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Traitement des tumeurs rares de l’ovaire. Expérience de l’observatoire francophone des tumeurs malignes rares de l’ovaire I. Ray-Coquard, P. Binon, J.-Y. Blay, H. Curé, A. Fléchon, J.-P. Guastalla, J.-P. Lotz, P. Meeus, L. Mignot, É. Pujade-Lauraine, D. Raudrant, I. Treilleux et C. Tournigand Principes de la chirurgie avant chimiothérapie Le geste chirurgical initial est primordial dans les tumeurs rares ovariennes puisqu’il permet le diagnostic, le bilan d’extension de la maladie et le premier acte thérapeutique. Il n’est pas différent techniquement de celui des autres tumeurs malignes ovariennes ; cependant certaines particularités doivent être soulignées qui modifient l’esprit dans lequel la chirurgie doit être abordée : – les tumeurs germinales malignes de l’ovaire sont des néoplasmes à croissance rapide qui peuvent atteindre des dimensions volumineuses en peu de temps ; – la première intervention est souvent pratiquée par un chirurgien non spécia- lisé en cancérologie gynécologique. En effet, soit la pathologie a été considérée comme bénigne, soit la patiente a été opérée en situation d’ur- gence (torsion ou rupture du néoplasme) ; – les tumeurs rares malignes de l’ovaire surviennent le plus souvent chez des femmes jeunes (âge médian : 20 ans) avant même la première grossesse et il est primordial de respecter au maximum l’appareil génital pour préserver la fertilité. Tumeurs des cordons sexuels et du stroma Approximativement, 8 % des tumeurs ovariennes dérivent du stroma et/ou des cordons sexuels. Ces tumeurs sont généralement fonctionnelles puisque la plupart peuvent synthétiser des hormones (œstrogènes, androgènes, corti- coïdes). Leur pronostic est difficile à établir, certaines étant de comportement presque toujours bénin (tumeurs de Sertoli, tumeurs de Leydig…), d’autres de

[Abord clinique] Les cancers ovariens || Traitement des tumeurs rares de l’ovaire. Expérience de l’observatoire francophone des tumeurs malignes rares de l’ovaire

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Traitement des tumeurs rares de l’ovaire.Expérience de l’observatoire francophonedes tumeurs malignes rares de l’ovaire

I. Ray-Coquard, P. Binon, J.-Y. Blay, H. Curé, A. Fléchon, J.-P. Guastalla, J.-P. Lotz, P. Meeus, L. Mignot, É. Pujade-Lauraine,D. Raudrant, I. Treilleux et C. Tournigand

Principes de la chirurgie avant chimiothérapieLe geste chirurgical initial est primordial dans les tumeurs rares ovariennespuisqu’il permet le diagnostic, le bilan d’extension de la maladie et le premieracte thérapeutique. Il n’est pas différent techniquement de celui des autrestumeurs malignes ovariennes ; cependant certaines particularités doivent êtresoulignées qui modifient l’esprit dans lequel la chirurgie doit être abordée :– les tumeurs germinales malignes de l’ovaire sont des néoplasmes à croissance

rapide qui peuvent atteindre des dimensions volumineuses en peu de temps ;– la première intervention est souvent pratiquée par un chirurgien non spécia-

lisé en cancérologie gynécologique. En effet, soit la pathologie a étéconsidérée comme bénigne, soit la patiente a été opérée en situation d’ur-gence (torsion ou rupture du néoplasme) ;

– les tumeurs rares malignes de l’ovaire surviennent le plus souvent chez desfemmes jeunes (âge médian : 20 ans) avant même la première grossesse et ilest primordial de respecter au maximum l’appareil génital pour préserver lafertilité.

