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ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE Tome 1 1929 R?impression Schmidt Periodicals GmbH D-83075 Bad Feilnbach / Allemagne 1997

Annales d'histoire économique et sociale (1929)

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Primer número de Annales d'histoire économique et sociale.

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Page 1: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

ANNALES D'HISTOIRE

?CONOMIQUE ET

SOCIALE

Tome 1

1929

R?impression

Schmidt Periodicals GmbH D-83075 Bad Feilnbach / Allemagne

1997

Page 2: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

R?impression publi?e avec l'accord de l'Editeur Armand Colin, Paris.

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ANNALES

D'HISTOIRE ?CONOMIQUE

ET SOCIALE

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ANNALES

D'HISTOIRE ?CONOMIQUE

ET SOCIALE

Revue trimestrielle

Directeurs :

Marc Bloch ? Lucien Febvre

TOME PREMIER

Ann?e 1929

LIBRAIRIE ARMAND COLIN

103, Boulevard Saint=Michel, PARIS

Page 5: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

No 1. 15 Janvier 1929.

ANNALES

D'HISTOIRE ?CONOMIQUE

ET SOCIALE

A NOS LECTEURS

Gr?ce ? la largeur de vues d'un grand ?diteur, gr?ce ? un concours de collaborateurs fran?ais et ?trangers, dont Vempressement a ?t? pour nous une joie et un encouragement, nos Annales, dessein depuis long

temps m?ri, peuvent para?tre aujourd'hui et tenter d'?tre utiles. Nous en

remercions les auteurs v?ritables.

Encore un p?riodique, et qui plus est, un p?riodique d'histoire ?cono

mique et sociale ? Certes, nous le savons, notre revue, dans la production

fran?aise, europ?enne ou mondiale, ne vient pas la premi?re. Nous

croyons pourtant que, ? c?t? de ses glorieuses a?n?es, elle aura sa place

marqu?e au soleil. Elle s1 inspire de leurs exemples, mais elle apporte un

esprit qui lui est propre. Historiens Fun et Vautre, ayant fait sensiblement les m?mes exp?

riences et tir? d'elles les m?mes conclusions, nous sommes, depuis long

temps, frapp?s des maux qu'engendre

un divorce devenu traditionnel.

Tandis qu'aux documents du pass? les historiens appliquent leurs bonnes vieilles m?thodes ?prouv?es, des hommes de plus en plus nombreux consa

crent, non sans fi?vre parfois, leur activit? ? V?tude des soci?t?s et des ?conomies contemporaines : deux classes de travailleurs faites pour se

comprendre et qui, ? Vordinaire, se c?toient sans se conna?tre. Ce n'est

pas tout. Parmi les historiens eux-m?mes, comme parmi les enqu?teurs

que pr?occupe le pr?sent, bien d'autres cloisonnements encore : historiens

de l'antiquit?, m?di?vistes et ?modernisants? ; chercheurs vou?s ? la

description des soci?t?s dites ?civilis?es)) (pour user d'un vieux terme dont le sens chaque jour se modifie davantage) ou attir?s au contraire

par celles qu'il faut bien, faute de meilleurs mots, qualifier soit de ? pri mitives?, soit d'exotiques... Rien de mieux, bien entendu, si chacun, pra

ANN. D'HISTOIRE. - 1" ANN?E. 1

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2 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

tiquant une sp?cialisation l?gitime, cultivant laborieusement son propre

jardin, s'effor?ait n?anmoins de suivre V uvre du voisin. Mais les murs

sont si hauts que, bien souvent, ils bouchent la vue. Que de suggestions pr?cieuses, cependant, sur la m?thode et sur Vinterpr?tation des faits, quels gains de culture, quels progr?s dans Vintuition na?traient, entre ces

divers groupes, d'?changes intellectuels plus fr?quents ! L'avenir de

l'histoire ?conomique est ? ce prix, et aussi la juste intelligence des

faits qui demain seront Vhistoire. C'est contre ces schismes redoutables que nous entendons nous ?lever.

Non pas ? coup d'articles de m?thode, de dissertations th?oriques. Par

l'exemple et par le fait. R?unis ici, des travailleurs d'origines et de sp?cia lit?s diff?rentes, mais tous anim?s d'un m?me esprit d'exacte impartia lit?, exposeront le r?sultat de leurs recherches sur des sujets de leur com

p?tence et de leur choix. Il nous para?t impossible que d'un tel contact les intelligences averties ne tirent pas rapidement les le?ons n?cessaires.

Notre entreprise est un acte de foi dans la vertu exemplaire du travail

honn?te, consciencieux et solidement arm?.

Les Directeurs.

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LE PRIX DU PAPYRUS

DANS L'ANTIQUIT? GRECQUE 1

Les ?rudits se sont souvent demand? quel ?tait dans les pays de

la Gr?ce ancienne le prix du papier en fibres de papyrus2. La ques tion n'est pas seulement d'un grand int?r?t pour l'histoire de la civi lisation ; comme il s'agit d'une fabrication et d'un commerce exclu

sivement ?gyptiens, elle a aussi son importance dans l'histoire ?cono

mique et, comme on verra, dans l'histoire des relations internationales.

Jusqu'en 1912, on ne trouvait sur cette question, dans nos docu

ments tant litt?raires qu'?pigraphiques, que trois indications, d'ail leurs contradictoires. Tout en regrettant la raret? des renseignements, la plupart des auteurs soutenaient que le papyrus a ?t? cher de tout

temps. Seul, Gardthausen ?tait d'avis qu'il a ?t? cher avant et apr?s

la p?riode hell?nistique, mais que pendant quatre si?cles le bon march? de la mati?re premi?re et de la main-d' uvre, ainsi que les facilit?s de la fabrication, permirent ? l'Egypte ptol?ma?que de fournir au monde

m?diterran?en un produit bon march?. Lorsqu'en 1912 Durrbach eut

publi? les comptes des hi?ropes d?liens de 314 ? 250, j'ai fait observer, dans un article Sur le prix des denr?es ? D?los*, que ces comptes

fournissaient un bon nombre d'indications nouvelles sur le prix du

papyrus et donnaient un d?menti ? tous les auteurs qui s'?taient

occup?s de la question. Mais je suis oblig? de constater que cet arti

cle est rest? dans la p?nombre o? sont souvent plong?s les ?crits confi?s aux revues scientifiques : Schubart, dans son excellente Ein

f?hrung in die Papyruskunde, parue en 1918, dit encore (p. 39) : ? Ueber die Preise des Papyrus wissen wir trotz vereinzelten Anga

ben ungef?hr nichts. Billig war er nicht? ; et il donne les raisons de la

chert? qu'il admet pour toute l'antiquit?, sans distinction de temps. Maintenant que Durrbach a publi? une seconde s?rie d'inscriptions

i. Communication faite au Congr?s international des Sciences historiques ? Oslo (ao?t 1928).

2. Voir E m. Egge r, H ist. del?, critiqua chez les Grecs, 1349, p. 85 etss.; La, litt?r. grecque, p. 29 et ss. ; Sur le prix du papier dans l'antiquit? ( M?rn. d'hi3t. anc. et de philol., 1863, p. 135 139) ; Wattenbach, Einleit.zur griech. Paidogr., 3e ?d., 1895, p.il ; Zielinski, Neue Jahrb. f.

Mass. Alt., t. IX, 1906, p. 269 ; Th. Birt, Die Buchrotle in der Kunst, 1907, col. 7-8, 2G-29 ; DziATZKO, art. Archive dans la Realencycl. de Pauly-Wissowa, t. II, col. 553 etss. ; art. Buch et Buchhandel, ib., t. Ill, col. 975, 984 et ss. ; Untersuchungen ?ber ausgew?hlt Kapitel des antiken Buchwesens, p. 39-42 ; W?nsch, art. Charta dans Pauly-Wissowa, t. Ill, col. 2191 ;

WiLH. Schubart, Das Buch bei den Gnechenund R?mern, lre ?d., 1907, p. 27 et ss.; 2e ?d., p. 34 ss. ; Lafaye, art. Liber et Papurus, dans le Diet, des Antiq. ; V. Gardthausen, Griech. Palaeographie, 2e ?d., t. I, Das Buch im Alt. und im byzant. Mittelalter, 1911, p. 65-69.

3. Journ. des Sau., 1913, p. 28-29 ; cf. Alline, Hist, du texte de Piaton, 1915, p. 1-2, 65-66.

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4 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

d?liennes (1926) et va en publier une troisi?me dont j'ai eu les

?preuves entre les mains, et qu'ainsi je dispose de donn?es nou

velles pour les ann?es 231-179, je voudrais reprendre la question dans l'ensemble. Il en vaut la peine, puisqu'aux trois indications de

jadis, qui s'appliquent aux ann?es 407, 333 et 322, s'en ajoutent ?

ind?pendamment de celles que fournit la papyrologie ? dix-huit

autres, qui se r?partissent sur treize ann?es comprises entre 296 et

179.

Nous savons que le papyrus ?gyptien ?tait import? en Gr?ce depuis le vie si?cle ; mais il y ?tait rare ? cause du prix. C'est pour cela, nous

dit H?rodote, que les Ioniens ont longtemps employ?, pour ?crire, des

peaux de brebis et de ch?vres (ot???pat), ce que font encore, ajoute t-il, les barbares, ?videmment ceux de l'Asie1. A la fin du ve si?cle, les pr?cieuses feuilles ?taient bien plus r?pandues en Gr?ce, mais restaient ch?res. En 407, les ?pistates pr?pos?s aux travaux de l'?rech theion en ach?tent deux pour y transcrire les copies de leurs comptes

qui doivent ?tre d?pos?s aux archives ; ils les payent 1 drachme 2 oboles la pi?ce2. C'est un prix ?lev? en un temps o? la journ?e de travail vaut une drachme, m?me pour un architecte3.

Il est vrai qu'on oppose ? ce prix, consign? dans un acte officiel, celui qu'on croit pouvoir d?duire d'un texte litt?raire. Platon fait dire ? Socrate qu'on peut trouver sur le carreau de l'agora le Trait? sur la nature d'Anaxagore pour une drachme tout au plus4. Dziatzko

a soutenu que, si le manuscrit valait une drachme, le papier n'en valait

certainement pas plus du tiers et que, le volume se composant de

plusieurs feuillets, le prix du feuillet n'atteignait pas une obole5. Mais les exemplaires dont Socrate parle avec le sourire sont des livres de rebut. Les bouquinistes du march? n'avaient pas le moins du

monde la pr?tention de tirer de bons ? rossignols ? le prix du papier neuf ni, ? plus forte raison, le prix du papier augment? du salaire

pay? jadis au scribe, salaire qui, ? lui seul, repr?sentait plus d'une

journ?e de travail. Platon nous donne donc un renseignement pr?

cieux sur la vente des livres d'occasion, il ne dit rien sur la valeur du

papyrus dans la Gr?ce de son temps. Le prix fort de l'an 407 se maintient encore pendant trois quarts

de si?cle. En effet, ? ?pidaure, d'apr?s les comptes de la Thym?l?,

i. H?r., V, 58, 3 ; cf. Eurip., fr. 629 ; Diod., II, 32. 2. IG, 1.1-, ii? 374, col. IX, 1. 279-281 :

~^?ox(zi Y)?ov?0?aav o?o, yje? | ? xa

?vxtypa<pa y]ev?ypaoaaa|ev f-HII* Cf. Birt, Buchrolle, p. 27.

3. Ib., col. VII, 1. 109-110. 4. Plat., ApoL, p. 26 d

' tcl

'Ava?ayopou ?i6Xia tou KXaCofieviou_

a e?s<rciv Ivio'ts, ?t rc?vu 7coXXou, opa^u.yj? ?x xrj? ?p^rjarcpac 7:ptap.?vot?.

? Sur r?p^7?arpa, voir Ju deich, Topogr. von Ath., p. 305, n. 13 ; Iwan von M?ller, Griech. Privatalt., 2e ?d., p. 253.

5. Dziatzko, Untersuch, p. 40-41 ; Cf. Wilamowitz, Hermesy t. XXI, 1886, p. 603, note ; Gardthausen, op. cit., p. 67-68.

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LE PRIX DU PAPYRUS 5

on donne 4 1/2 oboles ?gin?tiques, c'est-?-dire une drachme et une

demi-obole attiques, pour une feuille sur laquelle doit ?tre consign? un cahier de charges1. On voudrait avoir ici une date certaine.

Malheureusement, tout ce qu'on croit savoir, c'est que l'achat en

question a ?t? fait dans la seizi?me au moins et, peut-?tre, dans la

vingt-sixi?me ann?e depuis le commencement des travaux en cours, et

que ces travaux ont commenc? vers 360 : donc vers 344-334 a. Voil?

qui est bien vague. Je crois pourtant qu'on peut pr?ciser. Quatre ans

avant cet achat de papyrus, les comptes mentionnent un achat de

plomb ? un prix double du prix ordinaire 3. Une telle hausse ne peut

s'expliquer que par une cause pareille ? celle qui a produit le m?me

effet dans les derni?res ann?es du ve si?cle, c'est-?-dire par un arr?t

total de l'exploitation mini?re dans le bassin du Laurion4. L'une

de ces crises a ?t? d?termin?e par la pr?sence des Spartiates ? D?c?lie et la d?sertion des esclaves ; l'autre n'a pu l'?tre que par l'arriv?e de

l'arm?e mac?donienne sur la fronti?re de l'Attique, apr?s la bataille de

Ch?ron?e. C'est donc quatre ans apr?s 438/7, en 434/3, que la feuille de papier valait ? ?pidaure plus d'une drachme attique. Ainsi,

pendant trois quarts de si?cle, le prix n'a presque pas vari?, au moins

en temps normal.

Mais tout ? coup, une dizaine d'ann?es apr?s, en 322, le plaidoyer contre Dionysod?ros nous apprend que les grands n?gociants d'Ath?nes

r?digent leurs contrats les plus importants sur des tablettes ? deux

chalques et sur des bouts de papier tout aussi bon march? 5. Est-ce l? une de ces exag?rations dont les avocats sont coutumiers ? Il est

bien possible, ? vrai dire, que le Pseudo-D?mosth?ne donne un prix r?el pour la tablette et un prix seulement approximatif pour le

papyrus. Mais il n'aurait pas os? parler comme il l'a fait, si le papyrus avait encore co?t? trente-deux fois plus, comme en 407, ou m?me

vingt-six fois plus, comme en 333. Pourtant, on pourrait toujours

ergoter l?-dessus, si nous n'avions pas d'autre indication dans le

m?me sens.

Le grand, l'inestimable avantage que pr?sentent les inscriptions de D?los dans l'histoire ?conomique de l'antiquit?, c'est qu'elles nous

donnent des s?ries de prix qui s'?chelonnent sur un si?cle et demi. Les diff?rences sont caract?ristiques, les hausses ou les baisses ont

toujours une signification qu'il importe de d?m?ler. J'ai pu montrer il y a quelques ann?es par un exemple typique6, celui d'une denr?e

1. IG, t. IV, n? 1485, 1. 159 : ̂ apx?ou ei? x?; auvj/fjpo'?ou? 'Avxtxpixcoi ||||C 2. Voir Pomtow, Klio, t. XII, 1912, p. 283 et ss. 3. IG, ?.c.,1. 131-132. Cf. 1.62-63, 109-110 (2 dr. 1 ob. oui ob. 1/2). 4. IG, t. Ia, col. IX, 1. 286-289 (5 dr.). Cf. Dittenberger, Sylloge, 2? ?d., n? 587,

1. 176-177 ; Ps. Arist., ?conom., p. 1353 a, 15. 5. Ps. D?m., C. Dionysod., 1 : ?v ypapLpuxxE coito Suotv -?aXxoiv ?covT)pt.?vto xai ?uSXiocto

puxptT>. Cf. Dziatzko, Untersuch, p. 41-42. 6? Rev. dea Et. gr., t. XXIX, 1916, p. 281-325.

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6 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

aussi infime que la poix, comment la mercuriale d?lienne refl?te l'histoire de la Gr?ce pendant un si?cle. On va voir que les variations

de prix subies par le papyrus ne sont pas non plus sans importance.

Les premi?res indications que nous fournissent sur le prix du

papier les hi?ropes de D?los datent de l'an 296. Elles sont pour cette

ann?e au nombre de deux, et toutes deux conformes ? celle que nous

donnait l'orateur de 322. Io Une feuille (ydpz-q?) est pay?e ? un prix qu'une mutilation de la pierre rend incertain, mais qui est peut-?tre d'une obole et en tout cas demeure au-dessous d'une drachme1.

2? Pour une drachme, on a plusieurs rouleaux (?SXla)2, c'est-?

dire au moins deux rouleaux d'au moins deux feuillets et probable ment de plus de deux feuillets : le feuillet vaut donc 1 obole 1 /2 au maximum ; mais il est bien plus vraisemblablement d'un prix inf? rieur et peut m?me ?tre, comme en 322, d'un simple t?tart?morion.

Voil? donc une p?riode de vingt-six ans au moins (322-296) pour

laquelle un prix bas est certifi?. Mais cette p?riode est exceptionnelle. A partir de l'an 279 et jus

qu'en 179, les comptes de D?los nous donnent seize prix pour douze ann?es. Tous ces prix sont sup?rieurs, non pas seulement et de beau

coup ? ceux de la p?riode pr?c?dente, mais m?me ? ceux de 407 et 333.

Deux fois (267, 231) on a pay? la feuille. 1 dr. 3 ob. 3

Cinq fois (274, 250, 200, 179). 1 dr. 4 ob. 4

Une fois (250) . 1 dr. 4 ob. 1 /4 5

Une fois (250). 1 dr. 5 ob. 6

Une fois (218). 1 dr. 5 ob. 1 /2 7

Deux fois (279, 204). 2 dr. 8

Deux et probablement trois fois (269, 258,

224-222). 2 dr. 1 ob. 9

Une fois (267). au moins 10 dr. 10

On a ainsi une s?rie de prix qui comporte sept degr?s, de 9 ?

1. IG, t. XI, ii, n? 154, A, 1. 24 : y?o-zf^ |_. 2. Ib., 1. 34 : [?]iSXc'a. h 3. 75., ii? 205, Bb, l. 7 ; laser, de D?los, n? 316, 1. 70 :

/?pxr,; |? III 4. IG, !. c, n? 199, A, 1. 22 :

yapxia xpta T ; n? 287, A, 1. 50 : y?pxir?; Mill i **>., 1.84 :

y?pxou hllll ; Inscr. de D?los, n? 372, A, 1. 75 : -/apxojv ?|, hhhll ? n? 442,

A, 1. 182 : yapxwv P (s?rement au nombre de 3). 5. IG, l. c, n? 287, C, 1. 1 :

yapxri(?) H MIT 6. Ib., A, 1. 52 :

/apTrj? H II II 7. /nscr. cic i;?tos, n? 354,1. 59 : yaoxcjv j-hH (vraisemblablement au nombre de 2). 8. IG, l. c, n? 161, A, 1. 112 :

"?apxia ?uo. hhhh- ? n? 204, 1. 60 : y?pxac 8?o,

""PI hhhh 9. ib., n? 203, A, 1.56 : yjxp-ia. -e'vxe, ?v? : f? ?? I : y\ t.xgcl xtavj : A|||||:;

n? 224, A, 1. 28 : ^apXTj?. hhh ; Inscr. de iJ?Zos, n? 338, Aa, 1. 19 :

ydpxou ||| (M. Durrbach a bien voulu, ? ma pri?re, v?rifier ce chiffre sur son estampage ; il re conna?t aujourd'hui au moins aussi bien des |- que des | : les lectures hhh ou Ml ne

sont autoris?es par aucun exemple ; la restitution \-\r\ est donc la plus probable). 10. IG, L c, n? 205, Bb, 1. 2 :

y^dpzr\; A.

Page 11: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LE PRIX DU PAPYRUS 7

13 oboles ; apr?s quoi, par un bond ?norme, on arrive au prix unique de 10 drachmes. Il ne faut point croire, d'ailleurs, qu'au cours de ce

si?cle le prix ait vari? selon les temps : il est de 1 drachme 4 oboles aussi bien en 274 qu'en 179, il va dans la m?me ann?e 250 de 1 drachme 4 oboles ? 1 drachme 4 oboles 1 /4 et 1 drachme 5 oboles ; bien mieux, dans la m?me ann?e 267, on trouve le plus bas et le plus ?lev? de tous. Ce dernier prix doit, au reste, ?tre mis ? part : il n'a pu ?tre demand? 10 drachmes ou davantage que pour la qualit? de papyrus qu'une renomm?e s?culaire pla?ait au-dessus de toutes les autres, celle qui avait une largeur de 11 doigts (0 m. 20) et se distinguait par la finesse, la solidit?, la blancheur et le poli1, celle qui ?tait r?serv?e en

Egypte pour les livres sacr?s et les actes de l'autorit? royale, le -/apir^

Upa-cixo? ou f:acr.Xixo?2. Quant aux autres prix, ils ont pu ?tre

demand?s pour le papyrus de bonne qualit? ordinaire, ? la marque de ? l'Amphith??tre ?, qui se fabriquait pr?s de l'amphith??tre d'Alexan

drie et qui avait 9 doigts de large (0 m. 17) 3. Par cons?quent, si le papyrus a ?t? bon march? en Gr?ce depuis

le dernier quart ou le dernier tiers du iv? si?cle, il est redevenu cher dans le premier quart du me, et cette fois pour toujours. Avant de nous demander comment s'explique la p?riode de baisse constat?e dans les ann?es 322 et 296, pr?cisons les dates extr?mes de cette

p?riode. On a vu par les inscriptions qu'elle peut s'allonger de dix ans ab initio et de seize ans a fine. Mais, si rien n'emp?che de la faire commencer d?s 332, il ne para?t pas qu'elle ait dur? jusqu'en 279. Les comptes d?liens de l'an 281 auraient pu, ? cet ?gard, nous donner un renseignement pr?cieux : ils mentionnent un achat de papyrus ; mais ils sont mutil?s juste apr?s le mot y/^^, ? la place du prix4. Au cas o? ils auraient port? un prix bas, ils auraient dat?, ? deux ans

pr?s, l'?v?nement qui modifie si fortement le prix du papyrus. Mais il est plus probable qu'ils portaient d?j? un prix fort. Nous savons,

on effet, que quelques ann?es auparavant le papier n'?tait pas en

Gr?ce un objet de consommation courante pour les petites bourses.

Bon gr? mal gr?, les pauvres gens faisaient comme ? l'?poque loin taine de l'ostracisme, ils ?crivaient sur des morceaux de pots cass?s.

En 283 ou 282, quand Cl?anthe commen?a de suivre les le?ons du

Portique, il n'avait d'autre mati?re ? sa disposition, pour recueillir les pens?es de son ma?tre Zenon, que des tessons de vases et des omo

plates de b ufs : r?duit ? travailler pour vivre, le papyrus ?tait trop cher pour lui5. Cette anecdote pourrait bien r?duire de trois ou

1. Telles sont, d'apr?s Pline (XIII, 78), les qualit?s qu'il faut demander au papyrus. 2. Cf. Lafaye, art. Papyrus, p. 320. 3. Cf. ibid. 4. IG, l. c, n? 159, A, 1. 37. 5. Diog. Lafirce, VII, 174 : tout?v ?aarv s?? oaxpaxa xat ?otov (LaoirX?xa; yp?cstv

arap rjxous tzcl?cl xou Z7)vtovo?, inopia XEpu?xcov coax? tov7?<3aa6at y_apxta.

Page 12: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

8 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

quatre ans l'intervalle dans lequel se place le retour aux prix forts. C'est du c?t? de l'Egypte qu'il faut nous tourner pour comprendre

ce qui s'est pass? une premi?re fois dans l'intervalle de 333 ? 332, une seconde fois quarante ou cinquante ans plus tard. Car la fabrica tion et la vente du papier ?taient une industrie et un commerce exclu

sivement ?gyptiens1. Or, tout indique qu'en Egypte le papier pouvait revenir tr?s bon

march?. La culture de la plante ?tait fort r?pandue dans le Delta ; le travail demandait du soin, mais n'?tait pas compliqu? ; la main d' uvre ?tait abondante et ne co?tait gu?re que les frais d'entretien. Le prix de revient n'?tait donc pas ?lev?. C'est m?me cette raison qui a fait croire ? Gardthausen qu'avant d'?tre exploit? par le fisc imp? rial, le papyrus fut d'un prix extr?mement mod?r?. Mais l'hypoth?se

n'est juste, comme on vient de le voir, que pour un temps limit?. Elle ne l'est ni pour les ann?es ant?rieures ? 332-322 ni pour les ann?es

post?rieures ? 296-282. Pourquoi ? C'est que le monopole qui devait rendre le papyrus si cher sous

les empereurs romains existait d?j? sous les pharaons et fut recons titu? sous les Lagides. On voit d?s lors ce qui s'est pass? entre 333 et 322 et a d?termin? une ?norme baisse du papier. Tout simplement ceci : dans l'hiver 332-331, Alexandre a ouvert toutes grandes les

portes de l'Egypte et fait affluer sur le march? grec les marchandises de l'Orient. En rempla?ant les administrations nationales par la domination mac?donienne, il a mis fin aux monopoles qui enrichis saient de temps imm?morial le tr?sor des temples et la cassette royale.

Alors commence pour la fabrication et la vente du papyrus un r?gime de libert? qui dure encore au commencement du ine si?cle. Nous savons par ailleurs et nous constatons dans les comptes de D?los

que Ptol?m?e, fils de Lagos, satrape ind?pendant depuis 311, roi

depuis 305, n'avait pas encore r?organis? les monopoles en 296. Autre

ment, dans une ann?e o? le ma?tre des ?les, Demetrios Poliorc?te, se trouvait en ?tat de guerre avec le ma?tre de l'Egypte, le papyrus, plus cher d?j? qu'en 322, e?t ?t? d'un prix quasiment inabordable.

Tout semble indiquer que Ptol?m?e S?ter ne changea pas de poli tique fiscale jusqu'? son abdication en 285. Son successeur, au con

1. Depuis que cet article a ?t? lu au Congr?s d'Oslo, j'ai trouv? par hasard, dans un texte qui m'avait compl?tement ?chapp?, une ?clatante confirmation des rapports ? ?ta blir entre le prix du papyrus sur le march? grec et la situation de l'Egypte. A la fin d'une lettre, adress?e ? Philippe de Mac?doine dans la seconde moiti? de 343, le philosophe Speusippos d?clare que ? le papier lui manque? pour ?crire tout ce qu'il voudrait, ? tant est grande la disette de papier que le roi ( Artaxerx?s) a cr??e par la conqu?te de l'Egypte i ? (VoirE. Bickermann et Joh. Sykutris, Speusipps Brief an K?nig Philipp, Berichte der

Sachs. Afead, der Wissensch. zu Leipzig, Philol.-hist. Klasse, t. LXXX, 1928, fase. III, p. 12, ? 14 ; pour la date, voir p. 30 et ss.). Ce texte est d'une tr?s grande valeur pour notre recherche. Non seulement il nous laisse deviner que le papyrus pouvait atteindre un prix formidable dans la p?riode ant?rieure au dernier tiers du ive si?cle ; mais c'est le seul document qui nous dise en toutes lettres que nous avons raison, dans la question qui nous occupe, de mettre l'histoire ?conomique en relations avec l'histoire politique.

Page 13: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LE PRIX DU PAPYRUS 9

traire, revint aux traditions pharaoniques. Nous savions par les

Revenue Laws que, la vingt-septi?me ann?e de son r?gne, Ptol?m?e

Philadelphe donna une constitution d?finitive ? certains monopoles. C'?tait une r?forme, non une cr?ation. Le prix pay? pour le papyrus en 279 et l'anecdote de Cl?anthe nous apprennent que le monopole du

papier ?tait d?j? r?tabli la sixi?me, peut-?tre m?me la deuxi?me ann?e du r?gne. En tout cas, il fallait bien une raison de ce genre pour que le prix du papyrus f?t si ?lev? en 279, puisqu'? cette ?poque le com

merce des ?les avec l'Egypte ?tait facilit? par d'excellentes relations, comme le prouvent l'invitation adress?e aux N?siotes et accept?e par eux d'assister officiellement aux f?tes olympiques d'Alexandrie et la fondation des Ptol?maia ? D?los1.

Nous poss?dons assez de renseignements sur le monopole du papy rus au temps des Lagides pour qu'il soit impossible d'en r?voquer l'existence en doute. La mati?re premi?re ?tait achet?e aux particu liers d'apr?s le tarif fix? par l'administration royale ; le travail se fai sait dans les ateliers publics, sauf le privil?ge r?serv? aux pr?tres de

pourvoir par leurs moyens aux besoins des temples ; la vente ?tait assur?e par des d?taillants qui s'approvisionnaient dans les magasins du roi2. Le prix de vente se r?gla donc bien moins sur le prix de revient que sur le b?n?fice r?clam? par le fisc.

Aussi ne pouvait-on se procurer du papier bon march? m?me en

Egypte. On a souvent observ? que, sans la n?cessit? de faire des ?co

nomies, les sujets des Lagides n'auraient pas constamment ?crit sur le verso de leurs feuilles ni surtout recouru ? la mis?rable pratique du palimpseste. Ils auraient encore moins fait un tel usage des

ostraca, s'ils avaient eu ? leur disposition une mati?re plus commode ? un prix mod?r?. Enfin, dans un pays o? le respect des morts fut

toujours pouss? jusqu'au scrupule le plus d?licat, les embaumeurs n'auraient pas envelopp? les momies de vieux papiers mis au rebut,

s'ils avaient pu en avoir de neufs ? bon compte.

Pr?cis?ment, les indications que nous poss?dons sur le prix du

papyrus en Egypte sont bien en rapport avec celles que nous donnent les inscriptions de D?los pour la m?me ?poque. On trouve, entre les unes et les autres, tant?t la diff?rence normale qui repr?sente le droit de sortie, les frais de transport et le b?n?fice de l'interm?diaire, tant?t une diff?rence exceptionnellement forte qu'explique une perturbation des relations commerciales caus?e par les ?v?nements politiques. En

251-250, tandis que les comptes des hi?ropes d?liens donnent deux fois le prix de 1 drachme 4 oboles, une fois celui de 1 drachme 4 oboles 1 /4 et une fois celui de 1 drachme 5 oboles, les comptes de Zenon men

1. Voir Rev. des ?L gr., l. c, p. 308-309. 2. Voir Dziatzko, Untersuch, p. 98 ; Bouch?-Leclercq, Hist, des Lagides, t. III,

p. 267 ; Wiloken, Grundz?ge, 1.1, i, p. 255-256.

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10 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

tionnent le prix de 1 drachme 1 obole1. La diff?rence n'est gu?re

plus grande au ne si?cle : tandis qu'on paie ? D?los 1 drachme 4 oboles la feuille, prix de d?tail, une administration ?gyptienne paie 100 drachmes pour 100 feuilles, 1 drachme par feuille, prix de demi

gros2. Il est vrai qu'? certains moments le prix s'abaisse dans le

pays de production au-dessous de 1 drachme. Un compte du Fayoum

indique comme prix de la feuille format ordinaire (ydz-r\?) 4 oboles 3/4 ou 3/8, et comme prix des feuillets petit format (yapx?o-.ov) 1 obole le feuillet et 8 drachmes la main de 48 ou peut-?tre de 50 feuillets 3.

Faute de date pr?cise, nous ne pouvons, dans ce cas, faire de compa

raison. Mais, vers 259-258, nous trouvons un ?cart ?norme. Les

comptes de D?los portent, en 258, le prix consid?rable de 2 drachmes 1 obole, peut-?tre bien parce que l'Egypte est impliqu?e dans les ?v?nements de Cyr?na?que et que les risques de guerre entravent le commerce

gr?co-?gyptien. Vers le m?me temps, les comptes de Zenon

mentionnent un achat de papyrus que l'?diteur croit pouvoir ?valuer,

malgr? les difficult?s de lecture qu'il signale loyalement, ? 40 drachmes les 60 feuilles, donc ? 4 oboles la feuille4. Si le nombre ? ? 60 doit vraiment ?tre conserve pour la quantit?, on

peut songer, pour le

prix, ? remplacer u. par v, ou 40 par 50, ce qui serait plus conforme ?

la mercuriale du temps. Il n'est pas impossible pourtant que le me si?cle avant l'?re chr?tienne ait d?j? connu ce prix de 4 oboles qui est certifi? pour le milieu du ne si?cle apr?s J.-C.5. En tout cas,

depuis le r?gne de Ptol?m?e Philadelphe, le tarif des papyrus en

Egypte ? m?me si, de 1 drachme 1 obole au plus haut, il descend ?

4 oboles au plus bas? reste encore bien au-dessus des prix qu'on payait dans les pays importateurs comme l'Attique et D?los, ? plus forte raison dans le pays producteur, avant le r?tablissement du monopole.

Reste ? examiner un document o? Gardthausen a cru trouver une

confirmation de sa th?orie et qui nous fait, au contraire, mieux con

na?tre le monopole du papier. Sur un papyrus de Tebtynis, un como

grammate mentionne, en l'an 112, la d?pense suivante : -/.arspyov

1. Pap. delta Soc. Uni., t. VI, n? 572, l. 2-3 : ?\_r.]iixcL[X]y.d 101

fApp.iu<j?.v e?pov|T[a]

to?[?] /ctp[r]a? e. \-ijT

(5 feuilles, 5 dr. 5 ob.). 2. W. Schubart-E. K?hn, Papyri und Ostra.hu der Ptolem?erzeit (Mgvptische Urkun

den aus den staall. Museen zu Berlin, Gnech. Ui k., t. VI, 1922, p. 36, n? 1233, 1. 3 :

Xa(pra?) p, p). 3. Sayce, dans Flinders P?trie, Ila-wara, p. 34, n? 245 (Cf. Preisigke, SammcVmch

griech. Urkunden in JEgyptcn, n? 5224, 1. 7 : yjxpTOu j- .. ; 1. 38 :

yaprtoftou, et non

??)v] ?

; 1. 3 : /_apTSto[?t?v]y T)).

4. Edgar, Zenon Papyri, n? 59010, 1. 2 : y?oTuw ?, |-p.. 5. Oxijrh. Pap., t. XIV, n? 1654, 1. 3-4 : vojxoypa(oot?) ypa'-pat u7:oavr];jaTicru.(ouc)?,

(060X01) 15, | y?pTOu s?; ocGtoj; (r?Tpo?6oXov). ? Le m?me document mentionne

(1. 5-6) un achat de papyrus ? ? d?biter? (e?? <juvxotc7?v) pour le prix de 4 dr. (?rspou

y?pTou ?yopacrO?vro; si; auv/.or^v (opayjxal) 0). Si le texte est bon, il s'agit vraisem

blablement d'un cahier de 6 feuilles ; mais peut-?tre faut-il lire : (o6o\qI) 8.

Page 15: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LE PRIX DU PAPYRUS 11

yap-cwv i, ?v(?) p, 'A, c'est-?-dire ? y.?icpyov pour 10 ydpxoii, ? 100 drachmes

(de cuivre) la pi?ce, 1 000 drachmes ?x. Pour Crcnert, qui a examin? ce texte, ydpxr^

ne d?signe pas une feuille de papyrus, mais un rou

leau, une main, un scapus, de vingt feuilles2. Hypoth?se purement

arbitraire. Gardthausen la fait sienne pourtant et, apr?s avoir correc

tement traduit x?xspyov par Lohn, il continue en raisonnant comme

s'il s'agissait, non d'un salaire, mais d'un prix de vente. Et voici sa

conclusion : 10 mains de papyrus valent 1 000 drachmes de cuivre ; donc une main vaut 100 drachmes ; donc une feuille vaut 5 drachmes, ce qui fait, ? une ?poque o? la monnaie de cuivre a fortement baiss?

par rapport ? la monnaie d'argent, moins d'un pfennig*. Revenons

tout simplement ? notre texte et traduisons : ? Salaire pour fabrica

tion de 10 feuilles ? 100 drachmes la pi?ce, 1 000 drachmes?. Il s'agit d'une somme due par l'administration du monopole ? un ouvrier ou ?

un entrepreneur de papeterie appel? plus loin yapTo-oto,-. D'ailleurs,

?tant donn? que le rapport de l'argent monnay? au cuivre ?tait alors de 1 : 475, l'ouvrier recevait 0 fr. 20 argent par feuille, et non pas 0 fr. 01, comme le voudraient Cri-nert et Gardthausen.

Le b?n?fice du tr?sor royal ?tait assez beau, puisque le prix de la feuille ?tait pour les ?gyptiens d'au moins 0 fr. 65 argent (4 oboles) et

atteignait m?me 1 fr. 15 (1 drachme 1 obole). Celui des importateurs et revendeurs grecs n'?tait pas non plus ? d?daigner, puisque le prix de la feuille variait ? D?los entre 1 fr. 50 argent (1 drachme 3 oboles) et 2 fr. 15 (2 drachmes 1 obole).

On jugera par cette ?tude de d?tail combien il peut ?tre utile de recueillir et de classer les chiffres, si rebutants d'apparence, qui h?ris sent les comptes de nos inscriptions et de nos papyrus.

Il peut suffire de rappeler et de confronter une vingtaine de prix ?parpill?s sur deux si?cles pour jeter un peu de lumi?re sur l'histoire

?conomique de l'antiquit?, que les historiens du temps ont totalement

n?glig?e. C'est par une s?rie d'?tudes analogues qu'on aura quelques

notions pr?cises sur le commerce de d?tail et le commerce de gros, sur

les conditions g?n?rales des ?changes internationaux.

J'ai choisi comme exemple une denr?e qui, par surcro?t, renseigne

sur l'histoire politique, voire m?me sur l'histoire intellectuelle des

pays hell?niques. Il n'est pas indiff?rent de constater un des effets

produits subitement sur la situation mat?rielle de l'Egypte par la

conqu?te mac?donienne, une des diff?rences profondes qui distin

gu?rent le r?gne de Ptol?m?e S?ter et celui de Ptol?m?e Philadelphe. Et l'on peut r?fl?chir longuement aux cons?quences d'un syst?me qui

1. Pap. Tebt., t. I, n? 112, 1. 25 ; cf. 1. 61-62, 81-82. 2. Hermes, t. XXXVIII, 1913, p. 403, n. 1. 3. Op. cit., p. 67.

Page 16: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

12 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

avait pour premier r?sultat de ne livrer ? la consommation qu'un

papier aussi cher que l'est dans les soci?t?s contemporaines le papier timbr?. Le monopole avait ? peine ?t? supprim? par Alexandre, que l'Ath?nien Lycurgue, administrateur pourtant ?conome, fit faire et

d?poser aux archives une copie officielle des po?tes tragiques, ce qui ?tait un beau d?but pour une Biblioth?que nationale. Mais le mono

pole r?tabli par Philadelphe communiquait la chert? du papier au

livre. Ainsi s'explique l'importance incomparable que prit imm?dia tement et que conserva pendant des si?cles la Biblioth?que d'Ale xandrie : les Ptol?m?es lui fournissaient le papyrus gratuitement ou ? vil prix. En m?me temps, ils ?taient les ma?tres de le vendre ? l'?tranger d'apr?s un tarif fix? par eux seuls et m?me ? c'est ce

que fit Everg?te II1? d'en interdire l'exportation.

Gustave Glotz.

(Paris.) 1. Pline, XIII, 70.

Page 17: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE

Tout commerce quelque peu d?velopp? suppose n?cessairement, chez ceux qui s'y adonnent, un certain degr? d'instruction : on ne le

con?oit pas sans la pratique tout au moins de la correspondance et

du calcul. Il arrive ?videmment que la passion du gain servie par le

g?nie des affaires suffise, gr?ce ? la faveur des circonstances, ? pousser

?? et l? un illettr? ? la fortune1. Chacun en pourrait citer des exemples. Mais ces exemples ne prouveraient rien. Dans une ?poque de d?velop pement ?conomique avanc?, l'ignorance du parvenu n'est que tr?s

relative. Il suppl?e, par les collaborateurs qu'il emploie et qu'il dirige, aux connaissances qui lui font d?faut.

On peut affirmer que l'instruction des marchands ? une ?poque donn?e est d?termin?e par l'activit? ?conomique de cette ?poque. Elle en est m?me un indice certain. Il est facile de constater qu'elle ?volue au gr? du mouvement commercial. Si jamais elle n'a ?t? aussi

perfectionn?e que de nos jours, c'est que, jamais non plus, le transit et le trafic n'ont atteint l'ampleur o? ils sont arriv?s aujourd'hui. Et ce qui est vrai de notre temps l'a toujours ?t?. Nous savons que les n?gociants de l'Egypte et de la Babylonie furent des gens instruits, et que notre syst?me d'?criture est une invention de ce peuple essen

tiellement commer?ant que furent les Ph?niciens. Jusqu'? la fin de

l'antiquit?, la vie ?conomique du monde m?diterran?en n'a gu?re entretenu moins de scribes et de commis que de matelots. C'est seu

lement lorsque le commerce tombe dans la d?cadence qui caract?rise les premiers si?cles du moyen ?ge, qu'il cesse de requ?rir l'adjuvant, jusqu'alors indispensable, de la plume.

Les transactions mis?rables qui ont remplac? les grandes affaires de jadis se traitent, dans les petits march?s des bourgs du ixe et du xe si?cle, de vive voix et au comptant. De m?me que le capital, l'ins

truction a disparu chez les commer?ants. Elle s'est rar?fi?e plus encore que la circulation mon?taire. On ne vend et on n'ach?te plus

que pour des sommes infimes. Plus de cr?dit. On ne dresse plus de contrats. On ne correspond plus de ville ? ville. Pour se rappeler les

quelques deniers auxquels les dettes se restreignent, il n'est plus besoin de recourir ? l'?criture. Il suffit de b?tons trac?s ? la craie sur

une planche ou au stylet sur des tablettes de cire, ? moins qu'on ne

pr?f?re ?tailler? d'encoches une baguette de bois. Les hommes que les textes du temps appellent mercatores sont de simples paysans por

1. Voir dans Le cur? de campagne, de Balzac, l'histoire des Sauviat. Dans des condi tions tr?s diff?rentes, quantit? d'illettr?s se sont enricnis pendant la guerre.

Page 18: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

Vi ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

tant une fois par semaine au march? du bourg voisin quelques ufs,

quelques l?gumes ou quelques volailles, ou bien de ces colporteurs ambulants, charg?s d'une banne dont ils exposent en vente le pauvre contenu h?t?roclite ? la porte des ?glises, aux jours de p?lerinages1. Seuls un petit nombre de Juifs, venus d'Espagne pour la plupart, pratiquent sporadiquement l'importation d'?pices ou d'?toffes pr? cieuses d'origine orientale. Le faible volume de ces produits de luxe

permet de les transporter facilement et leur raret? garantit d'impor tants b?n?fices. Nul doute que les traditions et la culture commerciales ne se soient conserv?es chez ces Isra?lites en rapports constants avec

leurs coreligionnaires des contr?es islamiques ou byzantines. Mais

trop peu nombreux, trop diff?rents de la population, trop d?test?s d'ailleurs par suite de leur religion, ils n'ont exerc? sur le commerce

indig?ne aucune influence. En somme, depuis les d?buts de l'?poque carolingienne, ce qu'il subsiste de celui-ci n'est plus qu'aux mains

d'illettr?s. Il est int?ressant de se demander pendant combien de temps cette

situation s'est prolong?e. Car s'il fallait admettre, comme on l'a pr?

tendu, qu'elle a dur? jusqu'? la fin du moyen ?ge2, il en r?sulterait

que, malgr? les apparences, l'?poque qui a vu se constituer les villes et se d?velopper les premi?res industries de l'Europe, n'aurait point d?pass? en somme, le stade d'une organisation commerciale tout ?

fait rudimentaire. Nous connaissons assez cette organisation pour

pouvoir affirmer qu'elle a ?t? beaucoup plus avanc?e que certaines

th?ories ne veulent le reconna?tre. Cependant on ne s'est gu?re

occup? jusqu'ici de savoir dans quelle mesure les marchands qui l'ont

cr??e ?taient instruits, et quelle ?tait la nature de l'instruction qu'ils avaient re?ue. La question vaut qu'on s'en occupe. Il est trop ?vident

qu'on peut en attendre une appr?ciation plus exacte des progr?s et

des modalit?s de la vie ?conomique m?di?vale.

En lui consacrant les quelques pages qui suivent, je n'ai pr?tendu, faut-il le dire ? qu'y apporter une modeste contribution. Pour la traiter comme elle le m?rite, des recherches beaucoup plus ?tendues que

celles que j'ai pu faire seraient indispensables. Aussi bien, mon but

n'est-il que de signaler l'importance d'un sujet trop n?glig?. Tout coup de sonde dans un terrain vierge ne peut manquer de donner quelques

1. H. PiRENNE, Les villes du moyen ?ge, Bruxelles, 1927, p. 27 et suiv. Rien ne serait

plus instructif qu'une ?tude d?taill?e sur les soi-disant marchands de l'?poque de stagna tion ?conomique du vine au xr* si?cle.

2. W. Sombart, Modernes Kapitalismus, t. I, 4e ?dition, p. 295. ? On trouvera dans

l'ouvrage r?cent de M. Fritz Rurig, Hansische Beitr?ge zur Deutschen Wirtschaftsge schichte, Breslau, 1928, p. 191, 219, 234, d'excellentes remarques sur l'impossibilit? d'ad

mettre que le commerce des villes hans?atiques ait ?t? pratiqu? par des marchands illettr?s. Davidsohn, Geschichte von Florenz, t. I, p. 807, consid?re que, d?s le xie si?cle, le commerce florentin est trop d?velopp? pour ne pas avoir exig? de ceux qui le pratiquaient un certain degr? d'instruction. Cf. encore A. Luschin von Ebengreuth, Wiens M?nz

xvcsen, Handel und Verkehr im sp?teren Mittelalter, Vienne, 1902, p. 106, 107

Page 19: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 15

pr?visions sur ce que les investigations post?rieures feront d?couvrir.

Je dois ajouter que ce premier coup de sonde n'a gu?re port? que sur l'?poque ant?rieure au milieu du xiii3 si?cle. A partir de cette

date, les renseignements deviennent assez nombreux pour que l'on ne

puisse plus mettre en doute l'instruction des marchands : il ne s'agit

plus que d'en ?tablir le degr?. J'ai donc, de propos d?lib?r?, born? ce

petit travail ? la p?riode des origines. J'ai essay? de montrer quand les marchands ont ?prouv? le besoin de savoir lire, ?crire et calculer, et ? quels moyens ils ont eu recours pour se procurer le b?n?fice de ces connaissances1.

* * *

Il importe tout d'abord de montrer comment et pourquoi a suc

c?d?, au marchand instruit de l'Empire romain, le marchand illettr? du haut moyen ?ge.

Ce serait, ? mon sens, une erreur que de vouloir expliquer ce fait

par les invasions germaniques du ve si?cle et par la d?cadence g?n? rale qu'elles ont provoqu?e dans l'Europe Occidentale. Si profonde qu'on la suppose, cette d?cadence n'a pas sensiblement affect? la vie

?conomique. Celle-ci, ? vrai dire, penchait d?j? vers le d?clin depuis la fin du inc si?cle. A comparer le si?cle des Antonins ? celui de Dio cl?tien et de Constantin, on en rel?ve les traces ?videntes dans tous les domaines. La population diminue, l'industrie se ralentit, la circu lation mon?taire se resserre, les villes s'appauvrissent et l'agriculture elle-m?me voit diminuer son rendement2. Le commerce cependant, et m?me le commerce au long cours, non seulement n'a pas disparu,

mais demeure une condition indispensable de l'existence sociale. La

navigation m?diterran?enne continue ? entretenir entre toutes les

provinces de l'Empire un trafic qui les unit en une solidarit? ?cono

mique tr?s puissante. Les ?changes sont constants entre l'Orient et

l'Occident. Le premier, beaucoup plus d?velopp? et plus actif que le second, le fournit d'objets fabriqu?s et d'?pices qu'il tire de l'Asie ou qu'il produit sur son propre sol, et en retour desquels il exporte des c?r?ales, des bois et des m?taux. Dans tous les ports, dans toutes les

villes d'Italie, de Gaule, d'Espagne et d'Afrique, des marchands, Syriens pour la plupart, ont des ?tablissements en relations d'affaires avec les diverses r?gions des bords de la mer Eg?e, et l'on pourrait assez exactement comparer l'influence qu'ils y exercent ? celle que devaient exercer, bien des si?cles plus tard, les G?nois et les V?ni

i. Sur le peu que l'on sait de l'instruction des marchands avant le xine si?cle, voir A. Schaube, Hand?isgeschichle der Romanischen Volker des Miltelmeergebiets bis zum Ende der Kreuzziige, p. 109.

2. Il suffira de renvoyer pour ceci au beau livre de N. Rostovtzeff, The social and economic history of the Roman Empire.

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16 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

tiens dans la M?diterran?e, ou les Hans?ates dans la mer Baltique et dans la mer du Nord1. Par eux, le commerce demeure un facteur essentiel de la vie ?conomique de l'Empire. Il la p?n?tre si intime

ment qu'elle a r?sist? ? la catastrophe des invasions. Si les Germains ont mis fin, en Occident, ? la domination poli

tique de l'Empire, ils n'ont pas pu et surtout ils n'ont pas voulu, on le sait aujourd'hui ? suffisance, substituer ? la civilisation romaine

une pr?tendue civilisation germanique2. De l'Empire, ils ont adopt? aussit?t la religion et la langue et conserv?, dans la mesure du pos sible, le droit et les institutions. Rien d'?tonnant d?s lors si l'or

ganisation ?conomique en vigueur dans les provinces o? ils s'?tablirent n'a subi aucun changement appr?ciable du fait de leur conqu?te. L'unit? m?diterran?enne de P?conomie antique subsiste apr?s eux comme elle existait auparavant. La Gaule m?rovingienne, pour ne

parler que d'elle, ne pr?sente ? cet ?gard aucun contraste avec la

Gaule romaine. Marseille demeure le grand port par o? elle commu

nique avec l'Orient ; des marchands syriens et des marchands juifs sont toujours install?s dans ses villes, le papyrus d'Egypte et les

?pices p?n?trent jusque dans l'extr?me Nord de la monarchie franque, et le mouvement commercial d?pend encore ? ce point de celui de

l'Empire, que les rois francs conservent le solidus d'or comme instru

ment d'?change et ?talon des valeurs. L'activit? des marchands orientaux suscite et entretient autour d'elle celle des marchands indi

g?nes. Dans toutes les villes, ceux-ci sont encore nombreux et l'im

portance de leur n?goce ressort de la richesse ? laquelle nous voyons que plus d'un d'entre eux est parvenu3.

D?s lors, il est impossible de se repr?senter la classe marchande de l'?poque m?rovingienne comme compos?e d'illettr?s. S'il en avait ?t? ainsi, les rapports qu'elle entretenait avec l'Orient seraient incon cevables. Tous les renseignements que nous poss?dons sur les pra

tiques commerciales de l'?poque attestent d'ailleurs qu'elles ne pou vaient se passer de l'?criture. Il suffit pour s'en convaincre, de rele

ver dans les recueils de formules les nombreux contrats qui y sont

ins?r?s. Rien n'?tait plus facile au surplus que d'acqu?rir dans les

1. On trouvera la bibliographie relative ? cette diaspora syrienne, rassembl?e dans F. C?MONT, Les religions orientales dans l'Empire romain , 3e ?dit., en. V, notes 4 et suiv.

2. Cf. A. Dopsch, Wirtschaftliche und soziale Grundlagen der Europ?ischen Kulturent vticklung, Vienne, 2 vol., 1918. Au fond, M. Dopsch. en revient, encore que par un chemin diff?rent, ? la th?se de Fustel de Coulanges en ce qu'elle a d'essentiel. Pas plus que lui, il n'admet que l'invasion germanique ait radicalement chang? l'ordre des choses existant ? la fin de l'Empire romain.

3. Je suis oblig? de renvoyer provisoirement le lecteur aux quelques travaux o? j'ai donn?, en attendant une ?tude plus approfondie, les motifs qui me portent ? consid?rer l'?conomie des royaumes de l'Europe Occidentale avant l'invasion musulmane, comme la continuation de l'?conomie de l'Empire romain. Voir l?-dessus mes articles : Mahomet et Charlemagne (Revue belge de philologie et d'histoire, t. I) et Un contraste ?conomique,

M?rovingiens et Carolingiens (Ibid., t. II), ainsi que mon livre Les villes du moyen ?ge, p. 11 et suiv.

Page 21: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 17

?coles publiques qui ?taient loin d'avoir disparu, la connaissance non

seulement de la lecture et de l'?criture, mais m?me celle du calcul et

des rudiments du droit. L'extr?me abondance du papyrus employ? en Gaule jusqu'au commencement du vine si?cle, atteste d'une ma

ni?re frappante combien la pratique de l'?criture y ?tait r?pandue, et ce serait faire preuve d'un parti pris vraiment excessif que de se

refuser ? croire que les marchands s'y soient initi?s1. Si l'indigence de nos sources ne nous permet pas d'apporter des preuves d?cisives,

la vraisemblance doit suffire ? notre ?dification. De l'identit? du com merce m?rovingien avec le commerce des temps ant?rieurs, on doit

inf?rer l'identit? de la culture des hommes qui se sont adonn?s ? celui-ci comme ? celui-l?.

Mais il est ?vident que cette culture ne pouvait durer plus long temps que les conjonctures ?conomiques dont elle ?tait la cons?

quence n?cessaire. Lorsque l'Islam, au commencement du vmc si?cle,

eut achev? de soumettre ? sa domination les rives de la M?diterra

n?e, de la Syrie ? l'Espagne, la mer qui, depuis l'aurore de l'histoire, n'avait cess? d'entretenir le contact entre l'Occident et l'Orient de

l'Europe, ne fut plus pour de longs si?cles qu'un vaste foss? les s?pa rant l'un de l'autre. Gr?ce ? sa flotte, l'Empire byzantin parvint ? conserver la ma?trise de la mer Eg?e et de l'Adriatique, mais sa navi

gation ne put plus rayonner jusqu'? la mer Tyrrh?nienne. Celle-ci fut d?sormais un lac musulman, et elle le devint davantage ? mesure que l'Islam s'empara de ses ?les et ?difia sur la c?te d'Afrique et en Sicile de puissantes bases navales2.

Ce renversement complet des conditions qui avaient jusqu'alors d?termin? l'?volution de la civilisation europ?enne eut pour r?sultat de substituer en Occident ? l'?conomie antique, qui avait surv?cu ? l'invasion des Germains, l'?conomie au milieu de laquelle s'ouvre la

p?riode que la tradition de l'?cole continue ? d?signer sous le nom de moyen ?ge. Cette ?conomie n'est pas du tout, comme on le sup

pose parfois, une ?conomie primitive, mais une ?conomie de r?gres sion ou, si l'on veut, de d?cadence. Son caract?re le plus frappant, la

disparition g?n?rale de la circulation et, avec elle, l'extinction du commerce et de l'industrie

? ne s'explique pas par une cause interne, mais par la catastrophe ext?rieure qui

a ferm? la mer. On peut prouver

jusqu'? l'?vidence que l'interruption de la navigation m?diterra n?enne par l'invasion islamique a provoqu? par voie de cons?quence l'extinction de la vie urbaine, la disparition de la classe marchande qui l'entretenait et enfin la substitution ? l'?conomie d'?change, qui avait fonctionn? jusqu'alors, d'une ?conomie uniquement appliqu?e

1. H. PiRENNE, Le commerce du papyrus dans la Gaule m?rovingienne (Comptes rendus de l'Acad?mie des Inscriptions, 1928, p. 178 et suiv.).

2. Cf. plus haut, p. 16, n. 3.

ANN. D'HISTOIRE. ? 1" ANN?E. 2

Page 22: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

18 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

? la culture du sol et ? la consommation sur place de ses produits. En m?me temps que le commerce, ce que l'on pourrait appeler la

culture commerciale s'?teint au cours du vnie si?cle. Ceux qui se

m?lent encore de vendre et d'acheter ne constituent plus d?s lors une classe sp?ciale requ?rant un minimum d'instruction. Aussi bien

l'instruction a-t-elle disparu au sein de la soci?t? la?que. Elle ne se

conserve plus que dans l'?glise, instrument et b?n?ficiaire de ce

renouveau des lettres que l'on d?signe un peu abusivement, semble

t-il, sous le nom de renaissance carolingienne. Si remarquable qu'ait

?t? cette renaissance, si sup?rieurs qu'apparaissent les clercs du

ixe si?cle compar?s ? ceux du vne ou du vine, il faut bien reconna?tre

que les progr?s de l'enseignement dans l'?glise ont eu pour contre

partie la disparition d?finitive de cet enseignement la?que que la sur

vivance des ?coles romaines avait laiss? subsister, vaille que vaille,

aux temps m?rovingiens. Sans doute, on ?crit beaucoup mieux le latin

apr?s Charlemagne qu'avant lui, mais le nombre de ceux qui l'?crivent

est devenu bien moindre, puisqu'on ne l'?crit plus que dans le clerg?. La pal?ographie nous en fournit l'irr?cusable d?monstration. A la

cursive romaine, dont l'usage se conserve jusqu'? la fin du vme si?cle dans tous les royaumes fond?s sur le sol de l'Empire en Occident, se

substitue la minuscule d?s le d?but de l'?poque carolingienne. Et cette substitution atteste d'une mani?re frappante combien l'art d'?crire s'est restreint. La cursive est, en effet, caract?ristique des

civilisations o? l'?criture ?tant indispensable ? tous les actes de la

vie sociale, la n?cessit? s'impose d'?crire vite parce que l'on ?crit

beaucoup. La minuscule, au contraire, trac?e ? main pos?e, r?pond

? une soci?t? o? l'art d'?crire est devenu le monopole d'une classe de lettr?s. La premi?re est faite pour l'administration et les affaires, la

seconde pour l'?tude. Dans la diff?rence de leurs caract?res s'exprime le contraste d'un temps o? la pratique de l'?criture est encore large

ment r?pandue chez les la?ques avec un temps o? elle s'est monopo

lis?e aux mains des clercs. L'une s'approprie aussi bien aux n?cessit?s

du commerce que l'autre s'y adapte mal. De m?me d'ailleurs que la

minuscule a remplac? la cursive au moment m?me o? la d?cadence

?conomique cons?cutive ? la conqu?te musulmane faisait du mar

chand un illettr?, on verra repara?tre la cursive dans le courant du xine si?cle, c'est-?-dire ? l'?poque o? la renaissance du commerce

rendra de nouveau l'?criture indispensable au marchand.

Un minimum d'instruction dut s'imposer aux marchands de l'Eu

rope Occidentale lorsque, apr?s la longue stagnation du ixe et du xe si?cle, le trafic commen?a de se ranimer et de susciter la formation

des premi?res agglom?rations urbaines. Alors, sous l'influence de la

circulation renaissante, une classe de mer calores professionnels se

reconstitue. L'?change et la circulation des marchandises deviennent

Page 23: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 19

ou plut?t redeviennent des moyens d'existence. Des hommes en

nombre de plus en plus grand s'arrachent au travail de la terre pour s'adonner au nouveau genre de vie qui, des c?tes de Flandre et des

environs de Venise o? la navigation l'a ?veill?, p?n?tre peu ? peu dans

l'int?rieur. Des villes se forment aux n uds du transit, attirant de

plus en plus vers elles les vagabonds et les aventuriers qui sont les

anc?tres de la bourgeoisie et les r?novateurs, dans notre histoire, du

capital mobilier. D?s le xie si?cle, des fortunes consid?rables ont d?j? ?t? ?chafaud?es par les plus intelligents d'entre eux. Car l'intelli

gence devient d?sormais un moyen de parvenir ? la richesse. Les

b?n?fices du marchand seront d'autant plus fructueux qu'il combi nera mieux ses achats, choisira plus habilement ses march?s, calcu

lera plus exactement ses chances. Mais pour tout cela, un ensemble

de connaissances est requis dont plusieurs sans doute s'acqui?rent

par la pratique et les voyages, mais que l'instruction compl?tera.

Les affaires des marchands du xie et du xir3 si?cle sont ?videm

ment trop ?tendues pour que l'on puisse les concevoir dirig?es par de

simples illettr?s. La circulation des marchandises et la circulation de

l'argent qu'elles supposent exigent, ? n'en pas douter, la tenue d'une

correspondance et celle d'une comptabilit? sans

lesquelles elles seraient

impossibles. Comment pourrait-on admettre que, d?s cette ?poque, les

marchands de Flandre aient pu acheter et vendre en gros de la laine

et des draps en Angleterre et pr?ter des sommes d'argent consid?

rables ? toutes sortes de nobles clients, s'ils avaient d? se contenter

de se fier ? leur m?moire pour conna?tre l'?tat de leurs dettes et d?

leurs cr?ances ? Incontestablement, le besoin de tenir des comptes

s'imposait ? eux plus fortement encore qu'il ne s'imposait aux grands

propri?taires fonciers, et l'on n'imagine point qu'ils aient pu se passer

de correspondre avec l'ext?rieur. On ne se les repr?sente pas priv?s

de cet ?largissement formidable que la lecture, l'?criture et le calcul

apportent ? l'activit? individuelle.

L'indigence de nos sources est trop grande pour nous permettre

d'apercevoir clairement de quelle mani?re l'enseignement et le com

merce se sont rejoints. Comme il n'y avait d'?coles que dans l'?glise et pour l'?glise, il est permis de supposer que, parmi les premiers

marchands, ont figur? bon nombre de clercs qui, s?duits par la vie

commerciale, l'auront abord?e avec les avantages d'une instruction

acquise en vue d'une carri?re bien diff?rente. On sait d'ailleurs que les degr?s inf?rieurs de la cl?ricature ne constituaient pas un emp?che

ment dirimant aux professions la?ques. Pourquoi les clercs du xie si?cle se seraient-ils abstenus de tenter la chance des affaires d?s les d?buts

de la renaissance commerciale, alors qu'on les voit si nombreux parmi

les marchands dans les si?cles post?rieurs ? En tous cas, il est certain

que de tr?s bonne heure, s'ils n'ont pas pris part directement au

Page 24: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

20 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

commerce, ils y ont pris part indirectement. Gr?ce ? leur connais sance du latin et de l'?criture, plusieurs d'entre eux ont indubita blement ?t? employ?s ? tenir les comptes, et ? faire la correspondance des marchands. Ce n'est pas sans de profondes raisons historiques que, dans toutes les langues europ?ennes, le mot ? clerc ? a fini par

d?signer un commis1. D?s le milieu du xie si?cle, les membres de la

gilde marchande de Saint-Omer avaient ? leur service un ?notaire?

que l'on peut consid?rer comme le plus ancien teneur de livres connu.

Car il n'est pas t?m?raire de penser que ses fonctions ne se bornaient

pas ? l'inscription des ? fr?res ? sur le r?le de la soci?t?, mais qu'il accom

pagnait sans doute les membres de la gilde dans leurs exp?ditions commerciales, en qualit? de comptable2.

Ainsi donc, d?s le d?but, les marchands ont eu recours ? l'?cri ture d'hommes que l'?glise avait instruits dans ses ?coles. Mais ils devaient n?cessairement chercher ? acqu?rir pour eux-m?mes la con

naissance d'un art si profitable. L'id?e de s'asseoir sur les bancs des ?coles o? s'instruisait le clerg? s'est pr?sent?e d'elle-m?me ? leur

esprit. Ici, il n'est plus besoin d'hypoth?se. Un texte formel nous

permet d'affirmer qu'il en fut bien ainsi. Les Gesta Sanctorum de

l'abbaye de Villers-en-Brabant, parlant de l'enfance du moine Abun

dus, mort en 1228, nous apprennent que, fils d'un marchand de Huy, il avait ?t? confi? au couvent ?afin de s'y rendre capable d?tenir note des op?rations commerciales et des dettes de son p?re ?. Mais les intentions toutes pratiques de ce p?re ne s'?taient pas r?alis?es.

Dans le milieu monastique l'enfant avait tellement pris go?t ? l'?tude des lettres qu'il s'?tait enti?rement consacr? ? elles, avait renonc? au

n?goce et s'?tait fait moine3. L'anecdote est singuli?rement instruc tive. Elle nous fournit un exemple de la mani?re, sans doute la plus ancienne, ? laquelle les marchands recoururent pour se procurer la

partie, pour eux la plus utile, des connaissances dont l'?glise se r?ser vait le monopole. Ce n'?tait pas seulement de savoir lire et ?crire

qu'il s'agissait. Il importait tout autant de s'initier ? la pratique du

1. Dans les langues slaves, c'est le mot ? diacre ? qui a subi l'?volution. Le vocable est autre, le ph?nom?ne est identique.

2. G. Espinas et H. Pirenne, Les coutumes de la, gilde marchande de Saint-Omer (Le moyen ?ge, 2e s?rie, t. V, 1901, p. 190 et suiv). Le texte de ces coutumes est ant?rieur ? 1033. Le notaire y est mentionn? au ? 24 : ? Si quis gildam emerit, juvenis vel senex, prius

quam in cartula ponatur, 2 denarios notario, decanis vero duos denarios ?. Le ?" 25 montre encore le notaire mangeant avec les doyens, aux frais de la gilde ? in thalarao gildalle ?. Il faut remarquer que le r?glement de la gilde ou charit? de Valenciennes au xne si?cle, parle d'un chancelier dont les attributions sont analogues ? celles du notaire de Saint Omer. Voy. H. Caffiaux ( M?m. de la Soc. des Antiquaires de France, 4? s?rie, t. VIII, p. 25 et suiv). A Venise, o? l'instruction ?tait ?videmment bien plus r?pandue parmi les marchands qu'elle ne l'?tait dans le Nord, on voit, au commencement du xne si?cle, chaque bateau avoir ? bord un notarius. R. Heynen, Zur Entstehung des Kapitalismus in Venedig, Stuttgart, 1905, p. 82.

3. Ex gestis Sanctorum Vill&riensium [Mon Germ. Hist. Script., t. XXV, p. 232) : ? cum litterarum studiis esset traditus, ea de causa ut patris debita sive commercia stylo

disceret annotare, miro modo proficere studuit etc. ?

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L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 21

latin, puisqu'aussi bien c'est exclusivement en latin que se dressaient les chartes, que se tenaient les comptes, que se r?digeaient les corres

pondances. Lire et ?crire ne signifiait autre chose que lire et ?crire le

latin. Langue de l'?glise, le latin dut ?tre et fut en r?alit? la langue du commerce ? ses d?buts, puisque c'est l'?glise qui dota tout d'abord les

marchands de l'instruction qu'ils ne pouvaient acqu?rir que gr?ce ? elle.

Abundus ?tant mort en 1225, on peut fixer ? plusieurs dizaines d'ann?es auparavant son entr?e au monast?re1. Son cas n'ayant cer

tainement pas ?t? isol?, nous pouvons donc affirmer que, dans le cou

rant du xne si?cle, des abbayes et sans doute diverses ?coles eccl?sias

tiques dispens?rent l'enseignement aux enfants de la classe marchande

en les admettant ? leurs le?ons en qualit? de ce que, faute de mieux,

j'appellerai des auditeurs libres. Mais cet enseignement comportait toutes sortes d'inconv?nients et de dangers. Il ?tait ? craindre, en

effet, et l'anecdote de Villers nous le montre pr?cis?ment, que la vie

monastique n'attir?t vers elle les enfants que leur famille destinait ?

la moins mystique des carri?res. Cela ?tait m?me d'autant plus ?

redouter que, aux yeux des moines, le commerce apparaissait

comme

une cause de perdition. Les plus fervents d'entre eux devaient consi

d?rer comme un devoir d'en d?tourner les jeunes gar?ons qui venaient leur demander les moyens de s'y pr?parer. Quelle ?trange initiation

ne recevaient-ils pas de ma?tres imbus de l'id?e que ? le marchand ne

peut pas, ou ne peut que bien difficilement sauver son ?me?2 ! Sans

doute, la m?saventure du p?re d'Abundus fut celle de bien d'autres.

On risquait fort, en confiant son fils ? un couvent, de ne pas l'en voir

revenir. D'autre part, les ?coles monastiques r?pondaient bien

imparfaitement aux vues des commer?ants qui y envoyaient leurs

enfants. Le programme, demeur? fid?le aux prescriptions du trivium et du quadrivium, comportait quantit? de branches dont ceux-ci

n'avaient nul besoin. La grammaire, la rh?torique, la dialectique, le

chant, etc. Que de temps gaspill? en pure perte au d?triment des

?l?ves qui ne demandaient rien d'autre que d'apprendre au plus vite

? baragouiner un peu de latin et ? tracer des lettres, tant bien que mal, au stylet sur des tablettes de cire ou ? la plume sur le parchemin.

Les plus riches parmi les marchands durent, de bonne heure, pr?f? rer ? un genre d'enseignement, si p?rilleux et si d?fectueux ? la fois,

l'enseignement ? domicile. Un texte d'Ypres parle des bourgeois qui font instruire leurs enfants, ou les personnes de leur famille habitant

sous leur toit, par un clerc ? leurs gages. Ce texte ne date, il est vrai,

que de 1253. Mais il n'est pas croyable que les opulents n?gociants

dont, d?s le milieu du xne si?cle, les maisons fortifi?es et surmont?es

1. Le texte nous apprend qu'il appartint ? l'Ordre de Citeaux pendant vingt-six ans. Mais il ne nous dit pas quand il y fut re?u.

2. Je traduis ainsi le fameux texte bien connu dans l'?cole : ? Homo mercator vix aut nunquam potest Deo placer?. ?

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22 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

de tours donnaient aux villes de Flandre leur aspect caract?ristique, aient attendu tr?s longtemps avant de s'aviser d'un moyen qui leur

permettait de diriger et de contr?ler l'instruction de leurs enfants.

Rien n'?tait plus facile que de se procurer ? prix d'argent les services

d'un clerc et de le transformer en pr?cepteur1.

L'?ducation ? domicile, mieux adapt?e tr?s certainement que ne

T?tait l'?ducation monastique aux besoins et aux aspirations de la

bourgeoisie marchande du xne si?cle, n'?tait accessible qu'? ce petit nombre de privil?gi?s de ia fortune que les textes du temps appellent

majores, divites, otiosi, homines hereditarii, et auxquels les historiens

donnent assez inexactement le nom de patriciens. Mais il va de soi

que plus croissait le nombre de ceux qui vivaient du commerce et de

l'industrie, plus aussi se g?n?ralisait la n?cessit? de l'instruction. Les

pouvoirs municipaux ne pouvaient se d?sint?resser d'une question

aussi urgente. Et il est naturel qu'ils s'en soient occup?s tout d'abord

dans les r?gions qui se distinguent par la rapidit? de leur d?veloppe ment ?conomique. De m?me que la Flandre a pris l'avance ? cet

?gard sur le reste de l'Europe au Nord des Alpes, de m?me c'est dans ses villes que l'on voit se poser pour la premi?re fois, ? ma connais

sance, ce que l'on pourrait appeler la question des ?cole?2.

Le hasard nous a conserv? par bonheur un nombre de documents

assez nombreux pour nous permettre de voir comment elle y surgit

et de quelle mani?re elle y fut r?solue. D?s le xe si?cle, les comtes de Flandre avaient fait ?lever en

plusieurs points de leur territoire, des enceintes fortifi?es, burgi ou

castra, destin?es ? servir de lieux de refuge, en cas de guerre, ? la popu lation des alentours et qui, en temps de paix, ?taient les centres de l'administration judiciaire et ?conomique de la ? ch?tellenie ? qui s'?tendait autour de leurs murailles. Le comte, r?sidant p?riodique

ment dans chacune d'elles, les avait am?nag?es en cons?quence. Il

y poss?dait non seulement un donjon affect? ? sa demeure et des

magasins de toute sorte o? venaient s'entasser les produits des

domaines qu'il poss?dait aux environs et qui,, durant ses s?jours, ser

1. ? Quicunque burgensis liberos suos seu alios de familia sua manentes in domo propria per ciericum suum in domo sua erudiri voluerit, hoc ei licebit, dummodo alios disc?pulos sub isto praetextu una cum praedictis ipsi clerico non liceat erudire. ? Warnkoenig Gheldolf, Histoire d'Ypres, Paris, Bruxelles, 1864, p. 370. On voit que le texte fait allusion ? une pratique courante et sans doute d?j? fort ancienne.

2. Peut-?tre cette affirmation est-elle trop cat?gorique. Des recherches ult?rieures lui apporteront, le cas ?ch?ant, les correctifs n?cessaires. Le comt? de Flandre figure en tous cas en bonne place, puisque d?s le xnp si?cle, toutes ses grandes villes sont pourvues d'?coles urbaines, alors que ce n'est gu?re qu'au xine qu'elles apparaissent dans le reste de l'Europe. Il faut naturellement excepter l'Italie. L'instruction des marchands au xin? si?cle y appara?t tellement d?velopp?e et sup?rieure ? ce qu'elle est dans les r?gions du

Nord, qu'on est forc? d'admettre qu'elle s'y appuie sur un long pass? (Cf. A. Sapori, I muiui dei mercanti fiorentini del trecento. Rivista del diritho commerciale, 1928, p. 223). Malheureusement on y aper?oit bien peu de choses des origines. Je signale ? l'attention des ?rudits italiens la mention en 1256 ? Saint-Trond de scriptores de marchands de Sienne.

Voy. H. Pirennb, Le livre de l'abb? Guillaume de Ryckel, Bruxelles, 1896, p. 335.

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L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 23

vaient ? son entretien et ? celui de sa cour, mais il y avait encore

fond? et dot? des chapitres de chanoines : Saint-Donatien au ch?teau de Bruges, Sainte-Phara?lde ? celui de Gand, Saint-Winnoc ? celui de

Bergues, Saint-Pierre ? celui de Lille, Saint-Am? ? celui de Douai, Saint-Omer ? celui de la ville qui a conserv? son nom1. De chacun de ces chapitres d?pendait une ?cole qui ne dut servir, primitivement, qu'? la formation du clerg? des paroisses de la ch?tellenie avoisinante et ? celle des ? notaires ? que le comte employait ? ses ?critures 2.

Mais quand, au cours du xie si?cle, des agglom?rations de mar

chands et d'artisans (portus) commenc?rent ? se grouper autour de ces

forteresses, et que, du fait m?me de leur profession, les immigrants de

plus en plus nombreux qui affluaient vers elles ?prouv?rent le besoin d'un enseignement indispensable au genre de vie qu'ils menaient,

la situation se compliqua. Faute de renseignements il est impossible de savoir ce qui se passa durant les premiers temps. Il para?t certain

que les ?coles capitulaires fournirent aux commer?ants des bour

geoisies naissantes les premiers scribes qui furent employ?s ? la tenue de leurs livres. Tout au moins, peut-on conjecturer avec grande vrai

semblance que le notarius de la Gilde de Saint-Omer, au milieu du xie si?cle, ?tait un ancien ?l?ve du chapitre castrai.

Des enfants de bourgeois furent-ils admis d?s l'origine de la for mation des villes ? suivre les le?ons qui se faisaient dans l'?cole du

castrum ? L'exemple d'Abundus, que nous avons cit? plus haut, per mettrait de le croire. En tous cas il est absolument certain que, d?s le xne si?cle,, la population urbaine s'efforce de se pourvoir d'?coles

r?pondant ? ses besoins et plac?es sous son contr?le. Son intervention dans le domaine de l'enseignement, qui depuis

si longtemps appartenait au clerg?, n'alla pas sans entra?ner des

froissements et des contestations in?vitables. Si l'?glise n'?levait aucune objection de principe contre l'existence d'une instruction destin?e aux la?ques, elle ne pouvait tol?rer en revanche que cette

instruction f?t soustraite ? son autorit?. C'est en ce point qu'elle devait forc?ment se heurter ? la bourgeoisie. Le conflit qu'elle eut ? soutenir avec elle s'explique par l'incompatibilit? des points de vue.

L'?glise, trop ?trang?re aux tendances toutes pratiques des mar

chands et des artisans, ?tait ?videmment incapable d'y adapter le

programme des ?coles. Ce qu'il fallait ? ceux-ci, c'?tait non pas un

enseignement litt?raire et savant, mais un enseignement tourn? tout

entier vers les n?cessit?s de la vie commerciale. La lecture, l'?criture, le calcul et les rudiments du latin, voil? ce qu'ils exigeaient de l'?cole.

1. H. Pirenne, Les villes flamandes avant le XIIe si?cle (Annales de l'Est et du Nord, 1.1, 1905, p. 18). Il semble que le comte de Hainaut avait introduit une organisation ana logue ? Valenciennes o? Baudouin IV (1120-1171) fonda une ?cole dans le ch?teau. C Duvi

VIER, Actes et documents anciens int?ressant la Belgique, t. II, p. 205. 2. Sur les fonctions de ces notaires, voy. H. Pirenne, La chancellerie et les notaires des

comtes de Flandre avant le XIII* si?cle (M?langes Julien Havet, p. 734 et suiv.).

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24 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

Tout le reste leur apparaissait un luxe inutile et une perte de temps. Ils ne demandaient qu'? apprendre l'indispensable et ? l'apprendre vite. La culture classique dont l'?glise conservait la tradition depuis

l'?poque carolingienne ne lui permettait pas, ? leurs yeux, d'instruire leurs enfants comme ils le souhaitaient. Au fond, la question qui se

posa d?s lors au sein des premi?res agglom?rations bourgeoises n'?tait

qu'une forme brutale sans doute et rudimentaire, mais une forme tout

de m?me de la question de l'enseignement moderne et professionnel. Ce que nos sources nous apprennent nous permettent d'en saisir,

en Flandre, quelques p?rip?ties assez curieuses.

