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AIGUEBELLE Appellations anciennes.' Aquabella (1142, 1153, 1199). Aqua Pulchra (1242). Habitants.' les Aiguebellains. Altitude.' 323 m. Superficie.' 366 ha. Population.' 1561 .' 613 ; 1801 .' 887; 1861 .' 1117 ; 1954 .' 1135; 1962.' 1091; 1968 .' 11 73; 1975 .' 1064; 1982.' 1044. Situation administrative.' Province de Maurienne. Hameaux.' Aiguebelle, les Chavan- nes, les Combes, la Pouille, Chevaliers de Malte'. Si l'étymologie d'Aiguebelle (Aqua- bella, la belle eau) est apparemment lim- pide, les origines historiques de ce bourg important de Basse Maurienne sont encore aujourd'hui nébuleuses. D'après les plus anciens textes connus s ur la région, le nom d'Aiguebelle n'était pas porté par la ville aujourd'hui connue sous ce nom, mais par le hameau de St Arnould (St Arnoulf) sur la commune de Montgilbert et dont la tradition parle comme d'une agglomé- ration importante engloutie sous les eaux d'un torrent furieux. Aiguebelle dans une charte de 1044 était appelée Charbonnière et désignée, d'ailleurs, par le château qui la domi- nait. L'étymologie de Charbonnières est, par contre, discutée. Désigne-t-il justement le château qui couronnait le roc sur lequel il est situé (on trouve des exemples de ce genre au moyen-âge) ou tout simplement un lieu l'on fabri- quait du charbon de bois, industrie très répandue en particulier dans les envi- rons. Les interprétations qui voient dans les eaux limpides de la fontaine de granit à deux jets, dite de Chaventon coulant au milieu de la ville, l'origine du nom, ne peuvent donc être retenues. Ce n'est qu'au début du 12e s. (1129) qu'Aiguebelle est ainsi désignée dans les documents. Une position stratégique A l'époque romaine le roc de Char- bonnières fit office de verrou entre le royaume de Cottius et la nouvelle pro- vince romaine de Vienne. Selon toute vraisemblance, le rocher de Charbon- nières, véritable bastion, était resté pos- session des Romains, la frontière étarit immédiatement en amont. Les époques suivantes ne sont connues que par des légendes: on sait seulement que la limite Aiguebelle-Randens était aussi celle qui fut assignée aux Burgondes ins- tallés dans la Sapaudia. La tradition rapporte que la ville fut mise à sac par ces barbares au 5e siècle et fut alors réé- difiée sous le nom d'Aiguebelle. Détruite à nouveau par les Sarrasins vers 835, elle aurait été seulement reconstruite en 998. C'est encore la tra- dition qui attribue à Bérold, prétendu auteur de la Maison de Savoie, la cons- truction du château de Charbonnières "Mess ire Bérold, disent les anciennes chroniques, regarda le pays moult estroit et les montagnes haultes de part et d'autre. Si pensa comme il trouverait quelque lieu sûr pour retraire lui et ses gens ... et levant le chef du côté d'Aigue- belle, vit près de lui, au milieu de cette va ll ée et à l'entrée de la Maurienne un roc hault, rond et âl'lre à monter. Et se mist à y édifier un chastel qu'il appela Charbonnière" . La valeur stratégique du roc de Char- bonnières ne pouvait échapper aux prin- ces de la Maison de Savoie et il est cer- tain que, très tôt, ceux-ci s'en rendirent les maîtres. On sait qu'au moyen-âge existait un atelier monétaire à Aigue- belle dont on connait quelques pièces. Mais là encore, était-ce le signe d'une autor ité de la Maison de Savoie sur le bourg? La marque des pièces (l'effigie de Saint-Jean-Baptiste) ne traduirait-il pas plutôt l'appartenance aux évêques, comtes de Saint-Jean-de-Maurienne qui 17

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AIGUEBELLE

Appellations anciennes.' Aquabella (1142, 1153, 1199). Aqua Pulchra (1242).

Habitants.' les Aiguebellains. Altitude.' 323 m. Superficie.' 366 ha. Population.' 1561 .' 613 ; 1801 .' 887;

1861 .' 1117 ; 1954 .' 1135; 1962.' 1091; 1968 .' 11 73; 1975 .' 1064; 1982.' 1044.

Situation administrative.' Province de Maurienne.