Tumeurs des cordons sexuels et du stromaApproximativement, 8% des tumeurs ovariennes dérivent du stroma et/ou descordons sexuels. Ces tumeurs sont généralement fonctionnelles puisque laplupart peuvent synthétiser des hormones (œstrogènes, androgènes, corti-coïdes). Leur pronostic est difficile à établir, certaines étant de comportementpresque toujours bénin (tumeurs de Sertoli, tumeurs de Leydig…), d’autres de

comportement malin, mais avec des récidives loco-régionales plus ou moinstardives. Les critères histologiques d’agressivité sont mal connus, de telle sortequ’il est difficile de proposer une classification anatomo-pathologique dichoto-mique bénin/malin et, s’il n’y a pas de critères cliniques de « malignité », cestumeurs sont classées comme étant de pronostic incertain. Dans ce groupe detumeurs, celles qui auraient plutôt un comportement « malin » sont lessuivantes : les tumeurs de la granulosa, les androblastomes (ou tumeurs deSertoli-Leydig), les tumeurs des cordons sexuels avec tubules annelés, lestumeurs à cellules stéroïdiennes sans autre précision et les fibrosarcomes (1).

Tumeurs de la granulosaLes tumeurs de la granulosa concernent environ 2 à 3% des tumeurs del’ovaire. Ce sont les tumeurs malignes les plus fréquentes dans le groupe destumeurs des cordons sexuels et du stroma. Elles sont souvent lentement évolu-tives, pouvant rechuter tardivement (six ans en moyenne). Les publicationsportent le plus souvent sur des cas cliniques ou des études rétrospectives étaléessur de nombreuses années où les malades ont reçu des traitements multiples etvariés (2, 3). La stadification FIGO doit être utilisée même si un doute persistesur l’analogie évolutive entre tumeurs de la granulosa et tumeurs épithéliales.On distingue deux formes histologiques, une forme juvénile et une formeadulte qui est la plus fréquente (95% des tumeurs de la granulosa). Lesdonnées de la littérature concernant ces deux entités anatomo-cliniques sontcontradictoires. Des études anciennes rapportent un meilleur pronostic desformes juvéniles qui n’a pas été retrouvé dans une série plus récente (4). Lesfacteurs pronostiques sont connus par des études rétrospectives anciennes,univariées, où souvent la stadification chirurgicale n’était pas aussi précise quecelle recommandée actuellement. Le stade FIGO, la rupture tumorale intrapé-ritonéale et la bilatéralité des tumeurs sont les facteurs pronostiques dont lavaleur est le plus souvent rapportée ; l’âge des malades et la taille de la tumeur(> 5 cm) ont une valeur pronostique moins certaine (4). Parmi les facteurscytologiques, le nombre de mitoses a la plus grande valeur pronostique(pronostic péjoratif au-delà de 5 ou 10 mitoses pour 10HPF selon les auteurs) ;les atypies cellulaires et la mauvaise différenciation (rareté des corps de Call-Exner), un peu moins (5). Les marqueurs de prolifération cellulaire (ploïdie,contenu en ADN, cytométrie de flux) ainsi que l’expression de p53, c-myc ouC-erb-2 se sont révélés sans valeur pronostique évidente (6-8).

Chirurgie

L’exérèse des lésions tumorales reste la base du traitement et de la stadification.La chirurgie peut être conservatrice en cas de désir de grossesse, dans le cascontraire il est préférable de réaliser une hystérectomie totale avec annexec-

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tomie bilatérale. L’épiploectomie, le curage ganglionnaire et des biopsies péri-tonéales à l’aveugle ont un intérêt à titre d’étude. Dans la mesure où 70% despatientes présentent un stade I (survie globale à cinq ans de 85%), la chirurgiereprésente l’arme thérapeutique la plus importante (4). Pour les femmes jeunespour lesquelles une chirurgie conservatrice peut être proposée, compte tenu del’association fréquente avec une hyperplasie endométriale (55%) voire unadénocarcinome endométrial (4-20%), un curetage utérin doit être réaliséavant la chirurgie (9, 10). Enfin, l’histoire naturelle prolongée de la maladieplaide pour une chirurgie itérative en cas de récidive (11).

Radiothérapie

Les tumeurs de la granulosa sont radiosensibles mais le rôle de la radiothérapien’est pas défini : le volume à irradier n’est pas déterminé, les doses d’irradiationne sont pas précisées, aucune donnée sur la survie après radiothérapie n’estdisponible. Les études publiées n’apportent aucun élément décisif en faveurd’un traitement par radiothérapie, le volume à irradier n’est pas défini ; dansles publications, les doses utilisées, lorsqu’elles sont rapportées, sont trèsvariables. La radiosensibilité des tumeurs de la granulosa est attestée par lesréponses observées en situation palliative, mais les durées de réponse sontbrèves ou non rapportées. Il n’y a pas de données en faveur d’un bénéfice éven-tuel de la radiothérapie adjuvante (10, 12).

