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UNIVERSITÉ PIERRE ET MARIE CURIE
(PARIS 6)
FACULTE DE MEDECINE PIERRE ET MARIE CURIE
Année 2015 THÈSE N°2015PA06G050
PRESENTE POUR LE DIPLOME
DE DOCTEUR EN MÉDECINE
Diplôme d’Etat
SPECIALITE : Médecine générale
Par
M. HONG TUAN HA Vivien
Né le 17 Octobre 1984 à Le Blanc-Mesnil (93)
PRESENTEE ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT LE
19 OCTOBRE 2015
Évocation des directives anticipées dans la pratique quotidienne en médecine générale : un séjour en réanimation est-il une bonne opportunité ?
DIRECTEUR DE THESE : Monsieur le Docteur Nicolas LAU
PRESIDENT DE THESE : Monsieur le Professeur Benoît MISSET
- 1 -
UNIVERSITÉ PIERRE ET MARIE CURIE
(PARIS 6)
FACULTE DE MEDECINE PIERRE ET MARIE CURIE
Année 2015 THÈSE N°2015PA06G050
PRESENTE POUR LE DIPLOME
DE DOCTEUR EN MÉDECINE
Diplôme d’Etat
SPECIALITE : Médecine générale
Par
M. HONG TUAN HA Vivien
Né le 17 Octobre 1984 à Le Blanc-Mesnil (93)
PRESENTEE ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT LE
19 OCTOBRE 2015
Évocation des directives anticipées dans la pratique quotidienne en médecine générale : un séjour en réanimation est-il une bonne opportunité ?
DIRECTEUR DE THESE : Monsieur le Docteur LAU Nicolas
PRESIDENT DE THESE : Monsieur le Professeur MISSET Benoît
- 3 -
Monsieur le Professeur Benoît MISSET
Vous me faites l’honneur de présider ce jury de thèse. Je vous remercie pour vos conseils
concernant la constitution du jury.
Madame le Professeur Marie-France MAMZER-BRUNEEL
Je vous remercie d’avoir accepté de faire partie du jury.
Monsieur le Docteur David SAADOUN
Je te remercie d’avoir accepté de faire partie du jury et de m’avoir guidé durant mon
externat.
Monsieur le Docteur Xavier FORCEVILLE
Je vous remercie d’avoir accepté de faire partie du jury, de m’avoir accueilli dans votre
service et pour votre enseignement.
Monsieur le Docteur Laurent BOYER
Je tiens à vous remercier pour votre grande disponibilité et d’avoir accepté de faire partie du
jury.
- 4 -
A mon directeur de thèse
Monsieur le Docteur Nicolas LAU
Je tiens particulièrement à te remercier pour ton aide, ta confiance et pour tes conseils
concernant mon projet professionnel.
Aux personnes ayant contribué à cette thèse
Madame Lucie MIMOUN
Je te remercie pour tes conseils et pour ton regard « plus » humain à l’égard de nos patients.
Les médecins interrogés
Je vous remercie d’avoir consacré du temps pour répondre aux entretiens et pour votre
patience.
- 6 -
À ma mère, pour son soutien indéfectible dans les bons comme les mauvais moments et
pour m’avoir aidé à mon développement personnel et professionnel.
À ma sœur, pour les moments de complicité depuis notre enfance et pour son soutien.
À mon père, pour son intransigeance.
Aux amis du groupe « pitié »: Adrien : Caroline, Clotilde, Eva, Guillaume, Henrique, Jonathan,
Mélanie : Pour tous les moments de détente passés en votre présence et pour tous les
moments à venir.
Aux amis de lycée : Julien et Vinh pour avoir développé mon potentiel « geek ».
Aux autres amis, pour leur bienveillance.
À mes collègues internes et externes, sans qui les stages n’auraient pas été les mêmes.
- 22 -
Évocation des directives anticipées dans la pratique quotidienne en médecine générale : un séjour en réanimation est-il une bonne
opportunité ?
- 23 -
Table des Matières 1. Introduction ............................................................................................................................... - 25 -
1.1. Définition ........................................................................................................................... - 25 -
1.2. Des cas particuliers vers la genèse des lois sur la fin de vie et des directives anticipées . - 25 -
1.3. L’état des lieux des directives anticipées : Une possibilité méconnue ............................. - 31 -
1.4. Objectifs ............................................................................................................................ - 32 -
2. Matériel et Méthodes ............................................................................................................... - 33 -
2.1. Le choix du type d’étude ................................................................................................... - 33 -
2.2. Recrutement ...................................................................................................................... - 33 -
2.3. Réalisation du guide d’entretien ....................................................................................... - 34 -
2.4. Recueil des données/Entretiens ........................................................................................ - 34 -
2.5. Analyse des données ......................................................................................................... - 35 -
2.5.1. Transcription ................................................................................................................. - 35 -
2.5.2. Codage ........................................................................................................................... - 35 -
2.6. Bibliographie...................................................................................................................... - 36 -
3. Résultats .................................................................................................................................... - 37 -
3.1. Population ......................................................................................................................... - 37 -
3.2. Les médecins insuffisamment formés et informés aux directives anticipées ................... - 38 -
3.3. La difficulté d’aborder le sujet est multifactorielle ........................................................... - 40 -
3.4. Initiation de la discussion .................................................................................................. - 44 -
3.5. Concernant les propositions de loi .................................................................................... - 47 -
3.6. À quel moment parler de directives anticipées ?.............................................................. - 49 -
4. Discussion .................................................................................................................................. - 51 -
4.1. La validité interne .............................................................................................................. - 51 -
4.2. La validité externe ............................................................................................................. - 52 -
4.3. Recherche de biais............................................................................................................. - 53 -
4.4. Par rapport aux résultats ................................................................................................... - 53 -
4.5. Des propositions pour améliorer les directives anticipées ............................................... - 56 -
4.6. La rédaction des directives anticipées .............................................................................. - 59 -
4.7. Avis de Juriste .................................................................................................................... - 60 -
4.8. Les directives anticipées dans d’autres pays ..................................................................... - 61 -
5. Conclusion ................................................................................................................................. - 64 -
6. Bibliographie.............................................................................................................................. - 66 -
7. Annexes ..................................................................................................................................... - 68 -
7.1. Les textes de loi actuelles .................................................................................................. - 68 -
7.2. Propositions de modification issues du rapport CLAYES et LEONETTI .............................. - 69 -
7.3. Guide d’entretien .............................................................................................................. - 72 -
7.4. Modèle de rédaction des directives anticipées de la SFAP ............................................... - 74 -
- 24 -
7.5. Modèle de rédaction de directives anticipées de l’Assurance Maladie ............................ - 76 -
7.6. Physician Orders for Life-Sustaining Treatment ................................................................ - 78 -
- 25 -
1. Introduction
1.1. Définition
Toute personne majeure peut, si elle le souhaite, faire une déclaration écrite,
appelée « directives anticipées » pour préciser ses souhaits concernant sa fin de
vie, prévoyant ainsi l’hypothèse où elle ne serait pas, à ce moment-là, en capacité
d’exprimer sa volonté. Ce document permettra, le moment venu, aux médecins de
prendre leurs décisions médicales. Il s’agit d’un document rédigé par écrit, daté,
signé et authentifié avec possibilité de faire appel à deux témoins dont la personne
de confiance. Non imposables aux médecins, elles sont valables 3 ans et révocables
à tout moment.
1.2. Des cas particuliers vers la genèse des lois sur la fin de vie et des directives
anticipées
Les interrogations autour de la mort/fin de vie se confrontent régulièrement avec
différents facteurs, rendant les solutions délicates à établir. Il faut trouver un
compromis, un choix qui permettent de faire cohabiter des facteurs bien nombreux et
bien hétérogènes : les convictions éthiques, morales et religieuses, la conception
personnelle de la mort, les expériences personnelles, le cadre législatif, etc.
La dynamique actuelle influence du coup un des éléments de ce questionnement face
à l’imminence de la mort : les soins acceptables par le patient d’autant plus lorsqu’il
est dans l’impossibilité de s’exprimer (sous la forme des directives anticipées).
Les lois sur les directives anticipées sont issues d’une transition d’un modèle
paternaliste de la médecine au modèle délibératif (patients éclairés et décideurs). Dans
la majorité des pays, elles sont précédées par une loi assurant l’autonomie du patient.
- 26 -
Cependant, la complexité du sujet et la trop facile réponse par l’évitement ont fait que
ce genre de loi a été rarement une priorité des autorités législatives.
De ce fait, elle trouve son essence au travers d’histoires tragiques « surmédiatisées »
mêlant recours judiciaires, tourmente des proches et malaise des équipes médicales.
