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ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE : DE L'AUTRE CÔTÉ DU MIROIR DISCIPLINAIRE Michel Naepels Editions de l'E.H.E.S.S. | Annales. Histoire, Sciences Sociales 2010/4 - 65e année pages 873 à 884 ISSN 0395-2649 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-annales-2010-4-page-873.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Naepels Michel, « Anthropologie et histoire : de l'autre côté du miroir disciplinaire », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2010/4 65e année, p. 873-884. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions de l'E.H.E.S.S.. © Editions de l'E.H.E.S.S.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Toulouse 2 - - 193.55.175.57 - 08/06/2013 18h58. © Editions de l'E.H.E.S.S. Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Toulouse 2 - - 193.55.175.57 - 08/06/2013 18h58. © Editions de l'E.H.E.S.S.

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ANTHROPOLOGIE ET HISTOIRE : DE L'AUTRE CÔTÉ DU MIROIRDISCIPLINAIRE Michel Naepels Editions de l'E.H.E.S.S. | Annales. Histoire, Sciences Sociales 2010/4 - 65e annéepages 873 à 884

ISSN 0395-2649

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-annales-2010-4-page-873.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Naepels Michel, « Anthropologie et histoire : de l'autre côté du miroir disciplinaire »,

Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2010/4 65e année, p. 873-884.

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Anthropologie et histoire :de l’autre côté du miroir disciplinaire

Michel Naepels

Les premiers mots de l’article queMarshall Sahlins publia dans The Journal of ModernHistory en 1993 signalent l’une des directions dans lesquelles l’écriture anthropo-logique s’est développée, en renforçant son lien avec l’histoire, en même tempsqu’ils indiquent l’importance théorique de cette évolution : «Dans le vacarme suscitépar la nouvelle anthropologie réflexive, qui exaltait l’impossibilité de comprendrede façon systématique un Autre insaisissable, une forme différente de prose ethno-graphique s’est développée, avec beaucoup plus de calme, presque sans que nousnous en rendions compte, et avec certainement beaucoupmoins d’angoisse épistémo-logique. Il s’agit des nombreux travaux d’ethnographie historique qui cherchent àassocier la connaissance que l’on peut avoir d’une communauté par l’expériencede terrain et le savoir sur son passé qu’apportent les archives. [...] Mais seuls quelqueschercheurs – notamment Barney Cohn, Jean Comaroff, John Comaroff et TerryTurner – se sont vraiment aperçus qu’une ethnographie prenant en compte letemps et la transformation est une autre manière d’aborder l’objet anthropologiqueet implique la possibilité de modifier les façons mêmes de penser la culture 1. »Ce dossier rassemble des recherches mettant en œuvre de tels renouvellementsde l’écriture anthropologique par l’histoire, en même temps qu’il voudrait faireconnaître quelques-uns des champs problématiques qu’ils ouvrent 2.

1 -Marshall SAHLINS, La découverte du vrai Sauvage et autres essais, Paris, Gallimard, 2007,p. 265-266.2 - Je remercie Julie Biro, Isabelle Grangaud, Éric Jolly et Sylvain Perdigon pour leurscommentaires sur une première version de ce texte, ainsi qu’Étienne Anheim pour sonregard amical et critique dans la préparation de l’ensemble de ce dossier.

Annales HSS, juillet-août 2010, n° 4, p. 873-884.

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Comme le remarque de son côté l’historienne australienne BronwenDouglas,« depuis les années 1980, de nombreux anthropologues, sensibles aux accusationsqui étaient portées contre eux d’essentialisme, de primitivisme ou d’orientalismese sont convertis à l’histoire, et ont admis que les sociétés ‘traditionnelles’ isoléeset authentiques de la romance anthropologique étaient en vérité toujours inclusesdans des systèmes coloniaux ou mondiaux. Simultanément, les historiens sociauxet culturels ont puisé dans le répertoire de concepts de l’anthropologie. Pourtant,leurs perspectives respectives sur le passé continuent de différer d’une manièresignificative 3 ». Les échanges entre histoire et anthropologie s’appuient sur la proxi-mité épistémologique des différentes disciplines des sciences sociales 4. Pour autant,les évolutions qu’évoquent tant M. Sahlins que B.Douglas ne tendent pas à lafusion disciplinaire de l’histoire et de l’anthropologie, ne serait-ce que pour desraisons de sociologie et de démographie des sciences. Après le moment de centra-lité et de confiance qu’ont pu incarner la figure et l’œuvre de Claude Lévi-Strauss,l’anthropologie n’est pas exempte de craintes parfois obsidionales ; elle n’est pour-tant pas dénuée de capacités d’innovation théorique, ni non plus de liberté dansles formes d’écriture qu’elle autorise. Le croisement entre l’histoire et l’anthropo-logie au sein de la discipline historique a été largement exploré, notamment autourde l’élaboration du concept d’« anthropologie historique 5 ». Nous proposons dansce numéro de déplacer le regard de l’autre côté du miroir disciplinaire : à leur façon,sur des objets empiriques singuliers, certains anthropologues ne se reconnaissentpas dans le partage des savoirs que défendait C. Lévi-Strauss 6 et poursuivent undialogue productif avec la discipline historique 7 ou, pour le dire plus simplement,développent leurs propres usages de l’histoire.