Hameaux.' Aiguebelle, les Chavan­nes, les Combes, la Pouille, Chevaliers de Malte'.

Si l'étymologie d'Aiguebelle (Aqua­bella, la belle eau) est apparemment lim­pide, les origines historiques de ce bourg important de Basse Maurienne sont encore aujourd'hui nébuleuses.

D'après les plus anciens textes connus sur la région, le nom d'Aiguebelle n'était pas porté par la ville aujourd'hui connue sous ce nom, mais par le hameau de St Arnould (St Arnoulf) sur la commune de Montgilbert et dont la tradition parle comme d'une agglomé­ration importante engloutie sous les eaux d'un torrent furieux.

Aiguebelle dans une charte de 1044 était appelée Charbonnière et désignée, d'ailleurs, par le château qui la domi­nait. L'étymologie de Charbonnières est, par contre, discutée. Désigne-t-il justement le château qui couronnait le roc sur lequel il est situé (on trouve des exemples de ce genre au moyen-âge) ou tout simplement un lieu où l'on fabri­quait du charbon de bois, industrie très répandue en particulier dans les envi­rons. Les interprétations qui voient dans les eaux limpides de la fontaine de granit à deux jets, dite de Chaventon coulant au milieu de la ville, l'origine du nom, ne peuvent donc être retenues. Ce n'est qu'au début du 12e s. (1129) qu'Aiguebelle est ainsi désignée dans les documents.

Une position stratégique

A l'époque romaine le roc de Char­bonnières fit office de verrou entre le royaume de Cottius et la nouvelle pro­vince romaine de Vienne. Selon toute vraisemblance, le rocher de Charbon­nières, véritable bastion, était resté pos­session des Romains, la frontière étarit immédiatement en amont. Les époques suivantes ne sont connues que par des légendes: on sait seulement que la limite Aiguebelle-Randens était aussi celle qui fut assignée aux Burgondes ins­tallés dans la Sapaudia. La tradition rapporte que la ville fut mise à sac par ces barbares au 5e siècle et fut alors réé­difiée sous le nom d'Aiguebelle. Détruite à nouveau par les Sarrasins vers 835, elle aurait été seulement reconstruite en 998. C'est encore la tra­dition qui attribue à Bérold, prétendu auteur de la Maison de Savoie, la cons­truction du château de Charbonnières "Messire Bérold, disent les anciennes chroniques, regarda le pays moult estroit et les montagnes haultes de part et d'autre. Si pensa comme il trouverait quelque lieu sûr pour retraire lui et ses gens ... et levant le chef du côté d'Aigue­belle, vit près de lui , au milieu de cette vallée et à l'entrée de la Maurienne un roc hault, rond et âl'lre à monter. Et se mist à y édifier un chastel qu'il appela Charbonnière" .

La valeur stratégique du roc de Char­bonnières ne pouvait échapper aux prin­ces de la Maison de Savoie et il est cer­tain que, très tôt, ceux-ci s'en rendirent les maîtres . On sait qu'au moyen-âge existait un atelier monétaire à Aigue­belle dont on connait quelques pièces. Mais là encore, était-ce le signe d'une autorité de la Maison de Savoie sur le bourg? La marque des pièces (l'effigie de Saint-Jean-Baptiste) ne traduirait-il pas plutôt l'appartenance aux évêques, comtes de Saint-Jean-de-Maurienne qui

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jouissaient de droits régaliens comme celui de battre monnaie .

L'hypothèse est peu vraisemblable. Dès la fin du 12e s. , il ne fait cependant plus aucun doute que le château de Charbonnières est une pièce maîtresse de la puissance militaire savoyarde. Les princes font d'ailleurs, à cette époque, d'Aiguebelle, une de leurs résidences favorites, même si, un peu plus tard, ils s'installeront à Durnières, de l'autre côté de l'Arc, sur le versant ensoleillé. C'est désormais pour eux, une tradition bien établie d 'y résider une partie de l'année, d'y passer des actes importants, d 'y recevoir de hauts personnages. C'est là qu'en 1263, par exemple, le Comte Pierre recevra l' hommage de ses vassaux à l'occasion de son avènement. On ne connait d'Aiguebelle dans les siècles sui­vants que peu de choses: la construc­tion de la collègiale Ste Catherine, le massacre d'une partie de la commu­naut é juive de la cité (18 personnes) en 1348: les juifs avaient été accusés d 'avoir répandu par leurs sort ilèges, la peste qui ravageait alors l'Europe. L'inventaire de leurs biens montra d'ail­leurs que leur richesse avait été suresti­m ée. Peu à peu les comtes de Savoie s'éloignent de la bourgade avec l'essor grandissant de Chambéry qui devient la capit ale de leur état, mais Aiguebelle fut encore le théâtre à la fin du 14e s. des représailles du comte de la Chambre sur les représentants du comte de Savoie . .

