malgr un parcours
difficile, tous ne dveloppent pas de pathologie psychiatrique. Ils ont fait apparatre
des comptences adaptatives exceptionnelles pour faire face aux situations
anxiognes, sans oublier que les conditions de vie sont elles-mmes pathognes.
Un travail de recherche soutient que les notions dadaptation semblent trs lies la
qualit de la construction des liens avant la migration et au maintien de ces mmes
liens-mme si cest avec dautres personnes- aprs la migration7.
Une de nos interrogations tait la dure, voire la persistance des symptmes au fil du
temps. Les jeunes pouvaient-ils ressentir une diffrence subjective entre lavant et
laprs migration .
Chez tous les jeunes interrogs, il existait une amlioration lente de ltat psychique,
proportionnelle la dure de sjour. De manire gnrale, on assiste une rgression
des troubles au fur et mesure de laccueil, pour autant que le jeune soit dans des
conditions de vie stables et quil se sente en scurit. Cependant, les troubles peuvent
tre ractivs lors dun changement (de centre, dcole, dducateur)
6) Quels sont les apports des tudes randomises ?
En Europe, plusieurs tudes statistiques ont t menes8.
Les tudes comparatives ont dmontr que les adolescents isols sont plus exposs
des vnements de vie stressants que les adolescents accompagns, quil y a plus
dvnements traumatiques extrmes chez les mineurs isols que chez les mineurs
17
accompagns de leur famille, que les MENA ont plus de symptmes danxit, de
dpression et de PTSD mais moins de problmes de comportement que les ados
migrants accompagns. La dure du sjour en Belgique ninfluence pas les problmes
de comportement.
Dans les tudes de follow up, le bien-tre de ces jeunes est valu aprs sept ans. La
plupart ont commenc sadapter leur nouveau pays.
Il existe dautres tudes, plus spcifiques certains pays dorigine ou daccueil9.
On peut rsumer cette littrature comme suit.
Les Mena sont un groupe hautement vulnrable, qui souffre plus de morbidit
psychiatrique que les autres populations compares. Plusieurs tudes ont montr que
le sexe fminin et lge sont des facteurs prdictifs importants qui influencent les
symptmes de stress post traumatique. Les Mena ont t ngligs en terme de
recherche et dintervention. Ils ont des besoins lgislatifs, psychosociaux et
psychiatriques spcifiques. Peu de publications existent sur le sujet car : une possibilit
rduite daccs aux soins, des parcours particuliers, la barrire de la langue qui rend
difficile les mesures de standardisation, des mouvements migratoires frquents qui
rendent lorganisation dun protocole de recherche difficile. Les donnes varient aussi
en fonction du pays dorigine ; donc, il faudrait en tenir compte. Il y a un biais de
slection (plus de garons, les jeunes inclus dans les tudes sont inscrits dans des
programmes daide). Dans la littrature, de trs nombreux symptmes de PTSD sont
dcrits mais il faudrait un modle intgratif (reprendre les conditions lgislatives, la
sensibilit culturelle, etc.). Il est donc essentiel de prendre en compte les diffrences
voques prcdemment et dtudier la problmatique de manire multimodale.
18
7) Quels sont les symptmes dappel les plus frquents selon les intervenants ?
Certains jeunes, une minorit semble-t-il, bnficient dune prise en charge
psychologique. On peut se demander pourquoi tel jeune et pas un autre.
Pour cette question encore, il est difficile de gnraliser. Les formes peuvent varier
selon les intervenants, les structures, les moyens, le temps et les possibilits concrtes
en contexte. Ce sont souvent les symptmes spectaculaires qui entranent la
consultation (troubles du comportement, anorexie, anxit majeure ; cependant, il ne
faut pas sous-estimer les symptmes discrets qui peuvent galement tmoigner dun
profond mal-tre.
Quand on parle de MENA, il faut aussi voquer les jeunes dont le parcours et le
comportement est tellement chaotique que la socit les isole encore plus. Ils peuvent
prsenter des comportements violents, des recours aux substances et commettre des
dlits. Ces jeunes se retrouvent en IPPJ et ont peu de possibilits de rel projet dans la
prise en charge.
