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L'Amitié selon ARISTOTE -ETHIQUE ET POLITIQUE- Marcel LAMY Un animal politique La philia en réseau Introduction L’AMITIE DANS LES ETHIQUES A . L’AMITIE COMME L’ETRE ,SE DIT EN PLUSIEURS SENS B . LES AMITIES ENTRE INEGAUX C . L’AMITIE ENTRE HOMMES VERTUEUX I . L’amitié avec soi même . Les deux égoïsmes II . Alter ego . D . L’HOMME AUTARCIQUE A BESOIN D’UN AMI I . Examen et solution dialectiques II . Solution « physique « par la cause L’AMITIE DANS LA POLITIQUE A. L’AMITIE POLITIQUE CHEZ PLATON ET ARISTOTE B . LE POUVOIR POLITIQUE I . Délibérer ensemble II . Le pouvoir des lois. C . LES CONFLITS ET LEUR SOLUTION I . Riches et pauvres II . Les trois formes du "juste milieu" 1. La constitution moyenne 2. Le juste mélange 3. L’acceptable et la mesure. D .LA VERTU ET LA NECESSITE :LES EXCLUS DE LA CITE I . Les esclaves II .Les travailleurs libres. *** Pour une brève présentation de l’ Ethique et de la Politique d’Aristote, j’ai cherché une notion qui permette de les saisir ensemble et de les éclairer l’une par l’autre .Il m’a semblé que c’était le cas de l’amitié. Nous partirons de deux thèses communes à l’Ethique et à la Politique : 1) l’homme est un animal politique 2) l’amitié est le lien de toute communauté humaine. Au début de l’Histoire des animaux ( I ,1, 487 b-488-a) , Aristote propose un classement dichotomique des animaux selon leurs manières de vivre et d’agir .Certains sont solitaires ( monadika,) ,d’autres vivent en troupes (agelaia ).L’homme appartient à ces deux classes à la fois .Sont politiques ceux qui , vivant en troupes , sont capables d’agir tous ensemble dans un but unique .Parmi ceux ci , les uns sont soumis à un chef , comme les grues et les abeilles , les autres sont anarcha , sans chef. Selon la Politique ( I , 2, 1353 a ) , l’homme est encore plus « politique « que les abeilles, car, seul des animaux , il possède le langage ( logos ).Les autres animaux communiquent douleur et plaisir par la voix ( phônè). Mais la nature qui ne fait rien en vain , a donné à l’homme le langage pour exprimer l’utile et le nuisible et , par suite , une perception consciente ( aisthèsis) du juste et de l’injuste , du bien et du mal , bases de l’éthique comme de la politique .La première traite des mœurs (èthè), la seconde des constitutions ( politeiai) toutes deux ayant la même fin , le bien propre à l’homme et qui se suffit à soi comme fin ultime de toutes les actions. « Or , par ce qui se suffit à soi même , nous entendons non pas ce qui suffit à un homme vivant en solitaire , mais aussi à ses parents , ses enfants , sa femme , ses amis et ses concitoyens en

Amitié

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Amistad Aristóteles

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  • L'Amiti selon ARISTOTE

    -ETHIQUE ET POLITIQUE-Marcel LAMY

    Un animal politiqueLa philia en rseau

    Introduction

    LAMITIE DANS LES ETHIQUES A . LAMITIE COMME LETRE ,SE DIT EN PLUSIEURS SENS B . LES AMITIES ENTRE INEGAUX C . LAMITIE ENTRE HOMMES VERTUEUX I . Lamiti avec soi mme . Les deux gosmes II . Alter ego . D . LHOMME AUTARCIQUE A BESOIN DUN AMI I . Examen et solution dialectiques II . Solution physique par la cause LAMITIE DANS LA POLITIQUE A. LAMITIE POLITIQUE CHEZ PLATON ET ARISTOTE B . LE POUVOIR POLITIQUE I . Dlibrer ensemble II . Le pouvoir des lois. C . LES CONFLITS ET LEUR SOLUTION I . Riches et pauvres II . Les trois formes du "juste milieu" 1. La constitution moyenne 2. Le juste mlange 3. Lacceptable et la mesure. D .LA VERTU ET LA NECESSITE :LES EXCLUS DE LA CITE I . Les esclaves II .Les travailleurs libres.

    *** Pour une brve prsentation de lEthique et de la Politique dAristote, jai cherch une notion qui permette de les saisir ensemble et de les clairer lune par lautre .Il ma sembl que ctait le cas de lamiti. Nous partirons de deux thses communes lEthique et la Politique : 1) lhomme est un animal politique 2) lamiti est le lien de toute communaut humaine. Au dbut de lHistoire des animaux ( I ,1, 487 b-488-a) , Aristote propose un classement dichotomique des animaux selon leurs manires de vivre et dagir .Certains sont solitaires ( monadika,) ,dautres vivent en troupes (agelaia ).Lhomme appartient ces deux classes la fois .Sont politiques ceux qui , vivant en troupes , sont capables dagir tous ensemble dans un but unique .Parmi ceux ci , les uns sont soumis un chef , comme les grues et les abeilles , les autres sont anarcha , sans chef. Selon la Politique ( I , 2, 1353 a ) , lhomme est encore plus politique que les abeilles, car, seul des animaux , il possde le langage ( logos ).Les autres animaux communiquent douleur et plaisir par la voix ( phn). Mais la nature qui ne fait rien en vain , a donn lhomme le langage pour exprimer lutile et le nuisible et , par suite , une perception consciente ( aisthsis) du juste et de linjuste , du bien et du mal , bases de lthique comme de la politique .La premire traite des murs (th), la seconde des constitutions ( politeiai) toutes deux ayant la mme fin , le bien propre lhomme et qui se suffit soi comme fin ultime de toutes les actions. Or , par ce qui se suffit soi mme , nous entendons non pas ce qui suffit un homme vivant en solitaire , mais aussi ses parents , ses enfants , sa femme , ses amis et ses concitoyens en