Chimiothérapie

La chimiosensibilité est attestée par les nombreuses réponses observées ensituation palliative : réponse de brève durée aux alkylants, réponse fréquente aux associations adriamycine-bléomycine, actinomycine-fluoro-uracile-cyclophosphamide ou à base de cisplatine ; le taux de réponse le plus élevérapporté est de 80 % avec l’association cisPlatine Velbé bléomycine (PVB)(13), dont certaines réponses complètes très prolongées (2). Le protocole PVBest le même que celui qui était utilisé dans les tumeurs testiculaires, aujour-d'hui avantageusement remplacé par l'association BEP (BléomycineEtoposide cisPlatine), Parallèlement, les résultats de l'association BEP chez75 patientes de stade II et au-delà, entraînent une survie globale à cinq ans de69 %, ce qui justifie le choix de cette chimiothérapie pour le traitement despatientes atteintes de tumeurs de la granulosa de l’adulte, mais aussi de typejuvénile (14).

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Surveillance

Le bon pronostic de certaines patientes, et la possibilité d’un deuxième gestechirurgical curatif (15) rendent la surveillance nécessaire pour ces patientes. Enplus d’un suivi clinique, les marqueurs biologiques peuvent jouer un rôleimportant dans le cadre du suivi. Deux marqueurs sériques sont utiles dans lasurveillance du traitement : l’œstradiol en cas de tumeur sécrétante (16) et l’in-hibine, hormone peptidique stimulée par FSH (17). L’œstradiol a été proposécomme marqueur de surveillance de la rechute, sachant que 30% des tumeursde la granulosa ne sécrètent pas cette hormone (16). L’inhibine, protéinesécrétée par les cellules de la granulosa, paraît est un marqueur de rechute inté-ressant (18). Enfin, le risque de cancer du sein associé semble non négligeable(notamment pour la forme juvénile), ce qui doit faire proposer un suiviclinique et mammographique réguliers (19).

Tumeurs à cellules de Sertoli-Leydig

Une majorité de tumeurs à cellules de Sertoli-Leydig sont bénignes, maisenviron 20% récidi-vent ou donnent des métastases qui peuvent à terme avoirune évolution fatale. Des formes familiales sont souvent décrites et doivent êtrerecherchées (20). Les récidives sont précoces dans les tumeurs de Sertoli-Leydigmalignes (de deux à trois ans), contrairement aux tumeurs de la granulosa.Enfin, cliniquement 50% des patientes présentent des signes de virilisation(4). Ces tumeurs comportent en proportion variable des éléments sertoliens etleydigiens. Les tumeurs ne comportant que le contingent sertolien (tumeurs desertoli) sont rattachées à ce groupe et sont bénignes. Les tumeurs à deuxcontingents sont classées en trois groupes en fonction du caractère plus oumoins différencié des deux constituants :– formes bénignes différenciées (androgéniques, sécrétantes dans 60% des

cas) ;– formes à différenciation intermédiaire (cellules de Sertoli immatures) ; – formes peu différenciées (sarcomatoïdes ou rétiformes) ; avec des éléments

hétérologues associés dans les formes peu ou moyennement différenciées(épithéliaux surtout ou mésenchymateux).

L’expérience thérapeutique dans ces tumeurs très rarement malignes estencore moindre que dans les tumeurs de la granulosa. Les facteurs pronostiquesont été rapportés dans une seule série de 207 cas (21). Ils sont représentés parle stade, le grade histologique (différenciation), la rupture tumorale, et laprésence d’éléments hétérologues mésenchymateux. Le nombre de mitoses estun facteur pronostique pour certain (20, 22), mais semble être corrélé à ladifférenciation. La survie de la maladie à cinq ans au stade I est de 84% voire100% pour les stades IA1. La survie des tumeurs bien différenciées est de100%, mais de 89% pour les formes à différenciation intermédiaire et de 81%

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pour les formes avec éléments hétérologues. Dans le groupe des tumeurs peudifférenciées, le taux de survie est seulement de 52%. Les tumeurs avecéléments hétérologues mésenchymateux (os et cartilage) auraient un pronosticextrêmement péjoratif, 8 patientes sur 10 étant décédées de leur maladie dansles sept mois suivant la chirurgie (22).