Vignette clinique
R. a 15 ans. Elle est lane de sa fratrie. Son pre est dcd ; elle ne la jamais connu. Sa mre habite dans un
bidonville de Kinshasa. Lorsquelle a eu 8 ans, la famille de son pre a dcid de lenvoyer en Belgique pour quelle ait
une vie meilleure. Ils ont runi largent pour une passeuse. R. a t choisie car elle tait lane et quelle avait une
communication inter-auriculaire. Cette pathologie pourrait laider avoir les papiers. R. na pas t prvenue. Elle a
peu de souvenirs de son voyage et de son arrive. Elle a t envoye chez sa tante maternelle de 21 ans, qui avait,
elle-mme, eu un parcours similaire. Celle-ci ntait pas daccord mais a d se plier la volont familiale. A lge de
13 ans, lcole sest inquite des comportements de R. Elle tait ferme. Elle tait dcrite comme difficile et
mchante avec ses condisciples. Lcole a demand un bilan au Centre de Sant Mentale.
Au terme du bilan, il est apparu que R. tait victime de maltraitance de la part de sa tante depuis son arrive en
Belgique. Un dossier SAJ a t ouvert et R. a t place en internat. Son tuteur, peu prsent, a voulu remettre R chez
19
sa tante. La lenteur administrative et la difficult de communication entre les intervenants ont t la source dune
importante violence institutionnelle pour R.
8) Elments de rflexion
Au terme de cette prsentation, quels sont les ventuels points communs entre ces
jeunes ?
Ils prsentent tous, diffrents degrs, des symptmes dEtat de Stress Post-
Traumatique. Sils nont pas toujours vcu de traumatisme au pays, le parcours
migratoire est en lui-mme un traumatisme pour ces jeunes isols.
Ils ont tous vcu lexil. Ils ont tous un parcours chaotique : voyage soudain, non
prpar, route vers linconnu. Ils ne savent pas o ils vont, ni o ils arrivent par rapport
leur point de dpart. Ils ont vcu lexprience dune rupture de rythme et de
structure (dstructuration dans le temps et lespace) Ils vont vers lincertain et
linscurit. Ils sont donc dans une logique de linstantan2. On peut constater cette
perturbation du rapport au temps lors des entretiens : confusion des dates, dans la
chronologie ou flou dans le parcours. Il faut aussi noter que la pression exerce au
niveau juridique et administratif (ge prcis, entretiens au CGRA) est en totale
contradiction avec le besoin de temps de la reconstruction. Les jeunes doivent donc
naviguer entre deux espaces-temps.
Cest en raison de cette dstructuration que ces jeunes ont besoin dun cadre, mais un
cadre souple, qui peut sadapter en fonction de ce quils ont connu et vcu avant. Ces
jeunes ont galement en commun le choc culturel, avec personne ou presque qui
20
partage leur culture pour les aider comprendre, dchiffrer et intgrer les
diffrences dans lesquelles ils sont immdiatement plongs.
Ces jeunes ont en commun de vivre leur adolescence en dehors du rfrent culturel
quils ont connu dans lenfance. Ces adolescents se retrouvent porter des missions
dadultes. Le MENA est un adolescent dpourvu de sa culture, de ses repres, donc, ce
manque dassises psychiques individuelles, familiales, socitales et culturelles est
doublement dommageable.
Souvent, les jeunes qui migrent sont prslectionns pour/par leur force et leur
temprament. La priode pr-migratoire est donc importante dans lhistoire et la
construction du jeune. Tous les jeunes avaient subi des expriences de traumatisme
dans le pays (deuils, sparations, agressions, abandons, maltraitance). Lexil a
constitu une ultime rptition de ces ruptures.