  • gnral , puisque lhomme est par nature un tre politique (E.N, I,5,1097 b ). Aristote reconnat toutefois que certains hommes font exception et sont apolis .( Pol. I, 2,1353 a ). Les uns sont des tres dgrads , des btes avides de guerre et insociables .Les autres sont des solitaires tellement suprieurs par leur vertu quils se suffisent eux- mmes comme des dieux parmi les hommes . Aristote ne croit gure aux privilges de lhomme divin : lhomme autarcique ne saurait vivre solitaire et se passer damis ( E.N,IX, 9) et lhomme royal ne saurait gouverner seul sans lois .( Pol, III, 15-16 ) Lamiti semble former le lien des cits et les lgislateurs semblent y attacher plus de prix qu la justice elle mme . (E.N ,VIII ,1, 1155a) Dans la cite grecque , chacun est plac dans tout un rseau d amitis . En effet, philia , que nous traduisons par amiti , dsigne des appartenances : une famille ou maisonne ( oikos ), des collectivits statutaires ( phratries )ou formes librement pour sentraider , se distraire tudier ensemble , et enfin , par excellence , la communaut politique dote dune constitution , la cit. Lhomme est un animal non seulement politique mais conomique .( E.E.VII , 10,1242 a) La famille est une amiti. Outre les parents par le sang et par alliance , loikos stend une clientle,plus ou moins nombreuse selon le rang du chef de famille, et aux serviteurs .Elle est un rseau de pouvoirs , de statuts , de droits et dobligations qutudie Aristote en E.N.VIII,12 et o il cherche le modle des constitutions politiques. Le chef de famille exerce un pouvoir royal sur ses enfants , aristocratique sur son pouse et despotique sur ses esclaves. A chaque forme de pouvoir correspond une amiti ( E.N.VIII,13) : amiti de supriorit et de bienfaisance pour le roi , amiti vertueuse entre poux , camaraderie entre frres. Il ny a pas damiti entre le matre et lesclave considr comme outil anim , encore quelle soit possible si on le considre simplement comme homme. Aristote tient toutes ces relations de pouvoir pour naturelles( Pol. I, 13 ), lerreur tant de les confondre , soit en les ramenant un pouvoir science comme Socrate , soit en les absorbant dans le despotisme comme les barbares .Toutefois , au moins dans la Grce archaque , ces amitis dsignent des attitudes obligatoires sanctionnes par des interdits. Aristote ( Potique , XIV , 1453 b,14-31) montre que le pathos tragique-terreur et piti- nat de lirruption de la violence dans les alliances : frre contre frre , fils contre pre , mre contre fils ou fils contre mre. Dans la tragdie de Sophocle , dipe accomplit lacte effrayant sans savoir qui en est la victime et ce nest quensuite quil reconnat la philia .Lamiti est ici une relation objective quon na pas choisie librement et quon ne saurait rompre. Ceux qui lui font violence , mme involontairement, sont prcipits dans le malheur. Occupent une place intermdiaire , les phratries qui regroupent des familles pour des sacrifices et des repas rituels. A Sparte , des repas en commun rassemblent tous les citoyens , riches et pauvres , institution que louent Platon et Aristote. Les jeunes forment des associations de camarades ( htairies ). Les citoyens sassemblent selon leurs gots en amicales , en cercles littraires ou philosophiques .La vie intellectuelle de la cit est faites de toutes ces amitis fondes sur un choix libre. La communaut par excellence est la communaut politique., la cit , qui intgre toutes les autres comme les parties dun tout. Elle nest pas seulement un fait de nature , elle repose sur un libre choix de vivre ensemble qui est la forme suprieure de lamiti. ( Pol. III, 9, 1280 b-1281 a ) " La cite est la communaut de la vie heureuse" . Sa fin est une vie parfaite et autarcique , une vie noble faite de belles actions , non un simple vivre ensemble ( suzn) . Il ne faut pas confondre la fin de la vie et les ncessits de la vie .Ceux qui ont cherch lorigine de la cit dans le besoin de sassembler pour se dfendre ou changer nont vu dans la cit quun moyen. La premire cit de Platon en est lexemple. Un homme prend un autre homme avec lui en vue de tel besoin , puis un autre en vue de tel autre besoin et la multiplicit des besoins assemble en un mme lieu plusieurs hommes qui sassocient pour sentraider . ( Rp. II ,369 bc) En insistant sur le libre choix de vivre ensemble en vue du bonheur , Aristote veut bien marquer la diffrence qui spare la philia politique des liens dappartenance involontaire loikos et des buts limits que se fixent les associations. La communaut politique na pas pour fin un avantage prsent , mais ce qui est utile la vie tout entire . ( E.N .VIII, 11,1160 a) Cest aussi le libre choix qui fait prvaloir dans la cit cette forme damiti quest la concorde . La concorde ( homonoia ) nest pas une simple conformit dopinion( homodoxia), mais un agir ensemble quand les citoyens sont unanimes sur ce qui est avantageux,choisissent librement la mme ligne de conduite et excutent les dcisions prises en commun . ( E.N. IX , 6 1167 a) Telle est lamiti politique : elle fait la diffrence entre une cit et un vol de grues qui suivent leur chef. A chaque forme de constitution correcte , royaut , aristocratie , dmocratie , correspond une forme spcifique damiti entre gouvernants et gouverns , proportion de ce quils ont en commun. Cest donc dans la dmocratie o tous les citoyens commandent tour de rle sur un pied dgalit que lamiti a la plus grande place .( E.N.VIII, 13 )

    La contre preuve , cest la tyrannie o lamiti est nulle ou faible car il ny a rien de commun entre un

  • matre et ses esclaves. Le tyran semploie dtruire tout le rseau damitis sur lequel repose la cit. Il subvertit les rapports de pouvoir qui structurent loikos , il supprime les repas en commun et les associations qui permettent aux citoyens de se connatre et davoir confiance les uns dans les autres, il place partout des espions,attise les rivalits . Une cit sans amiti nest quun agrgat dindividus avilis et rduits limpuissance sous le regard dun despote qui se dfie mme de ses amis . ( Pol . V, 11). LAMITIE DANS LES ETHIQUES Rfrences : -Ethique Nicomaque ( E.N.) , VIII-IX -Ethique Eudme ( E.E) , VII -Magna Moralia (M.M ) , II , 11-17 -Rhtorique ( Rhtor) II , 4, 7 et 8 A . Lamiti comme l'tre, se dit en plusieurs sens . Lobjet de lthique , ce sont les choses humaines ( ta anthrpika ) et qui se rapportent aux murs ( ta th ) et aux passions ( ta path) . ( E.N. VIII, 2, 1155 b) Cest le cas de lamiti qui est une vertu , ou du moins , saccompagne de vertu , et est ce quil y a de plus ncessaire pour vivre. Lthique laissera donc de ct les thories des physiciens prsocratiques sur lamiti cosmique entre lments semblables ou contraires , mais aussi les amitis involontaires lies une appartenance .Lamiti par excellence repose sur le choix libre et rciproque de deux hommes gaux en vertu qui dcident de passer leur vie ensemble . Aimer , cest tre en acte (energein) . Lamiti se range parmi les activits immanentes qui se suffisent elles-mmes et ont leur fin en elles-mmes et non hors delles-mmes , dans leur propre exercice et non dans un bien quelles sefforceraient datteindre . Qui aime sait quil aime et se rjouit daimer. L amiti en acte est un choix rciproque , accompagn de plaisir acte qui nest pas extrieur , mais intrieur celui qui aime . ( E.E. VII, 2, 1237 a) Cette thse se comprendra mieux si on loppose celle de Platon , dans le Lysis , dialogue aportique sur lamiti et dans lloge dErs que prononce Socrate dans le Banquet . Le dsir est la cause de lamiti . Or, ce qui dsire a le dsir de ce qui lui manque .Donc , ce qui manque de quelque chose est ami de ce qui lui manque . ( Lysis , 221 d e ) Do cette consquence : celui qui se suffit soi et ne manque de rien na pas besoin dami . Ers , philia, pithumia sont tenus pour quivalents en Lysis 221 e 4. Aristote lui mme , objectera -t-on , dit que Dieu , premier moteur , acte pur et par consquent immobile , meut toutes choses comme objet damour . ( kinei hs rmenon, Mtaphysique XII, 7 1072 b 4-5 ) Mais ce qui se meut comme port par lers , cest ltre en puissance .Or aimer , cest tre en acte . Mais ct de lamiti vertueuse , il en est dautres, fondes sur lutilit et sur le plaisir .Comme le dit Socrate (Lysis 217 a ), le malade naime pas le mdecin pour lui mme , mais cause de sa maladie . Aristote traduit : il aime par essence son bien propre , la sant , et le mdecin par accident .Il en est de mme pour lamiti fonde sur le plaisir : ltre aim nest pas aim pour lui- mme , en tant quil est prcisment celui quil est , mais pour le plaisir quil procure .Cest pourquoi de telles amitis sont instables , se nouent et se dnouent au gr des intrts et des gots. Lamiti fonde sur lutilit est la plus sujette aux litiges : elle exige lgalit des avantages donns et reus et chacun croit avoir moins que son d dans ces contrats mercantiles.(E.N. VIII, 15 et IX, 1).

    Il y a donc trois espces damiti ou plutt , faute dun genre commun , lamiti , comme ltre , se dit en plusieurs sens , mais par rfrence un sens premier et souverain ( prts kai kuris. E.N.VII I, 5 1157 a 30) : lamiti entre hommes vertueux ( E.E VIII , 2 ,1236 ,a 7-29 ).En matire dthique , lhomme vertueux est mesure : lamiti premire est ,par surcrot , plaisante et utile absolument ( hapls), les autres ne ltant que par ressemblance . ( E.N. VIII, 5, 1157 a 30) B. Les amitis entre ingaux . Lamiti est elle possible entre ingaux ? Sil sagit de lamiti premire qui rclame lgalit , la rciprocit ( antiphilsis ) et le choix libre dune personne pour elle mme, il semble que ce soit impossible. Souhaiter son ami dtre un dieu , cest souhaiter quil ne soit plus un ami . ( E.N. VIII, 9, 1159 a) Il en est autrement de lamiti fonde sur lutilit : le pauvre est lami du riche par ncessit , le faible du fort pour en obtenir du secours. ( Lysis , 215 d e) Mais elle ne saurait tre rciproque . Il serait ridicule de reprocher la divinit de ne pas aimer en retour de la faon mme dont elle est aime ou , pour le gouvern , de faire des reproches au gouvernant , car cest le propre du chef dtre aim , non daimer ou daimer dune autre faon ( E.E.VII , 3, 1238 b). Mais de quelle faon ? Il convient de distinguer la justice et lamiti . Selon la justice , lgalit au sens premier est proportionnelle au mrite et lgalit arithmtique est seconde.