Chimiothérapie

Un certain nombre de protocoles de chimiothérapie ont été utilisés dans lestumeurs de Sertoli-Leydig : alkylants, adriamycine, CAP, B + VAC, PVB. Dansla majorité des cas, l’effet n’est pas évaluable. Actuellement elles sont traitéespar le même programme que les tumeurs de la granulosa.

Surveillance

Elle est identique à celle des tumeurs de la granulosa. Les patientes présentantdes signes de virilisation, c’est-à-dire présentant une tumeur sécrétante,peuvent bénéficier d’un suivi biologique (DHEAS, œstrogène, 17OH proges-térone, cortisol) au moment du diagnostic afin d’éliminer une anomaliesurrénalienne, puis pour suivre la bonne efficacité du traitement, et enfin dansle cadre de la surveillance post-thérapeutique.

Autres tumeurs rares

Gynandroblastomes

Ce sont des tumeurs extrêmement rares (< 1%) dont l’origine cellulaire estcontroversée, probablement issue du mésenchyme indifférencié, expliquant lepotentiel bisexuel de ces tumeurs (23). Les signes de virilisation sont générale-ment prédominants sur les effets œstrogéniques. Dans la majorité des cas, cestumeurs sont bénignes et seul un traitement chirurgical adapté est re-commandé. Cependant, certaines tumeurs malignes sont décrites dans lalittérature et il s’agit généralement de grosses tumeurs de 7-10 cm de diamètretouchant la femme de 30 à 50 ans. Une hyperplasie endométriale est souventassociée et doit être recherchée (24). Les indications de chimiothérapie sontproposées pour les tumeurs de pronostics péjoratifs et en rechute. Aucunfacteur pronostique n’est décrit.

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Tumeurs à cellules stéroïdiennes sans autre précision

Sont regroupées au sein des tumeurs à cellules stéroïdiennes, le lutéomestromal, les tumeurs à cellules de Leydig et les tumeurs à cellules stéroïdiennes,sans autre précision. Seules ces dernières, qui ont un potentiel malin doncmétastatique, seront évoquées dans ce chapitre (25). Cliniquement ellespeuvent s'accompagner de signe de virilisation ou de manifestation d'hyper-œstrogénie.

Le stade, l’âge, la taille tumorale, la présence de nécrose, d'atypies nucléaireset le nombre de mitoses sont rapportés comme ayant un impact sur la surviedes patientes. Le traitement rejoint les principes du traitement des tumeurs dela granulosa, notamment concernant les indications de chirurgie (26). Lachimiothérapie est proposée pour les tumeurs de pronostics péjoratifs et enrechute, bien qu’aucune donnée scientifique ne soit publiée (27).

Autres tumeurs rares

Ces autres tumeurs rares sont classées de façon pragmatique et non nosolo-gique par opposition aux tumeurs du revêtement épithélial qui sontmajoritaires. Des lésions très dissemblables sont ainsi répertoriées : les tumeursdes tissus mous non spécifiques, les lymphomes, les tumeurs non classées, et lestumeurs secondaires, parmi lesquelles les tumeurs de Krükenberg.

Tumeurs des tissus mous

Les tumeurs des tissus mous non spécifiques peuvent affecter l'ovaire : le rhab-domyosarcome embryonnaire, l’angiosarcome, le leïomyosarcome, le sarcomestromal fibroblastique à cellules fusiformes, enfin, exceptionnellement, le fibro-sarcome dont le diagnostic différentiel est difficile à faire avec le syndrome deDemons Meigs (association d'une tumeur solide et bénigne de l'ovaire(fibrome, thécome, ou fibrothécome) (32). De surcroît, certaines situations dedouble localisation ovarienne et utérine posent des problèmes complexesd'éthiopathogénie : si les métastases ovariennes de leïomyosarcomes utérinssont exceptionnelles, celles des tumeurs mixtes mésodermales (ancien mulléro-blastome) et du sarcome stromal endométrial le sont moins. Les techniquesimmuno-histochimiques et les confrontations entre pathologistes spécialisés dela sphère gynécologique et des sarcomes des tissus mous apportent une aide audiagnostic. Concernant les léïomyosarcomes ovariens, l'origine proviendraitdes parois vasculaires, en particulier veineuses, ou des reliquats des canauxwolffiens.