A vec les guerres d'Italie et le développe­ment de la puissance française, la cité ne pouvait manquer d'êrre allaquée. En 1536, François 1er, en route pour le

Milanais, ne pouvant venir à bout du fort de Charbonnières, se venge sur la

ille donr les deux tiers des maisons sont rMuils en cendres. Les ravages causés à la ,ille et à la collégiale Ste Calherine, furenr tout aussi dramatiques, un siècle el demi plus tard avec l ' invasion de Les­diguières. De 1598 à 1602 la guerre est incessame. Le fort eSI attaqué plusieurs fois et le 19 seplembre 1600 la capiLUla-

tian est signée; les dégâts sont considé­rables ; chaque fois, la position sera à nouveau reconstruite et durant tout le 17e s. soutiendra encore de redoutables sièges contre l'envahisseur français.

En 1742, au cours de la guerre espa­gnole, le fort est une nouvelle fois atta­qué et pris le 9 septembre; la forteresse n'est plus qu'un amas de ruines . Elle ne sera jamais reconstruite ni restaurée. JI n'en reste aujourd'hui que quelques pierres perdues dans les bouquets de chênes, mais ces ruines justifieraient un programme de fouilles.

Entre temps la seigneurie d' Aigue­belle avait été vendue en 1590 par le duc de Savoie à Aymé de Gerbaix de Son­naz, lieutenant général de cavalerie, en récompense de sa bravoure en même temps qu'elle était érigée au rang de baronnie. En 1745, mourut sans héri­tiers, le dernier des barons d'Aiguebelle. Le titre et les terres furent rétrocédées à la couronne royale qui créa, à titre honorifique en 1768, la principauté ecclésiastique d 'Aiguebelle, en faveur de l'évêque de Maurienne pour le dédommager de la cession de tous ses droits de seigneurs temporels, déjà très diminués depuis le traité de Randens.

La principauté comprenait aussi les paroisses de Randens qui avait été sépa­rée d'Aiguebelle en 1738, Aiton , Mont­sapey et Bonvillaret.

Avec l 'arrivée des Français en 1792, Aiguebelle est rapidemelll envahie et Charbonnières, utilisé encore une fois, ne résista pas longtemps. Pendant toute la période qui suir , jusqu 'en 1815, le bourg, qui ne réussir pas à obtenir de la Commission provisoire des Allobroges le titre de ville, car d'une popularion lrop faible, fut parcouru par de nom­breuses troupes armées.

C'esl surtoUI en 1814 que la région fU! le théâtre de combars imporlanrs dans la baraille conne les Autrichiens qui s'étaient rendus maÎrres de toule la Savoie.

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Au moment de l'Annexion, Aigue­belle et son canton se signalèrent par un vote favorable très massif. Le bourg acceptant le rattachement à la France, par 285 oui sur 285 votants. Nous ver­rons que cette période a été marquée par de grands travaux sur l'Arc, par la cons­truction de la voie ferrée qui n 'ont fait que développer la vocation ancienne d'Aiguebelle: à côté d'un centre agri­cole important qu'il a toujours été, le bourg est aussi un centre commercial, favorisé par les nouveaux moyens de transport. Malgré tout, à cette époque, Aiguebelle souffre de l'absence d'indus-

trie importante: Cette situation se main­tiendra jusqu'à la dernière guerre.