  • Dans lamiti , cest linverse . Dans une amiti qui serait proportionnelle au mrite , linfrieur recevrait peu , le suprieur beaucoup. Le seul moyen de rtablir lgalit arithmtique est dchanger honneurs contre bienfaits. Cest pourquoi ceux qui recherchent les honneurs souhaitent tre aims plutt quaimer . Pourtant , cest dans une amiti de supriorit que va se rvler ce qui est le cur mme de toute amiti vritable : sa gratuit . Aimer est un acte , tre aim un accident , car il est possible dtre aim sans le savoir , mais non daimer sans le savoir . Lamiti , cest aimer plutt qutre aim . ( E .E VII, 4, 1239 a ) Tout acte saccompagne de conscience et , en tant quil se suffit soi , de plaisir . Aimer , cest se rjouir , mais non pas tre aim . ( E.E VII , 2, 1237 a ) La rciprocit peut tre absente ou faible , ds lors quaimer , cest crer lobjet mme de lamour : un autre soi mme spar. La rciprocit peut tre absente . Ce qui le montre bien , cest la joie que les mres ressentent aimer leurs enfants . Elles consentent mme sen sparer pour les confier une nourrice si cela est ncessaire la sant de lenfant. Elles renoncent tre aimes en retour sil leur faut , comme Andromaque du pote Antiphon , accepter que leur enfant soit adopt par une autre et ignore jamais qui est sa mre . ( E.N. VIII, 9 , E.E VII, 4 ). Aristote sattache expliquer pourquoi les parents ( les mres plus que les pres ) et les bienfaiteurs aiment davantage leurs enfants ou leurs obligs quils nen sont aims en retour. La raison en est quaimer et crer sont des actes , tre aim et tre cr , des passivits .( E.N.IX, 7 ) Les parents ( E.N.VIII, 14 )aiment leur enfant comme quelque chose deux- mmes ( hautn ti ) , une cration deux-mmes ( poima .M.M. II , 12, 1211 b 34-35 ), alors que lenfant les aime comme ceux dont il procde ( apkeinn ti ) . Or , il y a une communaut plus troite entre le principe qui engendre et ltre engendr quentre celui-ci et sa cause productrice . Ce quon a engendr , on le connat comme sien et cest pourquoi les parents aiment leurs enfants comme eux- mmes , car les tres qui procdent deux sont comme dautres eux-mmes du fait quils sont spars ( htroi autoi t kekhristhai ) . Telle est la gense de lalter ego. Il en est de mme des bienfaiteurs ( E.N.IX, 7 ) et des artistes . Les premiers aiment leurs obligs plus quils nen sont aims , les seconds aiment leurs uvres comme si elles taient leurs enfants , davantage que leurs uvres ne les aimeraient si , telle la Galate de Pygmalion , elles venaient sanimer . Aristote en recherche la cause dans la nature mme des choses. Chacun aime lexistence ( to einai ) . Exister , cest tre en acte , vivre et agir . Or , luvre est le producteur en acte et cest parce quil aime lexistence que le producteur aime son uvre. Dans le processus de la production , le producteur sactualise dans luvre qui surgit de son effort crateur. Son uvre est comme son enfant : un autre lui mme .Cest aussi pourquoi il laime raison mme de leffort quelle lui a cot . Si la mre a pour son enfant un amour plus grand que celui du pre , cest quelle a pein davantage pour le mettre au monde . Lenfant aime moins : natre ne lui a rien cot. Dans les amitis entre ingaux , laim naime pas en retour , ou peu , ou dune autre faon ,mais pour deux raisons opposes . Celui qui aime les honneurs ( philotimos ) a plaisir tre aim plutt qu aimer . Celui qui aime le plaisir daimer plutt que dtre aim est affectueux ( philtikos E.E VII , 4, 1239 a 27 ). Dans lordre de lrs , ce qui est divin , cest dtre aim , non daimer . A loppos , lamour de la mre pour son enfant , du bienfaiteur et de lartiste pour leur poima saccompagne de conscience et de joie . Comme acte , il est pure gratuit . Pour le dsigner , Aristote emploie en IX , 7 le verbe agapa :chrir comme son enfant , ou mme huperagapa ( 1168 a 1 ). C . Lamiti premire entre hommes vertueuxIl nen reste pas moins que lamiti premire est lobjet principal de son enqute .- Lamiti premire est celle de deux hommes semblables en vertu , car les actions dun homme vertueux sont identiques ( autai ) ou semblables ( homoiai ) celles dun autre homme vertueux . ( E.N.VIII,4 ,1156 b )- Elle est rciproque : chacun des deux amis , en mme temps , aime son propre bien et rend exactement lautre ce quil en reoit : lamiti ralise lgalit parfaite , au sens arithmtique .( E.N.VIII, 7, 1157 b)- Elle exige de vivre ensemble ( suzn )en formant une communaut durable . Il ny a pas dami sans preuve ni dami dun seul jour , il faut du temps . ( E.E.VII, 2, 1238 a) Il en est comme de la vertu, produit de lhabitude , qui exige elle-aussi de lexprience et du temps. Aristote se propose dtablir une double thse au sujet de lamiti premire ( E.N.IX, 4 et 8) 1- Les sentiments amicaux (ta philika ) se rencontrent par excellence dans lamiti de lhomme vertueux lgard de lui mme ( pros hauton) 2- A partir de cette relation soi , les sentiments amicaux stendent la relation avec les amis ( pros tous philous ). I . Lamiti avec soi mme. Les deux gosmes. Quels sont ces sentiments qui dfinissent lamiti ou plutt ces marques auxquelles on la reconnat ?(Rhetor .II, 4,1232 a).

  • - Souhaiter et faire du bien quelquun pour lui mme- lui souhaiter dexister et de vivre , par amour pour lui , comme le font les mres et non comme les esclaves qui souhaitent la sant leur matre , de peur que la maladie naigrisse son caractre- Passer sa vie avec lui en partageant ses gots.- Souffrir avec lui , se rjouir avec lui , comme le font les mres.( E.N. 1166 a)

    On notera que le paradigme de lamour maternel apparat deux fois .Quant la prposition sun , Aristote sen sert pour former tous les composs : faire ensemble de la philosophie , de la gymnastique , des parties de chasse ou de jeu de ds, des banquets , des ftes , numration inpuisable de toutes les variantes de la vie en communaut koinnia- entre gaux. La premire thse est que lamiti de lhomme vertueux avec lui mme est le modle mme de lamiti et en prsente toutes les marques au plus haut degr. (E .N.IX, 4) Mais peut on tre ami de soi mme ? Si aimer et tre aim sopposent comme activit et passivit , comment un seul et mme sujet peut il en mme temps se donner et recevoir les mmes marques damiti ? On sait que Platon avait pos et rsolu cette aporie. (Rpubl.IV, 436 b sqq) Si aimer et tre aim exigent deux sujets distincts , il suffit que chaque homme soit double , form dune partie irrationnelle et dune partie rationnelle. Il ny a donc pas proprement parler damiti entre un homme et lui mme , mais entre deux parties de lui-mme dont lune , la raison ou lintellect , est par excellence son tre mme .Cest par elle que lhomme se distingue des autres animaux qui ne sont que dsir irrationnel et de lenfant avant lge de raison. Le cheval nest pas en dsaccord avec lui mme , il nest donc pas un ami pour lui mme .(E.E.VII, 6, 1240 b 31) Seul lhomme peut tre en accord ou en dsaccord avec lui mme , ami ou ennemi de lui mme. Etre ami de soi mme , cest agir par amour de la raison, puisquelle est notre tre mme. Ceci pos, il est ais de montrer que toutes les marques de lamiti parfaite se rencontrent dans la relation de lhomme vertueux avec soi. A loppos , lhomme drgl et le mchant sont en perptuel conflit avec eux-mmes, se fuient eux-mmes. Au terme , par haine de soi , un homme peut vouloir se dtruire. Il reste carter une objection : la thse ne fait-elle pas de lhomme vertueux un parfait goste ? Aristote formule laporie : que faut-il aimer avant tout , soi-mme ou quelquun dautre ? La solution consiste exposer les arguments de part et dautre , dterminer leur part de vrit , puis conclure .( E.N. IX ,8) Dun ct , on blme lgosme la philautia-. Le mchant nagit que dans son propre intrt , alors que lhomme de bien agit noblement et fait passer lintrt de son ami avant le sien propre. Dun autre ct , on pense que chacun est lui mme son meilleur ami et doit saimer lui-mme par dessus tout Le diffrend provient de ce quon dsigne du mme nom dgosme deux choses opposes. On a raison de blmer celui qui , obissant la partie irrationnelle de lui-mme , sattribue la plus large part des biens et des plaisirs du corps . Mais celui qui se complat dans lintellect , dans cette partie qui est vritablement lui-mme, est la fois parfait goste et parfait ami. Qui se sacrifie pour son ami a choisi la meilleure part , la conduite la plus noble. Il ny a donc pas lieu dopposer gosme et altruisme , il y a seulement un gosme vil et un gosme noble qui nont en commun que le nom, par une homonymie cache. Conclusion : cest un devoir pour lhomme vertueux de saimer lui-mme. II . Alter ego Nous sommes maintenant mme de comprendre la seconde thse dont Aristote propose deux formulations de porte diffrente : 1 . Les marques damiti (ta philika ) lgard des amis ( pros philous) semblent provenir ( ek) de celles quon ressent lgard de soi-mme ( pros hauton) .( E.N.IX.,4,1166 a) Cest en partant de soi-mme (apautou) que toutes les marques damiti stendent aussi lgard des autres. (E.N.IX, 8,1168 b) Il ny a pas transfert , car lamiti avec soi-mme reste lamiti par excellence . Les marques damiti qui ont le moi pour objet premier stendent un autre objet par une sorte de procession (ek) ou de gnration (apo).En effet , ces mmes prpositions servent expliquer lamour des parents ( et principalement des mres) pour leurs enfants.(E.N.VIII, 14, 1161 b). Mais alors que cet amour implique la supriorit de la cause productrice sur le produit (poima) en qui elle reconnat son acte , lamiti entre hommes vertueux est parfaite galit. Il ny a pas cration dun tre , cest naturellement que les marques damiti stendent du semblable au semblable ou , si lon prfre , que laltrit interne ncessaire lamiti pour soi-mme se prolonge en altrit externe entre deux amis la fois distincts et semblables 2 . Lhomme de bien est lgard de son ami ( pros ton philon) comme il est lgard de lui mme, car un ami est un autre soi-mme . ( allos ou htros autos . E.N.IX , 4, 1166 a et IX , 9, 1170 b) Il sagit cette fois dune similitude (hosper), sans identit , entre deux relations (pros) dont lune sert de modle lautre. Or soi-mme (autos) se dit au singulier . On ne choisit donc pas simplement un ami pour lui-mme et non pour autre chose utilit ou plaisir- mais surtout pour lui-mme dans sa singularit . On ne peut tre un ami pour plusieurs personnes dans lamiti parfaite , pas plus quon ne peut tre amoureux passionn de plusieurs en mme temps. ( E.N.VIII, 7, 1158 a) Les amitis lgendaires sont des couples insparables :