Le contrôle de la tumeur primitive et la prévention des rechutes locales dansle lit opératoire et en marge de celui-ci nécessitent d'abord une exérèse chirur-

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gicale complète. Les difficultés du traitement local viennent de la difficultépour chaque cas d'apprécier, au-delà des volumes tumoraux, souvent impor-tants, les volumes de tissus apparemment sains mais susceptibles d'être déjàaffectés par une atteinte microscopique de la maladie, de la nécessité de tenircompte des rapports contractés par la tumeur avec les organes de voisinage etaussi de la diversité des sites tumoraux. Ce contrôle tumoral loco-régional doitaussi respecter autant que possible la fonction. Le traitement loco-régional doitdonc intégrer aux possibilités chirurgicales les apports de la radiothérapie et dela chimiothérapie. Concernant l’analyse des données de survie ou de rechute,les résultats déjà rapportés dans la littérature sont très explicites (33, 34) : il estétabli que, si la chirurgie n’est pas optimale carcinologiquement, la rechutelocale est plus fréquente. Le traitement chirurgical des sarcomes ovariens s'ap-puie sur les règles établies pour l'ensemble des sarcomes, à savoir chirurgiemonobloc, complète macroscopiquement et microscopiquement. L'intérêt ducurage ganglionnaire est encore moins clairement établi que dans le cadre descancers épithéliaux, il doit être réservé aux tumeurs lymphophiles.

L'extension ganglionnaire est rare dans les sarcomes des tissus mous : 5,8%de N + pendant toute la durée d'évolution de la maladie chez 3 000 maladesregroupés dans l'étude de Weingrad, 3,2% de N + au début de la maladie chez6 000 malades recensés par Lawrence (35). L'incidence d'envahissementganglionnaire est plus élevée pour certaines formes histologiques : sarcomeépithélioïde, sarcome synovial, sarcomes à cellules claires, rhabdomyosarcome(36).

L'intérêt de traitements complémentaires comme la chimiothérapie ou laradiothérapie pelvienne est difficile à établir. Les recommandations actuellesreposent sur des résultats établis pour différents types de sarcomes dans denombreuses localisations différentes (tronc, membres, viscéraux…). La placede la radiothérapie externe dans le traitement des sarcomes ovariens n’est pasclairement définie. Il n’existe pas dans la littérature d’études randomiséessusceptibles de préciser les indications de la radiothérapie externe. Une chimio-thérapie adjuvante systématique peut être recommandée uniquement dans lecadre d'essais thérapeutiques. Les données publiées indiquent toutefois unbénéfice probable de la chimiothérapie adjuvante, associant au moins uneanthracycline à l’ifosfamide en terme de survie sans rechute et de survie globalepour des malades sélectionnés porteurs de tumeurs à haut risque. Il est recom-mandé que de telles indications soient discutées dans le cadre de comitésmultidisciplinaires dédiés (37).

Lymphomes

Les lymphomes peuvent se développer dans les sites extra-ganglionnaires, qu'ilspossèdent ou non des structures lymphoïdes à l'état normal (c'est le cas desovaires) (34). Ils sont plus rares que les lymphomes testiculaires. La cotation del'extension peut se faire selon deux classifications. Cependant, la classification

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d'après Ann Harbor semble préférable à la classification FIGO utilisée en prin-cipe pour les tumeurs de l'ovaire (35). Il est important de différencier lelymphome ovarien primaire du lymphome ovarien secondaire à un LNH dontl'atteinte génitale peut être présente d'emblée ou lors d'une rechute (36). Cetteextension secondaire aux organes génitaux féminins oscille entre 4 et 40% desséries publiées. L'extension aux ovaires précède celle de l'utérus et du vagin.