Vers le milieu du xne si?cle, un incendie avait d?truit ? Gand

l'?glise, l'?cole et les archives du Chapitre de Sainte-Phara?lde. De riches bourgeois s'?taient empress?s de profiter de cette catastrophe

pour ouvrir des ?coles1. De son c?t?, le monast?re de Saint-Pierre,

qui poss?dait le droit de patronage sur les paroisses de la ville, en avait ouvert d'autres et pr?tendait faire fermer celles des bour

geois2. Ainsi, le Chapitre ?tait attaqu? de deux c?t?s. Pendant que les moines de Saint-Pierre s'adressaient au pape et l'exhortaient ?

faire cesser les le?ons que ? l'insolence des la?ques s'?tait enhardie ? organiser?, les chanoines recouraient ? l'aide du comte, le suppliant de confirmer le monopole d'enseignement qu'ils revendiquaient dans la ville comme ils le poss?daient depuis toujours dans le castrum.

L'enqu?te ordonn?e par Alexandre III, entre 1166 et 1179, sur le bien-fond? de la plainte des moines tourna ? leur d?savantage, et fit

appara?tre que le droit d'enseignement appartenait au seul Cha

pitre3. Le comte Philippe d'Alsace le lui ratifia, et obtint, en 1179, de l'archev?que Guillaume de Reims, une charte corroborant sa d?ci sion. Toutefois, on surprend dans celle-ci le d?sir ?vident du comte de satisfaire tout ? la fois les pr?tentions du Chapitre et les d?sirs de la bourgeoisie. Elle ne se borne pas, en effet, ? reconna?tre ? Sainte

Phara?lde le droit de surveiller l'enseignement. Elle conf?re au. cha noine Simon, qui remplissait les fonctions de notaire comtal, la direc tion des ?coles urbaines et statue que, sans son assentiment, personne ne pourra d?sormais en ouvrir soit dans le ch?teau de Gand, soit dans la ville4. Ainsi, en 1179, l'existence des ?coles que les bourgeois

1. Charte de l'archev?que Guillaume de Reims de 1179 dans Miraeus, Opera diplo m?tica, t. II, p. 974.

2. Bulle d'Alexandre III (1166-1179) dans Van Lokeren, Chartes et documents de l'abbaye ds Saint-Pierre de Gand, t. I, p. 153 (avec les dates 1159-1171). Les moines pr? tendaient que depuis toujours (quantum in memoria hominum est), personne ne pouvait ouvrir d'?cole ? Gand sans leur consentement. Or la ? laica violentia? y avait introduit ? quandam libertatem legendi ?. Ces mots montrent clairement qu'il s'agit bien d'?coles

ouvertes par les bourgeois et libres de tout contr?le eccl?siastique. 3. Nous n'avons aucun renseignement ?crit sur la conclusion de l'enqu?te ordonn?e par le pape. Mais le fait que jamais depuis lors les moines de Saint-Pierre ne revendiqu?rent

plus la moindre intervention dans les ?coles de la ville, prouve suffisamment qu'elle tourna contre eux. 4. Il est indispensable de transcrire les passages les plus caract?ristiques de la charte de

l'archev?que Guillaume cit?e plus haut n. 1 : ? Karissimus in Christo filius noster

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L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 25

avaient fond?es est non seulement tol?r?e, mais garantie par le comte.

Pour en ?tablir une, il suffira d'en obtenir licence du notaire Simon, c'est-?-dire d'un homme qui, m?l? ? l'administration comtale, est

capable de comprendre le genre d'instruction que doivent dispenser des ?coles destin?es aux la?ques. Si les bourgeois ne poss?dent plus l'enti?re libert? scolaire dont ils s'?taient empar?s, du moins la facult?

d'entretenir un enseignement urbain ne leur est-elle pas contest?e.

Quelques ann?es plus tard, ils arrivaient au but. En 1191, ils faisaient inscrire dans la charte extorqu?e par eux ? la comtesse

Mathilde, ? que si quelqu'un de convenable et de capable veut ouvrir une ?cole dans la ville de Gand, personne ne pourra l'en emp?cher?1. La m?me ann?e, le comte Baudouin IX renouvelait cette assurance2.

Le r?gime qui dotait ainsi la bourgeoisie de la libert? scolaire la plus compl?te ne dura pourtant pas tr?s longtemps. En 1235, une organi sation assez diff?rente lui ?tait substitu?e par la comtesse Marguerite.

Cette princesse d?clare formellement que la ma?trise (magisterium) des ?coles d?pendant de Sainte-Phara?lde lui appartient. En cons?

quence, le doyen et les chanoines lui pr?senteront chaque ann?e, avant la f?te de P?ques, une personne choisie par eux pour exercer

la direction de ces ?coles, qui sera tenue ? perp?tuit? d'elle et de ses

successeurs3. La surintendance de l'enseignement urbain repassait

Philippus Flandriae et Viromandiae comes... monstravit quod olim quasi a primo eccle siae S. Pharaildis fundamento, quae est in Gandensi oppido sita et specialis est capella

Flandriae comitis, scolae praedicti oppidi assignatae fuerunt uni canonicorum, ut nullus in eodem oppido sine illius assensu cui a comit? scolae assignatae fuerunt scolas regere et gubernare praesumeret. Postmodum autem infortunio miserabili, praefato oppido penitus igne consumpto, etiam dicta ecclesia in pulverem et in cinerem redacta, cum privi legia ejusdem ecclesiae tarn de scolis praelibatis quam de eleemosynis sibi collatis fuis sent in combustione et cibus ignis, multitudo civium propter arridentem sibi divitiarum abundantiam et arces domorum (cum) turribus aequipollere videbantur, ultimum

modum superbiens, domino suo rebellis, contumax et insolens facta est, ut non solum in regimine scolarum transferendo verum etiam in aliis plerisque jurisdictionem sibi et dominium comitis usurparet. Cum autem ad t?mpora praenominati hujus excellentis comi tis... ventum esset, ...ecclesiam S. Pharaildis scolis atque aliis possessionibus dotavit et ditavit. Nos vero, devotionem ipsius attendentes, ...tibi dilectefili Symon, scolas ab eodem comit? collatas confirmamus, statuentes et sub mcominatione anathematis inhibentes, ne quis sine assensu tuo et licentia, in toto Gandensi oppido vel oppidi suburbio scolas regere praesumat. ? La charte est adress?e ?dilecto filio Simoni, Gandensi notario?. Je dois ajouter que M. 0. Oppermann, Die ?lteren Urkunden der Klosters Blandinium und die Anf?nge der Stadt Gent, Utrecht, 1928, p. 478 et suiv., a rejet? comme un faux fabriqu? au xme si?cle, la charte de l'archev?que. Mais sa d?monstration ne tient pas. Faute d'avoir compris la bulle d'Alexandre III, laquelle se borne ? ordonner une enqu?te sur les pr?ten tions de S. Pierre relativement aux ?coles de Gand, il y voit la preuve que ces ?coles rele vaient de S. Pierre et non de S. Phara?lde. En r?alit?, la charte de 1179 est de tous points authentique, et son contenu est corrobor? par tout ce que nous savons de l'histoire de Gand, dont M. Oppermann n'a qu'une connaissance tr?s d?fectueuse.

1. ? Si quis in Gandavo scolas regere voluerit, sciverit et potuerit, licet ei, nee aliquis poterit contradicere ?. Warnx nig-Gheldolf, Histoire de la Flandre et de ses institutions t. III, p. 229. La charte est attribu?e g?n?ralement ? l'ann?e 1192. En r?alit? elle est d'ao?t-octobre 1191.

2. Ibid., p. 232. 3. Warnk nig, Flandrische Staats-und Rechts geschickte, t. II, Urkunden, I, p. 41.

Cette organisation en rempla?a une autre un peu diff?rente de la m?me ann?e. Voy. Warn k nig-Gheldolf, loc. cit., p. 268. Celle-ci avait pour but d'?tablir la transition entre les droits acquis du directeur des ?coles et le r?gime nouveau de Tannalit? des fonctions

qu'il avait re?ues.

Page 30: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

26 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

ainsi au pouvoir du Chapitre. Il lui ?tait impossible toutefois d'en dis

poser ? son gr?, puisque le comte se r?servait d'approuver la nomi

nation du magister scolarum, et que son int?r?t le plus ?vident devait

l'emp?cher de ratifier un choix qui e?t m?content? la bourgeoisie. Ce qui se passa ? Gand illustre d'un exemple particuli?rement

bien connu une situation qui, dans ses traits essentiels, se rencontre

dans les autres villes de Flandre. A Ypres, le Chapitre de Saint-Martin obtenait de C?lestin III, en 1195, la confirmation de son droit de

consentement ? l'ouverture de toute ?cole dans la ville1. On en doit

conclure que ce droit avait donc ?t? contest?. La d?cision du pape ne

mit pas fin aux difficult?s. Elles dur?rent sans doute jusqu'au com

promis conclu en 1253 entre le Chapitre et l'?chevinage2. Cet acte d? cide qu'il y aura d?sormais ? Ypres trois grandes ?coles {scolae majores), dont le Chapitre nommera les ma?tres {rectores). Ceux-ci ne pourront

exiger des ?l?ves une r?tribution sup?rieure ? 10 sous annuellement. Il leur est d?fendu de rien leur demander sous pr?texte de saign?e, d'achat de paille ou de joncs ? ?tendre sur le plancher de la classe ou

de fabrication d'encre. Us s'abstiendront ?galement de faire des collectes parmi eux et d'en recevoir du pain3. En revanche, ces ?coles

n'auront pas ? craindre la concurrence que leur faisait l'enseignement ? domicile. A l'avenir, les bourgeois qui font ?lever leurs enfants par un clerc priv? ne pourront admettre ? ses le?ons des enfants ?trangers ? leur famille. Quant aux petites ?coles {parvee scolae), dont le pro gramme ne va pas au del? de la lecture du Ceton, pourra en ouvrir

qui voudra, sans avoir ? obtenir licence ni du Chapitre, ni des ?chevins. Au milieu du xmc si?cle, l'enseignement urbain est donc large

ment organis? dans les villes flamandes. Toutes, grandes et petites, poss?dent d?sormais des ?coles. L'instruction n'y est plus born?e aux connaissances primaires. Ce n'?tait certainement pas ? Ypres seu

lement que l'on rencontrait des scolae majores et des scolae minores.

Ces derni?res suffisaient aux enfants des n?gociants et des artisans4.

Dans les autres se formaient sans doute les clercs qui, leurs ?tudes

1. Feys et Nelis, Cartulaire de la pr?v?t? de Saint-Martin ? Ypres, t. 1, p. 31. 2. Warnk nig-Gheldolf, Histoire d' Ypres, p. 369. Le compromis est dat? du 6 novem

bre. Il fut certainement provoqu? par la bulle d'Innocent IV, du 9 f?vrier 1253 (Ibid., p. 367) ordonnant, sur la plainte des ?chevins d'Ypres, de faire une enqu?te touchant le droit que s'arrogeait le Chapitre de S. Martin, d'excommunier les ?chevins ? l'occasion de leurs empi? tements sur les pr?rogatives du Chapitre en mati?re d'enseignement.

3. ? Pro pactis autem rectores dictarum scolarum non poterunt exigere ab aliquo scola rium suorum ultra suramam decem solidorum, qua summa erunt contenti, nec poterunt pro minutione, nec pro Stramine, nec pro joncis, nec pro gallis, nec aliqua alia de causa ultra dictam summam aliquid exigere, nec de pane puerorum aliquid accipere nec tallias in dictis scolis facer??.

4. Au xine si?cle, il parait probable que plusieurs de ceux-ci savaient lire et ?crire. Une ? tendeuse aux lices? ? Douai, ? la fin du xiiic si?cle, s'en rapporte ? ses ? escris? pour

revendiquer une dette. Gr. Espinas et H. Pirenne, Recueil de documents relatifs ? l'histoire de l'industrie drapiere en Flandre, t. II, p. 190. Un pareur de draps, ? la m?me date, r?cla mant son salaire pour la pr?paration de 400 brunes, dit que ? tant en avoit-il inscrit ?. Ibid., p. 201.

Page 31: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'INSTRUCTION DES MARCHANDS AU MOYEN AGE 27

finies, s'installaient comme ?crivains publics, comme scribes de l'?che

vinage, comme commis de commerce.

L'abondance de ces derniers ?tait tr?s grande d?s le xme si?cle.

Les marchands les plus riches et les industriels les plus consid?rables en occupaient ? la tenue de leurs livres et de leur correspondance. On en trouvait ? Douai chez Simon Malet1, chez Johan Boinebroke2 et ce que nous savons ? leur sujet nous devons l'appliquer ? leurs pareils

de Gand, de Bruges, d'Ypres, de Lille et d'Arras. Le commerce de

l'argent et celui des marchandises ont d?s lors acquis une ampleur

qui requiert la collaboration continuelle de la plume. Il n'est pas d'homme d'affaires de quelque importance qui ne conserve soigneu

sement dans une ?huge?3 ses livres de commerce, ses chirographes et ses lettres.

Les foires de Champagne, qui, au xine si?cle, sont, pour les mar

chands et les industriels de Flandre, tout ? la fois un march? perma nent et un

?clearing house?, donnent lieu ? une correspondance per

p?tuelle. Durant leur tenue, les ? clercs des foires? vont et viennent

perp?tuellement entre Troyes, Provins, Lagny, Bar-sur-Aube et

les grandes villes du bassin de l'Escaut, la mallette gonfl?e de parche mins o? s'inscrit le mouvement d'affaires le plus important qui soit au Nord des Alpes4.

On voudrait savoir comment l'enseignement se donnait dans les

?coles o? les marchands de Flandre ont acquis leur instruction. Il faut nous r?signer ? n'en conna?tre que bien peu de choses. Au d?but,

certainement, l'enseignement ne se faisait qu'en latin. On a vu plus

haut que le Caton, c'est-?-dire le manuel scolaire si r?pandu au moyen

?ge sous le nom de Distica Catonis, ?tait en usage dans les petites ?coles. Dans les grandes on devait s'appliquer particuli?rement ? la r?daction des lettres missives. Un curieux manuscrit de la Biblio

th?que de l'Universit? de Gand, datant de la fin du xine si?cle, com

prend quantit? de mod?les ?pistolaires que les ma?tres dictaient sans

doute ? leurs ?l?ves. On y rel?ve, ? c?t? de lettres traitant d'affaires

eccl?siastiques et civiles d'une extraordinaire vari?t?, des exemples curieux de correspondance commerciale5. Je citerai dans ce genre la

demande, adress?e par l'abb? de Saint-Pierre de Gand aux pr?pos?s aux tonlieux sur l'Escaut, de laisser passer librement deux bateaux

charg?s de cinquante-quatre f?ts de vin, et la recommandation d'un

bourgeois de Bruges ? un correspondant anglais de n'envoyer aucune

1. H. R. Duthilloeul, Douai et Lille au XIIIe si?cle, Douai, 185?, p. 26, 62. 2. G. Espinas et H. Pirenne, Recueil de documents relatifs a l'histoire de l'industrie

drapiere en Flandre, t. II, p. 188. 3. En 1301, Jacques Le Blont de Douai avait ?une huge... o?ilavoit plusieurs Chartres,

pluseurs letres et pluseurs cirographes de detes con lui devoit en Brabant et ailleurs?. O. Espinas, La vie urbaine de Douai au moyen ?ge, t. IV, p. 6.

4. Duthilloeul, op. cit., p. 26, 55, 74, 76, 130. 5. N. de Pauw, La vie intime en Flandre au moyen ?ge d'apr?s des documents in?dits

{Bullet, de la Commission royale d'histoire, t. LXXXII, 1913, p. 1 et suiv.).

Page 32: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

28 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

marchandise en Flandre avant d'avoir ?t? inform? par lui que la comtesse de Flandre et le duc de Brabant ont lev? l'embargo qu'ils viennent de lancer sur tous les arrivages provenant d'Angleterre1.

L'?criture du manuscrit en question correspond au caract?re de son contenu. C'est une petite cursive gothique que Ton peut consi d?rer comme le type de l'?criture que l'on apprenait ? tracer dans les ?coles urbaines 2.

A l'?poque o? nous reporte le manuscrit, c'est-?-dire la deuxi?me

moiti? du xiiis si?cle, le latin n'?tait plus la seule langue qui serv?t ? initier les enfants ? la lecture et ? l'?criture. On avait traduit ? leur

usage les distiques de Caton en langue vulgaire. Les ?coles de la bour

geoisie devaient n?cessairement mettre leurs ?l?ves ? m?me d'?crire le langage dont ils se serviraient dans la vie. Elles contribu?rent sans doute efficacement ? en introduire l'emploi dans les actes de l'admi nistration courante et des affaires. On peut supposer ? bon droit que, si la plus ancienne charte en langue vulgaire que l'on poss?de (1204) provient de Douai, c'est parce que le puissant d?veloppement com

mercial du comt? de Flandre y avait plus largement et plus h?tive ment qu'ailleurs r?pandu l'enseignement la?que. Dans une autre ville

flamande, ? Ypres, les innombrables lettres de foire dress?es au cours du xine si?cle ont substitu? le fran?ais au latin3.

En d?pit de leur indigence, ces quelques notes suffisent ? montrer que le commerce du moyen ?ge n'a pas ?t? un commerce

d'illettr?s. L'instruction des marchands est au contraire un ph?no m?ne aussi ancien que le renouveau ?conomique. Et c'est l? un fait d'une tr?s grande port?e. Car il prouve jusqu'? l'?vidence que les

marchands m?di?vaux ne sont pas les continuateurs des mercatores du

ixe et du Xe si?cle. S'ils n'avaient pratiqu?, comme ceux-ci, que le

petit commerce local, ils n'eussent pas plus ?prouv? qu'eux le besoin de s'instruire. C'est l'?tendue de leur trafic qui, leur imposant la n?cessit? de la lecture et de l'?criture, les a contraints ? prendre des clercs ? leur service, ? fr?quenter les ?coles de l'?glise et enfin ? fonder dans les villes un enseignement la?que, qui est le premier que l'Europe ait connu depuis l'extinction, vers le vne si?cle, de celui de l'anti

quit?. H. Pirenne.

(Gand.)

1. Je crois int?ressant d'en donner le texte in extenso, comme sp?cimen de correspon dance commerciale : ? Viro pr?vido et discreto tali, civi talis loci in Angiia, talis opidanus brugensis, salutem in Domino, et suis profectibus tam intenta sagacitate quam debita fide litate per omnia sicut in propriis hanelare. Discretioni vestre significo quod universa bona, tam per aquam quam per terram, de universis Anglie partibus Flandrie adducta, tam a duce Brabantie quam comitissa Flandrie, pertinaciter arrestantur. Idcirco discretioni vestre significo sane consulando, deprecor et exoro, quatinus omnino nulla bona trans

mitiere presumatis versus Flandriam vel Brabantiam, donee supra hiis vobis securitatis litteras transmisero sp?ciales)?. N. de Pauw, op. cit., p. 55.

2. On en trouvera un fac-simil? dans H. Pirenne, Album belge de diplomatique, planche XXXI.

3. G. des Marez, La lettre de foire ? Ypres au XIIIe si?cle, p. 8.

Page 33: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE

DEPUIS LA DERNI?RE GUERRE

L'Allemagne est-elle menac?e d'une crise industrielle ? La ques tion peut ?tre pos?e devant les difficult?s qui, depuis quelques mois, p?sent lourdement sur l'?conomie g?n?rale du Reich. Il devient diffi cile de fermer les yeux ? l'?vidence : si puissante qu'elle soit, l'indus trie allemande se trouve actuellement dans une situation d?licate, et

Ton a le droit de se demander si sa prosp?rit? touche ? sa fin ou, au

contraire, si elle autorise encore un optimisme d?lib?r?.

Pour d?couvrir les causes des dangers qui s'annoncent, et en mesu

rer l'?tendue, il faut se donner la peine de suivre dans son ensemble l'?volution ?conomique du Reich depuis la guerre. A s'en tenir ? une

p?riode trop limit?e, on risque de mal saisir le sens des faits et d'abou tir ? des conclusions d?form?es par des ?v?nements accessoires et des fluctuations incessantes.

Ce qui peut faire l'int?r?t de cet examen, c'est l'importance essen

tielle qui doit ?tre accord?e ? l'industrie allemande, en dehors m?me de toutes consid?rations d'ordre commercial.

Pour l'?tranger qui aborde F Allemagne, la situation politique et morale du pays, d'o? d?pend, plus que de signatures, la consolida tion de la paix, semble devoir constituer le souci primordial. Mais, ?

mesure que son exp?rience allemande se

prolonge, la conviction gran dit chez lui que, surtout depuis la guerre, les int?r?ts ?conomiques sont au premier plan des pr?occupations, et que les forces ?conomiques commandent. La politique appara?t d?concertante, avec ses combi

naisons multiples, compliqu?es, souvent contradictoires, faites d'ac

tions et de r?actions confuses, qui laissent parfois aux t?moins directs le sentiment lassant d'un pi?tinement chaotique et d?sordonn?, d'une

perp?tuelle impr?visibilit?. Surtout depuis la guerre, pour beau

coup d'Allemands ?la politique n'est rien du tout?, selon la phrase de Proudhon.

? Rien du tout, sinon un sc?nario plus ou moins d?co

ratif qui cache les faits les plus int?ressants : les faits ?conomiques. Elle ne garde qu'une place secondaire, la production absorbant le

meilleur des ?nergies. M?me en repoussant l'?troitesse du mat?rialisme historique, et en

proclamant que le fait politique prime souvent tous les ordres de

faits, on ne peut pas oublier que l'Allemagne, r?nov?e par l'expansion

industrielle, est la patrie de Karl Marx. C'est un ?tat ? ?conomique? beaucoup plus que ?politique?. La r?volution de novembre 1918,

Page 34: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

30 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

qui a emport? le prestige imp?rial, a donn? du relief ? cette v?rit?. Si la politique influe sur l'?conomique, l'?conomique la d?termine. Il

fait le fond, la nature m?me du pays ; la vie des partis n'y est ? beau

coup d'?gards que la manifestation de l'action industrielle ; les pro bl?mes du travail y jouent un r?le plus important que les id?ologies

politiques. R?duisant encore la place laiss?e ? l'individu, l'?volution

contemporaine a accentu? la domination des lois mat?rielles, parfois ? l'?cart du ? royaume de l'?me?, dont r?vait Wallher Rathenau, et

que, d'ailleurs, sa pens?e fort pratique ne s?parait pas de la production moderne.

Les autres aspects du Reich peuvent se modifier rapidement selon les ?v?nements ; il y a des chances pour que l'organisation industrielle reste longtemps le trait dominant et essentiel de la vie nationale en

Allemagne. Parmi tant de tendances contradictoires et de pressions hostiles qui se sont exerc?es sur le Reich, c'est l? quelque chose de

stable, de solide, une r?alit? ferme, presque immuable.

I. - DE LA GUERRE A LA STABILISATION

A l'issue de la guerre, le d?nuement ?tait terrible dans le pays, le

manque de marchandises g?n?ral. La population, priv?e de tout

depuis plusieurs ann?es, se rua aux achats. L'appareil industriel,

exploit? pendant quatre ans avec intensit?, par un effort ininter

rompu, devait ?tre renouvel? ou r?par?. La demande ?tait grande, les stocks ?puis?s. L'application stricte de la journ?e de huit heures, proclam?e par la r?volution de novembre 1918, permit d'occuper imm?diatement les soldats d?mobilis?s. Ils trouv?rent facilement du

travail, sauf dans la p?riode de troubles politiques et sociaux, nou veau Sturm und Drang, qui, au d?but de 1919, suit la r?volution.

Puis la baisse du mark assure ? l'industrie les illusions de la pros p?rit?. La d?tresse financi?re seconde l'effort de l'industrie durant la

p?riode d'inflation mon?taire. La puissance d'achat du mark est

sensiblement plus ?lev?e en Allemagne qu'? 1 ?tranger. Cette diff? rence constitue une

prime ? l'exportation, qui favorise de nombreuses

entreprises. Le niveau des prix ? l'int?rieur de l'Allemagne est telle ment inf?rieur aux prix pratiqu?s sur les autres march?s que l'?tranger ne peut faire concurrence ? l'industrie allemande en Allemagne et

que les exportations allemandes surmontent au dehors des obstacles

redoutables. Tirant profit de la mis?re de son change, le Reich r?ussit ? reconstituer son commerce ext?rieur. Peu ? peu les produits alle

mands reconqui?rent m?thodiquement les march?s du monde d'o? la

guerre les avait exclus.

Toutefois, ces possibilit?s d'exportation, qui reposent en fin de

compte sur les difficiles conditions d'existence du peuple allemand,

Page 35: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 31

s'att?nuent ? mesure que l'?tranger, inquiet, oppose aux exportations allemandes des barri?res, sous la forme de taxes douani?res surtout, ou que les prix allemands se rapprochent des prix du march? mon

dial ; il est vrai qu'une nouvelle chute mon?taire vient tout ? coup rendre ? l'industrie allemande un essor nouveau, qui dure jusqu'au

moment o? les prix allemands s'adaptent presque aux prix ext?rieurs ;

il reprend apr?s un temps de malaise. La d?pr?ciation du mark, qui, par secousses, ranime l'activit? de

l'industrie allemande, exerce ? la longue une action funeste sur la vie

?conomique. Tant qu'elle reste mod?r?e, sans confiner ? la catas

trophe, elle stimule la production allemande, mais imprime ? son

d?veloppement un caract?re malsain et fi?vreux. Elle r?duit consi

d?rablement les b?n?fices que l'Allemagne tire du commerce ext?

rieur : apparences brillantes, mais vides. On vend ? l'?tranger trop

bon march? et on paie trop cher les importations. R?alis?s pour une

bonne part en marks-papier, les b?n?fices repr?sentent

une valeur

beaucoup plus faible que ceux d'avant-guerre, de chiffre nominal

moins ?lev?, mais en marks-or.

L'industrie allemande est jet?e, elle aussi, dans la grande crise financi?re o? se d?bat l'Allemagne. Les entreprises sont expos?es au

danger d'un rapide ?puisement et ? la perte de leur ? substance ?.

L'?l?vation du prix des mati?res premi?res, la hausse des frais g?n? raux absorbent jusqu'? les an?antir les capitaux de nombreuses entre

prises. L'abus des immobilisations accentue encore l'insuffisance des

fonds de roulement. Un immense besoin de cr?dit se fait sentir. Les

banques n'y peuvent faire face avec les fonds dont elles disposent, d'autant plus que l'afflux des capitaux dans leurs caisses diminue.

Elles ne veulent pas d'ailleurs s'exposer ? ne retrouver, du fait de la

d?pr?ciation du mark, qu'une fraction des sommes pr?t?es. La p?nurie de cr?dit est si grande qu'on

ne passe plus de contrat sans demander

des versements pr?alables. Elle paralyse les progr?s techniques, res

treint la production, se traduit par le refus de commandes qui s'offrent et par une certaine parcimonie dans l'achat des mati?res premi?res ou

des produits fabriqu?s. En m?me temps, la chert? de la vie s'accro?t tellement que la puis

sance de consommation d'une grande partie de la nation est fort

r?duite. Elle provoque une fermentation g?n?rale et douloureuse dans le pays. Tandis que l'ordre ?conomique s'?branle de plus en plus, la capacit? d'absorption que repr?sentait le march? allemand se trouve en partie paralys?e. D'ailleurs, loin de r?pondre aux besoins de la

consommation, une bonne part des achats se r?duit ? une forme de

sp?culation : ? la chasse des valeurs r?elles? (Sachwerte)

? une chasse

organis?e par des gens convaincus que le prix, d?j? si ?lev?, des mar

chandises va s'?lever encore avec le dollar et soucieux de se mettre ?

Page 36: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

32 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

l'abri des cons?quences d'une banqueroute en se munissant de ? va

leurs-or?, quelles qu'elles soient. L'activit?, qui r?gne dans beaucoup

d'entreprises, ne

s'explique souvent que par cette passion d'achat.

Au point de vue commercial, elle est intense jusqu'en 1923. Le trafic

des grands ports en t?moigne ; de m?me, le nombre insignifiant des

ch?meurs.

Quoique consid?rable, la production n'arrive pas encore au niveau

de 1913. Si le nombre des individus vou?s ? l'activit? ?conomique est

sup?rieur en 1922 ? ce qu'il ?tait en 1913, leur rendement utile est

moindre ; car le travail a diminu? de dur?e et d'intensit? et une acti

vit? improductive d'interm?diaires commerciaux est d?termin?e par la sp?culation que provoque la d?pr?ciation mon?taire.

* *

Du fait de l'?tat du change, l'industrie allemande est livr?e ? des

fatalit?s fantaisistes. L'instabilit? politique et sociale, les luttes des

partis, les brusques contradictions de la politique int?rieure et ext? rieure renforcent ses angoisses.

Durant l'occupation de la Ruhr, le mark s'avilit avec une- vitesse

qui s'acc?l?re follement et donne l'impression d'un d?traquement universel. Le cours du dollar passe de 4 620 455 marks en ao?t 1923, ? 98 860 000 en septembre, 25 260 000 000 en octobre, 2 193 600 000 000 en novembre et 4 200 000 000 000 au d?but de d?cembre. La circula tion fiduciaire s'?l?ve de 2 000 milliards en janvier 1923, ? 43 183 mil liards en juillet, 669 000 milliards en ao?t, 28 millions de milliards en septembre, 2 millions et demi de trillions en octobre, plus de 400 millions de trillions en novembre. La valeur-or de ces amas de

papier se r?duit pratiquement ? z?ro. Toute la circulation fiduciaire de janvier 1923 ne suffit plus, onze mois plus tard, ? l'achat d'une c?telette. Au milieu des orgies de l'inflation, la monnaie ne r?pond plus aux besoins des transactions courantes. Ind?finiment multipli?e, elle devient inutilisable, et le num?raire manque dans un tourbillon de billets. Gouvernement, ?tats, municipalit?s, soci?t?s industrielles,

organisations agricoles, chambres de commerce sont oblig?s de cr?er

de nouveaux moyens de paiement.

Plut?t que de recevoir des marks illusoires, beaucoup d'entre

prises se refusent, ouvertement ou non, ? vendre leurs marchandises.

L'agonie du mark-papier bouleverse la vie ?conomique et conduit le

pays ? une ruine qui appara?t irr?sistible. Depuis le printemps de

1923, une sorte de vertige emporte les prix int?rieurs pour les adapter aux prix pratiqu?s sur les march?s ext?rieurs. Longtemps les premiers restent inf?rieurs aux seconds. Dans l'?t?, malgr? l'effondrement

total du mark, ils finissent par d?passer dans beaucoup d'industries

Page 37: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 33

le niveau du march? mondial. Pour ?tablir ses prix, le commer?ant ou le fabricant ne consid?re plus seulement la d?pr?ciation mon?

taire du jour m?me ; il escompte celle du lendemain. Le discr?dit de

la monnaie engendre les folies de la vie ch?re. Peu ? peu, l'?conomie

allemande r?pudie le mark comme ?talon de valeur, et les prix sont

fix?s en or ou en devises ?trang?res ; mais ils ne cessent d'?tre modifi?s et ?lev?s, malgr? leur pr?tendue valeur constante.

L'adaptation automatique des salaires ? l'indice de chert? de vie entra?ne un d?sordre effroyable. C'est ? qui, dans une course effr?n?e,

montera le plus vite : les salaires ou les prix. Dans l'ensemble, l'aug mentation des salaires est loin de compenser la d?pr?ciation du mark, et, dans la pratique, les retards apport?s aux paiements en r?duisent

la puissance d'achat. La force d'absorption que repr?sente le march?

allemand se trouve paralys?e, la vente s'arr?te ? l'int?rieur. En m?me

temps les exportations s'abaissent en d'?normes proportions, car

l'?tranger n'a plus int?r?t ? acheter en Allemagne. Les importations cessent faute de devises ?trang?res. Beaucoup d'?tablissements sont contraints de r?duire leur personnel ou de fermer leurs portes.

Le ch?mage s?vit, frappant des millions de travailleurs. Des terri toires occup?s, que tourmente la r?sistance passive, il s'?tend rapide

ment au reste de l'Allemagne avec son cort?ge d'?pouvantables mi

s?res. L'avilissement du mark a pour effet d'augmenter la demande

sur le march? du travail. Le rench?rissement contraint ? l'exercice

d'un m?tier jeunes gens, vieillards, femmes, petits rentiers..., nou

veaux prol?taires dont le nombre s'?l?ve avec la d?pr?ciation mon? taire qui fait rage.

Durant le sombre automne de 1923, qui semble ? beaucoup d'Alle mands plus dur que la guerre, l'industrie, ralentissant sa marche, semble s'acheminer vers un arr?t presque total ; le Reich glisse dans l'anarchie. Le chaos s'?panouit parmi les convulsions financi?res et

sociales.

Brusquement, tout change d'un coup. L'Allemagne op?re un r?ta

blissement vigoureux, rendu possible par le succ?s de la r?forme mon? taire. Elle retrouve un budget en

?quilibre et une monnaie s?rieuse.

Le 15 novembre 1923, le Rentenmark est institu? et, en octobre 1924, une monnaie parfaitement stable, le Reichsmark, est ?tablie.

Tout le monde ?tait d'accord pour reconna?tre que l'industrie aurait ? traverser une crise tr?s dure en cas de stabilisation mon?taire.

La d?pr?ciation progressive, puis vertigineuse du mark, a retard? cette ?preuve qu'il fallait affronter r?solument, m?nager m?me pour revenir ? un

r?gime ?conomique normal.

ANN. D'HISTOIRE. - ire ANN?E. 3

Page 38: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

34 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

Au sortir des exc?s de l'inflation, la p?riode d'assainissement a

failli, dans certains cas, devenir critique. L'arr?t de la d?pr?ciation mon?taire fixe les prix ? des taux qui d?passent souvent le niveau

mondial et provoque de graves difficult?s de d?bouch?s ; il fait

momentan?ment diminuer le volume des exportations, malgr? un

dumping avou? ou proclam? comme une dure n?cessit? par les indus triels. Il atteint les entreprises qui s'?taient multipli?es ? l'exc?s pen dant l'inflation : ? la fin de 1924, on comptait 17 074 soci?t?s par actions, au lieu de 5 486 avant la guerre, 79 257 soci?t?s ? responsa bilit? limit?e, au lieu de 26 790.

Les possibilit?s de production ne correspondent pas aux possibilit?s de vente, r?duites par l'exc?s m?me des moyens de production. L'in

dustrie n'est plus second?e par le manque g?n?ral de marchandises, comme ? l'issue de la guerre et par la mis?re du change, comme durant

l'inflation, quand chacun achetait des ? biens r?els ?. Les acheteurs,

attendant une baisse des prix, font gr?ve et leur puissance d'achat est m?diocre. Aussit?t apr?s la stabilisation, la population allemande, accoutum?e ? payer des trillions, a proc?d? durant quelques semaines au maximum d'achats, parce qu'elle ne se rendait pas compte de la

valeur effective de la monnaie nouvelle ; mais les besoins du march?

int?rieur, d?courag? par l'?normit? des prix, ont ?t? vite satisfaits.

Quoique en diminution r?guli?re depuis le d?but de 1924, le

ch?mage reste inqui?tant : en avril 1924, il est encore plus consid?rable

qu'il ne l'a jamais ?t? de janvier 1919 ? ao?t 1923. Le commerce et l'industrie doivent faire front contre la ruine. Ils

ont ? reconstituer leurs fonds de roulement. Durant l'inflation, les

entreprises les ont immobilis?s, afin d'?chapper ? la d?pr?ciation mon?

taire, en agrandissant leurs installations et en se r?fugiant dans les ? valeurs r?elles ?. Les cr?dits bancaires deviennent tr?s co?teux.

M?me les entreprises les plus solides se trouvent dans l'embarras, et non pas seulement les exploitations m?diocres n?es de la guerre ou de

l'inflation, et ayant subsist? gr?ce ? ce r?gime qui leur assurait un fonctionnement sans

risques.

Pour triompher de tant de difficult?s, l'industrie s'acharne ? r?duire ses frais de production aux d?pens de la main-d' uvre : par l'augmentation de la dur?e du travail et la compression des salaires.

L'effondrement du mark a vid? les caisses des syndicats ; l'impor tance du ch?mage rend les salari?s conscients de leur faiblesse et

impuissants en face des exigences patronales. Au nom des n?cessit?s

de la production industrielle, le patronat exploite sans m?nagement les avantages que lui assure cette situation.

Apr?s la promulgation de l'Ordonnance du 21 d?cembre 1923, qui autorise de nombreuses d?rogations au principe, th?oriquement main

tenu, de la journ?e de huit heures, les ouvriers acceptent un peu par

Page 39: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 35

tout de travailler plus longtemps. Tout en continuant de repr?senter la dur?e l?gale du travail, la journ?e de huit heures devient l'excep tion. Dans bien des cas, la modicit? des salaires permet de faire accep ter aux

employ?s un travail suppl?mentaire en

?change d'un accrois

sement souvent minime de la paye. Les plus conciliants des chefs d'entreprise n'admettaient pas que

les salaires-or de 1924 pussent ?tre sup?rieurs ? ceux de 1914. Ils se

refusaient absolument ? tenir compte de la d?pr?ciation de l'or, qui amenait des repr?sentants de syndicats ouvriers ? r?clamer une aug

mentation de 50 p. 100 sur la paye d'avant-guerre. Inf?rieurs m?me nominalement aux chiffres d'avant-guerre, les salaires ne p?sent pas alors sur l'industrie dans la m?me proportion qu'autrefois. Ils restent

faibles par rapport au prix de la vie. Toutefois la situation des classes laborieuses s'est sensiblement am?lior?e depuis la stabilisation mon?

taire qui a fortement accru la v?ritable valeur de la paye ; quand le

prix de toute denr?e s'?levait en m?me temps que le mark s'effondrait, l'argent que recevait l'ouvrier deux ou trois fois par semaine se

d?pr?

ciait, avant qu'il e?t pu ?tre converti en Sachwerte.

Au lendemain de l'?branlement qu'ont entra?n? la guerre et l'in

flation, l'Allemagne dispose de forces productives consid?rables et de richesses immobili?res accrues : ports et canaux d?velopp?s, chemins

de fer et postes munis des installations les plus modernes, puissant outillage adapt? ? une production qui pourrait ?tre sup?rieure ? celle

d'avant-guerre. Mais la production industrielle et le pouvoir d'achat

ont tous deux diminu? ; l'activit? ?conomique est faible. Cette p?riode de d?pression persiste jusqu'? la fin de 1925.

IL - LA ? RATIONALISATION ?

L'ann?e, qui ach?ve le premier quart du xxe si?cle, marque une

?tape d?cisive dans le d?veloppement ?conomique de l'Allemagne. Apr?s les lendemains de la guerre et de la r?volution, apr?s les troubles extraordinaires de l'inflation, apr?s le profond d?sastre o? l'occupa tion de la Ruhr a plong? l'industrie, apr?s la crise qui a suivi la stabili sation mon?taire, une p?riode de temps est r?volue en 1925, et une

nouvelle phase s'ouvre alors, avec un ?tat industriel o? tendent peu ?

peu ? se r?tablir l'?quilibre, le retour au prix normal des choses, un

rapport raisonnable de l'int?r?t au capital et du salaire au travail. La vie ?conomique revient ? un rythme r?gulier.

Les entreprises sentent la n?cessit? de r?former leurs m?thodes et de se

r?organiser sur une base scientifique. Une propagande ardente

et ing?nieuse est men?e pour la modernisation de l'industrie. On d?nonce le mauvais fonctionnement de son appareil productif trop

compliqu? et trop co?teux, les exc?s de son bureaucratisme, son igno

Page 40: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

36 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

ranee des m?thodes qui permettraient de diminuer le co?t de la pro duction. On Paccuse, souvent non sans injustice, d'avoir n?glig? les

perfectionnements techniques pendant les ann?es de d?pr?ciation mon?taire, d'avoir ? sommeill? sur le canap? de l'inflation ?, en s'ef

for?ant moins de d?velopper la fabrication en s?rie ou de renouveler les machines que d'agrandir les usines.

Le principe de la ?rationalisation?, qui domine d?s lors le d?ve

loppement ?conomique en Allemagne, donne aux groupements indus

triels une autre physionomie. Las de l'exploitation extensive des ann?es d'inflation, le Reich entreprend syst?matiquement d'am?liorer

l'outillage industriel et de dissoudre les organismes d?ficitaires qui ne

r?pondent plus aux besoins. Sous la pression des difficult?s ?cono

miques, beaucoup d'entreprises co?teuses sont liquid?es ox. absorb?es

par d'autres. Avec une ?nergie farouche, les houill?res de la Ruhr ren

voient les deux cinqui?mes de leur personnel. Non seulement les ?ta

blissements industriels perfectionnent leurs installations techniques, leurs conditions d'exploitation, mais ils ?tablissent la production sur

de tout autres fondements. Inspir?es de ces tendances, de larges con

centrations s'op?rent pour une r?partition judicieuse des fabrica

tions : fusion des entreprises sid?rurgiques rh?nanes-westphaliennes,

fondation de l'Union des Forges et Fonderies de Haute-Sil?sie, for

mation du trust de l'acier de l'Allemagne Centrale, trust de l'industrie

chimique...

Les efforts consid?rables entrepris dans cette voie ne s'arr?tent

pas aux fronti?res. Des perspectives nouvelles s'ouvrent. En bien des

cas la rationalisation semble devoir se confondre avec un commence

ment d'internationalisation v?ritable. L'accord sur le cartel de l'acier

est sign? ? Bruxelles le 30 septembre 1926 par les meta. ?rgies d'Al

lemagne, de Belgique, de France, du Luxembourg et de la Sarre ; il

r?partit entre elles la production atteinte durant le premier trimestre

de 1926 et fixe le pourcentage des participations pour la production

suppl?mentaire. L'accord sur la potasse est conclu le 29 d?cembre 1926

entre le Kalisyndikat et la repr?sentation qualifi?e de la production

fran?aise ; la France et l'Allemagne s'interdisent r?ciproquement toute

exportation ? destination des territoires de leur souverainet? ; les

conditions de r?partition des ventes ? l'exportation sont fix?es.

La r?organisation industrielle, inaugur?e en 1925, semble vite

devoir prendre une ampleur qui peut entra?ner la modification com

pl?te des conditions g?n?rales de la production. L'industrie se recons

titue rapidement. Son rel?vement se manifeste ? partir de 1926.

L'arr?t du travail dans les houill?res anglaises y contribue puissam ment en procurant ? l'Allemagne des d?bouch?s exceptionnels. Par

des progr?s constants, l'activit? ?conomique devient intense et, en

1927, atteint un niveau ?lev? dans presque toutes les branches de

Page 41: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 37

l'industrie. Elle est soutenue par une forte demande de la consomma

tion int?rieure, qui profite de l'am?lioration du bien-?tre g?n?ral. La production de 1927 se rapproche de celle de 1913, malgr? la

perte de l'Alsace-Lorraine, de la Sarre et de la Haute-Sil?sie polo naise ; par mois :

En 1913 : 1 397 000 tonnes de fonte ; En 1927 : 1 092 000 tonnes de fonte ; En 1913 : 1 467 000 tonnes d'acier ; En 1927 : 1 359 000 tonnes d'acier ; En 1913 : 15 842 000 tonnes de charbon ; En 1927 : 12 800 000 tonnes de charbon. Sans la crise de m?vente qui s?vit pour le charbon, l'extraction

houill?re serait beaucoup plus forte. D?j?, avec 12 800 000 tonnes, elle d?passe tous les chiffres d'apr?s-guerre :

5 193 000 tonnes en 1923 ; 9 897 000 tonnes en 1924 ; 11 052 000 tonnes en 1925 ; 12 114 000 tonnes en 1926. En 1927, elle comporte, avec 153 600 000 tonnes au total, 8300 000

tonnes de plus qu'en 1926, ann?e de la gr?ve anglaise. De m?me la pro

duction du lignite, ?un parvenu de la guerre? ? 150 806000 tonnes

? continue de progresser : de 1926 ? 1927, elle grossit de 11 700 000 tonnes ; celle des briquettes

? 34 463 000 tonnes ? s'accro?t de 2 100 000 tonnes.

La production m?tallurgique s'?l?ve remarquablement : celle de la fonte, de plus de 36 p. 100 par rapport ? 1926 ; celle de l'acier, de

pr?s de 32 p. 100 ; celle des lamin?s, de plus de 25 p. 100. L'essor est

g?n?ral. La production des filatures et des tissages de coton et de lin

passe de 90,8 en 1926 ? 116,4 en 1927 (100 ==

production de juillet 1924 ? juin 1926). La consommation industrielle d'?lectricit? de

92,2 ? 109,4 (100 = 1925). Les ventes de potasse s'?l?vent de

91 700 tonnes par mois ? 103 300 tonnes (exprim?es en potasse pure). Le trafic des chemins de fer donne des renseignements utiles sur

la production, puisqu'il est plus ou moins grand selon que la pro duction g?n?rale du pays augmente ou diminue. Les chemins de fer

transportent 434 063 000 tonnes en 1927, au lieu de 381 868 000 en

1926 et 373 009 000 en 1925. En 1927, pour la premi?re fois depuis la

stabilisation, le tonnage transport? est sup?rieur ? celui de 1913, pour un r?seau ramen? aux fronti?res actuelles. L'augmentation est de

8,8 p. 100 dans le nombre de tonnes transport?es. Elle est de 2,62 p. 100 pour le nombre de tonnes-kilom?tres :

64 887 715 000 en 1927 ; 59 016 334 000 en 1926 ; 55 965 403 000 en 1925.

Page 42: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

38 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

Le mouvement des ports n'est qu'en rapport indirect avec la pro duction du pays. Toutefois il apporte des indications pr?cieuses sur

F activit? nationale. Les chiffres concernant le tonnage net des navires entr?s et sortis

dans les ports indiquent un trafic consid?rable, sup?rieur ? celui de

1913.

Moyenne mensuelle.

? ntr?es Sorties

1913 . 2 649 000 1 986 000 1920 . 908 000 705 000

1922 . 2 005 000 1 462 000 1924 . 2 268 000 1 721 000 1925 . 2 447 000 1 910 000 1926 . 2 515 000 2 504 000 1927 . 3 137 000 2 471 000

Les exportations deviennent plus importantes qu'? aucun moment

depuis la stabilisation. D'apr?s les statistiques officielles, elles attei

gnent en 1927 une valeur de 10,2 milliards de marks (10,8 milliards

y compris les livraisons en nature faites au titre du Trait? de Ver

sailles), au lieu de 9,8 milliards en 1926, 8,8 milliards en 1925 et

10,1 milliards en 1913. En 1924, elles ne parvenaient qu'? 65 p. 100 de leur valeur d'avant

guerre ; en 1927, elles la d?passent nominalement. Il convient toute

fois de remarquer qu'avec la valeur actuelle de la monnaie, les 10 mil

liards de 1913 correspondaient environ ? 15 milliards et que, pendant les cinq ann?es qui pr?c?d?rent la guerre, l'accroissement des expor

tations fut consid?rable ? 900 millions par an, les importations

augmentant dans des proportions plus faibles : 600 millions.

D?termin?es par l'activit? industrielle, qui a besoin de l'?tranger

pour ses mati?res premi?res autres que le charbon, les importations de

mati?res premi?res grandissent en 1927 ; en moyenne, la valeur des

importations de mati?res premi?res et produits semi-manufactures

passe de 4,9 milliards en 1926 ? 7,2 milliards en 1927. Elles ont le

redoutable inconv?nient de contribuer ? accro?tre le d?ficit de la

balance commerciale, qui d?passe 4 milliards en 1927, au lieu de

3,6 milliards en 1925, tandis qu'en 1926 et avant la guerre, l'Alle

magne ?tait presque arriv?e ? l'?quilibre : le d?ficit n'?tait que de

0,7 milliard en 1913 et de 0,2 milliard en 1926 (1).

(1) Pour la p?riode d'avant-guerre, ainsi que pour les ann?es 1924-1927, on aboutit au

tableau suivant d'importations et d'exportations, en milliards de marks :

1909 1910 1911 1912 1913

Importations. 8,5 8,9 9,7 10,7 10,8 Exportations. 6,6 7,5 8,1 9 10,1

Exc?dent des importations .. 1,9 1,4 1,6 1,7 0,7

Page 43: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 39

Pour ces chiffres, particuli?rement favorables, de 1926, importa tions r?duites et exportations accrues, il faut tenir largement compte des effets du conflit minier britannique (mai-novembre) et des r?coltes excellentes de l'ann?e 1925-1926, qui ont apport? ? la balance com

merciale un all?gement pr?cieux. Gr?ce surtout ? l'afflux de cr?dits ?trangers, le ch?mage ?tait

devenu tr?s faible en 1925 : on ne secourt plus que 173 000 ch?meurs en juillet 1925 ; mais il avait regagn? du terrain en 1926. En mars 1926, il fallait secourir 1 942 000 ch?meurs. Ce chiffre effroyable s'abaisse ? 1 121 000 en mars 1927; ? 340 000 en octobre 1927. Donc, en 1927, plus d'un million d'ouvriers ont retrouv? du travail. Toujours aigu l'hiver, le fl?au se fait moins durement sentir au cours de l'hiver 1927 1928 qu'au cours des hivers pr?c?dents. Mais, tout en s'att?nuant, le

ch?mage demeure l'un des probl?mes les plus graves en face desquels l'Allemagne reste plac?e depuis la stabilisation. Beaucoup d'?cono

mistes et d'industriels sont d'avis qu'il s?vira de longues ann?es encore. D?j? l'Allemagne d'avant-guerre comptait en moyenne 100 000

et, dans les p?riodes de d?pression ?conomique, 500 000 ? 600 000 ch? meurs. Or, la main-d' uvre est beaucoup plus nombreuse qu'au

trefois, le nombre des ?sans-profession? s'?tant consid?rablement

r?duit. Robert Friedlaender estime que, par rapport ? 1913, l'Alle

magne compte en plus 4 ou 5 millions d'Allemands qui doivent cher cher ? gagner leur vie1.

III. ? La hausse des salaires

L'ann?e 1927 a ?t? pour l'industrie allemande une ann?e d'efforts, de succ?s, de rel?vement ; toutes les statistiques en font foi. Si l'on se

refuse ? leur attribuer une valeur absolue, on ne peut m?conna?tre la

janvier-juillet 1923 1924 1925 1926 1927 1928

Importations. 6,2 Exportations. 6,1 Exc?dent des importations sur

les exportations. 0,1

9,1 12,4 10 14,2 8,4 6,6 8,8 9,8 10,2 6,8

2,5 3,6 0,2 4 1,6

Avant de tirer de ce tableau des conclusions d?finitives, on notera une tendance g?n? rale des statistiques allemandes du commerce ext?rieur ? surestimer les importations et ? sous-estimer les exportations. Cette tendance, que reconnaissent les services comp?tents du Reich, ne suffit ?videmment pas pour transformer en un exc?dent des exportations sur les importations la passivit? de la balance commerciale. L'Office de statistique est d'avis qu'il convient de r?duire la valeur des importations de 5 p. 100 pour 1925, de 3 p. 100 pour 1926, 1927 et 1928, et d'augmenter seulement de 1 et demi p. 100 la valeur des exportations pour cette p?riode. Une loi du 27 mars 1928 pr?voit, pour l'?tablisse

ment de ces statistiques, des r?formes de m?thode qui doivent assurer ? l'avenir plus d'exactitude.

Pour les chiffres si d?favorables de 1923, il va sans dire qu'ils ne repr?sentent qu'une indication, puisqu'il ne s'agissait alors, avec les fluctuations continuelles des prix et du change, que de marks d?pr?ci?s dont la valeur, sans cesse modifi?e, devait ?tre calcul?e encore par l'Office de statistique.

1. Robert Friedlaender, Chronische Arbeitskrise, Berlin, 1926.

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40 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

tendance qu'elles indiquent vers une prosp?rit? g?n?rale des affaires. Les progr?s de l'essor industriel s'accentuent jusqu'? l'automne de

1927. A partir de ce moment, l'Institut pour l'?tude du mouvement ?co

nomique (Institut f?r Konjunkturforschung),^ services ?conomiques des grandes banques signalent des menaces s?rieuses qui surgissent ? l'horizon : le Reich aborde une- p?riode difficile. Au printemps de

1928, l'industrie et le commerce se trouvent arr?t?s dans leur marche

ascendante. Veulent-ils seulement reprendre haleine ? Des sympt?mes nettement d?favorables se dessinent ; une r?gression marqu?e se fait sentir dans presque toutes les branches de l'activit?. La d?pression est

manifeste dans l'industrie textile, l'industrie du v?tement, l'industrie de la chaussure. Cette derni?re est particuli?rement atteinte par la concurrence tch?que. Dans la m?tallurgie, on note un ralentissement

des commandes ; mais, comme l'industrie chimique, elle a r?ussi ?

compenser en partie les effets de l'accroissement des salaires par des

mesures de rationalisation dont tire profit l'exportation1. Il est difficile de calculer avec pr?cision le retentissement du fl?

chissement industriel sur l'?conomie g?n?rale de l'Allemagne. Elle ne

semble pas ?voluer vers une crise d?cisive et imm?diatement p?ril leuse ; elle peut encore s'acheminer vers un rel?vement progressif et

lent. Mais, malgr? la r?sistance tenace qu'opposent les forces de pro

duction, elle peut aussi s'approcher d'une nouvelle p?riode de d?pres sion, succ?dant ? une p?riode de prosp?rit?.

Le malaise grandissant d?pend surtout de l'exag?ration des prix de

produits industriels, r?sultant elle-m?me de la hausse des salaires. Les salaires, fix?s au lendemain de l'inflation mon?taire, ?taient

m?diocres. De ce fait, l'industrie allemande se trouvait privil?gi?e par

rapport ? la plupart des entreprises ?trang?res ; un avantage consid?

rable lui ?tait assur? ? cet ?gard. Des rajustements ?taient in? vitables. D?s le printemps de 1924, en m?me temps que le ch?mage diminue et que la stabilisation mon?taire rend financi?rement quel ques forces aux organisations syndicales, la pression ouvri?re fait

augmenter les salaires. Ils s'?l?vent lentement, quoique dans des pro

portions assez fortes, en 1924 et au d?but de 1925, puis marquent un

temps d'arr?t. Les arbitres officiels, qui sont les ma?tres des salaires, doivent alors constater souvent que l'industrie, aux prises avec de

s?rieuses difficult?s, ne peut supporter de nouvelles charges. La hausse reprend au d?but de 1927, elle devient plus rapide gr?ce

? l'activit? g?n?rale des affaires. Les premi?res majorations sont des

tin?es ? compenser la hausse progressive des loyers ; car, par un ?tat

de choses qui n'est pas propre ? l'Allemagne, la stabilisation mon?

1. L'Institut pour l'?tude du mouvement ?conomique estime que, ? la fin de juillet 1928. l'exportation occcupait encore 300 000 personnes de plus qu'un an auparavant.

Page 45: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 41

taire a ?t? effectu?e avant le r?glement de la question des loyers. A mesure que leur prix, longtemps d?risoire, devient normal, le co?t de

la vie augmente.

De nouvelles augmentations se produisent. Il ?tait certes naturel de supposer que la main-d' uvre participerait ainsi ? l'accroissement de la production, de m?me qu'aux ?conomies r?sultant de la r?orga nisation industrielle entreprise depuis 1925.

Les hausses de salaires ont souvent des effets bienfaisants pour l'?conomie g?n?rale. Relevant le niveau de l'existence, elles semblent devoir renforcer le march? int?rieur et sa puissance d'absorption, stimuler dans les masses populaires la demande de marchandises.

L'industrie allemande ne peut assur?ment se passer d'un march? int?

rieur, capable d'absorber et d'acheter ses produits. Elle ne pourrait vivre avec les seules exportations,

? avant la guerre, les exportations allemandes n'ont jamais d?pass? sensiblement 10 p. 100 ? 20 p. 100 de l'ensemble de la production, et on aurait tort de s'imaginer qu'un assainissement de l'?conomie g?n?rale puisse consister simplement en une compression des salaires, destin?e ? accro?tre au maximum les

possibilit?s d'exportation. Il est n?cessaire, pour la production, que l'ensemble des salari?s jouissent, dans le march? int?rieur, d'une puis sance d'achat normale.

Mais, pour que l'augmentation des salaires ait une valeur incon

testable pour la collectivit?, il importe que cette augmentation soit

pr?lev?e progressivement sur l'abaissement des prix de revient, sans

provoquer une hausse des prix et du co?t de la vie. De l'abaissement des prix de revient, d?pend l'assainissement de la production.

Or, la hausse des salaires en Allemagne se traduit par un rel?ve ment imm?diat des prix, qui frappe les consommateurs, et, en fait, annule presque l'effet social de salaires plus ?lev?s. Accordant une

augmentation de la paye ? son personnel, l'industrie mini?re et m?tal

lurgique en reporte la charge sur le consommateur ? manus manum

lav?t ? en relevant les prix du charbon, du fer, de l'acier. Les prix du charbon rh?nan-westphalien s'?l?vent d'environ 13 p. 100 dans les

r?gions o? ne s'exerce pas la concurrence ?trang?re d'autres bassins

houillers. Les prix de l'acier montent de 7 p. 100, ceux du fer en barres de 5 p. 100, ceux de la t?le de 8 p. 100. Les prix du ciment s'?l?vent. Suivant l'exemple des postes qui, d?s ao?t 1927, ont relev? les tarifs

postaux pour le trafic int?rieur, les chemins de fer augmentent leurs tarifs en octobre 1928. L'ascension des prix est plus forte encore pour les produits finis que pour les mati?res premi?res et les demi-produits : ce qui semble prouver le r?le de la hausse des salaires et des charges sociales dans l'?l?vation des prix.

Les cons?quences de cette situation sont graves : le co?t de la vie

augmente, et le consommateur ne tire aucun avantage des profits que

Page 46: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

42 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

pouvait lui apporter l' uvre p?nible de la rationalisation. Les prix conditionnent l'avenir des exportations, le meilleur prix de revient finit toujours et partout par l'emporter ; la hausse compromet la

capacit? d'exportation et les progr?s r?alis?s laborieusement par le commerce ext?rieur ; elle diminue, pour l'industrie allemande, la facult? de concurrencer la production ?trang?re.

En d?pit des ?l?vations de salaires, le march? int?rieur se con

tracte, et, par une sorte de paradoxeres industries qui d?pendent le

plus du march? int?rieur, ?

par exemple l'industrie du coton qui ne

rel?ve des exportations que pour un dixi?me environ, ? sont plus

durement atteintes par la r?traction de la demande que les industries fortement exportatrices, par exemple l'industrie des outils qui exporte presque la moiti? de sa production.

* *

Lors des discussions passionn?es qui avaient suivi en Allemagne la promulgation du plan Dawes, les adversaires de son

acceptation

affirmaient que son application compromettrait la politique sociale du Reich et abaisserait le niveau d'existence de la population. Leurs craintes semblent avoir ?t? vaines. Comme ?l?ment du prix de revient le montant des salaires repr?sente, dans le co?t de la production, une

charge croissante, ? bien plus lourde que durant l'inflation mon?

taire, o? une hausse nominale de la paye, fix?e d'apr?s la valeur du

mark ? l'int?rieur de l'Allemagne, ne compensait pas les effets de

l'effondrement de la monnaie. La stabilisation mon?taire a accru

consid?rablement la part du salaire dans le prix de revient, et cette

part est devenue, dans la plupart des industries, beaucoup plus forte

qu'avant la guerre.

Nous nous en tiendrons ? cette constatation d'ordre purement

?conomique. Il est incontestable qu'au point de vue social l'augmen

tation des salaires ?tait justifi?e dans bien des cas, et nous ne songeons

pas ? ?tudier ici, de ce point de vue, les sacrifices consentis au mieux

?tre des travailleurs, ni ? rechercher ce qu'ils repr?sentent par rapport

au co?t de la vie. Dans les ?ternelles discussions qui mettent aux

prises patrons et ouvriers, il est d'ailleurs presque impossible de recon

na?tre exactement la valeur r?elle des salaires pour la chert? de vie,

avec le pouvoir d'achat qu'ils apportent comme mesure du revenu de

l'ouvrier et de son bien-?tre ?conomique.

Nous pourrions nous contenter d'un exemple que nous emprun

tons ? un de nos compatriotes, technicien eminent, excellemment

plac? pour traiter cette d?licate question avec une comp?tence indis

cutable. Dans un magistral rapport adress? le 1er juin 1928 ? la Com

Page 47: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 43

mission des R?parations1, M. Gaston Leverve, Commissaire des Chemins de fer allemands, constate qu'? cette date le revenu annuel

moyen d'un agent des chemins de fer est de 3 855 marks, au lieu de 2 110 en 1913 ; le traitement actuel ?quivaudrait donc ? 183 p. 100 du traitement d'avant-guerre. Or, une somme de 100 marks avait, avant la guerre, ? peu pr?s le m?me pouvoir d'achat qu'une somme de

150 marks aujourd'hui. Le traitement d'un agent des chemins de fer a donc un pouvoir d'achat qui correspond ? 121 p. 100 du traitement

d'avant-guerre. Il convient d'ailleurs de remarquer que, si pour les classes sup?

rieures du personnel l'augmentation des traitements reste sensible

ment en dessous de cette moyenne g?n?rale, elle la d?passe fortement

pour les classes inf?rieures. Entra?n?e par une tendance naturelle aux

d?mocraties nouvelles, la politique pratiqu?e jusqu'en 1920 tendait au nivellement des salaires par la base. Pour les ouvriers travaillant

au chemin de fer, le prix de l'heure de travail a doubl?. Avant la

guerre, elle ?tait pay?e 42 pf. en moyenne ; elle est r?tribu?e d?sor mais ? raison de 84 pf. Pour un indice du prix de la vie de 150,7, le

salaire d'une heure de travail ?quivaut, en pouvoir d'achat, ? 132,5 p. 100 du salaire de 1913.

On pourrait, il est vrai, objecter qu'avant la guerre les salaires

?taient assez bas dans les chemins de fer, en comparaison des autres

branches de l'activit? allemande ; l'administration utilisait l'absence

de droit syndical et les aspirations bureaucratiques d'une partie des

agents du chemin de fer, pour maintenir les salaires ? un niveau peu

?lev?. Cette objection n'est pas valable pour les simples ouvriers tra

vaillant au chemin de fer.

Elle l'est encore moins pour les mineurs, puisqu'au contraire leur

r?mun?ration se trouvait presque au sommet de la ? pyramide des

salaires? et marquait un maximum de r?tribution du travail. Le

piqueur de la Ruhr, qui, en 1913, gagne par jour 6 m. 92, gagne, en

1924, 7,51 ; en 1925, 8,50 ; en 1926, 9,14 ; en 1927. 9,76. Pour l'heure

de travail, r?tribu?e, en mars 1924, 0 m. 60, il re?oit, en mai 1928, 1 m. 03. Le syndicat des houill?res d'Essen affirme que. de 1924 ?

1928, huit ?l?vations de salaires ont accru de plus d'un milliard de

marks les charges impos?es aux charbonnages de la Ruhr.

L'Office de statistique constate qu'avec les salaires pratiqu?s

depuis le printemps de 1928 ? augmentation de 7 p. 100 environ ?

les travailleurs du sous-sol ont, par rapport ? 1913, un salaire sup?

rieur de 48,4 p. 100 et les travailleurs du jour de 72,9 p. 100.

?tablissant une moyenne g?n?rale des salaires pour les grandes

industries, l'Office de statistique estime que l'heure, pay?e 77,8 pf.

1. Rapport n? 7 du Commissaire des Chemins de fer allemands, Berlin, 1928.

Page 48: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

44 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

en janvier 1925, l'?tait 92,5 en janvier 1926, 93,2 en janvier 1927,101 en janvier 1928, 106,1 en juin 1928, 110,9 en ao?t 1928. Pendant ce

temps, l'indice du co?t de la vie a suivi l'?volution suivante :

Moyenne 1925. 139,8 ? 1926. 141,2 ? 1927. 147,6

Janvier 1928. 150,8

F?vrier ? . 150,6

Mars ? . 150,6

Avril 1928. 150,7 Mai - . 150,6

Juin ? . 151,4

Juillet - . 152,6

Ao?t ? . 153,5

Ainsi que nous avons eu l'occasion de le signaler, la hausse de l'indice du co?t de la vie s'explique en partie par la hausse des loyers, soumis ? une stricte r?glementation.

Le patronat rend ?galement responsable de la vague de hausse, qui emporte les salaires, l'intervention gouvernementale dans le fonc tionnement de la vie ?conomique. Les institutions officielles d'arbi

trage s'appliquent ? la solution amiable des a?saccords entre patrons et ouvriers et, par une conciliation m?thodique, veulent emp?cher le choc brutal d'int?r?ts oppos?s. En g?n?ral, elles croient ?quitable

d'accorder aux ouvriers une part de ce que demandent leurs syndicats et ainsi, d'apr?s le patronat, encouragent les organisations ouvri?res

? formuler sans cesse de nouvelles exigences. Pendant huit ans, depuis le cabinet Fehrenbach-Simons, en 1920,

jusqu'? l'av?nement du cabinet Hermann M?ller, en juin 1928, un

pr?tre catholique, l'abb? Brauns, Ministre du Travail, a ?t? ainsi le ma?tre presque absolu des conditions du travail de toute l'industrie allemande.

IV.? R?sultats et pr?visions

Hausse du niveau des prix, baisse du mouvement g?n?rai des affaires : il y a l? une situation ?videmment singuli?re, qui ne peut se

prolonger que parce que la d?pression ?conomique reste mod?r?e. Les

espoirs, sans doute t?m?raires, con?us avec la rationalisation, n'ont

pu ?tre enti?rement r?alis?s x. On ne pouvait en attendre un miracle financier. Les mesures de rationalisation ont exig? d'importantes

mises de fonds, qui ont co?t? cher ? une industrie d?j? surcharg?e de dettes. Les capitaux allemands ne lui suffisant pas, elle a eu recours

aux capitaux ?trangers et les emprunts ext?rieurs ont ?t? contract?s ? un taux ?lev?. Ils restent indispensables pour l'avenir malgr? les

progr?s de l'?pargne nationale.

1. Cf. Bruno Birnbaum : Organisation der Rationalisierung : Amerika-Deutschland, Berlin, 1927.

Page 49: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 45

L'industrie allemande continue ? c'est l? son c?t? vuln?rable ?

? souffrir du manque de fonds de roulement; la hausse des salaires absorbe les disponibilit?s qui se cr?ent et elle emp?che la r?duction des frais g?n?raux.

Ainsi la r?organisation industrielle n'atteint pas son but essentiel :

l'abaissement du co?t de la production. Dans une p?n?trante ?tude consacr?e ? la politique financi?re de l'Allemagne1, le professeur

M. Bonn se demande am?rement si c'est vraiment un succ?s de la

rationalisation, entreprise avec force capitaux ?trangers, que de faire

appara?tre des ?l?vations de prix dans la m?tallurgie, ? ? une indus

trie qui, apr?s la guerre, a proc?d? ? une premi?re rationalisation

gr?ce aux indemnit?s re?ues de l'?tat, une industrie qui a tir? profit de l'inflation par l'amortissement de ses dettes et l'?tablissement de salaires minimes, une industrie qui, gr?ce ? la prohibition d'exporta tion des ferrailles, a dispos? d'avantageuses mati?res premi?res, une

industrie enfin qui a exerc? sur le march? int?rieur un monopole ?

Taide ues cartels et du protectionnisme?. Pourtant la rationalisation est loin de n'avoir eu que des effets

n?gatifs ; elle est tr?s avanc?e dans beaucoup d'industries ; son

importance ?conomique et technique pour l'Allemagne, et pour l'ave

nir surtout, est consid?rable. On aura une id?e des progr?s accomplis en

parcourant une r?cente publication de la Reichskreditgesellschaft2 qui a group? les renseignements fournis ? ce sujet par les rapports de soixante-dix grandes soci?t?s allemandes, dont le bilan annuel global d?passe 37 milliards de marks.

Am?liorations mat?rielles apport?es aux exploitations, sp?cialisa tion de la production, r?organisation de la vente, accroissement du

rendement ouvrier ; dans tous ces domaines, des r?sultats remar

quables ont ?t? obtenus par les principales industries gr?ce ? une

action m?thodique. Sans doute, le succ?s n'est pas ?gal pour toutes

les branches de l'activit? ; mais partout c'est le m?me spectacle et aux efforts, qui ne sont pas m?nag?s, r?pondent des r?alisations favo

rables, parfois impressionnantes. Deux exemples vaudront mieux qu'une accumulation de faits et

de chiffres. Dans les houill?res rh?nanes-westphaliennes, le rende ment ouvrier a doubl? depuis 1922 et d?passe de 20 p. 100 les

chiffres de 1913 : 943 kilogrammes par jour en 1913, 550 en 1922, 1128 en 1928. Dans la m?tallurgie de la Ruhr, l'ouvrier qui fabri

quait par jour 940 kilogrammes de fer en 1913,622 en 1922, en fabrique 840 en 1925, 1 017 en 1926. Le professeur Julius Hirsch, qui a ?t?

secr?taire d'?tat au Minist?re de l'?conomie publique de 1919 ? 1922,

1. Befreiungspolitik oder Beleihungspolitik, Berlin, 1928. 2. Deutschlands -wirtschaftliche Entwicklung im ersten Halbjahr 1927, Berlin, 1928.

Page 50: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

46 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

a raison de remarquer que de pareils progr?s, en si peu d'ann?es,

peuvent faire ? l'?tonnement du monde?1. Ils m?ritent aussi de donner pleinement confiance dans l'avenir de

la production allemande. Elle est anim?e par un esprit de recherche

scientifique qui para?t encore plus ardent qu'autrefois, au moins pour la tension de la volont? et la vari?t? des initiatives. Les illusions elles

m?mes poussent ? l'action, les r?ves sont accompagn?s d'effets. Une oeuvre ?nergique est entreprise notamment pour tirer des mati?res

premi?res existant ? l'int?rieur du pays d'autres mati?res premi?res qu'on ne

pouvait jusqu'alors se procurer qu'? l'?tranger. Par sa t?na

cit?, elle suscite pour le p?trole de vives esp?rances et elle est couron

n?e de succ?s pour les produits azot?s : d?s 1926, la valeur de la fabri

cation, si r?cente, d'engrais azot?s est estim?e ? un demi-milliard de marks. Ce mouvement national de lib?ration ?conomique enthou

siasme les jeunes gens, qui entendent dans les universit?s et les ?coles

techniques d?clarer que ? le Reich se sauvera par la t?te ? et que, repre nant le d?sir supr?me de Faust, il doit ?tendre en avant dans un constant effort ?.

Aussi l'importance de l'industrie appara?t-elle de plus en plus pr? dominante et l'aspect le plus remarquable de l'Allemagne d'apr?s guerre est ?videmment son d?veloppement industriel, ce qu'on peut appeler sa surindustrialisation, qui pousse certains Allemands ? ?tre hant?s par l'id?e de devenir les ? Am?ricains de l'Europe ?. Depuis 1925, l'ensemble de la production est nettement sup?rieur ? ce qu'il ?tait avant la guerre et, en 1928, on estime que l'appareil d?passe de 40 p. 100 la capacit? de 19132. D'apr?s le recensement du 15 juin 1925, il a ? son service 12 238 765 individus, soit 41 p. 100 des Alle

mands qui exercent une profession 3.

L'industrie allemande s'est vite remise des secousses fi?vreuses

que lui ont inflig?es une s?rie d'?preuves : la d?faite, la r?volution, une inflation intol?rable. Toujours plus puissante, elle travaille et

cr?e, augmente inlassablement et groupe ses ?nergies productrices,

d?veloppe le capital traditionnel que lui valent l'habitude de la disci

pline, un sens eminent de l'organisation et de l'adaptation

aux circons

tances, une information ?conomique toujours au courant, enfin l'au

dace, une audace ing?nieuse, que rien ne contente et qui, assur?ment, ne va pas sans

risques tumultueux.

Maurice Baumont.

(Gen?ve.)

1. Die Bedeutung der Rationalisierung f?r das deutsche Wirtschaftsleben, Berlin, 1928, p. 66.

2. Axel Schindler, Grundfragen der deutschen Handelspolitik, Berlin, 1928, p. 89. 3. L'agriculture en comprenant 30,5 p. 100 et le commerce 16,5 p. 100. L'Institut

pour l'?tude du mouvement ?conomique estime que, deux ans plus tard, le nombre des Allemands qui exercent une profession s'est accru de 2 ? 3 p. 100 ; la production s'est ?lev?e de 7 ? & p. 100.

Page 51: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'ACTIVIT? INDUSTRIELLE DE L'ALLEMAGNE 47

NOTE BIBLIOGRAPHIQUE

Io Statistiques, rapports officiels, p?riodiques

Toute ?tude consacr?e ? l'activit? industrielle de l'Allemagne est fond?e essentielle ment sur les publications statistiques : en premier lieu, le Statistisches Jahrbuch fur das Deutsche Reich, publication annuelle de l'Office de statistique du Reich ; en second lieu, la revue Wirtschaft und Statistik, publication bi-mensuelle de l'Office de statistique.

Des renseignements pr?cis sur le d?veloppement de la situation ?conomique sont contenus dans des rapports, souvent volumineux, de caract?re plus ou moins officiel : bulletins mensuels, que publie le Minist?re du Commerce prussien, d'apr?s les infor mations des chambres de Commerce ; rapports semestriels que, depuis 1925, l'agent g?n?ral des paiements de r?parations adresse ? la Commission des R?parations au sujet de l'application du plan Dawes ; rapports semestriels de la Reichskreditgesellschaft (Deutschlands wirtschaftliche Entwicklung)...

Parmi les p?riodiques qui fournissent des informations particuli?rement utiles pour l'?tude de l'industrie allemande, on se contentera de signaler : le Reichsarbeitsblatt, organe

hebdomadaire du Minist?re du Travail; les Vierteljahrshefte zur Konjunkturforschung, publi?s depuis 1926 par l'Institut f?r Konjunkturforschung ; le Magazin der Wirtschaft, qui para?t chaque semaine depuis 1925 ; le Weltwirtschaftliches Archiv, publication tri

mestrielle de l'Universit? de Kiel ; le Wirtschaftsdienst, publication hebdomadaire de l'Universit? de Hambourg ; les mensuels Jahrb?cher fur National?konomie und Statistik.

2? Ouvrages

a) Pour la p?riode d'inflation mon?taire, la bibliographie est particuli?rement abondante ; nous mentionnerons simplement quelques ouvrages class?s d'apr?s la date de publication :

Sering (M.) : Das Friedensdiktat von Versailles und Deutschlands wirtschaftliche Lage, Berlin, 1920. ? Deutschlands -wirtschaftliche Lage (M?moire officiel), Berlin, 1920. ?

Brauns, Heinrich : Lohnpolitik, M?nchen-Gladbach, 1921. ? Brauer, Th. : Lohnpolitik

in der Nachkriegszeit, lena, 1922. ? M. Berthelot, M. Baumont : L'Allemagne : Len demains de guerre et de r?volution, Paris, 1922. ?

Lichtenberger, Henri : L'Allemagne d'aujourd'hui dans ses relations avec la France, Paris, 1922. ? Beckerath (Herbert von) : Kr?fte, Ziele und Gestaltungen in der deutschen Induslriewirtschaft, Karlsruhe, 1922. ?

Mering, Otto von : Ertragnisse deutscher Aktiengesellschaften vor und nach dem Kriege, Berlin, 1923. ? Deutschlands Wirtschaftslage unter den Nachwirkungen des Weltkrieges, Berlin, 1923 (M?moire officiel). ?

Schultze, Ernst : Not und Verschwendung ; Untersu chungen ?ber das deutsche Wirtschaftsschicksal, Leipzig, 1923. ? Deutschlands Wirtschaft,

W?hrung und Finanzen, Berlin, 1924 (M?moire officiel). ?

B?cher, Hermann : Finanz und Wirtschaftsenlwicklung Deutschlands in den Jahren 1921-25, Berlin, 1925, ? Ver meil, Ed. : L'Allemagne contemporaine (1919-1924). Sa structure et son ?volution poli tique, ?conomique et sociale, Paris, 1925. ?

Lewin30hn, Richard : Histoire de l'infla tion ; le d?placement de la richesse en Europe (trad.), Paris, 1926. ?

Giustiani, Gaston : Le commerce et l'industrie devant la d?pr?ciation et la stabilisation mon?taire ; l'exp?rience allemande, Paris, 1927.

b) Pour la p?riode ? post-inflationniste ?, on peut citer : M. I. C. U. M. : Situation de l'industrie allemande au d?but de juillet 1924, D?sseldorf

1924. ? Simon, I?. F. : Reparation und Wiederaufbau, Berlin, 1925. ?

Harms, Bernhard Die Zukunft der deutschen Handelspolitik, lena, 1925. ?

Berger, Ernst : Arbeitsmarktpo litik, Berlin, 1926. ?

Dawson, Ph. : Germany's Industrial Revival, London, 1926. ?

Handbuch der deutschen Wirtschaft, 1927 (Der volks- und privat wirtschaftliche Aufbau Deutschlands und seine technischen Grundlagen, Berlin, Lepzig, 1927. ?

Beckerath H. von : Reparationsagent und deutsche Wirtschaftspolitik, Bonn, 1928.? Die Bedeutung der Rationalisierung f?r das deutsche Wirtschaftsleben (Publication de la chambre de Commerce de Berlin), Berlin, 1928.

Page 52: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LE PROBL?ME DE LA POPULATION EN U. R. S. S.

Le 17 d?cembre 1926 a eu lieu le recensement g?n?ral de la popula tion de l'U. R. S. S. Cette op?ration consid?rable pr?par?e de longue

main par l'administration centrale de la statistique a fourni sur le

mouvement de la population des renseignements extr?mement int? ressants 1.

En partant des donn?es du recensement de 1926, la statistique russe ?value, en chiffres ronds, la population totale de l'Union sovi?

tiste, au 1er janvier 1927, ? 147 millions d'habitants. Cette masse

humaine constitue environ la treizi?me partie de la population totale du globe ; c'est donc l? un groupement d'une importance qu'on ne

saurait exag?rer, d'autant plus qu'il s'accro?t avec une rapidit? ?tonnante.