Aiguebelle bénéficiera assez tôt d'une organisation municipale. Au XIVe s., déjà un "commun du vin" avait été un droit accordé à la ville. Les précisions sur cette organisation sont cependant peu nombreuses jusqu'à 1682, où Victor-Amédée II confirme les droits de bourgeoisie accordés à la ville antérieu­rement. Un conseil de ville de 12 bour­geois élus par les habitants est établi,

recruté ensuite par cooptation. Deux syndics choisis parmi les membres du Conseil administraient la cité; l'un avait la charge d'Aiguebelle proprement dit, l'autre s'occupait de ce qui devint Randens. Cette autonomie ne devait pas durer longtemps car avec la réforme municipale, Aiguebelle eut, comme tou­tes les autres paroisses du duché des syndics nommés par l'intendant, per­sonnages étroitement li és au pouvoir central. Située, sur la grande voie du Mont-Cenis, Aiguebelle eut très tôt un hôpital (dès le XIIIe s.) qui dut bénéfi­cier des richesses considérables de

.. . ·r·~'

- AIGC_ E (S)~;~ ~t Mon!a~ne$ de t· ullzil'!re

(2889m d'lltit.)

l'ordre de Malte, qui possédait de nom­breux biens en particulier au nord du bourg. D'après Germouty, cet hôpital ne cessa de fonctionner qu'à la Révolu­tion et exista jusqu'en 1882, date à laquelle il fut officiellement réorganisé et "fonctionna sous la sauvegarde de la charité privée" . Situé à l'origine au lieu dit la Maladière, il fut sans doute ins­tallé ensuite près de l'église actuelle. Cependant l'institution la plus typique d'Aiguebelle fut l'école fondée au 18e s. par un particulier Gilles Lectual, négo-

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ciant d'origine normande établi à Aiguebelle qui légua à la vi lle par testa­ment en 1735, d'importants fonds desti­nés à l'instruction de la jeunesse et au traitement d'un prêtre régent nommé par l 'évêque de Maurienne. En 1865, l'école Lectual fut transportée dans un bâtiment nouvellement aménagé pour servir à la fois d ' école et d'hôtel de ville; elle y resta jusqu'en 1885, date de la création d'un groupe scolaire.

Vestiges du passé

L'architecture civile n 'a laissé que peu de traces visibles actuellement à Aiguebelle; le bourg est d'alleurs réduit à la grande rue et à deux rues transversa­les très étroites. On remarque non loin de 1 'hôtel du Parc une maison avec un portail du XVIIe dont peu d'éléments indiquent qu 'elle était la résidence de la pu issante famille de Charbonneau et que les princes de la Maison de Savoie y logèrent de même qu'Henry IV et Sully, lors de la prise de Charbonnières. A l'intérieur, paraît-il, se donnaient à l'époque des fêtes somptueuses où se rencontrait la société aristocratique. La

Famille de Charbonneau, originaire de Chabeuil dans la Drôme apparaît au XVIIe s. ; Maurice de Charbonneau se distingua en 1814 au combat de Malta­verne contre les Autrichiens. La famille semble s'être installée à Aiguebelle au début du 18e s., avant de se fixer à Saint-Pierre-d'Albigny à la fin du même siècle.

Une autre bâtisse, une ancienne mai­son forte marquait il y a peu, encore le souvenir de la famille de Sonnaz, très implantée en Basse Maurienne. Ce gros bâtiment qui fut à la fin du 16e s. l'habi­tation du nouveau baron d'Aiguebelle, abrita par la suite la gendarmerie. En 1971, elle tombait sous la pioche des démolisseurs pour faire place à un foyer rural. Au cours de cette démolition, on trouva à la cheminée d'une cuisine, une plaque en fonte portant les armoiries de la famille de Gerbais.

L 'histoire religieuse est beaucoup plus riche, surtout si l'on y comprend la collégiale Ste Catherine aujourd' hui sur la commune de Randens mais qui faisait partie d'Aiguebelle jusqu'en 1738.

En 1139, existait un prieuré dédié à St Etienne; il était avec ses dépendances

AIGUEBEL~~ ISavoie) - Gra nd e RllC Excur~ion&: Grand " re, eus III ail.

lie llacha l, ~.811 m . _II.

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la Lau zièrt'. 2746 m. ait Montgilber t, 1370 m. nit.

La grande rue au début du siècle.

