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Les défis de l’adoption locale en Bolivie\ Anne-Marie Piché, professeure & Alain Droga, étudiant 1 er cycle École de travail social UQÀM Le nombre d’enfants abandonnés ou privés de soins familiaux a augmenté de manière préoccupante en Bolivie au cours des dernières années. Cette étude de cas documente les enjeux de la réalisation d’adoptions locales dans ce pays. Alors que le gouvernement a mis en place de nouvelles régulations qui empêchent l’adoption de ces enfants à l’international, des organismes de la communauté de Cochabamba tentent de développer une culture de l’adoption. Ils ont développé une expertise dans le développement des enfants, identifient et soutiennent les familles boliviennes qui les accueillent. Toutefois, leur travail est entravé par le manque de collaboration et de sensibilisation des institutions étatiques et juridiques, qui elles seules détiennent le pouvoir décisionnel permettant de concrétiser les adoptions des enfants. Problématique et questions Cette étude a voulu comprendre la manière dont les organismes d’aide à l’enfance de la région de Cochabamba agissent, tant dans la réalisation de placements adoptifs locaux que dans la promotion des droits des enfanst privés de soutien familial. Les questions initiales de l’entrevue semi-dirigée concernaient: -La perception des rôles exercés par l’organisme; avantages et contraintes; -Les enjeux de pratique et de collaboration rencontrés dans l’accompagnement des enfants et des adoptants dans un processus de placement, d’adoption, ou de réintégration familiale ; -Les stratégies déployées pour se positionner dans le « champ » de l’adoption locale. Cadre Théorique et Méthodologie Les positions et enjeux vécus par les acteurs qui se préoccupent de la protection des enfants vulnérables peuvent être analysés avec le concept de « champ » social (Bourdieu, 1980; appliqué à l’adoption par Ouellette, 2005). Un champ est défini comme un espace où des intérêts sont exprimés par des acteurs d’une société donnée et pour un domaine d’action ciblé, et ce autour d’un enjeu central commun : dans ce cas- ci, il s’agirait de l’enfant abandonné ou « privé de famille » (UNICEF). Étude de cas- 9 participants (organismes) Devis qualtitatif exploratoire Entrevue semi-structurée individuelle avec des employés et directions d’organismes d’aide à l’enfance de la région; Analyse de documentation Observation d’une rencontre associative d’organismes Visite d’orphelinats Plusieurs organismes dénoncent vivement l’inaction du gouvernement dans l’amélioration de la situation des droits de l’enfant au pays : en 2010, 74% des enfants boliviens entre 0 et 10 ans étaient affectés par la pauvreté ; 63% étaient à risque pour leur protection et leur développement en milieu familial (53% à Cochabamba) ; 10.98% étaient à risque très élevé d’abandon (Salazar La Torre et al., 2011). Ceux dont la famille n’a pas pu être soutenue à temps se sont retrouvés en situation d’abandon : selon le recensement national (rapporté par l’enquête nationale de (Salazar La Torre et al., 2011), 20,000 enfants se retrouvaient en orphelinat en 2010 ; une augmentation depuis 2001 alors que leur nombre atteignait 9,200. Ceci ne tient pas compte des enfants qui vivent dans la rue (ninos en situacion de calle) qui eux, sont estimés à 6,000 dans l’ensemble du pays (UNICEF, 2014b). La prise en charge locale des enfants sans soutien familial est principalement assumée par les organismes communautaires d’aide à l’enfance (ONG) et les communautés religieuses en Bolivie: Les objectifs spécifiques que nous avons identifiés pour cette étude étaient de :1) comprendre les réalités spécifiques et les activités d’organismes d’aide à l’enfance de la localité de Cochabamba; 2) repérer les principaux enjeux qui les mobilisent actuellement et leur signification dans l’exercice de leur mission et 3) identifier les stratégies employées par ces organismes pour se positionner dans le champ de l’adoption par rapport aux autres acteurs du milieu. I. Une difficile mobilisation autour des droits de l’enfant privé de famille 2. Créer une culture de l’adoption locale: une longue conscientisation 3. À qui la responsabilité de protéger les enfants? Le portrait de situation des enfants et familles vulnérables de Cochabamba, dont nous avons pris connaissance par cette étude, évoque la prédominance des efforts des ONG qui se sont mobilisés et regroupés, en l’absence de structures d’aide adéquates et de mobilisation au niveau gouvernemental quant à la problématique des enfants abandonnés. Si ces organismes de la communauté tentent d’intervenir, ou de prévenir à la racine les abandons et la maltraitance, ils ne bénéficient d’aucune reconnaissance (ni matérielle; ni symbolique) du gouvernement bolivien et doivent concentrer une grande partie de leurs efforts dans la recherche de financement, dans l’assurance de la survie de leur mission auprès des enfants. Le soutien intensif, de qualité et en proximité des familles est reconnu par tous les intervenants rencontrés comme la principale source de résolution du problème de l’enfance abandonnée et vulnérable, une solution à long-terme. Malgré la collaboration instaurée entre les ONG et le gouvernement bolivien, ce dernier encourage très peu l’adoption locale; privilégie l’institutionnalisation des enfants. La lenteur des démarches administratives et juridiques entourant le placement des enfants et l’interprétation variable de la loi à ce sujet sont d’autres motifs de frustration pour les organismes. Cette situation limite le nombre de placements adoptifs qui peuvent être menés à bien dans la région (à peine 30 par année / 3600 enfants en institution à Cochabamba). 2.1 Culture de la fertilité, préjugés en lien avec l’adoption « Toute la cosmovision andine, la nôtre, est souvent associée à la productivité et la fertilité. Bien des gens qui viennent nous voir des campagnes ont honte ou ressentent de la tristesse parce qu’ils ne peuvent pas avoir d’enfants. » (Intervenante) 2.2 Culture de la violence et adoptions utilitaires « C’était ça la vision de l’adoption. J’adopte un enfant, je l’aide, je l’adopte entre guillemets, mais je le fais travailler et il n’a pas les mêmes droits que les enfants biologiques. C’était un peu la façon de voir l’adoption ici. » (Intervenante)