3 - BronwenDOUGLAS,Across the great divide: Journeys in history and anthropology, Amsterdam,Harwood Academic Publishers, 1998, p. 8.4 - Voir notamment Paul VEYNE, Comment on écrit l’histoire (augmenté de) Foucault révolu-tionne l’histoire, Paris, Éd. du Seuil, 1978 ; Jean-Claude PASSERON, Le raisonnement socio-logique. L’espace non-poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991.5 - « Introduction », in « Pour une anthropologie historique. La notion de réciprocité »,no spécial Annales ESC, 29-6, 1974, p. 1309 ; André BURGUIÈRE, «L’anthropologie histo-rique », in J. LE GOFF (dir.), La nouvelle histoire, Bruxelles, Complexe, [1978] 1988,p. 137-165 ; Lucette VALENSI et Nathan WACHTEL, «L’anthropologie historique », inJ. REVEL et N.WACHTEL (dir.), Une école pour les sciences sociales. De la VIe section à l’Écoledes hautes études en sciences sociales, Paris, Éd. du Cerf/Éd. de l’EHESS, 1996, p. 251-274.Voir également Philippe MINARD et al., «Histoire et anthropologie, nouvelles conver-gences ? », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 49-4 bis, 2002, p. 81-108.6 - Claude LÉVI-STRAUSS, «Histoire et ethnologie », Revue de Métaphysique et de Morale,54-3/4, 1949, p. 363-391, réédité in Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, p. 9-39 ; etson débat avec Fernand Braudel en 1960 : «L’anthropologie sociale devant l’histoire »,Annales ESC, 15-4, 1960, p. 625-637, extrait de la leçon inaugurale de la chaire d’anthropo-logie sociale faite au Collège de France le mardi 5 janvier 1960, publiée in «Le champde l’anthropologie », Anthropologie structurale 2, Paris, Plon, 1973, p. 11-44. Voir FrançoisHARTOG, «Le regard éloigné : Lévi-Strauss et l’histoire », in M. IZARD (dir.), Lévi-Strauss, Paris, Éd. de l’Herne, 2004, p. 313-319.7 - Brian K. AXEL (dir.), From the margins: Historical anthropology and its futures, Durham,Duke University Press, 2002 ; Aletta BIERSACK, «History and theory in anthropology »,8 7 4

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Un débat continué autour de l’histoire

L’approche historique n’est certes pas neuve en anthropologie. On sait qu’elleest constitutive de son moment évolutionniste – celui-ci ayant été légitimementdénoncé comme histoire conjecturale et spéculative. C’est à partir de la critiquede l’évolutionnisme que se comprend l’ancrage de l’anthropologie fonctionnalisteet culturaliste dans l’enquête ethnographique de terrain, qui suscita des modes dedescription non seulement synchroniques mais aussi très souvent hors du temps,sans prise en compte de la temporalité ni des dynamiques sociales. La conférenceMarett donnée par Edward Evans-Pritchard en 1950 invitait les anthropologues àretrouver une perspective historique et diachronique 8. L’œuvre d’Edmund Leachanalysant au long d’une période de 150 ans les deux modèles d’organisation poli-tique existant chez les Kachin de Birmanie, et les logiques de leurs transforma-tions – l’ordre égalitaire et démocratique gumlao et l’organisation hiérarchisée gumsa –illustra cette nouvelle préoccupation pour les dynamiques internes de transforma-tion des équilibres sociaux 9. Parallèlement, la notion de « situation » permettait à

in A. BIERSACK (dir.), Clio in Oceania: Toward a historical anthropology, Washington, Smith-sonian Institution Press, 1991, p. 1-36 ; Robert BOROFSKY, «An invitation », inR.BOROFSKY

(dir.), Remembrance of Pacific pasts: An invitation to remake history, Honolulu, Universityof Hawai’i Press, 2000, p. 1-30 ; Bernard S. COHN, An anthropologist among the historiansand other essays, Delhi, Oxford University Press, 1987 ; Nicholas DIRKS, « Is vice versa?Historical anthropologies and anthropological histories », in T. J.MCDONALD (dir.), Thehistoric turn in the human sciences, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1996, p. 17-51 ; James D. FAUBION, «History in anthropology », Annual Review of Anthropology, 22,1993, p. 35-54 ; Clifford GEERTZ, «History and anthropology », Available light: Anthropo-logical reflections on philosophical topics, Princeton, Princeton University Press, 2000,p. 118-133 ; Raymond JAMOUS et Aurore MONOD-BECQUELIN (dir.), « Anthropologie ethistoire. Réflexion sur les cinq continents », Ateliers, 17, 1997 : http://www.mae.u-paris10.fr/ateliers/index.html ; Rena LEDERMAN, «Changing times in Mendi: Notes towards wri-ting highland New Guinea history », Ethnohistory, 33-1, 1986, p. 1-30 ; Isabelle MERLE

et Michel NAEPELS, «Comme à la limite de la mer... », in I.MERLE et M.NAEPELS

(dir.), Les rivages du temps. Histoire et anthropologie du Pacifique, Paris, L’Harmattan, 2003,p. 11-32 ; Emiko OHNUKI-TIERNEY (dir.), Culture through time: Anthropological approaches,Stanford, Stanford University Press, 1990.8 - Edward EVANS-PRITCHARD, «L’anthropologie sociale : son évolution des origines ànos jours », Les anthropologues face à l’histoire et à la religion, [1962] 1974, p. 9-28. Sacritique du fonctionnalisme suscita la réplique d’Isaac SCHAPERA, « Should anthropo-logists be historians? », The Journal of the Royal Anthropological Institute of Great Britainand Ireland, 92-2, 1962, p. 143-156, qui, entre autres choses, rappelait que les travauxfonctionnalistes sont loin d’avoir tous ignoré l’histoire des groupes qu’ils étudiaient : voirBronislawMALINOWSKI, « Introductory essay: The anthropology of changingAfrican cultu-res », Methods of study of culture contact in Africa, Londres, Oxford University Press, 1938,p. VII-XXXVIII. On se référera aussi à l’excellente monographie de Sharon E.HUTCHINSON,Nuer dilemmas: Coping with money, war and the state, Berkeley, University of CaliforniaPress, 1996, sur l’histoire et l’historicité des Nuer étudiés par E. Evans-Pritchard.9 - Edmund LEACH, Political systems of highland Burma: A study of Kachin social structure,Londres, G. Bell & Sons, 1954. 8 7 5