Si l'on remonte au recensement de 1897 et qu'on laisse de c?t? la

population des territoires d?tach?s depuis lors de l'empire russe, on

voit que la population du territoire actuel de l'U. R. S. S. s'?levait ?

107 millions d'habitants environ. Ainsi, en trente ans, l'accroissement a

?t? de 40 millions d'habitants ? plus de 37 p. 100 du total ? et cela

malgr? les pertes ?normes dues ? la guerre, ? la r?volution et ? la

famine.

Pour avoir une id?e plus pr?cise de la vitesse avec laquelle s'accro?t

cette population, nous passerons en revue successivement les deux

p?riodes ? normales ? comprises dans ce laps de trente ans : 1897-1914

et 1922-1927.

Prenons d'abord la p?riode 1897-1914. D'apr?s les statistiques russes, il appara?t qu'il y avait, en 1914, sur le territoire actuel de

l'U. R. S. S., 140 millions d'habitants. En dix-sept ans, l'accroissement

avait donc ?t? de 33 millions correspondant ? un taux d'accroisse

ment annuel de 1,6 p. 100. Ce taux d'accroissement peut ?tre consi

d?r? comme relativement ?lev?, puisqu'il d?passe les chiffres ana

logues pour l'Angleterre en 1880 et pour l'Allemagne en 1900. Avec

cette acc?l?ration, la population du territoire qui nous int?resse se

serait ?lev?e en 1930 ? 180 millions environ, c'est-?-dire au moins

autant que l'ensemble de la population de l'ancien empire russe en

1. Il convient naturellement de faire des r?serves sur l'exactitude absolue des r?sul tats encore pr?alables du recensement. Pour certaines r?gions ?loign?es de l'extr?me Nord

Est, les recenseurs ont d? errer plusieurs mois ? la recherche des tribus nomades ; il est ?vident que dans ces conditions on ne peut tabler sur une exactitude rigoureuse, mais, ?tant donn? que les possibilit?s d'erreur sont presque toutes concentr?es sur les chiffres

relatifs aux r?gions semi-d?sertiques, il n'est pas imprudent de se servir de ces donn?es

pr?alables pour en tirer quelques conclusions- g?n?rales.

Page 53: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LE PROBL?ME DE LA POPULATION EN U. R. S. S. 49

1914, et cela malgr? la s?paration de pays comme la Pologne, les ?tats

baltes, la Finlande, la Bessarabie.

Mais la guerre et la r?volution sont survenues et ont creus? dans la population russe une br?che ?norme. D'apr?s le recensement partiel de 1920, la population n'?tait plus ? cette ?poque que de 134 millions ; bien plus, au milieu de 1922, apr?s la terrible famine de 1921, ce chiffre

tombait ? d'apr?s des ?valuations ? ? 132 millions. Ceci correspond

? une diminution absolue de 8 millions en sept ans ; mais, comparative ment ? ce que devait ?tre le chiffre de la population par le jeu de l'ac

croissement normal (159 millions), la perte relative ressort ? 27 mil lions. Sur ces 27 millions la part due ? l'augmentation des d?c?s

peut encore ?tre ?valu?e ? une certaine approximation pour la p?riode de guerre ext?rieure : 2,5 millions tu?s au front ; 2,2 millions de d?c?s

parmi la population civile en plus de la normale ; 1,5 millions de sol dats morts ? la suite de blessures. Pour la p?riode de guerre civile l'?valuation est beaucoup plus d?licate. Suivant les r?gions, le coeffi cient de mortalit? variait dans des proportions ?normes : ? Leningrad, en 1918, le coefficient de mortalit? par 1 000 habitants ?tait de 43,7 ; en 1919, de 72,6 ; en 1920, de 50,6 (au lieu de 26,3 en 1912-13). A

Moscou, il ?tait de 28 p. 1 000 en 1918 ; 45,1 en 1919 ; de 46,2 en 1920

(au lieu de 23,1 en 1910-14). En province, en 1920, le coefficient de mor talit? variait de 30 ? 50 p. 1 000, au lieu de 26 ? 30 en 1914. ?valuons ainsi ? sous toutes r?serves ? l'accroissement de la mortalit? ? un tiers ; nous obtenons de 1918 ? 1922 un exc?dent de d?c?s de 6,5 mil lions environ. Au total, de 1914 ? 1922, le nombre des d?c?s aurait

d?pass? la normale de 12,7 millions (2,5 millions tu?s + 1,5 millions bless?s + 2,2 + 6,5 millions civils = 12,7 millions).

Il s'ensuivrait que le manque ? gagner par suite de la diminution des naissances aurait ?t? de 27 ?

12,7, soit 14,3 millions. Pour la

p?riode de guerre ext?rieure certains auteurs ?valuent cette diminu tion ? 1,3 millions. Ce chiffre n'a rien d'excessif si l'on s'en tient aux donn?es relatives ? Moscou et ? Leningrad, qui font ressortir la dimi nution de la natalit? ? un quart environ. Reste un d?ficit de 6 millions de naissances ? reporter sur la p?riode de 1918 ? 1922. Quoi qu'il en

soit, admettons le chiffre de 132 millions pour le chiffre de la popula tion en 1922.

Depuis lors il y a eu une augmentation de 15 millions en cinq ans ; cela correspond ? un accroissement annuel de 2,2 p. 100. Ce dernier chiffre est particuli?rement impressionnant si l'on remarque que dans ces conditions une

population doublerait en trente ans. Mais peut-?tre

y a-t-il eu un rel?vement brusque au d?but de cette p?riode apr?s le retour des hommes mobilis?s, par suite de la d?tente morale et phy sique cons?cutive aux horreurs de deux guerres ext?rieure et int?rieure,

par suite aussi du fait que les individus faibles ayant ?t? ?limin?s par ANN. D'HISTOIRE. ? l1? ANN?E. 4

Page 54: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

50 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

la guerre et la famine, il ne restait plus que les plus r?sistants..., tous

ph?nom?nes dont le r?sultat a ?t? dans presque tous les pays un rel?

vement de la natalit? et un abaissement de la mortalit?. Eh bien non !

cette moyenne de 2 p. 100 et plus, nous la retrouvons sur toute une

s?rie d'ann?es. Voici des chiffres pour la R. S. F. S. R.

Naissances D?c?s Exc?dent

1913 . 45,5 29,4 16,1 1924 . 43,39 24,11 19,28

1925 . 45,52 25,15 20,37 1926 . 44,10 21,41 22,09

Voici encore une s?rie un peu diff?rente pour l'Ukraine :

1925 . 41.5 20,4 21,1 1926 . 38,3 18,2 20,1 1927 . 40,5 17,8 22,7

Ainsi, loin de se ralentir, l'accroissement de la population aurait

plut?t une tendance ? s'acc?l?rer et cela dans toutes les r?gions *.

Ces diverses donn?es confirment donc que, pour le moment, le taux

d'accroissement de la population russe est plus ?lev? qu'avant la

guerre et probablement que partout ailleurs dans le monde. M?me en

admettant que les ?valuations pour 1914 soient trop faibles, on ne peut n?anmoins expliquer uniquement par des erreurs d'?valuation cette dif f?rence entre les deux coefficients : 1,6 et 2,2. On ne peut pas non plus

l'expliquer par le seul rel?vement de la natalit? qui reste ? peu pr?s au m?me niveau qu'avant la guerre, comme on a pu s'en convaincre

plus haut. Le rel?vement de l'exc?dent est d? pour la plus grande part ? la diminution de la mortalit?, notamment de la mortalit? infantile. La diminution de la mortalit? g?n?rale est la cons?quence du d?ve

loppement des services d'hygi?ne et de la m?decine pr?ventive entre

pris au moment des grandes ?pid?mies cons?cutives ? la famine de

1921. D'apr?s les donn?es du Commissariat de la sant? publique, le

1. Dans quarante et un d?partements observ?s, l'accroissement p. 1000 varie comme suit :

lccroiss?meol (poor 1000) <02i ?925 19!6

De 7,6 ? 10 . 2 ? 10 ? 12,5. 2 1 12,6 ? 15 . 7 1 1 15,17 ? 17,5. 5 10 17,6 ? 20,5. 10 7 6 20,6 ? 22,5. 9 12 12 22,6 ? 25 . 5 5 13 25,1 ? 27,5 ....,. 1 5 5 27,6 ? 30. ? ? 3 30,1 ? 32,5. ? ? 1

41 41 41

Page 55: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LE PROBL?ME DE LA POPULATION EN U. R. S. S. 51

nombre des morts par ?pid?mies sur 10 000 habitants a vari? de Ja

fa?on suivante :

_ Typhus _

exanth?matique r?current intestinal Variole

1913 . 7,3 1,9 26,6 4,4 1926 . 3,8 1,0 8,8 1,1

1927 . 2,7 0,4 9,6 0,9

Fait consid?rable, le chol?ra a pour ainsi dire disparu. La morta lit? infantile a baiss? de 26 p. 100 en 1913 ? 18,7 en 1926, (la diminu tion a m?me ?t? de 50 p. 100 ? Moscou). Cette diminution est en partie ? reporter sur le fonctionnement des assurances sociales qui rendent

moins lourd pour une famille de travailleurs le fardeau des soins ? donner ? l'enfant en bas ?ge.

Quelles que soient les raisons de cet accroissement, on ne peut en

tout cas fermer les yeux sur ce ph?nom?ne dont les cons?quences poli

tiques, ?conomiques et sociales ne peuvent ?chapper ? personne. En

effet, dans dix ans, si ce taux d'accroissement se maintient, l'Union sovi?tiste compterait 30 millions d'habitants de plus : une nouvelle

grande puissance ! Si l'on transpose ce chiffre sur un empire de 450 mil lions d'habitants comme l'empire britannique, l'accroissement corres

pondant serait de 90 millions ; il serait de 24 pour l'empire fran?ais. Mais cet accroissement pourrait ?tre accidentel, provenir de cir

constances particuli?res. ?videmment cela est possible ; mais le ph? nom?ne actuel cadre trop bien avec toute l'histoire du peuple russe, pour qu'une telle explication puisse nous satisfaire. Il est un peu aven

tureux de remonter au del? du recensement de 1897. Cependant les chiffres des revisions, qui servaient principalement ? ?tablir l'assiette de l'imp?t, donc visaient ? une certaine exactitude, indiquent que l'empire des Tzars, qui comptait, en 1724, 13 millions d'habitants, en

avait, en 1762,19 millions ; en 1796, 36 millions ; en 1815, 62 millions ; en 1851, 69 millions. Remarquons de suite que ces chiffres illustrent

plut?t le d?veloppement politique de la puissance russe que le d?ve

loppement d?mographique ? strictement parler, car une partie de

l'accroissement, au cours des si?cles pass?s, correspond ? l'extension du

territoire soumis ? la dynastie des Romanov. Cependant il y a un

rapport certain entre ce d?veloppement politique et le peuplement des territoires. La masse russe, d'abord concentr?e dans l'Ouest et le

Nord-Ouest, s'est peu ? peu ?tal?e vers le Sud-Est et l'Est. Les annexions occidentales ont certes un peu modifi? la proportion de

l'accroissement, mais sans la changer profond?ment. Ainsi en deux si?cles la population de l'empire russe a plus que

d?cupl?, ce qui correspond ? un accroissement annuel moyen de plus de 1 p. 100.

Page 56: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

52 ANNALES D'HISTOIRE ECONOMIQUE ET SOCIALE

Compte tenu de tous les ?v?nements, guerres, famines..., qui ont

pu arr?ter l'accroissement de la population au cours des deux derniers

si?cles, cela prouve que le peuple russe a toujours fait preuve ? ce

point de vue d'une vitalit? remarquable. Cette forme de vitalit? se

manifeste encore, et de plus en plus, semble-t-il, ? l'heure actuelle. Il

faut donc l'admettre et chercher ? en deviner les cons?quences. A la premi?re question qui vient ? l'esprit : Y a-t-il de la place en

Russie pour tout ce monde ? la r?ponse semble ?vidente. Actuelle ment la population de l'Union sovi?tiste est encore ? en moyenne

?

fort clairsem?e, si l'on compare sa densit? kilom?trique ? celle des puis sances europ?ennes. Qu'est-ce

en effet qu'une densit? de 6,9 au kilo

m?tre carr? ? c?t? des 256 de la Belgique, des 134 de l'Allemagne, voire des 74 de la France ? Bien peu ?videmment. Mais une telle com

paraison nous semble peu logique. Ne serait-il pas plus juste de com

parer ? TU. R. S. S. les grandes puissances, colonies comprises ? Pour

l'empire britannique la densit? de population n'est plus alors que de

13, celle de l'empire fran?ais de 7,7. Par ce simple reclassement de valeurs le probl?me se trouve tout autrement mis en lumi?re. Les

quelques consid?rations qui vont suivre vont encore accentuer ce

changement de plan. Tout d'abord, que signifie cette densit? moyenne de 6,9, que nous

venons de citer ? Ce n'est qu'une moyenne autour de laquelle les den sit?s locales varient tellement qu'il est difficile d'en faire usage.

Dans le tableau suivant nous avons group? les r?gions suivant la densit? de la population.

Superficie Population (milliers de (milliers Densit? kil. carr?s) d'habitants)

I. R?gion ? tr?s faible population. ? ? ?

a) R?gion septentrionale glac?e .. 6 446 2 078 0,3

b) R?gion centrale semi-d?sertique 3 646 8 515 2,3 c) Sib?rie centrale et orientale ... 6 621 5 580 1,1

16 713 16 173 1,03 II. R?gion ? population restreinte.

a) Nord-Ouest (Leningrad) . 349 7 420 21 b) Oural et pr?-Oural (sauf Tobolsk) 905 12 944 14

c) Volga moyenne et inf?rieure ... 655 15 769 24

d) Crim?e et Caucase septentrional 318 9 077 28

e) Transcaucasie. 184 5 850 32

/) Uzbekistan. 340 5 270 15,5 g) Sib?rie occidentale. 578. 5 241 9,1

3 329 61 571 18,5 III. R?gion ? population dense.

a) Russie occidentale (Smolensk) . 226 9 282 41

b) R?gion centrale (Moscou). 611 30132 50

c) Ukraine. 452 29 020 64,2 1289_ 68 434 53

Page 57: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LE PROBL?ME DE LA POPULATION EN U. R. S. S. 53

Si l'on regarde une carte de l'U. R. S. S., sur laquelle des points noirs indiquent les groupes de 10 000 habitants, on aper?oit tout

d'abord une forte tache noire ? l'Occident ; puis la tache s'estompe

rapidement en direction de l'Est, un peu moins rapidement vers le

Nord-Est, o? l'on rencontre encore une forte tache ? celle de la

r?gion centrale industrielle?et vers le Sud-Est, o? l'on trouve aussi des

s?ries de taches le long de la mer d'Azov et sur les deux flancs du

Caucase. En Asie, nous trouvons deux lignes de peuplement bien moins marqu?es qu'en Europe, Tune en Transcaucasie, au Sud de la

mer d'Aral, l'autre en Sib?rie occidentale, loin dans le Nord-Est de la mer d'Aral et se prolongeant par une s?rie de points clairsem?s en

direction du Pacifique. Par cons?quent, en dehors de la r?gion occi dentale qui, nous le verrons plus loin, peut ?tre consid?r?e comme

suffisamment peupl?e, il reste encore pour l'essaimage de la population toute la r?gion pr?-asiatique et surtout la Russie d Asie. Ce mouve

ment de la population vers l'Est ne serait du reste que la continuation du processus constat? au cours des si?cles pass?s. Jusqu'au xvie si?cle, le peuple russe a servi de tampon ? la civilisation occidentale contre les invasions asiatiques. Pendant le xive et le xve si?cle, les

principaut?s ont vu se replier les populations qui vivaient jusque-l? tant bien que mal ? c?t? des Mongols et des Tartares. Ce n'est qu'? la fin du xve si?cle que commenc?rent ? se constituer des marches mili taires pour prot?ger la r?gion centrale de la Russie d'Europe. Or, au xvie si?cle, cette ligne de d?fense militaire passait grosso modo par Kiev, Toula et Nijni-Novgorod, c'est-?-dire laissait au Sud-Est pres

que une moiti? de la Russie d'Europe. Au si?cle suivant, une fois finie la ? p?riode de troubles ?, la colonisation s'?tendit toujours plus vers

l'Est et le Sud-Est. Il ne restait plus ? cette ?poque en Russie d'Eu

rope qu'une r?gion ? peu pr?s vierge qui s'?tendait au Sud-Est de la ligne Odessa-Samara. En m?me temps que s'op?rait cette avance

vers le Sud-Est, d'autres masses de colons plus ou moins dirig?s par l'autorit? centrale poussaient vers l'Oural et la Sib?rie, si bien qu'au

milieu du xvine si?cle il apparut n?cessaire de constituer une seconde

ligne de d?fense militaire le long du fleuve Oural. Enfin, d?s cette m?me ?poque, le courant colonisateur se porte vers la mer Noire et la

Caspienne ; la Russie d'Europe se trouve tout enti?re en voie de peu

plement. En m?me temps le flot colonisateur d?bordait sur la Sib?rie et la Transcaucasie.

Ainsi, au cours des si?cles pass?s, la masse russe toujours en voie

d'accroissement a d? chercher des zones d'expansion en s'?cartant

toujours plus du Centre par la migration vers l'Est. Mais, d?j? au xixe si?cle, ce mode d'expansion ne suffit plus. A partir de 1860 l'?mi

gration outre-mer se d?veloppe avec rapidit?. En trente ans, de 1860

? 1890, le nombre des emigrants d?passe le million. De 1890 ? 1915, il

Page 58: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

54 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

atteint 3 300 000 ; (sur ce contingent la partie de l'ancien empire russe

qui correspond au territoire actuel de l'U. R. S. S. fournissait ? peu pr?s le tiers ; le reste ?tait fourni par les allog?nes des confins de

l'empire, Polonais, Finlandais, Juifs...). Ceci indique que, ? partir du

milieu du xixe si?cle, l'?migration outre-mer commence ? concurren

cer la colonisation de l'Orient. Cette derni?re, en effet, une fois occu

p?es les r?gions facilement accessibles et tr?s fertiles, pr?sentait des

difficult?s consid?rables qui proviennent manifestement de l'?normit? du voyage par voie de terre et des caract?res du climat sib?rien. Mais il y avait surtout le fait que les possibilit?s des territoires v?ritable

ment neufs se trouvaient consid?rablement r?duites. N'oublions pas qu'une bonne moiti? du territoire sovi?tiste est pra

tiquement, dans les conditions actuelles de l'?conomie rurale, impropre ? la culture. La zone glac?e ou mi-glac?e compte d?j? environ 7 millions de kilom?tres carr?s sur un total de 21. D'autre part les r?gions semi

d?sertiques de l'Asie centrale demanderaient pour ?tre mises en valeur des travaux immenses, qui r?duiraient de beaucoup pour la g?n?ration actuelle les possibilit?s de colonisation. Il semble donc bien qu'? notre

?poque l'exc?dent de la population ne peut plus compter uniquement sur une extension en surface, mais doit s'accumuler en

profondeur. Pendant les si?cles pr?c?dents, ces deux d?veloppements ont ?t?

de pair. Alors que les masses de colons s'?talaient vers l'Orient, la

densit? de la population dans les r?gions occidentales, puis dans la

r?gion pr?-asiatique, allait sans cesse en augmentant. D'apr?s les

donn?es des r?visions, dans la r?gion de Moscou, la densit? passe de 26 au kilom?tre carr?, en 1724, ? 35 en 1858 et 45 en 1897. Dans la

r?gion de Kiev, elle passe de 10 en 1724 ? 36 en 1858 et 50 en 1897. Dans la r?gion de Leningrad,

? notons ici le rel?vement un peu artifi ciel de la densit? par l'?tablissement de la nouvelle capitale, ?la den sit? passe de 4,5 en 1724 ? 18 en 1897. Dans le Sud (Azov) la densit?

passe de 3,5 en 1724 ? 39 en 1897. Enfin dans l'Est (Kazan), elle passe de 2,3 en 1724 ? 26 en 1897.

Ce ph?nom?ne d'accumulation se trouve corrobor? par le d?velop pement absolu et surtout relatif de la population urbaine, que met

bien en ?vidence le tableau suivant :

Population urbaine. Dates en milliers en pour 100 du total

1724 . 328 3 1782 . 802 3,1

1812 . 1 602 4,4

1851 . 3 482 7,8 1878 . 6 091 9,2

1897 . 16 829 13,0 1927 . 26 300 19,7

Page 59: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LE PROBL?ME DE LA POPULATION EN U. R. S S. 55

Pour la p?riode de 1897 ? 1927, l'augmentation du nombre des

grandes villes est particuli?rement caract?ristique. Alors qu'en 1897 il y avait sur le territoire actuel de l'U. R. S. S. quatorze villes de plus de 100 000 habitants et une trentaine de 50 000 ? 100 000 habitants, en 1927, on en compte d?j? trente et un du premier group? avec

9,5 millions d'habitants et cinquante-neuf du second groupe avec

4 millions d'habitants. Remarquons encore ? ce propos que la p?riode de guerre civile a fortement troubl? le processus d'agglom?ration urbaine. De 1918 ? 1922, certaines villes se sont litt?ralement vid?es de leurs habitants. Les citadins affam?s ou craignant les exc?s de la terreur rouge fuyaient dans les campagnes, qu'ils d?sert?rent ? nouveau

apr?s 1921 : Leningrad, par exemple, avait diminu? des deux tiers.

Mais, de 1923 ? 1927, le nombre des villes de plus de 100 000 habitants a pu passer de 22 ? 31 ; celui des villes entre 50 000 et 100 000 habi tants de 35 ? 59, et enfin celui des villes entre 20 000 et 50 000 habi tants s'est ?lev? de 104 ? 133.

Tout compte fait cependant, la proportion de population urbaine reste tr?s inf?rieure ? ce qu'elle est dans beaucoup de pays. En effet

l'Angleterre compte 79 p. 100 de citadins, l'Allemagne 62, les ?tats Unis 5i et la France 46. Les 17,9 p. 100 de l'U. R. S. S. semblent donc laisser une marge consid?rable pour la concentration urbaine. Mais, suivant les r?gions encore, cette proportion est extr?mement variable.

La r?gion qui se tient le plus pr?s de la moyenne ? ce point de vue, c'est l'Ukraine avec 18,5 p. 100 : cependant, dans le district minier ukrainien (bassin du Donets), la condensation urbaine va jusqu'? 41,8 p. 100. De m?me, dans le district minier de l'Oural, cette propor tion va jusqu'? 51 p. 100, pour atteindre 56,1 dans le district de Sverdlovsk et 59,2 dans celui de Zlatooust. Dans le d?partement de

Moscou nous trouvons aussi 59 p. 100 de citadins, et dans celui de

Leningrad 67,2 p. 100. Ceci montre qu'il y a des r?gions o? la condensation urbaine de

la population atteint les proportions existantes dans un pays indus trialis? comme l'Allemagne.

Mais l'accumulation de la population ne se produit pas que par la formation ou l'agrandissement des villes, par une industrialisation. La

preuve en est que, dans certaines r?gions, la densit? de la population rurale peut ?tre consid?r?e d?j? ? l'heure actuelle comme extr?me

ment ?lev?e. Dan-s l'Ukraine la densit? kilom?trique de la population rurale est de 52,3 en moyenne ; sur la rive droite du Dniepr (Kiev), cette densit? rurale se rel?ve ? 73,5, pour atteindre m?me 87,5 dans le district de Kam?nets. Le cas de l'Ukraine avec son sol tr?s fertile n'est pas isol?. Dans la r?gion centrale des terres noires la densit? rurale d?passe 50 au kilom?tre carr?.

Il y a donc des r?gions dans lesquelles, ?tant donn? le niveau de

Page 60: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

56 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

l'agriculture et le d?veloppement ?conomique g?n?ral, le territoire se*

trouve en quelque sorte satur?. Pour les gens de ces r?gions une rup

ture est indispensable. Il leur.faut soit quitter le pays, soit changer de classe sociale. Nous ne pouvons ici entrer dans les d?tails, mais le fait est d?j? confirm? par de longues observations. D'une part, le contin

gent des migrants ? int?rieurs ou ext?rieurs ?

provient toujours des m?mes r?gions, de m?me que la plus grande partie des saisonniers. L'artisanat est aussi plus particuli?rement d?velopp? dans certains

d?partements.

La r?ponse ? la question que nous avons pos?e au d?but de ce

paragraphe est donc affirmative, mais sans ?tre si ?vidente qu'il para?t ? premi?re vue. Oui, il y a de la place en Russie pour toute cette

population, mais un peu ? toutes proportions gard?es

? comme, dans

l'empire britannique, il y aurait des places pour tous les ch?meurs de la m?tropole ? condition que l'on p?t les d?cider ? partir dans un

Dominion ou que l'on arriv?t ? persuader un mineur d'aller faire de la culture. Pour l'Union sovi?tiste le probl?me est encore compliqu?

par le manque de capitaux, par l'?tat arri?r? de l'?conomie nationale, par l'ignorance des masses

populaires. Il faut en somme trouver rapi dement les moyens d'occuper tous les individus en ?ge de travailler de fa?on que puisse vivre la jeune g?n?ration qui progresse ? raison de

plus de 3 millions par an. Jusqu'ici, dans les campagnes, le seul pas r?el fait pour employer les bras en surnombre a ?t? le r?tablissement l?gal du salariat supprim? tout au moins en th?orie pendant les premi?res ann?es de la r?volution. Mais cela est loin de suffire, l'accroissement d?mesur? du ch?mage dans les villes le d?montre de fa?on irr?futable.

L'industrie, m?me mise au r?gime de la journ?e de sept heures, ne peut gu?re en effet annuellement absorber que quelques centaines de milliers de nouveaux ouvriers et bien peu nombreux sont encore les ouvriers

?g?s qui peuvent b?n?ficier de la pension d'invalidit?. A bien r?fl?chir, c'est avant tout le probl?me agraire qui se pose

encore, mais sous une forme diff?rente de celle qu'il pr?sentait en 1860 ou au d?but de ce si?cle. L'aspect politique de la question semble avoir ?t? r?solu en 1917-18 par la nationalisation de la terre, mais

l'aspect ?conomique reste plus troublant que jamais. Il y a toute une

organisation agraire ? cr?er, soit pour mettre en valeur des r?gions

?loign?es, mais fertiles, soit pour intensifier la production agricole dans les r?gions d?j? peupl?es.

Mais, en second lieu, il se pose encore un pur probl?me de popula* tion que l'on ne peut ?viter de traiter. L'accroissement de la popula tion, l'accroissement continu avec la rapidit? actuelle est-il souhai table ? S'il appara?t comme dangereux, faut-il attendre que jouent les lois ?conomiques, attendre les solutions catastrophiques ou chercher ? enrayer le mouvement ? Tout cela ne laisse pas d'?mouvoir, m?me

Page 61: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LE PROBL?ME DE LA POPULATION EN U. R. S. S 57

d'inqui?ter les dirigeants et les intellectuels. A notre connaissance

deux th?ories sont d?j? en pr?sence : l'une table sur l'intervention de

l'?tat et pr?voit l'organisation centralis?e de la propagande n?o

malthusienne ; l'autre compte uniquement sur l'individu, mais elle

n'indique pas moins, pour moyen d'aboutir, que la d?nationalisation des terres. Ainsi, disent ses partisans, le paysan r?duit ? un lopin de

terre bien d?termin? saurait bien r?duire le nombre de ses enfants.

Mais ?videmment, pour que cette solution contre-r?volutionnaire soit

adopt?e, il faudra que le syst?me actuel soit soumis ? des secousses

terribles.

G. M?quet.

(Gen?ve.)

Souhces. ? Nous ne donnons ici que des indications sommaires sur les ouvrages ? consulter en ce qui concerne le mouvement de la population.

I) P?riode ant?rieure ? 1880

P. Milioukov. ? O?erki po istorii russkoj culturi, 5e edit.- St. P?tersbourg, 1909. Kovalesky. ?

Rossija v Konc? XIX v?ka, St. P?tersbourg, 1898.

II) P?riode 1880-1913

Sbornik Sv?d?nij po Rossii (Minist?re de l'Int?rieur, recueils de renseignements sur la Russie), 1882, 1883, 1884-85, 1890, 1896, St. P?tersbourg.

? Ezegodnik Rosan (Minist?re

de l'Int?rieur (russe et fran?ais). ? Annuaires del? Russie (annuel depuis 1904), St. P?ters

bourg.? Ezegodnik ministerstva finansov (Minist?re des Finances, Annuaire, St. P?ters bourg, 1898, avec les donn?es du recensement de 1897).

III) P?riode 1914-1927

Oganovsky N. ? Ocerki po ehonomiceskoj geographii U. S. S. R. (Essais sur la g?o graphie ?conomique de l'U. R. S. S.), Moscou, 1924. ?

Statisticeskij ezegodnik (Adminis tration centrale de la statistique, Annuaire statistique, a) pour 1918-1920, t. I, chiffres pour 1914 et 1920, Moscou, 1921 ; b) pour 1922-1923, Moscou, 1924 ; c) pour 1924, Moscou, 1926). ? Sbornik statisliceskihh sv?d?nij po S. S. S. R. (Recueil de renseignements statis tiques sur l'U. R. S. S., 1918-1923, Moscou, 1924). ? Narodnoe Khozjajstvo v cifrahh (L'?co nomie nationale de l'U. R. S. S. exprim?e en chiffres, n? 1, Moscou, 1924 ; n? 2, Moscou, 1925). ?

Statisticeskij spravoemh S. S. S. R. (Guide statistique de l'U. R. S. S., 1927, Moscou, 1927, avec les donn?es du recensement de 1926).

? Ten years of Soviet Powp's in Figures, Moscou, 1927. ? Bulletin centralnogo stalisliceskogo upravlema (Bulletin de l'Administration centrale de statistique, de 1919 ? 1926, paraissant irr?guli?rement) et

Statisliccskoe obozr?nie (Revue statistique, 1927-1928, mensuel, Moscou). Pour le mouvement migratoire, Obolensky V. V. (Ossixsky, Mezdunarodnye i

mezkontinentalnye migracii v dovoennoj Rossii iv S.S. S. R. (Les migrations internationales et intercontinentales dans la Russie d'avant-guerre'et l'U. R. S. S., Moscou, 1928 cet ouvrage para?tra dans l'enqu?te de M. Wilcox sur les migrations).

Page 62: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LA VIE SCIENTIFIQUE

I. LA DOCUMENTATION DE L'HISTOIRE

?CONOMIQUE

Nos enqu?tes collectives.

C'est une banalit? de d?noncer, comme un des obstacles les plus graves

qui s'opposent aux progr?s de Vhistoire ?conomique, V?tat de la documen tation. Les t?moignages ne sont pas seulement, pour certaines ?poques,

tr?s rares, et, pour toutes, d'interpr?tation singuli?rement d?licate. La

premi?re difficult?, et souvent la plus redoutable, est de les rassembler ; car ils sont de nature infiniment diverse, et, par surcro?t, mat?riellement

tr?s dispers?s. Un effort de description et de classement s'impose : effort

collectif, cela va de soi, et international. Les Annales ne pouvaient, sans

manquer ? leur r?le, se d?sint?resser de cette t?che indispensable. Nous ouvrons une rubrique d'enqu?tes documentaires.

Il ne s'agit pas de publier ici une suite d'inventaires d'archives, de

catalogues de biblioth?que, de r?pertoires arch?ologiques. Une revue qui pour ?tre utile doit demeurer lisible, et, pour agir, vivante, ne saurait se

transformer en un recueil de pure ?rudition. Il y a d'autres moyens, tout

aussi efficaces, d'aider les chercheurs. Choisir quelques grands types de documents ; fournir sur chacun d'eux, exemples en mains, des renseigne ments dont la sobri?t? n'exclura pas la pr?cision, des renseignements

pratiques avant tout ; tirer d'un premier contact avec ces sources quelques

principes d'interpr?tation critique : telle est Ventreprise ? laquelle nous

convions nos collaborateurs.

Du jour o? la conception g?n?rale de ces enqu?tes a ?t? arr?t?e dans notre esprit, les sujets se sont pr?sent?s en foule. Car ils sont, en v?rit?,

innombrables ; leur vari?t? m?me est un attrait et une le?on. Qui ne

voit, par exemple, quelle lumi?re une ?tude sur les tableaux de valeur

compar?e des monnaies, dress?s, aux diverses ?poques, par les changeurs ou par les administrations financi?res, jetterait sur l'histoire des cou rants mon?taires, et, plus g?n?ralement, des courants ?conomiques ? un

examen des livres de compte et des manuels de comptabilit?, sur Vhistoire de la banque, en m?me temps que sur cette histoire intellectuelle de la

classe marchande, si justement signal?e ? notre attention, dans ce num?ro

m?me, par M. Pirenne ? L'histoire des prix, avant le XIXe si?cle, a ?t?

discr?dit?e par le mauvais usage qui a trop souvent ?t? fait des documents ; ceux-ci existent pourtant ; en ?tablir le classement critique, besogne diffi

Page 63: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LA VIE SCIENTIFIQUE 59

cile, mais non pas, sans doute, irr?alisable ! Un recensement des formes

de charrues n'int?resserait pas seulement Vhistoire de la technique agraire et de l'occupation du sol ; les recherches sur les migrations humaines, sur les ?changes de civilisation, depuis la pr?histoire jusqu'? des temps tout proches de nous, y puiseraient de pr?cieux objets de m?ditation. Les

statistiques, enfin, sur lesquelles reposent toutes les descriptions de la vie ?conomique contemporaine, appellent, autant que les textes familiers aux historiens d'un pass? recul?, l'?preuve de la critique des sources ; de

quelle importance ne serait-il pas d'esquisser, ? l'aide de quelques cas bien choisis, les principes de cette application, particuli?rement d?licate, d'un instrument forg?, ? l'origine, pour de tout autres objets! Et ce ne sont l? que quelques th?mes parmi ceux qu'il est ais? d'entrevoir. Mais

gardons-nous de la tentation d'?tablir un de ces grands programmes

ambitieux, dont le destin, pr?vu d'avance, est de demeurer ?ternellement

? l'?tat de programme. Avec les le?ons de l'exp?rience, ce seront les conseils des collaborateurs des Annales qui nous aideront peu ? peu ?

pr?ciser, comme ? r?aliser notre plan. Pour commencer, deux exemples, l'un tout de suite, l'autre dans un avenir tr?s proche, ach?veront d'?clairer

notre dessein. Nous aborderons sous peu une enqu?te sur les archives

des ?tablissements priv?s de commerce et d'industrie, sources fondamen

tales pour F histoire des entreprises capitalistes, sources, en tous pays,

insuffisamment connues et d'acc?s trop souvent malais?. D?s mainte

nant, ? titre d'essai, nous mettons en chantier une enqu?te sur les plans

parcellaires. Pourquoi ce choix ? L'expos? qui va suivre en apportera, croyons-nous, la justification.

Les Directeurs.

Page 64: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LES PLANS PARCELLAIRES

1. LE PLAN PARCELLAIRE DOCUMENT HISTORIQUE

Le Recueil m?thodique des lois, d?crets, r?glements, instructions et d?cisions

sur le cadastre de la France, Paris, Imprimerie Nationale, 1811, n'offre peut ?tre pas une lecture particuli?rement attrayante ; mais c'est, comme beau

coup d'?crits ?man?s des administrateurs de ce temps, un ouvrage d'un fort

bon style. On y trouve une d?finition parfaitement pr?cise de la parcelle :

?une portion de terrain... (Io) situ?e dans un m?me canton, triage ou lieu

dit, (2?) pr?sentant une m?me nature de culture..., (3?) appartenant ? un m?me

propri?taire1?. Supposons que, levant le plan d'un terroir rural ou d'une

de ses sections, on reporte sur le papier les limites de toutes les parcelles ; nous aurons ce qu'on est convenu d'appeler le plan parcellaire de cette sur

face. Supposons encore ? le cas est r?alis? assez souvent dans les plans anciens ?

que le cartographe, au lieu de s'attacher ? reproduire toutes les

parcelles, ? l'int?rieur d'un espace donn?, se soit content? de dessiner les

contours de certaines d'entre elles, choisies en raison de tel ou tel caract?re

particulier, le plus souvent l'appartenance ? un m?me propri?taire (par

exemple, sous un r?gime seigneurial, celles qui constituaient le domaine) ; le

plan ainsi obtenu, si incomplet qu'il soit, sera encore dit : parcellaire. Documents historiques, ces plans, uvre menue de seigneurs pench?s sur

leurs redevances ou d'administrations en mal de fiscalit? ? documents vivants, ces mornes feuilles o? l' il inexp?riment? n'aper?oit qu'une foule de petits traits, rayant le papier dans tous les sens ? Dans les bureaux des Contributions

Directes, o?, comme on le verra plus loin, un grand nombre de plans parcel laires fran?ais sont d?pos?s, parfois un propri?taire rural, inquiet sur son

bornage, vient les consulter; nul ne s'en ?tonne. Mais si, d'aventure, c'est un historien qui en demande communication, l'amusement qu'il per?oit sous la courtoisie de l'accueil a vite fait de lui donner le juste sentiment de ce que sa curiosit?, aux regards du grand public, a de paradoxal. Par malheur, il semble bien que, en France, le personnel des Finances ne soit pas seul ?

penser de la sorte. Alors que, en Allemagne, les Flurkarten, en Angleterre, en

Belgique, les plans analogues sont depuis longtemps exploit?s par les histo

riens, les plans parcellaires fran?ais qui, pourtant, ne manquent point, n'ont

presque jamais ?t? ?tudi?s. Il est urgent d'attirer sur eux l'attention des tra

vailleurs, et notamment de ces chercheurs, pr?occup?s d'histoire r?gionale ou

locale, dont nous esp?rons un si grand secours pour nos ?tudes : ?crire l'his

1. Art. 130. Cf., pour des pr?cisions de d?tail, les articles suivants. On remarquera les mots : ?

canton, triage ou lieu dit ?. Par ces mots et par beaucoup d'autres (on en trouvera quelques-uns enumeres dans F.-H.-V. Noizet, Du cadastre, 2e ?d., 1863, p.'10, n. 2), la langue rurale, dont la terminologie varie ? l'extr?me, d?signe des groupes de parcelles, formant unit? agraire et caract?ris?s, dans les pays de ? champs ouverts ?, par une m?me

direction de sillons (c'est le Gewann des historiens allemands). Dans les ?campagnes? de la France du Nord, deux terres labour?es, contiguos sur une partie de leur surface et appartenant au m?me propri?taire, seront toujours trait?es comme deux parcelles dis tinctes, si l'orientation des sillons y est diff?rente.

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LES PLANS PARCELLAIRES 61

toire d'un village, sans avoir m?me jet? les yeux sur la carte cadastrale, c'est

se priver, de gaiet? de c ur, d'un instrument entre tous efficace ; pourtant, combien de fois cette erreur n'a-t-elle pas ?t? commise ! En inscrivant les

plans parcellaires en t?te de nos enqu?tes, nous nous proposons la r?paration d'un trop long oubli.

Cette raison, si forte soit-elle, n'est d'ailleurs pas la seule qui ait d?termin?

notre choix. Nous ne nous bornerons pas aux plans fran?ais. Les collabora

tions, qui sont amicalement venues ? nous, permettront d'?tendre, d?s les pro chains num?ros, la recherche ? divers pays ?trangers1. Car sur ce terrain,

comme sur tant d'autres, plus encore que sur beaucoup d'autres, la m?thode

compar?e s'impose et les vieux cadres nationaux, o? trop souvent s'enferment

les historiens, doivent enfin ?tre bris?s. Aussi bien, quelques mots ?chang?s au dernier Congr?s d'Oslo nous l'ont prouv? : partir ? la recherche de rensei

gnements sur les plans au del? des fronti?res de son propre pays et revenir

bredouille, ce fait-divers d'?rudition n'a rien d'imaginaire. Nous sommes

donc certains de r?pondre, par notre entreprise, ? un besoin r?ellement res

senti. Enfin, poursuivant ici avant tout une uvre de liaison et d'?changes, il nous a paru tentant de porter tout d'abord notre effort sur des documents

qui, par leur nature m?me, les informations qu'ils apportent, et les connais

sances qu'ils exigent pour ?tre correctement interpr?t?s et utilis?s, appellent la coop?ration de sp?cialistes tr?s divers.

Car les plans parcellaires, comme tous les documents, ne demeurent

monotones et exsangues que jusqu'au jour o? le coup de baguette de l'intui

tion historique leur a rendu une ?me. En leurs traits fig?s, une vie mouvante,

pleine de travaux et d'aventures, s'est inscrite et se r?v?le, toute chaude, ?

qui a l'art de la saisir : la vie rurale, dans ses p?rip?ties et l'infini de ses vari?t?s

r?gionales. La forme et la disposition des champs, qu'ils font appara?tre ? nos

yeux, ?clairent les pr?mices de l'occupation du sol, et r?v?lent entre les usages

agraires, selon les contr?es, des ressemblances et des oppositions o? l'historien

des civilisations les plus recul?es, recouvertes aujourd'hui par des peuples et des ?tats plus jeunes, puise des suggestions qu'il chercherait vainement

ailleurs. Le long effort de d?frichement, qui, dans la suite des temps, par

?-coups, entama landes et for?ts, accrut ou morcela les terroirs, cr?a des

centres d'habitat nouveaux, y a d?pos? ses traces2. Les vicissitudes du r?gime

seigneurial s'y traduisent par les variations du domaine, dans son ?tendue et

sa constitution topographique. La r?partition des fortunes fonci?res, l'his

toire sociale des communaut?s paysannes s'y montrent au grand jour. Voici,

par exemple, un plan beauceron du d?but du xviir9 si?cle, celui de Monnerville,

1. Nous avons d?j? entre les mains des notices, tr?s pr?cises, sur l'Allemagne (par le Professeur Walter Vogel, de Berlin) et l'Angleterre (par le Professeur R. H. Tawney et le Dr Hubert Hall, de Londres) ; nous sommes en outre assur?s de la collaboration 'de M. V. Cerny, pour la Tch?coslovaquie.

2. Les plans ont ?t? ? plusieurs reprises utilis?s pour l'?tude de la disposition des mai sons et des rues, dans les ? villes neuves * ou ? bastides ?, cr??es de toute pi?ce au moment des grands d?frichements : cf. tout r?cemment P. Lave dan, Histoire de l'architecture urbaine et Qu'est-ce que l'urbanisme ?, 1926. Mais, en France du moins, on a g?n?ralement n?glig? de pousser l'analyse jusqu'aux terroirs ruraux des nouveaux centres de peuple ment. Sur ce point aussi, le plan parcellaire aurait son mot ? dire. Un des cas les plus curieux que r?v?le le plan cadastral est celui de Sauveterre (Gironde, arr. La R?ole), bastide fond?e en 1281, qui n'a pas de terroir, la commune se limitant ? la ville et tous les champs se trouvant situ?s dans les communes voisines.

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62 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

ex?cut? entre 1699 et 1702x. Les exploitations y sont morcel?es et dispers?es ? l'extr?me. Pourtant, au milieu de cette poussi?re de parcelles, quelques

grandes pi?ces d'un seul tenant marquent de larges taches blanches ; quelle

le?on de constater qu'elles appartiennent toutes, les unes au seigneur, les

autres ? constitu?es certainement par la r?union patiemment poursuivie de

parcelles plus petites ?

? quelques familles de noblesse d'office et ? un cer

tain S?bastien de Villiers, ? marchand et laboureur?, que tout le plan d?nonce

comme un acharn? rassembleur de terres : probablement un de ces petits capi talistes ruraux, un de ces ? coqs de village ?, commer?ants et usuriers, qui ont si souvent fait souche de grands propri?taires ! La comparaison m?tho

dique entre les plans de dates diverses, l? o? il en existe pour le m?me terroir,

apporte sur l'histoire de la propri?t? plus de pr?cisions parfois qu'un monceau

de textes. Reprenons notre plan de Monnerville de 1699-1702; mettons-le en

regard du plan cadastral, ?tabli en 1831,' en commentant les deux cartes ?

l'aide des pi?ces annexes, le terrier pour l'une, la matrice pour l'autre ; nous

aurons face ? face, en deux images concr?tes, le point de d?part et le point d'arriv?e des grandes mutations r?volutionnaires2.

Il n'est gu?re de documents qui se suffisent ? eux-m?mes. Les plans par cellaires pas plus que les autres. Ce sont des t?moins pr?cieux qu'on a eu tort

de ne pas interroger d'assez pr?s ; mais ils ne livrent leurs secrets qu'une fois

confront?s avec d'autres t?moins. J'ai d?j? fait allusion aux textes annexes;

j'aurai l'occasion d'y revenir plus loin. Ces textes m?me, sorte de glose per

p?tuelle des plans, ne nous donnent pas tout le n?cessaire. Le d?pouillement des pi?ces d'archives de tout ordre, de la litt?rature juridique, l'examen des

noms de lieux ? notamment ces noms de ? lieux-dits?, dont les plans eux

m?mes fournissent le relev? et que la toponymie a jusqu'ici trop n?glig?s ?

les recherches arch?ologiques, un grand nombre de sources et de m?thodes

diverses doivent tout ? tour ?tre mises ? contribution. Aussi bien l'?tude des

plans n'est ?videmment pas une fin en soi. Les traits mat?riels qu'on y voit

inscrits ne valent que par ce qu'ils r?v?lent. Ils donnent l'anatomie. Ce qui nous importe, c'est la physiologie de l'animal vivant, je veux dire de la com

munaut? rurale. Mais l'anatomie est la connaissance premi?re dont le physio

logiste ne saurait se passer, et, r?ciproquement, elle ne devient intelligible

qu'une fois ses dessous physiologiques scrut?s et d?crits. De m?me le plan par cellaire se place au d?but et ? la fin de l'?tude agraire : au d?but comme instru

ment d'investigation, un des plus pratiques et des plus s?rs qui soient ; ? la

fin, ? une fois bien connue et bien comprise la petite soci?t? dont le terroir

est la carapace, ? comme l'image la plus imm?diatement sensible de r?alit?s

sociales profondes.

1. Archives de Seine-et-Oise, s?rie D, fonds de Saint-Cyr : interpr?t? ? l'aide du terrier, et des renseignements sur les personnes fournis par Maxime Legrand, Etampes pitto resque. L'arrondissement, t. I, 1902, p. 451. Monnerville, Seine-et-Oise, cant. M?r?ville.

Mes recherches dans les Archives de Seine-et-Oise n'ont port? quelque fruit que gr?ce ? l'amicale obligeance de l'archiviste, M. Lesort, et au d?vouement de ses employ?s.

2. Parmi les ?tudes de plans parcellaires anciens, celle que M. G. des Marez, dans son livre sur Le probl?me de la colonisation franque et du r?gime agraire dans la Basse-Belgique (M?m. Acad. royale de Belgique, in-4?, 2e s?rie, IX, 1926) a donn?e du plan de Grimber

ghen (p. 135-150) doit ?tre cit?e comme un mod?le de soin et d'intelligence.

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LES PLANS PARCELLAIRES 63

2. Coup d' il sur les plans parcellaires fran?ais;

le cadastre

Du point de vue qui nous occupe, les pays de l'Europe peuvent se classer

en deux cat?gories : ceux qui ont ?t?, ? une ?poque plus ou moins rapproch?e de nous, l'objet d'un cadastre g?n?ral, accompagn? de lev?s topographiques, de telle sorte que pour chaque terroir il existe au moins un plan parcellaire ;

ceux o? aucune op?ration d'ensemble n'a eu lieu. Type de la premi?re cat?

gorie : la France. De la seconde : l'Angleterre. Nous pouvons, dans ce premier coup d' il, envisager d'ensemble tout le

territoire de la France m?tropolitaine, en excluant toutefois la Savoie et le

Comt? de Nice, qui, par suite de leur r?union tardive (1860), ont une histoire

cadastrale toute particuli?re. Nous aurons ? revenir sur ces deux provinces. Dans la France, ainsi entendue, il faut distinguer, par ordre chronologique,

trois groupes de plans parcellaires : les plans ant?rieurs au grand cadastre ;

ceux de ce cadastre lui-m?me ; les plans plus r?cents. Commen?ons par l'?tude

des plans de la deuxi?me cat?gorie, dont l'?tablissement marque, dans ce

d?veloppement, le point tournant1.

Le cadastre g?n?ral de la France, entrepris pour servir ? la lev?e de la con

tribution fonci?re (plus tard contribution fonci?re des propri?t?s non

b?ties), fut commenc? sous le Premier empire, en 1808 ; achev? sous la

Deuxi?me r?publique, en 1850. En r?alit? il doit ?tre consid?r?, pour l'essen

tiel, comme l' uvre de la Monarchie Censitaire. Neuf mille communes ? peu

pr?s ? mais dont beaucoup devaient, par la suite, ?tre d?tach?es du terri

toire fran?ais ? avaient ?t? lev?es sous l'Empire; en 1840, il n'en restait

plus que trois cents ou environ ? ne pas avoir ?t? visit?es par les g?om?tres.

Transpos?es du plan de l'histoire politique dans celui de l'histoire agraire, ces

dates expriment un fait d'une grande importance : l'image que le cadastre

nous donne de la France rurale, est celle de campagnes qui ?taient d?j?

touch?es, mais n'?taient pas encore atteintes bien profond?ment, ni dans

toute leur ?tendue, par la ? r?volution agricole ? ; cette grande m?tamorphose,

dont les deux traits principaux sont, comme l'on sait, la suppression de la

jach?re morte et la disparition des servitudes collectives, suivit, dans notre

pays, une marche particuli?rement lente.

Le dossier du cadastre, pour chaque commune, comprend :

Io Un plan parcellaire, g?n?ralement ?tabli ? l'?chelle du 2 500e avant

1837, du 2 000e depuis 2, et accompagn? d'un tableau d'assemblage3. 2? Un ?tat de sections, donnant par ordre topographique, et parcelle par

parcelle, les noms des propri?taires, en possession au moment de l'ex?cution

du cadastrera nature de culture, la contenance, et diverses indications, d'ordre

fiscal, sur lesquelles je me contenterai de renvoyer aux ouvrages sp?ciaux. 3? Une matrice qui reproduit les indications des ?tats de sections, mais

1. Esquisse de l'histoire du cadastre dans F.-H.-V. Noizet, Du cadastre et delad?limi tation des h?ritages, 2e ?d., 1863.

2. Lorsque le nombre des parcelles d?passe cinq ? l'hectare les ?chelles prescrites sont

respectivement du 1 250e et du 1 000e. Dans certaines r?gions, les plans cadastraux du Premier empire sont, me dit-on, ?tablis ? ?chelle plus petite que le 2 500e.

3. Le Service Topographique de l'Arm?e a re?u, en principe, copie des tableaux d'as

semblage ; il va de soi que ceux-ci ne donnent point les limites des parcelles.

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64 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

class?es par ordre alphab?tique des propri?taires. Plans et ?tats de sections

sont consid?r?s comme immuables, ? moins de r?fection totale du cadastre ;

les matrices, au contraire, devaient, en principe, ?tre tenues r?guli?rement au courant des mutations ; en fait elles l'ont toujours ?t? assez mal, le travail,

pour toutes sortes de raisons techniques, pr?sentant de grandes difficult?s1.

O? trouver ces documents ? Les ?tats de sections n'existent qu'en un seul

exemplaire, dans la commune m?me, ? la mairie; les plans et les matrices

en deux exemplaires, l'un conserv? ? la mairie, l'autre au chef-lieu du d?par

tement, dans les bureaux de la Direction des Contributions Directes. C'est

dans ce dernier d?p?t que les historiens, lorsqu'ils s'int?ressent ? une r?gion et non uniquement ? un village pris ? part, devront aller les consulter. En

outre des copies des plans (sans les matrices), se rencontrent dans certaines

Archives D?partementales2, dont il serait bien d?sirable que l'administra

tion centrale f?t dresser et publier la liste : le chemin en est plus familier aux

?rudits que celui des Directions des Contributions Directes, et les conditions

mat?rielles du travail, ? l'ordinaire, plus propices. Les ouvrages d'histoire, en France, ayant, comme il a ?t? dit, g?n?rale

ment n?glig? l'?tude des plans parcellaires, il n'a gu?re ?t? publi? de repro

ductions des plans cadastraux. Des reproductions isol?es ont pu m'?chapper ;

mais qu'aucune collection d'ensemble des principaux types, dans une r?gion

donn?e ou dans la France enti?re, n'ait ?t? publi?e ni m?me constitu?e ? l'?tat

de d?p?t de cartes et mise ainsi ? la disposition des travailleurs, c'est un fait

malheureusement trop certain. Une tentative en ce sens sera sans doute

amorc?e d'ici peu, ? la fois pour le cadastre et les plans plus anciens.

uvres de g?om?tres qui n'avaient tous ni la m?me valeur technique ni le m?me degr? de conscience professionnelle, et qui ne furent pas partout

dirig?s et surveill?s avec le m?me soin, les plans cadastraux ne pr?sentent naturellement pas, en tous lieux, une valeur ?gale. Quelques observations

d'ensemble, n?anmoins, peuvent ?tre formul?es.

Sur un point particulier, l'exactitude des plans a ?t? vivement attaqu?e

par certains critiques. Instrument purement fiscal, le cadastre, dans la pens?e de ses auteurs, n'avait rien d'un ?livre foncier?, appel? ? fournir la preuve des droits de propri?t?. Aussi les r?glements ne prescrivirent-ils, pour la

d?termination des limites entre les biens, que des proc?d?s assez sommaires.

Le r?sultat fut, nous dit-on, que trop souvent les g?om?tres accept?rent sans

contr?le les d?clarations de cultivateurs empress?s ? s'attribuer, de leur propre

autorit?, quelques m?tres carr?s des terres voisines3. Le reproche n'est proba

1. En vertu de la loi du 1er janvier 1915, de nouvelles matrices ? pr?vues pour une

dur?e de soixante ans ? doivent ?tre partout ?tablies. Les anciennes deviendront donc peu ? peu inutiles aux administrations, mais elles demeureront des documents histo riques pr?cieux. Il sera bon de veiller ? leur conservation.

2. Je citerai, aux hasards des renseignements incomplets que j'ai pu recueillir : la Seine-et-Oise (par suite de circonstances expos?es par l'Archiviste dans son Rapport de 1912-1913, p. 20) ; le Doubs ; et (selon P. Lavedan, Qu'est-ce que l'urbanisme ?, 1926, p. 177, n. 1), la Haute-Garonne, le Lot, et partiellement le Tarn et l'Aude. L'instruction du 1er d?cembre 1807 pr?voyait que le plan parcellaire serait ex?cut? en trois exemplaires, sans pr?ciser d'ailleurs la destination du troisi?me, qui fut supprim? par la loi du 31 juil let 1821. Que sont devenus les exemplaires suppl?mentaires des plans lev?s entre 1808 et 1822 ?

3. Cf. Noizet, op. cit., notamment p. 34 ; et Pr?sident Bonjean, Revision et conserva tion du cadastre, 2 vol., 1874.

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LES PLANS PARCELLAIRES 65

blement pas d?nu? de fondement. Mais il n'int?resse gu?re l'utilisation histo

rique des plans ; car les erreurs ne portent ?videmment que sur un assez petit nombre de parcelles

? et, pour chacune d'elles, sur une quantit? de terrain

relativement faible1 : ni la forme g?n?rale des champs, ni la r?partition des

propri?t?s, qui est affaire de moyennes, n'en sont s?rieusement affect?es.

Plus dangereuses, sans doute, de notre point de vue, sont certaines omis

sions graphiques : la premi?re g?n?rale et in?vitable, les autres, malheureuse

ment, trop fr?quentes. En principe la planim?trie seule est trac?e ; le relief

n'est qu'exceptionnellement figur? et, dans ce cas, d'une fa?on toujours sch?

matique et approximative. D'o? la n?cessit?, pour comprendre vraiment le ter

roir, de s'aider d'autres documents topographiques ? Les r?glements veulent

que les natures de culture soient indiqu?es par des lettres, qui, d'ailleurs, faute

de tableau de correspondance uniforme, exigent, pour ?tre comprises, une

initiation pr?alable et, parfois, la connaissance de la langue agraire locale :

passe encore que t et l alternent capricieusement dans la d?signation des

terres labour?es ! mais, dans le Midi, il arrive que les terres incultes soient

not?es par un h (du proven?al herm, Veremus latin), petite ?nigme pos?e aux

hommes du Nord. Le pis est que certains g?om?tres, en d?pit des instructions

minist?rielles, ont absolument n?glig? d'inscrire les pr?cieuses lettres. Leurs

plans, o? rien ne distingue un champ d'une vigne et une prairie d'un boque

teau, ne pourraient gu?re ?tre utilis?s qu'? l'aide d'une comparaison perp? tuelle avec les ?tats de sections, travail que son ?normit? m?me rend presque

irr?alisable. ? Dans les pays d'enclos, comme l'Ouest de la France, certains

g?om?tres, particuli?rement attentifs, ont pris soin de distinguer les s?para

tions par cl?tures permanentes (par haies le plus souvent) de celles qui ne

sont marqu?es que par de simples bornages ou m?me par des lignes tout

id?ales ; aux premi?res ils r?servent le trait plein, les secondes n'ont droit

qu'au pointill?. Par malheur, ce scrupule est demeur? inconnu ? beaucoup de

leurs coll?gues : dessinateurs paresseux, dont la n?gligence risque d'induire en

de curieuses erreurs les historiens plus familiers avec la carte qu'avec le pays.

Dans l'Ouest, en effet, il arrive fr?quemment que, ? l'int?rieur d'un m?me

enclos, la terre ait ?t?, au cours des temps, partag?e entre plusieurs propri?

taires, qui l'ont d?coup?e, ? l'ordinaire, en minces parcelles, toutes allong?es

dans le m?me sens. Supposons que tout signe sp?cial pour la haie manque ;

seules ces lani?res appara?tront sur le plan, dont l'aspect alors reproduit, ?

s'y m?prendre, l'image des terroirs de la Beauce, par exemple, ou de la Picardie,

avec leurs champs sans cl?tures, ?troits et longs : l'oubli du cartographe

masque ainsi un des contrastes les plus frappants de la vie agraire fran?aise.

Je crois bien que le grand historien anglais Seebohm s'y est un jour laiss?

tromper2. Tant il est vrai que les cartes agraires, comme toutes les cartes,

1. Quantit? non n?gligeable, cependant, dans les pays de champs ?troits et allong?s o? tout d?placement de la limite, parall?lement ? l'axe des sillons, entra?ne, m?me s'il est

d'amplitude assez faible, une modification consid?rable dans la surface totale : aux ? man

geurs de raies ?, un l?ger d?portement de la charrue, ? droite ou agauche, suffisait souvent

pour r?aliser un gain s?rieux. 2. Customary acres and their historical importance, 1914, p. 118 et suiv. ; notez, en face

la p. 123, le plan de Carnac. Le passage sur les haies, p. 123, montre la source de l'erreur et indique en m?me temps que Seebohm n'a pas ?t? tr?s loin de l'apercevoir. Mais comment, en l'absence des servitudes collectives caract?ristiques, a-t-il pu se laisser aller ? parler de ? the breton open-field system ?? Il n'est que juste de l'ajouter, le livre, posthume, est un

recueil de ? unfinished essays ?.

ANN. D'HISTOIRE. ? lre ANN?E. 5

Page 70: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

66 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

comme tous les documents, exigent, pour ?tre correctement interpr?t?es, une

?tude critique sur leurs proc?d?s d'?tablissement.

3. Les plans parcellaires anciens, en France:

plans seigneuriaux

Les tentatives de cadastre fiscal esquiss?es ? plusieurs reprises par l'Ancien

R?gime ne semblent pas avoir jamais comport? l'?tablissement de lev?s topo

graphiques. Les plans parcellaires fran?ais ant?rieurs ? 1700 (Savoie excep

t?e) sont tous ? au moins ? ma connaissance ?

d'origine seigneuriale. Ils

accompagnent g?n?ralement des terriers et sont, comme ceux-ci, destin?s ?

assurer sur des bases certaines l'exploitation du domaine et de la directe,

parfois, mais beaucoup plus rarement, la perception de d?mes plac?es en

d'autres mains que celles du seigneur foncier1. La ?f?odalit?? ? comme

disaient les hommes du xvme si?cle ? ?labora les m?thodes dont le cadastre

napol?onien devait faire son profit ; ? son service, une grande partie du per

sonnel, employ? plus tard aux op?rations cadastrales, avait, selon toute appa

rence, re?u sa premi?re formation.

L' uvre topographique des administrations seigneuriales fut d'ailleurs

consid?rable. Son ampleur a frapp? les contemporains. En 1789, Babeuf, dont

l'exp?rience de commissaire ? terrier n'?tait pas n?gligeable, estimait aux

deux tiers du total des seigneuries, dans tout le royaume, celles qui avaient

?t? ? cartees?2. Il exag?rait certainement, et de beaucoup. Mais ce sont sur

tout les mots : ? dans tout le royaume ?, qui appellent une s?rieuse rectifica

tion. Restreinte ? certaines r?gions, comme l'Ile-de-France, o? la propri?t?

seigneuriale ?tait fort concentr?e et les seigneurs assez riches et d'esprit assez

ouvert pour pratiquer une gestion rationnelle, l'affirmation d?passe encore

la v?rit?, mais de moins loin qu'on ne pourrait le croire : t?moin ? malgr?

d'incalculables dilapidations ? l'admirable s?rie de plans parcellaires que

poss?de encore aujourd'hui la Seine-et-Oise, soit dans les Archives du d?par

tement, soit dans celles des communes, soit enfin dans diverses collections

particuli?res. D'autres contr?es, dans le Midi notamment, sont infiniment

moins favoris?es. L'inventaire g?n?ral des plans parcellaires fran?ais, s'il

peut jamais ?tre dress?, apportera, entre autres renseignements pr?cieux, des

vues d'un grand int?r?t sur les diff?rences, ? travers le royaume, des m?thodes

de l'exploitation seigneuriale. Sur leurs variations dans le temps, aussi.

Existe-t-il des lev?s, parcelle par parcelle, ant?rieurs ? la seconde moiti? du

xvne si?cle ? Peut-?tre; mais je n'en ai, pour ma part, jamais rencontr? ;

au mieux, ils sont extr?mement rares. Bien rares encore, ceux qui furent ex?

cut?s entre 1650 et 1700. La plupart des plans-terriers datent du xvme si?cle ;

ils se multiplient, en m?me temps qu'ils acqui?rent une remarquable per fection technique, surtout ? partir de 1740. Sympt?me d'ordre ?conomique :

1. Les plans de Thiverval (Seine-et-Oise, cant. Poissy), ex?cut?s au xvme si?cle et conserv?s aujourd'hui aux Archives de Seine-et-Oise, dans le fonds des Chartreux de Paris, appartiennent vraisemblablement ? la cat?gorie des plans dlmiers.

2. Cadastre perp?tuel, 1789, p. 54 et n. 1. Cf. E. de la Poix de Fr?minville, La

pratique universelle pour la r?novation des terriers, 2e ?d., 1752, 1.1, p. 106 : ? Peut-on faire le renouvellement d'un terrier sans lever les plans d'une terre ? Cela est impossible ? ; et, p. 102 et suiv., les revendications en faveur du ?plan g?om?trique?, bien pr?f?rable au ? plan visuel >.

Page 71: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LES PLANS PARCELLAIRES 67

c'est le moment de la ? r?action f?odale?; d'ordre intellectuel : les m?thodes

scientifiques, applications des sciences math?matiques, commencent ? p?n? trer la vie quotidienne.

Un tr?s grand nombre de fonds seigneuriaux ayant ?t? confisqu?s en vertu

des lois r?volutionnaires, la plupart des plans anciens sont ? pr?sent conserv?s, soit ? Paris, aux Archives Nationales (o?, au m?pris de la r?gle tut?laire du ? respect des fonds ?, ils ont ?t?, en principe, mais non toujours en fait, distraits

des papiers terriers auxquels, originellement, ils se rattachaient, pour former, avec toutes sortes d'autres cartes, une s?rie sp?ciale : la s?rie N), soit dans les

Archives D?partementales. Certains, pourtant, sont demeur?s entre les mains

de particuliers, ayants droit des ci-devant ch?telains, de leurs intendants,

notaires1, ou arpenteurs. D'autres encore n'ont quitt?, sous la R?volution, les coffres du seigneur ou de son fermier que pour ceux de la mairie voisine,

o?, bien souvent, en attendant la confection plus ou moins tardive du cadastre

officiel, la municipalit? les employa ? asseoir la contribution fonci?re. C'est

ainsi que les beaux plans du marquisat de B?ville, ex?cut?s de 1786 ? 1789, sont actuellement dispers?s entre plusieurs communes de la Seine-et-Oise 2.

Enfouis dans des biblioth?ques priv?es, les plans ?chappent presque n?cessairement ? tout inventaire g?n?ral. D?pos?s dans les mairies de villages, ils courent ?galement grand risque de passer inaper?us ; on les verra pourtant

quelquefois mentionn?s, au milieu de beaucoup d'autres pi?ces, dans les

collections d'inventaires d'archives communales que publient certains d?par

tements, ou bien encore dans les rapports annuels des archivistes d?partemen taux, bourr?s, ? l'ordinaire, de renseignements pr?cieux, mais difficiles ? se

procurer et lamentablement d?pourvus d'index3. Il semblerait que dans les

Archives D?partementales ou Nationales la situation d?t ?tre plus favorable.

De fait, un certain nombre d'Archives D?partementales poss?dent des r?per toires des cartes et plans, g?n?ralement sur fiches ; ? Paris la s?rie N est dot?e

d'un inventaire manuscrit. Mais que ces instruments sont insuffisants ? Sans

vouloir diminuer en rien le m?rite des admirables travailleurs qui, depuis le

milieu du si?cle dernier, ont accompli, dans nos archives, une si utile besogne de classement et de description, il faut bien reconna?tre que leur formation

les avait mieux pr?par?s ? dresser la fiche signal?tique d'une charte que celle

d'un document topographique. Le chercheur, pr?occup? d'histoire rurale, demande essentiellement ? un r?pertoire de plans quatre indications : Io la

date (laquelle, dans beaucoup de cas, ne peut ?tre d?termin?e que par l'exa

men des pi?ces jointes, les cartes manquant fr?quemment de mentions chrono

logiques, les terriers jamais) ; 2? l'?chelle (souvent tr?s d?licate ? fixer) ; 3? la surface lev?e ; 4? le plan est-il parcellaire ou non ? Dans les r?pertoires

actuels, les trois premi?res indications sont rarement toutes trois r?unies, et

n'on le plus rarement encore la pr?cision n?cessaire. La quatri?me, la

1. ROBERT Dubois-Corneau, Pan's de Montmartel [1917],p. 147, n. 8, signale des plans terriers de Brunoy dans l'?tude d'un notaire de cette localit?. Il s'en rencontre ?galement dans les papiers notariaux vers?s aux Archives du Bas-Rhin.

2. Celui de Saint-Sulpice-de-Favi?res (cant. Dourdan) a ?t? vers? aux Archives D?par tementales : E suppl?ment. Cf., pour le Lot, P. Lavedan, Qu'est-ce que l'urbanisme ?, 1926, p. 178, n. 1.

3. Je rappelle que la Chronique des Archives d?partementales, que M. Vidier faisait

para?tre depuis 1923, dans le Bulletin philologique et historique, r?sume les rapports annuels des archivistes ; souhaitons que cette utile publication soit continu?e.

Page 72: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

68 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

plus indispensable sans doute, fait r?guli?rement d?faut. Impossible, par

exemple, dans l'immense s?rie N, aux Archives Nationales, de distinguer,

d'apr?s l'inventaire, les plans qui analysent le sol, champ par champ, de ceux

qui se contentent de dessiner d'un trait sommaire les fronti?res de la seigneurie ou du terroir. La refonte du grand recueil parisien serait un travail de longue

haleine. Mais, dans chaque d?p?t d?partemental, dresser l'?tat des plans par

cellaires anciens, ? ?tat ? n?ant ? s'il y a lieu, le renseignement a son prix pour

les chercheurs, ?

y joindre la liste provisoire des plans reconnus dans les

communes, la t?che, dans certains cas relativement ais?e, ailleurs beau

coup plus lourde, ne semble nulle part impossible ? mener ? bien. Il serait

temps de songer ? l'entreprendre1.

Je vais maintenant donner quelques exemples de plans parcellaires

anciens, choisis parmi des types aussi divers que possible.

Voici d'abord les plans reli?s avec le terrier de l'abbaye de Gorze, au dio

c?se de Metz : 1746-17492. Domaniaux plut?t que seigneuriaux, ils donnent

seulement les parcelles qui composaient, dans les diff?rents terroirs, la r?serve

exploit?e directement par le monast?re ou ses fermiers. Deux grands types de domaines, comportant, bien entendu, des formes interm?diaires, s'oppo sent nettement : domaine agglom?r? (exemple : Champs) ; domaine dispers?

(exemple : Saint-Julien). Ce contraste, propre ? mettre en garde contre

toute g?n?ralisation h?tive les historiens de la vie rurale du xviir2 si?cle,

est en lui-m?me un fait important. Resterait, dans chaque cas, ? l'expliquer

par le pass? et ? en suivre les effets, sur la r?partition de la propri?t?, apr?s la R?volution. Les plans ne peuvent que poser la question. C'est d?j?

beaucoup. Passons ? la Thi?rache. Le village de La Flamengrie, antique possession de

Saint-Denis, passa, en 1686, avec le reste de la mense abbatiale, aux mains

des Dames de Saint-Cyr, personnes fort soigneuses de leur fortune et ? qui nous devons une des plus belles s?ries de plans terriers qu'il m'ait ?t? donn?

de consulter. Celui de La Flamengrie est de 17193. Une partie de la surface

est occup?e par le hameau du Bois-Saint-Denis, ancien d?frichement, dont

la date pr?cise n'est pas connue, mais qui, certainement ant?rieur au xvr8

si?cle4, remonte selon toute apparence ? la grande ?poque des essarts :

xiie-xnie si?cles. Des maisons, chacune entour?e d'enclos, en files des deux c?t?s d'un chemin ; de part et d'autre de cette ar?te dorsale, des parcelles tr?s

longues et tr?s minces qui s'?tirent jusqu'aux parties intactes de la for?t : on reconna?t un type d'occupation du sol, ?videmment r?gl? d'avance et

d'ensemble, avec lequel de nombreuses Flurkarten allemandes, emprunt?es ?

des r?gions autrefois couvertes de bois, ont rendu nos yeux familiers5. Ces

1. Cf. Lucien Febvre, Instructions sp?ciales pour la documentation cartographique du R?pertoire de Synth?se historique, dans Bulletin du Centre international de synth?se, juin 1928, notamment p. 52.

2. Arch, de la Meuse, H 745-62. Terrier de Champs (commune Hag?ville, Meurthe-et Moselle, cant. Chambley), et Saint-Julien-l?s-Gorze (id.) : H. 747.

3. Arch, de Seine-et-Oise, D, fonds de Saint-Cyr. ?chelle non indiqu?e. La Flamengrie, Aisne, cant. La C apelle.

4. Il est mentionn? d?s 1550 ; voir une liasse de proc?dure, de 1719, entre les habitants et les Dames. ?Aujourd'hui Petit-Bois-Saint-Denis, commune La FI.

5. Ce sont les Waldhufen. Mais les savants allemands consid?rent, en g?n?ral, que les possessions des habitants ?taient d'un seul tenant : je ne vois pas de raison de croire qu'il en ait jamais ?t? ainsi ? Bois-Saint-Denis.

Page 73: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LES PLANS PARCELLAIRES 69

champs d?mesur?ment allong?s, volontiers nous en estimons aujourd'hui la

forme absurde. Dans la France du Nord, elle semblait jadis n?cessaire ; on

l'adoptait, tout naturellement, dans les terroirs cr??s de toute pi?ce, comme

l'adopteront encore, au xvne si?cle, dans les pays neufs de l'Am?rique sep

tentrionale, les colons fran?ais et anglais. Parmi les nombreux villages de l'Ile-de-France lev?s au cours du xvnie

si?cle, celui de Brunoy offre ? l'histoire de la propri?t? un objet d'?tude parti culi?rement favorable. On en poss?de en effet trois plans parcellaires relati

vement rapproch?s : 1724-1735, alors que la seigneurie venait d'?tre acquise

par le financier Paris de Montmartel ; 1783-1789, le seigneur ?tant Monsieur,

le futur Louis XVIII1 ; 1810, le plan cadastral, exceptionnellement ancien.

Paris de Montmartel exploitait en grand capitaliste. La comparaison des

premier et deuxi?me plans ? comment?s ? l'aide des terriers

? r?v?le ses

efforts pour concentrer le domaine en quelques grandes parcelles. La R?volu

tion semble avoir entra?n? de nouvelles divisions. A Rueil, pour une partie du terroir, nous pouvons mettre en regard deux plans anciens, le premier de

1680, le second, non dat?, du milieu du si?cle suivant2 ; dans les deux, le

morcellement des tenures est extr?me ; de l'un ? l'autre, il progresse l?g?re ment. Images ? m?diter par les ?conomistes qui chargent de tous les p?ch?s

le Code civil! Ailleurs, ? Guillerville, c'est l'enchev?trement des droits sei

gneuriaux qui appara?t clairement ; il n'y a pas moins de trois seigneurs dont

les mouvances s'entrem?lent ; pour certaines terres, on ne sait pas bien de

qui elles rel?vent3.

Morcellement, parcelles allong?es et sans cl?tures, ces traits, si apparents ? en d?pit de quelques irr?gularit?s locales ? sur les plans de l'Ile-de-France,

figurent parmi les signes classiques du syst?me des ? champs ouverts ?, tant

de fois ?tudi? par les savants anglais et allemands [open-field system, Gewann

d?rfer). Mais un autre caract?re, parfois consid?r? comme essentiel, fait ici

constamment d?faut : la division du terroir en soles. Nul doute que l'assole

ment triennal ne f?t g?n?ralement pratiqu? ; bien plus, ? nous le savons de

source s?re ? d'imp?rieuses n?cessit?s, d'ordre ? la fois technique et social,

imposaient aux exploitants l'ob?issance ? des r?gles de culture communes.

Nulle part, cependant, les labours ne nous apparaissent, comme on e?t pu

s'y attendre, r?partis en trois grands cantons, r?serv?s chacun ? une utilisation

saisonni?re d?termin?e et alternant entre eux selon un rythme annuel im

muable ; terriers et cartes ignorent les mots de ? sole ?, ? saison ?, ou tout

autre terme analogue. En Lorraine, au contraire, notamment dans la Lorraine

de langue allemande, ? cette m?me ?poque, les trois ? saisons? se d?tachent

nettement sur les plans ; voyez, par exemple, ceux de la baronnie de F?n?

trange (1717-1739), ou celui de Vittersbourg (1688?)4. Sympt?me, dans l'E't, d'un ?tat agraire moins ?volu? ? Il se peut. Pourtant, faisons-y bien attention :

1. Arch, de Seine-et-Oise, A 711 et 712. ?chelles variables selon les feuilles. Bruno y, Seine-et-Oise, cant. Boissy-Saint-L?ger. Cf. pour d'autres plans du m?me lieu, ou d'autres exemplaires des plans ci-dessus mentionn?s, supra, p. 67, n. 1.

2. Arch, de Seine-et-Oise, D, fonds de Saint-Cyr. Tous deux (pour la partie commune) ? l'?chelle d'environ 1 : 1 670, Rueil, Seine-et-Oise, cant. Marly-le-Roi.

3. Arch, de Seine-et-Oise, K, fonds de Morigny. ?chelle non indiqu?e. Guillerville, commune Sainte-Escobille, Seine-et-Oise, cant. Dourdan.

4. Arch, de Meurthe-et-Moselle, B 11765-87 et 11971. Pour l'?num?ration des village? de la baronnie de F?n?trange, voir l'Inventaire. Vittersbourg, Moselle, cant. Albestroff.

Page 74: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

70 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

l'histoire des campagnes lorraines, aux temps modernes, est celle d'une s?rie

d'accidents, beaucoup plut?t que d'une continuit?. De terribles guerres,

tout le long du xvne si?cle, avaient ravag? le duch? ; beaucoup de villages,

pendant des p?riodes plus ou moins longues, ?taient demeur?s d?serts ;

revenus, les paysans, qui ne trouvaient plus gu?re devant eux que des friches, se prirent ? cultiver ? confus?ment ?, sans tenir compte des vieilles coutumes,

protectrices des int?r?ts de la communaut?, n?gligeant m?me, ? l'occasion,

de respecter les limites des propri?t?s. Pouvoirs publics et seigneurs mirent le

hol?. En certains lieux, on dut proc?der ? de v?ritables redistributions de

parcelles. Partout, on prescrivit l'observation des ?anciennes saisons?. Et

sans doute, en voulant r?tablir l'ordre primitif, on fit dispara?tre des anoma

lies, dont beaucoup remontaient aux origines m?mes des terroirs. Selon toute

vraisemblance, le syst?me agraire lorrain n'avait, au xviir2 si?cle, une allure

si r?guli?re que parce qu'il venait d'?tre r?gularis? 1.

De ce point de vue, les anciens plans de la Lorraine, ou du moins certains

d'entre eux, rentrent dans une cat?gorie assez particuli?re : celle des plans destin?s ? constater un ? remembrement?, c'est-?-dire une r?forme g?n?rale du terroir. Ici, on ne cherchait qu'? renouer les traditions. Les remembre

ments plus r?cents visent, au contraire, ? rompre avec les errements du pass? :

on veut grouper les parcelles, diminuer le morcellement. La plupart de ces

op?rations, en France, datent des xixe et xxe si?cles ; nous les retrouverons

plus loin. Mais les premi?res ont ?t? accomplies avant la R?volution, sous

l'autorit? seigneuriale. Un plan venait fixer le nouvel ?tat de choses : tel, celui

des ?bans de Neuviller et Roville? apr?s la ?nouvelle division et distribu

tion? qui, accomplie en 1770 par un intendant ?clair?, La Galaizi?re, fit

?poque dans la doctrine2.