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Les défis de l’adoption locale en Bolivie\ Anne-Marie Piché, professeure & Alain Droga, étudiant 1er cycle École de travail social UQÀMLe nombre d’enfants abandonnés ou privés de soins familiaux a augmenté de manière préoccupante en Bolivie au cours des dernières années. Cette étude de cas documente les enjeux de la réalisation d’adoptions locales dans ce pays. Alors que le gouvernement a mis en place de nouvelles régulations qui empêchent l’adoption de ces enfants à l’international, des organismes de la communauté de Cochabamba tentent de développer une culture de l’adoption. Ils ont développé une expertise dans le développement des enfants, identifient et soutiennent les familles boliviennes qui les accueillent. Toutefois, leur travail est entravé par le manque de collaboration et de sensibilisation des institutions étatiques et juridiques, qui elles seules détiennent le pouvoir décisionnel permettant de concrétiser les adoptions des enfants.Problématique et questionsCette étude a voulu comprendre la manière dont les organismes d’aide à l’enfance de la région de Cochabamba agissent, tant dans la réalisation de placements adoptifs locaux que dans la promotion des droits des enfanst privés de soutien familial. Les questions initiales de l’entrevue semi-dirigée concernaient: -La perception des rôles exercés par l’organisme; avantages et contraintes;-Les enjeux de pratique et de collaboration rencontrés dans l’accompagnement des enfants et des adoptants dans un processus de placement, d’adoption, ou de réintégration familiale ;-Les stratégies déployées pour se positionner dans le « champ » de l’adoption locale.