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Max Gluckman 10, et plus largement à l’École deManchester 11, de défaire l’identi-fication abusive de la synchronie à la statique. Ce même mouvement, représentéen France par l’œuvre de Georges Balandier 12, et appuyé sur une évidence parta-gée par les spécialistes de l’Afrique de la nécessité de prendre en compte l’histoire(notamment précoloniale) pour comprendre le présent, se déploya dans un ensembled’œuvres de grande ampleur parmi les anthropologues africanistes français, telsque Jean Bazin 13, Michel Izard 14 ou Emmanuel Terray 15. On peut dès lors s’inter-roger sur la nécessité de répéter la critique formulée par E. Evans-Pritchard il ysoixante ans, ou, réciproquement, sur la façon récurrente dont l’anthropologie tendà se construire contre l’histoire, comme son reste. Un certain nombre de tentativesde conciliation entre le formalisme structuraliste et la prise en compte conjointe del’événementialité et de la temporalité ont toutefois émergé, dont témoignent desœuvres aussi diverses que celle de M. Sahlins 16 ou de Nathan Wachtel 17.

10 -Max GLUCKMAN, « Analysis of a social situation in modern Zululand », Bantu Studies,1, 1940, p. 1-30 et 2, 1940, p. 147-172.11 - Victor W. TURNER, Schism and continuity in an African society: A study of Ndembuvillage life, Manchester, Manchester University Press, 1957 ; Jaap VAN VELSEN, «Theextended-case method and situational analysis », in A.L. EPSTEIN (dir.), The craft ofsocial anthropology, Londres, Tavistock, 1967, p. 129-152.12 - Georges BALANDIER, «La situation coloniale : approche théorique », Cahiers inter-nationaux de sociologie, 11, 1951, p. 44-79.13 - Jean BAZIN, «Guerre et servitude à Ségou », in C. MEILLASSOUX (dir.), L’esclavageen Afrique précoloniale, Paris, Maspero, 1975, p. 135-181 ; Id., « État guerrier et guerresd’État », in J. BAZIN et E.TERRAY (dir.), Guerres de lignages et guerres d’État en Afrique,Paris, Éd. des archives contemporaines, 1982, p. 321-374 ; Id., « Princes désarmés, corpsdangereux. Les ‘rois-femmes’ de la région de Segu », Cahiers d’Études africaines, 111-112, 1988, p. 375-441. Pour une autre approche d’anthropologie historicisée de la mêmerégion, on se reportera à Giuseppina RUSSO, «Kèlèdenyasira. L’arte della guerra. Praticadelle armi e identità a Kignan (Mali) », in F. VITI (dir.), Guerra e violenza in Africa Occiden-tale, Milan, F. Angeli, 2004, p. 38-82.14 -Michel IZARD, Gens du pouvoir, gens de la terre. Les institutions politiques de l’ancienroyaume du Yatenga (bassin de la Haute-Volta blanche), Cambridge/Paris, Cambridge Uni-versity Press/Éd. de la MSH, 1985 ; Id., Le Yatenga précolonial. Un ancien royaume duBurkina, Paris, Karthala, 1985 ; Id., L’odyssée du pouvoir. Un royaume africain : État, société,destin individuel, Paris, Éd. de l’EHESS, 1992 ; Id., Moogo. L’émergence d’un espace étatiqueouest-africain au XVIe siècle. Étude d’anthropologie historique, Paris, Karthala, 2003. Pourune autre approche d’anthropologie historicisée de la même région, on se reportera àJunzô KAWADA, Genèse et dynamique de la royauté : les Mosi méridionaux (Burkina Faso),Paris, L’Harmattan, 2002.15 - Emmanuel TERRAY, «Nature et fonctions de la guerre dans le monde akan XVIIe-XIXe siècles », in J. BAZIN et E.TERRAY (dir.), Guerres de lignages..., op. cit., p. 375-421 ;Id., « L’État, le hasard et la nécessité. Réflexions sur une histoire », L’Homme, 97-98,1986, p. 213-224 ; Id., Une histoire du royaume abron du Gyaman des origines à la conquêtecoloniale, Paris, Karthala, 1995.16 -Marshall SAHLINS, Des îles dans l’histoire, Paris, Gallimard/LeSeuil, [1985] 1989 ;Id., Apologies to Thucydides: Understanding history as culture and vice versa, Chicago, TheUniversity of Chicago Press, 2004 ; Id., La découverte du vrai Sauvage..., op. cit.17 - Nathan WACHTEL, Le retour des ancêtres. Les Indiens Urus de Bolivie, XXe-XVIe siècle.Essai d’histoire régressive, Paris, Gallimard, 1990.8 7 6

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Les publications anglo-saxonnes qui critiquèrent épistémologiquement dansles années 1980 le caractère anhistorique des descriptions ethnographiques clas-siques, notamment les analyses de Johannes Fabian 18 et de Nicholas Thomas 19,furent certainement décisives pour l’évolution récente des problématiques desethnologues dans leur articulation avec les opérations de recherche historiennes.Plus que la simple considération du passé, c’est la prise en compte, d’une part, dedynamiques sociales internes aux groupes considérés et, d’autre part, de régimesvariables d’historicité qui devient alors possible et nécessaire. C’est ce qu’établirentégalement, chacune à sa manière, de multiples démonstrations monographiques,particulièrement nombreuses en langue anglaise dans les décennies 1980 et 1990 20.L’inflexion historiciste de l’œuvre deM. Sahlins date au demeurant de cette mêmepériode 21. On peut remarquer le caractère tardif et extrêmement partiel des traduc-tions en français de ces œuvres importantes 22, correspondant à une appropriation et