Les terroirs du Midi de la France diff?rent grandement de ceux du Nord ; les champs y ont des formes beaucoup plus vari?es et tendent souvent vers

le carr?. Cet aspect de puzzle, bien connu des travailleurs qui ont feuillet? les cadastres m?ridionaux, appara?t d?s les plans anciens : tel, celui de Mont

gaillard, en Lauragais3. Encore s'agit-il l? d'un village agglom?r?. Plus

?trange encore, ? des yeux form?s par les campagnes du Nord, un fragment du plan de Langon, en Guyenne, ex?cut? avant 1764, o? l'on voit un grand nombre de maisons dispers?es, chacune entour?e de son exploitation, qui, souvent, est enclose4. Curieux en lui-m?me, ce dernier document a eu, par surcro?t, un destin assez surprenant. Avec tout un lot de papiers d'arpenteur, il a ?chou? aux Archives de Seine-et-Oise, o? je ne pense pas qu'aucun histo

rien bordelais ait jamais eu l'id?e d'aller le chercher. Je tenais ? citer, en ter

minant, ce trait ; il fera sentir, mieux qu'un long discours, l'incertitude qui

p?sera sur nos recherches tant que n'aura pas ?t? constitu?, archives par

archives, l'inventaire g?n?ral des anciens plans parcellaires fran?ais.

Marc Bloch.

1. Cf. Georges IIottenger, Les remembrements en Lorraine au XVIIIe si?cle dans M?rn. de la Soci?t? d'Arch?ologie lorraine, t. LXIV (1919). Je compte revenir sur la question.

2. Arch. Nat., N I, 1. Cf. le plan de Neuviller,reproduit, d'apr?s un exemplaire con serv? aux archives de la mairie, par G. Hottenger, La propri?t? rurale en Lorraine. Morcellement et remembrement, 1914 (Biblioth. du Mus?e social), p. 90. Neuviller-sur-Mo selle et Rovi?le, Meurthe-et-Moselle, cant. Harou?.

3. Arch, de la Haute-Garonne, C 1580. Montgaillard, Haute-Garonne, cant. Ville iranche-en-Lauragais.

4. Arch, de Seine-et-Oise, A 326. ?chelle environl : 1 000. Langon, Gironde, arr. Bazas.

Page 75: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

II. ? LES CONGR?S

Sciences historiques. ? Le VIe Congr?s International des Sciences

Historiques a si?g?, du 14 au 18 ao?t 1928, dans les salles hospitali?res de

l'Universit? d'Oslo. La fondation des Annales y a ?t? annonc?e ; elle a ?t?

accueillie avec une sympathie des plus encourageantes. Nous sommes heureux

de penser que notre revue na?t sous le signe de la collaboration scienti

fique. Les deux Comit?s organisateurs

? le Comit? national norv?gien et le

Bureau du Comit? international, tous deux pr?sid?s par notre eminent colla

borateur, le professeur Halvdan Koht ? avaient assum? une t?che tr?s lourde.

Leur d?vouement a trouv? sa r?compense et leur succ?s sa sanction dans

l'unanime reconnaissance des congressistes. Nous leur associons dans un

m?me sentiment de gratitude le Comit? fran?ais, qui s'est d?pens? sans

compter au service de nos compatriotes, et l'ensemble de nos coll?gues nor

v?giens. L'attrait d'un admirable pays, l'int?r?t excit? par une civilisation

qui, sans cesser d'?tre vivante, a su conserver une profonde originalit?, sur

tout la charmante et simple cordialit? de nos h?tes ont gagn? ? la Norv?ge

beaucoup de nouveaux amis.

Est-ce ? dire que, dans le dessin g?n?ral des Congr?s historiques, il ne reste

plus aucun progr?s ? r?aliser ? Les metteurs en uvre de la r?union d'Oslo

ne nous pardonneraient pas de le penser ; ils sont trop bons historiens pour ne

pas savoir que l'adaptation d'une institution ? ses fins propres ne se fait

jamais que peu ? peu. A des yeux habitu?s au recul du pass?, nos congr?s sont une institution encore toute jeune : vingt-huit ans d'?ge ! La prochaine session ?

Varsovie, 1933 ? marquera le tournant de la trentaine. A ses orga

nisateurs, les Annales soumettent les r?flexions qui suivent.

Il semble qu'un Congr?s d'historiens doive offrir, essentiellement, trois

?l?ments d'int?r?t.

Par lui, un contact personnel s'?tablit entre des savants dont beaucoup,

jusque-l?, ne se connaissaient que par leurs ouvrages. Les relations ainsi

form?es ne satisfont pas seulement cette curiosit?, un peu pu?rile peut-?tre, mais n?e, apr?s tout, d'un sens estimable du concret, qui inspire ? tant d'entre

nous le d?sir de mettre derri?re un livre l'image d'un homme et le son d'une

voix ; elles facilitent les ?changes intellectuels et parfois m?me provoquent de

f?condes collaborations. Nous sommes beaucoup ? rapporter d'Oslo le sou

venir, extr?mement pr?cieux, de pareilles entrevues. Tout au plus peut-on

exprimer le d?sir que, ? l'avenir, les rencontres soient rendues encore plus ais?es. Le plus s?r moyen d'y parvenir est sans doute de multiplier, en dehors

des s?ances, ces r?ceptions g?n?rales, ?tendues ? la totalit? des congressistes,

qui, pour peu que le cadre s'y pr?te et que quelques coll?gues obligeants s'in

g?nient ? servir d'interm?diaires, offrent, dans leur d?sordre apparent, l'occa

sion de tant de vivants entretiens.

Mais un Congr?s n'est pas seulement une Cosmopolis, peupl?e d'hommes

Page 76: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

72 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

venus des quatre coins de l'horizon. Il se tient dans une ville qui a son pass? et sa vie propres, dans un pays dont l'originalit? historique fournit, ? ceux qui savent les entendre, de fructueuses le?ons. Encore faut-il que ces tr?sors

intellectuels soient mis ? la port?e de tous ! A Oslo, sous la conduite de M. Haakon Shetelig, la visite des merveilleuses et ?tranges trouvailles faites

dans les tombes d'Oseberg et de Gokstad, puis devant les vitrines de VOse

bergsalle, la saisissante improvisation de M. Rostovtzeff (dans un esprit de

belle impartialit? scientifique, M. Shetelig avait lui-m?me tenu ? c?der la

parole ? l'illustre savant russe, dont il ne partage point les th?ories), voil?,

parmi tant de bons souvenirs que m'a laiss?s le Congr?s, peut-?tre le plus

frappant ; et je crois bien ne pas ?tre le seul ? sentir ainsi. Qu'on veuille bien

me comprendre : pas plus que la majorit? des auditeurs r?unis ce jour-l? dans

?o Mus?e, je ne suis, ? aucun degr?, un sp?cialiste. Je n'ai jamais ?crit, je

n'?crirai, selon toute apparence, jamais sur r?volution du ?style animal?.

Mais qui de nous ne sait que son travail propre se nourrit de tout enrichisse

ment de sa culture historique ! J'aurais souhait?, je l'avoue, un effort plus soutenu pour nous ouvrir l'intelligence de la civilisation norv?gienne, ? la fois

dans son pass? et dans son pr?sent. Nos amis de l?-bas ne demandaient cer

tainement qu'? nous rendre ce service. A la v?rit?, une section sp?ciale du

Congr?s ?tait consacr?e ? 1'? histoire des nations nordiques? ; mais les com

munications erudites qu'elle groupait ?taient destin?es aux sp?cialistes. C'est

pour l'historien ? moyen? que je plaide ici. Je sais que, au cours des excur

sions qui suivirent le Congr?s et auxquelles je n'ai malheureusement pas pu

participer, beaucoup a ?t? fait dans le sens que j'indique. D?s Oslo m?me, il

e?t ?t?, je crois, possible d'offrir une p?ture plus abondante aux bons ?l?ves

dont beaucoup d'entre nous se sentaient l'?me. Un exemple ?clairera ma

pens?e. Le hasard d'une conversation m'a appris qu'un de nos plus ?minents

coll?gues norv?giens pr?pare une histoire de la ville d'Oslo. Nos promenades le long de la Karl-Johansgade, au pied des vieux murs d'Akershus et sur

les quais du port, n'auraient-elles pas pris un attrait plus vif encore et acquis une valeur ?ducative toute nouvelle, si l'historien d'Oslo nous avait expliqu? sa ville ?l

J'arrive enfin ? ce qui est, ? tout prendre, l'essence m?me d'un congr?s :

les communications, les discussions qui les suivent. Nous avons entendu ?

Oslo beaucoup de rapports d'un grand int?r?t, quelques discussions vraiment

suggestives. Mais suis-je trop gourmand ? J'emporte un regret : parmi les

communications que j'eusse d?sir? ?couter, il en est un assez grand nombre

que, retenu ailleurs, j'ai manquees. C'est l'effet d'un ?tat de choses qui,

depuis qu'il y a des Congr?s, n'a cess? d'?tre d?nonc? : abondance excessive des communications, portant sur des sujets trop vari?s ; d'o?, par une cons?

quence fatale, la formation d'un nombre exub?rant de sections. Les divisions

chronologiques (il y avait des sections d'histoire ancienne, d'histoire m?di?

vale, d'histoire moderne et contemporaine) s'enchev?trent avec d'autres

barri?res,construites sur un plan m?thodique -.sections d'histoire ?conomique, d'histoire religieuse, etc.. Irrationnel donc dans son principe, ce morcellement,

1. Un exemple encore : une section du Congr?s^?tait consacr?e ? l'enseignement de l'histoire. Je ne vois pas qu'aucune communication y ait ?t? pr?vue sur l'organisation

de cet enseignement, ? ses trois degr?s, dans le pays m?me qui nous accueillait et que l'on sent si pr?occup? de conserver vivantes les traditions de son pass?.

Page 77: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LES CONGR?S 73

pouss? ? l'extr?me, n'est pas seulement, en pratique, des plus g?nants ; sur le

plan intellectuel, il est n?faste, car il masque l'unit? profonde des p?riodes et

des ?volutions. Mais le rem?de ? il faut avouer qu'il n'est pas commode ?

trouver. Pleinement conscients du danger, les organisateurs du Congr?s se

sont efforc?s d'y parer ; s'ils n'y ont pas r?ussi tout ? fait, qui donc oserait

les en bl?mer ? Il est trop facile de critiquer quand on n'est pas soi-m?me au

gouvernail. ?liminer les communications qui portent sur des th?mes trop

restreints, bons pour ?tre ?tudi?s dans des m?moires ?rudits, mais incapables de susciter des ?changes de vues f?conds ? Cela est vite dit ; mais le triage est

d?licat et les obligations de courtoisie parfois imp?rieuses. Peut-?tre des direc

tives tr?s fermes ?manant du comit? central et des comit?s nationaux

auraient-elles quelque effet. Le reste est affaire de tact chez les dirigeants, de raison chez les congressistes. Aussi bien les communications de natun

infinit?simale ont-elles ?t?, si je compte bien, plus rares cette fois-ci que par le pass? : progr?s certain. Mais la dispersion subsiste. Une tentative int?res

sante avait ?t? faite par le Comit? fran?ais : choix de quelques grandes ques

tions, sur lesquelles des rapports avaient ?t? r?dig?s par des savants qualifi?s, distribution aux congressistes de ces rapports imprim?s qui pouvaient servir

de.base ? la discussion. La m?thode n'est pas encore au point. Mais l'avenii

nous para?t de ce c?t?-l?. Centrer l'activit? du congr?s autour d'un certain

nombre de grands probl?mes, soigneusement choisis et d?limit?s, d'int?r?t

international, substituer, en un mot, au groupement factice par sections le

groupement par probl?mes, voil?, croyons-nous, l'id?al dont il faudra cher

cher ? se rapprocher. Les congr?s g?ographiques, ceux des sciences de la

nature, l'ont compris, avant nous. Que les historiens soient tout pr?ts ? so

rallier ? cette conception, je n'en veux pour preuve que le vif int?r?t suscit?, ? Oslo, par la discussion qui s'est engag?e autour des th?ses de M. Pirenne sur

l'?volution du haut moyen ?ge : ce jour-l?, si j'en juge par les noms des

savants qui prirent part ? la discussion ou simplement y assist?rent, les

murs entre les sections n'ont plus gu?re ?t? respect?s: Les Annales, dont le

programme m?me est une protestation, non contre la sp?cialisation l?gitime, mais contre les cloisonnements arbitraires, s'associeront avec sympathie ?

cette uvre de rapprochement et d'organisation. Marc Bloch.

G?ographie. ? Le Congr?s International de G?ographie s'est r?uni ?

Cambridge, du 18 au 25 juillet 1928. Un probl?me ? celui de l'habitat ?

d'une importance primordiale pour l'histoire ?conomique et sociale, telle que nous l'entendons ici, y a ?t? l'objet d'une particuli?re attention ; le traitement

qui lui a ?t? donn? fournit un exemple remarquable, bien qu'encore imparfait, de coop?ration dans les recherches.

Le Congr?s du Caire, en 1925, avait ?mis le v u que dans le programme du Congr?s suivant figur?t la question de la g?ographie de l'habitat rural ; une commission devait ?tre constitu?e afin d'?tablir un questionnaire, de

centraliser et de coordonner les r?ponses re?ues. Ce v u r?pondait ? une double n?cessit? : 1? orienter les travaux des

congr?s vers certains probl?mes d'ordre tr?s g?n?ral et de port?e internatio

nale ; 2? essayer de donner ? la g?ographie de l'habitat rural des limites d?fi

Page 78: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LES CONGR?S 73

pouss? ? l'extr?me, n'est pas seulement, en pratique, des plus g?nants ; sur le

plan intellectuel, il est n?faste, car il masque l'unit? profonde des p?riodes et

des ?volutions. Mais le rem?de ? il faut avouer qu'il n'est pas commode ?

trouver. Pleinement conscients du danger, les organisateurs du Congr?s se

sont efforc?s d'y parer ; s'ils n'y ont pas r?ussi tout ? fait, qui donc oserait

les en bl?mer ? Il est trop facile de critiquer quand on n'est pas soi-m?me au

gouvernail. ?liminer les communications qui portent sur des th?mes trop

restreints, bons pour ?tre ?tudi?s dans des m?moires ?rudits, mais incapables de susciter des ?changes de vues f?conds ? Cela est vite dit ; mais le triage est

d?licat et les obligations de courtoisie parfois imp?rieuses. Peut-?tre des direc

tives tr?s fermes ?manant du comit? central et des comit?s nationaux

auraient-elles quelque effet. Le reste est affaire de tact chez les dirigeants, de raison chez les congressistes. Aussi bien les communications de natun

infinit?simale ont-elles ?t?, si je compte bien, plus rares cette fois-ci que par le pass? : progr?s certain. Mais la dispersion subsiste. Une tentative int?res

sante avait ?t? faite par le Comit? fran?ais : choix de quelques grandes ques

tions, sur lesquelles des rapports avaient ?t? r?dig?s par des savants qualifi?s, distribution aux congressistes de ces rapports imprim?s qui pouvaient servir

de.base ? la discussion. La m?thode n'est pas encore au point. Mais l'avenii

nous para?t de ce c?t?-l?. Centrer l'activit? du congr?s autour d'un certain

nombre de grands probl?mes, soigneusement choisis et d?limit?s, d'int?r?t

international, substituer, en un mot, au groupement factice par sections le

groupement par probl?mes, voil?, croyons-nous, l'id?al dont il faudra cher

cher ? se rapprocher. Les congr?s g?ographiques, ceux des sciences de la

nature, l'ont compris, avant nous. Que les historiens soient tout pr?ts ? so

rallier ? cette conception, je n'en veux pour preuve que le vif int?r?t suscit?, ? Oslo, par la discussion qui s'est engag?e autour des th?ses de M. Pirenne sur

l'?volution du haut moyen ?ge : ce jour-l?, si j'en juge par les noms des

savants qui prirent part ? la discussion ou simplement y assist?rent, les

murs entre les sections n'ont plus gu?re ?t? respect?s: Les Annales, dont le

programme m?me est une protestation, non contre la sp?cialisation l?gitime, mais contre les cloisonnements arbitraires, s'associeront avec sympathie ?

cette uvre de rapprochement et d'organisation. Marc Bloch.

G?ographie. ? Le Congr?s International de G?ographie s'est r?uni ?

Cambridge, du 18 au 25 juillet 1928. Un probl?me ? celui de l'habitat ?

d'une importance primordiale pour l'histoire ?conomique et sociale, telle que nous l'entendons ici, y a ?t? l'objet d'une particuli?re attention ; le traitement

qui lui a ?t? donn? fournit un exemple remarquable, bien qu'encore imparfait, de coop?ration dans les recherches.

Le Congr?s du Caire, en 1925, avait ?mis le v u que dans le programme du Congr?s suivant figur?t la question de la g?ographie de l'habitat rural ; une commission devait ?tre constitu?e afin d'?tablir un questionnaire, de

centraliser et de coordonner les r?ponses re?ues. Ce v u r?pondait ? une double n?cessit? : 1? orienter les travaux des

congr?s vers certains probl?mes d'ordre tr?s g?n?ral et de port?e internatio

nale ; 2? essayer de donner ? la g?ographie de l'habitat rural des limites d?fi

Page 79: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

74 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

nies et de fixer une m?thode de travail homog?ne. Les discussions provoqu?es ? la suite de communications, entre savants de diff?rents pays, n'avaient, en effet, que trop d?montr? l'impr?cision qui s'attache encore ? la conception

g?ographique de la maison en tant que fait de surface.

Une commission, compos?e de quatre membres, fut constitu?e en avril

1925. Peu de temps apr?s, son pr?sident, M. Demangeon, publia un question naire appelant les g?ographes ? l'?tude de la r?partition des types d'habi

tat1. Ce questionnaire comportait quatre paragraphes dont je ne signale que le premier : D?finitions. Titre significatif de l'?tat n?buleux dans lequel se

trouve encore un des plus importants probl?mes de la g?ographie humaine.

Aussi tous ceux que ces questions int?ressent attendaient-ils beaucoup du

premier rapport que la Commission devait pr?senter au Congr?s. A Cam

bridge, on eut ? regretter d'abord, tr?s vivement, l'absence involontaire du

pr?sident de la Commission. Il en r?sulta un peu de flottement dans l'orga nisation des travaux. La Commission avait distribu? ? chaque membre du

Congr?s un rapport imprim? de 130 pages2, contenant quelques ?tudes

originales et des articles, publi?s ant?rieurement, ayant avec la question de

l'habitat rural un lien plus ou moins direct.

Sans m?conna?tre l'int?r?t ni la valeur de ces ?tudes, il faut avouer que le

rapport ne r?pondait pas enti?rement ? ce qu'on en esp?rait. Un petit nombre

seulement des probl?mes sur lesquels le questionnaire avait particuli?rement attir? l'attention y ?taient trait?s ; on n'y trouvait aucune r?ponse directe

aux nombreuses questions pos?es ; on y d?plorait surtout le manque total de

tout essai de d?finition de l'Habitat rural et de ses modes de r?partition. A notre avis le but principal du rapport aurait d? ?tre d'apporter mati?re

? discussion en une s?ance sp?cialement consacr?e au probl?me envisag?. Ces

remarques peuvent s'?tendre ? la g?n?ralit? des communications pr?sent?es ? la section de g?ographie humaine : trop peu nombreuses ?taient celles d'un

int?r?t g?n?ral et leur ?parpillement dans diff?rentes s?ances fut regrettable. Il serait souhaitable qu'? l'avenir les communications portant sur un m?me

sujet se suivissent les unes les autres. Leur groupement, en unifiant les dis

cussions qu'elles entra?nent, aurait l'avantage, non seulement de permettre une meilleure vue d'ensemble, mais aussi de r?aliser un pr?cieux gain de temps en ?vitant des redites, fatales, lorsque des sujets semblables sont trait?s ? un

ou deux jours d'intervalle.

Malgr? ces t?tonnements de mise en train, la Commission a fait uvre

utile si l'on en juge par le programme qu'elle s'est propos? de r?aliser pour le

prochain Congr?s et qui fut approuv? en s?ance pl?ni?re de cl?ture. Elle s'est

attach? des collaborateurs dans un grand nombre de pays. Leur travail con

sistera ? ?tudier sp?cialement les types d'habitat propres ? leur pays respectif. La Commission centralisera les r?sultats de ces ?tudes r?gionales et t?chera

d'en d?gager une synth?se sous forme d'une ? carte de la r?partition des

types d'habitat rural? qui sera pr?sent?e au Congr?s de G?ographie de Paris en 1931.

Ce serait se faire illusion de croire que cette tentative de carte g?n?rale de

1. Un questionnaire sur l'habitat rural dans Ann. de G?ographie, 1926, p. 289-292. 2. Union g?ographique internationale. Rapport de la Commission de l'Habitat rural.

Newtown, Mont., Montgomeryshire Express, Ltd., 1928.

Page 80: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LES CONGR?S 75

la distribution des maisons ? la surface de la terre puisse, d'ici trois ans,

trouver sa forme d?finitive ni surtout couvrir d?j? de grandes surfaces. On

peut esp?rer toutefois que cet essai de g?ographie r?gionale compar?e jettera

plus de lumi?re sur un important chapitre de g?ographie humaine ; ce sera

d?j? faire uvre utile que de remuer des id?es et peut-?tre d'en faire na?tre.

Afin de r?aliser au mieux son programme et de pr?parer plus m?thodique ment les travaux du prochain Congr?s, la Commission demande ? ses colla

borateurs que les r?sultats de leurs recherches lui parviennent en temps utile, au moins un an avant la r?union, pour que le d?pouillement en puisse ?tre

fait minutieusement1.

M. A. Lef?vre.

(Louvain.)

1. On trouvera prochainement dans les Annales un article d'ensemble sur le probl?me de l'habitat rural.

Page 81: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

III. ? LES CENTRES D'?TUDES

Les Facult?s des Sciences politiques en Italie. ? L'av?nement

des sciences politiques ? la dignit? d'enseignement universitaire, la cr?ation

d'un doctorat ?s-sciences politiques n'?taient, en Italie, que des aspirations, avant l'?tablissement du gouvernement fasciste.

On peut, il est vrai, trouver quelques pr?c?dents aux fondations nou

velles : l'Institut Sup?rieur des Sciences Sociales ? Cesar Alfieri?, ? Florence, ou l'?cole ?conomico-administrative de l'Universit? royale de Rome,

?

celle-ci d'assez courte dur?e (vingt-trois ans, de 1878 ? 1901). Mais, par la

force des choses, ni l'une ni l'autre ? malgr? les pr?cieux secours qu'elles

offraient aux jeunes gens d?sireux de se consacrer aux carri?res diplomatique, consulaire et administrative,

? n'?taient en mesure de pourvoir efficacement

? la diffusion d'une culture politique vraiment scientifique. Le gouvernement fasciste s'est pr?occup? de rem?dier ? cette insuffisance :

il a institu? des Facult?s de Sciences Politiques aupr?s des Universit?s royales de Rome et de Pavie d'abord, aupr?s de celle de Perouse ensuite.

Les deux premi?res Facult?s tirent leur origine imm?diate des ?coles de

Sciences Politiques cr??es dans les deux glorieux Ath?n?es imm?diatement

apr?s l'arriv?e au pouvoir du nouveau gouvernement. A la fin des quatre ann?es r?glementaires, toutes trois conf?rent la licence ?s-sciences politiques

qui donne acc?s aux carri?res d'?tat, carri?re judiciaire except?e. La Facult? des Sciences Politiques de l'Universit? royale de Rome fut

institu?e par le D?cret-Loi du 4 septembre 1925. Elle est outill?e pour fournir

aux jeunes gens une culture juridico-?conomique et politique. La pr?paration

juridico-?conomique, r?serv?e aux deux premi?res ann?es, est la condition

n?cessaire de la sp?cialisation ult?rieure dans les disciplines purement poli

tiques ; il va de soi, en effet, que celles-ci se fondent sur le Droit et l'?conomie.

Les deux ann?es suivantes sont consacr?es ? l'?tude de mati?res jusque-l? inconnues de nos Ath?n?es : l?gislation ?conomique et l?gislation du travail,

politique et statistique ?conomique, politique et l?gislation financi?re,

histoire des colonies et politique coloniale, histoire des trait?s et des relations

internationales, science bancaire, l?gislation coloniale.

Les enseignements, donn?s dans les conf?rences acad?miques, trouvent

ensuite leur compl?ment dans les discussions qui se d?roulent dans les Insti

tuts de Droit Public et L?gislation Sociale, de Politique et L?gislation finan

ci?re, de Statistique et Politique ?conomique. L'activit? de ces Instituts est

prouv?e par les publications qui en sont d?j? sorties.

Un caract?re avant tout historique : voil? la marque propre de la Facult?

des Sciences Politiques n?e, en vertu du d?cret royal du 7 janvier 1926, aupr?s de l'antique Ath?n?e de Pavie. A c?t? du Droit dont l'enseignement est tra

ditionnel ? Pavie, on entend maintenant les nouvelles disciplines : histoire des

institutions publiques, diplomatie et histoire des trait?s, histoire des doc

trines politiques, politique ?conomique, ?conomie bancaire, organisation des

Page 82: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LES CENTRES D'?TUDES 77

?tats contemporains, droit syndical et droit du travail, politique coloniale.

Pr?mices et base de ces disciplines les cours fondamentaux de Droit, d'?co

nomie et d'Histoire sont donn?s dans les deux premi?res ann?es pr?para toires. Telle est l'ossature de la Facult?. En outre, il existe des instituts de

Politique ?trang?re, de Politique ?conomique et de Droit Public ; l? est la

partie la plus vivante de l'enseignement, puisque l? ont lieu les discussions

entre professeurs et ?l?ves. Aussi bien les r?sultats peuvent-ils d?s maintenant

?tre appr?ci?s. Les Instituts ont en effet leurs organes : un recueil de publica tions et une revue Annali di Scienze Politiehe qui, avec son suppl?ment

annuel, VAnnuario di Pol?tica estera informe assid?ment ses lecteurs sur

l'activit? scientifique ainsi que sur les ?v?nements politiques en cours.

Plus r?cente est la Facult? n?e dans l'Universit? royale de Perouse. Insti

tu?e par un d?cret royal du 23 octobre 1927, dans la ville o? si?gea le Quartier

g?n?ral de la Marche sur Rome, ses caract?res propres la diff?rencient nette

ment de ses s urs. Us s'expriment par son nom m?me : Facult? Fasciste de

Sciences Politiques, entendez facult? vou?e plus que toute autre ? l'?tude

des probl?mes que l'av?nement du gouvernement fasciste a pos?s devant

le peuple italien. Ainsi qu'il est dit dans les Statuts, son but principal est de

? d?velopper la connaissance et la conscience du fascisme et de pr?parer les

fascistes aux carri?res : administrative, syndicale et corporative, consulaire

et diplomatique, coloniale, journalistique?. Conform?ment ? ce dessein, on y voit donn?s, entre autres, des cours de syst?mes de l?gislation fasciste, de

droit syndical et corporatif, d'histoire du journalisme, de l?gislation sur la

presse.

Ainsi chaque Facult? garde son originalit? et r?pond, ? sa fa?on, aux

besoins d'une instruction politique sup?rieure. Eraldo Fossati.

(Pavie.)

L'Institut international des langues et civilisations africai

nes. ? Constituer un Bureau d'information, centraliser et diffuser des do

cuments, aider ? publier les plus importants de ceux-ci, mettre en rapport toutes les personnes qui, ? un titre quelconque, s'int?ressent ? l'Afrique, telle est la t?che complexe et d?licate ? laquelle se consacre l'organisme cr??

? Londres il y a deux ans sous les auspices de Lord Lugard et de Maurice

Delafosse (Londres, 22, Craven Street, Strand ; Paris, 26, rue de la P?pini?re). L'Institut a com.u, et commenc? ? r?aliser, un programme essentiellement

pratique, et auquel les puissances ayant des int?r?ts en Afrique ne peuvent demeurer indiff?rentes. Il se propose en effet d'?tudier l'indig?ne, les idiomes

qu'il parle, ses institutions, sa production, son travail.

Pour mener ? bien une pareille entreprise, l'Institut semble s'?tre forte

ment organis?. Il poss?de un Conseil ex?cutif de douze membres, parmi les

quels on remarque M. L?vy-Bruhl, de l'Acad?mie des Sciences Morales et

Politiques, le Gouverneur Honoraire Julien, dont les travaux sur Madagascar font autorit?, et le Colonel Derendinger. Son Pr?sident est Lord Lugard, ancien

Gouverneur G?n?ral de la Nigeria, Membre de la Commission des Mandats.

Le D?partement de l'Ethnologie a ?t? confi? ? un Directeur, M. H. Labouret,

Page 83: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LES CENTRES D'?TUDES 77

?tats contemporains, droit syndical et droit du travail, politique coloniale.

Pr?mices et base de ces disciplines les cours fondamentaux de Droit, d'?co

nomie et d'Histoire sont donn?s dans les deux premi?res ann?es pr?para toires. Telle est l'ossature de la Facult?. En outre, il existe des instituts de

Politique ?trang?re, de Politique ?conomique et de Droit Public ; l? est la

partie la plus vivante de l'enseignement, puisque l? ont lieu les discussions

entre professeurs et ?l?ves. Aussi bien les r?sultats peuvent-ils d?s maintenant

?tre appr?ci?s. Les Instituts ont en effet leurs organes : un recueil de publica tions et une revue Annali di Scienze Politiehe qui, avec son suppl?ment

annuel, VAnnuario di Pol?tica estera informe assid?ment ses lecteurs sur

l'activit? scientifique ainsi que sur les ?v?nements politiques en cours.

Plus r?cente est la Facult? n?e dans l'Universit? royale de Perouse. Insti

tu?e par un d?cret royal du 23 octobre 1927, dans la ville o? si?gea le Quartier

g?n?ral de la Marche sur Rome, ses caract?res propres la diff?rencient nette

ment de ses s urs. Us s'expriment par son nom m?me : Facult? Fasciste de

Sciences Politiques, entendez facult? vou?e plus que toute autre ? l'?tude

des probl?mes que l'av?nement du gouvernement fasciste a pos?s devant

le peuple italien. Ainsi qu'il est dit dans les Statuts, son but principal est de

? d?velopper la connaissance et la conscience du fascisme et de pr?parer les

fascistes aux carri?res : administrative, syndicale et corporative, consulaire

et diplomatique, coloniale, journalistique?. Conform?ment ? ce dessein, on y voit donn?s, entre autres, des cours de syst?mes de l?gislation fasciste, de

droit syndical et corporatif, d'histoire du journalisme, de l?gislation sur la

presse.

Ainsi chaque Facult? garde son originalit? et r?pond, ? sa fa?on, aux

besoins d'une instruction politique sup?rieure. Eraldo Fossati.

(Pavie.)

L'Institut international des langues et civilisations africai

nes. ? Constituer un Bureau d'information, centraliser et diffuser des do

cuments, aider ? publier les plus importants de ceux-ci, mettre en rapport toutes les personnes qui, ? un titre quelconque, s'int?ressent ? l'Afrique, telle est la t?che complexe et d?licate ? laquelle se consacre l'organisme cr??

? Londres il y a deux ans sous les auspices de Lord Lugard et de Maurice

Delafosse (Londres, 22, Craven Street, Strand ; Paris, 26, rue de la P?pini?re). L'Institut a com.u, et commenc? ? r?aliser, un programme essentiellement

pratique, et auquel les puissances ayant des int?r?ts en Afrique ne peuvent demeurer indiff?rentes. Il se propose en effet d'?tudier l'indig?ne, les idiomes

qu'il parle, ses institutions, sa production, son travail.

Pour mener ? bien une pareille entreprise, l'Institut semble s'?tre forte

ment organis?. Il poss?de un Conseil ex?cutif de douze membres, parmi les

quels on remarque M. L?vy-Bruhl, de l'Acad?mie des Sciences Morales et

Politiques, le Gouverneur Honoraire Julien, dont les travaux sur Madagascar font autorit?, et le Colonel Derendinger. Son Pr?sident est Lord Lugard, ancien

Gouverneur G?n?ral de la Nigeria, Membre de la Commission des Mandats.

Le D?partement de l'Ethnologie a ?t? confi? ? un Directeur, M. H. Labouret,

Page 84: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

78 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

Professeur ? l'?cole des Langues orientales vivantes et ? l'?cole coloniale,

tandis que celui de la Linguistique est administr? par le Professeur Diedrich

Westermann, de Berlin, le savant qui s'est consacr? depuis de longues ann?es

? la phon?tique et aux idiomes africains.

Le premier soin des Directeurs a ?t? de r?unir une bibliographie aussi exhaustive que possible et d'?diter une revue trimestrielle. La bibliographie

comprendra une partie linguistique, qui sera publi?e prochainement ; il n'entre

pas dans les vues actuelles de l'Institut de faire para?tre les nombreuses r?f?

rences sur fiches concernant l'Ethnologie et dont le classement s'op?re en ce

moment.

Africa, Journal de VInstitut international des Langues et Civilisations afri caines (trimestriel, in-8?, fascicule de 96 p., abonn., 22, Craven Street, un an

125 fr.) renferme des articles en allemand, en anglais et en fran?ais ; le premier num?ro remonte au mois de janvier 1928. Malgr? l'int?r?t des travaux d?j?

parus et de ceux qui sont annonc?s, l'Institut se rend compte qu'il peut encore apporter ? la science une contribution plus pr?cieuse en faisant con

na?tre les documents ethnologiques et linguistiques r?unis en Afrique, sous

son impulsion, par des correspondants qualifi?s ; c'est pourquoi il entend

publier sous peu une s?rie de monographies particuli?res. 11 y joindra bient?t

des travaux plus ?tendus, portant sur des questions g?n?rales, et annonce d?s

? pr?sent dans cette cat?gorie un volume sur La propri?t? fonci?re indig?ne dans VOuest Africain.

Il est ? peine besoin d'insister sur l'int?r?t de pareilles entreprises. L'?la

boration d'une doctrine coloniale rationnelle, l'am?lioration des conditions

mat?rielles et morales de la vie indig?ne ne sont pas les seuls bienfaits que l'on puisse en attendre. Elles int?ressent ?galement au premier chef les ?tudes

de pure science dont les Annales veulent ?tre l'organe. La connaissance des

soci?t?s africaines, de leur constitution, de leurs formes ?conomiques, est

en elle-m?me un objet de recherches extr?mement important ; et quel sujet de r?flexion, quels termes de comparaison n'offrent-elles pas ? l'historien des

soci?t?s europ?ennes ?

L'histoire rurale en Tch?coslovaquie: revues et institutions. ? La Tch?coslovaquie ne poss?de pas

? disons, pour r?server l'avenir, ne

poss?de pas encore ? d'institut sp?cialis? dans l'?tude de l'histoire rurale.

Mais divers p?riodiques et divers groupements, tout en poursuivant leurs

fins propres, consacrent une part importante de leur activit? ? cette cat?gorie de recherches.

D'abord, par ordre de date, une revue : le Casopis pro d?jeny venkova

(Revue pour l'histoire de la campagne), cr?? en 1914, sous le titre

d'Archives Agraires. Son fondateur, Mr Vystyd, fut une des victimes de la

guerre ; il mourut peu apr?s la publication du premier num?ro. Mr J. Kasi

mour lui a succ?d?. Le ?asopis a donn? aux chercheurs la possibilit? de faire

conna?tre les r?sultats de leurs travaux ; il a, en outre, efficacement contribu?

? ?veiller, dans un large public, le go?t de l'histoire ?conomique. Parmi les articles int?ressants qui y ont paru, en grand nombre, citons le Tableau

Synoptique de Vhistoire de la classe paysanne en Boh?me et en Moravie, de

Page 85: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

78 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

Professeur ? l'?cole des Langues orientales vivantes et ? l'?cole coloniale,

tandis que celui de la Linguistique est administr? par le Professeur Diedrich

Westermann, de Berlin, le savant qui s'est consacr? depuis de longues ann?es

? la phon?tique et aux idiomes africains.

Le premier soin des Directeurs a ?t? de r?unir une bibliographie aussi exhaustive que possible et d'?diter une revue trimestrielle. La bibliographie

comprendra une partie linguistique, qui sera publi?e prochainement ; il n'entre

pas dans les vues actuelles de l'Institut de faire para?tre les nombreuses r?f?

rences sur fiches concernant l'Ethnologie et dont le classement s'op?re en ce

moment.

Africa, Journal de VInstitut international des Langues et Civilisations afri caines (trimestriel, in-8?, fascicule de 96 p., abonn., 22, Craven Street, un an

125 fr.) renferme des articles en allemand, en anglais et en fran?ais ; le premier num?ro remonte au mois de janvier 1928. Malgr? l'int?r?t des travaux d?j?

parus et de ceux qui sont annonc?s, l'Institut se rend compte qu'il peut encore apporter ? la science une contribution plus pr?cieuse en faisant con

na?tre les documents ethnologiques et linguistiques r?unis en Afrique, sous

son impulsion, par des correspondants qualifi?s ; c'est pourquoi il entend

publier sous peu une s?rie de monographies particuli?res. 11 y joindra bient?t

des travaux plus ?tendus, portant sur des questions g?n?rales, et annonce d?s

? pr?sent dans cette cat?gorie un volume sur La propri?t? fonci?re indig?ne dans VOuest Africain.

Il est ? peine besoin d'insister sur l'int?r?t de pareilles entreprises. L'?la

boration d'une doctrine coloniale rationnelle, l'am?lioration des conditions

mat?rielles et morales de la vie indig?ne ne sont pas les seuls bienfaits que l'on puisse en attendre. Elles int?ressent ?galement au premier chef les ?tudes

de pure science dont les Annales veulent ?tre l'organe. La connaissance des

soci?t?s africaines, de leur constitution, de leurs formes ?conomiques, est

en elle-m?me un objet de recherches extr?mement important ; et quel sujet de r?flexion, quels termes de comparaison n'offrent-elles pas ? l'historien des

soci?t?s europ?ennes ?

L'histoire rurale en Tch?coslovaquie: revues et institutions. ? La Tch?coslovaquie ne poss?de pas

? disons, pour r?server l'avenir, ne

poss?de pas encore ? d'institut sp?cialis? dans l'?tude de l'histoire rurale.

Mais divers p?riodiques et divers groupements, tout en poursuivant leurs

fins propres, consacrent une part importante de leur activit? ? cette cat?gorie de recherches.

D'abord, par ordre de date, une revue : le Casopis pro d?jeny venkova

(Revue pour l'histoire de la campagne), cr?? en 1914, sous le titre

d'Archives Agraires. Son fondateur, Mr Vystyd, fut une des victimes de la

guerre ; il mourut peu apr?s la publication du premier num?ro. Mr J. Kasi

mour lui a succ?d?. Le ?asopis a donn? aux chercheurs la possibilit? de faire

conna?tre les r?sultats de leurs travaux ; il a, en outre, efficacement contribu?

? ?veiller, dans un large public, le go?t de l'histoire ?conomique. Parmi les articles int?ressants qui y ont paru, en grand nombre, citons le Tableau

Synoptique de Vhistoire de la classe paysanne en Boh?me et en Moravie, de

Page 86: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LES CENTRES D'?TUDES 79

Mr K. Krofta, et les ?tudes de Mr Vacek, dont nous aurons ? reparler ailleurs.

Au commencement, le point de vue juridique et social dominait. Plus r?cem

ment, l'histoire de l'agriculture, proprement dite, a ?t? abord?e. Nous ne

retiendrons qu'un exemple : l'?tude de V. Cerny sur la r?partition des p?tu

rages en 1768 et 1S48.

Le Casopis se consacre exclusivement ? l'histoire. Mais il a aujourd'hui fusionn? avec une institution qui se propose une t?che plus large. Le Mus?e

Agricole Tch?coslovaque a ?t? fond? en 1918, apr?s de longs pr?paratifs. C'est

une soci?t? soutenue par les cotisations de ses membres et par des dotations

publiques. Comme l'indique son sous-titre, Institut pour V?tude et pour la

formation de la campagne, le Mus?e porte un int?r?t tr?s vif ? la campagne

d'? pr?sent, ? la population agricole, ? l'agriculture en g?n?ral. Son activit?

rev?t des formes diverses. D'abord, la constitution de collections. D'autre

part, le Mus?e intervient toutes les fois que se pose une question d'ordre pra

tique concernant la vie intellectuelle et sociale de la campagne ou bien la

technique agricole. Dans les collections, on essaye de donner l'image de la

production agricole contemporaine, dans toutes ses branches. En outre une

attention toute particuli?re est accord?e aux enqu?tes r?trospectives, qui int?ressent directement l'histoire ?conomique. Des expositions montrent

le d?veloppement de la technique, sous ses diff?rents aspects ; d'autres sont

consacr?es aux constructions, aux machines, etc. La soci?t? a son si?ge ?

Prague ; mais justement pr?occup?e d'?tudier les caract?res propres de la vie

agricole, dans les diverses parties du pays, elle a fond? des sections locales :

? Brno, ? Opava, ? Frydek, en Slovaquie ? Bratislava, dans la Russie subcar

pathique ? Mukacevo. A Bratislava, elle a fait construire un b?timent, qui sera inaugur? cette ann?e. Dans les autres villes, ? Prague notamment, les

locaux disponibles sont plus petits ; on n'en est pas moins parvenu ? y ouvrir

d?j? de nombreuses expositions. Au Mus?e Agricole se rattachent le Mus?e

Forestier, le Mus?e d'Horticulture ; enfin le Mus?e d'Ethnographie Slave, dit Mus?e Safarik, qui est en projet.

En 1928, le Mus?e a commenc? ? publier r?guli?rement un Bulletin. Celui-ci

tient ses lecteurs au courant de l'activit? du Mus?e. En outre il s'est incorpor? le Casopis pro dejeny venkova (? partir, par cons?quent, de la quinzi?me

ann?e de ce dernier) : fusion rendue ais?e par le fait que Mr Kasimour ?tait

en m?me temps r?dacteur du Casopis et secr?taire g?n?ral du Mus?e. Les

articles de fond et les notes relatives ? la vie int?rieure du Mus?e sont r?sum?s

en fran?ais, anglais et allemand1.

A c?t? de ces entreprises priv?es, l' uvre des pouvoirs publics : en 1919, au Minist?re de l'Agriculture, ont ?t? fond?es les Archives agricoles de V?tat.

Que renferment-elles ? D'abord, et essentiellement, les archives particuli?res du Minist?re, dont le premier fonds a ?t? constitu? par les versements de

l'ancien minist?re autrichien de l'Agriculture, remontant ? 1861. En outre

les Archives agricoles sont charg?es d'administrer les archives des domaines de

l'?tat. Beaucoup de ces fonds domaniaux ont ?t? vers?s au d?p?t central ;

d'autres sont rest?s sur place, ? la campagne. On y trouve, non seulement les

pi?ces relatives ? la vie ?conomique des domaines, mais aussi, pour la p?riode

1. Nous nous proposons de rendre compte r?guli?rement des articles publi?s par le Bulletin.

Page 87: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

80 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

ant?rieure ? 1848, des documents d'ordre judiciaire et politique. L'anciennet?

des fonds est variable ; la plupart remontent jusqu'au xvne si?cle ; quel

ques-uns, jusqu'au xive. Avant la fondation des Archives agricoles, ils se

trouvaient dans un ?tat de conservation d?plorable. Les Archives, pendant les dix premi?res ann?es de leur activit?, se sont employ?es ? les r?organiser ;

cette besogne demandera quelques ann?es encore ; elle n'a pas ?t? sans

profit pour les fonctionnaires des Archives dispos?s ? s'int?resser ? l'histoire

?conomique. Peut-?tre les Archives donneront-elles un jour naissance ?

rInstitut d'histoire agraire dont nous envisagions plus haut la cr?ation.

Enfin il convient de mentionner VAcad?mie Tch?coslovaque d'Agriculture, fond?e en 1914. Institut scientifique avant tout, elle applique son activit? ?

bien d'autres objets que l'histoire ?conomique, mais n'a garde de n?gliger celle-ci. Elle lui accorde parfois son appui financier. C'est ainsi qu'elle a mis

au concours la question suivante : de l'importance des r?glements ?cono

miques, depuis le xve jusqu'au xixe si?cle. L'ouvrage r?compens? sera publi? cette ann?e. Dans l'une des six sections de l'Acad?mie, celle qui est charg?e de la propagande intellectuelle, si?gent des savants, vou?s aux recherches

d'histoire agraire. Dans la section culturelle, d'autres savants, qui se consa

crent ? la sociologie rurale. Sociologues, historiens, il faut esp?rer qu'un jour se r?alisera une collaboration efficace entre ces deux groupes de chercheurs ;

elle exercerait une influence salutaire sur l'?tude de l'histoire rurale.

V. Cerny.

(Prague.)

Page 88: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

IV. ? ?CONOMISTES ET HISTORIENS

Max Weber : un homme, une uvre. ? L'auteur de la pr?sente ?tu

de, se trouvant ? Berlin en 1911, y rencontra Edouard Bernstein, revenu depuis

peu de temps d'Heidelberg, o? Max Weber l'avait invit? ? faire quelques conf?

rences devant ses ?tudiants. Il fut frapp? de l'accent chaleureux avec lequel il

parlait de ce sociologue. ? C'est une riche nature, disait-il, un homme ? la fois

?nergique et g?n?reux, un esprit concentr?, mais "exceptionnellement ouvert, en un mot, un temp?rament.? C'est bien l'impression qu'on emporte du livre

tr?s attachant o? Mme Marianne Weber a fait revivre celui dont elle partagea l'existence et qui l'associa ? toutes ses pr?occupations1. Carri?re normale et

classique en apparence d'un professeur d'Universit? allemande. Vie qui aurait ?t? assez unie, sans une longue maladie, la retraite bien avant l'?ge, la guerre, et une mort pr?matur?e. Si l'on s'en tenait aux articles de revue, cours et livres qui en marquent les ?tapes, on ne se ferait pas une juste id?e

de ce qu'a ?t? Max Weber, et de l'action qu'il a exerc?e. Cette uvre scien

tifique ne repr?sente en effet qu'un aspect de sa personnalit?. Il fut orateur, et se d?pensa en conf?rences et en discours. Il fut journaliste, et poursuivit

plus d'une pol?mique. Tous les ?v?nements de la vie politique allemande,

depuis le Kulturkampf et les lois d'exception jusqu'? la guerre, la d?faite et

la r?volution, ont ?t? l'occasion pour lui de prendre parti, et d'agir sur ceux

qu'il pouvait atteindre. D'autre part il n'a ?t? ?tranger ? aucune des mani

festations de la vie moderne : d?mocrate et lib?ral, mais non socialiste, f?mi

niste, mais non ? ?rotiste? ni freudien, comme tant de contemporains cultiv?s

de son pays, il fut li? personnellement avec le grand po?te Stefan Georg, et

il avait entrepris d'?crire une sociologie de la-musique. Weber n'?tait pas un

sociologue de cabinet. On peut dire que partout o? il a aper?u des hommes

rassembl?s autour d'une uvre ou d'une id?e, il est all? se m?ler ? leur groupe. Du reste, il donnait aux autres plus encore qu'il n'en recevait. Les Allemands

passent pour ?tre un peu lents et difficiles ? mouvoir. Ils ont besoin qu'un ferment soul?ve leur masse. Max Weber ?tait allemand, ^tr?s allemand2,

mais le levain ?tait en lui.

L' uvre de Max Weber est tr?s dispers?e. Il a ?crit surtout des articles

(aussi longs, d'ailleurs, que des livres) dans des revues, de grands manuels, des encyclop?dies. C'est seulement apr?s sa mort que la plupart de ses ?tudes

ont ?t? r?unies dans des publications posthumes. L'objet de cette notice est

de replacer ses ?tudes, articles, etc., et ces publications aussi, ? leur date, d'en

rappeler la succession, et d'indiquer o? elles ont paru. Les ?v?nements de sa

vie ne seront mentionn?s qu'en vue de servir de cadre chronologique pour

l'expos? de ses travaux.

Max Weber est n? ? Erfurt en 1864, d'un p?re magistrat, qui fut ensuite

1. Marianne Weber, Max Wtber, ein L2b2nsbild, vi-77 9 p., T?bingen, 1926. 2, Il ?tait allemand. Cependant, par sa grand-m?re maternelle, qui s'appelait Emilie

Souchay, il descendait d'une famille fran?aise de huguenots d'Orl?ans, r?fugi?s en Alle magne au xvnc si?cle.

ANN. D'HISTOIRE. ? lre ANN?E. 6

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82 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

d?put? national-lib?ral au Landtag, et conseiller municipal de Berlin. La famille Weber appartenait depuis plusieurs g?n?rations au patriciat mar

chand. Il suivit les cours de l'Universit? d'Heidelberg, puis de Berlin. C'?tait

l'?poque o? la jeunesse allemande se pressait autour des chaires de Mommsen

et de Treitschke. Max Weber v?cut aussi dans cette atmosph?re. En 1889, il

soutint une th?se sur les soci?t?s de commerce au moyen ?ge, qui l'obligea ?

lire des centaines de collections de statuts italiens et espagnols, et, en 1891,

il termina, dans le s?minaire de Meitzen, une ?tude agraire et juridique

d'histoire romaine 1.

Un an plus tard, le Verein f?r Sozialpolitik lui demandait d'organiser une

enqu?te sur la situation des travailleurs ruraux allemands ? l'Est de l'Elbe.

Weber publia les r?sultats de cette enqu?te dans un volume de 900 pages, qui fut tr?s remarqu?2. Il y montrait qu'un nombre de plus en plus grand de

paysans allemands quittaient tes marches de l'Est pour s'installer dans les

grandes villes, ou ?migraient en Am?rique. Pourquoi ? C'est qu'on assistait

? la disparition de l'ancien r?gime agraire, qui reposait sur l'exploitation des

terres par les paysans group?s autour des seigneurs et li?s ? eux par des int?

r?ts communs, au profit des grandes exploitations agricoles. Les propri?taires

agrandissaient leurs terres, produisaient pour l'exportation, se transformaient

d'une classe patriarcale de seigneurs en une classe de gros entrepreneurs

agricoles. C'est pourquoi les paysans, qui n'esp?raient plus devenir un jour

propri?taires ind?pendants, s'en allaient. Les hobereaux alors cherchaient ?

attirer ? leur place une main-d' uvre ? bon march?. Les Polonais et les

Russes, longtemps tenus ? distance par Bismarck, traversaient de nouveau la

fronti?re de l'Est. Le niveau de vie des travailleurs allemands de la cam

pagne baissait. Weber se pla?ait au point de vue, non pas des producteurs ou des paysans, mais de l'?tat. Il fallait fermer les fronti?res, concluait-il,

attacher les paysans au sol, si l'on voulait que les pays de l'Est demeurassent

allemands3. Et il d?non?ait l'?go?sme de ces gros propri?taires aristocrates

qui subordonnaient l'avenir de la nation ? leurs int?r?ts de classe.

Max Weber se maria en 1893 ; la m?me ann?e sa s ur ?pousait le fils de

Mommsen. Charg? d'une suppl?ance ? l'Universit? de Berlin, il y resta une

ann?e encore. C'est ? ce moment qu'il publia, ? l'occasion d'une grande

enqu?te officielle, deux ?tudes sur la Bourse, en particulier sur les op?rations

? terme4. Les agrariens r?clamaient la suppression des op?rations ? terme

sur le bl?. Mais, d'apr?s Weber, le commerce, m?me purement sp?culatif,

remplit une fonction essentielle : il facilite l'?galisation des prix et la r?parti

tion des biens. Une bourse, pas plus qu'une banque, n'est un club de mora

1. Die r?mische A grargeschickte in ihrer Bedeutung f?r das Staats- und Privatrecht, Stuttgart, 1891.

2. Die Verh?ltnisse der Landarbeiter im Osteibischen Deutschland. Schriften des Verein3 f?r Sozialpolitik, volume 55, Leipzig, 1892. Enqu?te par questionnaires adress?s aux pro pri?taires. Du m?me : Die Landarbeiter in den evangelischen Gebiete Norddeutschladns, T?bingen, 1899. Obserations recueillies par l'interm?diaire des pasteurs et du Congr?s ?vang?lique social.

3. La menace russe ? l'Est ne cessera pas de pr?occuper Max Weber. Pendant la guerre il songera un moment ? une entente ou alliance avec la Pologne reconstitu?e qui prot?gerait l'Allemagne contre le colosse moscovite et asiatique. Voir : Marianne Weber, op. cit., p. 564 et suiv.

4. Die B?rse, G?ttinger Arbeiterbibliothek, 2 Hefte, 1894-96. Reproduit dans : Gesam melte Avf?stze zur Soziologie und Sozialpolitik, p. 256-322, T?bingen, 1924.

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?CONOMISTES ET HISTORIENS 83

listes. C'est une arme entre les mains de l'?tat, qui s'affaiblirait dans la

mesure o? les march?s de certains produits se transporteraient ? l'?tranger. En 1894, Max Weber fut appel? ? Fribourg, en Bade, o? on lui offrait,

bien qu'il f?t juriste, une chaire d'?conomie nationale. Il n'y resta que quel

ques ann?es, et quitta bient?t cette ville pour enseigner ? l'Universit? d'Hei

delberg, o? il prit la succession de Knies. C'est l? qu'il connut le th?ologien, Troeltsch : amiti? pr?cieuse, dont nous verrons plus tard quel put ?tre le fruit. Mais, ? la fin de 1897, Weber sent les premi?res atteintes d'un mal qui7

va interrompre pendant pr?s de six ans (il en a 33 ? ce moment) son activit?

scientifique : crise de d?pression prolong?e, qui l'oblige ? suspendre ses cours d?s le milieu de 1899. Cela dura jusqu'? 1903. M?me ? cette date, o? il recommence ? lire, Max Weber se croit incapable de remonter jamais dans sa chaire, et il donne sa d?mission. Les nombreux voyages qu'il fit, en Suisse, en Hollande, mais surtout en Italie, durant sa convalescence, ses s?ances dans les biblioth?ques de Rome, o? il se plonge dans l'histoire de l'?glise, des monast?res et des ordres religieux au moyen ?ge, et par ailleurs, de vastes lectures un peu d?sordonn?es, qui le prom?nent ? travers toutes les p?riodes et tous les pays, enfin cette longue p?riode o? il a ?t? affranchi de toutes

pr?occupations universitaires, c'est peut-?tre gr?ce ? tout cela qu'il a pu, pendant les dix ann?es suivantes, produire avec une telle densit?.

A la fin de 1903, il d?cide de fonder une Revue, qu'il dirigera avec Som bart et Jaff? : YArchiv f?r Sozialwissenschaft (nouvelle suite de VArchiv f?r soziale Gesetzgebung und Statistik, fond?e et dirig?e jusqu'alors par

Heinrich Braun). C'est l? qu'il publie, d?s 1904, une ?tude assez pouss?e sur

l'objectivit? de la connaissance en mati?re de science et de politique sociale1. En m?me temps paraissent, dans les SchmoUers Jahrb?cher, une s?rie d'ar ticles qu'il pr?parait depuis sa convalescence, sur : R?scher et Knies et les

probl?mes logiques que soul?ve V?conomie nationale historique2,. Les sciences sociales et l'?conomie politique sont-elles des sciences au m?me titre que les

autres ? Tandis que les ?conomistes de l'?cole classique r?pondent : assur?

ment, les sciences sociales doivent, en effet, d?couvrir les lois abstraites qui expliquent les faits sociaux, tout autre est le point de vue des ?conomistes de l'?cole historique : pour eux, l'?conomiste, comme l'historien, ne doit se pr?oc cuper que des faits concrets : tout ce qu'on lui demande, c'est de peindre un tableau qui reproduise exactement et qui aide ? comprendre la succession des faits. Max Weber croit qu'il faut maintenir la distinction faite par le

logicien Rickert entre les sciences de la nature et les sciences sociales (Natur und

Kulturwissenschaften). Celles-ci se distinguent des autres, non pas seu lement par le genre de r?alit? qu'elles ?tudient, mais par la fa?on dont elles

l'envisagent. Les sciences de la nature cherchent Jes lois g?n?rales, tandis que l'histoire et le6 disciplines qui s'y rattachent s'int?ressent aux ?v?nements et

objets individuels. R?gles et notions sont donc pour elles les moyens, et non les buts de la connaissance.

Bien que Weber paraisse se rapprocher ainsi de Schmoller et de l'?cole his

torique, il s'en ?loigne, et il s'en ?loignera de plus en plus dans la suite, lors

qu'il s'efforce d'?liminer de la science sociale tout ce qui ressemblerait de

1. Archiv f?r Sozialwissenschaft, Band 19, 1904. 2. Schmollers Jahrb?cher, ann?es 27, 29, 30, 1903-06.

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84 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

pr?s ou de loin ? des jugements de valeur. On s'?tonnera plus tard de ce qu'il ait fallu tant discuter pour en venir l?. Weber avait vu na?tre et grandir le

socialisme de la chaire. Il observait que l'?tat consid?rait les professeurs d'?co

nomie nationale comme des praticiens, charg?s de lui fournir des directives.

Il sentait d'ailleurs que tout ce personnel savant et enseignant, pourvu de

b?n?fices et de pr?bendes, se pla?ait trop naturellement en mati?re sociale

au point de vue des classes privil?gi?es. Mais ni celui qui d?fend une institu

tion parce qu'elle lui para?t bonne, ni celui qui veut la r?former parce qu'elle

lui para?t nuisible, ne font de la science. Il n'est pas impossible que les ouvrages

de Taine, qu'il lut durant cette p?riode, aient sinon ?veill?, du moins fortifi?

cette conviction chez l'?conomiste allemand.

Lorsqu'il exposait, dans le premier num?ro de VArchiv, quel serait son

programme, il ?largissait singuli?rement le cadre qu'il fallait remplir. L'?cono

miste travaillerait d?sormais en liaison avec les disciplines voisines, droit,

psychologie sociale, sociologie. Toute l'histoire et toute la th?orie devaient

aider ? mieux comprendre le d?veloppement du capitalisme, non seulement

comme fait ?conomique, mais aussi comme civilisation. Les articles qu'il

publia en 1904 dans la revue nouvelle, sous le titre : V?thique protestante et

Vesprit du capitalisme, lui permirent tout de suite, sur un exemple ?clatant, de

montrer ? quel point une telle m?thode pouvait ?tre f?conde1.

Il d?fendait la th?se en apparence paradoxale que le capitalisme a des

causes religieuses. Il en cherchait les preuves dans l'histoire, en particulier

dans l'histoire des progr?s, des luttes, et de l'?tablissement du protestantisme

ea Angleterre, aux xvie et xvir3 si?cles. Il expliquait quelles cons?quences

devaient avoir sur la conduite de la vie les attitudes religieuses des commu

naut?s et des sectes luth?rienne, calviniste, presbyt?rienne, puritaine, bap

tiste, etc.. D'apr?s lui, c'est parce qu'ils croyaient ? la pr?destination que

les puritains anglais, recrut?s pour la plupart parmi les artisans et commer

?ants de la City, furent capables de d?ployer dans l'exercice de leur profes

sion cet effort sans d?tente et sans r?pit qui leur permit de s'enrichir, c'est

?-dire de cr?er et de multiplier les capitaux et en m?me temps de former

l'esp?ce d'hommos, ?nergiques, absorb?s, d?vou?s ? leur t?che qui, seuls,

pourront les mettre en valeur. Si la croyance ? la doctrine des ?lus et des r?prou

v?s eut de telles cons?quences, c'est que l'effort probe et soutenu, les priva

tions et les renoncements, enfin la richesse qui consacre une vie ainsi occup?e

et remplie, auraient ?t?, pour les puritains, la seule garantie du salut spiri

tuel. Les ?lus, les saints, devaient se distinguer et ?tre distingu?s des autres,

d?s cette terre, par quelque signe. Du moment qu'ils concevaient que la

r?ussite commerciale et industrielle, couronnant une existence de labeur sans

r?pit, pouvait ?tre ce signe, on con?oit que, dans leurs ?mes, les pr?occupa

tions marchandes et les pr?occupations religieuses aient d? se p?n?trer et

1. Archiv f?" Soziale.ssenschaft, Band 20, 190't, et Band 21, 1905. Reproduit, ainsi

que l'article de 1903 sur les sectes protestantes, etc., avec des notes tr?s nombreuses et

d?velopp?es, dans les Gesammelte Aufs&'ze zur Religionssoziologic, Ie*" volume, p. 17-236,

T?bingen, 1920. Voir notre compte rendu (? propos de la traduction du livre de Sombart, Les Juifs et la vie ?conomique, qui parut dans son texte allemand en 1911), dans l'Ann?e

sociologique, p. 745 et suiv., noavelle s?rie, tome I, 1926. Voir aussi le r?sam? de l'essai de

Weber, Les origines puritaines du capitalisme, que nous avons publi? dans la Revue d'his

toire et de philosophie religieuse (Facult? de th?ologie protestante, Strasbourg), ve ann?e, n? 2, mars-avril 1925, p. 132-15,4.

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?CONOMISTES ET HISTORIENS 85

se renforcer. Constitu? sous la pression du protestantisme puritain d?s le

xvme et le xixe si?cle, le capitalisme trouve dans les conditions ?conomiques un

appui suffisant pour qu'il soit inutile de l'expliquer aujourd'hui par des cau

ses religieuses. Et, sans doute, si la R?forme n'avait pas eu lieu, le capitalisme se serait d?velopp? tout de m?me, mais peut-?tre suivant un autre rythme, ? une autre ?poque, en d'autres pays. Qu'il soit apparu en Angleterre, dans

la p?riode o? ce pays ob?it le plus ? la propagande puritaine, c'est la preuve

que la R?forme religieuse appelait la r?volution industrielle.

Dans les derniers mois de 1904, Max Weber fit un voyage aux ?tats-Unis. Il put y retrouver les traces encore vivantes des origines du capitalisme, et

y observer le capitalisme moderne dans la puret? de son type. Il publiera, en

1906, sous le titre : Les sectes protestantes et Vesprit du capitalisme, une ?tude

qui compl?te la pr?c?dente, et o? il v?rifie la m?me hypoth?se d'apr?s l'exp? rience am?ricaine1. Dans l'exclusivisme des clubs d'aujourd'hui, qui est

un trait si caract?ristique de la vie sociale am?ricaine, il retrouve l'esprit des

anciennes sectes protestantes, quakers et baptistes. ? Le succ?s capitaliste

d'un fr?re de la secte ?tait autrefois une preuve de son ?tat de gr?ce, et aug mentait le prestige de son groupe. C'est ainsi que purent alors se l?gitimer et se transfigurer les motifs individualistes du capitalisme.?

Ce travail n'?tait que la premi?re partie d'une vaste enqu?te qui devait

porter sur l'histoire universelle2. Il la poursuivra ? partir de 1911, et, sous

le titre : ?thique ?conomique des grandes religions, il publiera dans VArchiv, de 1915 ? 1919, une s?rie d'articles sur Le Confucianisme et le Tao?sme, VHin

douisme ct le Bouddhisme, et, enfin, VAncien Juda?sme3. Contre le mat?ria lisme ?conomique, il s'?tait efforc? d'?tablir que la religion exerce une forte

influence sur l'industrie, le commerce, et l'organisation de la vie mat?rielle.

Mais il voulait ?tudier ?galement l'action inverse ou r?ciproque qu'exercent les conditions de vie mat?rielles, ?conomiques, g?ographiques sur les id?es

religieuses et morales. Il fixait son attention sur les cat?gories sociales qui, sous cette double influence, fix?rent les r?gles de conduite : lettr?s pr?bendes

par l'?tat en Chine, caste h?r?ditaire d'hommes cultiv?s dans l'ancien hin

douisme, moines mendiants de l'ancien bouddhisme, guerriers conqu?rants de l'Islam, parias bourgeois du juda?sme d'apr?s l'exil. Programme infini

ment vaste, qui le condamnait ? travailler sur des donn?es de seconde main, mais qu'il abordait sans parti-pris quelconque.

? Ich bin zwar religi?s absolut

unmusikalisch?, disait-il.

Il poursuivait cependant ses recherches ?conomiques. En 1908, il ?crivit

une grande ?tude historico-sociologique sur le probl?me agraire dans l'anti

quit?. Il y explique la diff?rence entre la culture antique et la culture moderne

1. Osternummer der Frankfurter Zeitung, 1906. Reproduit (plus d?velopp?) dans Die Christliche Welt, puis dans les Gesammelte Aufsatze, etc., 1920 (Voir p. 84, n. 1).

2. Il voulait d'abord ?tudier de ce point de vue, c'est-?-dire dans ses rapports avec l'organisation ?conomique, le christianisme avant la R?forme et au moyen ?g?. Mais comme ? cette ?poque (commencement de 1908), les ?tudes de Troeltsch sur les doctrines sociales des ?glises chr?tiennes commencent ? para?tre dans 1'Archiv, il craint que leurs chemins ne se touchent sur un trop long parcours, et pr?f?re travailler sur un autre terrain.

3. Archiv f?r Sozialvfissenschaft, Band 41, septembre et novembre 1915 (Konfuzia nismus und Taoismus), avril et d?cembre 1916, et Band 42, mai 1917 (Hinduismus und Buddhismus), Band 44, octobre 1917, mars et juillet 1918, et Band 46, d?cembre 1918, Band 47, juin et d?cembre 1919 (Das antike Judentum). Reproduits dans : Gesammelte Aufsatze zur Religionssoziologie, T?bingen, 1920.

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86 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

par des causes g?ographiques ?l?mentaires : la culture antique, localis?e sur

les c?tes maritimes et les rives des fleuves, s'oppose ? la culture de l'int?rieur

des terres (Binnenkultur) du moyen ?ge et des temps modernes. D'autre

part, se demandant si l'on trouve dans l'antiquit? un capitalisme, au sens

moderne de ce terme, il croit que les anciens n'ont pas connu la fabrique et

les travailleurs d'industrie. Mais il y a eu un capitalisme antique, si l'on

entend par l? le fait que des particuliers utilisent leurs biens en vue du gain, et l'on en peut ?num?rer bien des formes : fermage des imp?ts et travaux

publics, mines, commerce maritime, emploi d'esclaves dans les plantations,

banques, pr?ts hypoth?caires, commerce ? l'?tranger, location (Vermietung)

d'esclaves, exploitation capitaliste d'esclaves industriels qualifi?s, avec ou

sans ateliers. Bien d'autres questions sont envisag?es dans ces 300 pages o?

il a fait tenir toute une sociologie de l'antiquit?1.

A la m?me ?poque, il ?crivit deux ?tudes qui devaient servir d'introduc

tion ? la grande enqu?te organis?e par le Verein f?r Sozialpolitik sur la s?lec

tion et l'adaptation des ouvriers de la grande industrie2. Lui-m?me avait

fait ? cette occasion une enqu?te personnelle dans une grande usine de

tissage. Il y examinait les travaux de Kraepelin et de son ?cole sur les condi

tions physiologiques du travail ouvrier. Ces m?thodes de laboratoire lui

paraissaient d'une application si difficile qu'elles ne permettaient d'observer

qu'un nombre tr?s limit? de sujets. Il faudrait combiner et corriger l'une par

l'autre la m?thode des moyennes qui porterait sur un grand nombre de cas,

et l'observation de cas individuels particuliers et concrets. L'appui que les

sciences de la nature et les sciences sociales pouvaient se pr?ter ?tait en somme

assez limit?.

En 1908-1909, il forma le projet d'une grande publication collective, le

Grundriss f?r Sozial?konomik, qui devait compter parmi ses collaborateurs

plusieurs des ?conomistes th?oriciens et sp?cialistes les plus connus des deux

pays de langue allemande. Lui-m?me en assura la direction. Les deux pre

mi?res sections seulement parurent avant la guerre. La troisi?me, qui est

l' uvre propre de Max Weber, ne fut publi?e qu'apr?s sa mort, sous le

titre : ?conomie et soci?t?3. Elle est malheureusement inachev?e. La premi?re

partie, qui fut r?dig?e en dernier lieu, nous pr?sente une ? th?orie concep

tuelle? de la sociologie ?conomique. Les d?finitions, classifications, d?velop

pements s'y succ?dent et s'y encha?nent ? la mani?re des chapitres d'un

trait? scientifique o? les faits ne sont rappel?s qu'? titre d'exemples ou d'illus

trations. Quant au reste de l'ouvrage (p. 181 ? 817), compos? vers 1911-1913,

c'est une sorte de sociologie descriptive et concr?te, qui a servi de point de

d?part et de base exp?rimentale ? l'expos? plus abstrait du d?but.

11 y a derri?re toute cette construction une doctrine des cat?gories socio

logiques qu'il n'est pas facile de formuler. Weber y travaillait encore, lorsque

1. Agrarverh?Unisse im Altertum, dans : Handw?rterbuch der Slaatswissenschaft, 3 Auflage, 1909. Reproduit dans : Gesammelte Aufsatze zur Sozial-und Wirtschaftsgeschichte, p. 1 ? 288, T?bingen, 1914. Voir notre compte rendu, Ann?e sociologique, nouvelle s?rie, tome 1, 1926, p. 748.

2. Zur Psychophysik der industriellen Arbeit. Archiv f?r Sozialwissenschaft, Band 27, 28 et 29, 1908-09. Reproduits dans : Gesammetle Aufs?tze zur Soziologie und Sozialpolitik, p. 1 ? 255, T?bingen, 1924.

3. Wirtschaft und Gesellschaft, dans : Grundriss der Sozial?honomik, 111 Abteilung Ie', 2? und 3? Teil, 1922, 840 p.

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?CONOMISTES ET HISTORIENS 87

la mort a interrompu son uvre. Il cherchait ? d?finir des types. Qu'enten dait-il au juste par l? ? Ces types n'auraient rien de commun avec les genres ou les esp?ces des sciences naturelles, non plus qu'avec les notions g?n?rales sur lesquelles reposent le droit et la jurisprudence. Les termes : ?tat, nation,

soci?t? coop?rative, soci?t? par actions, lui paraissaient impropres, parce qu'ils laissent supposer qu'il existe des personnalit?s collectives. 11 voulait rester

plus pr?s du monde sensible, et d?crire les formations collectives comme des

assemblages d'individus qu'une force, quelle qu'elle soit, motifs psychiques,

pression ext?rieure, ou l'un et l'autre, contraint d'agir d'une certaine fa?on. L'essentiel ?tait que l'observateur p?t rencontrer, sur toute la terre, des

types de groupements et d'actions semblables. Derri?re cette conception un peu incertaine, on devine du moins un sens assez juste de l'insuffisance

des notions traditionnelles.

Le terme charismatisme (du grec : charisma, gr?ce) que Weber a invent?,

et qui revient souvent sous sa plume, para?t avoir eu un certain succ?s en

Allemagne. Par l? il entend le caract?re religieux et surnaturel qu'on attribue

? tels individus consacr?s, ? telles lois r?v?l?es, et qui explique plusieurs traits

de l'organisation politique ou ?conomique dans des soci?t?s peu avanc?es.

Au charisma, et aussi ? la tradition, s'oppose le rationalisme, qui est essen

tiellement occidental. C'est le rationalisme qui a donn? naissance aux consti

tutions politiques et ? l'administration bureaucratique des ?tats modernes, aux formes juridiques du droit, aux formes techniques de la comptabilit?. C'est la science rationnelle qui a permis de calculer exactement les facteurs

techniques du capitalisme. C'est l'union du rationalisme th?orique et pratique

qui distingue la civilisation moderne de la civilisation antique (qui n'a connu

avec les Grecs que le rationalisme th?orique), et c'est encore le rationalisme

qui distingue l'une et l'autre des civilisations asiatiques1. La g?n?ralit? de ces vues ne doit pas faire oublier la masse consid?rable

de faits r?unis dans cet ouvrage. Cette ?tude historique et comparative de

toutes les civilisations qui nous sont maintenant accessibles ?largit singuli? rement notre horizon ?conomique. Elle nous habitue ? replacer les institu

tions qui nous entourent dans un ensemble tr?s vaste dont elles ne consti

tuent apparemment qu'une faible partie. Weber passe en revue les divers

groupes domestiques, les clans, les groupes religieux, juridiques, urbains, etc.,

et rel?ve leurs caract?res ?conomiques. Il ?tudie d'autre part les faits ?cono

miques dans leurs rapports a\ec les diverses sortes de pr??minence sociale, en particulier avec les classes sociales. Nous ne pouvons qu'indiquer en gros

le caract?re et le contenu de ce volume de plus de 800 pages, dont une ?tude

de d?tail r?v?lera seule la richesse et l'originalit?. On trouvera dans le livre de Marianne Weber (p. 525 ? 670) quatre cha

pitres tr?s nourris et vivants sur l'attitude et l'activit? de Max Weber pen

dant la guerre et la r?volution. Rappelons seulement qu'il accompagna la

d?l?gation allemande ? Versailles en mai 1919, et que, lorsque se posa la

question de la responsabilit? de la guerre, il fut charg? officiellement, en

1. Ces id?es sont reprises et d?velopp?es dans le dernier cours profess? par Max Weber en 1920, qui a ?t? pubii? apr?s sa mort : Wirtschaftsgeschichte, abr?g? de l'histoire ?co

nomique et sociale universelle, reconstitu? d'apr?s les notes de ses auditeurs et publi? par S. Hellmann et M. Palyi, M?nchen und Leipzig, 1923, xiv-348 p. Voir notre compte rendu :

Ann?e sociologique, nouvelle s?rie, tome I, 1926, p. 749.

Page 95: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

88 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

collaboration avec H. Delbr?ck, Max Montgelas et Mendelssohn-Bartholdi, de r?diger une note (publi?e depuis comme livre blanc) o? le point de vue allemand ?tait pr?sent?.

A la fin de la guerre il avait pu reprendre son enseignement. Il professa ?

Vienne dans l'?t? de 1918, et ? Munich ? partir de 1919x. Il y mourut le 14 juin 1920, ? 56 ans.

Faut-il regretter que cette uvre reste inachev?e, et que Max Weber

n'ait pu donner ? ses id?es leur forme d?finitive ? Sans doute. Mais,

quand bien m?me il aurait v?cu plus longtemps, rien ne prouve qu'il se

serait enfin arr?t? sur certaines positions, pour les consolider et n'en plus

bouger. Ce qui frappe au contraire chez lui, c'est qu'il n'a pas cess? de se

renouveler. Chaque fois qu'il venait d'achever un travail, il semblait qu'il e?t pris un nouvel ?lan pour aller plus loin. On le comparerait volontiers ?

l'un de ces industriels capitalistes de l'?poque h?ro?que, si bien d?crits par lui,

qui se sentaient moralement oblig?s de replacer tout ce qu'ils gagnaient dans

de nouvelles entreprises. Weber n'a pas song? un instant ? vivre sur son

fonds scientifique : il ne se pr?occupait que de l'accro?tre. Au reste, le m?me

besoin de mouvement et de renouvellement qui l'entra?nait d'un domaine ?

l'autre, l'obligeait, lorsqu'il s'appliquait quelque temps ? une question, ? la

creuser et ? en d?couvrir des aspects inconnus. Ceux qui s'approcheront des

m?mes probl?mes retrouveront longtemps encore ses traces et pourront, en

toute confiance, s'engager dans les directions qu'il a marqu?es.

Maurice Halbwachs.

(Strasbourg.)

i. Le dernier article de Max Weber publi? dans Y Archiv f?r Sozialwissenschaft, Band 47, 1920, est une ?tude importante sur la ville : die Stadt, qu'on a reproduite dans Wirt schaft und Ethik (dans Grundriss fur Sozial?konomik, voir ci-dessus).

Page 96: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

V. _ NOUVELLES SCIENTIFIQUES

Les Studi medievali, fond?s en 1904 par F. Novati et R. Renier, devenus

en 1923 les Nuovi Studi, renoncent aujourd'hui (depuis avril 1928) ? l'?pi th?te de nuovi et, sous leur ancien nom, chez leur ?diteur primitif (G. Chian

tore, successeur de Loescher, ? Turin), assur?s d?sormais d'une p?riodicit? semestrielle r?guli?re, se proposent de poursuivre vaillamment leur glo rieuse carri?re. Nos v ux les accompagnent d'autant plus volontiers que, si

l'on en juge par le premier num?ro de cette ? nouvelle s?rie ?, la r?daction

fera ? l'histoire ?conomique une place assez large. M. B.

Publi?e par Mr A. Grand in, ? la librairie du Recueil Sirey, la Bibliographie

g?n?rale des Sciences juridiques, politiques, ?conomiques et sociales de 1800 ?

1925 se compl?te aujourd'hui d'un premier suppl?ment. Consacr? aux ann?es

1926 et 1927, ce fascicule de 224 pages, muni de deux excellentes tables, rendra aux travailleurs les services les plus appr?ciables. Les rubriques

Histoire du Droit ; Droit international public ; ?conomie politique ; Sociologie sont particuli?rement int?ressantes pour les historiens. La rubrique Colonies

Fran?aises ne l'est pas moins et para?t tr?s soign?e ; par contre sur l'Alsace

Lorraine peu de choses et des lacunes. Le titre de la publication peut induire

en erreur sur un point d'importance : en fait, la Bibliographie g?n?rale est

uniquement une Bibliographie fran?aise. Elle ne cite que les livres et les

tirages ? part de langue fran?aise. Mais elle les cite correctement et abon

damment. Elle constitue un instrument de travail de premi?re utilit? ; il faut

souhaiter qu'il soit toujours maintenu au courant.

L. F.

Les ?l?ves et les amis de G. von Below pensaient c?l?brer son soixante

dixi?me anniversaire au d?but de 1928. Le destin en a d?cid? autrement. Von

Below est mort le 20 octobre 1927, et c'est pour rendre un dernier hommage ?

sa m?moire que quatorze historiens publient aujourd'hui, sous le titre de :

Aus Sozial- und Wirtchaftsgeschickte1, un recueil d'articles dont la plupart int?ressent nos ?tudes. Ils sont suivis d'une bibliographie soign?e du ma?tre

disparu, dress?e par M. L. Klaiber.