Pour mémoire, quelques faits marquants dans l’histoire de nos sociétés occidentales :
1.2.1. Le cas Quinlan
Karen Ann QUINLAN, est une jeune femme de 21 ans qui en 1975 [à la suite
d’un arrêt respiratoire] s’est retrouvée dans un état végétatif permanent après
l’ingestion d’alcool et de benzodiazépine. Les médecins avaient rapidement conclu
qu’elle avait souffert de dommages cérébraux irréversibles et n’avait aucune chance
de guérison. Son état nécessitait cependant une assistance respiratoire. Après
plusieurs mois sans amélioration, les parents ont demandé l’arrêt de l’assistance
respiratoire pour la laisser mourir de manière naturelle. Par crainte que cela ne soit
assimilé à un homicide, les médecins refusent sans l’accord du tribunal.
Au cours de sa plaidoirie, l’avocat des parents argumente que Karen Ann QUINLAN
aurait par le passé spécifié qu’elle préférerait mourir si elle était atteinte d’un état
incurable. Finalement après accord du tribunal, elle fut finalement « débranchée » en
1976, soit 1 an après son accident.
Le cas Quinlan introduit la notion d’expression de la volonté de la personne
malade par recueil des propos antérieurs à l’accident.
- 27 -
1.2.2. Suite au cas Quinlan : L’état de Californie pionnière pour légiférer les « Living
wills » (volontés de son vivant) dans le « Natural death act » (Déroulement
naturel de la mort)
Aux États-Unis, les tentatives de légiférer les « directives anticipées » ont été
nombreuses par le passé (première tentative en 1967), mais toujours refusées. Après
le procès Quinlan, le débat est de nouveau réouvert et l’état de Californie est le
premier état à autoriser dans la loi les directives anticipées en 1976 sous le terme de
« Living Wills ».
1.2.3. En France : Une première proposition de loi du Sénateur CAILLAVET(1) refusée
en 1980
En France, en 1978, le sénateur Henri CAILLAVET dépose une proposition de loi
relative au « droit de vivre sa mort » et « du droit de chacun à mourir d’une mort
naturelle ». On retrouve notamment ce que l’on appelle aujourd’hui les directives
anticipées.
« Tout majeur ou mineur émancipé, sain d'esprit, à la faculté de déclarer sa volonté
qu'aucun moyen médical ou chirurgical autre que ceux destinés à calmer la souffrance
ne soit utilisé pour prolonger artificiellement sa vie s'il est atteint d'une affection
accidentelle ou pathologique incurable. »
« La déclaration, faite en vue de l’exercice de la faculté prévue de l’article qui précède,
peut être effectuée à tout moment. Elle doit, à peine de nullité, être constatée par acte
authentique, dressé en présence de deux témoins majeurs, sans parenté jusqu’au
quatrième degré inclus. »
- 28 -
L’acte authentique, défini par un acte reçu par un officier public devant lequel les parties
comparaissent en personne ou par leur représentant.
La réponse de la commission sénatoriale est à l’image du tabou autour de la
mort :
« Le refus de légiférer n'est pas celui de réfléchir et, en ce sens, les propositions de M.
Caillavet ont eu le mérite de poser en termes nouveaux un problème douloureux. Mais
il peut être sage, suivant en cela le rapport de la commission des Lois, de ne pas retenir
des textes qui angoissent plus qu'ils n’apaisent. »
Ce projet est définitivement refusé en 1980.
1.2.4. L’affaire Humbert : le droit de mourir existe-t-il ?
En 2000, Vincent Humbert (jeune pompier volontaire), à la suite d'un accident
de la route, est resté plusieurs mois dans le coma. À son réveil, il est tétraplégique,
muet et pratiquement aveugle. Cependant sa conscience est préservée et il
communique par pression du pouce droit via l’énumération de lettres de l’alphabet. Il
écrit au président de la République en novembre 2002 pour lui demander le droit à
mourir. En l’absence d’une réponse positive, sa mère décide de l’aider à mourir et lui
injecte une dose de pentobarbital en septembre 2003. Elle est aussitôt mise en examen
pour empoisonnement avec préméditation. Finalement un non-lieu est prononcé en
2006.
- 29 -
1.2.5. La loi relative aux droits des malades (2002) dite loi Kouchner : Implication
renforcée du patient dans les soins délivrés.
Cette loi rappelle aux médecins l’importance de l’information au patient et que
c’est au patient de décider après avoir reçu les informations nécessaires à une prise de
décision. On la retrouve dans la loi sous ces termes « Aucun acte médical ni aucun
traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne
et ce consentement peut être retiré à tout moment ». Elle ouvre ainsi un droit de refus
de l’acharnement thérapeutique.
1.2.6. La loi relative aux droits des malades et à la fin de vie dite loi Leonetti : loi
2005-370 du 22 avril 2005(2)
C’est à la suite du décès de Vincent Humbert en 2003 que le débat est relancé.
La question de l’expression de la volonté du malade pour sa fin de vie est alors
soulevée. Une mission d’information sur l’accompagnement de la fin de vie est ainsi
créée au sein de l’Assemblée nationale sous la présidence du député Jean Léonetti.
Cette loi énonce clairement l’interdiction des pratiques d’euthanasie, mais empêche
également l’acharnement thérapeutique qualifié d’obstination déraisonnable. Elle
introduit alors dans un texte de loi les notions de limitation de soins, de directives
anticipées ou encore de personne de confiance. Et enfin, elle encourage le
développement des soins palliatifs aux patients en fin de vie.
- 30 -
1.2.7. L’affaire Lambert : Quand la loi ne répond pas à la demande de certains
proches.
Cette affaire montre que malgré les efforts législatifs et les différentes
réflexions éthiques, il arrive toujours des situations où, en l’absence de directives
anticipées, notamment chez les patients jeunes, il existe un conflit entre la volonté du
patient présumé et la volonté de la famille.
Pour rappel, Vincent Lambert est victime d’un accident de la route en 2008 qui le
plonge dans un état pauci-relationnel. En 2013, en accord avec sa femme, les médecins
décident d’arrêter l’hydratation et l’alimentation considérées alors comme obstination
déraisonnable. Les parents s’opposent à cet arrêt thérapeutique et saisissent le
tribunal en signifiant que la poursuite du traitement n’était ni inutile ni
disproportionnée et n’avait pas pour seul objectif le maintien artificiel de la vie.
Finalement en dernier recours, la Cour européenne des droits de l’homme est saisie et
dans l’attente de sa décision, il est décidé de maintenir l’hydratation et l’alimentation.
À ce jour, la Cour européenne des droits de l'Homme a validé l'arrêt des soins à Vincent
Lambert estimant que la poursuite des soins constituait une obstination
déraisonnable. Les parents continuent de parler d’euthanasie passive, mais la
demande de révision est rejetée par la Cour européenne des droits de l’homme.
Ce cas combine la pluralité des avis des médecins ainsi que ceux des familles. Certains
médecins se rangeant du côté de sa mère en considérant que l’état pauci relationnel
est quand même une vie et que les soins nécessaires ne sont pas disproportionnés (pas
de maintien de défaillance d’organe vital comme dans le cas Quinlan).
- 31 -
En résumé, l’évolution des mentalités et l’apparition des lois sont bien
rythmées par le fait que les événements nous imposent d’y réfléchir et d’y répondre,
mais que les réponses sont encore insuffisantes :
Le cas Quinlan souligne la difficulté d’arrêter les thérapeutiques même si la volonté
du patient est en cette faveur.
Mais apparait aussi les prémisses de l’impératif d’avoir eu une réflexion antérieure face
à la mort.
- L'affaire Humbert interroge sur la dignité de mourir face à une vie considérée
comme n'en étant pas une. Le non-lieu y est une forme de non réponse.
- L'histoire de la proposition de loi du Sénateur CAILLAVET montre la nécessité d’une
certaine maturité d'une nation et donc de son peuple face à ces questionnements:
o en 1978-1980 : refus de légiférer sur la fin de vie
o en 2005 : vote de la loi Léonetti
- L'affaire Lambert nous montre qu'il existe encore des interrogations par la loi
auxquelles Léonetti de 2005 n’a pas répondu.
1.3. L’état des lieux des directives anticipées : Une possibilité méconnue
Il est force de constater que la « loi Leonetti » est une avancée, mais reste une
loi méconnue du grand public et des médecins. Malgré l’application de la loi depuis
2005, rares sont les patients ayant rédigé leurs directives anticipées. L’Institut national
d’études démographiques a estimé en 2012 sur 14999 décès que seulement 2,5% des
patients en fin de vie en avaient rédigé (3). Dans le rapport de la commission « Penser
solidairement la fin de vie » du Pr SICARD publié en décembre 2012 souligne le fait que
- 32 -
la rédaction de directives anticipées reste exceptionnelle et est loin d’être encouragée
en dehors d’associations militantes(4).
L’étude du Centre d’éthique clinique (CEC) du groupe hospitalier Broca-Cochin-
Hôtel Dieu de l’Assistance Publique - Hôpitaux de Paris concernant les directives
anticipées chez les plus de 75 ans montre que 90% de ces patients ne connaissent pas
les directives anticipées, que même une fois le concept expliqué 83% ne sont pas
intéressés, et que 42% ne se sentent pas concernés même s’ils trouvent que l’idée
n’est pas mauvaise (trop tôt, trop complexe, compte sur un proche) et 36% les trouvent
inutiles, dangereuses ou inappropriées.(5)
Les dispositifs des directives anticipées et des soins palliatifs sont encore trop souvent associés
à un échec des thérapeutiques et de la médecine, entravant l’accompagnement et le
soulagement du patient.