18 - Johannes FABIAN, Le temps et les autres. Comment l’anthropologie construit son objet,Toulouse, Anacharsis, [1983] 2006.19 - Nicholas THOMAS, Hors du temps. Histoire et évolutionnisme dans le discours anthropo-logique, Paris, Belin, [1989] 1998.20 - Citons, parmi les plus significatives, Ruth BEHAR, The presence of the past in aSpanish village: Santa María del Monte, Princeton, Princeton University Press, 1986 ;Robert BOROFSKY, Making history: Pukapukan and anthropological constructions of knowledge,Cambridge, Cambridge University Press, 1987 ; Nicholas B.DIRKS, The hollow crown:Ethnohistory of an Indian kingdom, Cambridge, Cambridge University Press, 1987 ; RichardG. FOX, Lions of the Punjab: Culture in the making, Berkeley, University of California Press,1985 ; Deborah B.GEWERTZ, Sepik River societies: A historical ethnography of the Chambriand their neighbors, New Haven, Yale University Press, 1983 ; David LAN, Guns & rain:Guerrillas & spirit mediums in Zimbabwe, Londres/Berkeley, J. Currey/University ofCalifornia Press, 1985 ; Richard PRICE, Les premiers temps. La conception de l’histoire desMarrons saramaka, Paris, Éd. du Seuil, [1983] 1994 ; Renato ROSALDO, Ilongot headhun-ting, 1883-1974: A study in society and history, Stanford, Stanford University Press, 1980 ;Michael T.TAUSSIG, Shamanism, colonialism and the wild man: A study in terror and healing,Chicago, The University of Chicago Press, 1987 ; Nicholas THOMAS, Marquesan societies:Inequality and political transformation in eastern Polynesia, New York/Oxford, Clarendon/Oxford University Press, 1990 ; Donald F.TUZIN, Social complexity in the making: A casestudy among the Arapesh of New Guinea, Londres, Routledge, 2001 ; Polly WIESSNER etAkii TUMU, Historical vines: Enga networks of exchange, ritual and warfare in Papua NewGuinea, Washington, Smithsonian Institution Press, 1998. On peut également renvoyeraux œuvres importantes mentionnées dans la citation de M. Sahlins rapportée supra :Bernard S. COHN, Colonialism and its forms of knowledge: The British in India, Princeton,Princeton University Press, 1996 ; Jean COMAROFF, Body of power, spirit of resistance: Theculture and history of a South African People, Chicago, University of Chicago Press, 1985 ;Terence TURNER, «Representing, resistance, rethinking: Historical transformation ofKayapo culture and anthropological consciousness », in G.W. STOCKING Jr. (dir.), Colo-nial situations: Essays on the contextualization of ethnographic knowledge, Madison, Universityof Wisconsin Press, 1991, p. 285-313.21 -Marshall SAHLINS, Historical metaphors and mythical realities: Structure in the early his-tory of the Sandwich Islands kingdom, Ann Arbor, University of Michigan Press, 1981 ; Id.,Des îles dans l’histoire, op. cit.22 - J. FABIAN, Le temps et les autres..., op. cit. ; R. PRICE (éd.), Les premiers temps..., op. cit. ;N.THOMAS, Hors du temps..., op. cit. 8 7 7

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à une mise en débat limités au sein de la discipline anthropologique en France, etégalement restreintes à quelquesœuvres parmi les historiens – qui furent, remarquons-le, les premiers à saisir l’importance de l’œuvre de M. Sahlins 23, et à la traduire.

Le questionnement par les études subalternistesd’un savoir colonial

Si l’on suit les analyses proposées par Immanuel Wallerstein 24, on peut considérerque les institutions de l’anthropologie résultent de la division disciplinaire qui seproduisit dans les pays occidentaux entre 1848 et 1945. Dans la définition mêmede leur objet, les sciences sociales s’articulèrent alors étroitement à l’objectif deconstruction d’États-nations, dans une période d’unification et de polarisation dusystème-monde par la colonisation, et d’intense compétition entre les nationalismeseuropéens. À côté de l’histoire, de l’économie, de la sociologie et de la sciencepolitique, toutes disciplines centrées sur une nation particulière, la reconnaissancedisciplinaire de l’anthropologie était liée au contexte colonial qui plaça certainessociétés hors du temps, hors de l’histoire, en institutionnalisant le Grand Partageentre l’Occident et ses Autres 25. Indépendamment donc des prises de position desanthropologues, le cadre de la construction disciplinaire de l’anthropologie a étéfortement marqué par la colonisation, non seulement dans la localisation de la plusgrande partie des « terrains » d’enquête, mais aussi dans la forme du savoir qu’ellea produit 26.

Cette relation a suscité dans les dernières décennies « un véritable malaisequant au statut sociopolitique de l’anthropologie comme discipline 27 », dont témoignepar exemple la remarque de Renato Rosaldo : «Ce sont les processus mêmes quirendaient possible ma présence parmi les Ilongots qui suscitaient des changementsdévastateurs pour eux 28. » Ainsi, pour des raisons profondément inscrites dans lapolitique du savoir, les anthropologues ont classiquement étudié des populations

23 - François HARTOG, «Marshall Sahlins et l’anthropologie de l’histoire », Annales ESC,38-6, 1983, p. 1256-1263.24 - Immanuel WALLERSTEIN, Impenser la science sociale. Pour sortir du XIXe siècle, Paris,PUF, 1995 ; Immanuel WALLERSTEIN (dir.), Ouvrir les sciences sociales. Rapport de la Com-mission Gulbenkian pour la restructuration des sciences sociales, présidée par Immanuel Wallerstein,Paris, Descartes &Cie, 1996 ; Id., « Les sciences sociales au XXIe siècle », inA.KAZANCIGIL

et D.MAKINSON (dir.), Les sciences sociales dans le monde, Paris, Unesco/Éd. de la MSH,2001.25 - Éric R.WOLF, Europe and the people without history, Berkeley, University of CaliforniaPress, 1982.26 - Talal ASAD (dir.), Anthropology and the colonial encounter, New York, HumanitiesPress, 1973 ; Peter PELS et Oscar SALEMINK (dir.), Colonial subjects: Essays on the practicalhistory of anthropology, Ann Arbor, The University of Michigan Press, 1999.27 - Edward W. SAID, «Representing the colonized: Anthropology’s interlocutors », Cri-tical inquiry, 15-2, 1989, p. 205-225, ici p. 208.28 - Renato ROSALDO, « Imperialist nostalgia », Representations, 26, 1989, p. 107-122, icip. 119.8 7 8