Pas d'?tudes sur l'antiquit?. Pour le moyen ?ge, des m?moires de

G. Salvioli (Massari e Manenti nelVeconomia italiana m?di?vale) ; F. Schneider

(Staatliche Siedlung im fr?hen Mittelalter) ; A. Schultze (Das Testament Karls

des Grossen) ; R. H?pke (Die ?konomische Landschaft und die Gruppenstadt in der ?lteren Wirtschaftsgeschichte) ; M. Weinbaum (Londons Alderm?nner

und Warde im 12-14 Jhdt) ; G. Mohr (Haltezwang und Wegerichtung nach

?sterreichischen Quellen) ; H. Ammann (St. Gallens Wirtschaftsstellung im Mit

1. Stuttgart, Kohlhammer, 1928, in-8?, vin-370 p.

Page 97: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

90 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

telalter) ; H. Aubin (Wirtschaftsgeschichtliche Bemerkungen zur ostdeutschen

Kolonisation). Ces divers travaux prolongent, comme on le voit, dans les

directions qui lui ?taient famili?res, l'activit? intellectuelle de l'auteur de Der deutsche Staat des Mittelalters, des Probleme der T?'irtschafts geschiente, ou de Territorium und Stadt.

Les autres ?tudes abordent des probl?mes r?cents. C. Brinkmann (Zwei

sprachgeschichtliche Beitr?ge zur Entwicklung des W irtschafts rechts) ?tudie

le sens et l'histoire des mots B?nhase et Firma; H. Nabholz (Zur Frage nach

den Ursachen des Bauernkrieges 1525) donne, sur un probl?me ardu et con

trovers?, un bon ?tat de question ; Th. Mayer (Zur Geschichte der nationalen

Verh?ltnisse in Prag), E. Baasch (Der Kaufmann in der deutschen Romanli

teratur des 18. Jahrhunderts), enfin W. Tuckermann (Das Deutschtum in Kanada)

compl?tent la partie moderne du recueil.

L. F.

Page 98: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

A TRAVERS LES LIVRES ET LES REVUES

L'Esclavage en Sicile depuis la fin du moyen ?ge.

Le servage, dans l'Europe m?di?vale et moderne, a ?t? sinon toujours

tr?s bien compris, du moins souvent ?tudi?. L'esclavage, beaucoup plus rarement. Il a jou? pourtant, ? la fin du moyen ?ge et jusqu'en plein c ur

de ce qu'on est convenu d'appeler les temps modernes, un r?le qui ne fut

point sans importance : ? peu pr?s uniquement, ? vrai dire, dans les pays

m?diterran?ens. De moment en moment, quelques recherches de d?tail

viennent jeter un peu de lumi?re sur cette institution trop n?glig?e. C'est

ainsi que tout r?cemment les esclaves siciliens ont inspir? ? M. Matteo

Gaudioso, archiviste de Catane, un tr?s consciencieux travail1. Cet ou

vrage sera vraisemblablement peu r?pandu hors de l'Italie. Je crois bon

d'en marquer ici les r?sultats essentiels et d'indiquer en m?me temps les

probl?mes ?

quelques-uns d'un int?r?t tr?s g?n?ral ?

qu'il laisse, au moins

pro\isoirement, sans r?ponse. Peut-?tre quelques chercheurs puiseront-ils, dans ce compte rendu d?taill? et critique, des suggestions utiles.

Dur?e de l'institution. ? Son apog?e semble avoir ?t? les xive, xve et

xvie si?cles. A ce moment, il n'est gu?re de maison noble, eccl?siastique ou

bourgeoise ? m?me de fort petite bourgeoisie

? qui n'ait son ou ses esclaves

(p. 24). Ce n'est pas que, au total, la proportion de la population servile ? la

population libre ait jamais ?t? tr?s forte (59 esclaves sur 3 099 habitants, en

1569, ? Francofonte ; ce sont les seuls chiffres pr?cis donn?s par M. Gaudioso,

p. 24, n. 7). Sur l'?poque pr?c?dente ?

dynasties normande et souabe ? nos

renseignements sont beaucoup plus maigres, ? la fois faute de documents

(particuli?rement de ces actes notari?s qui, pour la fin du moyen ?ge, ont

fourni ? M. Gaudioso tant de donn?es pr?cieuses), et aussi parce que, selon

toute apparence, les esclaves ?taient alors moins nombreux que par la suite ;

il y en avait pourtant (p. 19). Au xvir3 si?cle, autant que je puis voir (M. Gau

dioso n'est pas tr?s pr?cis sur ce point), la population servile ?tait encore assez

abondante ; elle d?cline au xviir9, mais jusqu'au d?but du xixe, l'esclavage

demeura une institution officiellement reconnue (voir le texte du 22 mai 1812,

qui sera cit? plus bas). Cette courbe est, ? peu de choses pr?s, celle de l'esclavage m?diterran?en

en g?n?ral, autant du moins que les ?tudes entreprises jusqu'ici nous per

mettent d'en reconstituer le dessin. Une seule particularit? notable : l'escla

vage para?t bien s'?tre maintenu, en Sicile, plus longtemps que dans la plu

part des pays chr?tiens environnants. M. Gaudioso explique cette persistance

1. La schiavit? domestica in Sicilia dopo i Normanni. Legislazione-Dottrina-Formule, Catania, Crescenzio Gal?tola, 1926, in-8?, 138 p. La bibliographie de l'esclavage m?di?val et moderne est prodigieusement dispers?e. J'ai indiqu? quelques travaux essentiels clans la Revue de Synth?se historique, t. XLIII 1927, p. 89, et, dans la m?me revue, au t. XLI, 1926, p. 96 et suiv., ? propos des th?ses de M. Lefebvre des Noettes sur la Force motrice

animale, esquiss?, tr?s sommairement, l'histoire de l'Institution.

Page 99: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

92 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

anormale par la guerre de course, ? peu pr?s perp?tuelle entre les Siciliens

et leurs proches voisins du Maghreb ; elle fournissait d'esclaves les deux

rivages oppos?s. Resterait ? rendre compte de l'ensemble du trac?. Pourquoi cette forte

mont?e au xive si?cle ? Pourquoi la descente ? partir du xvir3 ? M. Gaudioso

n'a tent? aucune r?ponse. Aussi bien, en Sicile, l'existence de la domination

musulmane, du xe au xne si?cle, donne-t-elie ? l'histoire de l'esclavage

m?di?val un tout autre point de d?part que dans l'Italie p?ninsulaire. On n'en doit que plus vivement regretter que le probl?me ait ?t? n?glig?.

Droit de l'esclavage. ? C'est la partie la plus abondamment trait?e par

M. Gaudioso, dont l'?tude est essentiellement juridique. Il faut distinguer la

doctrine, ?labor?e par les juristes, sous l'inspiration du droit romain, et la

pratique, qui, form?e sous des influences tr?s complexes, diff?rait sensible

ment du droit th?orique. En fait, la condition de l'esclave sicilien nous appa

ra?t comme tr?s dure. Il ?tait vraiment la chose d'autrui. Rien de plus signi

ficatif que les enumerations des inventaires : ? une tasse d'argent, une petite tasse d'argent, deux femmes esclaves, d'origine tartare,... un tonneau plein de

vin? (p. 53 : 1372). Les enfants ?taient couramment vendus sans leurs

parents (p. 88). Conform?ment au principe g?n?ral des l?gislations m?di?vales,

alors qu'il ?tait interdit de r?duire en servitude un chr?tien ou plut?t un

catholique, par contre l'esclave pa?en ou schismatique d'origine, mais baptis?

apr?s son asservissement, n'en restait pas moins esclave ; la conversion n'en

tra?nait pas l'affranchissement. Sur 648 esclaves du sexe masculin, recens?s

? Palerme en 1565, 147 ?taient chr?tiens, ?

entendez, je pense, catholiques

(p. 27). Le 22 mai 1812 encore, dans un rapport au roi, souvent cit? par les

historiens de l'esclavage (par M. Gaudioso, p. 31), la Junte des Pr?sidents et

Consuiteurs d?clarait : ? L'autorit? des publicistes, la saintet? de notre reli

gion, la discipline de l'?glise, les sanctions des lois nationales, l'usage cons

tamment appliqu? dans notre royaume nous persuadent de sugg?rer ? Votre

Majest? que l'esclave m?me apr?s le bapt?me doit demeurer dans sa condi

tion servile, pour peu que son ma?tre... refuse de lui donner la libert?.?

Cependant, comme nous le verrons ? l'instant, un traitement de faveur fut

accord?, de bonne heure, aux esclaves grecs.

Recrutement. ? L'?l?ve du b?tail humain, tr?s d?licate, n'a, dans la plu

part des civilisations ? esclaves, jamais fourni qu'une part relativement

faible de la population servile. La Sicile ne faisait pas exception ? la r?gle. A

Palerme, en 1565, ? peine plus de 41 % (exactement 268 sur 648), des esclaves

?taient n?s dans le pays, de parents d?j? engag?s dans les liens de la servitude

(p. 27). L'esclave ?tait avant tout une marchandise d'importation. D'o? la

Sicile tirait-elle les siens ?

Au d?but du xiv? si?cle la majorit? ?taient des Grecs ? servi de Romania

? jet?s sur les march?s de l'?le surtout par les razzias de la Grande Compa

gnie catalane. Schismatiques, les Grecs ?taient ?trangers ? la v?ritable societas

christiana. Ils pouvaient l?galement ?tre asservis. Pourtant on para?t de

bonne heure avoir ?prouv? ? leur ?gard quelques scrupules. Les actes de

vente qui les concernent pr?f?rent ? la formule usuelle ? ? a vendu tel

esclave? ? une expression moins brutale : ? a vendu... les ouvrages et ser

vices, vendidit... operas et servicia omne persone cuiusdam servi greci de

Page 100: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

L'ESCLAVAGE EN SICILE 93

Romania? (p. 92). Puis, en 1310, le roi Fr?d?ric II prit en leur faveur une mesure

d'un rare lib?ralisme : d?sormais tout esclave grec qui abjurerait le schisme

serait, au bout de sept ans de servitude, automatiquement affranchi. Quels

motifs avaient inspir? cette g?n?rosit? ? Des pr?occupations d'ordre pure ment religieux, pense M. Gaudioso. L'explication, en soi, n'a rien d'impro bable. Pourtant on ne voit pas tr?s bien, dans cette hypoth?se, pourquoi le

b?n?fice de la l?gislation nouvelle ne fut pas ?tendu ? tous les convertis, ou

du moins ? tous les anciens schismatiques, Russes par exemple. La politique orientale du gouvernement sicilien ne fut-elle pour rien dans l'affaire ? La

question m?ritait d'?tre pos?e et la recherche ? d?t-elle n'aboutir qu'? des

r?sultats n?gatifs ? d'?tre tent?e. Je ne puis, pour ma part, qu'indiquer le

probl?me. Fut-ce par l'effet de cette disposition, ?videmment tr?s d?savan

tageuse aux acheteurs d'esclaves grecs, et en cons?quence (car elle ne pouvait

manquer de faire baisser les prix) aux marchands qui en faisaient commerce ?

Fut-ce simplement, comme M. Gaudioso para?t le supposer, par suite de la

dissolution de la Compagnie catalane ? Dans la seconde moiti? du xive si?cle, les servi de Romania disparurent ? peu pr?s totalement. Ils furent remplac?s

par des Tartares (je crois, contrairement ? M. Gaudioso, que ce mot fait allu

sion, non ? la nationalit? d'origine des esclaves, mais ? celle des premiers

trafiquants ; on appelait ainsi, tr?s g?n?ralement, les malheureux qui, razzi?s

dans la r?gion de la mer Noire par les coureurs tartares, avaient ?t? vendus

par ces derniers aux marchands europ?ens), des Circassiens, des Russes, des Bulgares et surtout des Africains, n?gres ou ?oliv?tres?.

L'observation prouve qu'un r?gime de main-d' uvre servile ne peut gu?re se maintenir que par un afflux abondant de marchandise humaine, celle-ci

n'?tant d'un emploi avantageux qu'? condition de conserver son bon march?.

Par qui, en Sicile, se faisait le commerce des esclaves ? Sur quelles places ? A

qu'jls prix ? Autant de questions d'un int?r?t capital, que M. Gaudioso ne

s'est m?me pas pos?es (un texte, de 1307-1308, cit? incidemment, p. 44, n. 3, semble montrer que la Sicile n'?tait parfois, dans le transit servile, qu'une

simple ?tape). Sans l'?tude de la traite, celle de l'esclavage est proprement

inintelligible ; il est extr?mement f?cheux que M. Gaudioso ne l'ait point senti.

Utilisation ?conomique des esclaves. ? Encore un probl?me presque totalement n?glig?. Une observation p?n?trante toutefois : dans la Sicile

de la fin du moyen ?ge et des temps modernes, l'absence d'esclaves ? profes sions ?intellectuelles)), notamment d'esclaves employ?s de bureau, marque un contraste tr?s net avec la civilisation antique ; c'est que la masse se recru

tait dans des populations peu pr?par?es aux travaux de l'esprit, et, en tout

cas, ?trang?res ? la culture occidentale (p. 56). Pour le reste, nous en sommes

r?duits ? l'indication donn?e, sans preuves ? l'appui, par le titre m?me de

l'ouvrage. Visiblement, M. Gaudioso consid?re l'esclavage sicilien comme ?

peu pr?s uniquement de nature ?domestique?. A la main-d' uvre servile

les propri?taires ou bourgeois de l'?le auraient demand? des serviteurs ou

servantes (souvent des concubines), non des ouvriers de l'atelier ou des

champs. Tel fut, en efiet, le caract?re g?n?ral de l'esclavage m?diterran?en ;

d'esclaves ruraux il n'y en eut, semble-t-il, jamais, en quantit? notable, que

dans la p?ninsule ib?rique et les Bal?ares. En Sicile, d'ailleurs, le nombre

Page 101: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

94 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

relativement bas des esclaves ne permet gu?re de supposer qu'ils aient pu

jouer dans l'industrie ou l'agriculture un r?le bien consid?rable. Une recherche

plus pouss?e n'e?t cependant pas ?t? inutile. De-ci, de-?? (notamment p. 42),

je vois mentionner des louages d'ouvrages par les ma?tres. Travaux domes

tiques toujours ? Est-ce certain ? P. 131, on nous montre un boucher qui s'assure pour cinq ans les services d'un affranchi, en avan?ant ? celui-ci le

prix de sa libert? (genre de sp?culation, para?t-il, assez r?pandu et sur lequel on e?t aim? quelques d?tails). Le contrat pr?voit express?ment que l'homme

sera employ? ? la boucherie ; avant son affranchissement, n'avait-il pas d?j? exerc? le m?me m?tier ?

Il faut souhaiter que M. Gaudioso, qui a sous la main une si belle docu

mentation, compl?te un jour son travail, d?j? fort utile, par des indications

d'un caract?re plus sp?cialement ?conomique. Et, puisque nous en sommes au

chapitre des v ux, formons-en un autre encore. La France m?diterran?enne,

comme la Sicile, eut ses esclaves. Ceux du Roussillon ont d?j? trouv? leui

historien1; mais non pas ceux du Languedoc2, ni de la Provence. Serait

ce que les documents font d?faut ? Impossible { Les archives du Midi sont riches ; les s?ries notariales, en particulier, ne le c?dent gu?re ? celles de

la Sicile. Serait-ce que les travailleurs manquent ? Le r?veil des ?tudes his

toriques, en Provence, au cours de ces derni?res ann?es, interdit de le croire.

Il faut donc admettre, tout simplement, que le sujet, un peu ? l'?cart des

sentiers battus, a pass? inaper?u. Je serais heureux si jamais ces lignes, tombant sous les yeux de quelque ?rudit en veine de curiosit?, l'incitaient ?

tenter l'entreprise. Marc Block.

Ports d'aujourd'hui, ports d'autrefois :

? propos d'une ?tude sur G?nes et sur Marseille.

Au port de G?nes, M. Maurice By? vient de consacrer une excellente ?tude

qui lui a valu le titre de docteur ?s-lettres de l'Universit? de Lyon3. C'est

une monographie s?rieuse, bien document?e, appuy?e sur des donn?es num?

riques abondantes et rigoureusement critiqu?es. Mais c'est beaucoup plus

qu'une monographie. D'abord, parce que M. By? institue, d'un bout ?

l'autre de son livre, une comparaison suivie, attentive et, on peut ajouter, honn?te entre G?nes et Marseille, les deux grands ports de la M?diterran?e

occidentale : diff?rents et cependant semblables , rivaux et cependant

guett?s par les m?mes ennemis. Ensuite, parce qu'un port de l'envergure de

G?nes, ou de Morseille, c'est naturellement l'un des meilleurs observatoires o?

puisse s'?tablir l'homme qui sait et d?sire voir, pour ?tudier l'activit? non

I.A. BRUTAIL3, ?tude sur l'esclavage en Roussillon du XI* au XVIIe si?cle, dans Nouv. Revue Historique de Droit, t. X, (1886).

2. Indications insuffisantes dans A. G-ermain, Histoire du commerce de Montpellier, 1861, t. II, p. 13 et 17 ; C. Port, Essai sur l'histoire du commerce maritime de Narbonne, 1854, p. 71 ; Louise Guiraud, Recherches et conclusions nouvelles sur Le pr?tendu r?le de

Jacques C ur, dans M?moires de la Soci?t? arch?ologique de Montpellier, 1900, p. 40 et suiv. et p. 85.

3. Le Port de G?nes ; son activit?, son organisation, sa fonction ?conomique, Paris, Alean, s. d. [1927] in-8?, xvi-276 p.

Page 102: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

94 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

relativement bas des esclaves ne permet gu?re de supposer qu'ils aient pu

jouer dans l'industrie ou l'agriculture un r?le bien consid?rable. Une recherche

plus pouss?e n'e?t cependant pas ?t? inutile. De-ci, de-?? (notamment p. 42),

je vois mentionner des louages d'ouvrages par les ma?tres. Travaux domes

tiques toujours ? Est-ce certain ? P. 131, on nous montre un boucher qui s'assure pour cinq ans les services d'un affranchi, en avan?ant ? celui-ci le

prix de sa libert? (genre de sp?culation, para?t-il, assez r?pandu et sur lequel on e?t aim? quelques d?tails). Le contrat pr?voit express?ment que l'homme

sera employ? ? la boucherie ; avant son affranchissement, n'avait-il pas d?j? exerc? le m?me m?tier ?

Il faut souhaiter que M. Gaudioso, qui a sous la main une si belle docu

mentation, compl?te un jour son travail, d?j? fort utile, par des indications

d'un caract?re plus sp?cialement ?conomique. Et, puisque nous en sommes au

chapitre des v ux, formons-en un autre encore. La France m?diterran?enne,

comme la Sicile, eut ses esclaves. Ceux du Roussillon ont d?j? trouv? leui

historien1; mais non pas ceux du Languedoc2, ni de la Provence. Serait

ce que les documents font d?faut ? Impossible { Les archives du Midi sont riches ; les s?ries notariales, en particulier, ne le c?dent gu?re ? celles de

la Sicile. Serait-ce que les travailleurs manquent ? Le r?veil des ?tudes his

toriques, en Provence, au cours de ces derni?res ann?es, interdit de le croire.

Il faut donc admettre, tout simplement, que le sujet, un peu ? l'?cart des

sentiers battus, a pass? inaper?u. Je serais heureux si jamais ces lignes, tombant sous les yeux de quelque ?rudit en veine de curiosit?, l'incitaient ?

tenter l'entreprise. Marc Block.

Ports d'aujourd'hui, ports d'autrefois :

? propos d'une ?tude sur G?nes et sur Marseille.

Au port de G?nes, M. Maurice By? vient de consacrer une excellente ?tude

qui lui a valu le titre de docteur ?s-lettres de l'Universit? de Lyon3. C'est

une monographie s?rieuse, bien document?e, appuy?e sur des donn?es num?

riques abondantes et rigoureusement critiqu?es. Mais c'est beaucoup plus

qu'une monographie. D'abord, parce que M. By? institue, d'un bout ?

l'autre de son livre, une comparaison suivie, attentive et, on peut ajouter, honn?te entre G?nes et Marseille, les deux grands ports de la M?diterran?e

occidentale : diff?rents et cependant semblables , rivaux et cependant

guett?s par les m?mes ennemis. Ensuite, parce qu'un port de l'envergure de

G?nes, ou de Morseille, c'est naturellement l'un des meilleurs observatoires o?

puisse s'?tablir l'homme qui sait et d?sire voir, pour ?tudier l'activit? non

I.A. BRUTAIL3, ?tude sur l'esclavage en Roussillon du XI* au XVIIe si?cle, dans Nouv. Revue Historique de Droit, t. X, (1886).

2. Indications insuffisantes dans A. G-ermain, Histoire du commerce de Montpellier, 1861, t. II, p. 13 et 17 ; C. Port, Essai sur l'histoire du commerce maritime de Narbonne, 1854, p. 71 ; Louise Guiraud, Recherches et conclusions nouvelles sur Le pr?tendu r?le de

Jacques C ur, dans M?moires de la Soci?t? arch?ologique de Montpellier, 1900, p. 40 et suiv. et p. 85.

3. Le Port de G?nes ; son activit?, son organisation, sa fonction ?conomique, Paris, Alean, s. d. [1927] in-8?, xvi-276 p.

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PORTS D'AUJOURD'HUI ET D'AUTREFOIS 95

d'une ville, ni d'une r?gion, ni m?me d'un grand pays ? mais de la vie ?co

nomique du monde entier, dont les moindres pulsations transmises de proche en proche viennent se r?percuter, de fa?ons d'ailleurs tr?s diverses, dans la

vie de ces grands organismes, ? la fois autonomes et d?pendants, que sont

les ports modernes.

On trouvera, dans le livre de M. By?, plusieurs motifs d'int?r?t puissants. Et d'abord, une ?tude fort attentive des formes que rev?t actuellement l'ac

tivit? g?noise. Un historique le pr?c?de, beaucoup trop sommaire, partant sans valeur : mieux aurait valu le supprimer tout ? fait*. Mais sit?t arriv?

? l'?poque toute contemporaine, M. By? reprend ses avantages. Tout ce qu'il dit des conditions de d?veloppement qu'offraient respectivement ? G?nes et

? Marseille le site g?ographique, la position, le trac? des voies naturelles,

l'abondance ou la p?nurie des ressources min?rales, est excellent. Aucun

fatalisme g?ographique n'est invoqu? ici, t?m?rairement, par un auteur qui sait dans quelles relations d'interd?pendance se trouvent les faits naturels

et les faits ?conomiques lorsqu'il s'agit de ces cr?ations compliqu?es de nos

civilisations modernes o? nul ne peut plus se flatter d'atteindre le ?naturel?

par ?limination compl?te de 1'? humain?. Et le contraste que pr?sentent les

deux ports m?diterran?ens ressort, frappant, des chiffres que fournit, et

qu'interpr?te avec sagacit?, M. By?. D'un c?t?, un port, G?nes, fait par les hommes. Une ville coinc?e entre

des montagnes assez raides et la mer. De m?diocres communications avec

un arri?re-pays d?pourvu de combustible et qui demande d?s lors au port voisin d'?tre sa mine de houille. Sur les quais, des montagnes de charbon,

de coke, d'anthracite : 39 p. 100 du combustible min?ral import? par tous

les ports d'Italie , 3 112 000 tonnes au total en 1925, soit pr?s de la moiti?

du trafic total de G?nes ? cette date (3 248 800 tonnes) ; en 1927, 2 837 870 tonnes sur 7 629 600 tonnes au total. Des exportations atteignant ? peine le

sixi?me des importations : G 770 500 tonnes en 1925 contre 950 000 ; 6 192 140

en 1926 , contre 900 900 ; 6 265 250 en 1927, contre 1 364 350. A c?t? de la

houille, 50 p. 100 des c?r?ales entrant en Italie et que r?clament notamment

les usines de p?tes lombardes et pi?montaises ou, par del?, suisses ; du coton

ensuite, des laines, de la viande, beaucoup de m?taux r?clam?s eux

aussi par une industrie mal dot?e. Enfin, peu de voyageurs relativement,

malgr? de beaux efforts et l'appoint des emigrants. En 1925, 136 000 embar

qu?s ou d?barqu?s ; en 1926, 149 500 ; en 1927, 157 900 ; c'est peu, en face

des 1 254 600 voyageurs de Naples en 1924, ou des 1 465 800 de Trieste. ?

Au total, un port dont la fonction r?gionale ou de transit l'emporte, et de

beaucoup, sur les fonctions industrielle et commerciale.

Marseille, par contre : un vieux port naturel, une calanque profonde et

privil?gi?e qu'entoure une cit? pourvue, ? convenable distance, de larges

espaces propices ? l'installation d'usines modernes. Des communications plus

libres, sans qu'elles soient excellentes, avec des r?gions industrielles qui ne

1. Il existe cependant un livre utile sur le pass? de G?nes : Franc. Podest a, Il porto di Genova, dalle origini fino alla caduta d?lia rep?blica Genovese (1797), 1913.

Page 104: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

96 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

vont pas chercher sur des quais maritimes la force qu'elles puisent dans leurs

mines ou dans leurs eaux courantes ; trois fois moins de combustible en con

s?quence qu'? G?nes ; mais les 1 151 000 tonnes de houille de 1925, les

1 098 000 de 1926 ; les 996 778 de 1927 presque toujours consomm?es par les usines m?mes d'un port qui transforme sur place les deux tiers de ses impor

tations. Un ?cart beaucoup plus faible qu'? G?nes entre celles-ci et les expor

tations : 4 932 000 tonnes d'une part en 1925 contre 2 482 600 ; en 1926,

4 548 200 tonnes contre 2 153 780 ; en 1927, 4 519 200 contre 2 422 000. Moins de c?r?ales, et manufactur?es dans les grandes minoteries marseillaises. Moins

de m?taux ?galement. Par contre, des voyageurs en nombre : 783 000 en 1925

(entrants et sortants); 787 000 en 1926; 752 000 en 1927 ; passagers de classe presque tous, et souvent transport?s sous pavillon anglais (42 000 en

1925) ; car si G?nes est fr?quent?e par les charbonniers britanniques, Mar

seille est t?te de ligne de la Malle des Indes et port d'escale de nombreux

paquebots ? destination des Indes et de l'Extr?me-Orient (Peninsular and

Oriental Cy). Tous ces chiffres parlent clair. Ils montrent combien il est vain de

pr?tendre d?cr?ter la sup?riorit? l'un sur l'autre, au vu de simples chiffres de

tonnage, de deux ports qui remplissent des fonctions diff?rentes et fondent

sur des n?cessit?s et des services divers leur prosp?rit?. Marseille est avant

tout un port industriel. G?nes, un port de r?partition.

* * *

Cependant ? et par ce qu'il en dit, M. By? donne ? son livre un nouvel

int?r?t ? les dirigeants du port de G?nes, puissamment soutenus par un

gouvernement qui a entrepris de financer une politique de prestige, font

depuis quelque temps un effort consid?rable pour parer ? des insuffisances

connues de longue date, et d?velopper au maximum leurs possibilit?s d'action

et de rendement. Une part importante du travail de M. By? est consacr?e

? passer en revue dans tous ses d?tails, l'organisation actuelle du port de

G?nes : administrative, ouvri?re, technique et financi?re. Nous ne pouvons

que renvoyer le lecteur, curieux de pr?cisions techniques, ? ces pages solides

et document?es. Par ailleurs, l'auteur montre bien comment beaucoup des

progr?s r?alis?s par le port ligure sont imputables ? une politique de vaste

envergure, et notamment au remarquable essor des constructions navales

italiennes, provoqu? ou tout au moins largement facilit? par d'abondantes

et g?n?reuses subventions de l'?tat. U est tel que le tonnage italien qui repr?

sentait, en 1914, 3 p. 100 du tonnage de la flotte mondiale (1 500 000 tonnes

sur 50 millions) est aujourd'hui de 5 p. 100 (3 200 000 tonnes sur 64 millions).

Absolument, il a donc plus que doubl? ; relativement, il s'est accru de 60

p. 100.

En m?me temps, l'Italie poursuit un gros effort pour cr?er des lignes de navigation r?guli?res. Cr?ations co?teuses, car le navire de ligne exige un

investissement de capital et un fonds de roulement beaucoup plus consid?

rable que la navigation de tramp ; mais les lignes une fois cr??es appellent le

trafic et connaissent un accroissement r?gulier et continu d'activit?, suscep tible d'augmenter ? la fois la prosp?rit? ?conomique et l'influence politique du pays qui a fait de grands sacrifices pour les ?tablir. En 1925, plus de cent

Page 105: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

PORTS D'AUJOURD'HUI ET D'AUTREFOIS 97

lignes r?guli?res partaient d?j? de G?nes, la plupart fortement subvention

n?es. Le tableau1 qu'en donne M. By? est curieux. A c?t? de lignes c?ti?res

d'int?r?t national, et de nombreuses lignes vers le Levant, on y voit des

lignes d'Extr?me-Orient toutes r?centes (Trieste-Yokohama ; G?nes-Bom

bay ; Trieste-Bomba y ; Venise-Calcutta). On y voit une ligne africaine G?nes

Dakar-Matadi-Lobito. On y voit enfin trois lignes ? destination de l'Am?rique du Sud, qui attestent la volont? r?fl?chie, le d?sir syst?matique du gouverne

ment italien de d?velopper son action dans des parages ?loign?s, o? jusqu'?

pr?sent sa pr?sence ?tait rare, et son cr?dit peu de chose. De tout ce vaste

travail, G?nes est la premi?re b?n?ficiaire. Elle occupe, et de beaucoup, le

premier rang parmi les ports italiens, laissant loin derri?re elle Trieste qui vient en second (1925 : 8 248 830 tonnes, entr?es et sorties, contre 2 853 540). Et seule elle se montre en progr?s v?ritable.

Mais quel est son avenir ? Nous voici aussit?t report?s en Suisse et sur le

Rhin... On croit assez g?n?ralement, on r?p?te volontiers que G?nes est le

port naturel de la Conf?d?ration helv?tique. La croyance se fonde sur l'unique consid?ration des kilom?tres qui s?parent soit de l'Atlantique, soit de la M?di

terran?e les centres industriels suisses. Or, il est vrai qu'Anvers et Rotterdam

sont, en moyenne, deux fois plus ?loign?s des villes suisses que G?nes, ou

Marseille ; mais commercialement parlant, ce n'est pas la distance, c'est le

co?t du transport qui, seul, importe ; et dans l'?tablissement des prix, la dis

tance ne joue, en fait, qu'un r?le secondaire. Combien d'autres facteurs ? consi

d?rer 1 Et l'instabilit? des devises, les fluctuations du change qui font varier

la fronti?re des zones d'attraction g?noise ou marseillaise suivant les varia

tions de cours de la lire ou du franc. Et la chert? ou le bon march? des trans

ports ferroviaires ou autres : car il est ?vident que le bon march? relatif des

chemins de fer fran?ais contrastant avec la chert? plus grande des chemins de

fer italiens, et surtout avec l'excessive chert? des chemins de fer suisses,

introduit un facteur de perturbation consid?rable dans toute cette g?ographie variable des prix de revient. Qu'on songe qu'une m?me quantit? de marchan

dise effectuant les 518 kilom?tres de parcours Marseille-Gen?ve, ne paie pas

davantage que la m?me quantit? effectuant les 325 kilom?tres du parcours

G?nes-Iselle ? ou qu'une tonne de bl? en sac de l'Argentine, prise ? San

Lorenzo, co?te de transport total depuis ce port jusqu'? Baie (valeur en francs

suisses) 62 fr. 90 par G?nes, malgr? le L?tschberg, et 38 fr. 51 seulement par

Marseille, en utilisant les lignes fran?aises sur le plus long parcours possible. ?

Seulement, la voie rh?nane est d?j? moins co?teuse : 32 fr. 15. Et si l'on

compare, toujours pour le m?me trajet et la m?me marchandise, les prix de

San Lorenzo ? Gen?ve, ? Fribourg et ? Berne, on voit que l'avantage demeure

? Marseille, mais pour Zurich, Winterthur, Saint-Gall, Marseille doit c?der

le pas ? Anvers et ? Rotterdam : G?nes, bien davantage encore.

Or, le Rhin, s'il repr?sente ? l'heure actuelle jusqu'? Strasbourg une voie

navigable ? peu pr?s parfaite et r?guli?re, n'offre pas encore les m?mes garan

ties de Strasbourg jusqu'? B?le. Le jour prochain o? les grands travaux pro

jet?s seront ex?cut?s, quelle deviendra la situation, non seulement de G?nes,

mais encore de Marseille par rapport au march? suisse ? Interrogation qui

1. M. By? a bien senti la n?cessit? d'un croquis, pour illustrer son texte. Mais celui

qu'il fournit ? ses lecteurs est trop petit, confus et peu expressif.

ANN. D'HISTOIRE. - lre ANN?E. 7

Page 106: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

98 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

justifie les conclusions de M. By? : ? Marseille et G?nes peuvent gagner infini

ment plus ? l'entente qu'? la lutte. Leur int?r?t le plus imm?diat serait

sans doute de se concerter pour parer ? la concurrence redoutable des ports

rh?nans.?

* *

Faut-il le dire ? Quand il ferme un livre de ce genre, nourri, substantiel,

plein d'enseignements et de lumi?res sur une multitude de questions diverses,

l'historien des si?cles pass?s ne peut s'emp?cher de faire, sur son ignorance ou plus exactement sur ses multiples ignorances, un retour assez amer.

Partout aujourd'hui, dans le monde entier, des hommes attentifs suivent

de pr?s le mouvement, les progr?s, les reculs des grands ports mondiaux. Des

livres, des m?moires, des enqu?tes semblables au travail de M. By? paraissent

r?guli?rement sur Hambourg, Anvers, Londres, Liverpool, Bordeaux... inutile

de continuer r?num?ration. M?me m?thode dans toutes , m?mes pr?occupa tions , m?mes recherches des m?mes faits et des m?mes sympt?mes consid?r?s

comme particuli?rement int?ressants , m?me vocabulaire enfin, ? quelques diff?rences pr?s. Elles s'appuient, d'ailleurs, sur de grands recueils connus,

class?s, de chiffres et de d?nombrement, sur des publications officielles d'ex

tension et de valeur internationales ? sur toute une documentation collective

et qu'on s'efforce chaque jour de rendre plus s?re, plus pr?cise et plus riche.

Mais les historiens ?

Certes, on le sait de reste : il y a des illusions qu'on serait fou de nourrir.

Les documents sont ce qu'ils sont. Les chiffres, les relev?s que nous poss?dons

pour une partie du xixe et pour le xxe si?cle, nous ne les avons ni pour le

xvine, ni ? plus forte raison pour le xvir3 ou le xvie : ne remontons pas au del?.

Par ailleurs, ce n'est pas nous qui, sur la foi d'un banal : ? Rien de nouveau

sous le soleil?, encouragerons jamais les malheureuses fantaisies d'auteurs

qui se croient ? modernes? parce qu'ils ?pinglent sur des faits sans analogie

profonde avec les faits contemporains tout un lot d'?tiquettes ? la mode

d'aujourd'hui. Ne parlons pas de la fonction industrielle des ports, lorsqu'il

n'}'- avait pas d'industrie au sens actuel du mot , et rappelons-nous toujours

que ce n'?taient pas seulement les faits mat?riels, mais les mentalit?s qui, de

nos arri?re-grands-parents ? nous, diff?raient profond?ment, sinon radica

lement.

Et cependant, dans l'Europe du xvie si?cle en pleine effervescence, en plein enivrement de capitalisme naissant, il y avait des ports, de grands ports

mondiaux, o? les produits de l'univers entier, tel qu'il ?tait alors connu et

exploit?, venaient se concentrer. Et ces ports luttaient les uns contre les autres

avec autant d'?pre brutalit? que nos ports d'aujourd'hui. Et ils prosp?raient ou tombaient en d?cadence ; ils se rempla?aient au premier rang les uns les

autres ; apr?s de longues ?clipses, ils reprenaient de la vigueur et de l'?lan

exactement comme ces organismes, ? la fois si complexes, si parfaits et si fra

giles que sont nos grandes places maritimes et qu'il faut ausculter de jour en jour avec tant d'anxieuse attention, si l'on veut les maintenir en sant? et

en force... O? sont les monographies, inspir?es paries m?mes pr?occupations, ?tablies patiemment par des savants travaillant chacun sur son domaine,

mais anim?s d'un esprit commun ? ou plus exactement, se posant ? eux.

Page 107: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

PORTS D'AUJOURD'HUI ET D'AUTREFOIS 99

m?mes des questions toutes pareilles et apportant toute leur ing?niosit?^ toute leur patience ? les r?soudre ? Ces questions, quand on vient de lire une

de ces ?tudes contemporaines du genre de celle que nous venons d'analyser, on n'est pas embarrass? pour les formuler. Au xvie, au xvne, au xviir8 si?cle

comme de nos jours, il y avait entre Hambourg, Amsterdam, Anvers, Mar

seille, G?nes et Venise des conflits de limite, toute une g?ographie mouvante

et compliqu?e de zones d'influence en perp?tuelles transformations que per

sonne, jamais, ne s'est souci? de faire revivre. Le change y jouait son r?le,

autant, sinon plus qu'aujourd'hui. Et les conditions tr?s variables des trans

ports. Et celles de la main-d' uvre. Et les facilit?s plus ou moins grandes

qu'offraient au commerce la situation bancaire des diverses places. Et le trac?

des fronti?res, la multiplicit? et la rigueur plus ou moins grande des lignes douani?res ou des p?ages : vingt autres ?l?ments, dont savaient tirer parti

sup?rieurement, no nous y trompons pas, les grands marchands, les grands financiers de ce temps, joueurs intr?pides, accapareurs et trusteurs d'une

magnifique audace, adeptes r?solus du dumping le plus audacieux et le plus na?f ? la fois...

De tout cela, que savons-nous vraiment ? A peu pr?s rien1. Nous devi

nons. Une ou deux monographies sans lien entre elles et dues ? un hasard

heureux nous permettent d'entrevoir, dans une nuit profonde, quelques lueurs. En temps ordinaire, nous n'en souffrons pas. Mais quand nous

prenons connaissance de tous ces travaux patients et scrupuleux qui d?montent et remontent pour nous, patiemment, le m?canisme compliqu? de notre vie ?conomique

? il faut bien que nous r?fl?chissions, et que nous

prenions conscience de notre mis?re. C'est l? la grande force de suggestion

qu'exerce, que peut et doit exercer sur l'esprit des historiens, une connais

sance pr?cise des faits et du monde contemporain2. Que nous n'ayons pas

encore, pour quelques ?poques choisies, le jeu des cinq ou six monographies de grands ports, entreprises par des historiens qualifi?s, apr?s entente et dis

cussion, et conduites par eux en toute ind?pendance, mais quant aux ques

tions ? poser, quant aux probl?mes ? ?lucider, quant aux documents ? ?la

borer, en pleine entente et en collaboration de tous les instants, ? c'est pro

prement une honte.

Le jour seulement o? les historiens l'auront compris, il y aura une his

toire, et dont nul ne s'avisera plus de discuter la valeur, la port?e et l'int?r?t.

Ce jour-l?, nous ne le verrons sans nul doute pas luire. En pr?parer, en h?ter

la venue, telle doit ?tre ici notre uvre tr?s concr?te et tr?s raisonn?e. Et c'est

parce que, par leur exemple, les travailleurs qui ?tudient et d?crivent, avec

des m?thodes d?j? ?prouv?es, les institutions ?conomiques de notre temps

peuvent aider les historiens ? prendre conscience d'un semblable devoir ?

que nous ne s?parerons jamais de l'?tude du pass? l'examen attentif du

pr?sent.

Lucien Febvre.

1. Au deuxi?me tome de Der Moderne Kapitalismus, 1919, p. 237-243 et 277-325, W. Sombart r?sume sommairement nos connaissances et nos ignorances sur ces questions .

2. Inversement, sur les services que peut rendre la connaissance du pass? ? celle du

pr?sent, cf. les observations d'H. Hauser, publi?es dans la Revue d'Economie politique sous

le titre : Les origines historiques des probl?mes ?conomiques actuels, Pari?, 1928, p. 177-185.

Page 108: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

100 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

Histoire rurale.

? Infelices rustid ?. ? La litt?rature satirique dirig?e contre les paysans in

t?resse au premier chef l'histoire du sentiment de classe. Aussi croyons-nous

utile de signaler la r??dition, procur?e par M. Luigi Suttina, d'apr?s de nou

veaux manuscrits, d'une ?s?quence? latine m?di?vale ? compos?e en Italie

et attest?e pour la premi?re fois au d?but du xve si?cle ? o? ce th?me est

trait? avec une extr?me violence. On remarquera le curieux vers 13 : ? Vaga

bundi sunt ut avis?. Ce n'est pas ainsi qu'on se repr?sente d'ordinaire le

?vilain?. ? Marc Bloch.

(Studi medievali, Nuova Serie, t. I, fase. 14, 1928, p. 165-172.)

Les recherches relatives ? la r?partition de la propri?t? et de Vexploitation

fonci?re ? la fin de Vancien r?gime. ? Cette mise au point est l' uvre de

M. G. Lefebvre. Il est donc inutile de dire qu'elle t?moigne d'une connais sance approfondie et d'une vivante intelligence du sujet ; les solutions au

jourd'hui les plus probables sont indiqu?es, sans que jamais les nombreux

probl?mes qui attendent encore leur r?ponse soient laiss?s dans l'ombre. Il

n'y aurait aucun int?r?t ? r?sumer ici cette forte esquisse. Une simple observation. On sait que Kovalewsky et Kar?iev avaient ni?, ou peu s'en

faut, l'existence d'une propri?t? paysanne dans la France d'ancien r?gime, parce qu'ils refusaient aux censitaires la qualit? de ?

propri?taires ?.

M. Lefebvre s'?l?ve avec une juste s?v?rit? contre cette th?se singuli?re dont le r?sultat le plus net a ?t? de forcer les ?rudits ? noircir inutilement beaucoup de papier. Mais lorsqu'il ?crit (p. 108) ? il est certain qu'aux yeux des feudistes le possesseur d'une tenure charg?e de cens, de cham

part ou simplement de droits casuels n'?tait pas propri?taire ; cette

qualit? ?tait d?volue ? celui qui percevait les redevances fonci?res?, il fait aux deux historiens russes une concession, qui me para?t encore excessive : car la doctrine juridique ?tait loin d'?tre unanime ; d?s le xvie si?cle, pour le

moins (on trouverait sans peine dans la pratique notariale et m?me dans la litt?rature coutumi?re des exemples plus anciens), de nombreux auteurs accordent au possesseur du domaine utile la ?

propri?t??. Tel est le cas, par exemple, au xvie si?cle, de Dumoulin, Commentarii in consuetudines Parisienses, t. I, art. LV, gl. II, c. 2 et t. II, art. LXXVIII, gl. IV, c. 4 ; au xviii?, de Pothier, Trait? du droit de domaine de propri?t?, ? 3 ; on trouvera d'autres textes encore cit?s dans le vieil ouvrage de Championni?re, De la propri?t? des eaux courantes, p. 148 1. ? M. B.

(Revue d'Histoire moderne, mars-avril 1928.)

1. J'ajouterai encore ceci. Je viens de feuilleter, aux Archives de Seine-et-Oise, plusieurs atlas joints ? des terriers, tous du y.vni? si?cle. Dans les tableaux qui accompa gnent les diverses feuilles des plans, la colonne r?serv?e ? l'inscription des noms des censi taires porte r?guli?rement, comme titre : noms des propri?taires.

Page 109: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE RURALE 101

M. A. Ars?ne Alexandre1 ?tudie un ph?nom?ne qui (on l'oublie sou

vent) s'est r?p?t? ? d'assez nombreux exemplaires au cours de l'histoire

agraire de l'Europe, ?

par exemple dans une grande partie de la France

apr?s la Guerre de Cent ans, en Lorraine et Alsace vers la fin du xvir3 si?cle :

un repeuplement apr?s une guerre. Mais cette fois la guerre est celle de 1914

1918 et les campagnes ?tudi?es appartiennent ? une des sections les plus

ravag?es de la ? zone rouge? : la plaine picarde. C'est dire que les d?vasta

tions, sans ?tre, probablement, sur chaque point particulier, beaucoup plus

profondes que par le pass? fies guerres d'autrefois, elles aussi, r?duisirent les

villages en d?serts et brouill?rent les antiques limites des champs), furent, du

moins, infiniment plus ?tendues et plus continues. En outre, les conditions

administratives, ?conomiques, financi?res de la reconstruction (le ? finance

ment? a ?t? domin? par la l?gislation sur les dommages de guerre) pr?sentent des caract?res absolument originaux. Le choix de la Picardie, comme cadre

du travail, ?tait des plus heureux, en raison de l'ouvrage classique de M. De

mangeon qui fournissait, pour la comparaison avec l'?tat d'avant-guerre, un

point de d?part excellent. Le petit livre de M. Ars?ne Alexandre est ?videm

ment trop bref pour ?puiser les probl?mes sociaux que soul?ve un ph?nom?ne

d'une extr?me complexit? ; aussi bien l'?tude vraiment exhaustive ne sera

t-elle possible que plus tard. Mais bien inform?, nettement et clairement ?crit

et d'un ton parfaitement objectif, il rendra, ? titre de mise au point provi

soire, les plus signal?s services.

Quelques grands traits caract?risent aujourd'hui la zone reconstruite.

Dans l'habitat : disparition du vieux type de maison, electrification, adduc

tion d'eau (suppression, par cons?quent, de l'antique probl?me des puits,

jadis si grave dans ce pays de nappes profondes). Dans la constitution de la

soci?t? : les grands propri?taires, habitants du ? ch?teau? ou de la riche mai

son bourgeoise, s'absentent plus souvent ; parfois m?me ils ont vendu

ou morcel? leurs terres ; ? les ? m?nagers ?, c'est-?-dire les tout petits

propri?taires, qui vivaient, en grande partie, de journ?es faites chez les pay

sans plus ais?s et, manquant le plus souvent de cheval de labour, d?pendaient

de ces m?mes voisins, mieux pourvus, jusque dans leur travail sur leurs pro

pres biens, deviennent, eux aussi, plus rares; ainsi s'?vanouit une des plus

anciennes classes rurales ; ?

enfin, les journaliers, qu'attirent les villes, nom

breuses dans ce pays de vie urbaine intense, ou que les entreprises de recons

truction ont gagn?s ? l'industrie, disparaissent rapidement. Par suite de l'affai

blissement de ces deux derni?res classes et du d?peuplement g?n?ral ?

pertes

de guerre, crise de natalit? ? un manque permanent de main-d' uvre, att?nu?

seulement, gr?ce aux loisirs que la loi de huit heures procure aux mineurs,

dans le ?pays noir?. D'o? l'appel aux ?l?ments ?trangers: Polonais, plus

rares aujourd'hui que pendant les premi?res ann?es d'apr?s guerre, parce

qu'ils viennent, au total, moins nombreux en France et que les arrivants sont

happ?s par la mine ou l'usine ; Belges, dont beaucoup sont, non des journa

liers, mais des fermiers et souvent ne se fixent pas ? demeure. D'o?, ?gale

ment, le d?veloppement du machinisme, du reste limit?, et diverses r?per

1. A. Ars?ne Alexandre, La vie agricole dans la Picardie orientale depuis la guerre

(Etudes fran?aises fond?es sur l'initiative des professeurs fran?ais en Am?rique, quatorzi?me

cahier), Paris, Soci?t? d'?dition ?Les Belles Lettres ?, 1928, in-12, 85 p.

Page 110: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

102 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

eussions ?conomiques qui seront signal?es plus loin. Modifications dans les

cultures : recul de la betterave devant le bl? et devant l'?levage (la betterave

exige une abondante main-d' uvre ; d'autres causes agissent ?galement dans

le m?me sens; en particulier la disparition des petites sucreries, rompant les

rapports personnels entre le cultivateur et l'usinier, semble avoir contribu?

? d?tourner le paysan d'une production devenue d'un placement d?licat).

Modifications dans les industries fond?es sur l'agriculture: crise de la brasse

rie, ? surtout crise de consommation, l'usage du vin s'?tant beaucoup r?pandu ;

crise de la distillerie ; concentration de la sucrerie, et dans l'ensemble, dimi

nution de la production sucri?re. Deux observations s'imposent : Io ces trans

formations, si profondes soient-elles, s'annon?aient presque toutes avant

guerre ; la grande secousse les a pr?cipit?es, plut?t qu'elle n'a cr?? du nou

veau; 2? d'autres transformations, qu'on e?t pu pr?voir, qu'on a quelquefois

essay? de provoquer, se sont heurt?es ? des habitudes de vie trop enracin?es

et n'ont eu qu'un faible d?veloppement : M. Alexandre note que le ? remem

brement? a ?chou? ? peu pr?s partout ? il en explique fort pertinemment les

raisons ? sauf toutefois dans le Santerre (pourquoi cette exception ? Il e?t

?t? int?ressant de se le demander)1. En terminant, je voudrais chercher une chicane ? M. Alexandre. Il se

laisse aller ? ?crire (p. 50) : ? Par temp?rament, le Picard, et, par caract?re, le

paysan sont individualistes.? Quand en aurons-nous fini avec cette psycho

logie simpliste, qui n'use de mots trop gros que pour s'?pargner les analyses

pr?cises ? Je ne sais pas tr?s bien, au fond, ce qu'est l'individualisme, ou plut?t je sais que ce terme comporte des sens multiples et tr?s diff?rents ;

comment l'appliquer, brutalement, sans d?finition et sans nuances, ? un des

pays qui ont vu se maintenir le plus longtemps les servitudes agraires collec

tives, bien mieux au pays classique du ? mauvais gr?? ?

M. B.

Le r?gime agraire de l'Europe orientale ? y compris l'Allemagne au del?

de l'Elbe ? ?tait caract?ris?, avant la derni?re guerre, par l'importance, sou

vent la pr?pond?rance, de la grande propri?t?; celle-ci, par surcro?t, avait

conserv?, dans beaucoup de pays, une allure nettement seigneuriale. Les bou

leversements politiques et sociaux, n?s de la guerre m?me ou de ses suites ont

amen?, ? peu pr?s partout, les gouvernements ? entreprendre, bon gr? mal

gr? et avec, selon les ?tats, plus ou moins d'?nergie ou m?me de s?rieux, une

redistribution des terres. M. Arthur Wauters s'est propos? d'analyser ces

diverses r?formes et leurs r?sultats, ? ceux du moins qu'il est possible de

d?gager d?s aujourd'hui2. On trouvera quelque commodit? ? avoir ainsi

rassembl?es, en un seul volume, et tr?s clairement r?sum?es, les dispositions

1. Il faut ?tre reconnaissant ? M. Alexandre de savoir, et de dire, que le ? morcelle ment ? est un ph?nom?ne tr?s ancien. Mais il a tort d'?crire que, ? depuis un si?cle, il est devenu un p?ril ? (voyez les ?conomistes du xvme si?cle l). Il fait allusion ? l'action classi quement attribu?e au Code civil. C'est se contenter d'une explication un peu rapide. Dans l'ancienne France, le seul obstacle aux partages r?sidait non dans le droit successoral (est-il besoin de rappeler que les tenures roturi?res ignoraient le droit d'a?nesse, et que la libert? testamentaire ?tait fort limit?e ?), mais dans la pratique des communaut?s familiales.

2. Lar?forme agraire en Europe, Bruxelles, L'Eglantine (Etudes politiques et sociales, X) 1928, in-12, 295 p.

Page 111: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE RURALE 103

des diff?rentes lois nationales. Les r?flexions sur les causes g?n?rales des

r?formes t?moignent d'une intelligence avertie des faits sociaux. Les consid?

rations th?oriques elles-m?mes, qu'on e?t souhait? plus concises et plus nettes,

ne manqueront pas d'int?resser. Pourtant l'impression d'ensemble est quelque

peu d?cevante. Evidemment le champ du livre est trop vaste. Chacun des pays

envisag?s a eu son histoire agraire propre, dont la ?r?forme? n'est que le

point d'aboutissement provisoire. Comment rendre compte, en quelques

pages, de cette s?rie d'?volutions tr?s complexes, souvent mal connues, tou

jours tr?s diff?rentes entre elles ? L'ex?cution m?me des lois ne saurait ?tre

correctement d?crite en dehors d'une analyse tr?s d?taill?e des milieux

sociaux et, tout d'abord, d'une soigneuse critique documentaire, qui ne

pouvaient ?tre exp?di?es en une trentaine de lignes. Que valent les statistiques

que l'on nous met sans cesse sous les yeux (je fr?mis en voyant l'assurance

avec laquelle M. Wauters (p. 233) nous parle de l'?volution de la propri?t?

dans la Chine, pr?sent?e, en son ?normit?, comme un milieu ?conomique par

faitement un ; heureusement ce n'est qu'incidemment !) ? En somme, cette

?tude comparative, en elle-m?me un peu rapide, vient trop t?t pour ?tre bien

utile.

M. B.

M. Anton Gockel1, agronome dipl?m?, rapporte d'un s?jour prolong? au

Canada un excellent livre, int?ressant ? la fois pour l'agronome, le g?ographe,

l'historien et l'?conomiste. Il a puis? sa documentation aux meilleures sources,

qui pour la plupart sont peu connues ou peu accessibles en Europe. Son

ouvrage, enrichi de tableaux statistiques et de cartes, constitue une monogra

phie compl?te du sujet. La mati?re y est abondante, quoique tri?e; l'exposi

tion bien ordonn?e et tout ? fait lisible.

Une introduction g?ographique d?crit le relief des plaines canadiennes,

leur climat et leurs sols. Un chapitre historique retrace la formation territo

riale des trois provinces de Manitoba, Saskatchewan et Alberta, le d?velop

pement des chemins de fer, la politique du gouvernement en mati?re d'immi

gration et de colonisation ; les textes l?gislatifs sont analys?s et leurs effets

discut?s.

Sous le titre ? Agriculture ?, l'auteur marque les grands traits de la pro

duction agricole, qui repose essentiellement, comme on sait, sur la culture

du bl? de printemps, puis il d?crit la technique agricole et les syst?mes d'ex

ploitation, en particulier la pratique de la jach?re qu'imposent ? la fois le

climat sec et l'?tendue des exploitations ; il consacre un paragraphe aux

ennemis des plantes et un autre au bl? canadien, ses vari?t?s, ses m?rites, etc.

L'?levage, encore rudimentaire, est trait? en quelques pages.

Les d?bouch?s et le commerce sont plus longuement ?tudi?s : importance

capitale des ??l?vateurs?, inspection et classification officielle des grains,

exp?ditions par rail et eau (les Grands Lacs} ou par rail vers l'Est et aussi,

depuis peu, vers l'Ouest (Vancouver). Dans le commerce international du

bl?, le Canada occupe une position unique, fournissant le tiers de la quantit?

1. Die Landwirtschaft in den Prarieprovinzen West-Kanadas, Berlin, Verlagsbuch handlung Paul Parey, 1928, in-8?, 140 p., 38 tableaux, 3 graph., 8 cartes.

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104 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

totale de bl? offerte sur le march? mondial ? autant que les ?tats-Unis ?

et pratiquement la totalit? du bl? dur de printemps ; organisations de pro ducteurs pour la vente (pools) et essais d'entente internationale. La situation

?conomique des ? fermiers? est, au total, peu satisfaisante, avec des risques

consid?rables, des capitaux insuffisants, un besoin de cr?dit constant, et une

r?mun?ration nette inf?rieure ? celle de l'ouvrier d'industrie et surtout de

l'employ? de chemin de fer.

La production peut se d?velopper encore : soit par l'extension des ?tendues

cultiv?es dans les fermes existantes ? mais cette extension se ralentit; soit

par la cr?ation d'exploitations nouvelles ? mais, dans la zone du bl? pro

prement dite, les bonnes terres ? des distances raisonnables du chemin de fer

doivent ?tre achet?es, et les frais de production sont partout relativement

?lev?s ; soit par l'irrigation dans la r?gion subaride ? mais on rencontre ici

d'autres difficult?s, co?t de la premi?re installation, et surtout difficult?

d'?couler les produits, le bl? except?. Quant ? l'intensification de l'agricul

ture, elle est une n?cessit? si on ne veut ruiner le sol : mais elle suppose des

capitaux, de la main-d' uvre et des d?bouch?s, c'est-?-dire en d?finitive une

population relativement dense : or l'immigration n'est plus, ? beaucoup pr?s, ce qu'elle ?tait avant la guerre.

On pourra compl?ter ce remarquable travail ? l'aide d'un article r?cent

de O. E. Baker, Agricultural Regions of North America, Part VI, The Spring Wheat Region (Economic Geography, IV, 1928, p. 399-433), qui s'?tend aussi

? la r?gion voisine des ?tats-Unis : on y trouvera les m?mes questions trait?es,

d'un point de vue plus g?ographique, avec une illustration int?ressante et des

comparaisons entre le Canada et les ?tats-Unis. ?

Voir aussi : Stanford

University, Wheat Studies of the Food Research Institute, Vol. I, No. 8, 1925,

p. 217-286.

H. Baulig.

(Strasbourg.)

Histoire urbaine.

La belle synth?se de M. Pirenne sur Les villes du moyen ?ge x est la

derni?re des nombreuses publications que l'auteur n'a cess? de donner sur

cette question et qui, en dehors de la premi?re, int?ressant la ville li?geoise de Dinant, se rapportaient toutes d'une fa?on plus ou moins exclusive aux

villes flamandes. Dans le travail actuel, M. Pirenne a ?largi son sujet et, avec

les cit?s pr?c?dentes, a examin? celles de la M?diterran?e occidentale, euro

p?enne, entendez les localit?s italiennes, surtout de la plaine lombarde, et

celles de la c?te proven?ale. On conna?t la th?se ?conomique g?n?rale de

l'auteur. La mer ?familiale? du mare nostrum a ?t? d?sunie, le commerce

m?diterran?en a ?t? d?truit, non par la chute officielle de l'empire romain, les invasions et les royaumes barbares, mais par l'invasion musulmane qui,

supprimant le commerce maritime qui unit, a r?duit l'empire carolingien ?

un empire terrien compos? de domaines agricoles, o? ne se fait qu'un ? com

1. Essai d'histoire ?conomique et sociale, Bruxelles, M. Lamertin, 1927, in-8?, 203 p.

Page 113: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

104 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

totale de bl? offerte sur le march? mondial ? autant que les ?tats-Unis ?

et pratiquement la totalit? du bl? dur de printemps ; organisations de pro ducteurs pour la vente (pools) et essais d'entente internationale. La situation

?conomique des ? fermiers? est, au total, peu satisfaisante, avec des risques

consid?rables, des capitaux insuffisants, un besoin de cr?dit constant, et une

r?mun?ration nette inf?rieure ? celle de l'ouvrier d'industrie et surtout de

l'employ? de chemin de fer.

La production peut se d?velopper encore : soit par l'extension des ?tendues

cultiv?es dans les fermes existantes ? mais cette extension se ralentit; soit

par la cr?ation d'exploitations nouvelles ? mais, dans la zone du bl? pro

prement dite, les bonnes terres ? des distances raisonnables du chemin de fer

doivent ?tre achet?es, et les frais de production sont partout relativement

?lev?s ; soit par l'irrigation dans la r?gion subaride ? mais on rencontre ici

d'autres difficult?s, co?t de la premi?re installation, et surtout difficult?

d'?couler les produits, le bl? except?. Quant ? l'intensification de l'agricul

ture, elle est une n?cessit? si on ne veut ruiner le sol : mais elle suppose des

capitaux, de la main-d' uvre et des d?bouch?s, c'est-?-dire en d?finitive une

population relativement dense : or l'immigration n'est plus, ? beaucoup pr?s, ce qu'elle ?tait avant la guerre.

On pourra compl?ter ce remarquable travail ? l'aide d'un article r?cent

de O. E. Baker, Agricultural Regions of North America, Part VI, The Spring Wheat Region (Economic Geography, IV, 1928, p. 399-433), qui s'?tend aussi

? la r?gion voisine des ?tats-Unis : on y trouvera les m?mes questions trait?es,

d'un point de vue plus g?ographique, avec une illustration int?ressante et des

comparaisons entre le Canada et les ?tats-Unis. ?

Voir aussi : Stanford

University, Wheat Studies of the Food Research Institute, Vol. I, No. 8, 1925,

p. 217-286.

H. Baulig.

(Strasbourg.)

Histoire urbaine.

La belle synth?se de M. Pirenne sur Les villes du moyen ?ge x est la

derni?re des nombreuses publications que l'auteur n'a cess? de donner sur

cette question et qui, en dehors de la premi?re, int?ressant la ville li?geoise de Dinant, se rapportaient toutes d'une fa?on plus ou moins exclusive aux

villes flamandes. Dans le travail actuel, M. Pirenne a ?largi son sujet et, avec

les cit?s pr?c?dentes, a examin? celles de la M?diterran?e occidentale, euro

p?enne, entendez les localit?s italiennes, surtout de la plaine lombarde, et

celles de la c?te proven?ale. On conna?t la th?se ?conomique g?n?rale de

l'auteur. La mer ?familiale? du mare nostrum a ?t? d?sunie, le commerce

m?diterran?en a ?t? d?truit, non par la chute officielle de l'empire romain, les invasions et les royaumes barbares, mais par l'invasion musulmane qui,

supprimant le commerce maritime qui unit, a r?duit l'empire carolingien ?

un empire terrien compos? de domaines agricoles, o? ne se fait qu'un ? com

1. Essai d'histoire ?conomique et sociale, Bruxelles, M. Lamertin, 1927, in-8?, 203 p.

Page 114: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE URBAINE 105

merce sans ?changes?. Mais, apr?s l'anarchie du ixe si?cle, au xe, avec la

stabilisation, la pacification, la colonisation g?n?rales, qu'accompagne l'aug mentation de la population, le n?goce international repara?t en deux points :

? Venise, par les relations avec la grande place de Constantinople, et dans la

plaine flamande, que d?j? industrialise la draperie, par ses rapports avec la

navigation Scandinave. Il gagne peu ? peu toute l'Europe et, en particulier,

gr?ce ? cette surabondance de population, naissent, ne peuvent que na?tre

les marchands. Ce sont ces derniers qui, se fixant aupr?s des anciennes forte

resses, civitates romaines, burgi m?di?vaux, plac?es dans des situations ?co

nomiques favorables, et y cr?ant des ?portus?, c'est-?-dire des entrep?ts

permanents de marchandises prot?g?s militairement, fondent la ville actuelle.

La ville, que ?le commerce et l'industrie ont faite ce qu'elle a ?t??, est en

somme, une colonie de marchands ; ceux-ci sont ses premiers bourgeois ; leurs

descendants feront peu ? peu une commune organis?e avec toutes ses institu

tions, organes et fonctions, adapt?es aux conditions de ce milieu essentielle

ment nouveau.

Les lecteurs de M. Pirenne retireront de son livre diff?rents avantages de

m?thode ou de fait. Ils apprendront l'art de g?n?raliser les renseignements,

trop restreints, que nous fournit le petit nombre de documents conserv?s

pour le milieu du moyen ?ge, correspondant pr?cis?ment, du ixe au xie si?cle, ? l'?poque de la naissance des villes ; ils verront aussi comment il semble

possible de suppl?er ? l'absence compl?te de textes par des hypoth?ses

qui paraissent judicieuses et solides ; ils conna?tront ?galement, lorsque, par

contre, les renseignements sont pour ainsi dire devenus trop nombreux

(p?riode communale), l'art de les synth?tiser. Ils verront ensuite comment, si

l'on veut comprendre les villes, il ne faut pas les ?tudier dans toutes les loca

lit?s qui, ? peu pr?s n'importe o? et n'importe quand, ont port? ce nom : on

doit les examiner avant tout dans une ou deux r?gions d?termin?es, telles la

Flandre et la M?diterran?e proven?ale et lombarde, o? leur formation, ?

la fois ?conomique, la?que et pacifique, a ?t? plus pure et plus parfaite et leur

d?veloppement plus intense que partout ailleurs ; on les ?tudiera, ces grands centres, ? l'exclusion des cr?ations post?rieures ou de second ordre, qui ne

sont que des ?ph?nom?nes de r?p?tition?, de pr?f?rence m?me aux cit?s

picardes, o? la violence a ?t? par trop le caract?re dominant des relations

entre la ville et l'?v?que. Ils comprendront cependant qu'entre ces derni?res

communes, dites communes jur?es, et les premi?res, la distinction qu'on a

voulu ?tablir, ?tant trop exclusivement juridique, est n?gligeable et super ficielle ; toutes ces localit?s sont des communes ou des villes ?galement. Ils

verront encore que, si on d?sire ?tudier l'ensemble de ce qu'on appelle le droit

urbain, ou mieux, les institutions urbaines, on doit consid?rer non seulement

la partie proprement juridique,constitution, justice,etc., mais aussi le c?t? so

cial, car nulle l?gislation n'a ?t? plus interventionniste que celle des bourgeois dans ce centre ?conomique qu'est la ville. Ils verront, enfin, comment, au

cours d'?tudes de cette nature, il est indispensable d'associer l'?conomie ? et

m?me la g?ographie ?conomique, ?

qui agit d'une fa?on exclusive dans la

formation de la ville et qui, dans un milieu de cette nature, ne cessera jamais d'exercer son action, avec le droit qui, demeurant par suite soumis ? cette

influence originelle, intervient lors de l'?tablissement de la commune pour la

Page 115: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

106 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

cr?ation de la l?gislation et la fondation des organismes. Les lecteurs conna?

tront, en un mot, l'excellence d'une m?thode qui, dans ses principes, peut unir l'imagination utile ? la pr?cision indispensable, et qui, dans son applica

tion, sait utiliser les diff?rentes esp?ces de documents pour arriver ? donner

de l'?l?ment consid?r? une repr?sentation ? la fois compl?te et logique. Elle leur fera comprendre comment, telles origines ?tant donn?es, telle organisa tion a d? finalement s'ensuivre : les rapports de la cause ? l'effet et les modes

du r?sultat leur appara?tront dans des conditions aussi ?videntes et claires

que possible.

Dans son travail, M. Pirenne a fait forc?ment allusion ? la formation

topographique de la ville, qui s'est constitu?e autour de la civitas ou du

burgus. Mais il ne pouvait que signaler le fait d'une fa?on tr?s g?n?rale, en

indiquant seulement les principes essentiels de la situation et de la constitu

tion des localit?s. En Allemagne, depuis la dissertation de Fritz1, qui remonte d?j? ? 1894, toute une petite litt?rature s'est form?e sur l'histoire

du plan des villes et, en particulier, l'historien que fut Rietschel, dans son

travail connu, Markt u. Stadt2, o? il a appliqu? ? la r?gion d'entre Rhin et

Elbe les principes g?n?raux d?j? pos?s par M. Pirenne, avait trait? d'une fa?on

pr?cise ce point g?n?ral de l'histoire urbaine. En France, apr?s nous-m?me, si on veut bien nous permettre de le dire, qui n'avons d'ailleurs ?tudi? ce

sujet qu'? titre local3, M. Lavedan4 vient de publier une ?tude impor tante sur Vurbanisme. Elle s'applique, par parties ? peu pr?s ?gales, ? l'anti

quit? et au moyen age. Dans cette seconde p?riode, la seule que nous signa lerons ici, l'auteur consid?re successivement : ?le nouveau type urbain radio

concentrique, dont toutes les rues convergent vers le centre et dont le contour

est g?n?ralement circulaire? ; puis, la cr?ation urbaine en France, en Angle terre et en Allemagne ; enfin, les ?l?ments de la ville, les places et les rues :

fonctions, structure, am?nagement, atmosph?re. La centaine de pages con

sacr?es sp?cialement ? la France comprend d'abord quelques pr?liminaires sur la nature et les formes de la ville dite, par opposition ? la ville spontan?e, ville cr??e. Celle-ci, jusqu'au milieu du xme si?cle, ? n'est encore qu'un lotis

sement? plut?t qu'une ?composition?5. Viennent ensuite deux ?tudes

d?taill?es : l'une porte sur Montauban, ville fond?e en 1144 et ? laquelle l'auteur accorde une importance particuli?re ; c'est d'ailleurs une cit?, non

pas radioconcentrique, mais trap?zo?dale, qui ? par son effort, m?me harmo

1. Deutsche Stadtanlagen, Strasbourg, 1894, in-4?. 2. Leipzig, 1897. 3. La vie urbaine de Douai au moyen ?ge, t. I et IV, Paris, 1913. 4. Ce travail a paru d'abord comme these de doctorat sous le titre de Histoire de l'ar

chitecture urbaine. Antiquit?. Moyen ?ge, Paris, Laurens, 1926, in-4?, 520 p., pi., puis avec le titre de Histoire de l'urbanisme, etc.. Les ?rudits que ce genre de recherches in t?resse devront lire ?galement l'autre travail de M. Lavedan, sorte de pr?face ? celui dont nous parlons dans le texte : Qu'est-ce que l'urbanisme ? Introduction a l'histoire de l'urbanisme. Paris, Laurens, in-8?. Voy. en particulier la deux, partie : Notions g?n?rales sur le plan de ville. Ses d?terminantes : ils y trouveront des donn?es g?n?rales int?ressantes sur les villes spontan?es et les villes artificielles; l'analyse du plan et la recherche de la g? n?ratrice : route, rivi?re, montagne, etc.. ; la fonction urbaine : militaire, politique, ?co nomique ; le syst?me . les syst?mes de l'?chiquier et radio-concentrique (p. 21-82).

5. P. 300.

Page 116: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE URBAINE 107

nieux, vers une simplicit? sch?matique, annonce d?j? les monotones ?chi

quiers du xive si?cle ? * ; l'autre ?tude concerne les bastides de quatorze

d?partements du Sud-Ouest ; le chapitre se termine par quelques pages sur

les villes cr??es des autres provinces. 352 plans et 32 planches accompagnent

le volume.

L'ouvrage de M. Laved an a un r?el m?rite de principe : il ouvre la voie ?

un genre de recherches ? peu pr?s inconnu jusqu'? lui en France, du moins

dans des intentions aussi g?n?rales. En fait, tel qu'il se pr?sente, il semble le

r?sultat d'un travail s?rieux. Il est original et int?ressant, il doit ?tre lu par

tous les sp?cialistes de l'histoire urbaine ; il leur apportera des id?es sur la

situation des villes, leur formation, leur composition. Le chapitre relatif ?

l'Allemagne, en particulier, nous a paru fort clair. Mais, quel que soit l'int?r?t

de principe, encore une fois, que peut offrir ce livre, nous sommes oblig? de

faire de tr?s s?rieuses r?serves sur la partie qui concerne la France : elle ne

comprend, en effet, que les ?tudes relatives ? Montauban et aux bastides,

que l'auteur para?t avoir choisies pour des raisons personnelles ; le reste du

pays n'est pas trait? : il tient en six pages et la Flandre sp?cialement en six

lignes, et encore l'auteur ne consid?re-t-il jamais que les villes cr??es. Dans

la r?gion flamande, ? laquelle nous ne pr?tendons pas qu'il faille toujours tout

ramener, mais qui n'en a pas moins une importance que l'on peut dire fonda

mentale, M. Lavedan parle uniquement de deux villes, dont les plans sont

contraires : Bergues2, qui est une cit? radioconcentrique tr?s curieuse, en

effet, mais secondaire, et Saint-Omcr3, ville de premier ordre, dont il ne

retient que la situation g?ographique, sans s'apercevoir qu'elle pr?sente, en

somme, un plan en ?chiquier, r?sultat ?vident d'une colonisation, d'une cr?a

tion ; de ce double point de vue, elle est, sans aucun doute possible, ant?

rieure aux villes de forme analogue, que l'auteur, on s'en souvient, pr?tend ne

remonter originairement qu'au xive si?cle et, plus g?n?ralement, aux villes de

composition qu'il affirme ne pas rencontrer avant le xne. C'est tout et c'est

purement insuffisant, d'autant mieux que la Flandre pr?sente certainement

aussi des villes anciennes, ? plan sinon nettement radioconcentrique, du

moins piriforme, en forme de fuseau, telles que Douai.

Nous croyons que M. Lavedan aurait beaucoup mieux fait de se borner

tout au plus ? la France, de se limiter m?me ? une r?gion : il aurait pu ainsi

?tudier compl?tement son terrain et y consid?rer les villes spontan?es aussi

bien que les villes cr??es, car on ne comprend parfaitement les secondes qu'en les opposant aux premi?res. Il n'y a pas, en effet, dans les villes, qu'une ques

tion de disposition ; il y en a d'autres de situation et de composition, qui se

pr?sentent dans tous les centres, quelle que soit leur origine particuli?re.

L'auteur aurait encore mieux agi en n'?tudiant pas que des centres secon

daires, comme Montauban, ou m?me de troisi?me ordre, tels que les bastides,

les uns et les autres de plus en plus r?cents, allant ainsi contre le principe

essentiel que nous citions plus haut, d'apr?s M. Pirenne : ?tudier l'histoire

urbaine dans les villes de premier plan. Enfin, M. Lavedan aurait d? prendre

1. P. 309. 2. P. 257. 3. P. 247. M. Lavedan reconna?t que ? le plan acquiert une certaine r?gularit?, appar

tenant ? la cat?gorie des plans d?termin?s par une route ? ; il n'y voit donc qu'une raison g?ographique sans aucun motif historique.

Page 117: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

108 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

garde d'?tre historien autant que g?ographe et, comme on ne peut tout appro

fondir en m?me temps, il lui aurait donc fallu se borner, surtout, encore une

fois, quand il ouvrait ? peu pr?s une voie ; c'est un m?rite que nous n'oublions

pas, mais dans des limites tr?s d?termin?es.

Les ?tudes d'histoire urbaine proprement dites ne peuvent ?tre faites sans

publications de textes. Nous devons d'abord signaler des travaux pr?para

toires aux ?ditions : ce sont des catalogues d'actes r?gionaux. On sait que la

Soci?t? d'Histoire du Droit a entrepris la recherche et la publication des

chartes de franchises et documents annexes de la France. Deux catalogues ont paru, l'un consacr? ? l'ancienne Lorraine des origines ? 1350, date per

sonnelle un peu arbitraire, par M. Edmond Perrin 1, l'autre s'appliquant au Poitou, des origines ? 1789, par Mlle Madeleine D?llay 2. En dehors

du catalogue proprement dit, chaque travail pr?sente les introductions,

notes et tables d?sirables; le second m?me poss?de une carte. M. Perrin ne

signale que les chartes proprement dites, avec leurs annexes directes, ratifi

cations, suppressions, etc. Mlle Dillay y ajoute des pi?ces compl?mentaires

qui aident ? fixer les principes du droit urbain : telles des sentences royales

r?glant des conflits de juridiction entre le maire et les officiers du roi 3. Il

para?t, en effet, n?cessaire, si l'on veut conna?tre enti?rement les principes de la vie juridique d'une ville, de ne pas se borner aux chartes de privil?ges

proprement dites. Les deux travaux de MUe Dillay et de M. Perrin sont des

uvres d'une r?elle valeur, que nous avons plaisir ? signaler et ? louer ici, en souhaitant qu'elles suscitent de nombreux imitateurs : des travaux de

cette nature d?blayent et jalonnent le terrain en attendant les ?ditions m?mes.

Nous ne pouvons d'ailleurs entrer dans le d?tail de ces recherches, qui rel?vent plut?t du droit pur et de la diplomatique que de l'?conomie : nous

regrettons simplement que l'ordre selon lequel les villes sont dispos?es, en

Lorraine, soit chronologique et non, comme en Poitou, alphab?tique. Ce que M. Perrin a eu le m?rite de cr?er, Mlle Dillay a eu la possibilit? de le perfec tionner.

Nous d?sirons cependant attirer l'attention sur une diff?rence sociale

extr?me qui s?pare les deux r?gions consid?r?es. Dans la Lorraine, pour un

espace restreint et un temps limit?, M. Perrin a pu r?unir 281 chartes relatives ? 310 localit?s : en principe, il n'y a donc m?me pas une charte par agglom? ration ; mais, en fait, il en existe quelquefois plus d'une, certaines pi?ces con

cernant simultan?ment plusieurs places. Dans le Poitou, pour un espace plus ?tendu et toute la p?riode du droit urbain, Mlle Dillay a rassembl? 100 textes,

qui se rapportent ? 13 localit?s, dont Saint-Maixent et Fontenay-le-Comte avec 10 et 12 documents, Niort avec 21 et Poitiers avec 33. La premi?re r?gion para?t donc ?tre aussi riche que l'autre est pauvre et celle-ci est d'autant plus

1. Catalogue des chartes de franchises de la Lorraine ant?rieures ? 1350 (Annuaire de la Soci?t? d'hist. et d'arch?ologie de la Lorraine, t. 33, 1924. ? Tir. ? part Metz, imp. Even s. d., in-8?, 145 p. Ce catalogue ne fait pas partie de la collection publi?e par la Soci?t? d'Histoire du Droit.

2. Les chartes de franchises du Poitou, Paris, Soci?t? du Recueil Sirey, 1927, in~8?, 105 p., une carte (Catalogue des chartes de franchises de la France, I).