  • Achille et Patrocle, Oreste et Pylade , Hercule et Philoctte. Voici un autre Hercule (M.M. II, 15,1213 a) Une telle amiti stend la vie entire : penser et agir ensemble , ne faire quune seule me . Cest ici quil convient de rappeler que les parents aiment leurs enfants comme dautres eux-mmes, autres du fait quils sont spars ( t kekhristhai .E.N.VIII, 14, 1161 b 28) . Un ami est un soi-mme spar ( E.E.VII, 12,1245 a 35). Cette sparation est la condition de possibilit de toute amiti vritable : elle prserve laltrit de lautre et sa pleine libert dans le choix rciproque de vivre ensemble sans souhaiter se fondre lun dans lautre. Dans le Banquet , le pote Aristophane veut dvoiler par un mythe la nature cache de lrs et son souhait le plus profond . A lorigine , ltre humain tait un, avant dtre spar ( chrizesthai :Banquet ,192, c 2) sectionn en deux moitis qui , depuis lors , cherchent se runir . Cest depuis ce temps lointain quau cur des hommes est implant lamour qui tend de deux ne faire quun seul , rassemblant ainsi notre nature premire ( Le Banquet , 191, c-d) Ers nest quun autre nom de la nostalgie de lUn :gurir la blessure de la sparation .Mais , dit Aristote dans la Politique ( II, 5, 1263 b) , cest comme si dune symphonie on voulait faire un unisson . Lunit absolue supprime lamiti qui est communaut , unit de deux singularits . Cest lirrductible altrit qui rend possible le vivre ensemble de deux liberts et en fait une sumphnia chaleureuse. D- Lhomme autarcique a besoin d'un ami. Avoir besoin damis , cela va de soi pour les amitis fondes sur lutilit : le besoin vient de ce quon ne se suffit pas soi. Mais quen est il de lhomme qui se suffit soi , de lhomme parfaitement heureux ? La rponse met en jeu la nature mme de lamiti premire : est elle un besoin qui napparat dans toute sa puret , sa radicalit , que lorsque tous les autres besoins sont satisfaits ? ( E.N.IX, 9 ;E.E. VII, 12 ; M.M II, 15) LEthique Nicomaque ( IX, 9) offre un exemple canonique de la mthode aristotlicienne en thique. La mthode dialectique , expose dans les Topiques ( I, 11) sert examiner une question qui fait lobjet dopinions contraires de force apparemment gale. Lenqute consiste exposer laporie , puis la rsoudre en proposant une solution argumente . La question dbattue est : lhomme heureux qui se suffit soi a-t-il ou non besoin damis ? La mthode scientifique sappuie directement sur la nature des choses mmes. Elle consiste rechercher la cause , le dioti , cest dire le moyen terme qui explique pourquoi , dans la conclusion ,le prdicat appartient au sujet. Un ami vertueux est-il naturellement dsirable pour lhomme vertueux ? I . Examen et solution dialectiques : La thse , proposition paradoxale , est extraite du Lysis ( 215 a b) de Platon , o elle est discute et rejete par Socrate . Le bon , en tant que bon , ne se suffit-il pas lui-mme ? Or , celui qui se suffit lui-mme na besoin de rien et ne saurait recevoir du dehors aucune satisfaction. On ne saurait aimer ce qui ne donne aucune satisfaction. Donc , chacun deux se suffit soi , ft-il isol .

    Cette thse est trange , absurde au regard de lopinion , pour trois raisons : avoir des amis passe pour un grand bien , lhomme heureux a besoin damis pour rpandre sur eux ses bienfaits , lhomme est par nature un tre politique , non un solitaire. Aprs lexpos des opinions opposes commence lexamen , qui fait la part du vrai et du faux.

    1. La thse nest vraie que pour lamiti fonde sur lintrt et le plaisir.2. Comme thse gnrale , sa fausset ressort de deux arguments : -Le bonheur nest pas un acquis mais une activit (energia) .Pour lhomme de bien , son activit est plaisante par elle-mme , car elle est vertueuse et elle est la sienne . Or , nous pouvons contempler les autres mieux que nous-mmes et leurs actions mieux que les ntres . Les actions dun ami vertueux tant semblables aux ntres et plaisantes pour les mmes raisons , nous les contemplons mieux. Donc , nous avons besoin dun ami,

    - Il est difficile un solitaire dtre continuellement en acte par ses propres forces. Ce sera plus facile en compagnie dun ami et en rapport avec lui .

    Dans lEthique Eudme ( VII, 12) et la Grande Morale ( M.M. II, 15), la thse discute confond autarcie humaine et autarcie divine. Dieu na pas besoin dami et cela vaut aussi pour lhomme qui lui ressemble . ( E.E.1245 b 15) La solitude sied au sage. La Grande Morale dveloppe largument un peu diffremment . Si Dieu possde tous les biens et est autarcique , quoi semploie-t-il ? A contempler. Mais sil contemple un objet diffrent de lui , cet objet doit tre meilleur que lui , ce qui est absurde . Donc , il se contemple lui-mme . De mme, loccupation du sage sera de se connatre lui-mme en se contemplant (M.M.1212 b 38,sqq.). Aristote avance deux objections :

  • 1. Toute activit humaine , vivre , agir , sentir , connatre, saccompagne de conscience .Mais on ne se peroit soi -mme quen percevant une couleur , on ne se connat soi-mme quen connaissant quelque chose dautre que soi. On ne peut sparer la connaissance de soi humaine de sa rfrence un objet diffrent delle. Elle nest pas autosuffisante .(E.E.,1244,b 30)2. Vouloir se connatre soi-mme directement , cest sexposer aux illusions . De mme que , lorsque nous voulons contempler notre propre visage , nous nous regardons dans un miroir , de mme , lorsque nous voulons nous connatre nous-mmes , nous le faisons en nous regardant dans un ami . Car un ami est un autre soi-mme .( M.M.1213 a 20 sqq.)3. Cette argumentation suppose que , pour lhomme autarcique , un seul besoin subsiste : se connatre soi-mme. Cest par ce biais quapparat le besoin dun ami , sil est vrai quon ne peut se contempler que dans un alter ego, la fois autre , donc connaissable , et semblable , notre image. Mais cette mdiation de soi soi nest pas une vritable communaut.