Pour retenir le diagnostic de lymphome primaire de l'ovaire, quatre critèressont exigés :– localisation ovarienne au moment du diagnostic ;– absence d'extension simultanée à un autre organe ;– absence de leucémie ;– suivi de plusieurs mois permettant d'éliminer une récidive extra-génitale.

Le pronostic dépend du type histologique et de l'extension de la maladie.Quoique imprévisible, l'évolution semble plus favorable en cas de lymphomeovarien primaire qu’en cas de lymphome ovarien secondaire. La thérapeutiquecomporte une exérèse chirurgicale (annexectomie bilatérale ± hystérectomietotale) et une polychimiothérapie.

Au cours des leucémies lymphoïdes et myéloïdes, l'atteinte ovariennesurviendrait dans un tiers des cas (37). La découverte d'une tumeur ovarienneau cours de la leucémie aiguë myéloblastique (LAM) fait évoquer le diagnosticde sarcome granulocytaire. Il peut précéder l'émergence d'un syndrome myélo-prolifératif ou succéder à une phase de rémission, constituant alors une rechuteisolée ou associée à une localisation neurologique. Le traitement relève de lachimiothérapie, l’aracytine et l’anthracyclines étant les drogues prédominantes.La chirurgie de réduction tumorale pourrait diminuer les complications nécro-tiques sous traitement médical.

Tumeurs ovariennes secondaires

L'ovaire est plus souvent atteint de métastases que les autres organes génitauxpelviens. Les métastases ovariennes représentent 3 à 5% des tumeurs malignesde l'ovaire (38). Ces métastases affectant plus volontiers la femme en périoded'activité génitale sont bilatérales dans 80% des cas et s'accompagnent d'uneascite dans 50% des cas. Toutes les tumeurs malignes, y compris celles dusystème nerveux central, sont susceptibles de coloniser l'ovaire. Cependant, lestumeurs primitives les plus fréquemment impliquées appartiennent au tractusgénital (trompe, utérus, sein) et au tractus gastro-intestinal (estomac, voiesbiliaires, côlon, rectum).

Les métastases ovariennes d'origine endométriale

Elles concernent essentiellement les carcinomes indifférenciés infiltrant lemyomètre en profondeur. La localisation simultanée d'une tumeur ovarienne

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et endométriale est un entité ambiguë, bien illustrée par le type histologiqueendométroïde. Il peut s'agir d'une conjonction de deux tumeurs primitivesindépendantes ou d'une dissémination métastatique de l'une ou de l'autre.Plusieurs critères non formels plaident en faveur de la nature secondaire de latumeur : aspect multi-nodulaire, bilatéralité, envahissement de la lumièretubaire, stigmates d'invasion vasculaire et pénétration intramyométriale de latumeur utérine.

Les métastases ovariennes d'origine mammaire

Leur fréquence serait de 20 à 30% avec une atteinte bilatérale dans 60% descas. Ces métastases sont rarement révélatrices de la tumeur mammaire, maissont souvent découvertes lors des castrations chirurgicales. Les études consa-crées aux différences de comportement métastatique entre le carcinomecanalaire invasif et le carcinome lobulaire ont montré de façon univoque letropisme dominant du lobulaire pour les organes gastro-intestinaux et génitauxinternes (43).

Les métastases ovariennes d'origine digestive

Les métastases d'origine colique seraient cinq fois plus fréquentes que les méta-stases d'origine gastrique et seraient observées au cours de l'évolution de 3 à14% des cancers colorectaux. La tumeur primitive siège une fois sur deux auniveau du côlon sigmoïde et correspond à un stade C ou D de Duke, ce quirendrait compte d'un envahissement par contiguïté. Des métastases ovariennesde tumeurs des voies biliaires, du pancréas, des carcinomes appendiculaires, destumeurs carcinoïdes sont aussi décrites dans la littérature.