1.4. Objectifs
Les patients âgés ayant survécu à un séjour en réanimation sont des patients qui sont
possiblement à même d’y revenir. En effet, les études montrent que la mortalité de ces
patients est de 28 à 41% dans le mois qui suit le passage en réanimation (6,7) et de 46 à 69%
à un an après un séjour en réanimation(6,8). Certains d’entre eux ont bénéficié des mesures
lourdes de soutien de la vie et sont à mieux de comprendre les soins proposés dans un service
de réanimation. Les interlocuteurs à distance d’un séjour en réanimation sont les médecins
traitants souvent les médecins généralistes. Cette thèse tentera alors d’explorer les difficultés
d’abord des directives anticipées et d’identifier un moment favorable à cette discussion.
Un séjour “inattendu” d’un de leurs patients en réanimation est-il une bonne opportunité
pour aborder les directives anticipées ?
- 33 -
2. Matériel et Méthodes
2.1. Le choix du type d’étude
Il a été choisi d’effectuer un travail sur le modèle d’une étude qualitative en raison de la
subjectivité des facteurs observés/réponses attendues et donc difficilement
mesurables/quantifiables. Ce type d’étude est le plus adapté pour étudier l’aspect relationnel
des soins et recueillir des données verbales. Contrairement aux études quantitatives plus
adaptées pour tester des hypothèses, ici nous chercherons à « comprendre » et à
« interpréter » pour créer des hypothèses.
2.2. Recrutement
Sur une population de patients âgés de plus de 75 ans hospitalisés dans un service de
réanimation polyvalente de Seine et Marne sur une période de 3 mois, nous avons contacté
les médecins traitants au moins 3 mois après le passage de leur patient dans ce service
(permettant la réception du compte rendu et l’opportunité de revoir le patient et/ou la
famille). Les motifs d’hospitalisation n’ont pas été un critère d’inclusion ni l’autonomie
préalable du patient pour obtenir un échantillon à variations maximales. Il n’y avait pas de
taille d’échantillons définie comme dans toute étude qualitative, mais l’échantillonnage
s’arrête lorsque l’on atteint la «saturation des données » c’est-à-dire lorsqu’aucune nouvelle
donnée n’émerge des analyses.
- 34 -
2.3. Réalisation du guide d’entretien
Il est composé de trois parties :
- Introduction du sujet avec définition des directives anticipées
- Questions centrées sur la rédaction des directives anticipées, le moment choisi
pour le faire et les difficultés.
- Description du praticien interrogé (échantillon) (sexe, âge, type d’activité
professionnelle et âge de la patientèle)
Le guide regroupait six questions, dont cinq ouvertes. Des relances ont été prévues pour
obtenir des précisions.
Le guide d’entretien a été testé initialement sur trois internes en médecine générale pour
identifier les éventuelles confusions ainsi que la bonne compréhension des questions.
Au cours des entretiens, lorsque des thématiques nouvelles semblant pertinentes pour la
discussion ont été découvertes, le guide d’entretien a été modifié pour les prendre en
compte et les explorer.
2.4. Recueil des données/Entretiens
En raison de la délicatesse du sujet, il a été choisi de recueillir les données lors
d’entretien individuel semi-structuré par observation directe. Ces entretiens ont été réalisés
par téléphone pour la plupart. La prise de contact a eu lieu par téléphone avec au moins un
rappel en cas de non disponibilité des médecins traitants. Il a été laissé la possibilité
d’entretien entourant des consultations si le praticien le souhaitait. Pour éviter une
documentation sur le sujet et pour garder la spontanéité des réponses, l’objet de l’entretien
- 35 -
est resté vague avant l’entretien. Les médecins étaient juste informés qu’il s’agirait d’un travail
sur les directives anticipées.
L’entretien débute par la demande de définir les directives anticipées afin de connaître
le niveau de connaissance à ce sujet. Il est ensuite rappelé aux médecins la définition des
directives anticipées ainsi que le cadre légal. Pour les questions suivantes, pour approfondir
les réponses, il a été utilisé régulièrement des relances à type de reformulation, demande
d’explications ou de précisions, ou encore du reflet notamment dans les hésitations.
2.5. Analyse des données
2.5.1. Transcription
Les entretiens ont été enregistrés, avec l’accord des médecins généralistes puis
retranscrits ad integrum dans un document texte. Chaque enregistrement est rendu anonyme
et renommé en verbatim (verbatim 1 (V1), verbatim 2 (V2)…).
2.5.2. Codage
Pour l’analyse des verbatims : le choix s’est porté pour la théorisation ancrée ou
« Grounded theory ». Le codage est alors ouvert. Cela consiste en une lecture et multiple
relecture des verbatims pour identifier des idées à partir de phrases ou parties de phrases. Le
texte est alors codé fragment par fragment et réarrangé en une liste de catégories. Ce codage
permet dans un deuxième temps de faire émerger les thèmes principaux(9). Pour cela un livre
de code a été utilisé.
Des concepts sont alors définis et les associations ont été recherchées permettant d’aboutir
à une théorie explicative.
- 36 -
2.6. Bibliographie
La recherche bibliographique a été réalisée majoritairement à partir d’Internet à l’aide de
la base de données Pubmed, le moteur de recherche Cismef, Google ou encore du catalogue
universitaire des thèses Sudoc. Les mots clés permettant ces recherches ont été : « Directives
anticipées », « Fin de vie », « Hospitalisation », « loi Leonetti » et leur équivalent anglais.
Les références bibliographiques ont été regroupées et répertoriées dans le logiciel Zotero puis
converties au format Vancouver pour la thèse.
- 37 -
3. Résultats
3.1. Population
Les entretiens ont été réalisés de février 2015 à juin 2015.
Médecins 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11
Âge 30-40 30-40 30-40 50-60 50-60 40-50 60+ 30-40 30-40 50-60 -30
Sexe F F F H F H H H F F F Libéral x x x x x x x x x x x Hôpital x x x EHPAD x x x x x
Sur vingt-sept médecins contactés, deux sont partis à la retraite, dix ont souhaité être
recontactés ultérieurement et n’ont pas donné suite pour l’entretien et quatre sont restés
injoignables.
Les onze médecins interrogés étaient tous des médecins généralistes libéraux. Cinq d’entre
eux avaient une activité de consultation en EHPAD/maison de retraite et trois avaient des
consultations en milieu hospitalier. Nous avons donc obtenu onze entretiens : la durée
moyenne d’un entretien est de quatorze minutes. On note que les médecins ayant répondu
sont majoritairement jeunes avec une prédominance dans le groupe entre 30 et 40 ans et 2/3
sont des femmes.
Pour information, l’âge moyen des praticiens en Seine et Marne est de 51 ans avec un taux
de féminisation de 38%.
- 38 -
3.2. Les médecins insuffisamment formés et informés aux directives anticipées
Réponses Sources Verbatims
Méconnaissance des directives anticipées 9
Manque de formation 5 V2 V3 V7 V9 V11
Manque d’information 4 V1 V4 V5 V6
Imprécision sur le cadre légal 1 V1
Bricolage 2 V2 V9
Volonté à être mieux formé 2 V1 V8
Il est clair qu’après dix ans, les directives anticipées sont encore trop peu connues par
les médecins et encore moins par le grand public. Ce constat est déjà présent dans d’autres
études. On note tout d’abord un manque de formation : « la prise en charge de la mort et de
l'approche de la mort n'est que trop peu abordée et mal abordée » (V2), « Non je pense qu’elle
[formation] est insuffisante » (V3), « Je n’ai reçu aucune formation particulière sur ce sujet »
(V7), « En tant que médecin généraliste et gériatre, je n’ai pas bénéficié de formation
universitaire sur le sujet. » (V9), « Non, la formation est très insuffisante » (V11).
Au-delà du manque de formation, on retrouve également le manque d’information :
« Nous ne sommes parfois pas plus informés que le grand public lorsqu’il y a des évolutions
dans des lois qui nous concernent. » (V1), « Je pense qu’il y a un manque d’information à ce
sujet » (V5), « c’est vrai que même nous-mêmes on n’est pas trop informé dessus » (V5).
Certains praticiens savent que cela existe sans connaître le terme de « directives anticipées » :
« Non avant l’entretien, je n'en avais pas entendu parler » (V4), « Non je ne connais pas les
directives anticipées » (V5), « Vous voulez dire par directives anticipées, les gens qui ne
veulent pas être réanimés c’est ça ? » (V6).