    II . Solution physique par la cause . La thse prouver : un homme heureux a besoin damis concerne lamiti premire , entre hommes vertueux .Quand tous les besoins sont satisfaits et quon ne manque de rien, cest alors que surgit dans sa radicalit le besoin dun ami pour former avec lui une communaut vertueuse. Aimer , cest souhaiter lexistence (einai) et la vie de son ami pour lui-mme .Or , lobjet du souhait (boulsis) , cest le bien rel , tel quil apparat lhomme vertueux qui est ici mesure.(E.N.III, 6). Il faut donc que lexistence dun ami soit un bien rel , digne dtre choisi (airetos ,quil est prilleux de traduire par dsirable ). La preuve est un enchanement de syllogismes qui comporte un moyen central , un pivot indiquant la cause souveraine .On notera une progression : puissance , acte, conscience , plaisir. Tout acte , en tant quacte , saccompagne de la conscience dagir . Si lactivit est parfaite et se poursuit sans entraves , le plaisir vient la couronner comme par surcrot . ( E.N.X, 4) Je nindiquerai que les principales articulations : La vie humaine est puissance de sentir et de penser . Toute puissance renvoie lacte :vivre , au sens propre , cest sentir et penser en acte . Tout acte en tant quacte est dtermin et , ce titre , est un bien et , pour lhomme vertueux , un bien rel. Pour lui , la vie est au plus haut degr digne dtre choisie. Or , il ny a pas dactivit , sentir , penser et donc vivre , sans conscience de cette activit . Avoir conscience quon vit est plaisir par soi , car cest avoir conscience de possder un bien. Pour lhomme vertueux qui possde un bien rel , cette conscience est joie. Or , et voici le pivot , lhomme vertueux est lgard de son ami comme il est lgard de lui-mme, car son ami est un autre lui-mme. Si lexistence de lhomme vertueux est pour lui digne dtre choisie , lexistence de son ami lest autant ou peu prs. Ce qui rend son existence digne dtre choisie , cest la conscience quil a dtre bon et cette conscience mme est plaisir .Il doit donc partager aussi la conscience que son ami a de sa propre existence (sunaisthanesthai : tre en communaut de conscience) et , pour cela , vivre avec lui (suzn)dans une communaut dentretiens et de pense , comme il sied des hommes .

    Conclusion : lexistence dun ami fait partie des choses dignes dtre choisies et dont on manque lorsquon ne les possde pas. Donc, un homme heureux a besoin dun ami vertueux . "Vivre ensemble comme il sied des hommes et non comme des bestiaux qui paissent en un mme lieu". Ce qui nous mne la Politique . LAMITIE DANS LA POLITIQUE A . Lamiti politique chez Platon et Aristote. Au dbut du Livre II de la Politique , Aristote , selon son habitude, commence par examiner ce que dautres ont crit avant lui sur la question et dabord , Platon dans la Rpublique . La cit est une communaut , une konnia , lie par lamiti. Mais faut-il en conclure , comme Platon , que le plus grand bien pour la cit est ce qui lunit et la rend une ?( Rp.V, 462 ab) Pour devenir un , de multiple quon tait , il faut ter tout ce qui divise et spare . Or , ce qui divise , cest lidisis (462b de idion , ce quon possde en propre ).Du proverbe Entre amis , tout est commun ( panti koina ta philn 449 c) , Platon dduit que , parmi les gardiens de la Cit, chacun doit dire en mme temps , du mme objet et sous le mme rapport : ceci est moi, ceci nest pas moi , quil sagisse des femmes , des enfants , des biens , des plaisirs et des peines. Ils nont rien en propre que leur corps , tout le reste leur est commun . (464 d) Ainsi , lEtat le mieux gouvern sera celui qui se rapproche le plus dun unique individu .( 462 cd) La critique dAristote sappuie sur sa thorie de lamiti. 1 . Le communisme platonicien semble inspir par la philanthropie :il en rsulte en apparence une

  • merveilleuse amiti de tous envers tous .Mais la communaut des femmes et des enfants ne dilue-t-elle pas cette amiti ? Chaque enfant donnera le nom de pre chaque homme dune mme classe dge et lui tmoignera , par sa conduite ,le mme respect et la mme soumission quon doit un pre (Rp.V, 463 c-e).Il en sera de mme pour chaque pre lgard de chaque fils .Aristote nen croit rien. Possder quelque chose en propre , loin de sparer , est la condition de lamiti qui unit. Lamiti premire , celle de chaque homme avec lui-mme, stend lalter ego. Le pre aime son fils comme cet tre singulier qui procde de lui, un lui-mme spar . Lamour de soi nest pas lgosme qui divise , mais lorigine de toutes nos affections. Les deux sources principales de la sollicitude et de lamiti sont ce quon possde en propre ( to idion) et ce quon chrit comme son enfant ( to agapton) .( 1262 b ) Qui plus est , Platon fait disparatre les amitis fondes sur la parent , les alliances , les appartenances , tout le tissu de la communaut politique. Mieux vaut tre le cousin de quelquun que son fils la mode platonicienne .( 1262 a) 2 . Il en est de mme de la proprit . On prend peu de soin de ce qui appartient tous et tout mettre en commun suscite bien des litiges . Mieux vaut distinguer proprit ( ktsis) et usage (chrsis).Selon la vritable amiti , le proverbe entre amis tout est commun exige seulement que chacun , tout en conservant la pleine proprit de ses biens , mette certains dentre eux au service de ses amis et jouisse des autres en commun avec eux. Ainsi est prserve la vertu de libralit et le plaisir de secourir ses amis .( 1263a b ).Au nom de sa thorie de lamiti , Aristote peut donner un statut et un droit au priv , non au sens de lindividualisme possessif , mais comme condition de possibilit de la philia , lien de la communaut politique. 3 . Lerreur de Platon , daprs Aristote, est de vouloir unifier lexcs la cit en supprimant tout ce qui spare les individus pour aboutir une union de fusion, comme celle que souhaitent les amants dans le discours dAristophane.( 1262 b) Cest mconnatre que lamiti se fonde sur une irrductible altrit. La cit est forme de parties spcifiquement distinctes : gouvernants et gouverns , riches et pauvres, ce qui explique la diversit des constitutions . Tout ce qui est ncessaire lexistence matrielle de la cit, par exemple les travailleurs manuels ,nest pas pour autant partie de la cit.( VII, 8) Par contre , sont par excellence parties de la cit la classe qui combat , celle qui dlibre et celle qui juge ( VII, 9,1329 a). On objectera que Platon compose sa cit de trois classes distinctes : gouvernants, gardiens , laboureurs et artisans et que son communisme ne sapplique quaux gardiens . Toutefois , la rgle dunit sapplique tous : un seul homme une seule tche, afin que chacun reste un et que la cit tout entire reste une . ( Rp. IV, 423 d) Lunit a sa source dans un principe mtapolitique , lIde du Bien . Cest ce modle que refuse Aristote : la cit est une unit de composition ( sunthsis ) et la forme de cette composition est la constitution . ( III, 3, 1276 b 1-13) Cest une forme immanente , comme lme. B . Le pouvoir politique Aristote soutient que cest par nature que la plupart des tres commandent et obissent . Le pouvoir se dit en plusieurs sens , irrductibles les uns aux autres : pouvoir despotique de lhomme libre sur lesclave, domestique du mari sur la femme et du pre sur les enfants , politique entre citoyens gaux . ( I, 13) Dans une cit compose dgaux , chaque citoyen commande et obit tour de rle, selon un ordre (taxis) qui et une loi. Cest la constitution ( politia ) qui fixe cet ordre pour les diverses magistratures (archai) et dtermine quel est , dans chaque cit , le pouvoir souverain ( kurion). ( III, 6,1278 b) Tous les habitants dune cit ne sont pas citoyens : les femmes, les enfants , les trangers et , bien sr, les esclaves. Selon les constitutions , les artisans et les travailleurs manuels sont admis ou non , un cens plus ou moins lev peut tre exig pour accder aux fonctions politiques. Est citoyen au sens plein celui qui peut participer aux trois instances du pouvoir politique :

    1. Lassemble des citoyens est le souverain qui dlibre et dcide des affaires communes : guerre et paix , alliances , reddition des comptes des magistrats , et qui fait les lois.2. Les tribunaux forms de citoyens jugent , dlibrent et dcident selon les lois ou , dfaut, selon leur apprciation la plus juste , en quit.3. Les magistrats dlibrent sur des matires dtermines , avec pouvoir de dcider et de donner des ordres , en tant que "gardiens et ministres des lois".