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marginales par rapport aux centres européens du pouvoir, et qui disposaient depeu de moyens, jusqu’à récemment, pour mettre en question le savoir produit àleur sujet 29. Nombreux sont les anthropologues qui ont récemment dénoncé ladissymétrie, en termes de pouvoir, entre l’ethnologue et ses interlocuteurs – lesexplications de ceux-ci fournissant pourtant généralement à celui-là la plus grandepartie du matériau à partir duquel il construit ses analyses. R. Rosaldo a ainsi réflé-chi à la position d’enquêteur d’E. Evans-Pritchard en insistant sur la dimensioninquisitoriale de la démarche de l’ethnographe 30. De même, l’une des dimensionsdu violent débat qui opposa M. Sahlins et Gananath Obeyesekere tenait à la miseen cause par celui-ci de la légitimité de la position d’écriture de celui-là en tantqu’Occidental voulant rendre compte des « croyances » des Hawaïens 31. Ce malaisea suscité une profonde remise en cause des pratiques d’enquête et d’écriture enanthropologie, parallèle à la mise en question des cadres traditionnels de l’écriturehistorique par l’école subalterniste indienne 32. L’œuvre de Jean et John Comaroffest certainement l’une de celles qui tirent le plus systématiquement les consé-quences de ce déplacement postcolonial 33 qui affecta non seulement l’anthropo-logie, mais aussi l’histoire et les relations entre ces deux disciplines : elle prendacte de la critique des catégories coloniales mise en œuvre par l’historiographiesubalterniste, tout en articulant la description intensive de cultures singulières avecla description du contexte plus vaste des événements du monde 34, sans séparer

29 - John et Jean COMAROFF, Ethnography and the historical imagination, Boulder, WestviewPress, 1992. Voir sur ce point le texte classique de Gayatri SPIVAK, «Can the subalternspeak? » in C.NELSON et L.GROSSBERG (dir.), Marxism and the interpretation of culture,Urbana, University of Illinois Press, 1988, p. 271-313.30 - Renato ROSALDO, « From the door of his tent: The fieldworker and the inquisitor »,in J. CLIFFORD & G.E. MARCUS, Writing culture: The poetics and politics of ethnography,Berkeley, University of California Press, 1986, p. 77-97.31 - Gananath OBEYESEKERE, The apotheosis of Captain Cook: European mythmaking in thePacific, Princeton/Honolulu, Princeton University Press/Bishop Museum Press, 1992 ;Marshall SAHLINS, How «Natives » think: About Captain Cook, for example, Chicago, TheUniversity of Chicago Press, 1995 ; Robert BOROFSKY, «Cook, Lono, Obeyesekere, andSahlins », Current Anthropology, 38-2, 1997, p. 255-282 ; Francis ZIMMERMANN, « Sahlins,Obeyesekere et la mort du capitaine Cook », L’Homme, 146, 1998, p. 191-205.32 - Jacques POUCHEPADASS, «Les Subaltern studies, ou la critique postcoloniale de lamodernité », L’Homme, 156, 2000, p. 161-185 ; Id., «Que reste-t-il des Subaltern studies ? »,Critique Internationale, 24, 2004, p. 68-79 ; Id., «A proposito della critica postcolonialesul ‘discorso’ dell’archivio », Quaderni storici, 3, 2008, p. 675-690 ; Jean-Loup AMSELLE,L’Occident décroché. Enquête sur les postcolonialismes, Paris, Stock, 2008 ; Jackie ASSAYAG etVéronique BÉNÉI (dir.), « Intellectuels en diaspora et théories nomades », L’Homme,156, 2000 ; Isabelle MERLE, «Les subaltern studies. Retour sur les principes fondateursd’un projet historiographique de l’Inde coloniale », Genèses, 56, 2004, p. 131-147.33 - On se reportera aussi avec intérêt à Veena DAS, Critical events: An anthropologicalperspective on contemporary India, New Delhi, Oxford University Press, 1995, et àE. Valentine DANIEL, Charred lullabies: Chapters in anthropology of violence, Princeton,Princeton University Press, 1996.34 - J. COMAROFF,Body of power..., op. cit. ; J. et J. COMAROFF,Ethnography and the historicalimagination, op. cit. Voir également Roger M.KEESING, «Colonial history as contestedground: The Bell massacre in the Solomons », History and Anthropology, 4-2, 1990,p. 279-301. 8 7 9

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les communautés locales des systèmes mondiaux 35. On remarquera ici d’une partque le cadre de l’enquête de terrain ethnographique maintient par principe uneattention pour l’empiricité qui préserve l’anthropologie des formes les plus textua-listes de la déconstruction post-moderne appliquée aux sciences sociales ; et d’autrepart que les renouvellements critiques que nous venons d’évoquer, s’ils n’ont pastout à fait provincialisé l’Europe 36, se sont pleinement déployés dans les universi-tés anglophones avant d’être pris en compte dans l’ethnologie pratiquée en France.

Une démarche comparable préside à l’historicisation de catégories analy-tiques majeures de l’anthropologie politique, la chefferie et le segmentaire, quedéveloppent ici Luc Bellon sur le Baloutchistan (Pakistan) et Michel Naepels surla région de Houaïlou (Nouvelle-Calédonie). À travers les figures d’Akbar Bugti etde Mwâdéwé Népörö, ils proposent ainsi des récits singulièrement complexifiés del’histoire de la colonisation, de la résistance, du nationalisme et de la post-colonie,invitant à ne pas se contenter d’un dualisme englobant prenant la forme de l’oppo-sition colonisateur/colonisé ou dominant/dominé. Ils invitent au contraire à tenircompte du fait que la perspective des « dominés » n’est pas l’inverse de celle desdominants, et qu’elle recouvre des divergences internes irréconciliables. Une tellehétérogénéité ne peut être restituée que par la recherche d’une forme de descriptionmarquant les différends perspectifs dans l’écriture par l’enchâssement et le montage.