La tumeur de Krükenberg

Elle est caractérisée par la présence de cellules mucosécrétantes en bague àchaton enchâssées dans le stroma très cellulaire dérivé du stroma ovarien. Cetteentité spécifique à composante mucineuse représente 1 à 2% des tumeurs del'ovaire. La grande majorité des cas est représentée par les tumeurs secondaires.L'âge moyen est de 40 ans ou moins. Le cancer de l'estomac est le plus souventresponsable de cette tumeur (76 à 100% des cas). Mais les métastases decancers coliques ou mammaires peuvent présenter des aspects identiques (39).De très rares cas ont été rapportés pour des cancers de la vésicule, du col utérin,de la vessie. Le pronostic est sombre, la survie médiane est inférieure à deuxans. L'exérèse chirurgicale palliative vient compléter parfois la chimiothérapie.

L'ovariotropisme et l'ovariotactisme pourraient être partiellement expliquéspar les particularités physico-chimiques et hormonales du micro-environne-ment ovarien : faible tension superficielle, alcalinité du PH, hyperœstrogénielocale (40).

Traitement des tumeurs rares de l’ovaire… 509

Observatoire francophone pour la prise ne chargedes tumeurs rares de l'ovaire

En 2002, un site Internet www.ovaire-rare.org a été élaboré dans le butd'éclairer les patientes ou les familles concernées par les tumeurs malignes raresde l'ovaire, d’informer le grand public des données scientifiques sur le sujet etde tenir à jour les données bibliographiques. Pour les professionnels de santé,il s’agit de prendre en charge de manière homogène le traitement des tumeursrares de l’ovaire de l’adulte (tumeurs germinales et des cordons sexuels), auxdifférents stades de la maladie : un forum de discussion est disponible on line,ainsi qu’un protocole de recherche clinique (essai thérapeutique) avec inclusiondirectement sur le site Internet. Les cas enregistrés sont suivis afin d'établir lesfacteurs pronostiques de ces maladies rares.

En effet, depuis les années 1980, les plus grandes séries de la littératurescientifique, sur les tumeurs des cordons sexuels, comportent moins de100 patientes suivies sur des périodes de plus de dix ans, avec dans chacune deces séries, des gestes chirurgicaux non homogènes (même à stade tumoral iden-tique), des chimiothérapies de première ligne et de deuxième ligne multiples etvariées et des taux de survie à dix ans souvent prolongés, ce qui rend l'analysedes résultats hasardeuse et difficile à interpréter. En effet, le peu d’événements(rechute, décès) à dix ans et l’âge jeune des patientes entraînent un taux deperdues de vue important. À la suite de ce constat, il est apparu important deproposer un moyen de prise en charge adapté dans le cadre d'une rechercheprospective reproductible et prolongée. Malheureusement, l'extrême rareté deces tumeurs rend difficile la mise en place d'une recherche centralisée, d'autantque les praticiens sont confrontés à une gestion immédiate complexe de cas apriori de bon pronostic avec le souci de préserver le capital de fertilité depatientes jeunes.

Le principe du site Internet avec mise à disposition de l’information scien-tifique disponible et inclusion immédiate nous a paru un moyenparticulièrement adapté à cette problématique ; le nombre important d’inclu-sions après deux ans de fonctionnement confirme les capacités du site àfavoriser la recherche clinique.

Conclusion

Au travers de cette revue générale, il paraît difficile de proposer des recom-mandations thérapeutiques spécifiques s’appuyant sur des essais randomiséss’appliquant à tous les malades. Les tumeurs non épithéliales malignes del’ovaire et les tumeurs ovariennes secondaires d'origine diverse sont des cancersrares dont l’histoire naturelle est mal connue et dont les facteurs pronostiquesne sont pas précisés. Ce regroupement lésionnel est hétérogène. Le pronostic

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de chaque tumeur est inégal et le traitement spécifique, difficilement protoco-laire. Pour ces raisons, toutes les malades devraient être adressées à des centresspécialisés ayant un intérêt spécifique pour ce type de tumeur et disposant d’undépartement d’anatomo-pathologie adéquate. Un site Internet dédié à la priseen charge de ces tumeurs rares a été élaboré et mis à la disposition de tous, pourdes avis concernant la prise en charge chirurgicale et oncologique en premièreou deuxième ligne de traitement par l’intermédiaire d’un forum de discussion.

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512 Les cancers ovariens