    Le pouvoir politique appartient, pour lessentiel , des assembles de citoyens qui dlibrent et dcident tous ensemble ou tour de rle des magistrats . Tantt commandant , tantt obissant , le citoyen demeure sous lautorit des lois , ce qui exclut le pouvoir dun seul homme et , surtout , le pouvoir qui ne se soumet pas aux lois et gouverne par dcrets . A cette conception du pouvoir politique sopposent deux thses platoniciennes : 1 . Gouverner est une science qui exige une formation longue et difficile , ce nest pas laffaire du premier venu. Dans une assemble de citoyens ignorants , le pouvoir appartient ceux qui , comme lorateur Gorgias , possdent le pouvoir de persuader et de paratre, sans connatre les choses mmes, plus savants que ceux qui savent.

  • 2 . Ce qui vaut le mieux , ce nest pas de donner le pouvoir aux lois , mais lHomme royal dou de prudence .( Pol. 294 a) La loi crite ne voit les choses quen gros et en gnral , elle ne saurait fournir , dans chaque cas individuel la rgle prcise qui convient , la diffrence de lHomme royal qui pose sa propre science comme loi. ( 297 a) La loi nest quun pis-aller , une seconde ressource en labsence de lHomme royal. Nous examinerons la rponse dAristote ces deux arguments, particulirement en Pol .III, 15-16 o sa critique de la monarchie vise surtout Platon . I . Dlibrer ensemble : A la diffrence du personnage royal qui dcide seul pour tous au nom de la science , la dlibration est une procdure de dcision collective essentielle au pouvoir politique . Aristote sappuie sur Homre (Illiade, X, 224 sqq;) pour noncer le principe damiti . Quand deux vont de compagnie , si ce nest lun ,cest lautre qui voit lavantage saisir . Sil est vrai quon voit quand on est seul , on voit trop court et lhabilet est mince". Aristote commente : deux hommes bons sont meilleurs quun seul (Polit . III, 16, 1287 b), deux , on est plus capable de penser et dagir (E.N. VIII, 1,1155 a). La preuve en est que nous nous faisons assister dautres personnes pour dlibrer sur les questions importantes , nous dfiant de notre propre insuffisance discerner ce quil faut faire. ( E.N.III, 5, 1112 b) Autre preuve , tire cette fois dun art que Platon jugeait exemplaire : les mdecins eux-mmes, quand ils sont malades , appellent auprs deux dautres mdecins, dans lide qu ils sont incapables de porter sur eux mmes un jugement vrai , parce quils sont juges de leurs propres intrts et influens par leurs sentiments. ( Pol.1287 a b) Lhomme nest pas fait pour tre solitaire : la prposition sun sert former tous les composs qui dsignent lexercice collectif des facults humaines leur plus haut niveau dacuit et defficacit. Sur quoi dlibre-t-on ? Non sur des questions de mathmatique ou dastronomie , ni sur ce qui relve de laccident , hasard ou fortune , mais sur les choses qui se produisent le plus souvent tout en comportant une part dincertitude. Plus prcisment , sur ce qui est de lordre de lhumain , ce qui dpend de nous et relve de laction . On ne dlibre pas sur les fins , mais sur les moyens pour parvenir une dcision rflchie. (E.N.III,5) Ceci inclut le domaine de la politique.

    Qui est apte bien dlibrer ? Lhomme prudent (E.N.VI, 8) , le politique qui possde la double aptitude saisir luniversel pour lgifrer et les faits particuliers sur lesquels portent la dlibration et laction. La connaissance du particulier est affaire dexprience (E.N. VI, 9), mais la prudence nest pas la simple habilet, elle est une vertu qui rend apte saisir la droite rgle et faire le choix correct . Vertu directive , elle nappartient pas au premier venu . La prudence est de toutes les vertus la seule qui soit propre un gouvernant : pour un gouvern , sa vertu nest pas prudence , mais opinion vraie . ( Polit.III, 4) Sil en est ainsi , il vaut mieux que les mmes commandent toujours et on en revient Platon . Mais si les citoyens sont gaux , il est juste que tous participent aux fonctions publiques et exercent le pouvoir tour de rle .( Polit. II, 2) A cette difficult , Aristote apporte deux rponses :

    1. Dans une cit bien gouverne , les lois rgnent et un magistrat est le gardien et le ministre des lois . (1287 a) Il est essentiel que lautorit de la loi stende tout et que seuls les cas particuliers relvent de la dcision des magistrats et du corps des citoyens . ( IV, 4,1292 a). Or les lois sont luvre du lgislateur , de lhomme prudent . Pour le simple citoyen , lopinion vraie , cest lobissance aux lois. 2. Cest alors quintervient le principe damiti . La multitude compose dindividus qui , pris sparment , ne sont pas des gens de valeur , est nanmoins susceptible , une fois assemble ,de se montrer suprieure une petite lite , non pas individuellement, mais collectivement . ( hs sumpantas) (Polit. III, 11) Chacun possde une part de prudence et de leur union nat comme un seul homme aux multiples pieds , aux multiples mains , avec de multiples organes des sens et de mme pour les facults morales et intellectuelles. Sil sagit de juger une uvre , lun juge une partie ,lautre une autre et tous ensemble jugent bien du tout . De mme , des citoyens runis en assemble jugent , dlibrent et dcident sur des cas particuliers souvent mieux quun seul homme, quelle que soit sa valeur. ( III, 15) Il est vrai que ceci appelle deux rserves . Seul lhomme prudent est capable de slever luniversel pour faire uvre de lgislateur et la concorde doit rgner dans lassemble unie par lamiti politique . Cest tout le contraire dans la dmocratie extrme (IV, 4, 1292 a) : lorsque les lois ne rgnent plus , le peuple devient un despote , tre unique compos dune multitude , qui dcide de tout par dcrets, flatt par les dmagogues . La svrit de Platon se justifie dans ce cas sans quon puisse en conclure : lignorant doit obir et le sage commander. (Lois,III, 690 b) II . Le pouvoir des lois : Reste rpondre la critique des lois crites que fait Platon dans le Politique : lHomme royal gouverne sans lois . Cest donc dans le cadre de son examen de la monarchie qu Aristote pose la question : Est il plus avantageux dtre gouvern par lhomme le meilleur ou par les lois les meilleures ? (Polit. III,15 et 16). On observera que le personnage royal de Platon nest pas lhomme le meilleur , mais le dtenteur dune

  • science fonde sur un principe mtapolitique . Il exerce toutefois un pouvoir solitaire et , ce titre , non politique. Aristote reconnat qu lorigine de la critique platonicienne , il y a ce fait indiscutable quil est impossible de rgler par une loi des matires qui prtent dlibration . (1287 b) Toute loi, en tant qunonce universellement , est luvre de la raison , ce qui lui confre une autorit suprieure un dcret sans porte gnrale et de nature despotique.( 1292 a) Il nen rsulte pas quelle soit incapable de traiter chaque cas individuel avec exactitude , comme le soutient Platon . (Politique., 295 a) Tout ce qui est individuel nest pas pour autant singulier, seul en son genre . La plupart des cas individuels tombent sous la rgle et la loi fournit la meilleure solution. Il existe toutefois des cas non prvus par la loi et , ce qui est plus grave , des cas o lapplication littrale de la loi irait lencontre de la fin vise par le lgislateur , lorthos .Cest alors quil convient que les juges dlibrent . Or , on ne dlibre pas sur la fin , lorthos , mais sur les moyens de latteindre. Il faut chercher ce que le lgislateur aurait dit lui-mme sil avait t prsent ce moment et ce quil aurait port dans sa loi sil avait connu le cas en question. ( E.N. V, 14,1137 b) Bref , corriger lomission ou redresser , ramener lorthos les consquences injustes dune interprtation littrale. Cet epanorthma est lquit , procdure pleinement rationnelle qui rend superflu lhomme royal. Le collectif y suffit , cet unique homme parfait quest une assemble de citoyens dlibrant ensemble pour appliquer intelligemment la loi , uvre de la prudence du lgislateur. Aristote en conclut la supriorit de la nomocratie sur le pouvoir solitaire. Vouloir le rgne de la loi , cest vouloir le rgne exclusif de Dieu et de la raison. Vouloir au contraire le rgne dun homme , cest y ajouter celui dune bte sauvage , car cest ainsi quest le dsir ( epithumia) ,et la colre ( thumos) fausse le jugement des gouvernants , fussent-ils les meilleurs des hommes. (1287 a 28-32) Chacun a besoin du miroir dun ami pour se connatre , car nos passions nous aveuglent.( M.M. II, 15) Un homme seul voit trop court et ne peut avoir lil sur tout . Cest pourquoi un roi se fait assister de magistrats et sentoure de conseillers , ce qui permet Aristote davancer un dernier argument ironique fond implicitement sur le principe de rtorsion . Sil est vrai quun ami est gal et semblable son ami , il en rsulte que le roi , en pensant que ses amis doivent gouverner avec lui , pense par l mme que ceux qui sont gaux et semblables doivent tous pareillement gouverner. ( 1287 b) C. Les conflits et leur solution. I . Riches et pauvres : Aprs avoir parl de lamiti et de la concorde , il fait parler de la discorde. Dans toute cit , il y a une minorit de riches et une majorit de pauvres , do rsulte une lutte naturelle pour le pouvoir . Les classes antagonistes se rfrent au mme principe : la justice distributive qui consiste dans lgalit proportionnelle( E .N.V , 6). Les parts distribues sont proportionnelles la valeur des personnes , gales si les personnes sont gales en valeur , ingales si les personnes sont de valeur ingale. La thse des dmocrates est que tous les citoyens sont gaux en tant quils sont tous des hommes libres . La thse des oligarques est que les meilleurs , cest dire les plus riches , doivent avoir davantage. L erreur des uns et des autres vient de ce que chacun tient ses droits gouverner pour absolus. Les premiers croient que sils sont gaux sur quelque point , ils sont gaux en tout , les autres que sils sont suprieurs sur quelque point , ils sont suprieurs en tout. ( III, 9, 1280 a ; V, 1, 1301 a-b ). De l vient que les constitutions les plus rpandues sont la dmocratie et loligarchie , qui comportent chacune plusieurs espces , modres ou extrmes . Ce conflit se radicalise si lon suppose :