Historicités, mémoires, constructions et usages du passé

La prise en compte de différentes échelles du temps comme de la divergence desintentionnalités des acteurs sociaux confronte les anthropologues aux conceptuali-sations locales de l’histoire, à la diversité des façons de mesurer et d’exprimer letemps 37, ou de se rapporter à la temporalité, à la causalité, et à l’événement. C’està partir de l’examen ethnographique de l’expérience du temps qu’on peut poser ànouveaux frais la question de l’existence de différents types d’historicité 38, sansnécessairement s’inscrire dans un Grand Partage entre sociétés « traditionnelles »et sociétés «modernes ». Ainsi, Sylvain Perdigon analyse ici le projet de martyred’un de ses interlocuteurs en le confrontant aux sentiments moraux et à l’expé-rience du temps que structure l’« espace historique de la violence » dans lequel

35 - JackGOODY,The development of the family and marriage in Europe, Cambridge, CambridgeUniversity Press, 1983 ; Kajsa E. FRIEDMAN et Jonathan FRIEDMAN, Historical transforma-tions: The anthropology of global systems, Walnut Creek, AltaMira Press, 2008.36 - Dipesh CHAKRABARTY, Provincializing Europe: Postcolonial thought and historical diffe-rence, Princeton, Princeton University Press, 2000.37 - Paul BOHANNAN, «Concepts of time among the Tiv of Nigeria », Southwestern Jour-nal of Anthropology, 9-3, 1953, p. 251-262 ; Peter RIGBY, «Time and historical conscious-ness: The case of Ilparakuyo Maasai », Comparative Studies in Society and History, 25-3,1983, p. 428-456 ; Mariano PAVANELLO, «L’événement et la parole : la conception del’histoire et du temps historique dans les traditions orales africaines : le cas des Nzema »,Cahiers d’Études africaines, 171, 2003, p. 461-481.38 - François HARTOG, Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris, LeSeuil, 2003.8 8 0

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s’inscrivent les Palestiniens réfugiés au Sud Liban, en cherchant à décrire le « pointde jonction entre historicité et éthique, temporalité et souffrance ».

Dans la multitude des faits bruts, ce n’est qu’à condition d’être mis en récitque certains événements en viennent à servir de matrice aux expériences subjec-tives, à la conscience historique des acteurs. Comme l’écrit Greg Dening, « le passéen lui-même est évanescent : il n’a d’existence qu’au sein d’histoires. Les histoiressont le passé mis en texte 39 ». Comment l’histoire est racontée, ce qui est racontéde l’histoire, par qui, à qui, et dans quel but, ce qui fait date ou non, deviennent alorsdes questions décisives. Elles ont été thématisées en suivant plusieurs perspectivesanthropologiques, telles que l’étude des formes sociales de la mémorisation 40,l’analyse des relations entre mythe et histoire 41, ou encore le poids des enjeuxsociaux contemporains dans l’énonciation du récit de l’histoire 42. L’article d’ÉricJolly s’intéresse précisément aux usages locaux, nationalistes ou panafricains dedeux épopées maliennes ou guinéo-maliennes, l’histoire dogon de Yakoro Baji etla Charte de Kurutan Fuga, tirée de la geste de Sunjata. La compréhension de cesrécits historiques (oraux et écrits) passe alors par l’analyse des genres littérairesmobilisés et de leurs contextes d’énonciation et de diffusion (y compris radiophonique,

39 - Greg DENING, « A poetic for histories. Transformations that present the past », inA. BIERSACK (dir.), Clio in Oceania..., op. cit., p. 347-380, ici p. 353.40 - Debbora BATTAGLIA, «The body in the gift: Memory and forgetting in Sabarl mor-tuary exchange », American Ethnologist, 19-1, 1992, p. 3-18 ; Maurice BLOCH, «Mémoireautobiographique et mémoire historique du passé éloigné », Enquête, anthropologie, his-toire, sociologie, 2, 1995, p. 59-76 : http://enquete.revues.org/sommaire292.html ; JohannesFABIAN, Remembering the present: Painting and popular history in Zaire, Berkeley, Universityof California Press, 1996 ; Carlo SEVERI, Le principe de la chimère. Une anthropologie de lamémoire, Paris, Éd. Rue d’Ulm/Musée du Quai Branly, 2007 ; Anne Christine TAYLOR,«Remembering to forget: Identity, mourning and memory among the Jivaro », Man, 28-4, 1993, p. 653-678 ; Id., « L’oubli des morts et la mémoire des meurtres. Expériencesde l’histoire chez les Jivaro », Terrain, 29, 1997, p. 83-96 ; Françoise ZONABEND, Lamémoire longue. Temps et histoires au village, Paris, Jean-Michel Place, [1986] 1999.41 - Alban BENSA et Antoine GOROMIDO, Histoire d’une chefferie kanak (1740-1878). Lepays de Koohnê (Nouvelle-Calédonie), Paris, Karthala, 2005 ; Alban BENSA et Jean-ClaudeRIVIERRE, «De l’Histoire des mythes. Narrations et polémiques autour du rocher Até(Nouvelle-Calédonie) », L’Homme, 106-107, 1988, p. 263-295 ; Patrice BIDOU, «Le mythe :une machine à traiter l’histoire. Un exemple amazonien », L’Homme, 100, 1986, p. 65-89 ; Peter GOW, An Amazonian myth and its history, Oxford, Oxford University Press,2001 ; Klaus NEUMANN, Not the way it really was. Constructing the Tolai past, Honolulu,University of Hawaii’ Press, 1992 ; Richard J. PARMENTIER, The sacred remains: Myth,history, and polity in Belau, Chicago, The University of Chicago Press, [1982] 1987 ;Terence TURNER, «History, myth, and social consciousness among the Kayapo ofCentral Brazil », in J.D. HILL (dir.), Rethinking history and myth: Indigenous South Americanperspectives on the past, Urbana, University of Illinois Press, 1988, p. 195-213 ; DonaldTUZIN, The Cassowary’s revenge: The life and death of masculinity in a New Guinea society,Chicago, The University of Chicago Press, 1997.42 - Roger KEESING, «Creating the past: Custom and identity in the contemporary Paci-fic », Contemporary Pacific, 1, 1989, p. 19-42 ; Daniel SEGAL, «Living ancestors: Nationa-lism and the past in postcolonial Trinidad and Tobago », in J. BOYARIN (dir.), Remappingmemory: The politics of timespace, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1994,p. 221-240 ; Terence TURNER, « Indigenous resurgence, anthropological theory, and thecunning of history », Focaal: The European Journal of Anthropology, 49, 2007, p. 118-123. 8 8 1