3. Catalogue, p. 12, 42 ; voy. introduction, p. x-xi.

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HISTOIRE URBAINE 109

pauvre que Poitiers, ? bien qu'ayant conserv? ? ainsi que Niort ? la s?rie

presque ininterrompue de ses chartes municipales ?, ne pr?sente gu?re plus de

trois dizaines d'actes. Dans l'Est, il n'existe que de simples villages ou de tr?s

petites villes, mais il y en a une profusion ; chaque localit? n'offre qu'un nombre tr?s restreint de pi?ces : suivant un usage fr?quent, la plupart re?oi vent une unique charte de franchises et vivent sur elle. Dans l'Ouest, il y a

une quantit? extr?mement limit?e de localit?s, dont la moiti? sont, en prin

cipe, relativement importantes ; mais, les plus consid?rables m?me ne sont

pas tr?s prolifiques et l'ensemble de la r?gion ne regagne pas en valeur ce

qu'elle perd en quantit? par rapport ? la pr?c?dente. Cette diff?rence tient

elle ? des raisons juridiques ou ?conomiques ? Les historiens du Poitou,

d'apr?s Mlle Dillay 1, pr?tendent que les libert?s restreintes dont les bour

geois se contentaient s'expliquent par le bien-?tre dont ils jouissaient : les

franchises existaient, en fait, ? l'?tat latent. Dans l'Est, pour lequel M. Perrin

ne donne aucune explication, l'activit? ?conomique ne semble pas ?tre plus

d?velopp?e qu'? l'Occident ; peut-?tre la vie mat?rielle ?tait-elle plus dure,

les rapports avec le seigneur plus malais?s : c'?tait un pays d'invasions. D'une

part, l'arbitraire n'existait pas ; de l'autre, on le redoutait, tout au moins.

Ou encore l'individualisme celtique de l'Ouest, l'esprit d'association germa

nique de l'Est agissaient-ils en sens contraires ? D'un c?t?, les habitants ne

tenaient pas ? des garanties, de l'autre ils en voulaient. En tout cas, quel que

soit le motif de cette diff?rence entre les deux contr?es, ? l'?gard de la vie

urbaine, le Sud-Ouest est l'une des parties mortes de la France, le Nord-Est

une des parties vivantes. La diff?rence, l'opposition m?me sont certaines, il

importait de le signaler. Comme recueil de textes, signalons un des derniers volumes de la Soci?t?

des Archives historiques du Poitou 2. Il concerne ? la commune et la ville de

Poitiers de 1063 ? 1327 ?, jusqu'? la fin des Cap?tiens : introduction de 75 pages par M. Boissonnade, recueil de textes par M. Audouin. Poitiers,

ancienne ville romaine, au xie si?cle est une villa f?odale, tout enti?re soumise

? l'autorit?, ? la juridiction des comtes-ducs du Poitou, directement dans la

cit?, civitaSy dont ils sont les souverains, indirectement dans les bourgs, burgi,

eccl?siastiques et la?ques, dont ils ne sont, en g?n?ral, que les suzerains. Au

xue si?cle, ils font entourer toute l'agglom?ration d'une nouvelle enceinte.

Il n'y a pas d'unit? dans la ville, qui n'est qu'une ? mosa?que de fiefs 3,

4ont le seul lien consiste dans la suzerainet? comtale?. Mais, ? partir de la

fin du xie si?cle, Poitiers triple d'importance et d'?tendue, renferme des

exploitations industrielles et, tr?s favorablement plac?e, devient, avec des

foires importantes, un grand march? d'?changes terrestres, fluviaux et mari

times, d?s 1082 4, apparaissent des ?cursores vendentes et ementes?, des

marchands ambulants domicili?s ? Poitiers et des mercatores de passage. Les

premiers, du moins, formeront peu ? peu une v?ritable classe sociale, dont,

une centaine d'ann?es plus tard, certains repr?sentants fonderont des halles

1. Introduction, p. xix. 2. Recueil de documents concernant la commune et la ville de Poitiers, t. I, de 1063 ?

1327, Poitiers, imp. moderne, 1923, ln-8?, lxxxviii-388 p., (Arch, histor. du Poitou

XLIV). 3. P. xxv. 4. P. xxxiv ; p. j. XI.

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110 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

dans la ville et deviendront les banquiers des Plantagenets 1. Ce d?veloppe ment de population et de richesse entra?ne naturellement des d?sirs d'?man

cipation qui, en raison d'un pouvoir sup?rieur extr?mement fort, ne pourront se r?aliser que graduellement et lentement depuis le dernier quart du xie si?cle.

C'est d'abord, de 1082 ? 1126 environ, dans un but de colonisation et de peu

plement, l'octroi par les comtes de simples franchises judiciaires et civiles

sans droits politiques ni administratifs ; puis, apr?s une r?volte, la procla mation de la commune et sa suppression par Louis VII en 1138, c'est, ? partir de 1169-1178, pour des motifs politiques, la concession r?elle d'une commune

par les rois de France et d'Angleterre et, en 1204-1216, l'octroi d'un ? statut

l?gal? 2 d?finitif ? la ville par Philippe-Auguste. Ces chartes successives ne

lui ? accordent pas l'ind?pendance politique?3, mais ?elles r?alisent une

ing?nieuse r?partition des pouvoirs dans l'administration municipale ?, par ticuli?rement en ce qui touche la justice. La vie ?conomique atteint alors

son plus haut degr? de d?veloppement, surtout en raison de l'activit? com

merciale : les foires se d?veloppent encore et, en 1285, on cr?e un port sur le

Clain. Les m?tiers, de leur c?t?, s'organisent, m?me en ?communaut?s jur?es? :

tels les bouchers, par exemple.

Viennent, en second lieu, 277 pi?ces justificatives, qui commencent en

1063, ? partir de 1082 int?ressent les bourgs de la ville, et, depuis le xne si?cle, se rapportent toujours plus ou moins4 directement ? la commune. Ces

documents sont tr?s vari?s : lettres de toute origine et de toute nature, ?ma

n?es des rois, de leurs agents, des comtes, de l'?glise, de la ville, chartes de

communes, mandements, privil?ges divers conc?d?s ? la cit? ou ? des particu liers, r?les judiciaires et jugements ou r?glements de m?tiers de provenance

urbaine, actes d'origine priv?e. Les pi?ces sont, le plus souvent, publi?es

int?gralement. Pourtant, lorsqu'elles ne sont pas in?dites, elles sont parfois

simplement indiqu?es. Sont-elles perdues ? on en donne l'analyse. M. Audouin

y a joint des notes qui portent sur les points les plus divers de la constitu

tion et de l'interpr?tation des documents et, lorsque ceux-ci sont longs, s'intercalent au cours m?me des textes, qu'elles divisent en parties succes

sives.

L'histoire du Poitou est, depuis longtemps, trop famili?re ? M. Boisson

nade, elle est trop ? sa chose?, pour qu'un m?moire de lui sur la vie urbaine

de la capitale de cette r?gion ne nous en offre pas un tableau pr?cis, original et complet, bref, des plus instructifs. Peut-?tre, dans la partie ?conomique, n'e?t-il pas ?t? inutile de distinguer plus nettement l'?conomie locale des

?conomies nationale et internationale, la petite de la grande industrie, le

commerce urbain de celui d'?changes, bref, l'?conomie, qui fonctionne ?

Poitiers comme dans un domaine ferm?, de celle qui s'y d?veloppe comme

dans un march? ouvert : c'est la seconde qui a form? la ville. Mais les pages de M. Boissonnade sur les origines du mouvement communal font de son

travail une contribution d'une r?elle utilit? g?n?rale ? l'?tude de ce grand

1. P. xxxiv. Cf. sur le r?le personnel des marchands ? l'origine du mouvement urbain, Pirenne, Les anciennes d?mocraties des Pays-Bas, p. 34, 155-156 ; Les villes, p. 131, 194.

2. P. xxxviii. 3. Ibid. 4. En ce sens, certains actes concernant plut?t la ville en g?n?ral : n?? 36, 39, 56 par

exemple, comme l'indique d'ailleurs le titre du recueil.

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HISTOIRE URBAINE 111

probl?me. Si on compare, en effet, cette cit? semi-m?ridionale aux grandes villes flamandes, qu'il faut toujours regarder comme des prototypes urbains,

on observe certaines analogies int?ressantes : l'influence de l'?conomie et

sp?cialement du commerce sur la formation de la ville (en tant que groupe vraiment urbain), le d?veloppement topographique de cette ville, de part et

d'autre, d?s l'ach?vement du xe si?cle, l'existence des marchands au xie,

l'absence d'unit? juridique de l'agglom?ration, sa division en civitas et en

burgi, la construction d'une enceinte commune au xne si?cle ; ? la m?me ?po

que, la formation d'une aristocratie bourgeoise, dont certains repr?sentants

jouent un r?le important, la constitution ?conomique, la?que, politique et

pacifique de la commune, le caract?re mixte publico-urbain de l'organisa tion municipale, l'absence de difficult?s s?rieuses avec les juridictions eccl?

siastiques. Signalons encore, du point de vue social, la formation rapide du

m?tier des bouchers en corporation : ce caract?re para?t ?tre assez fr?quent1 et peut ?tre attribu?, semble-t-il, ? la richesse professionnelle, qui entra?ne

la coh?sion et l'union des membres du m?tier.

Quant au recueil de textes en lui-m?me, du point de vue du choix des

actes, il n'y a qu'? louer. Les futurs auteurs de l'histoire communale de Poi

tiers y trouveront, sans doute, la plus grande partie au moins des documents

qui leur seront n?cessaires. Signalons, au titre de l'histoire ?conomique, les

pi?ces concernant les m?tiers depuis la date relativement recul?e de 1230.

Nous ne nions pas ?galement que les notes nombreuses et vari?es qui accom

pagnent le texte aient leur utilit?. Mais quelle singuli?re pr?sentation des

actes ! M. Audouin ? on en est surpris ?

ignore ? peu pr?s l'art de publier les textes. Ou bien a-t-il voulu innover ?... Ignorance ou originalit? se mani

festent ? maints d?tails : forme des tableaux des sources diplomatiques et

bibliographiques, ?

l'original est r?guli?rement-d?sign? comme ? Original? ;

un point, c'est tout ?, disposition des documents, d?coupage des pi?ces par

l'insertion de s?ries de notes ; dans celles-ci, enchev?trement complet des

notes constitutives et interpr?tatives, identifications faites au cours du tra

vail et non dans une table finale, etc.. Nous croyons que, dans un recueil de

textes, les notes interpr?tatives doivent ?tre r?duites au minimum, parce

que, si on commence, il n'y a pas de raison de se borner, et on sera toujours

insuffisant; mais c'est l? une opinion personnelle. En tout cas, un peu de

m?thode n'e?t pas ?t? inutile pour compl?ter ext?rieurement la valeur d'un

recueil qui, encore une fois, n'en est pas d?pourvu dans le fond .

En dehors de publications sp?ciales de textes, des pi?ces justificatives

ont ?t? parfois donn?es en appendice ? des histoires urbaines, dont nous avons

maintenant ? parler, en allant du g?n?ral au particulier. Nous avons ainsi ?

examiner une pr?tendue synth?se, trois histoires locales et autant de travaux

de d?tail.

Tout d'abord, M. Ottokar, en 1927, a r?imprim?, en italien, un

travail qu'il avait publi? en 1919 en russe, lui donnant le titre de La citta

1. Cf. Espinas, La vie urbaine de Douai, II, p. 601.

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112 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

francesi nel medio evo1 ?. Une courte pr?face expose2 que les histoires

de communes fran?aises ne sont, trop souvent, que de ?l'abstraction facile

autant que st?rile ?, avec l'abus d'expressions telles que : ? le mouvement

communal, le droit municipal, l'?mancipation de la bourgeoisie?, au lieu de

partir de l'?tude des bases r?elles de la cit? : topographie, seigneuries ant?

urbaines, immunit?s, etc. Cinq chapitres, consacr?s ensuite aux cinq villes

de Cambrai, Noyon, Beauvais, Soissons et Senlis 3, ?tudient deux questions

particuli?res. L'une topographique : la s?paration, l'opposition m?me affirm?e

entre la civitas romaine et le suburbium m?di?val ne para?t applicable qu'aux ?

jeunes villes flamandes?, mais non aux vieilles cit?s romaines, o? ces deux

termes ont une valeur plus ind?termin?e ou plus large que dans les centres

du Nord4. L'autre juridique : la charte de commune ? l'ouvrage presque

tout entier porte sur ce second sujet ? est loin d'avoir tout ?tabli dans la

ville et l'organisation urbaine s'est r?guli?rement, et pour la plus grande part, faite en dehors d'elle. Comme conclusion5, la th?orie du dualisme urbs

suburbium, du suburbium commercial cr?ateur, de la ville ?pluralit??, de la

?table rase? de M. Pirenne, ne vaut pas pour les localit?s de fondation

ancienne ; l'auteur leur attribue, au contraire, une formation unitaire et juri

dique sous le pouvoir du ?supr?me seigneur local?.

Le titre de l'ouvrage de M. Ottokar ne correspond nullement ? la r?alit?, et cela d'un double point de vue. Il ne donne, bien entendu, aucune id?e de

a cit? fran?aise m?di?vale en g?n?ral, puisqu'il ne consid?re qu'une localit?

de l'Ile-de-France, trois de la Picardie et une du Cambr?sis imp?rial. Si du

moins l'auteur avait ?crit ? une ? cit? fran?aise I En principe, il a donc ?tudi?

seulement cinq communes, plut?t que villes, du Nord de la France, ? forma

tion ? violente? ou anti-?piscopale 6. En fait, il n'y a examin? que les deux

points indiqu?s ; encore n'a-t-il consid?r? avec quelque d?tail que pour Beau

vais la formation topographique7. Le reste de la vie urbaine est compl?te ment laiss? de c?t?. La composition du travail n?cessite donc les plus expresses r?serves. Quant ? l'expos? m?me, la question de la charte de commune8 est

trait?e avec originalit?, p?n?tration et ampleur. On a ?videmment beaucoup

exag?r? autrefois, du point de vue juridique, au d?triment du c?t? social, la

port?e r?elle des actes de cette nature dans l'ensemble des institutions muni

1. Firenze, Vallecchi [1927], in-8?, vm-233 p. (Collana Storica, xxx). 2. P. vi-vii. 3. On se demande quel motif a pu amener M. Ottokar ? choisir ces cinq villes, dont

quatre appartiennent, il est vrai, au c ur de la France et peuvent ?tre, en un certain sens, consid?r?es par excellence comme des ? cit?s fran?aises ?, mais, dont la plus septentrionale, Cambrai, n'a ?t? d?finitivement rattach?e au royaume qu'avec Louis XIV ? Serait-ce simplement qu'elles ont toutes ?t? l'objet de travaux utilisables, bien que l'auteur, nous l'avons dit, ne paraisse reconna?tre ? ces recherches qu'une valeur insuffisante ? En tout cas, ces villes, ainsi que nous l'observons dans le texte, pr?sentent l'inconv?nient d'une formation analogue. Qui conna?t en particulier une cit? picarde conna?t plus ou moins les autres. ? M. Ottokar exprime le regret que les travaux de Giry n'aient pas ?t? continu?s (p. 232, n. 1) : mais trois du moins des publications qu'il utilise sont pr?cis?ment dues ?

des ?l?ves de Giry. 4. Voy. p. 1-3, 73-81, 105-119, 176. 5. P. 224-226. 6. P. 105-119. 7. Sauf peut-?tre Senlis, et encore ; voyez Flammermont, Histoire des Institutions mu

nicipales de Senlis, p. 17. 8. On en trouvera un r?sum? dans l'article intitul? : Le r?le de la commune et de la

charte communale dans l'histoire des villes fran?aises au moyen ?ge (Revue d'Histoire du droit, IV, Haarlem, 1923). Nous nous contentons d'y renvoyer.

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HISTOIRE URBAINE 113

cipales et il importe de les ramener ? leur valeur exacte. Sur ce point sp?cial et important du fonctionnement de la commune, on ne peut donc qu'approu ver l'auteur ; son travail, avec tout le d?veloppement qu'il y a donn?, m?rite

absolument d'?tre pris en consid?ration1. Au contraire, l'autre ?l?ment du

livre relatif, on le sait, ? la formation topographique et m?me personnelle de

la ville, semble beaucoup plus discutable. Nous n'avons pas mission de

d?fendre la th?se de l'origine marchande des centres urbains en g?n?ral, mais

d?t-elle ne pas s'appliquer aux localit?s picardes aussi compl?tement, avec la

m?me rigueur, qu'aux cit?s flamandes, il ne s'ensuit pas qu'elle ne soit aucu

nement faite pour elles. Les premi?res sont des agglom?rations non pas ? jeunes ? en effet, mais anciennes, tout ? la fois de composition topographique

et juridique plus complexe et de caract?re ?conomique moins accus? que les

secondes : on ne peut pas leur demander une provenance aussi nette et aussi

pr?cise, leur formation peut ?tre moins tranch?e et plus compliqu?e. Il n'en

reste pas moins qu'? l'?gard de la division urbs-suburbium, ? Beauvais, apr?s dix-huit pages de discussion, M. Ottokar aboutit ? une conclusion ? peu pr?s

analogue ? celle de ses adversaires2 : diff?rence d'appr?ciation, non oppo sition. Quant ? la doctrine de l'action des marchands, l'auteur nous promet tant ? sa place un syst?me nouveau, dont il se contente de nous indiquer le

sens tr?s g?n?ral et seulement th?orique, nous attendons qu'il ne se limite pas ? une critique purement n?gative, mais qu'il nous donne un expos? complet et concret. Nous nous demandons cependant, d?s maintenant, ne serait-ce

que pour l'une des cit?s de Picardie qui a ?t? le plus compl?tement exami

n?e3, si cette origine marchande ne pourrait ?tre d?montr?e. A l'?gard des

autres centres, et en cela nous sommes un peu d'accord avec M. Ottokar, nous nous permettrons de penser que leur ?tude pourrait peut-?tre ?tre reprise avec une m?thode plus moderne et sous une forme plus achev?e. Mais, en

attendant que des r?sultats pouvant ?tre consid?r?s comme ? peu pr?s d?finitifs soient acquis au sujet des villes picardes, nous tenons provisoire

ment la th?orie marchande pour valable ? leur ?gard, f?t-ce avec quelque ? relativit??. De m?me, sans m?conna?tre les services que le livre, dont nous

venons de parler, peut rendre aux recherches urbaines, nous pensons que l'auteur aurait pu lui donner un titre ?galement un peu plus ? relatif?.

Avec cet ?essai? (saggio) synth?tique, ont paru trois histoires locales :

celles d'une grande et d'une petite ville de la Provence, Marseille et Salon, "et celle d'une petite ville encore de la Haute-Normandie, Eu. M. L. Bourrilly, en ?crivant son Essai sur Vhistoire politique de la commune de Marseille des

origines [vers le milieu de la seconde moiti? du xne si?cle] ? la victoire de

Charles d'Anjou en 1261 *, a comme r?pondu par avance au plan de M. Pi

renne, indiqu? plus haut : les grandes communes de la M?diterran?e occiden

1. Sur ce caract?re incomplet des chartes, voyez d'ailleurs d?j? quelques mots dans Viollet, Les communes fran?aises, p. 360.

2. P. 118 ; cf. p. 225. 3. Soissons, par G. Bourgin. Voy. Le Moyen ?ge, 1909, p. 339-341 ; joindre pour lea

filiales de Soissons, p. 344-346. 4. Aix-en-Provence, A. Dragon, 1926, in-8?, vin-526 p.

ANN. D'HISTOIRE. ? ire ANN?E.

Page 123: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

114 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

taie1, en analogie avec celles de la Flandre, ont eu une origine nettement

?conomique et une formation relativement pacifique, du moins si on les com

pare, de ce second point de vue, aux villes picardes. M. Bourrilly nous expose d'abord les origines g?n?rales de la commune de

Marseille depuis l'an mil environ : prosp?rit? ?conomique, d'ordre surtout

maritime, bien entendu, ? ? le xie si?cle a ?t? marqu? dans la r?gion par un

prodigieux bouillonnement d'?nergie et d'id?es ?2), ?

qui ranime des ?l?

ments de vie collective ; formation d'une population de ? prudhommes, bour

geois, marchands, mercatores, changeurs ?, et aussi de gens de m?tiers, patrons et ouvriers, d'esprit mobile ; par suite, d?sir des individus d'obtenir, dans

l'ordre politique comme dans l'ordre social, des garanties vis-?-vis de pouvoirs f?odaux locaux en d?cadence. L'auteur ensuite, au cours du xiie si?cle, ?tudie

et, au besoin, discute les premi?res mentions d'organisation constitutionnelle

(les consuls apparaissent en 1178). Cette organisation est encore ? rudimen

taire? au d?but du si?cle suivant. Les 200 pages qui suivent et forment le

fond du volume, donnent l'expos? chronologique de l'?tat int?rieur de la

ville pendant une p?riode d'un demi-si?cle environ. On a l? l'histoire politico constitutionnelle de la cit? : expos? de ses r?gimes successifs,

? ils furent

nombreux ? qui, tant?t eurent des origines sociales assez mal d?finies, tant?t

r?sult?rent de causes politiques d?termin?es, m?me ?trang?res; en outre, r?cit

des rapports toujours vari?s, parfois difficiles, avec les divers pouvoirs locaux ou ext?rieurs, eccl?siastiques ou la?ques, quelquefois co-adversaires de la cit? ou ennemis entre eux : villes voisines, abbaye marseillaise de Saint-Victor, vicomtes et ?voques de Marseille, comtes de Provence (Charles d'Anjou en

particulier), comtes de Toulouse. En somme, l'ascension politique se poursuit

jusqu'en 1230, ann?e o?, tout ? la fois, les Marseillais ach?vent int?rieurement

d'acqu?rir la vicomte et, pour ?chapper, ? l'ext?rieur, ? la suzerainet? du comte de Provence, se donnent celle du comte de Toulouse. Cette alliance les

jette dans des conflits incessants jusqu'au jour o? Charles d'Anjou, apr?s de

v?ritables luttes avec la commune, suivies de r?pressions, finira par mettre

la main sur elle et lui enlever son ind?pendance. De la constitution, signalons simplement, en 12123, la fondation d'une

confr?rie dite du Saint-Esprit. Cr??e sans doute sous les auspices de l'?glise et, en particulier du L?gat, ?tablie, en principe, en vue de la lutte contre

l'h?r?sie albigeoise, elle fut, en r?alit?, une sorte d'association de paix; elle

comprenait tous les citoyens de Marseille qui acceptaient d'y entrer par serment et de payer une cotisation ; elle eut ses chefs, ses recteurs ?lus, son

budget. Elle ne tarde pas ? diriger efficacement la cit? ; mais elle dispara?t en 1220. Au milieu du xiir9 si?cle4, existe un Conseil urbain : il est form? de deux ?l?ments : les conseillers ordinaires, non seulement bourgeois et

marchands, mais chevaliers, ?lus annuellement suivant un syst?me de coopta tion assez compliqu?, dans lequel figurent les chefs de m?tiers ; puis, les chefs de m?tiers eux-m?mes, nomm?s par les membres et les prudhommes des

m?tiers : c'est ici un ?l?ment tout ? fait particulier ? Marseille et en qui s'incar

1. Les villes, p. 83-84, 101, 126, 145, 155-156, 179, 195. 2. P. 5. 3. Voy. le chap. Ill, p. 46. 4. Voy. le chap. VII, p. 189.

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HISTOIRE URBAINE 115

nent vraiment le gouvernement et l'ind?pendance de la cit?. Au Conseil se

joignent des assembl?es g?n?rales du peuple ou ? Parlement?, dont le r?le est

de ratification seulement, non de consultation. En r?alit?1, ?la commune

de Marseille n'avait aucun caract?re d?mocratique. Il est exag?r? et anachro

nique de l'appeler ? R?publique? : il est moins exact encore d'y voir un gou

vernement populaire : c'?tait une ?oligarchie?. Ces 250 pages de M. Bourrilly tiennent donc plus que leur titre ne le

promet. Elles ne sont pas seulement une histoire politique ; le d?but, con

sacr? aux origines et au d?veloppement de la commune, a un int?r?t social ;

le reste fait conna?tre toute la suite des constitutions urbaines. L'expos?,

pr?cis et ferme, se lit avec profit et agr?ment. Pourtant on a parfois, faut-il

l'avouer, tendance ? le parcourir. A la partie non politique, nous ne pouvons en somme, que donner des louanges ; l'autre ?l?ment para?t vraiment trop

long ou mal distribu?. Nous n'oublions pas, bien entendu, l'extr?me impor tance de l'histoire politique, souvent fondamentale,

? l'exemple de Marseille

suffirait ? le montrer : lorsque Charles d'Anjou supprime l'ind?pendance

urbaine, c'est la politique qui domine tout. Mais, ce principe une fois admis, nous nous demandons si ces longs r?cits de luttes et de d?m?l?s, tous ces noms

propres, tous ces d?tails, tout cela, en un mot, qui n'a, au fond, qu'une valeur

locale, n'aurait pu ?tre r?duit ; les r?sultats seuls importent, parce qu'ils ont seuls une port?e g?n?rale et comparative. Par contre ? si du moins les

documents le permettaient ? n'aurait-on pu chercher ? insister davantage

sur le c?t? social de la politique, les diff?rentes factions, mascarais, franciots, les causes intrins?ques de certains changements politiques, qui ne furent pas dus ? des motifs ext?rieurs ? en un mot, n'aurait-il pas ?t? pr?f?rable d'essayer

d'?tre moins narratif et plus explicatif ? Cette place exag?r?e, donn?e ? l'expos? d'?v?nements purement marseillais, est peut-?tre le r?sultat du cadre chrono

logique adopt? ; l'auteur, qui ?crit seulement une partie de l'histoire d'une ville, se trouve involontairement amen? ? accorder un trop grand d?veloppement ? certains faits, dont l'expos? serait r?duit ? de plus justes proportions dans

une histoire compl?te de la cit?. Peut-?tre y a-t-il l? aussi la cons?quence d'une faute de m?thode, qui consiste ? suivre dans le r?cit un syst?me exclu

sivement chronologique et non pas, autant que possible, m?thodique. Ces

remarques ne nous emp?chent pas de reconna?tre que le travail de M. Bour

rilly constitue enfin le premier commencement d'une histoire s?rieuse de la

commune de Marseille.

Quant aux pi?ces justificatives, nous nous permettrons de le dire fran

chement ? l'auteur, pas plus que M. Audouin il ne conna?t assez l'art, nous

ne dirons pas de les publier, car nous ne pr?tendons pas qu'elles soient repro duites incorrectement, mais de les pr?senter. Le tableau des sources diploma

tiques et bibliographiques, d'une part, la disposition des pi?ces, de l'autre,

t?moignent de peu de soin. Nous ne pouvons entrer ici dans tous les d?tails ; il suffira de rappeler, par exemple, qu'on ne place pas la date apr?s l'analyse

de la pi?ce. Autant que cela est possible, il faut num?roter les alin?as 2.

1. P. 211. 2. Les n?? 41, 45 et 46 sont num?rot?s, mais les n?g 20, 21-22, 30-31, 33-34, 36 ne le

sont pas.

Page 125: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

116 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

Ce ne sont pas l? de vaines chicanes. Les documents ne sont pas toujours d'une

?tude ais?e : facilitons la besogne du lecteur.

L'?tude du travail de M. Bourrilly doit ?tre compl?t?e par celle du compte rendu approfondi et original que M. Lab an de lui a consacr?, en s'arr?tant au

moment o? s'ach?ve l'acquisition de la vicomte par la ville (1230)1.

M. Labande s'attache ? aux origines, aux premi?res actions, aux conditions du

d?veloppement de la commune, aux acquisitions qui, en la substituant peu ?

peu aux vicomtes, lui permirent de devenir graduellement une v?ritable sei

gneurie exer?ant tous les droits de juridiction ?2. En reprenant, en parti

culier, certains actes du xne si?cle, il a pu montrer que, d?s 1136, le ? com

mune Massilie?, s'il n'?tait pas encore la commune organis?e, ? jur?e?,

autonome, ?tait d?j? Vuniversitas, la communaut?, l'ensemble de tous les

habitants, tant milites que burgenses ou mercatores, agissant comme un ?tat,

ayant au besoin des d?l?gu?s, poss?dant son domaine, son budget, mais

rest?e encore sous la direction des seigneurs locaux, vicomtes et ?v?ques.

Puis, apr?s la mention des consuls de 1178, appara?t, on s'en souvient, la

corporation du Saint-Esprit : ? ses d?buts, simple r?p?tition de l'ancienne

universit?r, elle ne tarde pas ? organiser et ? diriger la commune dont elle

?tend, par des acquisitions successives, les possessions ext?rieures comme le

domaine local. Ce passage graduel de l'inorganique ? l'organique, de l'ind?

termin? au pr?cis, de l'incomplet au complet, est en somme, absolument

normal, et on ne peut que louer M. Labande du soin avec lequel il a ?tudi? et

de la p?n?tration avec laquelle il a interpr?t? les actes, trop rares, qui nous

demeurent de cette ?poque. Si on cherche maintenant ? comparer dans leurs lignes g?n?rales une

grande commune de la M?diterran?e, telle que Marseille, aux municipalit?s

importantes de la Flandre, il semble que certains rapprochements soient

possibles. De part et d'autre, l'origine du groupe urbain est ?conomique ; son

apparition remonte au xie si?cle au moins; sa population comprend en particu lier des mercatores. La commune semble se former au xne si?cle, son organi sation appara?t vers la fin de cette p?riode ; la communaut? renferme au

moins toute la population de nature urbaine3. Le centre habit? manque d'unit? juridique et la commune cherche ? ?tablir celle-ci en ?arrondissant?

son domaine par des acquisitions : l'achat de la vicomte f?odale s'effectue

dans le Midi comme celui de la ch?tellenie f?odale dans le Nord ; l'op?ration est rendue possible, de part et d'autre, par les besoins d'argent du vendeur.

Dans l'ensemble, la formation communale est plut?t pacifique, quoique non

exempte de difficult?s. La constitution est oligarchique. Les tentatives

d'?mancipation exag?r?es de la commune vis-?-vis des princes territoriaux

aboutissent finalement, non pas ? en faire une ville libre, mais ? la faire

retomber, au contraire, sous leur domination. D'autres rapprochements seraient sans doute encore possibles, sans nier qu'il y ait des diff?rences.

i. Journal des Savants, 1926-1927. 2. Ibid., 1927, p. 75. 3. A vrai dire, une diff?rence parait exister ? cet ?gard entre les communes du INTord

et celle de Marseille : les premi?res ne comportent que la population vivant sous le droit urbain, la seconde renferme en plus des chevaliers (Bourrilly, p. 24-25, 54, 76. Labande : 1926, p. 431 ; 1927, p. 23, 74). La question aurait peut-?tre besoin d'?tre encore pr?cis?e.

Page 126: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE URBAINE 117

L'?tude achev?e des deux s?ries de villes permettra, dans l'avenir, de pr?ciser les d?tails et de ? doser? les comparaisons.

Dans la r?gion proven?ale encore, entre Marseille et Arles, se trouve la

petite ville de Salon, ? l'histoire m?di?vale de laquelle M. R. Brun a consacr?

un travail1. Plac?e dans une situation ?conomique, rurale et commerciale

? privil?gi?e?, dans une r?gion tr?s fertile, ?

pivot? de la contr?e, n?e sur un

rocher dominant la Crau, elle doit son origine ? une exploitation rurale mise

en valeur par les archev?ques d'Arles qu'une donation des rois de Provence

rendit seigneurs temporels de ce domaine. Les descendants des quelques habitants que, d?s l'?poque romaine, la culture avait pu attirer en cet endroit,

au moment de l'anarchie m?di?vale, ? la fin du ixe si?cle, durent se mettre

sous la protection de ce puissant propri?taire f?odal qu'?tait l'archev?que. Celui-ci fonda sur le rocher de Salon une sorte de ch?teau fort, un castrum.

Situ?e sur la route tr?s fr?quent?e de Marseille ? Avignon, la place devint

une esp?ce de re?ai ; au pied de la forteresse, s'?tablit un march?, une ville.

Salon ?tait donc une seigneurie eccl?siastique. Les archev?ques, qui y avaient

une r?sidence, la favoris?rent beaucoup mat?riellement par de nombreuses

mesures ?conomiques, comprenant qu'ils agissaient dans leur propre int?r?t.

Mais, ? avec un soin jaloux ?, ils tinrent absolument ? conserver les droits sou

verains qu'ils y poss?daient sans aucune restriction, en particulier la justice.

Au xme si?cle, en effet, les habitants leur sont enti?rement soumis et ne

jouissent d'aucune autonomie directe. Les pr?lats convoquent, s'ils le jugent

n?cessaire, les chefs de famille pour former le Parlementum et le pr?sident

sans voix deliberative : cette assembl?e permet ? leurs sujets d'?mettre leurs

v ux et de discuter leurs int?r?ts avec eux. Les membres d?l?guent leurs

pouvoirs ? des procureurs temporaires dits syndics, qui constituent une

assembl?e restreinte, le Conseil, s'occupant en fait des affaires courantes sans

poss?der de pouvoirs de droit. ? Ce n'?tait pas l? une organisation, ce n'?tait

qu'une participation ? la vie municipale?, et m?me, en 1354, apr?s de longs

d?bats avec l'archev?que, les habitants se virent oblig?s de renoncer ? ? toute

ombre de communaut??2.

Mais, ? la suite du d?sastre caus? par les Grandes Compagnies, de l'anar

chie qui en r?sulta, gr?ce aux efforts tenaces de la ville qui renomma d'elle

m?me ses syndics, gr?ce aussi ? l'intervention arbitrale, bienveillante m?me,

du pape entre elle et l'archev?que, de 1386 ? 1404, les habitants, en un demi

si?cle d'efforts heureux, arriv?rent ? se faire reconna?tre une organisation

communale : elle comprenait des syndics et des conseils nomm?s par le Parle

ment. La vie municipale continua d'ailleurs de marcher de compte ? demi

avec l'autorit? eccl?siastique. Les habitants furent r?compens?s de leur esprit

de suite ; seuls en face des archev?ques, ils r?ussirent finalement ? obtenir

l'autonomie administrative, ? l'exclusion d'ailleurs de privil?ges politiques :

ils formaient ce que l'on peut appeler une ? communaut? syndicale?3. Dans

l'application, ce qui frappe avant tout chez leurs dirigeants, ? c'est leur bon

sens pratique et la sage mesure qu'ils montrent dans l'organisation et l'admi

1. La ville de Salon au moyen ?ge. La vie ?conomique. Le r?gime seigneurial. Le r?gime

municipal, Aix-en-Provence, impr. universitaire de Provence, 1924, in-8?, 385 p. (Publica

tions de la Soci?t? d'Etudes proven?ales, vi). 2. P. 127. 3. P. 6.

Page 127: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

118 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

nistration de la cit? : le souci des int?r?ts g?n?raux de la communaut? et

l'esprit de loyaut? et de justice qui les animaient, permirent en effet ? la ville

d'acqu?rir une prosp?rit? remarquable?1.

Dans la vie ?conomique, notons ? un ?miettement de la propri?t?, com

parable au morcellement actuel?. La base de l'?conomie ?tait l'?levage, qui

avait une grande importance et entra?nait la transhumance de la Crau aux

Alpes ; les sous-produits, laine et cuir, ?taient trait?s sur place ou export?s.

A la fabrication du drap se rattachait un monopole assez curieux, celui de la

mati?re tinctoriale, la cochenille, appartenant aux archev?ques. On sait

que ces derniers, par une s?rie de mesures, s'int?ress?rent r?ellement ? l'en

semble de l'?tat ?conomique.

L'histoire de Salon conduit ? deux conclusions essentielles : dans sa for

mation, la ville est sortie d'un castrum militaire d'origine seigneuriale et

d'une ville ?conomique de provenance priv?e ; dans son fonctionnement,

cette seigneurie eccl?siastique est gouvern?e par une autorit? religieuse, qui

la dirige avec bienveillance, la suit avec int?r?t, mais la domine dans un

esprit enti?rement anti-communal2. Ces deux faits n'ont rien d'original

par eux-m?mes ; il n'en est que plus int?ressant de les signaler dans le Midi.

L'ouvrage de M. Brun est, dans l'ensemble, un bon travail, le sujet bien

compris et clairement trait?. On souhaiterait simplement un peu plus de

fermet? dans l'expos?, parfois assez l?che. Deux r?serves doivent cependant

?tre faites, concernant, l'une la g?ographie, l'autre l'?conomie. La formation

de la ville est expos?e presque en deux fois3 et finalement d'une fa?on

insuffisante ; pas de plan. D'autre part, le travail d?bute par une partie ?cono

mique, ?les institutions d'un centre agricole s'inspirant directement de

l'?tat des cultures et de la nature m?me du sol?4. Nous ne pourrions que

nous incliner devant cet hommage rendu ? l'?conomie, si M. Brun s'?tait

born?, en effet, ? d?crire exclusivement le sol et les cultures, bref, s'il n'avait

expos? que l'?l?ment r?el, technique des choses ou, si l'on pr?f?re, s'il n'avait

donn? que la g?ographie ?conomique. Mais, dans la partie r?elle, il a

examin? aussi l'industrie et le commerce ; bien plus il y a trait? ?galement

du mode d'exploitation juridique du domaine ; ? titre social encore, il a parl?

des corporations et de l'apprentissage et enfin, du point de vue politico-finan

cier, il a expos? les encouragements du seigneur ? l'?tat ?conomique : en un

mot, il a d?crit tout ce qui est d'ordre personnel. Ce syst?me est absolument

illogique : en principe, le c?t? ?conomique personnel ne saurait ?tre une

cause de la ville, il en est, tout au contraire, une r?sultante, puisque, sans elle,

il n'existerait pas ; en fait, ce plan nous conduit ? cette cons?quence sin

guli?re que nous entendons parler de Salon et de son seigneur, sans, qu'en

r?alit?, nous sachions m?me s'il y a une ville et un archev?que. L'exploita

tion ?conomique s'est-elle cr??e toute seule ? C'est une v?ritable p?tition de

principe et l'expos? des institutions ?conomiques devait ?tre plac? apr?s

l'histoire de la ville et de l'autorit? eccl?siastique, dont ces institutions pro

c?dent. ? Notons encore, dans le m?me ordre d'id?es, une appr?ciation de

nature sociale : ? Nous n'avons rencontr? ? Salon, dit M. Brun, aucune trace

1. P. 270. 2. Cf. plus loin pour le Dauphin?. 3. P. 19 et 78. 4. P. 7.

Page 128: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE URBAINE 119

de ces r?glements corporatifs qui paralysaient l'initiative individuelle. Les

M?ridionaux ?taient hostiles ? leur introduction n1. Cette ex?cution som

maire des corporations, nous nous permettrons de le dire ? l'auteur, est tout

ce qu'il voudra, sauf de l'histoire. Ce n'est pas, bien entendu, le principe,

l'usage des corporations, qui est condamnable, c'en est la d?formation, le

d?r?glement. Les critiques, que M. Brun adresse ? l'esprit corporatif, l'esprit individualiste en m?rite, en son genre, de tout aussi vives et m?me de plus

profondes, car il va de soi que l'id?e et la vie de soci?t? sont toujours pr?f? rables ? l'id?e et ? la vie d'isolement. Naturellement, aucun des deux sys t?mes ne constitue le rem?de ? tous les maux. Ce que l'on pourrait peut-?tre

dire de plus g?n?ral et de plus juste ? leur sujet, c'est que l'un et l'autre ont

pu rendre des services diff?rents suivant les p?riodes, les situations ?cono

miques : l'individualisme servit surtout ? cr?er, dans les ?poques de formation

et de d?veloppement plut?t faciles ; l'association aide ? maintenir, surtout

dans les ?poques difficiles de luttes et de concurrence. C'est presque un

truisme de remarquer que l'histoire est souvent une s?rie d'actions et de r?ac

tions et que les abus d'une organisation sociale extr?me conduisent presque

forc?ment ? ceux d'une forme sociale oppos?e : si la corporation fait d?faut,

on tombe dans l'anarchie de l'individualisme ; si, inversement, elle d?g?n?re en tyrannie, cette anarchie se fait cependant presque pr?f?rer ? l'oppression contraire. Au pouvoir politique ? essayer de maintenir l'?quilibre n?cessaire.

Poussons maintenant vers le Nord. Mlle S. Deck a ?tudi? la petite ville

d'Eu2, ? la plus ancienne commune normande ?, depuis son origine en 1151,

jusqu'? 1475, ann?e o? la cit?, sur l'ordre de Charles VII, fut compl?tement

d?truite pour emp?cher les Anglais de s'y installer : elle ne se releva jamais.

Plac?e dans une situation militaire et ?conomique assez avantageuse, a

l'endroit o? la Bresle commence ? devenir navigable, cette ancienne ville

romaine fut d'abord un castrum, autour duquel, en particulier gr?ce au d?ve

loppement des relations commerciales avec l'Angleterre, se forma une ville.

En 1115, apparaissent des burgenses, des ? tenanciers en bourgage ? : ce sont

eux qui, en 1151, obtiennent du comte d'Eu une charte communale ? secun

dum usus et consuetudines et scripta Sancti-Quintini?, sans qu'on voie pr?

cis?ment le motif de ce lien, qui d'ailleurs dut se borner ? ? l'application des

principes de droit commun?. L'octroi de cette charte accentua le d?veloppe

ment de la ville, dont MUe Deck nous d?crit d'une fa?on tr?s g?n?rale la topo

graphie ; elle grandit ? un point tel qu'un peu avant le milieu du xive si?cle

elle para?t avoir atteint un chiffre de population qu'elle ne retrouva plus :

avec la peste de 1348 s'ouvrit ? une s?rie de calamit?s et de malheurs inou?s?

et, au xvme si?cle, le chiffre des habitants avait probablement diminu? par

rapport au nombre du moyen ?ge. Eu jouit d'une constitution ind?pendante

avec un maire, des ?chevins et un Conseil, qui se recrutaient par cooptation,

mais sans que l'on puisse savoir s'il existait des assembl?es de la communaut?.

1. P. 70. 2. Une commune normande au moyen ?ge. La ville d'Eu. Son histoire, ses institutions

(1141-1475), Paris, Champion, 1924, in-8?, xxiv-315 p., une pi. (Biblioth?que de l'Ecole

des Hautes ?tudes, se. philolog. et historiques, ?asc. 243).

Page 129: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

120 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

La justice ?tait partag?e avec le comte, auquel revenait, en particulier, la

haute justice. A titre ?conomique, la ville n'acquit jamais une importance internationale. M?me au moment de son apog?e, l'?conomie rurale y garda

une place consid?rable ; les terrains de culture, les pr?s m?me rest?rent nom

breux ? l'int?rieur des murs ; l'industrie et le commerce appartenaient avant

tout ? un n?goce sans ?change, concernant de pr?f?rence l'alimentation : on

fabriquait principalement et on exportait un peu de drap ; on importait un

peu de vin d'Espagne. Mais ce fut pr?cis?ment cette ?conomie de caract?re

mixte, demeur?e en partie agricole, ce peuplement de cultivateurs qui conser

v?rent ? la ville cette nature moyenne, qui lui firent cette histoire calme que n'ont pas les cit?s industrielles du Nord. Et finalement, apr?s toutes les

?preuves de la Guerre de Cent Ans, Eu sentira la n?cessit? de l'autorit? et se

laissera glisser sans r?sistance dans les mains du pouvoir royal, qui l'absorbera

ou la dominera politiquement et financi?rement. ? Ajoutons qu'un plan de

1615-1620 est joint au travail.

L'histoire de la commune d'Eu para?t conduire aux conclusions essen

tielles suivantes. La formation de cette petite ville, pour des raisons d'?cono

mie p?cuniaire, s'est faite par l'accouplement d'un burgus et d'un castrum ; son existence montre une influence apaisante de l'?conomie rurale, qui n'a pas ?t? si accus?e que la vie industrielle et commer?ante n'aie pu, ? l'origine, exercer une action fondamentale en faveur de l'?tablissement et du d?velop

pement de la cit?, mais qui est toujours rest?e assez forte pour produire, au

cours de son histoire, une influence mod?ratrice dans la forme : ces deux

actions contraires se sont ainsi pouss?es et retenues successivement ; la fin

de la commune la fait voir s'annihilant pour des motifs politiques au profit du pouvoir central.

M1Ie Deck a parfaitement saisi la physionomie de cette ville moyenne et

nous en a donn? une tr?s s?rieuse ?tude ; elle a su tirer le meilleur parti des

restes des archives d'Eu. Nous aurions seulement d?sir? voir l'auteur insister

? un moindre degr? sur l'histoire militaire, d?velopper au contraire davantage la partie topographique et am?liorer la r?daction de l'?l?ment ?conomique :

les deux derni?res remarques, on s'en souvient, ont d?j? ?t? faites ? prop s

du travail de M. Brun. Dans l'ensemble, n?anmoins, les deux histoires locales

pr?c?dentes montrent qu'il ne manque pas en France de centres secondaires

m?ritant d'?tre ?tudi?s et pouvant donner lieu ? des travaux d'un r?el

int?r?t.

Nous passons aux recherches sp?ciales. M. Bourde de la Rogerie a

?tudi? les fondations de villes et de bourgs en Bretagne du XIe au XIIIe si?cle *,

apr?s la p?riode normande, ? l'?poque de l'unification de la r?gion et de son

gouvernement par la f?odalit?, de 995 ? 1213 : le r?gime f?odal cr?e le syst?me des seigneuries ayant pour capitales les demeures des seigneurs dans leurs

ch?teaux aupr?s desquels se forment les villes et les bourgs. La ville bretonne

est ? tout groupe de maisons b?ti aux abords ou sous la protection d'un ch?

teau fort ou d'une abbaye, ce groupe f?t-il peu important ou m?me tout

1. M?moires de la Soc. d'hist. et d'arch?ologie de Bretagne, 1928. ? Tir. ? part, 38 p.

Page 130: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE URBAINE 121

? fait insignifiant?, et le bourg est ? l'ensemble des maisons group?es sur un

fief aupr?s d'un ch?teau?. Sauf cinq villes d'origine romaine et cinq autres

d'origine religieuse datant du vie si?cle, toutes les villes bretonnes, grandes et petites, naissent ou deviennent telles post?rieurement au xe si?cle. R?serve

faite de Saint-Malo et peut-?tre de Pornic, aupr?s d'un ch?teau fort ou, tr?s

rarement, d'une abbaye chef-lieu d'une seigneurie, des hommes d'armes, des

r?fugi?s, des marchands viennent b?tir des maisons ; le seigneur y joint une

?glise dont il confie le service ? des B?n?dictins appel?s de France ; ceux-ci en

outre re?oivent, pour eux directement, comme pour leurs futurs vassaux, qui n'obtiennent jamais de concessions personnelles, des privil?ges divers, en

particulier ?conomiques ; la transformation possible du sanctuaire-prieur?

primitif en ?glise paroissiale r?serv?e ? un cur?, ach?ve de constituer le lien

et d'assurer l'autonomie du groupement. Les seigneurs, qui furent les initia

teurs, les religieux, les marchands, concourent donc ? la formation de nou

velles villes ; en d'autres provinces, si le march? a appel? la forteresse, en

Bretagne, c'est la forteresse qui a fait na?tre le march?. Quelquefois les abb?s

f?odaux remplacent les seigneurs la?cs comme fondateurs. Dans l'ensemble, la f?odalit?, quoique rigoureuse, est donc fondatrice et cr?atrice, mais la

d?pendance de la classe servile explique l'absence de vi?les franches ou sau

ve t?s.

Cette formation g?n?rale s'applique d'abord aux villes de l'int?rieur qui,

pour la plupart, ne prirent qu'un d?veloppement assez limit?, mais elle vaut

aussi pour les villes de la c?te dites ? fluvio-maritimes ?, situ?es au d?but de

l'estuaire des fleuves c?tiers, l? o? s'arr?te la mar?e et o? les routes parall?les aux c?tes franchissent la rivi?re : ces localit?s, portes commerciales et surtout

lieux de passage, r?sist?rent mieux que les pr?c?dentes ? la d?cadence. Enfin, au bord de la mer existent deux villes, Pornic, de formation inconnue, et

Saint-Malo qui, par sa situation g?ographique et son r?le comme lieu d'asile, attira les ?trangers. Ces deux derni?res cit?s servirent en quelque sorte de

mod?le ? toutes les villes maritimes proprement dites dont, depuis le xnr3

si?cle, le d?veloppement de la p?che et du cabotage amena la cr?ation ? l'em

bouchure des cours d'eau, au d?triment des localit?s plus anciennes situ?es

au fond des estuaires.

Cet article original et int?ressant, o? pr?cis?ment la g?ographie s'unit ?

l'histoire, m?rite d'autant plus d'?tre signal? qu'il attire l'attention sur une

province rest?e jusqu'ici un peu en dehors des recherches urbaines. L'auteur,

qui a su tr?s bien distinguer les diff?rentes cat?gories de villes, dans l'en

semble n'a pu consid?rer ?videmment que des centres secondaires. En Bre

tagne cependant, on peut constater que les m?mes ph?nom?nes g?n?raux

qu'ailleurs, et au m?me moment, se retrouvent et s'associent. La politique et l'?conomie s'unissent et agissent, mais la petitesse des agglom?rations fait que c'est l'?l?ment politique, repr?sent? par le seigneur, qui joue un r?le

actif ; l'?l?ment ?conomique, les habitants, gardent un r?le passif, qu'accuse encore leur absence juridique de libert?. Mais, ? cet ?gard, si on examine

partout le m?me ordre de localit?s, la Bretagne ne semble pr?senter aucun

caract?re particulier par rapport ? d'autres r?gions. Il n'en est pas autrement,

quoi qu'en pense l'auteur, au sujet de l'?l?ment militaire, de l'action de la

forteresse. Partout le march? s'est form? autour et sous la protection de la

Page 131: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

122 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

forteresse originelle pour appeler au besoin, si le d?veloppement urbain

l'exige ensuite, une seconde protection militaire par une nouvelle ligne de

fortifications. La caract?ristique de la Bretagne para?t r?sider bien plut?t dans le c?t? religieux, en raison du r?le absolument essentiel que le clerg?

r?gulier y joue ? titre d'interm?diaire entre le pouvoir et les habitants. M. de

la Rogerie aurait pu, peut-?tre, le faire ressortir davantage et aussi insister

plus qu'il ne l'a fait sur les causes initiales du mouvement urbain, avant de

d?crire la fondation des villes, exposer les raisons premi?res de leur appa

rition.

Enfin, nous devons ? M. Perrin, que nous avons d?j? lou? pour son cata

logue des chartes de franchises de la Lorraine, deux autres travaux un peu

sp?ciaux. Le premier, qui se relie d'ailleurs en principe au pr?c?dent, concerne

la bourgeoisie dauphinoise d'apr?s les chartes de franchises1. Celles-ci sont

conc?d?es par le seigneur aux habitants du burgus fortifi?, d?nomm?s par

suite burgenses. La plus ancienne est de 1164 ; toutes se ressemblent beau

coup d'ailleurs, mais s'il y a imitation, il n'y a pas filiation, interpr?tation,

appel d'une charte ? l'autre. En g?n?ral, elles ont comme origine une vente

faite par le seigneur dans un but p?cuniaire aux bourgeois qui, dans un int?r?t

?conomique, d?sirent ?tre prot?g?s; les seigneurs eccl?siastiques, en parti

culier, sont extr?mement r?fractaires ? des affranchissements. Les chartes

ont un caract?re territorial, s'appliquant ? la ville et ? son ? mandement ?,

la banlieue. Leur fin g?n?rale est la substitution du droit fixe ? la coutume

arbitraire. Certains privil?ges sont, en fait, communs ? l'ensemble des loca

lit?s : concessions juridiques, militaires, financi?res et ?conomiques..Les pri

vil?ges politiques, au contraire, varient suivant le degr? d'autonomie de la

communaut?. Le fait capital est la vente ? cette derni?re, par le seigneur, de

services publics tels que les fortifications, avec les profits et les charges qu'ils

entra?nent, perception des imp?ts et choix des agents. A cette autonomie se

rattache l'institution des consuls ?lus par la ville, la repr?sentant, mais tenant

du seigneur leur investiture. Aucune commune n'est d'ailleurs absolument

libre et m?me, apr?s une v?ritable r?volution contre le seigneur, un compromis finit par s'?tablir entre les deux pouvoirs. Le mouvement communal est

parti des localit?s importantes et finalement, gr?ce ? ces chartes de franchi

ses, les burgenses sont venus s'intercaler entre les chevaliers et les paysans. ?

Cet expos?, r?dig?, bien entendu, d'un point de vue purement juridique, et

non social, d'apr?s les seules chartes de franchises, est tr?s plein, tr?s bien

compos? et des plus int?ressants : il n'y a simplement qu'? en f?liciter l'auteur,

d'autant plus qu'il a ?tabli ce m?moire tr?s condens? sur un terrain ? peu pr?s

vierge : souhaitons que cette exploration scientifique s'?tende peu ? peu aux

r?gions encore inexplor?es de la France. On remarquera que, dans ces loca

lit?s secondaires d'une r?gion montagneuse peu d?velopp?e ?conomiquement,

l'impulsion d'affranchissement peut ?tre due ? des raisons commerciales,

mais non ? une colonisation marchande. On notera, une fois de plus, l'oppo sition de l'?glise.

L'autre sujet trait? par M. Perrin concerne ce que l'on peut appeler la

1. Annales de l'Universit? de Grenoble, Nouv. s?rie, II, Grenoble, imp. Allier, 1925, in-8?, 96 p.

Page 132: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE URBAINE 123

d?mographie urbaine m?di?vale1. L'auteur a ?tudi? le droit des bourgeois et

r immigration rurale ? Metz au XIIIe si?cle, exactement de 1239 ? 1242 et de

1286 ? 1290, gr?ce ? des documents que M. Prost a l?gu?s ? la Biblioth?que na

tionale. Ils donnent la liste des individus ? receus por manants ? ? Metz et ayant, lors de la r?ception, pr?t? le serment de ? feautei? au Magistrat. Les admis

sont, pour les deux p?riodes successives, 334 et 458. Aux xme et xive si?cles, le terme de manant est, sans aucun doute, synonyme de celui de bourgeois,

bien que, d?s la fin de la premi?re p?riode, il se compl?te r?guli?rement de

l'expression de ? bourgeois

? d'abord, puis de celle de ? citain ?, qui triomphera d'une fa?on d?finitive. L'emploi exclusif du vocable de manant permet de

supposer qu'au d?but le droit de bourgeoisie ?tait li? obligatoirement ? la

r?sidence dans la ville. En effet, de 1239 ? 1242, tous les nouveaux bour

geois doivent ?tre des immigrants, auxquels le s?jour maximum d'un an dans

la ville a impos? l'obligation d'en devenir membres juridiques. Au contraire, en 1286-1290, plusieurs habitants de Metz y sont tol?r?s, m?me longtemps, comme simples forains, avant d'entrer, s'ils le d?sirent, dans la communaut?.

D'une date ? l'autre, le vieux principe imposant ? tout habitant cette affi

liation avait donc perdu de sa rigueur primitive. On ignore d'ailleurs, au

xme si?cle, les conditions de l'admission ? la bourgeoisie ; ? l'?poque suivante,

elles sont assez difficiles.

D'autre part, les textes de M. Perrin montrent un courant d'immigration vers Metz et un effort du corps municipal pour incorporer les non-bourgeois aux bourgeois, peut-?tre dans un int?r?t fiscal. Le lieu d'origine des bourgeois n'est pas toujours donn? (697 fois sur 816) ; n?anmoins, on obtient un total

de 100 localit?s d'?migration. Mais il est difficile de toujours arriver, pour ces

derni?res, ? un r?sultat pr?cis : certains noms de lieux ne peuvent ?tre identi

fi?s, d'autres ne comportent qu'une identification douteuse, d'autres enfin en

pr?sentent plusieurs possibles. On peut cependant d?duire quelques conclu

sions. Dans les deux p?riodes consid?r?es, la zone d'?migration est demeur?e

la m?me ; la m?me localit? fournit rarement plusieurs emigrants et il serait

exag?r? de parler de centres de d?part. Dans l'ensemble, il y a d'abord une

forte zone d'?migration voisine de nature rurale, dans laquelle la densit?

d'envoi de chaque r?gion particuli?re para?t ?tre, en moyenne, proportionn?e ? sa population ; vient ensuite une zone pauvre, excentrique, compos?e d'une

cinquantaine de loca1 t?s r?parties sur un tr?s vaste territoire s'?tendant

jusqu'? Arras, Pari iontpellier et Asti et o? chaque agglom?ration d'envoi

n'a fourni, en g?n i, qu'un unique emigrant ; cependant, de 1286 ? 1290,

Luxembourg en ane huit. Le milieu rapproch? des campagnes s'oppose

ainsi, et naturellement, aux villes ?loign?es isol?es. Pour ce premier point, le ph?nom?ne commun le plus important est donc l'absence de centres d'?mi

gration intense. Quant aux causes de d?part sp?ciales ? chaque localit?, elles

ne peuvent ?tre, en th?se g?n?rale, que de deux sortes : le m?tier de Immi

grant, les facilit?s qui lui sont accord?es pour gagner la ville, mais on ne sau

rait les pr?ciser en d?tail. Enfin, par rapport ? la population totale de Metz,

le nombre des immigrants devait en ?tre la centi?me partie. En somme, Metz

1. Annuaire de la Soci?t? d'Histoire et d'Arch?ologie de la Lorraine, t. XXX [1921] et XXXIII, 1924. ? Tir. ? part, Bar-le-Duc, impr. Contant-Laguerre, 1924, in-80, 133 p., une carte.

Page 133: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

124 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

?tait un centre d'attraction et le mouvement d'immigration urbaine de cette

?poque, prouvant la mobilit? de la population m?di?vale, ne souffre pas de

doute. Le texte des documents et une carte des lieux d'?migration terminent

le travail.

Nous nous sommes ?tendu un peu longuement sur ce court m?moire, en

raison de l'int?r?t de principe qu'il offre, et aussi des difficult?s de r?daction

qu'il pr?sentait : la lecture des pi?ces a ?t? souvent malais?e, on n'est pas

toujours renseign? sur les conditions requises pour ?tre bourgeois et on l'est

parfois insuffisamment sur les origines des emigrants. Un travail de cette

nature peut para?tre se r?duire ? peu pr?s ? la confection de fiches, tableaux

et cartes : il est tr?s loin d'en ?tre ainsi. Nous f?licitons d'autant plus M. Per

rin de s'?tre tir? heureusement de cette t?che malais?e que nous avons pass?

par les m?mes ? ?preuves

? pour une ville flamande1. Nous ne ferons de

r?serves que sur deux points, l'un juridique, l'autre d?mographique. Tout

d'abord, M. Perrin dit2 qu'il n'y avait pas de manants ? de r?sidents non

bourgeois, on le sait ? dans certaines villes du Nord, pas plus qu'il n'en a

exist? ? Metz, du moins dans la premi?re p?riode ?tudi?e. Nous regrettons de continuer ? ?tre d'un avis oppos? sur cette question. Il se rencontrait

certainement des manants dans la Flandre comme il s'en est trouv? dans l'Est

pendant la seconde p?riode consid?r?e et, bien mieux, nous dirons qu'il ne

pouvait gu?re ne pas en exister, certaines conditions ?tant pos?es : du mo

ment qu'une bourgeoisie ne se recrute pas que d'une fa?on interne au de

dans d'elle-m?me, ou ne se recrute pas que par des immigrants, comme ?

Metz, en 1239-1242, la population qu'on peut appeler urbaine se compose

forc?ment de trois classes au moins, les bourgeois, les manants et les forains.

En outre, il manque dans le travail la liste et, sur la carte, l'indication des

localit?s ayant envoy? plus d'un emigrant : ? cet ?gard, ce travail de statis

tique est nettement en d?faut.

L'examen de la m?thode employ?e pour r?diger ce m?moire montre que, en analogie avec le livre de M. Pirenne, une utilisation du droit et de l'?cono

mie, une union des connaissances juridiques et ?conomiques a ?t? n?cessaire.

Le travail se compose, en effet, de deux parties : l'examen de la question du

droit de bourgeoisie, probl?me plut?t juridique, l'?tude de l'immigration des

?trangers, recherche surtout sociale. Il est donc indispensable, si l'on veut

traiter parfaitement l'ensemble du sujet, de se placer successivement aux

deux points de vue et de consid?rer chaque ?l?ment dans un esprit diff?rent.

N?anmoins, cet esprit, de part et d'autre, ne doit pas ?tre exclusif : le droit de

bourgeoisie, ses principes, ses modifications, ne se comprennent enti?rement

que si on conna?t compl?tement aussi le milieu social dans lequel il s'est form?

et a ?volu? : des raisons purement fiscales peuvent, en effet, intervenir pour

le modifier, comme l'a remarqu? M. Perrin3. L'?migration, de son c?t?, ne

s'explique clairement que si on distingue bien les droits que viennent chercher

les nouveaux bourgeois et dont ils veulent jouir, bien que certains, finale

ment, ne d?sirent plus les acqu?rir et restent manants : le voyageur part

emigrant pour des raisons sociales et arrive immigrant pour des causes juri

1. Voy. La vie urbaine de Douai, I, 1913. 2. Annuaire, t. XXX, p. 531, 534. 3. P. 551, 565.

Page 134: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE URBAINE 125

diques. La m?thode ne peut donc pas ?tre absolue, mais doit associer des

points de vue divers ; cette union fait, ? la fois, la difficult? et l'int?r?t de travaux de cet ordre. Nous voudrions les voir se multiplier par l'utilisation

des nombreux registres de r?ception des bourgeois que renferment, par

exemple, les archives de plusieurs villes du Nord de la France.

***

Concluons. Des travaux pr?c?dents, on le voit ais?ment, les uns sont de

caract?re synth?tique, les autres de nature sp?ciale. Des premiers, seule

l'?tude de M. Pirenne r?pond ? son titre et a vraiment une port?e g?n?rale ; les deux autres, les travaux de MM. Lavedan et Ottokar, n'y correspondent

pas et ne sont, en r?alit?, que des recherches particuli?res. Les publications de d?tail, en moyenne, sont bonnes et utiles, parfois m?me, pour les cata

logues d'actes, excellentes, et pour la question des origines, approfondies : ?

l'?gard de celles-ci, elles sont d'autant plus fructueuses que, comme on a pu s'en rendre compte, elles paraissent bien apporter, en faveur de l'histoire

g?n?rale, des preuves ? l'appui d'affirmations d'abord conjecturales sur

l'apparition des villes : action de l'?conomie, r?le des marchands, formation

des cit?s. Qu'il s'agisse de continuer ou de perfectionner, il semble que ce soit

du c?t? des publications locales qu'il faille, de pr?f?rence, orienter les recher

ches urbaines : leur d?veloppement seul permettra d'?tablir d?finitivement

les synth?ses et, d?s maintenant, il suffit de quelque esprit de g?n?ralisation

pour les rendre vraiment int?ressantes, leur donner r?ellement une valeur

comparative. Mais nous nous permettrons d'attirer pr?alablement l'attention des ?rudits sur quelques questions de m?thode. Il para?t ?tre au moins utile

de commencer toute histoire d'une ville par un expos? g?ographique : situa

tion, formation, plan de la cit? ; au besoin, mais du seul point de vue de la

production, ?conomie rurale de la r?gion. On doit en outre, dans ce genre

d'?tudes, donner tous ses soins ? la partie ?conomique. Les auteurs, r?guli? rement, ne paraissent avoir ni la compr?hension exacte ni les connaissances n?cessaires pour la traiter avec toutes les dispositions voulues et toute la

p?n?tration d?sirable : ils ne comprennent pas suffisamment son r?le et ils n'en saisissent pas compl?tement tous les d?tails : ils commettent m?me quel quefois des fautes lourdes ? son sujet. Ajoutons qu'en g?n?ral ces recherches, et m?me les meilleures, paraissent trahir quelques insuffisances de lecture ; elles sont r?dig?es ? titre trop exclusivement local. Le mouvement communal a ?t? national, international m?me. Les rapprochements, l'histoire compar?e, sans doute, ne sont pas une fin, mais un moyen ; n?anmoins, ils ?clairent, confirment et ?largissent l'histoire et tel fait, telle institution d'une cit? de l'Ouest ou du Midi, rapproch?s d'un ?v?nement ou d'un organisme analogues

d'un centre du Nord, voient leur valeur, leur signification se pr?ciser et leur

port?e s'accro?tre. Il ne doit exister en histoire de science du d?tail que dans la mesure o? le d?tail peut servir ? l'?tablissement de conclusions d'ensemble.

Georges Espinas.

(Paris.)

Page 135: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

126 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

Histoire Commerciale

Un pr?tendu drapier milanais en 926. ? En 926, raconte Liutprand

de Cr?mone, le duc Burchard de Souabe, se trouvant devant Milan, eut le tort

de confier ? ses compagnons, sans baisser la voix, les noirs projets qu'il avait

form?s contre la ville. Un pauvre homme l'entendit, qui par hasard savait

l'allemand et courut tout rapporter ? l'archev?que. Une gloire posthume inattendue ?tait r?serv?e ? ce polyglotte en guenilles. Liutprand le traite,

pr?cis?ment, de loqueteux (pannosus). L'historien allemand Schaube comprit

drapier (de pannus, ?toffe) et tira argument des connaissances linguistiques

poss?d?es par ce pr?tendu n?gociant pour conclure ? un commerce du drap entre l'Allemagne et l'Italie. M. Pirenne, qui ne croit pas ? l'existence de

grands courants commerciaux au xe si?cle, d?nonce le contre-sens. ?

Marc Bloch.

(Studi Medievali, Nuova Serie, t. I, fase. 1, 1928, p. 131-133.)

I libridi commercio d?lia Compagnia dei Peruzzi di Firenze. ?

Ce sont quatre manuscrits conserv?s ? la Riccardiana, de Florence, ?crits de

1308 ? 1345, mais contenant des mentions relatives aux ann?es pr?c?dentes,

depuis 1280. M. Armando Sapori, en appendice ? son tr?s utile ouvrage sur

La crisi d?lie compagnie mercantili dei Bardi e dei Peruzzi avait donn? une noti

ce sur les livres des Bardi ; il traitait alors avec quelque m??pris les d?bris des

archives des Peruzzi (p. 2) ; il consacre aujourd'hui aux quatre livres laiss?s par ces derniers un court m?moire qui montre nettement l'int?r?t multiple de ces

documents (histoire politique, histoire du pr?capitalisme financier, histoire

des prix et surtout ? nous aurons peut-?tre l'occasion d'y revenir ? des

changes), mais ne fait gu?re que nous mettre l'eau ? la bouche. Sans doute

aura-t-il ? c ur de pr?senter un jour, d'une fa?on plus compl?te et sous une

forme directement utilisable, les renseignements que renferment ces textes,

infiniment pr?cieux, mais de lecture et d'interpr?tation difficiles ; il est un

des rares historiens qui en poss?dent la clef. ? M. B.

(Studi Medievali, Nuova Serie, t. I, 1928, p. 114-130.)

Hansische Umschau (Herbst 1925 bis Sommer 1921). ?

Bibliographie

analytique et critique, due ? M. Walter Vogel : indispensable ? tout

historien du commerce. ? M. B.

(Hansische Geschichtsbl?tter, t. XXXII, 1927, p. 211-249.)

Die Anf?nge des deutschen Handels im Preussenlande. ? D?s

avant l'arriv?e de l'Ordre Teutonique, des contacts commerciaux, dont t?moi

gnent, en particulier, les trouvailles mon?taires, s'?taient ?tablis entre la Prusse

et le monde germanique, repr?sent? d'abord par la Scandinavie des Vikings,

puis par le Danemark et enfin par l'Allemagne. Les marchands allemands com

menc?rent par suivre, de pr?f?rence, les routes de terre (depuis le xe si?cle) ; ?

la fin du xie, s'ouvre la voie de mer. Tels sont les r?sultats essentiels d'une

Page 136: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LES P?CHERIES 127

?tude tr?s pr?cise due ? l'historien attitr? de Dantzig, M. Erich Keyser. ?

M. B.

[Hansische Geschichtsbl?tter, t. XXXII, 1927, p. 57-80.)

Grundfragen der deutschen Handelspolitik. ? Le livre d'AxEL

Schindler1 a ?t? ?crit par un d?fenseur passionn? des int?r?ts de l'agricul ture allemande, l'un des directeurs du ? Conseil de l'Agriculture ?. Clairement

r?dig?, il renferme des renseignements utiles, notamment pour tout ce qui concerne les produits agricoles. Son principal int?r?t est de mettre en relief

l'opposition des tendances qui se manifestent en Allemagne au sujet de la

politique commerciale, ? les tendances favorables ? une plus grande libert?

des ?changes ?tant repr?sent?es au Minist?re de l'?conomie Publique et

d?fendues par les industriels, tandis que l'agriculture, et avec elle le parti

national, r?clament un protectionnisme croissant.

En une pr?face de quelques lignes, M. Schiele, alors Ministre du Ravitail

lement dans le cabinet Marx, a recommand? chaleureusement une ?tude,

pourtant s?v?re pour son coll?gue Curtius, Ministre de l'Economie Publique ;

l'un des pr?d?cesseurs de Curtius, l'industriel von Raumer, est encore plus vivement critiqu?, de m?me que quelques hauts fonctionnaires du Minist?re

de l'?conomie Publique, suspects de ? doctrines manchest?riennes?. L'auteur

leur reproche de s'inspirer, dans la politique commerciale, presque exclusive

ment des int?r?ts de l'industrie exportatrice. Il consid?re comme chim?rique

l'espoir d'un accroissement des exportations, et il r?clame, pour l'?quilibre de la balance commerciale, et notamment dans l'int?r?t de l'agriculture, une

restriction rigoureuse des importations. Maurice B?umont.

Les P?cheries.

Mr James T. Jenkins est d?j? bien connu par quelques bonnes ?tudes

sur les p?cheries britanniques. Dans son nouveau livre2, il s'attache, en se

servant des travaux d'historiens, ? montrer comment les centres de p?cheurs

de hareng dans la mer du Nord et dans les d?troits danois se sont d?plac?s au cours des si?cles de la Scanie vers la Hollande, puis de la Hollande vers

la Grande-Bretagne. Les p?cheries de Scanie, qui florissaient du xnr3 au

xvie si?cle, se trouvaient concentr?es aupr?s des deux villes de Skanor et

de Falsterbo ; tout le poisson ?tait achet? par des marchands de L?beck,

de Stettin et d'autres ports de la Baltique ; c'est la puissante Ligue hans?a

tique qui contr?lait tout ce travail et tout ce commerce : elle ?tait repr?sent?e

sur les lieux de p?che par des navires de guerre et par des baillis c?tiers. On a

conserv? les anciens livres des baillis de L?beck en Scanie qui permettent de

reconstituer en esprit toute l'animation de ces lieux pendant la saison de

p?che. Malheureusement les apparitions de poisson ?taient fort irr?guli?res ;

1. Berlin, Reinliold Kiitin, 1928, in-8?, 192-48 p. 2. The herring and the herring fisheries, Londres, P. S. King and Son, 1927, in-8?,

xii-175 p.

Page 137: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

LES P?CHERIES 127

?tude tr?s pr?cise due ? l'historien attitr? de Dantzig, M. Erich Keyser. ?

M. B.

[Hansische Geschichtsbl?tter, t. XXXII, 1927, p. 57-80.)

Grundfragen der deutschen Handelspolitik. ? Le livre d'AxEL

Schindler1 a ?t? ?crit par un d?fenseur passionn? des int?r?ts de l'agricul ture allemande, l'un des directeurs du ? Conseil de l'Agriculture ?. Clairement

r?dig?, il renferme des renseignements utiles, notamment pour tout ce qui concerne les produits agricoles. Son principal int?r?t est de mettre en relief

l'opposition des tendances qui se manifestent en Allemagne au sujet de la

politique commerciale, ? les tendances favorables ? une plus grande libert?

des ?changes ?tant repr?sent?es au Minist?re de l'?conomie Publique et

d?fendues par les industriels, tandis que l'agriculture, et avec elle le parti

national, r?clament un protectionnisme croissant.

En une pr?face de quelques lignes, M. Schiele, alors Ministre du Ravitail

lement dans le cabinet Marx, a recommand? chaleureusement une ?tude,

pourtant s?v?re pour son coll?gue Curtius, Ministre de l'Economie Publique ;

l'un des pr?d?cesseurs de Curtius, l'industriel von Raumer, est encore plus vivement critiqu?, de m?me que quelques hauts fonctionnaires du Minist?re

de l'?conomie Publique, suspects de ? doctrines manchest?riennes?. L'auteur

leur reproche de s'inspirer, dans la politique commerciale, presque exclusive

ment des int?r?ts de l'industrie exportatrice. Il consid?re comme chim?rique

l'espoir d'un accroissement des exportations, et il r?clame, pour l'?quilibre de la balance commerciale, et notamment dans l'int?r?t de l'agriculture, une

restriction rigoureuse des importations. Maurice B?umont.

Les P?cheries.

Mr James T. Jenkins est d?j? bien connu par quelques bonnes ?tudes

sur les p?cheries britanniques. Dans son nouveau livre2, il s'attache, en se

servant des travaux d'historiens, ? montrer comment les centres de p?cheurs

de hareng dans la mer du Nord et dans les d?troits danois se sont d?plac?s au cours des si?cles de la Scanie vers la Hollande, puis de la Hollande vers

la Grande-Bretagne. Les p?cheries de Scanie, qui florissaient du xnr3 au

xvie si?cle, se trouvaient concentr?es aupr?s des deux villes de Skanor et

de Falsterbo ; tout le poisson ?tait achet? par des marchands de L?beck,

de Stettin et d'autres ports de la Baltique ; c'est la puissante Ligue hans?a

tique qui contr?lait tout ce travail et tout ce commerce : elle ?tait repr?sent?e

sur les lieux de p?che par des navires de guerre et par des baillis c?tiers. On a

conserv? les anciens livres des baillis de L?beck en Scanie qui permettent de

reconstituer en esprit toute l'animation de ces lieux pendant la saison de

p?che. Malheureusement les apparitions de poisson ?taient fort irr?guli?res ;

1. Berlin, Reinliold Kiitin, 1928, in-8?, 192-48 p. 2. The herring and the herring fisheries, Londres, P. S. King and Son, 1927, in-8?,

xii-175 p.

Page 138: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

128 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

pendant cent soixante ans, del588?l748,le hareng disparut de ces c?tes ;

ant?rieurement, ? plusieurs reprises, m?mes fantaisies. Cette p?che ?tait

c?ti?re. Ce sont les Hollandais qui, au xve si?cle, ont port? en pleine mer la

p?che du hareng ; pour qu'elle dev?nt hauturi?re, il fallait un bateau pont?,

vaste, solide, tenant bien la mer. Ce type de bateau est une invention hollan

daise ; c'est la ?buse? dont les premiers exemplaires ont ?t? construits en

1416 ? Hoorn et Enkhuizen ; de son emploi date la phase moderne de la p?che du hareng et la pr?pond?rance ?conomique qui a men? la Hollande au premier

rang des nations maritimes ; au xvie et au xvir2 si?cle, toute une flottille

de ? buses? hollandaises se rendait en ?t? dans les eaux britanniques pour

p?cher le hareng depuis les Shetland jusqu'aux c?tes du Norfolk. A partir du milieu du xvne si?cle, ? cause des guerres avec l'Angleterre, commence le

d?clin des p?cheries hollandaises. Mais ce ne fut pas imm?diatement que

l'Angleterre et l'Ecosse purent recueillir l'h?ritage des Hollandais ; il leur

fallut un long apprentissage, de dures ?preuves et des exp?riences malheu

reuses ; il leur fallut, durant de longues ann?es, faire venir de Hollande et des

? buses ? que leurs chantiers ne savaient pas construire et des marins exp? riment?s. Au cours du xvnr9 si?cle, de nombreuses lois visent ? encourager et ? prot?ger la p?che britannique ; l'?tat intervient souvent pour la soutenir

et la subventionner ; on peut dire que c'est seulement durant le dernier quart du xvme si?cle que se constitue l'industrie de la p?che britannique. Devenue

la premi?re du monde au xixe si?cle, elle a beaucoup souffert de la Grande

Guerre qui a profond?ment atteint ses march?s d'Allemagne et de Russie.

Mais elle conserve sa vitalit?. Elle transforme et perfectionne ses m?thodes.

Durant ces derni?res ann?es, elle a d?velopp?, pour la capture du hareng, un

puissant moyen de p?che, le chalut, qui fait concurrence ? l'antique outil, le

filet d?rivant.

A. Demangeon.

(Paris.)

Histoire des doctrines

La r??dition, par les soins de MM. C. Boucl? et A. Cuvillier du trait?

abstrus que P.-J. Proudhon publia, en 1843, sous le titre : De la cr?ation de

Vordre dans VHumanit?, ou Principe d'organisation politique, nous fournit

l'occasion de noter que la collection des uvres compl?tes de P.-J. Proudhon,

entreprise sous la direction de MM. Bougie et Moysset, par un groupe de

travailleurs qualifi?s (dont Aim? Berthod, Maxime Leroy, Aug?-Larib?,

Roger Picard, Guy Grand, etc.), compte d?j? six volumes, sur vingt ? para?tre1. La cr?ation de l'ordre dans Vhumanit? n'est pas un des grands livres de

Proudhon. C'est m?me, si Ton veut, un livre rat?. En tout cas, un livre ambi

tieux, d'une ambition d?mesur?e. Mais qu'il est donc curieux ? lire ! Si toute

une partie des d?veloppements de Proudhon ?chappe ? notre comp?tence;

1. Pans, Marcel Rivi?re, 1927, in-8?, 464 p. ? Ont paru d?j? dans la r??dition des

uvres compl?tes de P.-J. Proudhon, le Syst?me des Contradictions ?conomiques (?d. R. Pi card) ; l'Id?e g?n?rale de la R?volution au XIXe si?cle (?d. Berthod) ; la Capacit? politique des classes ouvri?res (Max. Leroy) ; La c?l?bration du dimanche et Qu'est-ce que la propri?t? ? (Aug?-Larib?) ; La Guerre et la Paix (Moysset).