    - que le pouvoir ne se partage pas : tout ou rien ;- que le pouvoir sexerce au seul profit de ceux qui le dtiennent - que le pouvoir des lois fait place au pouvoir des hommes , quil sagisse de la majorit en dmocratie ou dun groupe restreint en oligarchie.

    Un tel pouvoir nest pas politique mais despotique . Quel que soit celui des deux parties qui triomphe , il ntablit pas un gouvernement fond sur le bien commun et lgalit mais , pour prix de sa victoire , il sassure la suprmatie dans la citC est devenu une habitude de ne plus dsirer lgalit , mais de chercher dominer et , si on est vaincu , de se soumettre au joug . ( IV, 11, 1296 a-b ) Les uns et les autres mconnaissent quune cit nest ni une simple alliance dfensive entre gaux , ni une socit par actions o chacun reoit au prorata de sa mise .La fin de la cit est une vie heureuse et noble et cest ceux qui possdent la vertu politique que devrait revenir le pouvoir . ( III, 9, 1281 a ) II . Les trois formes du juste milieu : Aristote a voulu fonder une science du lgislateur capable dapporter son aide aux constitutions existantes . Sans renoncer proposer la constitution la meilleure absolument , il faut , en tenant compte des circonstances de fait , indiquer quelle est la meilleure pour un peuple donn , quelle est celle qui convient le mieux la plupart des cits et enfin comment une constitution imparfaite peut nanmoins se maintenir et se doit corriger .( IV, 1) Dans des circonstances de fait dtermines et quil na pas choisies, le lgislateur dot rechercher le milieu (mson). On sait que la vertu thique rside dans le milieu qui nest pas la simple moyenne

  • arithmtique , mais le milieu relatif un individu dtermin, ce qui nest ni trop ni trop peu , un point dexcellence propre chacun , le mieux quil puisse atteindre .( E.N.II, 5) Cest lhomme prudent quil appartient de le fixer. De mme , en politique , il sagit de trouver pour une constitution qui peut tre bien loigne de la perfection un optimum qui lui permette de se maintenir dans les conflits et datteindre une excellence sa mesure qui , dfaut de la rformer de fond en comble , la rende au moins supportable et durable. 1 . La constitution moyenne ( IV, 11) : Une constitution est une forme inscrite dans une matire . Il en est du politique et du social comme de lme et du corps . Nimporte quelle me ne peut entrer dans nimporte quel corps, comme si lart du charpentier pouvait entrer dans des fltes. ( De lme , I,3, 407 b) Une bonne constitution ne peut survenir dans une cit o les uns possdent dimmenses richesses et les autres rien. On ny peut trouver quune constitution extrme. Il en est autrement sil existe une classe moyenne (meso )nombreuse ou du moins suffisante faire pencher la balance. Au regard de la richesse , la classe moyenne se tient dans la moyenne arithmtique , mais telle matire , telle forme . Comme dit le pote : Le meilleur est dans la moyenne . Une cit veut tre compose le plus possible de citoyens gaux et semblables, unis par lamiti . Or , il en est de mme en thique et en politique. Si la vie heureuse est la vie vertueuse mene sans entraves , et si la vertu est une moyenne (msots) ,alors la vie la meilleure consiste dans une moyenne. On peut en conclure , par analogie , que la constitution moyenne est la meilleure , la plus propice lexercice de la vertu politique qui est entrav par la dmesure des puissants et labjection des autres. La condition moyenne facilite la soumission la raison , la mesure (mtrion), le rgne de la loi , la concorde et la stabilit de lEtat . La preuve en est que les meilleurs lgislateurs sont issus de la classe moyenne : rechercher ce qui est juste , cest rechercher le moyen terme , car la loi est mson (III, 16, 1287b).

    Il est possible quAristote se souvienne ici du Banquet ( 202 d sqq ).Eros , par sa nature dintermdiaire (metaxu) entre richesse et pauvret , est le lien qui unit le Tout lui-mme. Sans lui , les extrmes ne communiqueraient pas . Cest ce rle de mdiateur que joue la clase moyenne. Il en rsulte que la meilleure constitution , non absolument , mais pour la plupart des cits , la plus facile raliser , est la constitution moyenne ( ms politia , 1296 a 37) .Elle joue le rle de modle pour valuer les autres constitutions , dmocratie et oligarchie , qui comportent des espces dont la meilleure est celle qui sen rapproche le plus. Cest delle que le lgislateur doit sinspirer pour redresser les dviations. 2- Le juste mlange ( IV, 8-9 ) : Un autre remde aux conflits est une constitution mixte , un mlange (mixis) doligarchie et de dmocratie : la Politia (rpublique tempre , gouvernement constitutionnel) . Cest du mlange des contraires que naissent les autres choses Si aucun des deux contraires nest ralis de manire absolue, mais que le chaud contienne du froid et le froid du chaud , par le mlange qui fait disparatre les excs rciproques , on obtient un intermdiaire (metaxu) . ( De la Gnration et de la Corruption , II, 7, 334 b) Le metaxu apparat comme une forme de mson o chaque extrme est prsent sans se manifester comme tel . Il y a trois mthodes pour russir ce mlange :

    - mlanger des mesures empruntes la dmocratie et loligarchie pour obtenir une moyenne commune :pour que tous les citoyens participent lassemble , infliger une amende aux riches qui sabsentent et verser une indemnit aux pauvres pour les inciter sy rendre.- Si lon exige un cens pour tre citoyen , prendre la moyenne arithmtique entre le plus bas exig par la dmocratie et le plus lev exig par loligarchie.- Pour dsigner les magistrats , combiner le tirage au sort dmocratique avec llection oligarchique .On trouvera en IV, 15 un tableau des combinaisons possibles.

    Le mlange est parfait quand on peut dire de la mme constitution quelle est dmocratique ou oligarchique , le milieu tant alternativement loppos de chaque extrme. Cest le cas Sparte dont Aristote critique par ailleurs la constitution. 3- Lacceptable (chein hikans V, 9,1309 b 32 )et la mesure (metriots)Il nest pas de constitution si mauvaise quon ne puisse redresser ou du moins faire durer en dterminant pour chacune la forme de meson qui la rend acceptable . Beaucoup de mesures qui semblent favorables au peuple sont la ruine des dmocraties et beaucoup de mesures d apparence oligarchique , la ruine des oligarchies. ( V, 9,1309 b). Une constitution repose sur un principe de base ( hupothsis) soustrait la discussion . Il dtermine qui appartient le pouvoir souverain et cest de lui que dcoulent les caractres propres un rgime et ses institutions . Si , sans souci de modration , on pousse ce principe ses dernires consquences , on aboutit une forme de tyrannie , la confiscation du pouvoir par une majorit dans la dmocratie ou par une minorit dans loligarchie , qui dcident de tout sans se soucier des lois.