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informatique et livresque). La réflexion que propose M.Naepels sur un relevégénéalogique effectué par le missionnaire-ethnologue Maurice Leenhardt s’inscritdans la même perspective.

Le souci réciproque a conduit un certain nombre d’ethnologues à réfléchirà ce qui n’est pas raconté : Chris Ballard s’est ainsi interrogé dans un article impor-tant sur l’absence de mise en récit local de la première rencontre des Huli deNouvelle-Guinée avec des Européens, en l’occurrence des chercheurs d’or dontle passage entraîna pourtant plus de cinquante morts 43. Pour accomplir un telprojet, il faut pouvoir accéder aux perspectives diverses et divergentes des diffé-rents acteurs, ce qui n’est possible qu’en utilisant conjointement, et parfois contra-dictoirement, témoignages oculaires, traditions orales et sources documentairesécrites, pour dresser un tableau irréconciliable des événements, ne faisant passilence sur le point de vue des dominés 44. Une telle perspective prolonge et renou-velle le projet de M. Sahlins, de toujours contrebalancer l’histoire coloniale par sonacculturation indigène, en laissant une plus grande place aux conflits d’interprétations.

Opérations de recherche et disciplines

Combattre le caractère anhistorique de l’anthropologie a ainsi pour conséquencede remettre en cause la centralité, ou au moins l’exclusivité, de l’enquête ethno-graphique comme lieu de production des matériaux qu’utilisent les anthropologues,au bénéfice d’un réel pluralisme des opérations de recherche et des sources utili-sées (en faisant appel à différents genres de productions discursives orales, desources écrites coloniales ou non, de données archéologiques, etc.). Si l’utilisationde mythes, de poésies épiques, mais aussi de discours justificatifs, rend certainementproblématique la catégorie d’« histoire orale », les ethnologues participent singuliè-rement à l’élaboration d’instruments de contrôle et d’analyse des récits oraux 45

(fussent-ils solidifiés, lacunaires ou même erronés). Ils réfléchissent également àleurs usages des archives 46. À côté de ces outils de captation du passé ou de la

43 - Chris BALLARD, «La fabrique de l’histoire. Événement, mémoire et récit dans lesHautes Terres de Nouvelle-Guinée », in I.MERLE et M.NAEPELS (dir.), Les rivages dutemps..., op. cit., p. 111-134.44 -Michel-Rolph TROUILLOT, Silencing the past: Power and production of history, Boston,Beacon Press, 1995.45 - Laura BOHANNAN, « A genealogical charter », Africa, Journal of the International Afri-can Institute, 22-4, 1952, p. 301-315 ; Jack GOODY, «Mémoire et apprentissage dans lessociétés avec et sans écriture : la transmission du Bagré », L’Homme, 17-1, 1977, p. 29-52 ; Jean BAZIN, «La production d’un récit historique », Cahiers d’Études africaines, 73-76, 1979, p. 435-483 ; Claude-Hélène PERROT et Emmanuel TERRAY, «Tradition oraleet chronologie », Annales ESC, 32-2, 1977, p. 326-331 ; Junzô KAWADA, «Histoire orale etimaginaire du passé. Le cas d’un discours ‘historique’ africain », Annales ESC, 48-4, 1993,p. 1087-1105.46 - Daniel FABRE, «L’ethnologue et ses sources », Terrain, 7, 1986, p. 3-13 ; Jean JAMIN

et Françoise ZONABEND, « Archivari », Gradhiva, 30-31, 2001-2002, p. 57-66 ; FlorenceWEBER, Manuel de l’ethnographe, Paris, PUF, 2009.8 8 2

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diachronie, l’historicisation de la discipline s’effectue également par l’inscriptionassumée de l’enquête dans une situation, dans une conjoncture, dans un présent, enréaffirmant fortement le lien existant entre l’actualité de l’enquête ethnographiqueet l’historicité des sociétés étudiées 47. C’est ainsi que l’enquête de S. Perdigon estmarquée par la proximité de la guerre de l’été 2006 auLiban-Sud ; celle deM.Naepelspar le contexte d’élaboration d’une gouvernementalité postcoloniale en Nouvelle-Calédonie après les accords de Nouméa de 1998 ; le travail d’É. Jolly se confronteà la double historicité des indépendances et des constructions nationales ouest-africaines et des politiques patrimoniales ayant cours actuellement ; celui deL.Bellon est contemporain d’une insurrection baloutche qui se poursuit aujourd’huiau Pakistan. La réflexion sur l’histoire s’inscrit ainsi pour ces ethnologues dansune orientation maintenue vers la compréhension du présent.