- 39 -
Les médecins généralistes familiers avec les directives anticipées n’en connaissent pas
toujours très bien les dispositions légales autour de ces dernières : « Je ne me souvenais plus
de la validité de 3 ans » (V1)
Même si la fin de vie ne semble pas une priorité de formation pour les médecins,
certains d’entre eux formulent spontanément une volonté à être mieux formés : « La
formation des médecins est probablement à améliorer, la formation initiale comme la
formation continue, au moins la formation continue. » (V1), « Il faudrait renforcer la FMC »
(V8)
Enfin, on retrouve des praticiens qui bien que n’ayant reçu aucune formation
s’adaptent aux situations rencontrées et se forment au fil des demandes des
patients : «l'expérience directe reste le seul mode d'apprentissage actuel
malheureusement »(V2), « par conséquent formée sur le terrain » (V9).
- 40 -
3.3. La difficulté d’aborder le sujet est multifactorielle
Réponses Sources Verbatims
Liée aux médecins
Difficulté à en parler 6
Peur de déprimer/inquiéter le patient 2 V4 V11
Praticien mal à l’aise 4 V1 V3 V4 V6
Éviter d’en parler directement au patient 2 V9 V11
Attachement 1 V3
Déni de la situation 1 V4
Difficulté à formaliser 5
Uniquement à l’oral 4 V1 V2 V9 V10
Discussion indirecte/ hors sujet 2 V2 V5
Difficulté à la rédaction 1 V1
Trop de situations cliniques 1 V1
Manque de temps 2 V1 V7
Liée au patient 3
Méconnaissance des directives anticipées 1 V8
Mauvaise représentation des situations cliniques 1 V1
Difficulté à la projection 1 V2
Peur de prendre une décision irrévocable 1 V2
Anxiété 1 V2
Liée au proche 2
Avis divergent avec les proches 1 V1
Attachement 1 V2
Anxiété de la prise de décision pour leurs proches 1 V2
Il n’est pas naturel pour un médecin d’aborder la mort avec un patient. En effet, la
vision du soignant est qu’un patient consulte son médecin car il a envie de bénéficier de soins.
Jusqu’à récemment le code de déontologie médicale permettait au médecin de tenir dans
l’ignorance un patient en cas de pronostic grave.
- 41 -
Extrait de l’article 35 du code de déontologie « Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec
circonspection, mais les proches doivent en être prévenus… »
Ce même article a été modifié en 2012 passant de :
« Toutefois, dans l'intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie
en conscience, un malade peut être tenu dans l'ignorance d'un diagnostic ou d'un pronostic
grave, sauf dans les cas où l'affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de
contamination. »
à
« Toutefois, lorsqu'une personne demande à être tenue dans l'ignorance d'un diagnostic ou
d'un pronostic, sa volonté doit être respectée, sauf si des tiers sont exposés à un risque de
contamination. »
Cette modification montre la volonté de promouvoir l’autodétermination.
Les freins à la discussion et à la rédaction des directives anticipés se trouvent à
différents niveaux et touchent tous les intervenants. Il est fréquent dans cette discussion
entre soignants et soignés qu’il y ait transfert et contre transfert.
La difficulté d’abord peut être liée aux médecins avec la peur de paraître maladroits ou
encore ne sachant pas comment en parler: « c’est un exercice difficile » (V1), « c’est
compliqué » (V1), « Difficulté à aborder la fin de vie et la mort avec le patient » (V1), « C’est
un sujet difficile à aborder » (V3), « parler de la mort est une chose inhabituelle » (V3), « C'est
un peu délicat ce n’est pas évident » (V4), « Car c’est un peu gênant comme sujet » (V6). La
peur de choquer ou d’attrister le patient est un vrai point de blocage : « Pour le patient
moralement c'est un peu dur » (V4), « Peut-être pour éviter de l’angoisser un peu plus qu’il
- 42 -
ne l’est déjà. » (V11). Quant aux sujets sains, l’abord d’une telle discussion pourrait entrainer
une méfiance vis-à-vis du professionnel de santé dans le sens où le patient pourrait penser
que le médecin lui cache un diagnostic grave.
Avec le temps, la frontière entre l’empathie et la sympathie s’efface, ce qui rend la discussion
encore plus difficile : « car on crée avec le temps une relation avec son patient » (V3), « c’est
difficile d’envisager ce cas-là » (V4).
Même après discussion, les médecins généralistes révèlent une certaine difficulté à le
formaliser par écrit : « …, mais je n’ai jamais fait rédiger un patient » (V1), « la discussion reste
orale et il est difficile de le formaliser à l’écrit » (V2), « Cependant, il n’y avait pas de
déclaration écrite à proprement parler.» (V9), « Tout s’est fait oralement » (V10).
Cela s’explique par la difficulté d’anticiper toutes les situations cliniques ou que prise hors
contexte par un intervenant extérieur, elles pourraient être mal interprétées et « délétères »
pour le patient.
Certaines discussions sont déviées avec évitement de la réponse en changeant l’objectif de la
conversation : « susciter un début de réflexion plutôt que d’obtenir un document signé » (V2),
« la discussion a tourné vers une discussion sur la fatalité et que la mort devait bien finir par
arriver » (V2).
Il est parfois plus facile de parler aux proches que directement avec le patient : « pas
directement avec le patient, mais avec la famille du patient » (V9), « Pas avec le patient, mais
avec ses proches » (V11).
Discuter des directives anticipées et de la fin de vie est chronophage. Le manque de temps a
été évoqué: « le temps manque souvent » (V7), « Je n’y pense pas » (V1), « ça prendrait
beaucoup de temps à définir » (V1).
- 43 -
Elle peut être liée au patient. Ils ne sont pas informés des dispositifs existants : « La plupart du
temps ils ne connaissaient pas ces dispositions » (V8), et n’ont pas forcément de
connaissances médicales leur permettant de faire des choix réfléchis et de se projeter dans de
telles situations: « Diversité des situations cliniques possibles » (V1), « parfois le patient n’a
pas une représentation correcte de telle ou telle situation » (V1), « certains n’arrivent pas à
se projeter dans les situations auxquelles on fait allusion » (V2). Les patients ne veulent pas
tous parler d’une éventualité fatale : « peur des patients de parler de la mort éventuelle »
(V2), voire même certains sont méfiants vis-à-vis des directives anticipées car ils ont peur que
cela puisse nuire à leur prise en charge future : « Peur de prendre une décision irrévocable »
(V2).
Elle peut être liée aux proches. Dans certaines situations, les proches ont un avis divergent :
« …mais que les enfants souhaitent le contraire » (V1), ou ne se sentent pas capable de
prendre la responsabilité d’une telle décision pour leurs proches : « Peur des familles de
prendre des décisions définitives pour leur famille » (V2). L’attachement à la personne proche
les empêche d’imaginer la mort de ces derniers: « anxiété des proches face à la possibilité de
la mort de leur parent» (V2).
- 44 -
3.4. Initiation de la discussion
Les médecins se sentent rassurés que la discussion vienne du patient. Certains médecins
n’entreprendront de ne parler des directives anticipées que si le patient en parle en premier.
Réponses Sources Verbatims
Patient Initiateur
Plus facile 2 V1 V2
Plus fréquent en ville 1 V1
Patient doit être initiateur 1 V6
Médecin initiateur
Circonstances
À l’entrée en maison de retraite 2 V1 V2
À l’entrée de maladie dégénérative 1 V8
À l’occasion d’un événement (décès) 1 V10
Profil de patients
Âgé 4 V1 V5 V9 V10
Pathologie grave ou Stade terminal 4 V1 V2 V4 V11
Le fait que ce soit le patient qui fasse les démarches de rédiger des directives anticipées facilite
la discussion : « Lorsque le patient l’aborde de lui-même c’est plus facile. » (V1), « plus facile
lorsque c’est cette patiente qui est venue me voir pour discuter des directives anticipées »
(V2), et c’est le cas de figure le plus fréquent pour la majorité des praticiens : « En ville, iI arrive
finalement plus souvent que ce soit les patients qui abordent le sujet » (V1), « Notamment
s’ils ont eu un proche avec une fin de vie difficile » (V1).
Certains médecins lors de l’entretien pensent que ce n’est pas au médecin d’aborder
la question de la fin de vie et des directives anticipées, mais que la démarche doit venir des
patients : « C’est au patient d’aborder ça avec son médecin traitant » (V6).
- 45 -
Il arrive que ce soit les médecins qui abordent en premier les directives anticipées avec
les patients profitant de certaines situations propices à ce type de discussions : « Quand j’en
parle c’est à l’occasion d’un décès d’un proche » (V10) ou lorsque la pathologie reste incurable
avec les connaissances actuelles de la médecine : « Oui à ma demande (pathologies
dégénératives qui s’y prêtent comme la SLA) » (V8). Il arrive des cas où les patients sont dans
l’attente que la question leur soit posée et se sentent soulagés que ce soit le médecin qui leur
en parle : « Dans mon expérience les patients avec qui j’ai abordé ce sujet ont été contents
que je l’aborde » (V3).
Les directives anticipées peuvent être écrites par toutes personnes majeures conscientes et
ne bénéficiant pas de mesures de protection. Cependant, on retrouve deux critères pour
lesquels des directives anticipées seront proposées : l’âge avancé et la pathologie grave ou
incurable.