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de Notre Dame de la Roche et de Saint Arnaud, annexé au prieuré augustin de St Jeoire qui en confie à partir de 1535 l'administration au chapitre de la collé­giale Ste Catherine de Randens . L'église Notre Dame disparaît durant la guerre de 1597-1598 où les habitants viennent puiser les pierres pour construire leurs maisons. Le prieuré qui restera adminis­tré par le chapitre de Ste Catherine jusqu'en 1793, devient alors la seule église paroissiale; sans doute à cause de

Le Christ de Pitié du XVI' siècle.

la proximité de la route et des nombreux voyageurs, elle sera alors dédiée à St Christophe. On lui construit une cha­pelle attigüe qui sera couverte sur la nef en 1843. Elle renferme le tombeau des Gerbais et compte quelques objets clas­sés : un Christ en bois polychrome du 16e siècle, un Christ de pitié de la même époque, une cloche de 1694, et une

chaire du début du 17e s. en bois. A la place de l'ancienne église Notre Dame, Claude Haloy fit construire en 1650 un nouveau sanctuaire. A cette première construction est relié le souvenir de St Galibert ou Cabert, un des premiers dis­ciples de St Dominique qui, selon la tra­dition serait né à Aiguebelle vers 1195, il aurait résidé à Montsapey et à Argen­tine au Montchabert d'où il se rendait dans les paroisses voisines pour prêcher le royaume de Dieu. Il serait mort après 1267 âgé de plus de soixante dix ans et aurait été enseveli dans l'ancienne égl~e Notre Dame. Son culte se répandit dans la contrée et, d'après la tradition, de nombreux ex-voto lui auraient été dédiés; on le tenait en effet pour l'auteur de plusieurs miracles. La légende rapporte même que son corps n'aurait pas été corrompu et en 1725, quatre des principaux bourgeois d'Aiguebelle, voulant vérifier le fait par eux mêmes s'enfermèrent une nuit dans la chapelle, creusèrent l'endroit où se trouvait le corps et le découvrirent en effet dans un parfait état de conserva­tion. Ils se hâtèrent de le recouvrir de terre et se "retirèrent pénétrés de res­pect". A la Révolution la chapelle fut détruite à l'exception du chœur où était enseveli le bienheureux Cabert. Elle devint l'atelier d ' un menuisier, elle abrita même des chevaux, qui, une nuit s'agitèrent tellement qu'un officier , furieux enfonça son épée dans le sol d'où il la retira toute ensanglantée.

Du passé militaire d'Aiguebelle, qui fut pourtant on le sait, à l'origine de la création du bourg, il ne reste rien . En 1972, on pouvait voir des traces des fos­sés et quelques fouill es avaient pu être effectuées sur l'emplacement de la for­teresse de Charbonnières ; l'emplace­ment du puits et d'un bâtiment qui pou­vait être la chapelle étaient également visibles.

Aiguebelle "Ville de foires"

Aiguebelle offrait autrefois un visage

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L . _ _ _ _ _

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beaucoup plus animé que de nos jours; une certaine vie de société y existait même et plusieurs associations permet­taien taux Aiguebellains de se retrouver et de se distraire. Les habitants étaient d'ailleurs réputés pour leur goût de la fête et des banquets . Le pharmacien Girod raconte qu'à la fin du siècle der­nier, toutes les occasions étaient bonnes pour se réjouir. L'Annexion entre

tiellement par les activités commerciales et l'emplacement sur la route du Mont­Cenis n' était certainement pas étrangère à cette sociabilité.

Vers 1840 Aiguebelle était un impor­tant relai de poste; il y avait deux pos­tes et demi du bourg à la grand-maison et un poste et demi jusqu 'à Malata­verne. Cette prospérité remontait d'ail­leurs loin dans le passé: en témoi-

508. AIGUEBELLE - Vue panoramique

autres donna lieu à des réjouissances populaires et, bien souvent, on voyait se dresser des banquets au milieu de la rue : 80, 140, et même une fois 300 cou­verts à l'occasion du "diguement de l'Arc". A la même époque, outre le tra­ditionnel bureau de bienfaisance, le bourg comptait une société de tir, une société de pêche, une société de gymnas­tique et une fanfare .dite " l'écho de Charbonnières" .

Au XVIIe s. il y avait même une com­pagnie des Chevaliers Tireurs, la seule de la province de Maurienne, en relation avec celle de Chambéry. La prospérité dont jouissait le bourg, apportée essen-

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gnaient les foires d'Aiguebelle qui se perdent dans la nuit des temps. En 1266 en tout cas le comte Pierre de Savoie, accorde des franchises à la foire de la St Martin, déjà célèbre. En 1601, le duc Charles-Emmanuel accorda encore à Aiguebelle "trois foires libres et fran­ches avec leur retour " . Depuis, deux autres foires sont venus se rajouter, sans compter au début du siècle un impor­tant marché, le mardi; le champ de foire était alors une belle place ombra­gée contigüe à la gare. Dès le moyen-âge les échanges d'argent nécessités par ces foires avaient donné lieu à l'établisse­ment de banques, attestées en 1331 ;