Page 139: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

128 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

pendant cent soixante ans, del588?l748,le hareng disparut de ces c?tes ;

ant?rieurement, ? plusieurs reprises, m?mes fantaisies. Cette p?che ?tait

c?ti?re. Ce sont les Hollandais qui, au xve si?cle, ont port? en pleine mer la

p?che du hareng ; pour qu'elle dev?nt hauturi?re, il fallait un bateau pont?,

vaste, solide, tenant bien la mer. Ce type de bateau est une invention hollan

daise ; c'est la ?buse? dont les premiers exemplaires ont ?t? construits en

1416 ? Hoorn et Enkhuizen ; de son emploi date la phase moderne de la p?che du hareng et la pr?pond?rance ?conomique qui a men? la Hollande au premier

rang des nations maritimes ; au xvie et au xvir2 si?cle, toute une flottille

de ? buses? hollandaises se rendait en ?t? dans les eaux britanniques pour

p?cher le hareng depuis les Shetland jusqu'aux c?tes du Norfolk. A partir du milieu du xvne si?cle, ? cause des guerres avec l'Angleterre, commence le

d?clin des p?cheries hollandaises. Mais ce ne fut pas imm?diatement que

l'Angleterre et l'Ecosse purent recueillir l'h?ritage des Hollandais ; il leur

fallut un long apprentissage, de dures ?preuves et des exp?riences malheu

reuses ; il leur fallut, durant de longues ann?es, faire venir de Hollande et des

? buses ? que leurs chantiers ne savaient pas construire et des marins exp? riment?s. Au cours du xvnr9 si?cle, de nombreuses lois visent ? encourager et ? prot?ger la p?che britannique ; l'?tat intervient souvent pour la soutenir

et la subventionner ; on peut dire que c'est seulement durant le dernier quart du xvme si?cle que se constitue l'industrie de la p?che britannique. Devenue

la premi?re du monde au xixe si?cle, elle a beaucoup souffert de la Grande

Guerre qui a profond?ment atteint ses march?s d'Allemagne et de Russie.

Mais elle conserve sa vitalit?. Elle transforme et perfectionne ses m?thodes.

Durant ces derni?res ann?es, elle a d?velopp?, pour la capture du hareng, un

puissant moyen de p?che, le chalut, qui fait concurrence ? l'antique outil, le

filet d?rivant.

A. Demangeon.

(Paris.)

Histoire des doctrines

La r??dition, par les soins de MM. C. Boucl? et A. Cuvillier du trait?

abstrus que P.-J. Proudhon publia, en 1843, sous le titre : De la cr?ation de

Vordre dans VHumanit?, ou Principe d'organisation politique, nous fournit

l'occasion de noter que la collection des uvres compl?tes de P.-J. Proudhon,

entreprise sous la direction de MM. Bougie et Moysset, par un groupe de

travailleurs qualifi?s (dont Aim? Berthod, Maxime Leroy, Aug?-Larib?,

Roger Picard, Guy Grand, etc.), compte d?j? six volumes, sur vingt ? para?tre1. La cr?ation de l'ordre dans Vhumanit? n'est pas un des grands livres de

Proudhon. C'est m?me, si Ton veut, un livre rat?. En tout cas, un livre ambi

tieux, d'une ambition d?mesur?e. Mais qu'il est donc curieux ? lire ! Si toute

une partie des d?veloppements de Proudhon ?chappe ? notre comp?tence;

1. Pans, Marcel Rivi?re, 1927, in-8?, 464 p. ? Ont paru d?j? dans la r??dition des

uvres compl?tes de P.-J. Proudhon, le Syst?me des Contradictions ?conomiques (?d. R. Pi card) ; l'Id?e g?n?rale de la R?volution au XIXe si?cle (?d. Berthod) ; la Capacit? politique des classes ouvri?res (Max. Leroy) ; La c?l?bration du dimanche et Qu'est-ce que la propri?t? ? (Aug?-Larib?) ; La Guerre et la Paix (Moysset).

Page 140: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE DES DOCTRINES 129

si ses chapitres sur la Religion, la Philosophie et ce qu'il nomme la M?taphy sique d?montrent avec trop d'?clat que, avant d'?tre ? infect? d'h?g?lianisme

?

par Marx, le futur auteur des Contradictions ?conomiques n'?tait pas sans

avoir subi l'atteinte d'un virus que Karl Gr?n et Alexandre Herzen ne tarde

ront pas ? diagnostiquer en lui, ? les chapitres IV et V par contre, respective

ment consacr?s ? Y ?conomie politique et ? YHistoire, abondent en id?es

neuves, en vues d'avenir et qui souvent feront la fortune d'autres que de

Pierre-Joseph. L'?conomie politique, ? science immense, plus capable qu'au

cune philosophie de nous instruire sur l'homme, son origine, son ?volution et

sa destin?e ; plus qualifi?e qu'aucun pouvoir politique pour exercer le gou vernement des soci?t?s ; plus apte enfin qu'aucun corps de p?dagogues intel

lectuels ? organiser la v?ritable instruction publique, fond?e sur l'appren

tissage des m?tiers manuels, ?

d?j? Proudhon, dans cet ?crit de 1843, nous la

montre conduisant l'histoire dans le pass? parle jeu des lois ?conomiques, en

attendant que, sous le nom de socialisme, elle lance l'humanit? vers ses desti

n?es ult?rieures avec une force incoercible. Et si on retrouve, tout au long de

ces 400 pages, l'esprit ?galitaire et ouvrier du fils du tonnelier de Besan?on ;

si, notamment, on y lit en vingt endroits une magnifique apologie du travail

manuel, ? comment ne pas songer aussi ? tout ce qu'apportait de neuf un livre

qui fut lu par des lecteurs de choix, quand son auteur, esquissant ? le mouve

ment de la Soci?t? sous l'action des lois ?conomiques? (p. 381 et suiv.) ?ta

blissait ? que, au point de vue de l'organisation, les lois de l'?conomie poli

tique sont les lois de l'histoire ? ; d?finissait l'histoire ?le tableau, d?roul? dans

le temps, de l'organisme collectif? (p. 409), ou m?me proclamait (p. 412) ?

qu'aucun progr?s ne s'effectue sans violence, la Force ?tant en dernier r?sul

tat l'unique moyen de manifestation de l'Id?e ?. ? Livre d'un ? fier homme ?,

comme disait mon vieil ami Edouard Droz et en qui se reconna?tront long

temps ceux que Pelloutier d?finissait en 1900, dans sa Lettre aux Anarchistes, ? les ennemis irr?conciliables de tout despotisme moral ou mat?riel, indivi

duel ou collectif, c'est-?-dire des lois et des dictatures ? y compris celle du

prol?tariat ? et les amants passionn?s de la culture de soi-m?me ?. Livre d'un

cr?ateur d'id?es aussi, f?cond, hardi et souvent g?nial. Lucien Febvre.

La G?opolitique, dont le Dr Han s Simmer nous expose les bases fonda

mentales dans un petit livre publi? ? Munich et Berlin chez R. Oldenbourg, ne

semble pas ?tre une science d'une s?r?nit? parfaite *. Le sous-titre l'indique

du reste : c'est ? l'Allemagne que songe avant tout l'auteur ; c'est elle qui est

au c ur du livre ; c'est elle qui doit trouver, dans les principes de la G?opoli

tique, l'indication s?re des moyens par lesquels elle pourra, de nouveau,

reconqu?rir sa situation d'?tat d?bordant de force et de puissance... Exalta

tion de l'?go?sme national n?cessaire et sacr? ; proclamation du principe que

la force prime le droit ; constatation sans ambages du fait que, lorsqu'on s'oc

cupe de g?opolitique, il ne faut pas confondre l'action et le sentiment, ? tout

cela, et bien des choses analogues, on le trouve ?tal? dans les premi?res pages

de ce petit livre qu'il serait d?s lors assez vain de traiter comme un ouvrage

1. Grundz?ge der Geopolitik, in Anwendung auf Deutschland, 1928, in-i2, vin-260 p.

ANN. D'HISTOIRE. ? lre ANN?E. 9

Page 141: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

130 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

de science : on y peut voir, tout au plus, l'une des manifestations d'un ?tat

d'esprit qui n'est malheureusement pas nouveau, ? mais que l'on aimerait

autant, pour de multiples raisons, ne pas voir revivre. Aussi bien, rien, abso

lument rien d'original dans ces 260 pages ?

pas m?me le cri de la fin (Deutsch land ist das erste Land der Welt !) ; pas m?me les croquis en ombres chi

noises, triomphe d'une propagande sans subtilit? et qui s'?talent avec com

plaisance de la premi?re ? la derni?re page du livre. On peut se divertir cinq minutes ? regarder, p. 218, le croquis impressionnant d'o? r?sulte que de

nombreux Fran?ais d?sirent voir l'Allemagne r?duite ? la Thuringe, avec

Brunswick comme capitale, et G?ttingue, Eisenach et Erfurt comme villes

principales ; on peut m?me s'offrir ? peu de frais un instant de douce gaiet?, en constatant, p. 201, quel merveilleux accord les fronti?res politiques de la

France, vers 880 (les vraies !), r?alisaient avec les couches g?ologiques, et com

ment ces fronti?res ?pousaient, pr?cis?ment, les contours des terrains cr?tac?s

pour laisser sagement hors d'elles, et de France, les terrains jurassiques : au

bout de fort peu de temps, on se sent pris d'une envie irr?sistible non pas de

s'indigner, mais de b?iller devant tant de pesantes calembredaines. L'ouvrage est un document, mais d'ordre psychologique.

L. F.

On trouvera dans le m?moire de Mr Walter Taeuber sur Dumoulin et

la grosse question de l'int?r?t1, une analyse m?thodique et d'allure presque

scolastique des textes ?man?s du savant juriste. Qui veut comprendre la

position de Fauteur du Tractatus commerciorum et usurarum doit, nous dit

Mr Taeuber, se d?barrasser d'abord d'un trio d'erreurs. Et il les compte sur

ses doigts, afin que nul d'entre nous n'en ignore : premi?re erreur, deuxi?me

erreur, troisi?me erreur... Ne nous faisons pas complice de cette belle, de

cette trop belle assurance ; et ne nous enfon?ons pas, ? la suite de Mr Taeuber,

dans les myst?res du ? nominalisme ? ?conomique oppos? au ? m?tallisme ?,

dans l'?tude dogmatique de la communis opinio du moyen ?ge, cet ?tre de

raison plut?t effrayant, ou dans l'examen compar? des positions doctrinales

de Dumoulin et d'Antoine Favre. Mr Taeuber se meut avec aisance ? et avec

volupt? ? au milieu des mots les plus savants et des distinctions les plus

subtiles d'un vocabulaire d'?cole assez r?barbatif. Et il tranche, sans h?si

ter. Tout cela est fort bien. Mais un historien pr?f?rera toujours aux discus

sions d'?cole et aux probl?mes de dogmatique ces lumi?res modestes que

donne la chronologie. C'est par Dumoulin, conclut Mr Taeuber, que la th?orie

moderne de l'int?r?t a ?t? fond?e (p. 8G). Peut-?tre. Encore faudrait-il,

j'imagine, ne pas n?gliger les conclusions de Mr Henri H?user, pr?sent?es d'abord dans un article des M?langes Pirenne (1926, t. I, p. 211-224), puis

reprises dans un volume r?cent sur Les d?buts du Capitalisme (1927, p. 45-79). Mr Taeuber ignore ces remarquables ?tudes, comme il ignore (ce qui est moins

grave) l'existence du livre, d?j? ancien cependant, de Marcel Le Goff : Du

Moulin ct le pr?t ? int?r?t ; le l?giste et son influence (Bordeaux, th?se de droit,

1905), ? ou encore celle d'une notice utile sur Dumoulin au tome V de la

1. Molinaeus Geldschuldlehre, I?na, Fischer, 1928, in-8?, vi-90 p.

Page 142: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

INSTITUTIONS VASSALIQUES 131

France Protestante {2e ?dition). Il ne s'est pas pos? la question de savoir quelle ?tait la date v?ritable du Tractatus commerciorum ; pour Mr H?user, cette

date est 1547. Et, par cons?quent, le Tractatus est post?rieur au Consilium que Calvin a r?dig?, en fran?ais, dans les derni?res semaines de l'ann?e 1545, en

r?ponse ? une consultation de Claude de Sachins. Il est piquant de rapprocher, de la phrase de Mr Taeuber que nous citons plus haut, les conclusions de

Mr H?user, qui trouve ? un sens plus net, plus direct des n?cessit?s ?cono

miques chez le pr?dicateur [Calvin] que chez l'avocat [Dumoulin]?, et qui,

apr?s avoir indiqu? que ? Dumoulin n'a pas d?pass? saint Ambroise, cher ?

son inspirateur /Epinus?, conclut, avec son sens historique habituel: a Le

manuel de Dumoulin pouvait servir aux avocats charg?s de plaider une affaire

embrouill?e. Seules, les formules calviniennes pouvaient d?terminer une r?vo

lution dans les esprits. ? L. F.

Antonio Genovese fut ? Naples, dans la seconde moiti? du xvme si?cle,

un ?conomiste remarquable, l'?ducateur de toute une g?n?ration d'historiens,

de philosophes et d'?conomistes napolitains. Son disciple Giuseppe Maria

Galanti fut, de son c?t?, un statisticien des plus distingu?s, un analyste clair

voyant et l'un des partisans les plus d?cid?s d'une r?forme monarchique

?clair?e dans le royaume de Naples. Mais, ? surtout en ce qui concerne

Genovese, ? qui d'ailleurs il consacre au moins les deux tiers de son livre, ?

c'est ? d'autres aspects de l'activit? de ces hommes que s'int?resse M. G.-M.

Monti, dans un ouvrage intitul? : Due grandi Reformatori del Settecento :

A. Genovese e G. M. Galanti (Firenze, Vallecchi, 1926, in-16, 240 pages).

Utilisant de nombreux in?dits (dont il publie une partie), il nous montre

quelles furent en particulier les id?es religieuses de Genovese, ce que signifia son ? anticurialisme ? d?cid?, et ? quelle doctrine il aboutit touchant les rap

ports de l'?tat et de l'?glise, mais aussi de la Science et de la Religion. Par

l?, ce livre est surtout une contribution ? l'histoire du mouvement philoso

phique ? Naples au xvme si?cle, et ?chappe en partie ? la comp?tence de la

Revue. Signalons cependant, au passage, l'int?ressant chapitre que M. Monti

consacre ? d?terminer les rapports de Genovese avec le Jans?nisme ; il est

utile et neuf. Galanti tient dans le volume une place moindre que Genovese.

M. Monti ?tudie en lui surtout l'adversaire de la f?odalit? et publie un rapport

au roi sur la f?odalit? dans le royaume de Naples, 1791-92, qui ne manque

pas d'int?r?t. L. F.

Institutions vassaliques, f?odales et seigneuriales.

Gasindii e vassalli. ? Le r?gime vassalique et f?odal date-t-il en Italie,

pour l'essentiel, de l'?poque lombarde ? ou bien, doit-on le consid?rer, au con

traire, comme une importation franque, les institutions lombardes n'ayant pu

fournir que des ?l?ments encore embryonnaires, que seul le droit franc f?conda

et syst?matisa ? Probl?me classique de l'histoire juridique de l'Italie du Nord 1

Substituons aux mots ? Lombards ? et ? Francs ? ceux de ? Byzantins

? et de

?Normands? : nous retrouverons la m?me question, transpos?e dans le Sud

Page 143: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

INSTITUTIONS VASSALIQUES 131

France Protestante {2e ?dition). Il ne s'est pas pos? la question de savoir quelle ?tait la date v?ritable du Tractatus commerciorum ; pour Mr H?user, cette

date est 1547. Et, par cons?quent, le Tractatus est post?rieur au Consilium que Calvin a r?dig?, en fran?ais, dans les derni?res semaines de l'ann?e 1545, en

r?ponse ? une consultation de Claude de Sachins. Il est piquant de rapprocher, de la phrase de Mr Taeuber que nous citons plus haut, les conclusions de

Mr H?user, qui trouve ? un sens plus net, plus direct des n?cessit?s ?cono

miques chez le pr?dicateur [Calvin] que chez l'avocat [Dumoulin]?, et qui,

apr?s avoir indiqu? que ? Dumoulin n'a pas d?pass? saint Ambroise, cher ?

son inspirateur /Epinus?, conclut, avec son sens historique habituel: a Le

manuel de Dumoulin pouvait servir aux avocats charg?s de plaider une affaire

embrouill?e. Seules, les formules calviniennes pouvaient d?terminer une r?vo

lution dans les esprits. ? L. F.

Antonio Genovese fut ? Naples, dans la seconde moiti? du xvme si?cle,

un ?conomiste remarquable, l'?ducateur de toute une g?n?ration d'historiens,

de philosophes et d'?conomistes napolitains. Son disciple Giuseppe Maria

Galanti fut, de son c?t?, un statisticien des plus distingu?s, un analyste clair

voyant et l'un des partisans les plus d?cid?s d'une r?forme monarchique

?clair?e dans le royaume de Naples. Mais, ? surtout en ce qui concerne

Genovese, ? qui d'ailleurs il consacre au moins les deux tiers de son livre, ?

c'est ? d'autres aspects de l'activit? de ces hommes que s'int?resse M. G.-M.

Monti, dans un ouvrage intitul? : Due grandi Reformatori del Settecento :

A. Genovese e G. M. Galanti (Firenze, Vallecchi, 1926, in-16, 240 pages).

Utilisant de nombreux in?dits (dont il publie une partie), il nous montre

quelles furent en particulier les id?es religieuses de Genovese, ce que signifia son ? anticurialisme ? d?cid?, et ? quelle doctrine il aboutit touchant les rap

ports de l'?tat et de l'?glise, mais aussi de la Science et de la Religion. Par

l?, ce livre est surtout une contribution ? l'histoire du mouvement philoso

phique ? Naples au xvme si?cle, et ?chappe en partie ? la comp?tence de la

Revue. Signalons cependant, au passage, l'int?ressant chapitre que M. Monti

consacre ? d?terminer les rapports de Genovese avec le Jans?nisme ; il est

utile et neuf. Galanti tient dans le volume une place moindre que Genovese.

M. Monti ?tudie en lui surtout l'adversaire de la f?odalit? et publie un rapport

au roi sur la f?odalit? dans le royaume de Naples, 1791-92, qui ne manque

pas d'int?r?t. L. F.

Institutions vassaliques, f?odales et seigneuriales.

Gasindii e vassalli. ? Le r?gime vassalique et f?odal date-t-il en Italie,

pour l'essentiel, de l'?poque lombarde ? ou bien, doit-on le consid?rer, au con

traire, comme une importation franque, les institutions lombardes n'ayant pu

fournir que des ?l?ments encore embryonnaires, que seul le droit franc f?conda

et syst?matisa ? Probl?me classique de l'histoire juridique de l'Italie du Nord 1

Substituons aux mots ? Lombards ? et ? Francs ? ceux de ? Byzantins

? et de

?Normands? : nous retrouverons la m?me question, transpos?e dans le Sud

Page 144: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

132 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

de la p?ninsule. Parlons d'Anglo-Saxons et de Normands encore : contro

verse toute pareille, en Angleterre cette fois. Mr P.-S. Leicht a repris l'examen

des faits italiens, en se limitant, sauf une ou deux exceptions, au royaume

lombard. Son travail ne vise ?videmment pas ? une ?tude exhaustive ; on y

trouvera plut?t une suite d'observations, qui ?clairent les diff?rents aspects

du sujet. Ces remarques sont, comme on pouvait l'attendre de l'auteur,

extr?mement instructives et p?n?trantes. Mais n'aurait-il pas fallu, avant

tout, d?composer, en ses diff?rents ?l?ments, le probl?me lui-m?me, ?nonc?

trop souvent sous une forme un peu rudimentaire ? Pour ma part, je vois,

d'abord, un fait de langage, qui est tr?s clair. Sous le r?gime carolingien, le

vieux mot germanique commun de gasindius (compagnon), attest? chez les

Lombards ? l'?poque ancienne, c?de la place ? un terme sp?cifiquement

gallo-franc et, selon toute apparence, d'origine celtique : vassus. La m?me

substitution s'?tait produite auparavant dans la Gaule franque elle-m?me

(Cf. H. Brunner, Deutsche Rechts geschickte, 2e ?d., t. II, p. 351 et suiv.). En

Gaule elle avait eu lieu, vraisemblablement, par l'effet d'une pouss?e du lan

gage populaire. En Italie, l'influence exerc?e par le vocabulaire des vain

queurs suffit ? l'expliquer. Mr Leicht note que vassus s'est rapidement sp?

cialis?, en Italie, dans le sens de d?pendant haut plac?, charg? d'obligations surtout militaires (le terme de gasindius demeurant appliqu? ? des d?pen dants de cat?gorie plus humble, astreints ? des services domestiques). Cette

restriction s?mantique s'observe ?galement en Gaule. ? Ensuite, un probl?me

d'ordre rituel. La c?r?monie de la recommandation, les mains dans les mains, a-t-elle ?t? introduite en Italie seulement par les Francs (cela semble pro

bable)? Y a-t-elle m?me jamais p?n?tr? bien profond?ment (on l'a ni?, peut ?tre ? tort) ? Cette double question a ?t? laiss?e de c?t? par Mr Leicht. ?

Enfin, ?e c ur m?me du sujet : observe-t-on, en Italie, apr?s l'arriv?e des Francs et

aussit?t apr?s elle, une g?n?ralisation et une syst?matisation des rapports de d?pendance militaire, sous la forme vassalique ? M* Leicht montre tr?s

bien que tel a ?t? le cas. Il rel?ve avec finesse quelques-unes des causes et des

manifestations de cette grande transformation : ?tablissement en Italie de

Francs d?j? entr?s dans les liens du vasselage ou tout pr?ts ? y entrer ; ten

dance des Lombards ? s'attacher aux grands seigneurs francs, puissants dans le pays ; effets des luttes politiques, chaque chef cherchant ? grossir sa suite ; pratique de la s?cularisation des terres eccl?siastiques ; etc. Rien

de plus juste. Incontestablement, cette ?volution sociale reproduisait, presque trait pour trait, celle de la Gaule elle-m?me. Influence, ou parall?lisme ?

La question se ram?ne, en somme, ? une recherche de chronologie. Dans la

Gaule du milieu du vine, les liens de d?pendance ?taient-ils mieux ordon

n?s, plus clairement con?us et plus g?n?ralement r?pandus que dans le

royaume lombard, ? la m?me ?poque ? La comparaison est difficile. Il

semble cependant qu'elle seule puisse donner la clef du probl?me inter

europ?en qui se trouve ici pos?1. ? Marc Bloch.

(Rendiconti d?lia R. Accademia nazionale dei Lincei. Classe di scienze

morali, storiche e fil?logiche. S?rie VI, vol. III, fase. 3-4, 1927, p. 291-307.)

1. Je ne vois pas comment Mr Leicht comprend le c. 11 de la Loi de Ratchis, et pour quoi il se s?pare de Schufper (p. 294, n. 1) ; le patron et le gasindius ne font ?videmment qu'un, puisqu'il s'agit d'un homme qui est entr? au service, pr?cis?ment, d'un gasindius (ou d'un autre fid?le).

Page 145: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

INSTITUTIONS VASSALIQUES 133

Il dominio universale feudale e 1' jus cunnatici in Terra

d'Otranto. ? Dans ce petit travail, ?crit avec beaucoup de sobri?t? et de

pr?cision, Mr Gennaro Maria Monti examine tour ? tour deux probl?mes :

Io Vers la fin de l'ancien r?gime, les institutions ?f?odales? (j'aimerais

mieux, pour ma part, seigneuriales) de la Terre d'Otrante s'opposaient, de

la fa?on la plus saisissante, ? celles des autres provinces napolitaines. Alors

que, g?n?ralement, dans le royaume, les droits seigneuriaux ?taient r?duits

? peu de chose, dans la Terre d'Otrante leur poids restait prodigieusement lourd. Pourquoi ce contraste ? Raisons d'ordre purement politique, r?pond

Mr Monti. De 1085 ? 1463, presque sans interruption, cette zone extr?me

avait form? une principaut? ? dite ? de T?rente ?,

? d'abord ind?pendante,

puis vassale et ? ce titre apanage habituel des branches cadettes, d'une

mani?re ou de l'autre toujours ? part du reste de l'?tat ; elle ?chappa ainsi ?

cette forte pression de la monarchie qui, partout ailleurs, sous les rois nor

mands et souabes et leurs successeurs imm?diats, affaiblit les pouvoirs des

seigneurs sur leurs hommes. L'explication est ing?nieuse. Mais le probl?me e?t m?rit? sans doute d'?tre creus? plus ? fond. Les transformations de la

seigneurie napolitaine, en g?n?ral, s'expliquent-elles uniquement par ces in

fluences gouvernementales qui, dans la Terre d'Otrante, se trouv?rent man

quer ? L'action de la classe seigneuriale elle-m?me, les conceptions qu'elle se fit de ses int?r?ts, aux diff?rentes ?poques, n'y furent-elles pas aussi pour

quelque chose ? Il est bien connu, en tout cas, que la dissolution des vieux

liens du vilainage eut pour r?sultat, dans la plus grande partie du royaume, une large prol?tarisation des masses rurales. La Terre d'Otrante a-t-elle

ignor? ce dernier ph?nom?ne ? Souhaitons que Mr Monti reprenne un jour l'examen de ces questions capitales. L'historien du r?gime seigneurial euro

p?en trouve, dans les d?veloppements- si particuliers de l'Italie du Sud et de

l'Italie des ?les, des terrains d'exp?rience naturels ; mais les faits sont complexes et, pour les ?rudits ?trangers au pays, parfois difficilement saisissables; solide

ment arm?s pour leur ?tude, des savants de la valeur de Mr Monti se doivent

de nous les rendre accessibles.

2? Parmi les charges qui pesaient sur la Terre d'Otrante, figurait un

droit en argent sur les mariages, que, avec sa verdeur habituelle, le langage du

vieux temps nommait volontiers : jus cunnatici. Att?nuation d'un antique jus

primx noctis, jadis pr?lev? en nature, parle seigneur, sur la jeune ?pous?e? Non, dit Mr Monti, mais, beaucoup plus simplement, forme locale de ces rede

vances matrimoniales, dont on rel?ve de nombreux exemples en Italie, et ?

pourrait-on ajouter ?

dans toute l'Europe. Mr Mpnti, si je comprends bien sa pens?e, inclinerait ? reconna?tre dans cet imp?t seigneurial une obligation

d'origine religieuse ; le paiement aurait eu pour objet primitif de dispenser les jeunes mari?s de ces premi?res nuits de continence ? les ? nuits de Tobie?

? que la morale eccl?siastique pr?tendait leur infliger. Il se peut ; et, en

ce cas, je suppose, l'attribution de la redevance au seigneur devrait ?tre

consid?r?e comme une suite de l'appropriation des revenus paroissiaux. De

toutes fa?ons on accordera ais?ment ? l'auteur que le fameux droit, que Beaumarchais a popularis?, n'a rien ? voir ici : ce qui ne veut pas dire que la

question du jus primx noctis, en g?n?ral ?

probl?me passionnant pour le

folkloriste et pour l'historien des origines seigneuriales, mais qu'il faudrait

Page 146: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

134 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

bien, une bonne fois, examiner en dehors de toutes autres passions, moins

in offensives, ? doive ?tre tenue pour d?finitivement r?solue. ? M. B.

(Annali del Seminario Giuridico Econ?mico d?lia R. Universit? di Bari,

t. I, fase. 2, 1927 ; tirage ? part, Bari, Cressati, in-8?, 22 p.)

?conomie fran?aise : monographies g?ographiques.

C'est un tout petit pays que cette C?ti?re orientale de la Dombes, ?

laquelle Mr Georges Chabot vient de consacrer une fine et pr?cise ?tude1 :

?tir?e du Nord au Sud, une bande d'une vingtaine de kilom?tres de long, sur

deux ? trois de large ; aux ?poques les plus favorables, sept ? huit milliers

d'habitants. Pourtant ses caract?res proprement g?ographiques et le genre de vie particulier qui s'y est d?velopp? lui ont assur? longtemps une indivi

dualit? tr?s nette. Pour axe, une c?te, favorable aux vignobles, et, au bas de

la pente, une route qui unit les villages, les m?le ? une vie de relation intense

(car cette route est celle qui va de Lyon ? Gen?ve), et surtout les relie ? un

grand centre urbain : Lyon. Mais ni le vignoble ni les apports de la route ne

suffisent ou, du moins, n'auraient suffi, autrefois, au paysan. Il lui fallait

des champs de c?r?ales et des p?turages. Ici, il trouvait les premiers sur le

plateau de Dombes; la plaine de l'Ain, au pied de la c?te, avec ses ?brot

teaux? caillouteux et sableux, lui fournissait les seconds. Dans ce cadre, une

?conomie, marqu?e de traits originaux, nous appara?t fortement constitu?e

dans la premi?re moiti? du xixe si?cle. Le cultivateur est un petit exploitant ; la vari?t? des produits qu'il r?colte ? mais chacun, en faible quantit?

?

l'am?ne ? vivre sur lui-m?me ; il consomme son bl?, boit son vin ; c'est tout

juste s'il vend quelques pi?ces de sa vendange ou porte aux march?s voisins

quelques ufs et quelques laitages. Mais, ? partir de 1850, une grande trans

formation s'amorce. D'abord, la construction de la voie ferr?e, ? l'Est de

l'Ain, assez loin de la C?te, r?duit ? peu de choses l'ancien trafic routier ; en

m?me temps, le d?veloppement de l'agglom?ration lyonnaise commence ?

soutirer au pays une partie de sa population. D'ailleurs, ?

aubergistes ? part,

qu'atteint la d?cadence de la route ? les paysans rest?s au village vivent

plus largement que par le pass? ; ils continuent ? ne vendre gu?re que leur

superflu ?

lait, ufs, volailles ?, mais ils le vendent d?sormais ? des inter

m?diaires, qui ravitaillent Lyon, et ils obtiennent de meilleurs prix qu'autre fois. Vient enfin, apr?s 1900, et surtout depuis la guerre, l'?re de l'auto, qui co?ncide avec un nouvel essor de l'industrie lyonnaise. La grande ville voisine

fait sentir de toutes parts son action, dans la C?ti?re. Les Lyonnais passent sur la route, qui a repris vie ; parfois ils vill?giaturent. Non seulement la

C?ti?re contribue de plus en plus ? l'approvisionnement de Lyon ; mais elle

s'y approvisionne elle-m?me en produits de toute sorte. Premi?re br?che dans

l'ancienne ?conomie ferm?e. Il en est d'autres. Le paysan, au lieu de faire

moudre son bl? au petit moulin local de jadis, l'envoie maintenant ? la mino

terie ; il ne mange donc plus le pain de sa propre farine ; par l?-m?me, il se

1. La C?ti?re orientale de la Dombes et l'influence de Lyon, Paris, les Presses Modernes, ?927, in-8?, 87 p., 2 pi., 1 carte hors texte.

Page 147: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

134 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

bien, une bonne fois, examiner en dehors de toutes autres passions, moins

in offensives, ? doive ?tre tenue pour d?finitivement r?solue. ? M. B.

(Annali del Seminario Giuridico Econ?mico d?lia R. Universit? di Bari,

t. I, fase. 2, 1927 ; tirage ? part, Bari, Cressati, in-8?, 22 p.)

?conomie fran?aise : monographies g?ographiques.

C'est un tout petit pays que cette C?ti?re orientale de la Dombes, ?

laquelle Mr Georges Chabot vient de consacrer une fine et pr?cise ?tude1 :

?tir?e du Nord au Sud, une bande d'une vingtaine de kilom?tres de long, sur

deux ? trois de large ; aux ?poques les plus favorables, sept ? huit milliers

d'habitants. Pourtant ses caract?res proprement g?ographiques et le genre de vie particulier qui s'y est d?velopp? lui ont assur? longtemps une indivi

dualit? tr?s nette. Pour axe, une c?te, favorable aux vignobles, et, au bas de

la pente, une route qui unit les villages, les m?le ? une vie de relation intense

(car cette route est celle qui va de Lyon ? Gen?ve), et surtout les relie ? un

grand centre urbain : Lyon. Mais ni le vignoble ni les apports de la route ne

suffisent ou, du moins, n'auraient suffi, autrefois, au paysan. Il lui fallait

des champs de c?r?ales et des p?turages. Ici, il trouvait les premiers sur le

plateau de Dombes; la plaine de l'Ain, au pied de la c?te, avec ses ?brot

teaux? caillouteux et sableux, lui fournissait les seconds. Dans ce cadre, une

?conomie, marqu?e de traits originaux, nous appara?t fortement constitu?e

dans la premi?re moiti? du xixe si?cle. Le cultivateur est un petit exploitant ; la vari?t? des produits qu'il r?colte ? mais chacun, en faible quantit?

?

l'am?ne ? vivre sur lui-m?me ; il consomme son bl?, boit son vin ; c'est tout

juste s'il vend quelques pi?ces de sa vendange ou porte aux march?s voisins

quelques ufs et quelques laitages. Mais, ? partir de 1850, une grande trans

formation s'amorce. D'abord, la construction de la voie ferr?e, ? l'Est de

l'Ain, assez loin de la C?te, r?duit ? peu de choses l'ancien trafic routier ; en

m?me temps, le d?veloppement de l'agglom?ration lyonnaise commence ?

soutirer au pays une partie de sa population. D'ailleurs, ?

aubergistes ? part,

qu'atteint la d?cadence de la route ? les paysans rest?s au village vivent

plus largement que par le pass? ; ils continuent ? ne vendre gu?re que leur

superflu ?

lait, ufs, volailles ?, mais ils le vendent d?sormais ? des inter

m?diaires, qui ravitaillent Lyon, et ils obtiennent de meilleurs prix qu'autre fois. Vient enfin, apr?s 1900, et surtout depuis la guerre, l'?re de l'auto, qui co?ncide avec un nouvel essor de l'industrie lyonnaise. La grande ville voisine

fait sentir de toutes parts son action, dans la C?ti?re. Les Lyonnais passent sur la route, qui a repris vie ; parfois ils vill?giaturent. Non seulement la

C?ti?re contribue de plus en plus ? l'approvisionnement de Lyon ; mais elle

s'y approvisionne elle-m?me en produits de toute sorte. Premi?re br?che dans

l'ancienne ?conomie ferm?e. Il en est d'autres. Le paysan, au lieu de faire

moudre son bl? au petit moulin local de jadis, l'envoie maintenant ? la mino

terie ; il ne mange donc plus le pain de sa propre farine ; par l?-m?me, il se

1. La C?ti?re orientale de la Dombes et l'influence de Lyon, Paris, les Presses Modernes, ?927, in-8?, 87 p., 2 pi., 1 carte hors texte.

Page 148: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

?CONOMIE FRAN?AISE 135

trouve conduit ? n'attacher qu'une moindre importance ? la culture des

c?r?ales. Le manque de main-d' uvre, r?sultat ? la fois d'une ?migration accrue ? vers Lyon toujours

? et des pertes de guerre, agit dans le m?me

sens : les emblavures c?dent la place aux pr?s, ?ternelle ressource des r?gions

qui manquent de bras ; quelques vignes m?me ? tr?s peu ? ont ?t? arra

ch?es. C'est le vieil ?quilibre agricole qui s'effrite. Lentement, d'ailleurs.

Rien de plus stable, note justement Mr Chabot, que l'assiette ?conomique et

sociale de ces contr?es de polyculture traditionnelle. En tant que pays, la

C?ti?re n'existe plus gu?re ; elle se fond dans une unit? beaucoup plus vaste :

la banlieue lyonnaise. Mais, dans ce grand tout, les villages de la c?te de

Dombes conservent, att?nu?s sans doute, mais toujours pr?sents, leurs carac

t?res ancestraux.

Le ? Cantal ?, tel que s'est propos? de l'?tudier Mlle Mad elein e Basserre \

groupe plusieurs r?gions distinctes : le massif montagneux avec les ? pla

teaux d'?levage? qui l'entourent, la plaine d'Aurillac, unie aux hautes terres

voisines par des rapports ?conomiques tr?s ?troits (non seulement Aurillac

est le grand march? du haut pays, mais encore les propri?taires de la plaine

poss?dent fr?quemment, en montagne, des p?turages d'?t?), la Plan?ze

enfin, plateau agricole dont les liens avec l'ensemble qui pr?c?de sont peut

?tre moins sensibles ; car je ne vois point qu'elle ait quelque part ? la vie pas

torale cantalienne. Cette vie pastorale, naturellement, se place au c ur

m?me de la recherche. Les traits qui l'opposent ? celle des Alpes ou des Pyr?

n?es se retrouvent ? peu pr?s partout, semble-t-il, dans le Massif Central2 :

absence de stations interm?diaires entre les bas p?turages et les ? burons ? des

hauteurs, appropriation priv?e des ?montagnes?, pas de troupeaux com

muns. A la diff?rence de la C?ti?re de Dombes, le Cantal, pourtant singuli?

rement plus difficile d'acc?s et plus ?loign? des grands centres, para?t avoir,

de bonne ! aure, travaill? pour l'exportation : les fromages ? les a fourmes?

fabriqu?es dans les burons ? n'?taient pas, pour la plupart, destin?s ? la

consommation locale. Aussi bien l'?migration, tr?s anciennement, elle aussi,

mit la Haute-Auvergne en rapports avec les milieux ?conomiques du dehors.

Bien entendu, pas plus que la C?ti?re, le Cantal n'a ?chapp? aux m?tamor

phoses qui, au cours des xixe et xxe si?cles, ont si profond?ment modifi? la

physionomie de tous nos pays de France. Le village a cess? de devoir ou de

vouloir, ? tout prix, se nourrir de son propre bl? : d'o? une tendance ? la

sp?cialisation cult?rale, qui, ici, s'est traduite par les progr?s de l'?levage, aux d?pens des labours ; depuis une trentaine d'ann?es, la crise de main

d' uvre, d'autres causes encore peut-?tre, ont pr?cipit? l'?volution. Tout le

r?gime des ?changes s'est modifi?. Les foires, o? jadis se vendaient toutes

sortes de marchandises, ne sont plus gu?re que des march?s ? bestiaux et, ?

ce titre m?me, commencent ? diminuer d'importance ; l'acheteur, de plus en

plus, va trouver le producteur, ? domicile. Depuis la guerre, la propri?t? semble se concentrer.

L'une et l'autre, les deux monographies dont je viens, sommairement,

1. Le Cantal : ?conomie agricole et pastorale, Aurillac, imprimerie moderne, 1925

(th?se Lettres, Paris), in-8?, 229 p., 12 pi., 11 fig., 1 carte hors texte. 2. Cf., notamment, Ph. Arbos, Le massif du C?zalier, dans Revue de g?ographie

alpine, t. XIV, 1926.

Page 149: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

136 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

d'analyser les principaux r?sultats, sont l' uvre de g?ographes ; elles s'ajou tent ? cette belle s?rie de travaux de m?me origine, qui, dans notre pays, trop

pauvre, par ailleurs, en recherches d'histoire ou de sociologie ?conomiques, ont tant fait pour nous permettre de mieux conna?tre la soci?t? fran?aise, dans son pass? et son pr?sent. Certes elles ne sont pas d'?gale valeur. Le livre

de MUe Basserre, en d?pit de beaucoup d'observations instructives auxquelles, dans un r?sum? forc?ment tr?s bref, je n'ai pas toujours pu rendre justice, est ? la fois trop rapide (voyez, notamment, le passage sur l'?migration) et

trop verbeux , on ne saurait le mettre au m?me rang que la brochure, beau

coup plus courte, mais aussi beaucoup plus pleine et plus suggestive, de

Mr Chabot. Cette ?vidente in?galit? n'emp?che pas que les deux ?tudes, inspi r?es d'un m?me esprit, n'appellent sur quelques points, des remarques de

m?thode semblables.

R?solument, semble-t-il, Mr Chabot a born? sa vision aux xixe et

xxe si?cles. Les fronti?res que s'est trac?es Mlle Basserre sont moins nettes

et moins ?troites ; mais les d?veloppements qu'elle consacre au pass?, aussit?t

que celui-ci devient tant soit peu lointain, t?moignent de beaucoup d'inex

p?rience. Fatalement un historien d?plorera toujours, dans les travaux de

cette sorte, l'absence ou l'insuffisance de l'arri?re-plan historique : regrets assez vains, en somme, o? il entre un peu de d?formation professionnelle. Il

sera toujours parfaitement l?gitime de se limiter ? une tranche de l'?volu

tion. A une condition toutefois, qui n'est pas universellement observ?e :

reconna?tre qu'une part de l'explication ?chappe et le dire, nettement. L'?tat

de la propri?t? communale, dans les ?brotteaux? de l'Ain ou sur les mon

tagnes du Cantal, n'a pas sa cause dans le seul pr?sent, m?me ?tendu au

xix si?cle ; il faudrait, pour en rendre compte, ?tudier l'application des lois

r?volutionnaires, puis remonter, plus haut encore, jusqu'aux luttes ou aux

accords des communaut?s et des seigneurs. Ne le faisons pas, si nous n'en

avons pas le temps ; mais marquons la lacune. Pourquoi, sur le rebord de la

Dombes, cette pr?pond?rance des petites exploitations ? Les conditions

g?ographiques ne fournissent pas de raison suffisante ; toute l'histoire du

village et de la seigneurie est derri?re une pareille division du sol. Ce replie ment sur soi-m?me des petits propri?taires de la C?ti?re, au d?but du xixesi?cle,

que Mr Chabot nous d?crit si bien, est-ce l?, comme il semble le croire, un

ph?nom?ne tr?s ancien ? Imaginer pareille chose reviendrait, tout simple

ment, ? oublier le r?gime seigneurial ; car, tant que celui-ci dura, une partie de la r?colte du paysan s'en alla, r?guli?rement, sous forme de redevances en

nature, se faire consommer dans des ch?teaux, parfois lointains, ou se vendre, au profit du ma?tre, sur les march?s des alentours ; une autre devait ?tre

vendue par le paysan lui-m?me, qui n'e?t pu se procurer autrement l'argent n?cessaire au paiement des redevances p?cuniaires. La v?rit? est sans doute

que, en France, comme aujourd'hui dans l'Europe orientale (interrogez, ? ce

sujet, les importateurs de bl? ?), l'abolition des charges qui pesaient sur la

tenure amena, dans beaucoup de r?gions, le cultivateur, qui, d?sormais,

pouvait vivre mieux, ? vivre de son bien. Auparavant, il abandonnait au

seigneur, ou aux acheteurs, une part de son n?cessaire ; maintenant ? crises

?conomiques ? part ? il ne c?dera plus que ce qu'il tient pour superflu.

Revenons au pr?sent. Il y a, dans la belle ?tude de Mr Chabot, une omis

Page 150: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE ?CONOMIQUE DE LA R?VOLUTION 137

sion qui m'a frapp?. D?crivant la conqu?te de la C?ti?re par l'influence

lyonnaise, il mentionne les grands magasins ; des banques, pas un mot ? Celles

ci n'ont-elles vraiment eu aucune part au mouvement ? On a peine ? le croire, ni que, d'une fa?on ou d'une autre, le grand march? d'argent et de valeurs, le puissant foyer de cr?dit qu'on admire ? Lyon restent sans action sur les

campagnes environnantes. Il est presque superflu d'ajouter que des oublis de

m?me nature se retrouvent dans le livre de Mlle Basserre. On con?oit fort

bien comment beaucoup de g?ographes ont pu ?tre entra?n?s ? les commettre.

Ils ?tudient, en principe, les rapports de l'homme et du sol. A premi?re vue,

les ph?nom?nes financiers paraissent nous ?loigner singuli?rement de la

terre. Mais est-il s?r qu'un nouvel examen confiimerait cette opinion ? Je ne

citerai qu'un exemple : croit-on que, au cours de ces vingt ou trente derni?res

ann?es, l'histoire des placements faits ou tent?s par les paysans ait ?t? sans

liens avec les vicissitudes de la propri?t? rurale ? Recherche, en elle-m?me,

bien difficile, dira-t-on sans doute, ?

impossible en tout cas ? qui ne dispose

pas d'une pr?paration technique sp?ciale. Peut-?tre ; mais alors, encore un

coup, indiquons au moins la voie, et l'explication possible. Aussi bien, c'est

tout le m?canisme des ?changes qui exigerait, bien souvent, une analyse plus

pouss?e. Sur le cycle complexe et variable qui unit le producteur de bl? au

mangeur de pain, Mr Chabot lui-m?me ? qui pourtant a saisi l'int?r?t du

probl?me ? nous offre plut?t des notations ?parses qu'une enqu?te v?ritable.

La terre, enfin. J'ai, dans ce m?me num?ro des Annales, trop longuement

parl? des plans parcellaires pour vouloir en rebattre encore les oreilles du lec

teur. Il me sera pourtant peimis de faire observer une ?tonnante singularit? :

le travail de Mr Chabot, il est vrai, ? la diff?rence de celui de Mlle Basserre,

renferme un d?veloppement interessant sur la forme des agglom?rations ;

mais, de part et d'autre, tout ce qui touche la foime et la r?partition des

champs est ?galement n?glig?. Ne soyons pas, apr?s tout, trop vivement

choqu?s de ces lacunes. Une m?thode n'est jamais au point du premier coup ;

peu importe, si elle se perfectionne. Discuter, du point de vue de l'historien

(mais l'historien et le g?ographe ne se rencontrent-ils pas dans une m?me

pr?occupation, dont les soci?t?s humaines forment l'objet ?), quelques-uns des partis-pris de l'?cole g?ographique fran?aise, ce n'est pas diminuer les ?cla

tants services que lui doivent les sciences de l'homme ; c'est marquer notre

confiance dans sa volont? de progr?s et, par l?, rendre hommage ? son ?ter

nelle jeunesse.

Marc Block.

Histoire ?conomique de la R?volution fran?aise.

Le chapitre cathedral du Mans poss?dait 87 maisons au Mans, 21 moulins

et 115 ? 120 bordages ou m?tairies dans la Sarthe, la Mayenne et le Loir-et

Cher. Mr l'abb? Ch. Girault1, bien connu des historiens de la R?volution par ses th?ses de doctorat, a recherch? dans les trois d?partements les actes de

1. La vente des biens du chapitre cathedral de Saint-Julien du Mans, Laval, Goupil, 1927, in-8?, 60 p.

Page 151: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE ?CONOMIQUE DE LA R?VOLUTION 137

sion qui m'a frapp?. D?crivant la conqu?te de la C?ti?re par l'influence

lyonnaise, il mentionne les grands magasins ; des banques, pas un mot ? Celles

ci n'ont-elles vraiment eu aucune part au mouvement ? On a peine ? le croire, ni que, d'une fa?on ou d'une autre, le grand march? d'argent et de valeurs, le puissant foyer de cr?dit qu'on admire ? Lyon restent sans action sur les

campagnes environnantes. Il est presque superflu d'ajouter que des oublis de

m?me nature se retrouvent dans le livre de Mlle Basserre. On con?oit fort

bien comment beaucoup de g?ographes ont pu ?tre entra?n?s ? les commettre.

Ils ?tudient, en principe, les rapports de l'homme et du sol. A premi?re vue,

les ph?nom?nes financiers paraissent nous ?loigner singuli?rement de la

terre. Mais est-il s?r qu'un nouvel examen confiimerait cette opinion ? Je ne

citerai qu'un exemple : croit-on que, au cours de ces vingt ou trente derni?res

ann?es, l'histoire des placements faits ou tent?s par les paysans ait ?t? sans

liens avec les vicissitudes de la propri?t? rurale ? Recherche, en elle-m?me,

bien difficile, dira-t-on sans doute, ?

impossible en tout cas ? qui ne dispose

pas d'une pr?paration technique sp?ciale. Peut-?tre ; mais alors, encore un

coup, indiquons au moins la voie, et l'explication possible. Aussi bien, c'est

tout le m?canisme des ?changes qui exigerait, bien souvent, une analyse plus

pouss?e. Sur le cycle complexe et variable qui unit le producteur de bl? au

mangeur de pain, Mr Chabot lui-m?me ? qui pourtant a saisi l'int?r?t du

probl?me ? nous offre plut?t des notations ?parses qu'une enqu?te v?ritable.

La terre, enfin. J'ai, dans ce m?me num?ro des Annales, trop longuement

parl? des plans parcellaires pour vouloir en rebattre encore les oreilles du lec

teur. Il me sera pourtant peimis de faire observer une ?tonnante singularit? :

le travail de Mr Chabot, il est vrai, ? la diff?rence de celui de Mlle Basserre,

renferme un d?veloppement interessant sur la forme des agglom?rations ;

mais, de part et d'autre, tout ce qui touche la foime et la r?partition des

champs est ?galement n?glig?. Ne soyons pas, apr?s tout, trop vivement

choqu?s de ces lacunes. Une m?thode n'est jamais au point du premier coup ;

peu importe, si elle se perfectionne. Discuter, du point de vue de l'historien

(mais l'historien et le g?ographe ne se rencontrent-ils pas dans une m?me

pr?occupation, dont les soci?t?s humaines forment l'objet ?), quelques-uns des partis-pris de l'?cole g?ographique fran?aise, ce n'est pas diminuer les ?cla

tants services que lui doivent les sciences de l'homme ; c'est marquer notre

confiance dans sa volont? de progr?s et, par l?, rendre hommage ? son ?ter

nelle jeunesse.

Marc Block.

Histoire ?conomique de la R?volution fran?aise.

Le chapitre cathedral du Mans poss?dait 87 maisons au Mans, 21 moulins

et 115 ? 120 bordages ou m?tairies dans la Sarthe, la Mayenne et le Loir-et

Cher. Mr l'abb? Ch. Girault1, bien connu des historiens de la R?volution par ses th?ses de doctorat, a recherch? dans les trois d?partements les actes de

1. La vente des biens du chapitre cathedral de Saint-Julien du Mans, Laval, Goupil, 1927, in-8?, 60 p.

Page 152: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

138 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

vente et les a publi?s avec beaucoup de soin en les groupant par communes

et, au Mans, par rues. Pour les maisons du Mans, il donne quelques rensei

gnements sur leur destin?e ult?rieure et notamment sur les modifications

provoqu?es par les travaux d'?dilit?.

Un pareil travail, tr?s pr?cieux pour les amateurs d'arch?ologie locale, ne

se pr?te pas ? des conclusions g?n?rales. Mr Girault a indiqu? dans son intro

duction ce que l'historien en peut tirer. On a vendu tr?s vite et ? bon prix. En 1792, il ne restait plus que peu de choses ? ali?ner. Toutes les classes sont

repr?sent?es parmi les acqu?reurs. Des chanoines orthodoxes et des nobles

qui seront bient?t des chouans y figurent ? c?t? de petites gens. Mr Girault

croit que ceux-ci ont ?t? d?savantag?s par la loi du 3 novembre 1790 qui interdit le morcellement des biens : mais cette loi n'a jamais ?t? appliqu?e, celle de mai ayant ?t? prorog?e ? plusieurs reprises jusqu'au 1er janvier 1794.

Mr Girault n'a pas jug? possible de pr?ciser la r?partition entre les classes

sociales ; il n'a pas non plus recherch? les cessions ; peut-?tre aurait-il pu, du

moins, donner quelques renseignements sur les paiements ?

Puisque ces recherches longues et p?nibles ne lui r?pugnent pas, ne peut-on

esp?rer qu'il nous donne un jour une ?tude plus ?tendue, sur quelque canton

de la Sarthe, par exemple, telle que Mr Nicolle en a donn? le mod?le pour la

r?gion de Vire ? La publication de Lejeay, devenue rare d'ailleurs, n'a pas

?puis? la question.

Mr A. Ferrad ou nous donne la premi?re monographie dont le rachat

des droits f?odaux ait ?t? l'objet1 : initiative qu'on ne saurait trop louer,

car l'entreprise comportait des recherches ?tendues2. On peut diviser les

sources en deux cat?gories. Pour les rachats op?r?s entre les mains de l'?tat,

qu'il s'agisse de l'ancien domaine royal ou des biens eccl?siastiques, elles sont

concentr?es aux archives d?partementales : c'?tait le District qui op?rait la

liquidation ; le versement se faisait, au d?but, soit ? la recette du domaine, soit

? celle du district ; en 1791, elle fut tout enti?re confi?e ? l'administration de

l'enregistrement et du domaine r?cemment cr??e et qui ouvrit, ? cet effet,

des registres sp?ciaux. Malheureusement les pi?ces justificatives des rece

veurs ont ordinairement disparu et leurs registres de comptes sont eux-m?mes

fort rares. Pour la Gironde, on peut ajouter les archives municipales de la

ville de Bordeaux qui poss?dait nombre de censives.

Quant aux rachats convenus entre particuliers, ils sent d'un acc?s beau

coup plus malais? I Ce sont les actes notari?s qui sont la source principale.

Les registres de formalit?s civiles de l'enregistrement devraient th?orique ment en donner l'analyse ; mais, d'une part, il est douteux qu'on ait toujours

respect? la loi, au moins pour les actes sous seing priv?, et, d'autre part,

quand le rachat accompagnait la vente de l'immeuble, l'analyse ne le men

tionne pas toujours. Bref, il faut renoncer ? dresser une statistique. D'ail

1. Le rachat des droits f?odaux dans la Gironde (1790-1793), Paris, Soc. du Recueil

Sirey, 1928, in-S?, 463 p. 2. M. Ferradou a tir? quelques renseignements de quelques publications sur la vente

des biens nationaux, celles, par exemple, de MM? Charl?ty et Por?e. Il me permettra d'ajouter que j'ai donn? quelques indications pour le Nord dans mon livre sur Les Paysans

Nord pendant la R?volution fran?aise, 1924.

Page 153: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE ?CONOMIQUE DE LA R?VOLUTION 139

leurs, pour appr?cier l'importance des rachats, il faudrait en outre acqu?rir

quelques donn?es pr?cises sur l'?tendue des terres et le nombre des maisons

soumises ? l'agri?re ou au cens. On voit seulement que la maxime : Nulle terre

sans seigneur, demeurait contest?e dans la r?gion (p. 226, note 95), que cepen

dant il y avait peu d'alleux (p. 216), mais que plus d'un censitaire a pu se

trouver lib?r? par la prescription, les arr?rages n'?tant souvent r?clam?s

que tardivement, d'autant que beaucoup de cens ?taient tr?s minimes

(p. 304-5). Au surplus, ce n'est pas ainsi que Mr Ferrad ou a pos? le probl?me. Il s'est

propos? d'examiner si la loi du 15 mars 1790 ?tait viable. Les administrations

locales et les redevables ont souvent object? qu'elle assujettissait le rachat

? des formalit?s trop compliqu?es, ? des conditions difficilement r?alisables et on?reuses ; on a dit aussi que la solidarit? entre les redevances et les droits

casuels d?courageait les bonnes volont?s. Pour savoir ? quoi s'en tenir,

Mr Ferradou a donn? ? son ?tude un caract?re juridique tr?s marqu?. Il

?tudie minutieusement la proc?dure (140 pages). Viennent ensuite deux

chapitres sur le nombre et le produit des rachats et sur les personnes qui ont

rachet? (32 pages). Le chapitre V sur les droits ?teints (107 pages) nous ram?ne ? l'examen d'un grand nombre de difficult?s de proc?dure ; de m?me

le chapitre VIII sur les sous-rachats (le seigneur rembours? devait lui-m?me

d?dommager son suzerain) ;le chapitre VII sur les causes du rachat est d'un

plus grand int?r?t pour l'historien ; pareillement, les deux derniers sur la situa

tion en 1792 et 1793. Mr Ferradou conclut que la loi ?tait viable et que les

objections qu'on a formul?es n'?taient pas fond?es (p. 45). Il est certain

qu'on a rachet? des droits f?odaux. Cependant il a lui-m?me signal? ??

et l? des difficult?s de proc?dure (p. 9, 67-8, 78), des lenteurs administra

tives (p. 104-5), de la mauvaise volont? de la part de certains propri?taires de droits f?odaux (p. 59, 72, 75) et notamment de la municipalit? de Bor

deaux (p. 98-9, 353), le caract?re on?reux des expertises (p. 225). Quelques r?serves eussent donc sembl? justifi?es. En fait, il faut l'avouer, le nombre

des rachats ne para?t pas consid?rable, m?me si l'on tient compte du caract?re

fragmentaire des sources. En 1790, le receveur du district de Bordeaux en a

re?u 134, la ville 43 ; le district de Lesparre 68 jusqu'en ao?t 1791. Les registres

ouverts par l'administration de l'enregistrement et du domaine contiennent

5 rachats pour le bureau de La R?ole, 7 ? Podensac, 18 ? Libourne, 1 ?

Bazas. Pour les rachats entre particuliers, treize notaires de Bordeaux ont

fourni 68 quittances et 102 offres. Comme on le voit, c'est dans les villes

qu'on a surtout rachet? ; tr?s peu de paysans se sont lib?r?s (p. 241) et seu

lement pour des agri?res d'un montant infime (p. 247). Dans le Nord, des

communaut?s villageoises ont rachet? des terrages eccl?siastiques mis en

vente par l'?tat, avec d'autant plus d'empressement que des particuliers se

pr?sentaient aussi comme ench?risseurs. Il ne para?t pas qu'il en ait ?t? de

m?me dans la Gironde. Du moins, Mr Ferradou n'en dit rien. Quant aux

citadins, ceux qui rach?tent sont ordinairement des ais?s (p. 211), qui veulent

se lib?rer des droits casuels d?s ? l'?tat, avant de vendre leurs immeubles.

En effet, le d?cret du 14 novembre 1790 avait supprim?, pour ce qui concer

nait l'?tat, la solidarit? entre ces droits et le cens ; or, les droits casuels

?taient coutumi?rement r?duits aux cinq onzi?mes et c'?tait pr?cis?ment ?

Page 154: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

140 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

ce taux qu'on op?rait le rachat. Comme l'acqu?reur aurait d? payer le droit

et verser ensuite le prix du rachat, le vendeur avait int?r?t ? lib?rer son

immeuble avant de l'ali?ner (p. 272, 324-5). C'est ?videmment ? ces parti cularit?s que sont d?s la plupart des rachats que l'on conna?t.

Pourquoi n'ont-ils pas ?t? plus nombreux, surtout dans les campagnes ?

Aux yeux de l'historien, c'est la question essentielle. Mr Ferradou s'en est

?galement pr?occup?. Dans son introduction, il marque bien que les circons

tances politiques ont jou? un r?le pr?pond?rant et il y revient ? la fin du livre. Au fond, d?s le premier moment de la r?volution, le paysan ?tait d?cid?

? ne plus payer, s'il le pouvait sans trop de risques et, en beaucoup d'endroits, il ne s'est pas content?, pour se lib?rer, de la r?sistance passive. Un chapitre e?t donc ?t? bien venu qui aurait d?crit la r?volte agraire dans la Gironde.

La r?gion de Lesparre a ?t?, par exemple, en 1789, le th??tre d'un tr?s s?rieux

mouvement de f?d?ration communaliste qu'il e?t valu la peine de mettre en

rapport avec la question des droits f?odaux. Mr Ferradou d?clare (p. 349) ne pouvoir se ranger ? l'opinion de Mr Aulard pour qui les refus demeurent

une exception, quoique fr?quente. On constate, en effet, qu'il a recueilli sur

ces refus un grand nombre de renseignements (outre l'introduction, voir

p. 87, 89, 90-1,125, 239, 241, 351, 373, 388-91, 396, 414), mais ils sont diss?

min?s ? un tel point qu'un d?pouillement m?thodique des notes permet seul d'en appr?cier l'importance. Plus nombreux encore probablement ont

?t? les gens qui cess?rent de payer sans qu'on os?t leur rien r?clamer et, ?

plus forte raison, les poursuivre. On vend, en effet, sans racheter les droits

casuels, malgr? les conditions extr?mement favorables dont on vient de

parler : c'est vraisemblablement qu'on pensait ne pas les payer (p. 349). On comptait d'ailleurs sur des lois nouvelles : un vendeur stipule un surplus

pour le cas o? l'acqu?reur ne serait plus tenu de payer le cens (p. 348). Les propri?taires de droits f?odaux, au contraire, esp?raient les conserver

et d'autres personnes partageaient leur confiance, puisqu'elles les leur ache

taient : des transactions de cette nature sont encore conclues de janvier ?

mai 1793 (p. 440, 454-5). Au d?but de juillet 1793, on voit assigner des rede vables en paiement (p. 395, 441-2). D'ailleurs une partie de la bourgeoisie r?volutionnaire n'a donn? satisfaction aux paysans qu'? grand regret : le

d?put? Crozilhac, dans une lettre, d?plore le vote de la loi du 17 ao?t 1792 (p. 370). Une r?action, au surplus, n'?tait pas exclue des calculs : en 1791, des

actes notari?s expliquent que le vendeur, ayant rachet? les droits, garantit

l'acqu?reur pour le pass?, mais non pas pour l'avenir. Ces faits sont de grand int?r?t historique et eussent m?rit? d'?tre group?s et mis en lumi?re : ils

contribuent ? expliquer que la fermentation se soit perp?tu?e dans les cam

pagnes. Mais il y a mieux encore : en avril 1792, un seigneur, vendant une

part de son domaine direct, stipule que, ne pouvant l?galement se r?server le

cens et les lods et ventes, ? le r?glement de la dite rente sera n?anmoins fait

au prorata des fonds voisins, pour fixer ensuite le rachat des dites redevances, conform?ment aux d?crets ?. Mr Ferradou cite plusieurs actes qui constituent en toutes lettres des baux ? fiefs ou ? cens (p. 342-3). C'?tait donc en vain

que la Constituante avait aboli le r?gime f?odal pour l'avenir : on continuait

? le perp?tuer ill?galement. Il n'a rien moins fallu que les mesures draco

niennes de la Convention pour en venir ? bout.

Page 155: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE ?CONOMIQUE DE LA R?VOLUTION 141

C'est jusqu'en septembre 1793 que Mr Ferradou a trouv? des faits de cet

ordre, et il s'est ?tonn? que la loi du 17 juillet n'ait pas eu un effet plus prompt. Mais le fait s'explique ais?ment par la r?volte f?d?raliste. Il y aurait sans

doute injustice ? supposer que les chefs girondins eussent bl?m? l'an?antisse

ment d?finitif des droits f?odaux, mais ils avaient laiss? s'associer ? leur cause

une foule de gens d'opinion conservatrice ou contre-r?volutionnaire ; d'ail

leurs la publication de la nouvelle loi ne pouvait que profiter ? la Convention

montagnarde. Toutefois, il est plus simple d'admettre que, dans la ville insur

g?e, la loi passa inaper?ue.

D'apr?s les observations qui pr?c?dent, on aura senti que, pour l'histo

rien, la lecture de ce livre est ? la fois ?minemment profitable et m?diocre

ment ais?e. Les notes occupent une place ?norme ; certaines pages n'ont

m?me pas une ligne de texte. Il semble qu'on aurait pu am?liorer la pr?sen tation des faits en en groupant une partie dans un chapitre purement histo

rique, comme on l'a dit plus haut, et en en rejetant quelques autres dans un

appendice, sous forme de tableau ; par exemple : la nomenclature des per

sonnes qui ont rachet?. Tout au moins, aurait-il ?t? n?cessaire d'ajouter un

index.

Les ?tudes que Mr A. Mathiez r?unit aujourd'hui en volume avaient

paru d?j?, pour la plupart au moins, dans diff?rentes revues et principalement

dans les Annales r?volutionnaires et les Annales historiques de la R?volution

fran?aise ; la substance en a pass? aussi dans l'histoire de la R?volution que

publie Mr Mathiez. Tous ceux qui s'int?ressent ? son uvre lui sauront gr? de

les leur pr?senter ? nouveau sous une forme commode et qui rend plus ais?

un examen d'ensemble.

Mr Mathiez a group? tous les renseignements que fournissent les sources

imprim?es et le petit nombre de monographies que nous poss?dons. A celles

qu'il a cit?es, on peut toutefois ajouter celle que MMra Defresne et Evrard

ont consacr?e ? l'histoire des subsistances dans le district de Versailles ; quant

? la publication o? Mr Caron a r?uni les proc?s-verbaux de la Commission des

subsistances et bon nombre de documents importants, elle a paru presque

en m?me temps que le pr?sent livre. Mr Mathiez a en outre fait des recherches

aux archives du Doubs, et il est ? peine besoin de dire que sa parfaite connais

sance du personnel r?volutionnaire, acquise au prix d'une longue exploration

des archives parisiennes, lui a permis de projeter une vive lumi?re sur les

origines ?conomiques et sociales du gouvernement r?volutionnaire.

Il est maintenant ?vident que deux crises de chert?, compliqu?e d'ailleurs

de ch?mage, ont jou? un r?le essentiel dans l'histoire de la R?volution, dont

l'aspect politique avait, jusqu'? nos jours, retenu presque exclusivement

l'attention des historiens. La premi?re est celle de 1789, due ? la mauvaise

r?colte de 1788, ? l'imprudente r?forme de Brienne et aux cons?quences

du trait? de 1786 ; on ne peut plus contester qu'elle ait contribu? puissam

ment ? provoquer les soul?vements populaires qui ont eu raison de l'ancien

r?gime ; Mr Mathiez Ta ?voqu?e dans son introduction. La seconde est celle

de 1792-93 et a pour origine le discr?dit de l'assignat et la guerre. C'est ? en

1. La vie ch?re et le mouvement social sous la Terreur. Paris, Payot, 1927 in-8?, 620 p.

Page 156: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

142 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

raconter les p?rip?ties et ? en expliquer les r?percussions politiques qu'est consacr?e la majeure partie du volume.

On sait quelle ?tait, en mati?re de subsistances, l'opinion des pauvres gens et de la petite bourgeoisie ; elle ?tait partag?e d'ailleurs par beaucoup de pri vil?gi?s et d'hommes fortun?s, et les administrateurs, par souci de Tordre et

de leur s?curit? personnelle, s'en faisaient volontiers les interpr?tes. On exi

geait du gouvernement qu'il maint?nt une juste proportion entre les prix et

les salaires, qu'il r?glement?t le commerce pour emp?cher la sp?culation et

qu'au besoin il r?quisitionn?t et tax?t les denr?es. Necker avait r?tabli peu ? peu la r?glementation ; la Constituante revint ? la libert? sauf pour l'expor tation. Mr Mathiez note qu'on ne sait pas au juste ? quel point elle a ?t?

ob?ie. En effet, on n'a m?me pas une ?tude sur le curieux mouvement qui, ea

1790, souleva le Nivernais et le Bourbonnais en faveur de la taxation. N?an

moins, je ne crois pas que le peuple ait attendu la crise de l'assignat pour

perdre toute foi en la vertu de la libert?, ni que ce soit ? chose curieuse ? de

le voir r?clamer en 1792 le retour ? la r?glementation de l'ancien r?gime

(p. 25-6). En r?alit?, apr?s comme avant la crise de 1789, il est rest? ancr?

dans sa conviction. Les administrateurs notent m?me souvent que le souvenir

de la disette r?cente a fortifi? ses pr?ventions.

Apr?s une tentative de r?glementation en septembre 1792, due aux besoins

de l'arm?e et surtout ? la domination momentan?e de la Commune de Paris,

probablement peu appliqu?e, mais sur laquelle les renseignements sont rares,

la Convention revint encore une fois ? la libert?, le 8 d?cembre. Toutefois

la situation s'aggravant de jour en jour, Girondins et Montagnards furent

bien oblig?s d'y pr?ter attention. Les uns et les autres r?pugnaient ? la

r?quisition et ? la taxation, soit par attachement aux principes, soit par souci de m?nager les classes poss?dantes, soit parce qu'ils ne croyaient pas ?

l'efficacit? de ces mesures. Mais les Girondins ?taient en outre d?termin?s par leur animosit? contre les sections de Paris qui r?clamaient la taxation sous

l'impulsion des enrag?s, tandis que les Montagnards, pour saisir le pouvoir et

m?me pour ?viter la proscription, n'avaient pas d'autres moyens que de

s'entendre avec elles : ils se r?sign?rent donc. C'est ainsi que fut vot? le

premier maximum des grains (4 mai 1793) et que fut scell? le destin de la Gironde. Mais ce maximum ne fonctionna pas. Il fallut, au cours de l'?t?, toute une s?rie de mouvements populaires pour arracher ? la Convention le

maximum national des grains du 11 septembre et le maximum g?n?ral du 29 ;

le second Comit? de Salut public c?da chaque fois pour ne pas ?tre emport? ? son tour. On ne peut que renvoyer sur tout ceci au r?cit extraordinairement

attachant de M. Mathiez. Les archives parisiennes ont d? donner sur ces

complications politico-?conomiques ? peu pr?s tout ce qu'elles contiennent

et il n'est pas probable que l'avenir ajoute rien d'essentiel ? sa description. Le champ des recherches reste au contraire tr?s vaste en dehors de Paris,

comme Mr Mathiez le marque ? plusieurs reprises. On sait d?j? que le plan du lyonnais Lange pour la nationalisation du commerce des grains, qui a

frapp? si fort Michelet et Jaur?s, ne lui est point particulier ; on conna?t aussi

des enrag?s dans plusieurs villes de province ; d'autre part, il est certain que la r?glementation est demeur?e tr?s in?gale et qu'elle a vari? de district ?

district et d'une ville ? l'autre. Mais nos connaissances demeurent vraiment

Page 157: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

HISTOIRE ?CONOMIQUE DE LA R?VOLUTION 143

trop fragmentaires. Alors que cette histoire offre ? Paris un grand int?r?t

politique, c'est au point de vue proprement ?conomique que la province,

semble-t-il, m?rite surtout de retenir l'attention. Pourquoi, par exemple, le

Comit? de Salut public n'a-t-il pas entrepris de r?glementer la r?partition

individuelle du pain au moyen d'une carte nationale ? C'est, d'une part, que

les consommateurs ?taient ^ncore habitu?s, en majorit?, ? acheter leurs grains au march? et ? cuire eux-m?mes ; c'est, en outre, qu'il aurait pris ainsi l'en

gagement moral de fournir le contingent assign? et qu'il ne pouvait s'y enga

ger, car, faute de statistique satisfaisante, il ne connaissait pas ses ressources

et, faute de moyens de transport, il ?tait, le plus souvent, incapable de les

mobiliser. De pareilles constatations, surtout si on ?voque le r?gime qui a

fonctionn? pendant la derni?re guerre, permettent de mesurer les progr?s que l'unit? nationale et l'autorit? gouvernementale ont r?alis?s gr?ce au d?ve

loppement de l'?conomie capitaliste ; il serait, par cons?quent, d'un int?r?t

essentiel pour l'histoire g?n?rale que ces questions fussent ?tudi?es.

Quel fut le r?sultat de la r?glementation ? On continue ? discuter. Peut-on

attendre de futures monographies qu'elles mettent fin au d?bat ? Ce n'est pas

croyable. D?j?, il est certain que tout n'alla pas pour le mieux. Mais c'est

bien ? tort que les partisans de la libert? en pr?tendent triompher. Car il

est ?vident que la r?glementation ne peut r?partir des denr?es qui n'existent

pas. Tout ce qu'elle peut faire, en temps de crise, comme dans une ville assi?

g?e, c'est de pr?venir des sp?culations odieuses et d'emp?cher les citoyens d'en venir aux mains pour se partager ce qui reste et d?traquer par leurs

convulsions l'autorit? qui n'a jamais ?t? plus n?cessaire. Qu'elle puisse pour

tant s'imposer ainsi au politique r?aliste, l'exemple de la derni?re guerre

devrait en convaincre ceux qui veulent ? toute force attribuer la r?glementa tion de l'an II ? la tyrannie de Robespierre ou aux tendances communistes

de la d?magogie jacobine.

Quant au maximum, il aboutit naturellement ? un ?chec partiel : il ne

pouvait jouer qu'en fonction de la r?quisition et il y avait des denr?es qu'il n'?tait pas facile d'atteindre, tels les produits de ferme, ou que le gouverne

ment ne voulut pas requ?rir, tel le b?tail. Dans ces conditions, les ouvriers

auraient ?t? dupes s'ils avaient respect? le maximum des salaires, alors que l'on

permettait au paysan et au marchand de violer celui des denr?es. Cependant le gouvernement prit parti contre eux, au moins quand ils ?taient requis pour

la moisson ou employ?s aux fabrications d'?tat. Ces ouvriers, il est vrai,

avaient du travail et du pain et ils le devaient au gouvernement r?volution

naire ; en l'an III, ils en seront priv?s. Cependant ils furent d??us. Les h?ber

tistes essay?rent d'exploiter leur m?contentement et, plus tard, au 9 ther

midor, leur irritation contribua ? isoler Robespierre et la Commune.

Quelle a donc ?t? au juste la politique du Comit? ? Oui ou non, a-t-il

viol? le contrat tacite que les Montagnards avaient pass? avec les sections ?

A cette question, Mr Mathiez ne me para?t pas r?pondre, je l'avoue, avec sa

nettet? ordinaire. ? Quels que fussent leurs sentiments intimes sur la valeur

propre du maximum, ?crit-il, page 541, les hommes au gouvernement ne

songeaient nullement ? l'abroger ou ? le saboter dans l'application. ? Mais, ?

la page 559, il ajoute : ? Les h?bertistes tomb?s, le maximum a perdu ses

auteurs et ses d?fenseurs. Le gouvernement maintient la loi sans enthousiasme

Page 158: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

144 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

et m?me sans conviction ?. C'est ? cette derni?re assertion que je me range

pour ma part, ? condition qu'on mette hors du d?bat les fabrications d'?tat

et le ravitaillement militaire. Il faut dire sans ambages que les v?ritables

interpr?tes de la pens?e populaire furent les h?bertistes et, bien mieux encore,

les enrag?s et surtout Jacques Roux. Les h?bertistes ?taient de pens?e courte

et, pour rem?dier aux difficult?s, ils ne voyaient d'autre moyen que la con

trainte. Mais, du moment que le gouvernement ne voulait m?me pas de la

r?quisition, il n'y en avait pas d'autre pour faire respecter la taxation.

L'attitude du Comit? appara?t tr?s nette quand.on examine dans l'en

semble son gouvernement ?conomique. Ici, Mr Mathiez a d? se borner ? recher

cher comment il a essay? de rem?dier ? la disette et ? la chert?. En r?alit?,

? partir surtout de la lev?e en masse, la population civile a ?t? le moindre

souci du Comit? ; c'est ? l'arm?e et aux fabrications de guerre qu'il a r?serv?

le plus clair de ses efforts et de ses ressources ; d?s lors, entre ses mains, le

maximum change de caract?re : ce n'est plus un instrument de justice sociale> une cons?cration du droit ? la vie ; c'est un exp?dient ?tatiste qui permet au

Comit? de se procurer les produits dont il a besoin sans pr?cipiter la banque route. Comme il fallait pourtant que le peuple e?t du pain pour que l'ordre

f?t maintenu, il maintint la r?quisition pour les grains. Mais pour tout le

reste, il laissa au consommateur le soin de faire observer le maximum qui demeura donc illusoire. Ainsi le marchand et le paysan purent se

d?dommager, dans quelque mesure, sur la population civile, des sacrifices

que l'?tat leur imposait. Le Comit? a essay? de m?nager les int?r?ts en

conflit afin de conserver son autorit? et d'assurer la d?fense nationale. Mais

ce n'?tait pas uniquement pour cela que le peuple l'avait port? au pouvoir.

Et, comme l'hostilit? des marchands et des cultivateurs contre la r?glementa tion demeura irr?ductible, il perdit en fait tout appui.

Mr Mathiez pense qu'il s'en est rendu compte et que les robespierristes, tout au moins, ont voulu d?s lors regagner la faveur des sans-culottes en pro

mettant, par les d?crets de vent?se, de partager aux indigents les biens des

ennemis de la R?volution, c'est-?-dire des suspects pr?alablement examin?s

par des commissions de triage. La mesure, propos?e par Saint-Just, expli

querait la proc?dure exp?ditive de la loi de prairial ; elle expliquerait aussi, en partie du moins, la coalition qui se forma contre Robespierre, cette vaste

expropriation ayant alarm? presque tous ses coll?gues. Et de fait, quand une r?conciliation s'esquissa au d?but de thermidor, on convint, entre autres

conditions, que les commissions de triage, qui n'avaient fonctionn? qu'? Paris,

seraient enfin d?sign?es. Mr Mathiez n'a pas trait? la question dans le pr?sent

volume : il renvoie sur ce point au tome III de son histoire de la R?volution.

Elle m?rite d'?tre examin?e de tr?s pr?s. La politique sociale des Monta

gnards, telle qu'on la conna?t, est essentiellement urbaine ; c'est aux sans

culottes des villes qu'ils ont consenti le maximum, et c'est en leur faveur

qu'ils Pont partiellement appliqu? ; l'?norme prol?tariat des campagnes en

a tr?s peu profit? et Mr Mathiez aurait peut-?tre pu le marquer plus forte

ment. Or ce sont les manouvriers agricoles que les d?crets de vent?se auraient

avantag?s. Quels biens, en effet, pouvait-on distribuer aux ouvriers des villes ?

L'?chec du maximum ?tait pour eux sans compensation possible. Il faudrait

donc admettre que les robespierristes auraient enfin pens? ? se constituer un

Page 159: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

?CONOMIE ALLEMANDE 145

programme agraire et qu'ainsi il existe un lien historique entre les Monta

gnards et Babeuf. Mais alors, pourquoi n'ont-ils pas song? ? am?liorer et ?

faire appliquer strictement les lois de juin et de septembre 1793 en tant

qu'elles favorisaient, dans l'ali?nation des biens nationaux, les prol?taires des campagnes ? Pourquoi n'ont-ils pr?t? aucune attention aux p?titions

qui ne cessaient de leur parvenir pour r?clamer la r?forme du m?tayage et la

division des grandes fermes ? Si, par les d?crets de vent?se, ils ont r?elle

ment voulu s'attacher le paysan, leur pens?e, tout originale soit-elle, demeure

cependant ?triqu?e ; elle est, au fond, h?bertiste et vise plut?t ? ruiner les

contre-r?volutionnaires qu'? r?soudre la crise agraire ? laquelle probable

ment, en petits bourgeois citadins, ils n'attachaient pas d'importance. Ce compte rendu sommaire malgr? sa longueur t?moignera, esp?rons

nous, de l'int?r?t du livre de Mr Mathiez, et sans doute tombera-t-on d'ac

cord pour reconna?tre que l'histoire de la R?volution prend ainsi une

physionomie nouvelle. G. Lefebvre.