L’âge : un facteur décisif pour discuter de ce type de sujet.
Les directives anticipées ne sont pas réservées aux patients âgés ou atteints de pathologies
« lourdes », mais ce sont eux qui ont une probabilité plus forte d’en bénéficier. Ainsi aucun
des médecins interrogés ne se voyait en parler à leur jeune patient.
Il est plus facile de parler de fin de vie à des patients âgés que jeunes : « en fait tout dépend
… de l’âge physiologique du patient » (V1), « Ce sont des patients qui ont plus de 70 ans » (V5),
« avec une espérance de vie attendue qui n’est pas celle d’un patient jeune » (V9), « que des
personnes âgées » (V10).
- 46 -
La discussion sur les directives anticipées intervient de façon tardive dans l’évolution de la
maladie car les médecins refusent d’évoquer les éventualités fatales, mais bien réelles dans
certaines maladies: « le malade se trouvait déjà dans une situation critique » (V1), « la
décision finale ne sera prise qu’aux derniers moments » (V2), « qui ont des maladies déjà qui
sont un peu au long cours, en stade final » (V4), « parce que l’état du patient était déjà trop
grave » (V11).
- 47 -
3.5. Concernant les propositions de loi
Réponses Sources Verbatims
Développer l’information 5 V4 V5 V7 V9 V11
Modification du cadre de rédaction 2 V5 V9
Abrogation de la limite de validité de 3 ans
Pour 1 V6
Contre 3 V1 V4 V5
Les médecins traitants ont été interrogés par rapport à certaines propositions de loi issue du
rapport CLAEYS/LEONETTI (10):
L’information du public notamment à l’entrée de certaines pathologies notamment
dégénératives. C’est un accord unanime des médecins interrogés : « il y a quand même
beaucoup de personnes dans la population qui ne sont pas au courant de l’existence de ce
fait » (V4), « Oui je considère que l’information n’est jamais de trop » (V4), « Ce serait bien de
faire une information globale même avec une affiche dans la salle d’attente » (V5), « Une
campagne d’information du public me semble un préalable indispensable » (V7), « Oui, sans
conteste. Il faudrait pouvoir le faire avant même que ne débutent les troubles cognitifs »
(V11), « Je pense qu’une « conscientisation » sur l’intérêt de ce dispositif, au sein du public est
nécessaire, afin de faciliter la prise en charge thérapeutique de la personne, d’autant plus si
elle est atteinte d’une maladie dégénérative, à l’origine d’un déclin cognitif, qui la rendra
inapte à exprimer sa volonté à long terme. D’où le terme « anticipées ». » (V9)
- 48 -
Modification du cadre rédactionnel (comme en Allemagne et en Grande Bretagne) anticipant
les situations les plus critiques et un cadre plus spécifique dont le patient est atteint :
« donc je pense qu’un formulaire tout prêt ça peut les aider » (V5), « oui absolument, cela
permettra de recueillir les souhaits adaptés à la situation individuelle du patient, apportant
un recueil adapté sur une prise en charge ciblée selon la situation anticipée » (V9). Certains
médecins ont conscience qu’une telle démarche est chronophage « Oui, mais ça prendrait
beaucoup de temps à définir »(V1).
Abrogation de la limite de validité de 3 ans : Les médecins sont divisés
- Pour : « Elle ne devrait pas avoir de limite de validité, si le patient, s’il veut
changer quelque chose c’est à lui de changer » (V6)
- Contre : « il faudrait que le médecin référent (spécialiste ou MT) puisse faire le
point régulièrement » (V1), « C’est bien de se reposer la question en fonction… de
l’évolution » (V4), « S’ils veulent changer d’idée pour que cela ne soit pas
définitif » (V5)
Parmi les médecins contre, il y a cette crainte que les directives anticipées soient rédigées un
temps donné et oublié. Elle ne reflète alors plus les volontés actualisées du patient.
- 49 -
3.6. À quel moment parler de directives anticipées ?
Réponses Sources Verbatims
Consultation personnalisée 3 V1 V2 V11
Le plus tôt possible/avant signe de gravité 3 V3 V5 V11
Non prévisible 3 V3 V5 V8
A la suite d'un séjour en réanimation/épisode aigu 1 V1
Lors de l’entrée en institution/services 1 V2
Il n’y a pas de moment propice pour tous les patients pour discuter des directives anticipées,
mais des occasions : « Il n’y a pas de bon ou de meilleur moment » (V3), « je n’aborderai pas
ça avec n’importe qui, n’importe comment » (V5), « contexte unique et propre à chaque
patient et chaque médecin (et à leur relation) » (V8), « je pense que ça dépend de la
conversation et du contact avec la personne » (V5)
Il est clair qu’une consultation dédiée est nécessaire pour prendre le temps d’expliquer le
cadre légal et la signification de la rédaction d’un tel document : « Lors d’un entretien
personnalisé avec la famille ou le patient au décours d’un épisode aigu résolu ou à l’entrée en
institution pour les patients fragiles »(V2) et que cette consultation ne soit pas celle de
l’annonce : « à distance de l’annonce du diagnostic » (V11), « faire le point régulièrement lors
d’une consultation de suivi » (V1)
Les médecins reconnaissent que l’abord des directives anticipées est tardif dans l’évolution de
la maladie et qu’il est souvent : « le plus tôt est le mieux » (V3), « Ne pas attendre un état
grave pour en parler aux malades » (V5), « Il faudrait le faire avant même que ne débutent les
troubles cognitifs » (V11)
- 50 -
Les médecins consultants en EHPAD, et autres institutions sont plus sensibilisés à la
problématique des directives anticipées et elles sont discutées à l’entrée de certaines
institutions de manière systématique sans pour autant être obligatoires : « Où je vais le sujet
est systématiquement abordé à l'entrée en institution (V2).
Pour la question de l’abord du sujet suite à un séjour en réanimation que certains médecins
généralisent à un événement aigu. Il n’y a pas eu d’opposition : « Pourquoi pas » (V1), « En
fait tout dépend de la cause de son passage en réanimation» (V1).
- 51 -
4. Discussion
4.1. La validité interne
Validité de signifiance d’observation : Le guide d’entretien a été testé au préalable et
cela a permis de vérifier que nous n’influençons pas les réponses. Une précaution particulière
a été prise pour ne suggérer aucune réponse à travers les relances. En cas de doute sur les
propos recueillis, une relance a été effectuée pour l’éclaircir. Les entretiens ont été enregistrés
et retranscrits fidèlement dans leur intégralité. Il a été décidé de citer des expressions dans
leur ensemble pour ne pas dénaturer leurs significations.
Technique de triangulation des sources et méthodes : Les deux premiers entretiens
ont été analysés et codés en triangulation avec le directeur de thèse. Malheureusement les
autres entretiens n’ont été codés que par le thésard. Les thèses co-écrites n’étant pas
autorisés à la faculté de médecine Pierre et Marie Curie, le codage à plusieurs thésards n’a pu
être envisagé.(11)
Validité de signifiance des interprétations : Le questionnaire est validé par retransmission du
recueil de l’entretien aux médecins participants pour correction éventuelle en cas d’erreur de
saisie.
Validité référentielle : Les récents rapports du Pr SICARD(4), des députés CLAYES et LEONETTI
(10) et les thèses d’exercices du Dr BAUDIN Stéphanie (12) et Dr LEBON Caroline (13) vont
dans le sens des difficultés de formulations des directives anticipées.
- 52 -
4.2. La validité externe
Contrairement aux études quantitatives où la population étudiée doit être
représentative de la population d’intérêt, dans les études qualitatives, il s’agit de recueillir
une certaine diversité d’opinion dans une population bien définie.
Dans les études de types qualitatives, deux critères constituent la validité externe :
- Description la plus exacte possible de la population étudiée : La procédure
d’échantillonnage est non probabiliste, mais orientée par la sélection de participants
typiques répondant à la question de recherche. Il s’agissait ici de médecins généralistes
ayant au moins un patient sorti récemment d’un service de réanimation de Seine et
Marne.
- Saturation des données: nous n’avons malheureusement pas atteint la saturation des
données ou du moins n’avons pas pu la vérifier par deux entretiens supplémentaires
sans élément nouveau. Cette limite s’explique par le fait que nous avons atteint la
saturation théorique des sources par leur épuisement :
- malgré au moins une relance téléphonique systématique, le nombre final de
réponses n’a pas changé.
- Les derniers entretiens n’apportent que peu de nouveaux éléments (le dernier n’en
ayant pas apporté)
- Les médecins expriment ne pas avoir autre chose à ajouter après relecture de la
saisie de l’entretien.
La méconnaissance du sujet explique en partie le faible taux de réponse parmi les
médecins contactés.
- 53 -
4.3. Recherche de biais
Biais de sélection : Les médecins contactés n’ayant pas tous répondu, il existe un biais
d’autosélection envers les médecins sensibilisés à la question.