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mais, bien avant, la communauté juive pratiquait le prêt à intérêt. Après sa dis­parition consécutive à la grande peste de 1348, les juifs furent remplacés par des banquiers lombards dont la plupart venaient d'Asti en Piémont. Ces "lom­bards", propriétaires de casanes ou banques avaient des succursales dans toute la Maurienne (La Chambre, St-Michel), et correspondaient avec leurs établissements de Chambéry et d'Aix. Au début du siècle dernier, la prépondérance du secteur commercial et artisanal dans l'économie du bourg était écrasante. On relevait 2 bouchers, 15 cabatiers, 3 cafetiers, 10 boulangers, et 7 fabricants de souliers, 4 menuisiers, 2 chaudronniers, 3 tailleurs, etc ... Dans la deuxième moitié du siècle, cette ten­dance ne s'était pas franchement modi­fiée et d'après Blanchard, Aiguebelle pouvait être qualifiée de "Ville de foi­res". Ces foires (notamment celles de la St Claude le 6 juin et de la St Martin le 12 novembre) avaient fait charger par­fois cent wagons de marchandise et jus­tifiaient 'le nombre relativement élevé des agents du P .L.M. (20 personnes) par rapport à d'autres chef-lieux plus importants. Le poids d'une économie fondée sur le commerce ne doit cepen­dant pas faire oublier qu'Aiguebelle était depuis toujours un centre agricole relativement actif. L'agriculture, favori­sée par un climat doux et tempéré et une altitude moyenne était gênée au con­traire par la faible surface des terres cul­tivables et l'absence quasi générale d'engrais; on se contentait de fumures naturelles (foin enfoui, fumier), l'emploi du gypse pour amender les ter­res n'apparaissant qu'au 1ge siècle. D'autre part, à Aiguebelle, qui est sur­tout un bourg, dominait la petite pro­priété encore au début du siècle dernier.

L'agriculture n'était d'ailleurs sou­vent qu'un appoint à côté des activités commerciales ou artisanales. Les terres produisaient essentiellement du maïs, du seigle et de l'avoine avec des rende-

ments faibles à cette époque. Le châtai­gner était également assez répandu mais mal entretenu. De même les vergers étaient peu nombreux (0,75070 de la sur­face cultivée) et un fonctionnaire des années 1800 les trouvait "assez bien fournis et dont les arbres sont de belle tenue qui pourrissent à une certaine grosseur à cause de l'humidité du sol". Les éléments défavorables finirent par l'emporter sur les points positifs et dès la 2e moitié du siècle dernier, l'agricul­ture fut en perte de vitesse à Aiguebelle, malgré quelques tentatives de culture du tabac et vers 1900, le développement de l'apiculture et la création en 1900, d'une section du rucher des Allobroges comp­tant 50 membres. En 1936, il n'y avait plus que 7 familles paysannes; en revanche, malgré la disparition des tail­leurs, l'artisanat s'étoffait, surtout dans le bâtiment: où à côté des 7 menuisiers recensés en 1896, 16 maçons dont 8 ita­liens étaient installés dans le bourg à la veille de la guerre et apparaissaient 2 plombiers, et 4 électriciens. En même temps le tertiaire s'accroissait avec 25 cheminots en 1936.

Ainsi, à côté de ses anciennes fonc­tions agricoles et commerciales toujours présentes, Aiguebelle se transformait peu à peu ajoutant des fonctions admi­nistratives ; mais le point noir restait toujours l'absence d'industrie qui gênait considérable le développement du bourg. Certes, les travaux d'endigue-

, ment de l'Arc commencés en amont dès 1784, et continués en 'aval à l'époque napoléonienne avec la construction d'une chaussée permirent de désencla­ver la Maurienne vers la Combe de Savoie; jusqu'alors en effet, seul un étroit sentier permettait de gagner l'Isère en cheminant à flanc de coteau; depuis longtemps on éprouvait égale­ment la nécessité de favoriser les rela­tions routières et commerciales entre la Basse Maurienne et la région de l'Hôpital-Conflans, plus tard Albert­ville. Dès 1836, un tramway en bois

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La chapelle (cliché B. Baudouy).

reliait les deux villes. De même, un pont à deux arches fut jeté sur l'Arc entre Aiguebelle et Randens en 1828 et sur­tout le chemin de fer poursuivait son avancée dans la vallée; en 1856, la voie était achevée jusqu'à St Jean de Mau­rienne.