Il compte de garder lesprit la question de la violence institutionnelle dans le
parcours du jeune. La perte de confiance en ladulte est encore aggrave par la duret
de laccueil reu en Belgique, les barrires linguistiques, la lourdeur des procdures
administratives, labsurdit des preuves bureaucratiques exiges, et la mise en doute
presque systmatique de lge et de lhistoire des individus. Leur traitement en
Belgique est source dincomprhension. Celui-ci est peru comme injuste et arbitraire.
Ce sentiment de ngation, de suspicion et dexclusion cre de nouveaux traumatismes.
La Belgique tait souvent inconnue et imagine comme un eldorado. Le choc avec la
ralit est donc douloureux.
21
Il convient de mesurer limpact des rfrences religieuses sur la clinique. Tous les
jeunes avec lesquels des changes ont eu lieu sont croyants. La religion, quelle quelle
soit, occupe une place particulire dans leur vie : leur foi les a aids dans leur parcours
difficile. Parfois, Ils peuvent donner limpression quils se forcent aller bien , quils
ne peuvent se permettre de dire leurs difficults. La religion est alors aussi une
pression qui a un impact sur lexpression des motions. Le mode dexpression dpend
aussi du pays dorigine.
Ces rapports la croyance et la religion rejoignent la question des diffrences
culturelles au sens large et la difficult, parfois, se comprendre quand les cultures se
croisent et sentremlent (Exemple de la sorcellerie, trs prsente dans la culture
africaine notamment et dont limpact nest pas ngliger dans la prise en charge des
migrants).
Il existe une sparation nette pour ces jeunes entre le corps et lesprit. Dans les
centres, ils ont souvent recours linfirmire quand ils ont des insomnies, par exemple.
La somatisation est frquente mais laborder nest pas toujours simple, vu la
diffrence dans nos repres culturels. Lethnopsychiatrie peut tre un moyen de faire
le lien entre la culture et le symptme.
Une difficult a t notamment dgage lors des diffrents entretiens, cest celle pour
le jeune de rester lui-mme. Lenfant migrant se retrouve la croise des chemins. A
quel monde appartient-il ? Que garder de sa culture ? Doit-il adopter ou non la
nouvelle culture ? Qui est-il dans cette nouvelle configuration ? Ces interrogations
22
touchent au concept de loyaut clive et de loyaut invisible, introduit par I.
Boszormenyi-Nagy10, surtout si la famille est envoyeuse. Le jeune est mandat par sa
famille pour sinsrer et russir dans le monde occidental, et pourtant, sil y parvient, il
ne sera plus des leurs. La loyaut clive concerne lenfant qui est dans limpossibilit
de choisir.
La loyaut invisible se manifeste de manire indirecte, dtourne. Elle peut se
manifester, par exemple, quand un jeune met en chec une famille de parrainage.
Le jeune vit subitement un passage dune culture communautaire une culture
individualiste et est brutalement projet face la question de lappartenance.
Cette coexistence de plusieurs univers rfrentiels rejoint lide du sous-titre de cet
article : Aussi longtemps soit le sjour dun tronc darbre dans leau, il ne se
transforme jamais en crocodile . (Proverbe africain)
A la suite des entretiens, et avec les rserves mentionnes plus haut, nous constatons
que, malgr des parcours complexes et traumatiques, ces jeunes semblent, pour la
plupart, fonctionner sans trop grande dtresse. Certains semblent dlivrer la parole
que lintervenant a envie dentendre. Les discours sont alors strotyps. Lenjeu de
lobtention des papiers est, bien sr, de taille. Celui de la loyaut envers la famille
reste au pays galement. La russite du projet migratoire en est la reprsentation. Il
semble, daprs C. Thibaudeau11, que cette insertion russir ait une fonction pare-
angoisse et qui donne lillusion de matriser une situation qui pourtant dpasse le
jeune. Ces adolescents ne peuvent se permettre les moments de doute et de remise
en question que partagent les autres adolescents. La problmatique adolescente peut
23
seffacer parfois au profit de lurgence de la survie. Derrire des aspects dhyper-
adaptation se cachent parfois des vraies failles identitaires.