Biais d’interprétation : Il existe dans ce travail, un vrai risque de biais d’interprétation au
moment du recueil et de l’analyse. L’impact de la présence de l’interrogateur est difficile à
évaluer cependant on ne peut l’exclure.
Limites : L’étude est monocentrique et rétrospective. Mais la mise en œuvre de la thèse se
rapproche d’une étude de cohorte du fait de la période d’attente nécessaire avant d’aborder
la question par le médecin traitant.
4.4. Par rapport aux résultats
Depuis sa mise en place en France en 2005, les directives anticipées n’ont convaincu
que 2,5% des Français. Elles connaissent des limites et poussent à réfléchir sur leur réelle
utilité. Elles ont un statut juridique « faible », se référant au fait que les directives anticipées
sont non contraignantes aux médecins, mais qu’elles doivent être prises en compte dans la
décision médicale.
Suite à nos entretiens, nous avons identifié des freins à la rédaction des directives
anticipées :
Pour les médecins traitants :
- Manque de formation : Méconnaissance du cadre légal et du dispositif
- Difficulté à aborder le sujet avec une peur des malentendus, d’inquiéter le patient
- Pas ou peu de moments opportuns à la discussion
- Manque de temps disponible
- 54 -
Pour les patients :
- Méconnaissance de l’existence de directives anticipées
- Mauvaise représentation des situations cliniques et possibilités médicales (14) : Une
étude suisse auprès des patients dialysés chroniques a montré qu’ils ne souhaitent
pas être « branchés » à des machines en cas d’affection sévère. Cependant pour ce
groupe de patients la dialyse n’est pas considérée comme une « machine ».
- Difficulté à la projection
- Difficulté à formaliser
- Peur de changer d’avis et que cela ne soit pas pris en compte
Dans une enquête ,il est intéressant de noter que les médecins ne rédigent pas plus de
directives anticipées que leurs patients (15).
À cela s’ajoutent des difficultés pour les médecins recevant les patients ayant rédigé des
directives anticipées :
- Disponibilité : Comment reconnaitre si les patients ont formulé des directives
anticipées ? Et si oui, comment y avoir accès ?
- Inapplicabilité : Le cas des pathologies intercurrentes curables est un frein à
l’acceptabilité des directives anticipées par certains médecins.
- La personne de confiance n’est généralement pas consciente de son rôle de
« représentation » et donc de son pouvoir de décision au cas où le patient n’est plus
dans l’état de s’exprimer. Elle pense être la personne à qui l’on donne des nouvelles.
Le patient peut donc en principe désigner ou exclure certains de ses proches du poids
décisionnel.
- 55 -
Il faut cependant un certain degré d’arbitrage entre directives anticipées,
personne de confiance et les médecins. Cela permettrait de limiter l’appréhension de
rédiger les directives anticipées par peur d’une mauvaise interprétation de ces
dernières. Prévoyant ainsi l’éventualité qu’elles pourraient priver les patients d’une
chance de succès d’un traitement que les patients n’auraient pu envisager (faute de
connaissances médicales suffisantes).
En France, il est souvent habituel d’accorder une phase d’observation sous
couvert de traitements médicaux maximaux avant de prendre une décision ultérieure
de limitations ou d’arrêt de soins. Il s’agit du traitement médical maximal
« d’épreuves ».
Cette période est particulièrement difficile d’acceptation/compréhension
pour les proches en présence de directives anticipées contenant notamment le risque
d’un handicap. Cette pratique est motivée par la difficulté de prédire à coup sûr
l’issue de certaines situations cliniques où certains patients échappent aux pronostics
attendus.
L’évocation des directives anticipées dans la pratique quotidienne en médecine
générale : un séjour en réanimation est-il une bonne opportunité ? Oui, devant la
carence des opportunités pour évoquer les directives anticipées, un séjour en
réanimation est un moyen d'aborder le sujet. Cependant, le délai pour aborder les
directives anticipées après un séjour en réanimation n'est pas encore défini. Dans les
pays scandinaves, un suivi par une consultation post réanimation a permis une
diminution significative de l’état de stress post-traumatique et des troubles du
sommeil secondaires à un séjour en réanimation. Ces consultations ne sont pas encore
- 56 -
courantes en France. À défaut, elles sont donc en partie prises en charge par le
médecin traitant.
Lors des entretiens, les médecins reconnaissent que l’abord des directives
anticipées est souvent trop tardif dans l’évolution des maladies. Le séjour en
réanimation est un événement majeur. Dans l’idéal, les directives anticipées auraient
dû être formulées au préalable et sont alors une occasion de les réviser.
4.5. Des propositions pour améliorer les directives anticipées
4.5.1. Penser à en parler
Une des propositions de loi sur la fin de vie est d’informer les patients et les
médecins sur la disposition des directives anticipées. En 2004, une étude a montré que
cela permettrait d’augmenter de 15% le nombre de directives anticipées (16).
Cependant, un sujet tel que la fin de vie demande souvent une réflexion avant une
prise de décisions. Une méta-analyse réalisée en 2008 montre que l’élément qui a
permis d’augmenter le plus la rédaction des directives anticipée est la répétition de
l’information concernant l’existence de ces dernières (17).
Solutions proposées :
- Les logiciels informatiques utilisés par les médecins ont prouvé par de multiples
reprises leur efficacité avec un système d’aide à la décision médicale notamment
pour l’éligibilité à une action de prévention (vaccinations, dépistages de cancers…)
ou encore le rappel dans le suivi de certaines pathologies chroniques. Il se présente
sous forme de notification/rappel à l’ouverture du dossier patient. Les études ont
- 57 -
montré que cette méthode permettrait d’augmenter de 4% à 21-24% le nombre
de directives anticipées (18–20)
- Assistance à la rédaction : Une étude australienne concernant les patients âgés de
plus de 80 ans a étudié l’impact d’une aide à la réflexion sur les traitements
médicaux souhaités en prenant en considération leur but, valeurs et croyances, et
ainsi documenté leurs directives(21). Cette étude montre que parmi les patients
ayant bénéficié de cette aide, 84% d’entre eux ont exprimé des directives
anticipées. Elle montre également que les familles éprouvent moins de stress,
d’anxiété et de dépression après le décès du patient.
4.5.2. Disponibilité des directives anticipées :
Même en présence de directives anticipées, elles ne sont que rarement disponibles à
l’arrivée à l’hôpital (22). De plus, il est courant que les médecins traitants ne soient pas
informés de leur présence alors qu’elles ont été formulées. En effet, les patients les
formulent plus volontiers avec leur famille qu’avec les médecins.(23)
Pour avoir une idée de leur disponibilité localement : un courriel a été envoyé aux
vingt-deux médecins urgentistes (Service d’accueil des urgences, SMUR) et sept
réanimateurs du centre hospitalier de Meaux avec une question à choix simple:
« Comment considérez-vous le fait d’obtenir les directives anticipées écrites ou
formulées verbalement par un patient ? ». Les possibilités de réponse étaient
« facile »/ « ni facile ni difficile » / « difficile ». La réponse « difficile » a été unanime.
Pour cela différents moyens ont été proposés :
- création d’un registre informatique et sécurisé à l’image du don d’organe
- 58 -
- la notification sur la carte vitale de la présence de directives anticipées
4.5.3. Directives anticipées contraignantes
Même en présence de directives anticipées ou de consignes orales relatant les
volontés du patient, les médecins français ne sont pas tenus de les respecter, mais
seulement de les prendre en compte : elles sont bien « directives », mais non
contraignantes.
En effet, les raisons évoquées par les médecins sont :
- non applicabilité car incohérentes avec la situation clinique actuelle. Les
directives anticipées en France ne prévoient pas de scénarios comme le coma
chronique ou le handicap sévère. Le flou autour des situations applicables en
limite donc la mise en œuvre.
Les solutions proposées :
- Informer les patients
- Faciliter la rédaction avec un cadre anticipant notamment les situations les plus
critiques dans lesquelles nous pouvons redouter d’être placés
- En plus des directives anticipées, pour s’assurer de la bonne prise en compte de
ces dernières McMahan préconise quatre étapes supplémentaires (24) :
o Identifier ses « valeurs » en fonction de ses convictions et expériences
passées
o Choisir et vérifier que la personne de confiance a bien compris son rôle
o Déterminer la marge décisionnelle donnée à la personne de confiance
o Informer ses proches de ses choix
- 59 -
4.5.4. Validité dans le temps sauf modification
En France, les directives anticipées sont valables trois ans. Ce délai peut sembler
adapté pour les patients en phase terminale ou fin de vie. Elles ne sont cependant
pas limitées à cette catégorie de personne et cette limitation de validité de trois ans
est inadaptée au patient sain prévoyant le cas de situation inopiné comme les
accidents « imprévisibles ». Il parait encore plus licite dans ces cas de recueillir les
valeurs et croyances du patient.