La reconversion contemporaine

Tous ces facteurs étaient évidemment favorables à une implantation indus­trielle qui manquait. Aiguebelle n'avait pas comme plusieurs autres communes du canton, de ressources minières même si la compagnie Anglaise, avait au XVIIIe s., trouvé un filon de cuivre sans doute à Bois Rond et si, à la fin du même siècle, des recherches de minerai de fer avaient été entreprises vers Bois Blanc . Au début du 1ge s. il n'y avait à Aiguebelle aucun établissement indus­triel digne de ce nom. Vers 1840, aurait cependant existé d'après Croisollet, une fabrique de soieries et à la même époque une fabrique d'acide gallique, fondée en

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1838, par le pharmacien Girod d' Aigue­belle; cette fabrique, une des plus importantes de Savoie avait des succur­sales à Epierre et dans les Millières ; elle utilisait les bois de châtaigniers, nom­breux dans la région et produisait un liquide comparable au tannin utilisé pour la teinture en noir et la fabrication de l'èncre ordinaire. A cette époque, l'usine d'Aiguebelle traitait annuelle­ment 1000 tonnes de bois de châtaignier qu'elle concassait et réduisait en 500 quintaux métriques d'extrait à 50 degrés vendus en France, en Suisse, en Italie et en Allemagne. Elle employait quinze ouvriers et avait une grande réputation en France et à l'étranger. Ce n'est qu'au début de notre siècle que s'implante vraiment à Aiguebelle la grande indus­trie. Au village de la Pouille, s'installe en 1914 une usine fondée par la société française des fonderies et aciéries élec­triques utilisant les forces motrices de la houille blanche alors en plein essor. A la veille de la dernière guerre la Pouille employait 90 personnes . En 1951 , la Pouille fut rachetée par Ugine­Kuhlmann; la tendance est alors à la production d 'abrasifs pour soulager l'usine d'Arbine trop à l' étroit, mais le département des ferrochromes, sans doute hérité des origines subsiste, sans toutefois recevoir de développements suffisants et les fours sont aujourd 'hui modestes. L'usine est approvisionnée en quartztite et coke de pétrole (15 000 t. par an) arrivant directement par rail d'Allemagne ou des carrières de Nemours en Seine et Marne ou, par camion, de celles de la Drôme. En 1971, 361 employés y travaillaient et seule­ment 331 en 1975 .

Une autre affaire importante fut fon­dée en 1939 par les frères Rochette, pionniers de la Houille Blanche pour la fabrication de gaz liquéfiés. Cette société a été progressivement absorbée par un groupe international: la société américaine Air Products a pris dès 1967 une participation de 300/0 dans le capital

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Page 9: AIGUEBELLE - Le Conseil départemental de Savoie - … · ces barbares au 5e siècle et fut alors r éé difiée sous le nom d'Aiguebelle. Détruite à nouveau par les Sarrasins vers

de la société · savoisienne de produits cryogéniques devenue la Société Pro­dair ; la participation fut portée à 50"7. en 1970 aux côtés de Shell et se mua en un contrôle intégral par rachat des actions de son partenaire au début de 1974.

Il faut noter aussi l'entreprise Phili­bert de réparations des moteurs électri­ques qui a innové en produisant des engins performants au service du bâti­ment et des travaux publics. Philibert est devenu aujourd'hui la société Répé­lec.

Aiguebelle est aujourd'hui la com­mune la plus riche du canton et celle où est concentré le plus grand nombre

d'entreprises. En dehors de l'ancienne usine de la Pouille et de Prodair, il Y a l'entreprise Répélec et la société d'engins de levage Hoffmann.

Aiguebelle est toujours un bourg commerçant disposant de commerces variés, de marchés hebdomadaires et de marchés agricoles annuels. Dans les années qui viennent une importante opération routière va devoir être enga­gée pour contourner le bourg et éviter la traversée par la RN 6. A ce jour, il existe plusieurs projets: soit le passage le long de l'Arc, soit le contournement par le roc de Charbonnières et le lac de Chaventon, itinéraire qui emprunterait le tracé de la route napoléonienne.

Vue générale (cliché Henrard)

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