Lun des enjeux thrapeutiques peut tre damener ces jeunes renouer avec le cours
de leur vie dadolescent en reconstituant le fil de cette vie, et de les aider donner du
sens par la rappropriation personnelle des vnements.
Vignette clinique
F. a 21 ans. Elle est arrive de Guine Conakry quand elle avait 14 ans. Elle fuyait un mariage forc et a quitt le pays
avec sa grand-mre qui avait des problmes politiques. F. sest cache pendant cinq mois puis la fuite a t soudaine
et rapide. Au C.G.R.A., on a dout de son rcit. Comme elle navait pas de papiers prouvant les liens familiaux, elle a
t considre comme MENA . Sa grand-mre et elle ont t accueillies chez des surs durant la procdure
dasile. F. y est alle dabord seule car sa grand-mre tait hospitalise pour des complications lies un diabte
dsquilibr. La jeune fille dcrit lattente des papiers comme une priode trs stressante. Lors du premier mois en
Belgique, elle voque une anxit importante. Elle dormait mal cause de ruminations anxieuses. Malgr la
prsence de sa grand-mre, F. sest sentie trs seule. Lintgration lcole fut difficile pour elle. Actuellement, elle
suit des tudes dinfirmire. Elle dit, avec le recul, quil lui a fallu trois ans pour se sentir laise en Belgique. Tes l.
Tu dois tadapter mais pas perdre ton identit. Il ne faut pas oublier do on vient. Jai peur de ne plus tre la mme
personne.
24
9) Une approche thrapeutique est-elle possible ?
Au terme de ces rflexions, quel peut tre lapport du pdopsychiatre ?
Ce rle est encore peu clair: en partie demand par des intervenants quand ils nen
sortent plus, en partie vit et refus par peur, manque dhabitude, ou de moyens.
Lquilibre et la complmentarit restent trouver. Cette place semble malaise.
Dabord, par rapport au jeune qui a souvent une vision du psy qui est pour les
fous , donc pas pour lui. Ensuite, par rapport aux intervenants qui ont leurs propres
attentes et/ou barrires.
Voici des pistes pour la prise en charge :
Les consultations mdicales peuvent permettre le travail de rappropriation du
corps metteur des symptmes somatiques. Ce cadre peut constituer un point de
dpart et faciliter la verbalisation. Il est important de prendre le temps dcouter
le jeune, de pouvoir parler de la culture occidentale et de sa propre culture, de
pouvoir croiser les rfrences. Ces changes permettent de mettre des mots sur
les non-dits de la culture qui ne sont pas toujours prcisment perus et cela
contribue nourrir et renforcer le lien dappartenance du jeune.
La symptomatologie voque plus haut pourrait tre apaise par une aide
pharmacologique. Plusieurs jeunes demandent des somnifres aux infirmires des
centres. Il convient danalyser la demande et pouvoir mettre des mots sur les
difficults voques ou non. La mdication peut tre efficace, notamment si le
contexte est scurisant pour le jeune, si lindication et la posologie lui sont bien
expliques, si elle est envisage en parallle avec une prise en charge globale du
25
jeune, si on a matriellement le temps de lenvisager et de rvaluer son effet
Dans les faits, ces conditions sont rarement remplies.
Avec ces jeunes, le mdecin ne se situe plus dans la pratique habituelle12. La
ralisation dentretiens transculturels est une piste thrapeutique.
Les bases thoriques de ce dispositif groupal reposent sur lethnopsychiatrie,
fonde par G. Devereux.
Au-del des signes habituels de trauma psychique suite un vnement unique,
nous avons affaire de multiples traumatismes en passant par la rupture
migratoire au sens o lentend Nathan ( le traumatisme de la perte du cadre
culturel interne partir duquel tait dcode la ralit externe ). La consultation
de groupe est un moyen de ne pas rester fascin ou bloqu en parallle de ces
jeunes (consultations dont le but est de co-construire pour remettre un sens et
une cohrence au parcours fragment) 12.