4.6. La rédaction des directives anticipées
Notre étude s’est intéressée aux médecins traitants, mais qu’en est-il des patients ayant
rédigé des directives anticipées ? Le Dr Caroline LEBON dans sa thèse d’exercice (13) a
étudié le ressenti des patients lors de la rédaction de celle-ci. Elle y affirme la nécessité
d’informer sur cette possibilité et l’importance que la démarche reste volontaire et
motivée.
Dans sa thèse, des patients ayant initié la démarche d’écriture ont été interrogés. Le
sentiment dominant avant la rédaction était l’anxiété de l’imprévisible et la peur de
l’inconnu. Après la rédaction, la majorité des patients éprouve un soulagement et une
relative sérénité. Il persiste cependant une certaine inquiétude que malgré la rédaction
des directives anticipées, les médecins ne les respectent pas ou ne les prennent pas en
compte.
Selon l’étude de Fournier (5), les raisons poussant à rédiger des directives anticipées ont
été les suivantes :
- 60 -
- Volonté de décider pour soi-même (80%)
- Ne pas peser sur l’entourage (20%)
- Guider la médecine (10%)
- Nécessité de porter sa voix alors que personne ne pourra le faire à sa place le
moment venu (5%)
- Volonté de ne pas souffrir (5%)
4.7. Avis de Juriste
Nous avons abordé le sujet du point de vue des médecins traitants et des patients. En
dehors des considérations éthiques et médicales, lorsqu’il y a désaccord, il arrive que
l’aspect juridique rentre en considération : M. Gilles RAOUL-CORMEIL, Juriste et Maitre de
conférences en Droit s’est exprimé, lors de la journée de formation de la SRLF « Limitation
et arrêt des traitements en réanimation » le 11 septembre 2015 à propos de la loi Léonetti.
Juridiquement, cette loi possède des faiblesses à cause d’ambiguïtés de termes :
- L’interdit de donner la mort (euthanasie) face au « double effet » (effet antalgique et
effet dépresseur respiratoire), ce dernier élément affranchit le caractère d'homicide.
- A propos de l’« Obstination déraisonnable» : À partir de quand peut-on parler
d’obstination déraisonnable ? Il n’y a pas de référentiel, de seuil défini ni en matière
d’agressivité des traitements ni en termes épidémiologiques (âge, autonomie, etc)
Le patient est dans une relation contractuelle avec le médecin depuis 1936 (Arrêt Mercier).
Le médecin a sa responsabilité engagée pour 30 ans initialement réduits à 10 ans depuis
la loi sur le droit des malades de 2002. La responsabilité médicale dans le choix de
- 61 -
l'application des directives anticipées rentre en conflit avec l’« autodétermination » du
patient.
Finalement, il existe un conflit entre les législations française et européenne (cour
européenne des droits de l'homme). Cette dernière considère qu'il est important d'éviter
au patient et à sa famille de prendre la responsabilité d'une décision médicale de la portée
des limitations et arrêts des thérapeutiques actives.
4.8. Les directives anticipées dans d’autres pays
Aux États-Unis, les directives anticipées ont plusieurs niveaux selon la méthode d’expression :
- « Living wills » : Informations transmises oralement à un proche à titre d’information
- « Durable power of attorney » : Equivalent à la désignation d’une personne de
confiance qui pourra s’exprimer en lieu et place du patient dans l’incapacité de
prendre une décision
- « Advance care planning » : Ce sont l’équivalent à nos directives anticipées. Ils sont
rédigés en présence de « témoins » qui peuvent être des proches, voire un notaire.
Ces advance care planning sont contraignants aux médecins. Ils comportent un volet
obligatoire sur les traitements et un volet facultatif mais recommandé, comportant les
valeurs du patient « values-based history ».
- « Physician orders for life-sustaining treatment » : Ce sont des directives anticipées
standardisées mises en place aux États-Unis, de couleur vive facilement identifiable.
Elles sont obligatoirement remplies avec l’aide d’un médecin. (cf annexes)
- 62 -
Les directives anticipées n’ont pas de limite de durée dans ces pays.
À l’entrée de certaines structures médicales comme les maisons de retraite, les patients sont
systématiquement informés sur la possibilité de rédiger des directives anticipées. Cependant
les patients ne sont pas tenus d’en rédiger.
Il existe une réalité économique dans les pays anglo-saxons. Ainsi le système de soins incite la
rédaction de directives anticipées car cela permet de ne pas entreprendre des soins actifs,
lourds, onéreux contrairement aux soins de confort plus économiques.
Le cas des États-Unis en particulier est intéressant en raison de leur recul de plusieurs
décennies sur les directives anticipées. Selon les études, entre 18 à 30 % des Américains ont
rempli des directives anticipées et ce chiffre s’améliore à peine pour les patients atteints de
maladies chroniques : un tiers des patients dialysés en ont rédigé. Les campagnes
d’information n’ont que peu d’effet sur le nombre de directives anticipées rédigées : en effet
la connaissance de ce dispositif ne suffit pas en soi à encourager son utilisation. On note
également que les valeurs du patient sont recueillies pour aider à prendre des décisions sur
des situations non anticipées au lieu de s’acharner à prédire toutes les situations possibles et
imaginables.
L’exemple de l’Allemagne
En Allemagne, les directives anticipées sont régies par une loi datant de 2009 :
Elles ont la particularité d’être simples à mettre en œuvre. Elles sont rédigées par le patient
et ne nécessitent pas la présence de témoin, médecin, notaire et ne comportent pas de limite
de validité. Elles concernent des situations médicales particulières (coma chronique, handicap
moteur) pour lesquelles le patient souhaite ou non certains types de thérapeutiques. Via ses
- 63 -
directives anticipées, une personne de confiance est également désignée. Si la situation où se
retrouve le patient est présente dans ses directives anticipées alors le corps médical doit
respecter la volonté du patient même si cela aboutit à la mort : elles sont en effet
contraignantes. En Allemagne, malgré une législation plus récente que celle de la France, le
taux de rédaction de directives anticipées est de 14%.
Au-delà du débat sur l’acharnement thérapeutique, le maintien de la vie ne peut à lui seul être
un critère de poursuite des traitements de support vital. A l’opposé, la loi française encadre
uniquement les patients en « phase terminale », excluant pour l’instant les patients en coma
« chronique ».
- 64 -
5. Conclusion
Les directives anticipées sont l’expression de l’autonomie du patient hors d’état d’exprimer sa
volonté.
Un séjour en réanimation est une opportunité pour évoquer les directives anticipées dans la
pratique quotidienne en médecine générale. En effet, cette discussion doit se faire à distance
d’une annonce, ou alors pour permettre une récupération du stress post-traumatique induit
par le séjour. Cependant, il est mis en évidence plusieurs éléments entravant l’établissement
de directives anticipées même au décours d’un séjour en réanimation.
La problématique est multiple et nécessite une solution à différents niveaux :
- Politique : une volonté de faire évoluer les mentalités de façon progressive ou parfois
de façon plus contrainte. Le courage de modifier la législation pour s’adapter au
manque de confiance vis-à-vis des directives anticipées.
- Sociétal : la société doit être confrontée à la réalité de la mort et non l’éviter. Chacun
doit prendre un temps pour y réfléchir afin de pouvoir répondre de façon non
précipitée.
- Économique : le système de santé en déficit ne doit pas être une raison de pousser à
réfléchir sur le niveau de soins à envisager. Les moyens manquants, les directives
anticipées ne sont pas plus facilement abordés si le financement de la formation des
soignants et des soignés ne s’améliore pas.
- Éthique : la combinaison des aspects politiques, sociétaux et économiques met du
temps pour faire avancer les réflexions et les mentalités. Le don d’organe est un
modèle témoignant de la complexité de mettre en place une démarche raisonnée
concernant un sujet abordant la fin de vie. La loi est un support, mais l’application
nécessitera du temps et des efforts des différents acteurs.
- 65 -
- Pédagogique : le manque de formation des médecins traitants est un élément
récurrent. La formation doit agir à différents moments de la carrière médicale et
nécessite des moyens multiples.
- Relationnel : Pour les médecins: un travail d’écoute des patients et de guide dans la
rédaction de directives anticipées pour qu’elles soient compréhensibles et applicables
le moment venu. Pour le patient : la communication aux proches de l’existence des
directives anticipées et des « valeurs » justifiant ses choix.
En conclusion, les directives anticipées n’ont clairement pas encore rencontré une maturité
du grand public ni même des soignants faute de formation. Malgré la réponse unique de
chacun, il est tout de même bénéfique de réfléchir à la mort: la réalité de cette dernière est
implacable et faisant partie du contrat de la vie. S’y préparer à la faveur d’une rédaction de
directives anticipées est un moyen d’apprendre à faire face à la mort et ne pas devoir y
réfléchir dans des conditions plus difficiles. La tolérance sur les cas « ambigus » est un des
éléments pédagogiques et doit être abordée comme un élément facilitateur pour évoquer le
sujet et permettre la réflexion de tous.
- 66 -
6. Bibliographie
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2. LOI n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie. 2005-370 avril, 2005.
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10. Aubin-Auger I, Stalnikiewicz B, Mercier A, Lebeau J-P, Baumann L. Diriger une thèse qualitative: difficultés et solutions possibles. Exercer. 2010;93:111–4.