  • Or , de toutes les dviations , la pire est la tyrannie. Un seul homme exerce un pouvoir sans contrle sur tous les citoyens indistinctement et na en vue que son propre intrt . Aucun homme libre ne supporte de son plein gr un tel pouvoir. (IV, 10,1295 a) On peut en dire autant des riches dans une dmocratie extrme et du peuple dans une oligarchie autoritaire , la tyrannie tant un compos des deux .( V, 10, 1310 b) Pour rendre un tel pouvoir supportable sans en modifier le principe de base , il faut conseiller ceux qui lexercent la modration (mtriots). Le meilleur exemple se trouve en V, 11 o Aristote oppose deux manires de gouverner tyranniquement , lune violente , lautre modre et ruse. Faisant figure dadministrateur et de roi , le tyran sera bon demi , mchant demi . Toute tyrannie , comme tout rgime extrme , est une dviation et , ce titre , foncirement dfectueuse. La modration ne la rend pas meilleure , mais seulement moins mauvaise. Il y a toutefois des degrs dans les rgimes extrmes : la dmocratie est plus mesure que loligarchie et , toutes deux , que la tyrannie.( IV, 2, 1289 b). Sous ses diffrentes formes , le meson combat la dmesure , lhubris qui menace lexistence mme de la cit . Aristote a retenu les leons des tragiques grecs , Eschyle et Sophocle. LOrestie dEschyle sachve par le discours dAthna qui met fin au cycle des violences en instituant lAropage : "Ni anarchie , ni despotisme" ( Eumnides, v. 696 ) La cit puise sa force dans lamiti des hommes libres qui trouve son expression thique et politique dans le meson. D. La vertu et la ncessit : les exclus de la cit. La fin de la cit , communaut du bien vivre , est la vertu , une vie parfaite , autarcique et heureuse ( III, 9, 1280 b-81 a). Or , il est impossible de vivre et de bien vivre sans les choses ncessaires ( anankaia ). Le ncessaire , cest ce sans quoi il est impossible de vivre ou ce sans quoi on ne peut atteindre un bien ou viter un mal . ( Mta .V , 5, 1015 a 20 sqq. au sens a .et b .) Or lactivit politique , la pratique de la vertu , les soins de lamiti , la culture de lesprit exigent le loisir ( schol ) , cest - dire une activit qui a sa fin en elle-mme, dans sa propre excellence . La vie de loisir comporte en elle-mme le plaisir , le bonheur , la flicit de vivre une vie digne dun homme libre , noble , libral et temprant, bon citoyen et homme de bien ( spoudaios anr ). Beaucoup de choses ncessaires lexistence doivent tre en notre possession pour pouvoir mener la vie de loisir. ( VII, 15, 1334 a) Il faut donc que dautres sen chargent . Linfrieur existe toujours en vue du suprieur , les choses ncessaires et utiles en vue des choses nobles . (VII, 14, 1333 a) I . Les esclaves : Rousseau a dit du peuple grec : il tait sans cesse assembl sur la place ; des esclaves faisaient ses travaux ; sa grande affaire tait sa libert. ( Du Contrat social , III, 15 ) Il ajoute quil nentend pas justifier par l lesclavage ; il tait ncessaire la libert des Anciens . En effet , Aristote condamne fermement les cits et dabord Sparte dont la lgislation et lducation ont pour unique fin la guerre et la domination des cits voisines (VII, 2 ,1324 b), comme sil y avait quelque noblesse exercer le pouvoir absolu du matre ( VII, 3, 1325 a) . Mais il tient lesclavage pour la condition ncessaire de lexcellence mme des fins thiques et politiques de la vie de loisir. Cette conception dessence aristocratique est expose dans le tableau de la cit idale (VII-VIII) , idale au sens o , pour tre ralise , elle exige des conditions conformes nos vux , la mesure de son excellence.

    Cest dans le cadre de loikos , de la maisonne , quAristote traite de lesclavage. La vie est action , activit immanente , en vue de bien vivre . Lesclave en est linstrument anim , proprit du pre de famille , serviteur plutt que producteur . Le pouvoir du matre concerne les tches ncessaires que celui qui commande nest pas oblig de savoir accomplir , mais pour lesquelles il doit se servir de lesclave . Toute autre aptitude est servile , jentends par l laptitude accomplir des besognes domestiques. ( III, 4, 1277 a) Est-on esclave par violence ou par nature ? A cot de largumentation dialectique du Livre I , Aristote sappuie sur des donnes ethno-politiques. Les sujets des royauts barbares supportent le pouvoir despotique sans se plaindre et les Asiatiques plus que les Europens . ( III, 14, 1285 a) On peut en conclure que certains peuples sont destins par nature tre gouverns despotiquement et que cela leur est juste et avantageux . ( III, 17, 1287 b ) Dans lEtat idal , cest parmi les barbares quon recrutera des esclaves pour cultiver la terre .( VII, 10, 1330 a) Tout idal cosmopolitique est tranger Aristote , mais il semble se rallier lopinion quil existe un droit naturel. Considr comme outil anim , on ne peut avoir damiti pour un esclave , mais seulement en tant quil appartient lespce humaine ( quil est un anthrpos ) car , de lavis gnral , il existe une obligation mutuelle de tout homme lgard de tout homme, , en tant quil est susceptible de participer la loi et la convention. ( E.N. VIII, 13, 1161 b) II .Les travailleurs libres :

  • A la question de savoir si lon peut accorder la citoyennet et la participation la vie politique aux gens de mtier , artisans , travailleurs manuels salaris , laboureurs , marins, commerants , Aristote rpond par la ngative. ( III, 5 ) Il sagit pourtant dhommes libres qui possdent la pleine citoyennet dans la dmocratie extrme et mme dans les oligarchies sils sont assez riches pour payer le cens . Mais la cit idale est une aristocratie , la seule constitution qui rponde la fin vritable de la cit, la vertu , et la vritable justice , celle qui est proportionnelle au mrite. Il ne suffit pas dtre ncessaire la cit pour tre citoyen.. Comme dans les autres composs naturels , les lments sans lesquels le tout nexisterait pas ne sont pas pour autant des parties du tout . ( VII, 8, 1328 a) Ce principe dexclusion est la contrepartie du principe dexcellence : si on mle lutile au noble , on aura un compos de qualit infrieure. Les occupations des gens de mtier ne leur laissent aucun loisir pour pratiquer la vertu et exercer une activit politique . Quant leur genre de vie , Aristote le qualifie de vulgaire ( banausos ). On doit considrer comme vulgaires toute tche , tout art , toute connaissance qui ont pour effet de rendre impropres lusage et la pratique de la vertu le corps , lme ou lintelligence des hommes libres , car ils privent la pense de tout loisir et de toute noblesse . ( VIII, 2, 1337 b) Cette exclusion se marque dans lespace mme de la cit (VII, 12) . Une agora appele place de la libert entoure de temples et de gymnases sera rserve aux citoyens , interdite aux travailleurs manuels , aux laboureurs et aux marchands . Une autre agora servira de place du march . L agora du haut sera destine la vie de loisir , lautre aux anankaia. ( 1331 b) Aristote reproche Platon davoir , dans la Rpublique , fait deux cits dune seule , opposes lune lautre, une garnison de gardiens dans une cit premire de laboureurs et dartisans .( II, 5, 1264 a) Mais , dans sa cit idale , les laboureurs et les artisans ne sont plus une partie de la cit , comme chez Platon , mais de simples auxiliaires sans statut , en marge de la cit . Aristote distingue et hirarchise . Ce qui est excellent se suffit soi et sert de norme ce qui est imparfait . Il en est de la cit idale comme de lamiti vertueuse, quil ne faut pas mler lamiti utilitaire ou celle qui se fonde sur le seul plaisir , sous peine de sengager dans des litiges et des marchandages. Lun se plaint de ntre pas aim en retour , lautre de ne pas avoir reu les cadeaux promis . On se croit bnficiaire dun don gratuit , mais le bienfaiteur rclame les intrts . Cest aussi lthique darbitrer ces conflits . ( E.N.IX, 1) Il en est de mme en politique. Redresser une constitution imparfaite nest pas un moindre travail que den btir une de toutes pices. ( IV., 1, 1289 a) A dfaut de la fonder , on peut imaginer une cit parfaite selon ses vux . Mais dire est affaire de souhait, raliser affaire de chance . ( VII, 12, 1331 b) Dautant que la belle totalit , lie par lamiti , o lon dlibre ensemble selon les lois les meilleures , exige quune majorit dhommes soit rive aux besognes ncessaires. Ou faut-il saccommoder dune dmocratie extrme imparfaite et instable ? Cest aussi lart politique de travailler la rendre supportable en lui donnant une perfection sa mesure . Quelle est la meilleure cit ? Cest cette question qui est laffaire de la pense et de la thorie politiques et non celle de savoir ce qui est dsirable pour un individu . ( VII, 2 ,1324 a).MarcelLAMY16 dcembre 1999