Les psychiatres transculturels savent que la symptomatologie des traumatismes
intentionnels et rpts peut revtir certaines caractristiques par rapport au
PTSD classique. Il existe des variations cliniques : somatisation, autres modles
conceptuels de la frayeur dans certaines socits. Les aspects de honte, de
culpabilit et de mfiance sont plus importants et des modifications durables et
profondes de la personnalit sont dcrites. Au final, cest la frayeur qui semble
constituer le noyau commun de la clinique du trauma plutt que les flashbacks et
les cauchemars rptitifs.
Une difficult est la confrontation entre le rve de ces jeunes et leur ralit. Il faut
maintenir le projet qui les mobilise, sinon ils nont plus envie davancer. Ce
quapprend lethnopsy, cest le respect des spcificits, des singularits, une
26
mfiance lgard de luniversel, prtention occidentale qui sinterdit de
comprendre ce qui diffre de lui, le rduit de la croyance et le discrdite
comme obscurantisme ou superstition. 12
Le but est de co-construire un espace thrapeutique avec le jeune, diffrenci des
autres espaces juridique, socio-ducatif, etc. On tend vers un dcentrage pour ne
pas partir de nos rfrences mais de celles du jeune, pour ne pas rduire
linconnu du connu .
Avec ces jeunes, le mdecin est expos la question administrative et thique des
certificats et des attestations. En effet, son avis peut tre sollicit par le jeune ou
les intervenants pour appuyer une demande dasile ou de recours. La question de
la vrit et du mensonge prend alors un autre sens, et est mettre en perspective
avec les besoins du jeune, en tant que patient, dans sa ralit dtre humain.
Dans ce genre de clinique, plusieurs problmatiques sont enchevtres: les
proccupations lies la procdure, les proccupations lies au pass et les
proccupations journalires lies la migration (perte du rseau social habituel,
rupture dans la trajectoire de vie, perte du statut social, discrimination dans le pays
daccueil). Il est primordial que les intervenants ne soient pas seuls face ces
difficults. Un regard pluridisciplinaire est donc indispensable. Le travail en rseau
permet galement de recrer une enveloppe scurisante et contenante pour le
jeune MENA.
Les logiques politiques et institutionnelles ne vont malheureusement pas toujours
dans ce sens.
27
Vignette clinique
H. a 17 ans et demi. Il est Afghan. Au pays, il apprenait le mtier de coiffeur dans le salon de son pre et de son frre
an. Ils ont reu des menaces de la part des Talibans qui estimaient que ce mtier tait contraire la religion. Le
frre de H. sest fait tuer. Son pre sest fait torturer. Devant la menace, la mre de H. a pay un passeur pour quil
puisse fuir le pays et avoir la vie sauve. Il ne sait pas, lheure actuelle, si ses proches sont encore en vie ou non. Il a
travers toute lEurope en changeant de passeur, en trouvant des refuges provisoires, en marchant travers des
forts. Il est arriv en Belgique par hasard. A son arrive, il a sjourn dans un htel, le temps que le test dge soit
ralis. Il a ensuite t transfr au Centre de la Croix-Rouge de Stoumont. Il a fait une demande dasile qui est
revenue ngative. Actuellement, il a intent un recours contre la dcision. Il est adress au SSM de Verviers par la
psychologue qui la reu plusieurs fois, pour un avis pdopsychiatrique. En effet, H. est extrmement nerveux. Il
prsente un comportement explosif avec de lauto- et de lhtro-agressivit (automutilations, bagarres) quil
dcrit comme des pertes de contrle de lui-mme. Il prsente une anxit majeure avec des ruminations trs
envahissantes. Il dcrit des reviviscences de scnes violentes. Il a des troubles du sommeil (difficults
dendormissement, cauchemars, rveils nocturnes, sommeil agit). Il explique quil pleure beaucoup. Il mentionne
galement des douleurs physiques qui dcoulent dune infection parasitaire mal soigne selon lui. Il se sent trs seul
et perdu. Il est terroris par sa situation administrative plus quincertaine et sa majorit prochaine. Il est reu avec
un interprte parce quil ne parle pas le franais. Il demande un mdicament tout de suite car le mois prochain, il
sera majeur et il devra quitter le Centre qui lhberge actuellement. Il sera la rue et naura plus de quoi se payer
un mdecin. Il dit que, peut-tre, un certificat pourrait laider dans son recours
10) Conclusion
Etant donn lvolution de la socit, cette problmatique complexe requiert un
intrt tout particulier en raison denjeux latents lis un mieux vivre pour toute une
gnration.