(Strasbourg.)

?conomie allemande.

La Chambre de commerce de Berlin avait organis?, ? la fin de 1927, une

s?rie de conf?rences sur la rationalisation. Elle les a r?unies en un volume1.

Plusieurs de ces ?tudes sont d'un vif int?r?t et renferment des donn?es pr? cieuses sur la situation des diverses branches de l'activit? industrielle et

commerciale.

Les unes ont un caract?re plut?t th?orique ; elles exposent des consid?ra

tions de principe ou pr?sentent un programme de r?formes. Le professeur Bonn d?finit la rationalisation. Le professeur Hirsch en retrace les cons?

quences pour la main-d' uvre. L'ancien ministre Drews esquisse les r?formes

administratives qui pourraient ?tre envisag?es. L'ing?nieur Koettgen traite

de l'emploi de la cha?ne dans la fabrication. Le professeur Briefs de la ratio

nalisation du travail.

D'autres ?tudes ont un caract?re plut?t technique et sont des tableaux

de faits. Clairement r?dig?es par des sp?cialistes ?minents, elles indiquent avec pr?cision les progr?s d?j? accomplis : *dans l'agriculture (comte Kayser

lingk), dans l'industrie mini?re et m?tallurgique (Mr Reichert), dans la

banque (Mr Mosler), dans les chemins de fer (le directeur g?n?ral Dorpm?ller), dans la construction m?tallique (Mr Lange), dans l'industrie textile (MrMuller

Oerlinghausen), dans le commerce de d?tail (Mr Gr?nfeld), dans le commerce

des denr?es alimentaires (Mr Herrmann).

Le Dr Carl Schiffer2 expose les principaux probl?mes li?s ? la rationa

lisation. Apr?s avoir rappel? les causes du d?veloppement qu'elle a pris en

1. Die Bedeutung der Rationalisierung f?r das Deutsche Wirtschaftsleben (Herausgegeben von der Industrie und Handelskammer zu Berlin), Berlin, Georg Stilke, 1928, in-8?, 460 p.

2. Die ?konomische und sozialpolitische Bedeutung der industriellen Rationalisier rungsbestrcbungcn unter besonderer Ber?cksichtigung der Standardisierung, Karlsruhe, Gr. Braun, 1028, in-8?, 104 p.

ANN. D'HISTOIRE. ? lrc ANN?E. l0

Page 160: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

?CONOMIE ALLEMANDE 145

programme agraire et qu'ainsi il existe un lien historique entre les Monta

gnards et Babeuf. Mais alors, pourquoi n'ont-ils pas song? ? am?liorer et ?

faire appliquer strictement les lois de juin et de septembre 1793 en tant

qu'elles favorisaient, dans l'ali?nation des biens nationaux, les prol?taires des campagnes ? Pourquoi n'ont-ils pr?t? aucune attention aux p?titions

qui ne cessaient de leur parvenir pour r?clamer la r?forme du m?tayage et la

division des grandes fermes ? Si, par les d?crets de vent?se, ils ont r?elle

ment voulu s'attacher le paysan, leur pens?e, tout originale soit-elle, demeure

cependant ?triqu?e ; elle est, au fond, h?bertiste et vise plut?t ? ruiner les

contre-r?volutionnaires qu'? r?soudre la crise agraire ? laquelle probable

ment, en petits bourgeois citadins, ils n'attachaient pas d'importance. Ce compte rendu sommaire malgr? sa longueur t?moignera, esp?rons

nous, de l'int?r?t du livre de Mr Mathiez, et sans doute tombera-t-on d'ac

cord pour reconna?tre que l'histoire de la R?volution prend ainsi une

physionomie nouvelle. G. Lefebvre.

(Strasbourg.)

?conomie allemande.

La Chambre de commerce de Berlin avait organis?, ? la fin de 1927, une

s?rie de conf?rences sur la rationalisation. Elle les a r?unies en un volume1.

Plusieurs de ces ?tudes sont d'un vif int?r?t et renferment des donn?es pr? cieuses sur la situation des diverses branches de l'activit? industrielle et

commerciale.

Les unes ont un caract?re plut?t th?orique ; elles exposent des consid?ra

tions de principe ou pr?sentent un programme de r?formes. Le professeur Bonn d?finit la rationalisation. Le professeur Hirsch en retrace les cons?

quences pour la main-d' uvre. L'ancien ministre Drews esquisse les r?formes

administratives qui pourraient ?tre envisag?es. L'ing?nieur Koettgen traite

de l'emploi de la cha?ne dans la fabrication. Le professeur Briefs de la ratio

nalisation du travail.

D'autres ?tudes ont un caract?re plut?t technique et sont des tableaux

de faits. Clairement r?dig?es par des sp?cialistes ?minents, elles indiquent avec pr?cision les progr?s d?j? accomplis : *dans l'agriculture (comte Kayser

lingk), dans l'industrie mini?re et m?tallurgique (Mr Reichert), dans la

banque (Mr Mosler), dans les chemins de fer (le directeur g?n?ral Dorpm?ller), dans la construction m?tallique (Mr Lange), dans l'industrie textile (MrMuller

Oerlinghausen), dans le commerce de d?tail (Mr Gr?nfeld), dans le commerce

des denr?es alimentaires (Mr Herrmann).

Le Dr Carl Schiffer2 expose les principaux probl?mes li?s ? la rationa

lisation. Apr?s avoir rappel? les causes du d?veloppement qu'elle a pris en

1. Die Bedeutung der Rationalisierung f?r das Deutsche Wirtschaftsleben (Herausgegeben von der Industrie und Handelskammer zu Berlin), Berlin, Georg Stilke, 1928, in-8?, 460 p.

2. Die ?konomische und sozialpolitische Bedeutung der industriellen Rationalisier rungsbestrcbungcn unter besonderer Ber?cksichtigung der Standardisierung, Karlsruhe, Gr. Braun, 1028, in-8?, 104 p.

ANN. D'HISTOIRE. ? lrc ANN?E. l0

Page 161: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

146 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

Allemagne, il d?crit clairement les m?thodes qu'elle emploie ; enfin il pr?cise* les r?sultats qu'elle a obtenus et ceux qu'elle peut obtenir.

Une courte bibliographie signale les ?tudes essentielles consacr?es ? ce

sujet en Allemagne.

Le Dr H. Niebuhr1 ?tudie le r?le du Reich et des ?tats dans l'?conomie

g?n?rale de l'Allemagne. Pendant la guerre, ce r?le s'est largement accru.

Autrefois les ?tats disposaient des chemins de fer, des caisses d'?pargne et exer?aient une action sur l'industrie du charbon et de la potasse ; les com

munes assuraient les services d'eau, de gaz, d'?lectricit?, de tramways.

Depuis la guerre, le Reich et les ?tats sont associ?s ? de tr?s nombreuses et

importantes entreprises, dans les branches d'activit? les plus diverses : indus

trie, finance, construction, ravitaillement, etc.

Cet expos? g?n?ral des faits, qui renferme des donn?es int?ressantes et

pr?cises, prend la moiti? de l'?tude. Il est suivi de la critique des tendances

?tatistes. Le Dr Niebuhr estime que l'?tat doit dominer l'?conomie g?n?rale, mais sans y participer. Par rapport aux entreprises priv?es, les entreprises

publiques jouissent d'inadmissibles avantages d'ordre fiscal et commercial.

Dans tous les pays elles sont accessibles aux influences politiques. En ce qui concerne particuli?rement l'Allemagne, elles risquent de r?veiller la menace

de l'article 248 du Trait? de Versailles, qui a ?tabli, pour le r?glement des

r?parations, un privil?ge de premier rang sur tous les biens et ressources de

l'Empire et des ?tats.

Maurice Baumont.

?conomie britannique.

L'?tude de Mr Evan J. Jones sur le Pays de Galles2, bien document?e et

faite d'apr?s des sources dont beaucoup sont de premi?re main, montre com

ment s'est accomplie, pour les principales industries du Pays de Galles, la

transition entre l'?conomie ancienne et l'?conomie moderne au moment de

la r?volution industrielle. Jusqu'? une ?poque assez r?cente, le Pays de

Galles eut une industrie laini?re fort active ; elle s'?tait constitu?e, d?s le

xine et le xive si?cle, sous l'influence d'?migrants flamands qui avaient

apport? les secrets de leur technique et leurs tours de main. Au xvme si?cle,

autour de Dolgelly et de Machynlleth, ainsi que dans le Denbighshire, tra

vaillaient de nombreux m?tiers ruraux dont les ?toffes, par l'interm?diaire de

Londres et de Liverpool, se vendaient en Europe et en Am?rique. Mais c'?tait

une industrie de petite envergure, manquant de capitaux et qui, ? la fin du

xvine si?cle, ne put pas fonder, aupr?s de ses rivi?res abondantes et rapides, des usines m?caniques ? la moderne ; c'est alors que le Yorkshire conquit la

supr?matie dans la manufacture de la laine. Quant ? la m?tallurgie du fer,

elle est fort ancienne dans le Pays de Galles qui, surtout dans le Sud, lui four

1. Oeffentliche Unternehmungen und Privatwirtschaft, Leipzig, G. A. Gloeckner, 1928, in-8?, 94 p.

2. Some contributions to the economic history of Wales, London, P. S. King and Son,

1928, in-8c, 197 p.

Page 162: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

146 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

Allemagne, il d?crit clairement les m?thodes qu'elle emploie ; enfin il pr?cise* les r?sultats qu'elle a obtenus et ceux qu'elle peut obtenir.

Une courte bibliographie signale les ?tudes essentielles consacr?es ? ce

sujet en Allemagne.

Le Dr H. Niebuhr1 ?tudie le r?le du Reich et des ?tats dans l'?conomie

g?n?rale de l'Allemagne. Pendant la guerre, ce r?le s'est largement accru.

Autrefois les ?tats disposaient des chemins de fer, des caisses d'?pargne et exer?aient une action sur l'industrie du charbon et de la potasse ; les com

munes assuraient les services d'eau, de gaz, d'?lectricit?, de tramways.

Depuis la guerre, le Reich et les ?tats sont associ?s ? de tr?s nombreuses et

importantes entreprises, dans les branches d'activit? les plus diverses : indus

trie, finance, construction, ravitaillement, etc.

Cet expos? g?n?ral des faits, qui renferme des donn?es int?ressantes et

pr?cises, prend la moiti? de l'?tude. Il est suivi de la critique des tendances

?tatistes. Le Dr Niebuhr estime que l'?tat doit dominer l'?conomie g?n?rale, mais sans y participer. Par rapport aux entreprises priv?es, les entreprises

publiques jouissent d'inadmissibles avantages d'ordre fiscal et commercial.

Dans tous les pays elles sont accessibles aux influences politiques. En ce qui concerne particuli?rement l'Allemagne, elles risquent de r?veiller la menace

de l'article 248 du Trait? de Versailles, qui a ?tabli, pour le r?glement des

r?parations, un privil?ge de premier rang sur tous les biens et ressources de

l'Empire et des ?tats.

Maurice Baumont.

?conomie britannique.

L'?tude de Mr Evan J. Jones sur le Pays de Galles2, bien document?e et

faite d'apr?s des sources dont beaucoup sont de premi?re main, montre com

ment s'est accomplie, pour les principales industries du Pays de Galles, la

transition entre l'?conomie ancienne et l'?conomie moderne au moment de

la r?volution industrielle. Jusqu'? une ?poque assez r?cente, le Pays de

Galles eut une industrie laini?re fort active ; elle s'?tait constitu?e, d?s le

xine et le xive si?cle, sous l'influence d'?migrants flamands qui avaient

apport? les secrets de leur technique et leurs tours de main. Au xvme si?cle,

autour de Dolgelly et de Machynlleth, ainsi que dans le Denbighshire, tra

vaillaient de nombreux m?tiers ruraux dont les ?toffes, par l'interm?diaire de

Londres et de Liverpool, se vendaient en Europe et en Am?rique. Mais c'?tait

une industrie de petite envergure, manquant de capitaux et qui, ? la fin du

xvine si?cle, ne put pas fonder, aupr?s de ses rivi?res abondantes et rapides, des usines m?caniques ? la moderne ; c'est alors que le Yorkshire conquit la

supr?matie dans la manufacture de la laine. Quant ? la m?tallurgie du fer,

elle est fort ancienne dans le Pays de Galles qui, surtout dans le Sud, lui four

1. Oeffentliche Unternehmungen und Privatwirtschaft, Leipzig, G. A. Gloeckner, 1928, in-8?, 94 p.

2. Some contributions to the economic history of Wales, London, P. S. King and Son,

1928, in-8c, 197 p.

Page 163: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

?CONOMIE DE L'EUROPE SLAVE 147

nissait depuis longtemps des minerais et du charbon de bois. Mais les d?buts

de la grande m?tallurgie datent du milieu du xvme si?cle, quand des ma?tres

de forges de l'Angleterre du Nord vinrent fonder des mines, dans les comt?s

de Monmouth et de Glamorgan, aupr?s des mines de charbon. Ce sont les

houill?res qui, par la quantit? et la qualit? de leur charbon, constituent la

base fondamentale de la m?tallurgie ; car, d?s 1820, les hauts fourneaux

gallois doivent d?j? importer des minerais ?trangers. L'extraction du charbon

elle-m?me ne devint intense que durant la derni?re d?cade du xvine si?cle,

quand les canaux des comt?s charbonniers eurent permis des communications

faciles et assez rapides entre les mines de l'int?rieur et les ports : comme par

tout, pas d'extraction de charbon possible sans les moyens de transporter la production. En 1828, le Pays de Galles exportait d?j? 904 890 tonnes de

charbon, surtout par Newport et Swansea. En 1833, plus de trois cents cha

lands ?taient occup?s ? transporter le charbon entre Merthyr Tidvil et Cardiff.

Mais cette flottille ne suffisait pas ? emp?cher les ? embouteillages ?, et il

fallut en 1836 construire le chemin de fer de Merthyr Tidvil ? Cardiff (Taff Vale Railway) pour ?vacuer le charbon ; bient?t suivit la construction de

tout un r?seau de voies ferr?es qui remontent et desservent toutes les vall?es

houill?res. Aussi l'exportation du charbon de Cardiff passa de 313 000 tonnes

en 1840 ? 1 142 366 en 1860, ? 9 481 802 en 1890, ? 19 328 833 en 1913. De

m?me, Mr Jones d?crit, s'appuyant toujours sur les documents de l'?poque, l'?volution des ports gallois et le mouvement de la population galloise en

fonction du d?veloppement industriel du pays. A. Demangeon.

?conomie de l'Europe slave.

On sait que Y Institut d'?tudes slaves a entrepris une suite de traductions,

qui mettront ? la port?e du public fran?ais les ouvrages fondamentaux d'une

litt?rature historique jusque-l? inaccessible ? la plus grande partie d'entre

nous. La tr?s utile Histoire ?conomique de la Pologne avant les partages de

M. Jan Rutkowski vient de prendre place dans cette collection1. L'initia

tive de l'Institut est si louable, elle t?m oigne d'un sens si avis? des besoins les

plus pressants de la culture historique, elle rend ? nos ?tudes, en un mot, de

si pr?cieux services, que l'on ?prouve quelque scrupule ? devoir exprimer au

sujet de son ex?cution, dont les difficult?s n'?chapperont ? personne, une

critique, m?me l?g?re. Il y aurait pourtant quelque injustice envers M. Rut

kowski ? ne pas dire franchement que le lecteur ? f?t-il absolument inca

pable de confronter les deux textes, fran?ais et polonais ? a l'impression de

n'apercevoir l'ouvrage original qu'? travers une vitre un peu brouill?e. La

1. Paris, Champion (Institut d'?tudes slaves de l'Universit? de Paris. Biblioth?que polo naise, I), 1927, in-8?, xii-268 p. Il faut y joindre-l'article que M. Rutkowski a publi? dans la Revue d'Histoire ?conomique et sociale, t. XV (1926) et XVI (1927), sous le titre : Le r?gime agraire en Pologne au XVIII* si?cle ; on trouvera, dans cet important m?moire, un grand nombre de d?tails concrets, qui compl?tent utilement le livre et en font regretter parfois l'in?vitable bri?vet?.

Page 164: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

?CONOMIE DE L'EUROPE SLAVE 147

nissait depuis longtemps des minerais et du charbon de bois. Mais les d?buts

de la grande m?tallurgie datent du milieu du xvme si?cle, quand des ma?tres

de forges de l'Angleterre du Nord vinrent fonder des mines, dans les comt?s

de Monmouth et de Glamorgan, aupr?s des mines de charbon. Ce sont les

houill?res qui, par la quantit? et la qualit? de leur charbon, constituent la

base fondamentale de la m?tallurgie ; car, d?s 1820, les hauts fourneaux

gallois doivent d?j? importer des minerais ?trangers. L'extraction du charbon

elle-m?me ne devint intense que durant la derni?re d?cade du xvine si?cle,

quand les canaux des comt?s charbonniers eurent permis des communications

faciles et assez rapides entre les mines de l'int?rieur et les ports : comme par

tout, pas d'extraction de charbon possible sans les moyens de transporter la production. En 1828, le Pays de Galles exportait d?j? 904 890 tonnes de

charbon, surtout par Newport et Swansea. En 1833, plus de trois cents cha

lands ?taient occup?s ? transporter le charbon entre Merthyr Tidvil et Cardiff.

Mais cette flottille ne suffisait pas ? emp?cher les ? embouteillages ?, et il

fallut en 1836 construire le chemin de fer de Merthyr Tidvil ? Cardiff (Taff Vale Railway) pour ?vacuer le charbon ; bient?t suivit la construction de

tout un r?seau de voies ferr?es qui remontent et desservent toutes les vall?es

houill?res. Aussi l'exportation du charbon de Cardiff passa de 313 000 tonnes

en 1840 ? 1 142 366 en 1860, ? 9 481 802 en 1890, ? 19 328 833 en 1913. De

m?me, Mr Jones d?crit, s'appuyant toujours sur les documents de l'?poque, l'?volution des ports gallois et le mouvement de la population galloise en

fonction du d?veloppement industriel du pays. A. Demangeon.

?conomie de l'Europe slave.

On sait que Y Institut d'?tudes slaves a entrepris une suite de traductions,

qui mettront ? la port?e du public fran?ais les ouvrages fondamentaux d'une

litt?rature historique jusque-l? inaccessible ? la plus grande partie d'entre

nous. La tr?s utile Histoire ?conomique de la Pologne avant les partages de

M. Jan Rutkowski vient de prendre place dans cette collection1. L'initia

tive de l'Institut est si louable, elle t?m oigne d'un sens si avis? des besoins les

plus pressants de la culture historique, elle rend ? nos ?tudes, en un mot, de

si pr?cieux services, que l'on ?prouve quelque scrupule ? devoir exprimer au

sujet de son ex?cution, dont les difficult?s n'?chapperont ? personne, une

critique, m?me l?g?re. Il y aurait pourtant quelque injustice envers M. Rut

kowski ? ne pas dire franchement que le lecteur ? f?t-il absolument inca

pable de confronter les deux textes, fran?ais et polonais ? a l'impression de

n'apercevoir l'ouvrage original qu'? travers une vitre un peu brouill?e. La

1. Paris, Champion (Institut d'?tudes slaves de l'Universit? de Paris. Biblioth?que polo naise, I), 1927, in-8?, xii-268 p. Il faut y joindre-l'article que M. Rutkowski a publi? dans la Revue d'Histoire ?conomique et sociale, t. XV (1926) et XVI (1927), sous le titre : Le r?gime agraire en Pologne au XVIII* si?cle ; on trouvera, dans cet important m?moire, un grand nombre de d?tails concrets, qui compl?tent utilement le livre et en font regretter parfois l'in?vitable bri?vet?.

Page 165: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

148 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

traduction n'est ni ?l?gante, ni toujours claire, et les termes techniques sont

rendus avec une insuffisante fid?lit?.

Le livre lui-m?me, extr?mement instructif et d'un int?r?t qui jusqu'? la

derni?re page ne faiblit pas, se pr?te malais?ment ? l'analyse. A quoi bon, du

reste, le r?sumer ? Mieux vaut chercher ? mettre l'accent sur la m?thode suivie

et les principaux probl?mes soulev?s.

La r?partition des mati?res est conforme aux habitudes courantes. Deux

p?riodes, les deux p?riodes traditionnelles : a le moyen ?ge ? ; ? l'?re moderne ?.

A l'int?rieur de chacune de ces grandes sections chronologiques, le classement,

?galement usuel, par ? esp?ces de la production ?

(pour employer le langage de

M. Simiand) : agriculture, industrie, commerce ; puis quelques chapitres ? non endivisionn?s ? : population (il faut remercier vivement M. Rutkowski

de n'avoir pas n?glig? cette question, si importante et si difficile ? traiter) \

villes, monnaies, finances. Il semble bien que M. Rutkowski ait ?prouv?, au

sujet de ce d?coupage, les doutes qui ne peuvent manquer d'assaillir tout

historien aux prises avec le douloureux probl?me de la classification ?cono

mique (voir rIntroduction, p. xi et suiv.). S'il s'en est tenu, malgr? tout, au

syst?me commun?ment admis, c'est moins par conviction intellectuelle que

pour des motifs tout pratiques : il a jug? commode de suivre le plan adopt?

par la plupart des monographies sur lesquelles il s'appuyait ; il a vraisem

blablement crrint de d?router son lecteur. Raisons d'un grand poids, sans

dou?e. Quel dommage pourtant qu'il ne se soit pas senti plus d'audace I

Puisque, de son propre avis, les faits agraires eurent, en Pologne, une ? impor

tance? toute ?sp?ciale?, n'aurait-il pas pu trouver dans l'?volution rurale

et, plus pr?cis?ment, dans le passage si caract?ristique de l'exploitation sei

gneuriale ? l'exploitation domaniale (Grundherrschaft et Gutsherrschaft des

historiens allemands), le principe d'une division dans le temps, d'ordre vrai

ment ?conomique ? Le trait de s?paration se serait en ce cas plac? plut?t au d?but qu'? la fin du xve si?cle. Surtout, comment, si justement attentif

? l'histoire mon?taire, s'est-il r?sign? ? suivre le vieil errement qui fait de la

monnaie, en histoire ?conomique, une esp?ce d'?piph?nom?ne que, faute de

savoir tr?s bien o? le placer, on rel?gue vers la fin de l'expos? ? N'est-ce pas se condamner ? masquer toute une s?rie de relations essentielles ? Ces obser

vations ne sont pas particuli?res ? M. Rutkowski. Bien d'autres ouvrages les

appellent ; nous aurons l'occasion d'y revenir.

Parmi les principaux probl?mes ?tudi?s, qui ne sauraient ?tre tous retenus

ici, deux m'ont paru entre tous capitaux : la place de la Pologne dans les

courants commerciaux ; l'?volution agraire. Pendant la plus grande partie du moyen ?ge, la Pologne avait ?t? un des

interm?diaires du commerce, par voie de terre, entre l'Europe du Centre, du

Nord et de l'Ouest d'une part, 1'? Orient? de l'autre. Depuis le xve si?cle, et

malgr? quelques tentatives de reprise par la suite, ces relations p?riclit?rent. La vie commerciale du pays se tourna presque tout enti?re vers la Baltique. Un fait, mentionn? pour la premi?re fois en 1497, est entre tous significatif :

jusque-l? les produits du Levant arrivaient en Pologne par les routes du Sud

Est ; d?sormais ils font le grand d?tour ; ce sont les pays d'Occident qui les

1. Quelques mots d'introduction g?ographique auraient ?clair? l'histoire de l'occupa tion du sol.

Page 166: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

?CONOMIE DE L'EUROPE SLAVE 149

transmettent au bassin de la Vistule (p. 59). L'importance prise par les com

munications maritimes, dans les derniers si?cles du moyen ?ge, se rattache ?

toute une s?rie de ph?nom?nes qui commencent aujourd'hui ? nous ?tre fami

liers. Moins g?n?ralement connues peut-?tre, les anciennes liaisons terrestres

entre la Pologne et l'immense arri?re-pays de la mer Noire prouvent, une fois

de plus, que, ? c?t? de la M?diterran?e, les routes continentales, en direction Est

Ouest, ou Sud-Est?Nord-Ouest, ont jou? longtemps un r?le important. Tout

ce trafic de l'Ukraine, des Balkans et du Danube m?riterait d?cid?ment

une ?tude approfondie. Aux origines de l'histoire agraire polonaise, un probl?me, destin? peut

?tre, faute de documents, ? rester ?ternellement obscur : l'?tablissement du

r?gime seigneurial. M. Rutkowski semble attribuer une importance pr?pond? rante ? l'action de l'?tat. Mais n'y aurait-il pas eu un grand int?r?t ? se deman

der de quels ?l?ments ?- fonctionnaires royaux, anciens chefs de villages ou de

clans, etc. ? se forma la classe des seigneurs ? Ici le probl?me de classe semble

fondamental. On doit le poser ; ce n'est pas ? dire qu'on puisse le r?soudre.

Pour l'Occident, pouvons-nous donner la solution ? Nous oublions m?me quel

quefois l'?nonc?1. J'ai d?j? fait allusion plus haut ? la grande transfor

mation qui, vers la fin du moyen ?ge et au d?but des temps modernes, subs

titua, en Pologne, ? un r?gime seigneurial fond? surtout sur les redevances,

un syst?me o? le faire-valoir direct du seigneur et par suite les corv?es pren nent une place pr?pond?rante. M. Rutkwoski a admirablement d?crit, dans

toutes ses nuances, cette ?volution. Excellente analyse ?galement des tenta

tives de r?forme, qui agit?rent l'opinion, peu avant les partages. ?? et l?, dans cette derni?re partie de l'?tude, on note un penchant, ? mon go?t, un

peu trop marqu?, pour des interpr?tations de style marxiste ; les int?r?ts

?conomiques, plus ou moins consciemment sentis, suffisent-ils ? expliquer l'at

titude des groupes oppos?s ? On est d'autant plus ?tonn? de cette simplifica tion excessive que, par ailleurs, M. Rutkowski a prouv? qu'il appr?ciait, ? sa

juste valeur, le facteur proprement psychologique. Nul mieux que lui n'a

montr? que, dans la Pologne du xvine si?cle, le principal obstacle au d?ve

loppement de la grande entreprise rurale de forme capitaliste r?sidait avant

tout dans Y ? esprit non capitaliste? de la noblesse. Les petits seigneurs pr?f?

raient la routine des corv?es, qui leur assurait, sans d?bours et sans risques, un revenu m?diocre, ? l'introduction d'un large r?gime de salariat. Celui-ci,

plus avantageux en soi, e?t n?cessit? l'?tablissement, entre les d?penses et

les recettes, d'un ?quilibre d?licat, sans cesse pr?t ? se rompre; ces difficult?s

et ces dangers effrayaient des hommes qui ne se sentaient pas l'?me de grands brasseurs d'affaires (V. notamment R?gime agraire, p. 45-46 du tirage apart). Bien entendu, la tendance des seigneurs ? ?tendre leurs exploitations propres n'est pas, ? la fin du moyen ?ge, un fait sp?cifiquement polonais ; voyez non

seulement l'Allemagne du Nord, mais aussi l'Autriche, l'Angleterre, m?me la

France; les rentiers du sol avaient partout d'excellentes raisons de ne pas ?tre satisfaits du produit des redevances. Faut-il reprocher ? M. Rutkowski

1. On notera que, au xviii* si?cle, noblesse et classe seigneuriale ne se confondaient pas absolument : la toute petite noblesse n'avait pas de tenanciers (R?gime agraire, p. 26-27). Quelques indications suppl?mentaires sur la condition juridique des paysans eussent rendu leur histoire ?conomique plus facile ? saisir.

Page 167: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

150 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

de ne pas avoir suffisamment fait sentir ? son lecteur que le ph?nom?ne, tr?s

g?n?ralement europ?en, ne peut s'expliquer que par des causes g?n?rales ?

L'essentiel est qu'il nous ait fourni sur l'aspect polonais de ce large mouve

ment des renseignements abondants, pr?cis et certains. Sur ce point, comme

sur beaucoup d'autres, l'histoire ?conomique compar?e tirera de son ouvrage

des lumi?res pr?cieuses1. Ce que nous lui devons avant tout, ce sont des

remerciements.

Marc Bloch.

On pourrait s'?tonner de voir inaugurer les comptes rendus des publica tions ?conomiques et sociales tch?ques par un livre

- qui porte comme titre

le nom du grand guerrier de l'?poque hussite. Mais ce titre nous apprend aussi que l'auteur entend d?crire l'?poque m?me pendant laquelle Zizka

grandit. Pekar qui, en Tch?coslovaquie, a fray? la voie ? l'?tude de l'histoire

?conomique, se rend compte en effet que la r?volution hussite (en quoi elle

est du moyen ?ge encore) comporte d'importants facteurs sociaux. Et,

lorsqu'on ferme son livre, on comprend pourquoi, plus que les autres uvres

historiques r?centes, il a provoqu?, de la part des savants comme des non sp?

cialistes, tant de discussions et de r?flexions critiques : elles portent essen

tiellement sur une d?finition de la d?mocratie de Tabor sensiblement diff?

rente de la conception traditionnelle.

L'auteur, pour qualifier sa m?thode, l'appelle une ? confrontation de

t?moins? et une ?documentation d'?poque?. Il a entrepris une r?vision

presque compl?te des sources, de sorte que son livre peut servir de manuel

historiographique de l'histoire tch?que au xve et partiellement au xvie si?cle.

Il s'est servi quelquefois de sources nouvelles, mais elles comptent peu. Ce

qui importe davantage, il fournit souvent une interpr?tation nouvelle de

mat?riaux d?j? connus. Il laisse parler abondamment ses sources, pour saisir

les opinions que professaient les contemporains sur la r?volution hussite, et surtout sur le parti radical des Taborites ; ceci fait, il ne laisse pas que

d'exprimer, avec nettet?, son propre point de vue et sa conception person nelle ; mais, pour ne pas prononcer sur ses id?es un jugement pr?cipit?, il faut

attendre la publication du tome III : il nous apportera des conclusions aux

quelles n'ont pas donn? lieu les deux premiers volumes. Si nous publions

quand m?me le compte rendu d'un livre inachev?, ce n'est pas seulement

pour suivre l'actualit? ; c'est que le tome I nous pr?sente d?j? des conclusions

que l'auteur lui-m?me d?clare d?finitives.

1. Les historiens du colonat et du servage feront bien de m?diter ses justes observations sur l'extr?me difficult? que les seigneurs polonais ?prouv?rent a faire du principe de ? l'at tache ? la gl?be ? une r?alit? ; l'?tat ?tait trop faible, sa police trop insuffisante pour que le serf fugitif f?t, en g?n?ral, rejoint ou le propri?taire qui l'avait accueilli contraint de le restituer (flistoire, p. 104 et 123 ; R?gime agraire, p. 13). D'un point de vue plus stricte

ment ?conomique, on notera un effort des plus int?ressants pour calculer la part respec tive du seigneur et des tenanciers dans les produits du sol. Cf.. outre R?gime agraire, p. 60 et suiv., l'article paru dans la Revue de Synth?se historique, t. XLIII, 1927, sous un titre quelque peu trompeur : Le probl?me de la synth?se dans l'histoire ?conomiijue. Il y a l? l'indication d'une m?thode f?conde, qui m?riterait d'?tre appliqu?e aux faits fran?ais.

2. Josef Pekar, Zizka a jeho doba (Zizka et son ?poque, t. I : L'?potme en rapport parti culier avec Tabor ; t. II : Jean Zizka), Praha, 1927-28, in-8?, 283 et 279 p.

Page 168: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

?CONOMIE DE L'EUROPE SLAVE 151

Elles constituent un chapitre sp?cial sous le titre : ? Les id?es sociales et

politiques contenues dans le taborisme?. Jusqu'alors pr?valait l'opinion du

p?re de l'histoire tch?que, Palacky, formul?e au milieu du xixe si?cle : les

Taborites ?taient des d?mocrates. A ce jugement, l'historien allemand Bezold

apporta d?j? quelque att?nuation : les Taborites ?taient, dit-il, d?mocrates en th?orie ; ils ne l'?taient point en pratique. Pekar, lui, qui ?claircit et classe

des id?es, distingue trois p?riodes ou trois conceptions dans le d?veloppement

du parti taborite.

Ni la th?orie ni la pratique des Taborites n'indiquent, nous dit-il, une

tendance au d?mocratisme. Les pr?tres taborites eux-me mes distinguaient ? trois esp?ces de peuple

? : clerg?, noblesse et sujets, ? ces derniers ayant

pour devoir de nourrir les premiers. Et ces distinctions qui s?paraient surtout

les paysans ? la classe la moins ?lev?e ? de la grande et petite noblesse et

des habitants des villes ?taient en vigueur m?me aux di?tes et dans l'arm?e.

Pareillement on ne peut appeler d?mocratiques les opinions de quelques

th?oriciens, Stitny, Hus et autres, qui demandaient que le ma?tre f?t pour ses sujets bon et cl?ment ; elles ne les emp?chaient pas de vouloir maintenir

l'ordre juridique et social d'alors : le sujet devait rester sujet. Seul Chelcicky

alla plus loin en r?clamant une soci?t? exempte de distinctions sociales, ?cono

miques et m?me intellectuelles. Mais m?me l? il ne faut pas voir une mani

festation de pens?e d?mocratique ; c'est une conformit? avec l'?criture sainte ? et les Taborites combattaient sa doctrine. Ils combattaient ?galement les

id?es chiliates, apparues au d?but m?me de la r?volution de 1420 et qui, seules

? l'?poque du taborisme, furent une manifestation vraiment d?mocratique :

elles tendaient ? la suppression du servage, de toutes les diff?rences sociales

et des imp?ts. Ce mouvement engendr? par des id?es mystiques et qui tra

duisait de chim?riques aspirations au royaume de Dieu sur terre, ?tait faible

et n'a dur? que quelques mois. Il put attirer les paysans, encore qu'au d?but

du xive si?cle, d'apr?s Mr Pekar, leur situation ?conomique ne f?t pas mau

vaise ; de sorte que leur participation au mouvement s'explique plus par une

crise de conscience personnelle que par leur mis?re collective et mat?rielle.

Mais, d?s que les Taborites furent organis?s militairement et eurent consolid?

leur puissance, ils devinrent pour les paysans des ma?tres au m?me titre que

leurs anciens seigneurs. Dans leur m?tropole, Tabor, et en d'autres lieux

encore, ils se constitu?rent ? la fa?on d'une commune et maintinrent dans

leur arm?e la distinction des bourgeois et des paysans, ces derniers restant

socialement et juridiquement inf?rieurs aux autres.

Par ailleurs, la situation alla s'empirant pour la classe paysanne. La r?vo

lution hussite faisait sienne une revendication sociale qui devint presque

l'affaire capitale du mouvement. Elle demandait la suppression des domaines

de l'?glise. Bien entendu, cette revendication avait des raisons d'ordre sur

tout religieux ; on imputait aux grandes propri?t?s les d?sordres du clerg?.

Les grandes possessions de l'?glise furent donc effectivement supprim?es.

Mais cela ne soulagea pas les sujets. Ils ne firent que changer de seigneurs et

finirent par s'apercevoir que les nouveaux ?taient moins cl?ments que les

anciens, les gens d'?glise ; le paysan souffrit par surcro?t de ce fait que ce

grand changement dans le syst?me de la propri?t? augmenta la richesse, le

pouvoir et les pr?tentions d'une noblesse qui d?sormais prit parti m?me contre

Page 169: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

le roi et l'emporta souvent, alors qu'il essayait de prot?ger les sujets contre

elle.

Ces cons?quences mat?rielles et sociales assez p?nibles de la r?volution

confirment l'auteur dans le jugement qu'il porte sur la d?mocratie hussite.

Cette c?l?bre p?riode de l'histoire tch?que finit par la bataille de Lipany, en

1434, o? le parti radical des Taborites fut vaincu par le parti plus mod?r? des Pragois. Palacky regrettait cette d?faite ; il y voyait une d?faite de la d?mocratie tch?que. Pour Mr P?kar, au contraire, les Taborites furent sim

plement une bourgeoisie radicale et les Pragois, en l'emportant sur elle, se

d?barrass?rent de l'?l?ment destructeur qui jusqu'alors emp?chait la conso

lidation du pays. Les Taborites ne connurent pas la d?mocratie dans le sens

moderne de ce mot, mais seulement la th?ocratie repr?sent?e surtout par Zizka :

c'est la conclusion du chapitre sur la situation sociale, mais aussi la conclu

sion de tout le livre et l'auteur y parvient par sa ? confrontation des t?moins ?.

Elle se r?f?re au portrait qu'il nous trace de Zizka. Jusqu'? pr?sent, on voyait en lui un hobereau, qui, frustr? de sa petite propri?t? par un voisin puissant, le seigneur de Rozmberk, s'?tait veng? de lui en suscitant de petites ?meutes. Niant le motif de la vengeance, Mr Pekar d?montre que Zizka fut

un soldat mercenaire qui prenait part aux luttes civiles des nobles, luttes

habituelles dans la soci?t? tch?que d'alors. Le portrait d?finitif de Zizka ne sera d'ailleurs trac? que dans le tome III.

Il n'y a pas de doute que les conceptions de Palacky sur la d?mocratie vaincue ? Lipany demandent ? ?tre r?vis?es, de m?me qu'ant?rieurement d?j? a d? ?tre revue et r?fut?e sa conception romanesque de la d?mocratie des anciens Slaves et des anciens Tch?ques aux origines de leur histoire. On trouverait difficilement, pour op?rer cette r?vision, quelqu'un de plus qualifi? que Mr Pekar. Il est aujourd'hui le ma?tre de l'histoire tch?que ; il ?crit un style admirable ; il est enfin un patriote du caract?re le plus noble : on pourrait difficilement le soup?onner de vouloir ? plaisir d?truire des images et des id?es, qui, dans la lutte nationale s?culaire pour l'ind?pendance, ont ?t? souvent d'un puissant appui. Mais Mr Pekar est en m?me temps un esprit conservateur. R?agissant vivement aux probl?mes du jour, il les juge volon tiers en partisan de l'aristocratie (non point de la noblesse en g?n?ral, mais de ceux qui sont, ou devraient ?tre, les meilleurs). Son z?le l'entra?ne parfois ?

d?passer la mesure. Et pareille aventure lui est d?j? survenue, par exemple quand il a d?fendu la contre-r?forme catholique des xviie-xvme si?cles et son saint attitr?, Jean N?pomuc?ne,

? ou bien quand, manifestant sa pr?f? rence pour l'aristocratie, il s'est prononc? contre la r?forme agraire. Le livre sur Zizka est influenc? pareillement par les probl?mes aigus de notre ?poque. L'auteur lui-m?me, dans un passage, ?tablit une comparaison entre les faits qu'il ?tudie et la r?volution russe. Sa r?pugnance pour le radicalisme exag?r? et la d?mocratie mal comprise de l'?poque contemporaine ne peut naturel lement que l'affermir dans son opinion hostile au parti taborite,

? encore que sa conception soit chez lui d'ancienne date. Cette fois, cependant, je crois le conservatisme de Mr Pekar plus acceptable, plus mod?r?, plus r?fl?chi que dans les deux exemples cit?s plus haut. Ce n'est pas la premi?re fois que, apr?s un certain laps de temps, et les circonstances s'?tant modifi?es, une ?poque de r?volution se voit juger d'une fa?on nouvelle : qu'on songe aux appr?cia

Page 170: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

?CONOMIE DE L'EUROPE SLAVE 153

tions diverses qu'a suscit?es la R?volution fran?aise. Mr Pekar veut modifier

la conception de la d?mocratie dans le hussitisme et ajouter des traits nou

veaux ? la physionomie de Zizka. Je crois, quant ? moi, que cela ne porte

pas pr?judice ? notre histoire. Des id?es qu'apporte l'historien, beaucoup seront sans doute r?vis?es ? la suite des discussions en cours et dont nous

essaierons de donner un compte rendu aussit?t que le tome III aura ?t? publi?. Pour ne parler que de la situation sociale, il faudra sinon repousser ses conclu

sions, du moins les approfondir. Nous sommes trop loin de bien conna?tre

l'?volution de la question paysanne aux xive et xve si?cles pour ?tre ? m?me

d'appr?cier ? sa juste valeur l'influence qu'a exerc?e sur elle la r?volution

hussite. En attendant, il est difficile de dire si, en dehors des motifs religieux, c'est la mis?re mat?rielle qui poussa les paysans ? la r?volution ou bien si

au contraire une situation satisfaisante leur avait permis de s'occuper davan

tage des choses de l'esprit. Et pareillement les r?sultats ?conomiques et

sociaux de la r?volution nous sont toujours mal connus. Malgr? l'existence de

plusieurs travaux r?cents, on ne peut consid?rer le chapitre de Mr Pekar

comme d?finitif. Je pense qu'il faudra avoir recours, plus fr?quemment qu'on ne l'a fait jusqu'? pr?sent, ? la m?thode comparative et juger la situation

en Boh?me par rapport ? celle des pays voisins, et particuli?rement des pays situ?s ? l'Ouest de la Boh?me. Il faudra aussi donner une d?finition de la

d?mocratie d'alors, et en ?tablir ?ventuellement les degr?s en Boh?me par

comparaison avec les pays voisins, ?

compte tenu, bien entendu, de toutes les

diff?rences de leur ?volution respective. C'est par cette m?thode seulement

qu'on pourra mesurer les cons?quences qu'a eues la r?volution hussite pour le d?veloppement social en Boh?me.

V. Cerny.

L'?tude des budgets ouvriers a pris, en Russie, au cours de ces derni?res

ann?es, un d?veloppement consid?rable. Avant la guerre, ce domaine ?tait

rest? presque totalement inexplor?, sauf pendant la p?riode qui suivit la

r?volution de 1905. D?s le d?but de la r?volution de 1917, la question fut

mise ? l'ordre du jour. On l'a agit?e, sans m?thode pr?cise, d'ailleurs, dans

les premiers num?ros de la Statistique du travail1. Mais pendant la guerre

civile, des recherches de cet ordre devinrent rapidement ? peu pr?s imprati cables : comment, en effet, ?tablir le budget des recettes d'une famille

ouvri?re dont les membres ?taient souvent dispers?s et dont les salaires

?taient pay?s, tr?s irr?guli?rement, en un papier dont la valeur variait avec

une rapidit? d?concertante ? Comment tenir un compte tant soit peu pr?cis, non seulement des fournitures en esp?ces, mais encore des ressources diverses

telles que la vente d'ustensiles de m?nage, l'apport de vivres provenant de

parents vivant dans les campagnes ?

Depuis l'introduction de la nouvelle politique ?conomique et surtout

depuis la r?forme mon?taire du d?but de 1924, les enqu?tes sur les budgets

ouvriers ont pu se faire en partant de donn?es parfois sujettes ? caution, mais,

1. Statistiha truda. Moscou (depuis 1913 ; mensuel).

Page 171: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

154 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

en tout cas, plus susceptibles de contr?le. Aussi toute une litt?rature s'est-elle

d?j? constitu?e qui, malgr? ses d?fauts, offre un int?r?t capital.

Les budgets ouvriers sont un des sujets les plus souvent abord?s dans la

revue du Bureau Central de la Statistique du Travail (organe commun au

Conseil Central des Syndicats, au Commissariat F?d?ral du Travail et ? l'Administration Centrale de la Statistique) : Statistique du travail. Il n'est

gu?re de num?ro de cette revue mensuelle qui ne consacre un article ou deux

? ces questions. Il en est de m?me pour la revue ukrainienne de la statistique

du travail et aussi pour le bulletin mensuel de la statistique du travail du

d?partement de Moscou1.

En plus de ces articles de revue, il existe d?j? un bon nombre d'ouvrages et de brochures consacr?s ? l'?tude des budgets ouvriers ? certaines ?poques,

pour des professions ou des r?gions particuli?res. Citons : Pollak, Les

budgets des ouvriers et employ?s au d?but de 19232. ? Gukhman et B?lenky,

Le budget de l'ouvrier de l'industrie p?troli?re de Bakou au d?but de 1923*,

ouvrage tr?s consid?rable ; de m?me celui de Stopani, L'ouvrier de l'industrie

p?troli?re et son budget*. ? Pour la r?gion de Toula : Evreinov, Comment

vit l'ouvrier5. ? La brochure de Minc, Comment vit le ch?meur* doit au groupe

qu'elle ?tudie un int?r?t tout particulier. ?

Enfin, dans les ouvrages consa

cr?s aux conditions du travail, en g?n?ral : Le travail dans VU. R. S. S. en

1922-19247 ; Le travail dans VU. R. S. S. en 1924-1926*', Le travail dans le

d?partement de Moscou en 1923-19259, etc.. il y a toujours un chapitre qui traite longuement la question des budgets ouvriers.

Il manquait cependant jusqu'ici un ouvrage d'ensemble sur l'?volution des

budgets ouvriers depuis un certain nombre d'ann?es. Cette lacune se trouve, dans une certaine mesure, combl?e par la brochure d'OvsiANNiKOv, Comment

vit l'ouvrier en U. R. S. S.10, qui fait partie d'une collection ?dit?e par le Com

missariat du Travail : Les questions du travail en chiffresu. Cette ?tude fournit

des donn?es jusqu'en 1927. Le fait capital qu'elle met en lumi?re, c'est que le

salaire joue dans les recettes familiales une part de plus en plus consid?rable :

ceci d?note un assainissement marqu? des conditions de la vie ouvri?re. Les

assurances sociales fournissent ? peu pr?s 7 p. 100 du total des recettes. La

part des prestations d'assurance incapacit? temporaire est du reste pr?pon d?rante ; celle des prestations d'assurances ch?mage et invalidit? est beau

coup plus faible.

Nous venons de dire que le fait que le salaire joue un r?le pr?dominant dans le budget des recettes prouve que les conditions de vie se r?gularisent :

cependant la vente de biens personnels et les emprunts entrent encore en

ligne de compte pour 8 p. 100 dans le total. Les ? c?t?, tels que le produit du

1. Bulletin statistiki truda. Moscou (depuis 1921). 2. P. Pollas, Budgety rabocikh i sluzaisckh knacalu 1923 goda, Moscou, 1924, 45 p. 3. B. GuKHMAN et V. Beleis'KU, Budget rabo?ego Bakinshoj nef te promyslenvosii v

natale 1923 goda, Moscou, 1925, 299 p. 4. A. Stopani, Rabocij neftjanoj promyslennosh i ego budget, Moscou, 1924, xx-17l p. 5. N. EvREiNOv, Kak ?ivet rabocij, Moscou, 1925, 146 p. 6" L. Mino, Kak zivet bezrabotni-j, Moscou, 1927, 97 p. 7. Trud v SSSR v 1922-24, Moscou, 1925, p. 172-202. 8. Trud v SSSR v 1924-25, Moscou, 1926, p. 118-145. 9. Trud v Moskovskoi gubermi u 192.3-25, Moscou, 1926, p. 231-271. 10. Kak fivet rabocij v SSSR, Moscou, 1928, 75 p. 11. Voprosy truda v cifrakh.

Page 172: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

?CONOMIE DE L'EUROPE SLAVE 155

jardinage, l'?levage de volailles, etc., les travaux ? domicile occupent une

place de moins en moins importante. En ce qui concerne le budget des d?penses, la part la plus consid?rable

est occup?e par la nourriture ; elle diminue n?anmoins (de 50 p. 100 il y a

quelques ann?es, elle est tomb?e ? 40 ou 45 p. 100 en 1927). La qualit? de

l'alimentation subit une modification int?ressante, que des diagrammes fort expressifs mettent bien en lumi?re. Il se fait une consommation crois

sante de pain blanc, de viande, de beurre et d'ceufs.

Pour le v?tement, les d?penses se montent ? 25 p. 100 du total, ce qui

para?t ?tre environ deux fois plus qu'avant-guerre ; mais, ? mesure que les

familles reconstituent leur garde-robe r?duite ? un minimum pendant les

p?riodes pr?c?dentes, ce chapitre de d?penses tend ? diminuer d'importance relative.

Le logement absorbe environ 12 p. 100 des ressources, ce qui est moins

qu'avant la guerre ; mais cette comparaison est ?videmment fauss?e du fait

que la population ouvri?re est plac?e ? un r?gime de faveur au point de vue

des loyers. Si certains aspects du probl?me du logement pr?sentent une am?

lioration (services communaux), le fond de la question ? ? savoir le

cube d'air ? est loin d'?tre r?solu de fa?on satisfaisante. Il est patent que les

familles ouvri?res sont et seront longtemps encore log?es dans des apparte ments tout ? fait insuffisants.

Pour les objets m?nagers, la m?me remarque s'impose que pour les v?te

ments : les ouvriers doivent encore se fournir de tout ce qui leur a fait d?faut

pendant longtemps.

Quant aux distractions, elles occupent en moyenne 3,6 p. 100 dans les

d?penses. Dans l'ensemble, les budgets ouvriers augmentent assez r?guli?rement

depuis la fin de 1922. Exprim?s en unit?s fictives, ? les roubles budg?taires

qui ont le m?me pouvoir d'achat que le rouble d'avant-guerre, ? ils se sont

?lev?s de 33,2 par mois en 1923 ? 52,4 en novembre 1925, pour retomber ?

51 en novembre 1926, par suite d'un rel?vement assez sensible de l'indice des

prix. Pendant la m?me p?riode, les budgets des d?penses ont vari? de 32,6

? 52,2 et ? 50,4 K Cette brochure donne ainsi un bon r?sum? de la variation des budgets

ouvriers ; mais ce n'est qu'un ouvrage de vulgarisation dans lequel l'expos? des m?thodes suivies pour l'?tablissement et l'utilisation des donn?es brutes

manque presque compl?tement. On peut la compl?ter, ? ce dernier point de

vue, par le petit ouvrage de Mikhalevsky, Le budget ouvrier2, qui s'occupe

davantage de m?thodologie. Sans contredit, l'ouvrage le plus int?ressant et, dans un certain sens, pas

sionnant est celui de Kabo, Essais sur la vie ouvri?re* dont la premi?re partie

seulement, relative ? 1924-1925, a paru en 1928 ; la seconde partie est sous

presse. L'expos? de la m?thodologie, dans les trois premiers chapitres, est

d?j? ? lui seul extr?mement instructif. Ces trois chapitres donnent de la com

1. Notons que la politique des logements tend ? ramener les loyers ? un niveau ?cono

miquement mieux con?u : d'o? une augmentation de la part des d?penses locatives dans les budgets ouvriers.

2. L. Mikhalevsky, Rabo?ij budget, Leningrad, 1926, 150 p. 3. E. Kabo, Ocerky rabocego byta, t. I, Moscou, 1923, 290 p.

Page 173: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

156 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

position actuelle des familles ouvri?res et de leurs habitudes un tableau saisis

sant. Il suffira ici de mentionner que l'auteur divise les familles ouvri?res en

quatre groupes : familles ayant conserv? les habitudes d'avant-guerre ;

familles adapt?es ; familles nouvelles ; enfin, pour ainsi dire, familles d'avant

garde. Il serait peut-?tre os? d'accorder ? cette classification une valeur scien

tifique indiscutable ; mais elle rend plus vivant l'ensemble des monographies familiales qui font l'objet des chapitres suivants.

Au point de vue des ressources, les familles enqu?t?es se r?partissent dans

tous les milieux ouvriers : leurs budgets annuels varient en effet de 383 roubles

(tchervonets) ? 1 870. Il n'est pas possible de donner une id?e m?me approxi mative des conditions de vie de tous ces individus. Dans bien des cas la

mis?re est ?vidente ; elle se complique d'habitudes d'ivrognerie. La pauvret? des logements est en tous cas g?n?rale. Comme l'enqu?te se rapporte ? 1924,,

il est possible qu'il y ait eu des changements depuis. Mais il est ? peu pr?s certain que, s'il y a eu des am?liorations, elles n'ont port? que sur la qualit? du logement, non sur sa superficie. C'est dire que les donn?es de Mr Kabo

peuvent encore ?tre consid?r?es comme actuelles. D'apr?s ces donn?es, voici

quelles sont en gros les conditions de logement. En g?n?ral, chaque famille

ne dispose que d'une chambre et demie ; les trois quarts des m?nages ont une

cuisine commune pour plusieurs familles ; les deux tiers ont l'eau courante ;

la moiti? ont le chauffage central ; la plupart ont l'?lectricit?. Dans chaque chambre vivent en moyenne trois personnes ; il en r?sulte que la surface reve

nant ? chacun ne d?passe pas la moiti? de ce que les r?gles sur l'hygi?ne des

habitations consid?rent comme le minimum. Le mobilier est souvent r?duit

? sa plus simple expression ; les enfants couchent souvent sur le plancher

(50 p. 100 des cas), avec ou sans paillasse, ? c?t? des provisions de la famille.

Sur tous les autres chapitres du budget, les donn?es de Mr Kabo rejoignent celles de Mr Ovssianikov, ce qui nous dispense d'y revenir. D'ailleurs, l'int?r?t

de ce livre r?side surtout dans les monographies qui accompagnent le relev?

des comptes de chaque famille. Signalons ? ce propos que la m?thode suivie

pour obtenir ces renseignements repose sur la libre acceptation des int?ress?s.

Le m?nage qui consent ? tenir ses comptes ? la disposition de l'employ? de

la statistique re?oit une gratification assez minime, g?n?ralement un abonne

ment gratuit ? un journal. Le second tome est annonc? ; il doit couvrir une p?riode beaucoup plus

r?cente, comme aussi une r?gion plus ?tendue ; souhaitons qu'il paraisse le

plus vite possible.

G. M?QUET.

?conomie hongroise.

L'histoire sociale pendant le temps des rois de la dynastie d'Arp?d

(xie-xme si?cles) est l'un des probl?mes les plus discut?s de l'histoire de la

Hongrie. C'est alors que, sous l'influence de l'Europe occidentale, l'ancien

syst?me social qui avait ?t? import? d'Asie, se transforme et devient sp?ci

fiquement hongrois. Les recherches de l'historien qui s'occupe de l'histoire

sociale du temps des Arpads portent donc sur une soci?t? en ?tat de fluctua

Page 174: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

156 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

position actuelle des familles ouvri?res et de leurs habitudes un tableau saisis

sant. Il suffira ici de mentionner que l'auteur divise les familles ouvri?res en

quatre groupes : familles ayant conserv? les habitudes d'avant-guerre ;

familles adapt?es ; familles nouvelles ; enfin, pour ainsi dire, familles d'avant

garde. Il serait peut-?tre os? d'accorder ? cette classification une valeur scien

tifique indiscutable ; mais elle rend plus vivant l'ensemble des monographies familiales qui font l'objet des chapitres suivants.

Au point de vue des ressources, les familles enqu?t?es se r?partissent dans

tous les milieux ouvriers : leurs budgets annuels varient en effet de 383 roubles

(tchervonets) ? 1 870. Il n'est pas possible de donner une id?e m?me approxi mative des conditions de vie de tous ces individus. Dans bien des cas la

mis?re est ?vidente ; elle se complique d'habitudes d'ivrognerie. La pauvret? des logements est en tous cas g?n?rale. Comme l'enqu?te se rapporte ? 1924,,

il est possible qu'il y ait eu des changements depuis. Mais il est ? peu pr?s certain que, s'il y a eu des am?liorations, elles n'ont port? que sur la qualit? du logement, non sur sa superficie. C'est dire que les donn?es de Mr Kabo

peuvent encore ?tre consid?r?es comme actuelles. D'apr?s ces donn?es, voici

quelles sont en gros les conditions de logement. En g?n?ral, chaque famille

ne dispose que d'une chambre et demie ; les trois quarts des m?nages ont une

cuisine commune pour plusieurs familles ; les deux tiers ont l'eau courante ;

la moiti? ont le chauffage central ; la plupart ont l'?lectricit?. Dans chaque chambre vivent en moyenne trois personnes ; il en r?sulte que la surface reve

nant ? chacun ne d?passe pas la moiti? de ce que les r?gles sur l'hygi?ne des

habitations consid?rent comme le minimum. Le mobilier est souvent r?duit

? sa plus simple expression ; les enfants couchent souvent sur le plancher

(50 p. 100 des cas), avec ou sans paillasse, ? c?t? des provisions de la famille.

Sur tous les autres chapitres du budget, les donn?es de Mr Kabo rejoignent celles de Mr Ovssianikov, ce qui nous dispense d'y revenir. D'ailleurs, l'int?r?t

de ce livre r?side surtout dans les monographies qui accompagnent le relev?

des comptes de chaque famille. Signalons ? ce propos que la m?thode suivie

pour obtenir ces renseignements repose sur la libre acceptation des int?ress?s.

Le m?nage qui consent ? tenir ses comptes ? la disposition de l'employ? de

la statistique re?oit une gratification assez minime, g?n?ralement un abonne

ment gratuit ? un journal. Le second tome est annonc? ; il doit couvrir une p?riode beaucoup plus

r?cente, comme aussi une r?gion plus ?tendue ; souhaitons qu'il paraisse le

plus vite possible.

G. M?QUET.

?conomie hongroise.

L'histoire sociale pendant le temps des rois de la dynastie d'Arp?d

(xie-xme si?cles) est l'un des probl?mes les plus discut?s de l'histoire de la

Hongrie. C'est alors que, sous l'influence de l'Europe occidentale, l'ancien

syst?me social qui avait ?t? import? d'Asie, se transforme et devient sp?ci

fiquement hongrois. Les recherches de l'historien qui s'occupe de l'histoire

sociale du temps des Arpads portent donc sur une soci?t? en ?tat de fluctua

Page 175: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

SOCI?T?S DE L'EXTR?ME-ORIENT 157

tion et de mobilit? perp?tuelle, ? et ne peuvent d'ailleurs s'aider des recherches

faites et des. r?sultats acquis par les autres pays qu'avec la plus grande pr? caution.

MUe Emma Lederer reprend la question de savoir comment l? classe

ouvri?re s'est form?e en Hongrie1. Nagu?res, on croyait r?soudre le probl?me en disant que les Hongrois consid?raient le travail industriel comme indigne

d'eux, en cons?quence de quoi la classe ouvri?re se serait form?e au cours

des premiers si?cles du royaume hongrois, ? Faide d'?hospites ? immigr?s

de l'?tranger. MUe Lederer d?montre, au contraire, que les serviteurs des

m?nages priv?s comprenaient nombre d'ouvriers industriels, et que ceux-ci

r?ussirent ? s'assurer l'ind?pendance d'abord ?conomique, ensuite sociale,

justement en cons?quence de leur travail industriel. Car, d?s le xne si?cle, le mot? hospes

? ne veut plus dire, en Hongrie, ?tranger, ? mais sert ? d?signer

cette classe d'ouvriers industriels d?j? form?e et dont une partie ne tarda

pas ? s'implanter dans les villes ; s'y m?lant aux immigr?s de l'?tranger, elle y forma la bourgeoisie, qui s'occupa principalement d'industrie et de commerce.

Cette bourgeoisie, toute jeune encore, et bien faible ?conomiquement, se

met d?s le xnie si?cle ? s'organiser et forme des ma?trises pour se d?fendre

aussi bien contre la concurrence que contre les seigneurs. Mais, ces ma?trises

n'ont aucun rapport avec les corporations de l'Europe occidentale ; elles

connurent un d?veloppement ind?pendant ; il n'y eut que les villes du Szepes et de la Transylvanie pour subir, sur ce point, l'influence de l'?tranger et

plus pr?cis?ment de l'Allemagne. Ambroise Pleidell.

(Budapest.)

Soci?t?s de l'Extr?me-Orient.

Mr G.-L. Duprat, dans la deuxi?me partie ?

pour lui la principale ? de

son petit travail sur les castes2, explique l'?tat de la soci?t? indienne par des

consid?rations de sociologie g?n?rale ; il s'agit d'appliquer ? l'Inde une th?orie

de la contrainte sociale r?sum?e dans une note de la page 13. L'attachement

au rite, la pr?dominance de l'id?e de souillures, ce sont l? les contraintes, ren

forc?es par la mollesse et la passivit? du caract?re hindou, qui emp?chent l'Inde d'?voluer vers des solidarit?s ?largies et une adaptation active au

milieu physique. Dans le d?but, Mr Duprat marque justement la diff?rence entre la classe

sociale et la caste : la distribution en classes est un fait ethnique et ?cono

mique, la caste repose sur des conceptions de nature religieuse et svt des

rites ; l'une tend ? constituer de grands ensembles, l'autre ? renforcer le

particularisme ; la contrainte dans le premier cas vient de la soci?t? enti?re,

dans le second elle vient de l'int?rieur de chaque groupe.

Moins juste est la th?orie qu'esquisse Mr Duprat sur la formation des

castes : c'est une ? parent? mystique ?, si l'on veut, mais est-ce celle ? d'une

1. Comment la classe des ouvriers d'industrie s'est form?e en Hongrie (A legr?gibb magyar

iparososzt?ly kialakul?,sa), Budapest, 1928, in-8?, 51 p. 2. Les contraintes sociales dans les castes hindoues (Extrait de la Revue Internationale

de Sociologie, janv.-f?v. 1928, p. 1-14).

Page 176: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

SOCI?T?S DE L'EXTR?ME-ORIENT 157

tion et de mobilit? perp?tuelle, ? et ne peuvent d'ailleurs s'aider des recherches

faites et des. r?sultats acquis par les autres pays qu'avec la plus grande pr? caution.

MUe Emma Lederer reprend la question de savoir comment l? classe

ouvri?re s'est form?e en Hongrie1. Nagu?res, on croyait r?soudre le probl?me en disant que les Hongrois consid?raient le travail industriel comme indigne

d'eux, en cons?quence de quoi la classe ouvri?re se serait form?e au cours

des premiers si?cles du royaume hongrois, ? Faide d'?hospites ? immigr?s

de l'?tranger. MUe Lederer d?montre, au contraire, que les serviteurs des

m?nages priv?s comprenaient nombre d'ouvriers industriels, et que ceux-ci

r?ussirent ? s'assurer l'ind?pendance d'abord ?conomique, ensuite sociale,

justement en cons?quence de leur travail industriel. Car, d?s le xne si?cle, le mot? hospes

? ne veut plus dire, en Hongrie, ?tranger, ? mais sert ? d?signer

cette classe d'ouvriers industriels d?j? form?e et dont une partie ne tarda

pas ? s'implanter dans les villes ; s'y m?lant aux immigr?s de l'?tranger, elle y forma la bourgeoisie, qui s'occupa principalement d'industrie et de commerce.

Cette bourgeoisie, toute jeune encore, et bien faible ?conomiquement, se

met d?s le xnie si?cle ? s'organiser et forme des ma?trises pour se d?fendre

aussi bien contre la concurrence que contre les seigneurs. Mais, ces ma?trises

n'ont aucun rapport avec les corporations de l'Europe occidentale ; elles

connurent un d?veloppement ind?pendant ; il n'y eut que les villes du Szepes et de la Transylvanie pour subir, sur ce point, l'influence de l'?tranger et

plus pr?cis?ment de l'Allemagne. Ambroise Pleidell.

(Budapest.)

Soci?t?s de l'Extr?me-Orient.

Mr G.-L. Duprat, dans la deuxi?me partie ?

pour lui la principale ? de

son petit travail sur les castes2, explique l'?tat de la soci?t? indienne par des

consid?rations de sociologie g?n?rale ; il s'agit d'appliquer ? l'Inde une th?orie

de la contrainte sociale r?sum?e dans une note de la page 13. L'attachement

au rite, la pr?dominance de l'id?e de souillures, ce sont l? les contraintes, ren

forc?es par la mollesse et la passivit? du caract?re hindou, qui emp?chent l'Inde d'?voluer vers des solidarit?s ?largies et une adaptation active au

milieu physique. Dans le d?but, Mr Duprat marque justement la diff?rence entre la classe

sociale et la caste : la distribution en classes est un fait ethnique et ?cono

mique, la caste repose sur des conceptions de nature religieuse et svt des

rites ; l'une tend ? constituer de grands ensembles, l'autre ? renforcer le

particularisme ; la contrainte dans le premier cas vient de la soci?t? enti?re,

dans le second elle vient de l'int?rieur de chaque groupe.

Moins juste est la th?orie qu'esquisse Mr Duprat sur la formation des

castes : c'est une ? parent? mystique ?, si l'on veut, mais est-ce celle ? d'une

1. Comment la classe des ouvriers d'industrie s'est form?e en Hongrie (A legr?gibb magyar

iparososzt?ly kialakul?,sa), Budapest, 1928, in-8?, 51 p. 2. Les contraintes sociales dans les castes hindoues (Extrait de la Revue Internationale

de Sociologie, janv.-f?v. 1928, p. 1-14).

Page 177: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

158 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

phratrie, constitu?e d'abord par cooptation, affiliation...? et rappelant de

pr?s celle des confr?ries d'initi?s ? La caste repose d'abord sur la naissance ;

s'il se forme des castes nouvelles, c'est moins par la volont? de ceux qui la

constituent que par le refus des autres membres de l'ancien groupe de les

reconna?tre; dire que des Musulmans, des Chr?tiens ?se soumettent? au

r?gime des castes ? comme des la?ques au moyen ?ge ont fond? des ordres

nouveaux en faisant adopter par le souverain Pontife la ? r?gle

? adopt?e par

eux? n'est pas exact ; on conserve sa caste en devenant catholique ; et les

corporations, les sectes musulmanes, comme les tribus sauvages entrant dans

l'Hindouisme, apparaissent ? la conscience indienne comme de nouvelles

castes.

Jules Bloch.

Colonisation.

Mr Maurice Satin eau nous donne, chez Payot, une substantielle Histoire

de la Guadeloupe sous l'ancien r?gime (1635-1789), enrichie d'illustrations

bien choisies et qui se lit avec profit et agr?ment1. Son travail est tr?s s?rieu

sement fait ; et on go?tera notamment les explications pr?cises et les indica

tions ? la fois riches et s?res qu'il a donn?es, en appendice, sur les sources

et sur la bibliographie du pays ?tudi?. Il y a l? une quinzaine de pages nour

ries, et qui nous fournissent des renseignements sobres, mais contr?l?s, sur

des hommes comme les p?res Du Tertre et Labat dont les relations sont si pr?

cieuses pour nous ? ou sur les principaux ?crivains, d'autrefois ou d'au

jourd'hui, qui ont consacr? des ouvrages ? la Guadeloupe. En appendice ?ga

lement, un tr?s curieux tableau d?taill? d'un recensement de la Guadeloupe et de ses d?pendances en 1699 : recensement des ??mes? par cat?gories,

mais aussi des ?bestes?, des fabriques (sucreries, raffineries, indigoteries) et ?

pr?occupation int?ressante ? des armes et des munitions au pouvoir des habitants ; le tout dress? par ? quartiers

? et plus explicite que les deux

autres recensements, de 1730 et 1739, que publie ?galement Mr Satineau.

Ce livre r?ellement int?ressant (et qui rel?ve le niveau d'une collection

d'histoires de pays, rest?e jusqu'ici plut?t m?diocre) ne consiste pas en

un simple expos? chronologique des vicissitudes politiques et administra

tives de la Guadeloupe. En une s?rie de chapitres tr?s pleins, et qui int?ressent

directement nos ?tudes, Mr Satineau pose des probl?mes et en examine soi

gneusement les donn?es. Celui de la main-d' uvre, tout d'abord, comprenant au d?but, trois ?l?ments distincts : une main-d' uvre autochtone qui ne fut

jamais rationnellement utilis?e ; une main-d' uvre blanche, compos?e d'en

gag?s ; une main-d' uvre noire, ou m?tiss?e, form?e d'esclaves. Mais ? partir de 1750 environ, la main-d' uvre indig?ne n'existait plus ; l'institution des

engag?s avait disparu ; seuls les esclaves restaient : ils furent, jusqu'? l? fin

de l'ancien r?gime, la seule cat?gorie de travailleurs utilis?e dans l'?le.

D'autres chapitres sont consacr?s au r?gime ?conomique du pays ; au pro

bl?me commercial ; au probl?me mon?taire ; enfin, ? la tr?s grosse question

de la condition mat?rielle et morale des esclaves, ? leur affranchissement et

1. Paris, 1928, in-8?, 400 p.

Page 178: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

158 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

phratrie, constitu?e d'abord par cooptation, affiliation...? et rappelant de

pr?s celle des confr?ries d'initi?s ? La caste repose d'abord sur la naissance ;

s'il se forme des castes nouvelles, c'est moins par la volont? de ceux qui la

constituent que par le refus des autres membres de l'ancien groupe de les

reconna?tre; dire que des Musulmans, des Chr?tiens ?se soumettent? au

r?gime des castes ? comme des la?ques au moyen ?ge ont fond? des ordres

nouveaux en faisant adopter par le souverain Pontife la ? r?gle

? adopt?e par

eux? n'est pas exact ; on conserve sa caste en devenant catholique ; et les

corporations, les sectes musulmanes, comme les tribus sauvages entrant dans

l'Hindouisme, apparaissent ? la conscience indienne comme de nouvelles

castes.

Jules Bloch.

Colonisation.

Mr Maurice Satin eau nous donne, chez Payot, une substantielle Histoire

de la Guadeloupe sous l'ancien r?gime (1635-1789), enrichie d'illustrations

bien choisies et qui se lit avec profit et agr?ment1. Son travail est tr?s s?rieu

sement fait ; et on go?tera notamment les explications pr?cises et les indica

tions ? la fois riches et s?res qu'il a donn?es, en appendice, sur les sources

et sur la bibliographie du pays ?tudi?. Il y a l? une quinzaine de pages nour

ries, et qui nous fournissent des renseignements sobres, mais contr?l?s, sur

des hommes comme les p?res Du Tertre et Labat dont les relations sont si pr?

cieuses pour nous ? ou sur les principaux ?crivains, d'autrefois ou d'au

jourd'hui, qui ont consacr? des ouvrages ? la Guadeloupe. En appendice ?ga

lement, un tr?s curieux tableau d?taill? d'un recensement de la Guadeloupe et de ses d?pendances en 1699 : recensement des ??mes? par cat?gories,

mais aussi des ?bestes?, des fabriques (sucreries, raffineries, indigoteries) et ?

pr?occupation int?ressante ? des armes et des munitions au pouvoir des habitants ; le tout dress? par ? quartiers

? et plus explicite que les deux

autres recensements, de 1730 et 1739, que publie ?galement Mr Satineau.

Ce livre r?ellement int?ressant (et qui rel?ve le niveau d'une collection

d'histoires de pays, rest?e jusqu'ici plut?t m?diocre) ne consiste pas en

un simple expos? chronologique des vicissitudes politiques et administra

tives de la Guadeloupe. En une s?rie de chapitres tr?s pleins, et qui int?ressent

directement nos ?tudes, Mr Satineau pose des probl?mes et en examine soi

gneusement les donn?es. Celui de la main-d' uvre, tout d'abord, comprenant au d?but, trois ?l?ments distincts : une main-d' uvre autochtone qui ne fut

jamais rationnellement utilis?e ; une main-d' uvre blanche, compos?e d'en

gag?s ; une main-d' uvre noire, ou m?tiss?e, form?e d'esclaves. Mais ? partir de 1750 environ, la main-d' uvre indig?ne n'existait plus ; l'institution des

engag?s avait disparu ; seuls les esclaves restaient : ils furent, jusqu'? l? fin

de l'ancien r?gime, la seule cat?gorie de travailleurs utilis?e dans l'?le.

D'autres chapitres sont consacr?s au r?gime ?conomique du pays ; au pro

bl?me commercial ; au probl?me mon?taire ; enfin, ? la tr?s grosse question

de la condition mat?rielle et morale des esclaves, ? leur affranchissement et

1. Paris, 1928, in-8?, 400 p.

Page 179: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

COLONISATION 159

aux cons?quences ?conomiques et sociales du r?gime servile ? la Guade

loupe. Mr Satineau nous montre comment ce r?gime d?termina la dispari tion des petits propri?taires blancs qui d'abord dominaient ? la Guadeloupe comme dans toutes les autres ?les fran?aises : le colon, aid? de deux ou trois

engag?s ou noirs, cultivait le tabac, le gingembre et le roucou, travaillait le

sol ? la charrue et en tirait l'essentiel de son entretien. L'introduction de

l'esclavage fit abandonner ce r?gime et amena le d?veloppement de la grande

propri?t?, une politique d'exportation outranci?re et la culture ? peu pr?s exclusive de la canne ? sucre. Ce qui ne tarda pas ? d?peupler l'?le, comme ses

voisines, et ? l'exposer aux coups de main des puissances ?trang?res. On

trouvera dans le livre de Mr Satineau une ?tude assez nuanc?e de ces r?per cussions des probl?mes de main-d' uvre sur les probl?mes de propri?t? et de

peuplement ? et r?ciproquement. L'ouvrage est moins riche par contre sur

les cons?quences morales, pour les blancs, de la pratique inv?t?r?e du r?gime servile. Sur ce point, il ne nous donne pas l'?quivalent du livre, si vivant, de

Pierre de Vaissi?re sur Saint-Domingue, la Soci?t? et la vie cr?ole sous l'ancien

r?gime (Paris, 1909, in-12), mais, sur tous les probl?mes sp?cialement ?cono

miques que posait l'existence d'une colonie antillaise sous l'ancien r?gime, on trouvera vraiment profit ? ?tudier son livre s?rieux, mesur? et bien inform?.

Lucien Febvre.

Mr Georges Vattier, auteur d'un Essai sur la mentalit? canadienne fran

?aise, a trac? en 128 pages (Paris, Ed. Champion, in-8?), une Esquisse historique de la colonisation de la province de Qu?bec (1608-1925), qui, sans doute, n'est

qu'une esquisse et n'apporte sur aucun point des recherches originales appro

fondies, ? mais qui constitue une vue cavali?re fort satisfaisante d'un sujet

tr?s important et tr?s riche en d?veloppements divers. Une br?ve introduc

tion g?ographique, un r?sum? succinct des d?buts de la colonisation sous le

r?gime fran?ais, de 1608 ? 1763, ne sont l? que pour permettre ? l'auteur d'?tre

complet. Aussi bien se borne-t-il, dans ces trente premi?res pages, ? r?sumer

des ouvrages connus : celui de Salone notamment, sur La colonisation de la

Nouvelle France (1905) ou l'int?ressante ?tude de Munro sur le r?gime sei

gneurial au Canada (Documents relating to the seigniorial tenure in Canada,

Toronto, 1908) ; mais, ? partir de 1760, ces guides lui font d?faut ; il doit aller

de l'avant ? peu pr?s seul, ? et le tableau qu'il trace du peuplement de la pro

vince de Qu?bec sous le r?gime anglais (1760-1925) est en grande partie neuf

et original dans sa bri?vet?. De m?me, les quatre ?tudes qui constituent plus de la moiti? du livre, sur les causes de la colonisation, les obstacles auxquels elle se heurte, l'aide qu'elle re?oit, les r?sultats enfin qu'elle procure : ces

?tudes sont nourries et fort suggestives. Indications curieuses, ?? et l?, sur

l'antagonisme des marchands de bois (souvent favoris?s par les pouvoirs

publics) et des partisans de la colonisation, donc du d?frichement ; sur les

conditions mat?rielles d'existence des colons ; sur l'attitude du clerg?, volon

tiers propagandiste de la colonisation (cf. p. 106-111, croquis int?ressant du

cur? Labelle, ap?tre imp?nitent du peuplement dans les for?ts du Nord), etc.

A la fin, un croquis un peu sch?matique, mais int?ressant des r?gions et des

phases de la colonisation dans la Province de Qu?bec (avec distinction des

Page 180: Annales d'histoire économique et sociale (1929)

160 ANNALES D'HISTOIRE ?CONOMIQUE ET SOCIALE

r?gions colonis?es avant 1760 ; avant 1860 ; entre 1860 et 1925) et des donn?es

statistiques utiles. Conclusions d'un optimisme un peu vague et bibliographie sommaire. Au total un petit livre instructif.

L. F.

Le livre de Mr Andr? Lebon sur la Pacification de Madagascar, 1896-1898,

ne vaut pas tant par le r?cit suivi qui en occupe les cent premi?res pages (et

qui a d?j? ?t? publi? par l'auteur, en 1900, dans un livre sur La Politique de

la France en Afrique de 1896 ? 1898), que par les documents annexes, et surtout

par les lettres que Mr Lebon re?ut, en sa qualit? de ministre des Colonies, des

principaux acteurs d'un drame d?j? bien loin de nous : le r?sident g?n?ral

Hippolyte Laroche qui administra l'?le de janvier ? septembre 1896 ; son

secr?taire g?n?ral, Paul Bourde ; enfin, et surtout, le colonel puis g?n?ral

Galli?ni, qui, ? partir de septembre 1896, concentra dans ses mains la tota

lit? des pouvoirs civils et militaires. On sait comment il parvint, en peu de

temps, non seulement ? r?tablir une situation compromise par l'imp?ritie des uns et les lenteurs des autres,

? mais encore ? faire de Madagascar un

pays ouvert ? la v?ritable colonisation, retenant un nombre appr?ciable de

Fran?ais venus l? par n?cessit? ou hasard de carri?re et marchant dans les

voies d'une saine prosp?rit? ?conomique. Les lettres que publie Mr Andr?

Lebon compl?tent heureusement l'image que d'autres documents nous ont

d?j? laiss?e de ce soldat doubl? d'un organisateur avis? et d'un administra

teur aux vues singuli?rement hautes et larges. L. F.

Le G?rant : R. Philippon.

ORL?ANS. ? IMP. HEMir TESSIER. ? 1-29