Cadre Théorique et MéthodologieLes positions et enjeux vécus par les acteurs qui se préoccupent de la protection des enfants vulnérables peuvent être analysés avec le concept de « champ » social (Bourdieu, 1980; appliqué à l’adoption par Ouellette, 2005). Un champ est défini comme un espace où des intérêts sont exprimés par des acteurs d’une société donnée et pour un domaine d’action ciblé, et ce autour d’un enjeu central commun : dans ce cas-ci, il s’agirait de l’enfant abandonné ou « privé de famille » (UNICEF).Étude de cas- 9 participants (organismes)Devis qualtitatif exploratoireEntrevue semi-structurée individuelle avec des employés et directions d’organismes d’aide à l’enfance de la région; Analyse de documentation Observation d’une rencontre associative d’organismes Visite d’orphelinats

Plusieurs organismes dénoncent vivement l’inaction du gouvernement dans l’amélioration de la situation des droits de l’enfant au pays : en 2010, 74% des enfants boliviens entre 0 et 10 ans étaient affectés par la pauvreté ; 63% étaient à risque pour leur protection et leur développement en milieu familial (53% à Cochabamba) ; 10.98% étaient à risque très élevé d’abandon (Salazar La Torre et al.,

2011). Ceux dont la famille n’a pas pu être soutenue à temps se sont retrouvés en situation d’abandon : selon le recensement national (rapporté par l’enquête nationale de (Salazar La Torre et al., 2011), 20,000 enfants se retrouvaient en orphelinat en 2010 ; une

augmentation depuis 2001 alors que leur nombre atteignait 9,200. Ceci ne tient pas compte des enfants qui vivent dans la rue (ninos en situacion de calle) qui eux, sont estimés à 6,000 dans l’ensemble du pays (UNICEF, 2014b).

La prise en charge locale des enfants sans soutien familial est principalement assumée par les organismes communautaires d’aide à l’enfance (ONG) et les communautés religieuses en Bolivie:

Les objectifs spécifiques que nous avons identifiés pour cette étude étaient de :1) comprendre les réalités spécifiques et les activités d’organismes d’aide à l’enfance de la localité de Cochabamba; 2) repérer les principaux enjeux qui les mobilisent actuellement et leur signification dans l’exercice de leur mission et 3) identifier les stratégies employées par ces organismes pour se positionner dans le

champ de l’adoption par rapport aux autres acteurs du milieu.

I. Une difficile mobilisation autour des droits de l’enfant privé de famille

2. Créer une culture de l’adoption locale: une longue conscientisation

3. À qui la responsabilité de protéger les enfants?

Le portrait de situation des enfants et familles vulnérables

de Cochabamba, dont nous avons pris connaissance par

cette étude, évoque la prédominance des efforts des ONG qui se sont mobilisés et regroupés, en l’absence de

structures d’aide adéquates et de mobilisation au niveau

gouvernemental quant à la problématique des enfants

abandonnés. Si ces organismes de la communauté tentent

d’intervenir, ou de prévenir à la racine les abandons et la

maltraitance, ils ne bénéficient d’aucune reconnaissance (ni matérielle; ni symbolique) du

gouvernement bolivien et doivent concentrer une grande partie de leurs efforts dans la

recherche de financement, dans l’assurance de la survie de leur mission auprès des enfants. Le

soutien intensif, de qualité et en proximité des familles est

reconnu par tous les intervenants rencontrés comme

la principale source de résolution du problème de l’enfance abandonnée et

vulnérable, une solution à long-terme.

Malgré la collaboration instaurée entre les ONG et le gouvernement bolivien, ce dernier encourage très peu l’adoption locale; privilégie l’institutionnalisation des enfants.La lenteur des démarches administratives et juridiques entourant le placement des enfants et l’interprétation variable de la loi à ce sujet sont d’autres motifs de frustration pour les organismes. Cette situation limite le nombre de placements adoptifs qui peuvent être menés à bien dans la région (à peine 30 par année / 3600 enfants en institution à Cochabamba).

2.1 Culture de la fertilité, préjugés en lien avec l’adoption« Toute la cosmovision andine, la nôtre, est souvent associée à la productivité et la fertilité. Bien des gens qui viennent nous voir des campagnes ont honte ou ressentent de la tristesse parce qu’ils ne peuvent pas avoir d’enfants. » (Intervenante)2.2 Culture de la violence et adoptions utilitaires« C’était ça la vision de l’adoption. J’adopte un enfant, je l’aide, je l’adopte entre guillemets, mais je le fais travailler et il n’a pas les mêmes droits que les enfants biologiques. C’était un peu la façon de voir l’adoption ici. » (Intervenante)