Cet élargissement multiforme de l’écriture anthropologique au-delà du cadrelimité de la monographie synchronique met la discipline à l’épreuve de ses propresdéfinitions alors même que l’enquête de terrain ethnographique constitue le cœurde l’identification disciplinaire (au-delà de la diversité des paradigmes théoriques),qu’elle demeure un élément essentiel du métier d’ethnologue et la source princi-pale de sa légitimité ou de son autorité 48. On peut ainsi s’interroger sur l’efface-ment des frontières disciplinaires dans des œuvres aussi importantes que cellesd’Ann Stoler 49, de B. Cohn 50 ou de M. Sahlins, voire sur leur basculement progres-sif hors de l’ethnographie.

Il y a bien sûr un important parallélisme épistémologique entre les opérationsde recherche mises en œuvre dans la pratique ethnographique et dans la pratiquearchivistique : on peut admettre une certaine forme de préexistence à l’enquêtede l’archive comme du savoir que ses interlocuteurs racontent à l’oreille de l’ethno-graphe ; on peut dans le même temps penser que le matériau n’est jamais seule-ment donné mais toujours aussi produit par l’opération du chercheur qui questionneles « sources » ; et prendre conscience du fait que le contexte – de production et

47 - Parmi de très nombreux exemples, on peut citer Philippe BOURGOIS, En quête derespect. Le crack à New York, Paris, Le Seuil, [1995] 2001 ; Élisabeth CLAVERIE, Les guerresde la Vierge. Une anthropologie des apparitions, Paris, Gallimard, 2003 ; Allen FELDMAN,Formations of violence: The narrative of the body and political terror in Northern Ireland,Chicago, The University of Chicago Press, 1991 ; Christian GEFFRAY, La cause des armesau Mozambique. Anthropologie d’une guerre civile, Paris/Nairobi, Karthala/CREDU, 1990 ;CarolynNORDSTROM, A different kind of war story, Philadelphie, University of PennsylvaniaPress, 1997 ; Paul RICHARDS, Fighting for the rain forest: War, youth & resources in SierraLeone, Londres, Heinemann, 1996.48 - Akhil GUPTA et James FERGUSON, «Discipline and practice: ‘The field’ as site,method, and location in anthropology », in A. GUPTA et J. FERGUSON (dir.), Anthropologicallocations: Boundaries and grounds of a field science, Berkeley, University of California Press,1997, p. 1-46 ; James CLIFFORD, « Spatial practices: Fieldwork, travel, and the discipli-ning of anthropology », ibid., p. 185-222.49 - Ann L. STOLER, Along the archival grain: Epistemic anxieties and colonial common sense,Princeton, Princeton University Press, 2009.50 - B. S. COHN, An anthropologist..., op. cit. ; Id., Colonialism and its forms..., op. cit. 8 8 3

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de conservation d’une archive, ou d’énonciation d’une discursivité – en détermineen partie le contenu 51.

C’est en entrant dans le détail du dispositif d’investigation qu’on peut saisirpar où la pratique ethnographique diffère du dépouillement d’archives, en se fon-dant sur un dispositif d’interlocution, sur la relation de face à face entre l’enquêteuret ses interlocuteurs. L’ethnographie, comme l’histoire orale, ce ne sont pas destextes collectés, mais des interactions suscitant des discours. Peut-être la pratiquede l’enquête de terrain des anthropologues met-elle plus l’accent sur l’insertion deces situations dans des réseaux sociaux que parcourt l’enquêteur, et dans lesquelsil prend position, bien qu’il soit difficile de généraliser en la matière. Dans tousles cas, dans l’enquête, la valeur du récit ou du « témoignage » dépend des formesculturellement ou socialement variables de l’interaction (le narrateur regardait-ill’ethnographe dans les yeux ? Souriait-il en racontant l’histoire ? Quelle est sa per-sonnalité ? Sa position sociale ? etc.) 52. Et réciproquement, l’ethnographe est partieprenante de ce processus de production : il est de manière évidente son propreinstrument d’observation, en même temps qu’il est nécessairement affecté parl’interaction (c’est-à-dire par la production de son matériau) 53. On conviendra alorsque les opérations de recherche en quoi consiste l’ethnographie donnent un statutdifférent à la lacune, comme au caractère infini du processus de recherche, de ceque connaissent les praticiens des archives. La combinaison de ces opérations n’enest que plus stimulante 54. La manière dont les quatre articles de ce dossier mobi-lisent les apports de la micro-histoire 55 ou de l’anthropologie linguistique pourcomprendre le recueil ethnographique de récits et la position des locuteurs contribueainsi à dépasser l’opposition entre histoire et mémoire. Ces textes invitent égalementà considérer l’anthropologie comme une science sociale historique, forte de sesprotocoles analytiques, plutôt que comme un répertoire de philosophies exotiques ;ses apports les plus vifs doivent ainsi certainement être recherchés dans l’analysecritique de ses opérations de recherche, plutôt que dans sa contribution au renou-vellement d’une histoire des mentalités ou des cultures qui ne dirait pas son nom.

Michel Naepels

51 - K. NEUMANN, Not the way..., op. cit. ; Bertrand MASQUELIER et Jean-Louis SIRAN(dir.), Pour une anthropologie de l’interlocution. Rhétoriques du quotidien, Paris, L’Harmattan,2000.52 - R. BOROFSKY, « An invitation », op. cit.53 - J. et J. COMAROFF, Ethnography and the historical imagination, op. cit.54 - Sur le parallélisme et la distinction des opérations de recherche de l’ethnographeet de l’historien, que nous avons à peine esquissés ici, on se reportera aux deux remar-quables articles de Dominique CASAJUS, «L’ethnologue, l’historien et le deuil de lavoix », Ateliers, 33, 2009, et de François HARTOG, «Le témoin et l’historien », Gradhiva,27, 2000, p. 1-14.55 - Alban BENSA, «De la micro-histoire vers une anthropologie critique », in J. REVEL

(dir.), Jeux d’échelles. La micro-analyse à l’expérience, Paris, Gallimard/Le Seuil, 1996,p. 37-70.8 8 4

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