Le travail avec les jeunes MENA est une tche bien spcifique et requiert une approche
complexe, avec des notions thoriques, thrapeutiques et juridiques particulires. Il
nexiste malheureusement pas en Belgique, lheure actuelle, de consensus par
rapport la prise en charge de ces jeunes. Cette difficult, sur fond de crise de laccueil
28
et enchevtre dans des problmes logistiques, administratifs, sociaux, financiers et
juridiques est celle que les intervenants qui travaillent avec- et pour- ces jeunes vivent
au quotidien. Il semble donc essentiel de mettre en commun les diffrentes approches
dans lintrt du jeune, du patient.
La position du pdopsychiatre, quand elle est possible, est donc peu claire et malaise.
Se dgage pourtant de lexprience la conviction quun cadre scurisant en ce qui
concerne laccueil et lentourage, sans incertitude administrative, est essentiel pour
pouvoir entamer un travail de rflexion avec le jeune. Sans cet environnement et ce
contexte de scurit minimal, lintervenant est face une telle souffrance que ce
travail est inutile, voire dplac.
Paralllement aux volutions politiques et juridiques, un travail de rflexion et de
concertation est, ds lors, poursuivre, pour approfondir les connaissances,
dvelopper la collaboration et le travail de rseau, et pouvoir aller la rencontre de
ces jeunes de manire soutenante, ouverte, efficace et thrapeutique.
29
A la rencontre des jeunes Mineurs Etrangers Non Accompagns
Quel rle pour le pdopsychiatre ?
Aussi longtemps soit le sjour dun tronc darbre dans leau, il ne se transforme
jamais en crocodile (proverbe africain)
Rsum :
Les Mineurs Etrangers Non Accompagns (MENA) sont de plus en plus nombreux en
Belgique. Chacun dentre eux a un parcours singulier. Ces jeunes reprsentent une
catgorie htrogne, en matire notamment de symptomatologie, de clinique, et de
moyens thrapeutiques mettre en uvre. Dans le cadre dune pratique en Centre de
Sant Mentale, le pdopsychiatre est confront ces jeunes et toutes les questions
thiques, thrapeutiques et administratives quils suscitent. Ces questions sont
troitement lies avec le contexte politique. Une vision intgrative de la
problmatique et une collaboration avec le rseau semblent plus que jamais
ncessaires.
Mots-cls :
Pdopsychiatre/Etat de Stress Post traumatique/migration
30
Omgaan met buitenlandse alleenstaande minderjarigen
Wat is de rol voor de kinderpsychiater ?
Hoe lang een boomstam ook in het water is, hij verandert nooit in een krokodil
(Afrikaans gezegde)
Samenvatting:
De Buitenlandse Alleenstaande Minderjarigen (..) zijn steeds talrijker in Belgi. Ieder
van hen heeft een bijzonder traject afgelegd. Deze jongeren vertegenwoordigen een
heterogene categorie, in het bijzonder op symptomatisch en klinisch niveau en wat
betreft de aan te wenden therapeutische middelen. In het kader van een praktijk in
het Centrum voor Geestelijke Gezondheid , wordt de kinderpsychiater geconfronteerd
met deze jongeren en met alle ethische, therapeutische en administratieve vragen die
hierdoor ontstaan. Deze vragen zijn nauw verbonden aan de politieke contekst. Een
integratieve visie op de problematiek en een samenwerking met de bron schijnen
meer dan ooit noodzakelijk.
Sleutelwoorden:
Kinderpsychiater / toestand van posttraumatische stress / migratie
31
Bibliographie
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