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13. LEBON C. La rédaction des directives anticipées : quel ressenti ? [THÈSE POUR LE DIPLÔME D’ÉTAT DE DOCTEUR EN MÉDECINE]. [Lille]: UNIVERSITE DU DROIT ET DE LA SANTE - LILLE 2; 2014.
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- 68 -
7. Annexes
7.1. Les textes de loi actuelles
Les directives anticipées ont été créées dans la loi 2005-370 dite Léonetti du 22 avril
2005. Elles apparaissent ainsi dans le code de santé publique :
Art. L.1111-11 du Code de Santé Publique
Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait
un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits
de la personne relatifs à sa fin de vie concernant les conditions de la limitation ou l'arrêt
de traitement. Elles sont révocables à tout moment.
A condition qu'elles aient été établies moins de trois ans avant l'état d'inconscience de la
personne, le médecin en tient compte pour toute décision d'investigation, d'intervention
ou de traitement la concernant.
Un décret en Conseil d'Etat définit les conditions de validité, de confidentialité et de conservation des directives anticipées
Art. L.1111-12 du Code de Santé Publique
Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable,
quelle qu'en soit la cause et hors d'état d'exprimer sa volonté, a désigné une personne de
confiance en application de l'article L. 1111-6, l'avis de cette dernière, sauf urgence ou
impossibilité, prévaut sur tout autre avis non médical, à l'exclusion des directives
- 69 -
anticipées, dans les décisions d'investigation, d'intervention ou de traitement prises par le
médecin.
Art. L.1111-13 du Code de Santé Publique
Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable,
quelle qu'en soit la cause, est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin peut décider
de limiter ou d'arrêter un traitement inutile, disproportionné ou n'ayant d'autre objet que
la seule prolongation artificielle de la vie de cette personne, après avoir respecté la
procédure collégiale définie par le code de déontologie médicale et consulté la personne
de confiance visée à l'article L. 1111-6, la famille ou, à défaut, un de ses proches et, le cas
échéant, les directives anticipées de la personne. Sa décision, motivée, est inscrite dans le
dossier médical.
Le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa fin de vie en
dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10.
7.2. Propositions de modification issues du rapport CLAYES et LEONETTI
Article L. 1111-11 (directives anticipées)
Toute personne majeure et capable peut rédiger des directives anticipées pour le cas où
elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté. Ces directives anticipées expriment
la volonté de la personne relative à sa fin de vie en ce qui concerne les conditions du
refus, de la limitation ou l'arrêt des traitements et actes médicaux.
- 70 -
Elles sont révisables et révocables à tout moment. Elles sont rédigées selon un modèle
dont le contenu est fixé par décret en Conseil d’Etat pris après avis de la Haute Autorité
de Santé. Ce modèle prévoit la situation de la personne selon qu’elle se sait ou non
atteinte d’une affection grave au moment où elle rédige de telles directives.
Elles s’imposent au médecin, pour toute décision d'investigation, d'intervention ou de
traitement, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation
complète de la situation. Si les directives anticipées apparaissent manifestement
inappropriées, le médecin, pour se délier de l’obligation de les respecter, doit consulter
au moins un confrère et motiver sa décision qui est inscrite dans le dossier médical.
Un décret en Conseil d'Etat définit les conditions d’information des patients, de validité,
de confidentialité et de conservation des directives anticipées. L’accessibilité est facilitée
par une mention inscrite sur la carte vitale.
Article L.1111-11-1 (personne de confiance)
Toute personne majeure peut désigner une personne de confiance, qui peut être un
parent, un proche ou le médecin traitant et qui sera consulté au cas où elle-même serait
hors d’état d’exprimer sa volonté et de recevoir l’information nécessaire à cette fin. Elle
témoigne de l’expression de la volonté de la personne. Son témoignage prévaut sur
tout autre témoignage. Cette désignation est faite par écrit. Elle est révocable à tout
moment. Si le malade le souhaite, la personne de confiance l'accompagne dans ses
démarches et assiste aux entretiens médicaux afin de l'aider dans ses décisions.
Lors de toute hospitalisation dans un établissement de santé, il est proposé au malade
de désigner une personne de confiance dans les conditions prévues à l'alinéa précédent.
- 71 -
Cette désignation est valable pour la durée de l'hospitalisation, à moins que le malade
n'en dispose autrement.
Les dispositions du présent article ne s'appliquent pas lorsqu'une mesure de tutelle est
ordonnée. Toutefois, le juge des tutelles peut, dans cette hypothèse, soit confirmer la
mission de la personne de confiance antérieurement désignée
Article L. 1111-12 (hiérarchie entre moyens recueil volonté)
Lorsqu'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable,
quelle qu'en soit la cause, est hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin a l’obligation
de s’enquérir de l’expression de la volonté exprimée par le patient. En l’absence de
directives anticipées, il recueille le témoignage de la personne de confiance et à défaut
de tout autre témoignage de la famille ou des proches.
S’agissant des mineurs, les titulaires de l’autorité parentale sont réputés être personnes
de confiance.
L’article L.1111-13 est abrogé
- 72 -
7.3. Guide d’entretien
1- Comment définiriez-vous les directives anticipées ?
En fonction de la réponse : rappel sur la définition
Les directives anticipées ont été créées en 2005. Elles permettent d’exprimer la volonté de la personne relative à sa fin de vie.
« Toute personne majeure peut, si elle le souhaite, faire une déclaration écrite, appelée « directives anticipées », afin de préciser ses souhaits quant à sa fin de vie, prévoyant ainsi l’hypothèse où elle ne serait pas, à ce moment-là, en capacité d’exprimer sa volonté. »
Elle se rédige actuellement sur papier libre et elles sont valides 3 ans renouvelables.
2- À quelle occasion avez-vous discuté de directives anticipées avec un patient ?
Si non abordé : À votre initiative, à celle du patient, d’un proche ? Par écrit ? Par Oral ? ( A-t-elle été formalisée par écrit ?)
3- Avez-vous déjà abordé la question des directives anticipées avec le patient ou sa famille suite à son séjour en réanimation ? En fonction de la réponse : Que pensez-vous d’aborder les directives anticipées suite à un séjour d’un patient en réanimation ?
4- Pour vous, il y a-t-il un meilleur moyen ou meilleur moment pour aborder ce sujet?
5- Que pensez-vous des propositions de loi suivantes ?
a. Développer l’information du public sur l’intérêt des directives anticipées (à l’entrée de certaines pathologies notamment dégénératives)
b. Faciliter la rédaction des directives anticipées avec un cadre de rédaction anticipant les situations les plus critiques (Etat végétatif chronique ou pauci-relationnel, perte de mobilité ou de toutes facultés mentales…) : avec un cadre général et plus spécifique concernant la pathologie dont le patient est atteint
c. Validité sans limites de temps (contre 3 ans renouvelables actuellement)
6- Auriez-vous des propositions pour améliorer la formation des médecins ?
- 73 -
7- Êtes-vous un homme ou une femme ?
a. Homme b. Femme
8- À quelle tranche d’âge appartenez-vous ?
a. Moins de 30 ans b. 30-40 ans c. 40-50 ans d. 50-60 ans e. Plus de 60 ans
9- Votre type d’exercice comprend (réponses multiples possibles):
a. Consultation en cabinet libéral b. Consultation en centre médical de santé/maison de santé c. Consultation à l’hôpital/ en clinique d. EHPAD / maison de retraite e. Autres :
11- Comment définiriez-vous votre patientèle
a. Majoritairement jeune b. Majoritairement Agée Précisions : …………………………………………………………
Résumé de la thèse
Introduction:
Les lois sur les directives anticipées sont issues d’une transition d’un modèle paternaliste de
la médecine au modèle délibératif. Cependant, la complexité du sujet et la trop facile réponse
par l’évitement a fait que ce genre de loi a été rarement une priorité tant au niveau législatif
que médical. L’effet de la loi relative aux droits des malades et à la fin de vie n’a pas eu le
résultat espéré. En effet seul 2,5% des patients en fin de vie ont rédigé des directives
anticipées. L’objectif de ce travail est d’explorer si un séjour en réanimation est une bonne
opportunité pour évoquer les directives anticipées.
Matériel et Méthodes:
Pour répondre à cette question, nous avons interrogé les médecins traitants des patients âgés
de plus de 75 ans sortis de réanimation sur une période de 3 mois dans un service de
réanimation de Seine et Marne (77).
Résultats:
Nous avons recueilli 11 témoignages de médecins traitants. Malgré, une médiatisation de
certains cas exceptionnels, les directives anticipées restent méconnues des patients et des
médecins. La rédaction des directives anticipées pose souvent difficultés au patient car difficile
à formaliser à l’écrit et l’abord de la fin de vie n’est pas encore rentrée dans les habitudes des
médecins traitants.
Discussion:
La problématique est multiple et nécessite une solution à différents niveaux: politique,
sociétal, économique, éthique, pédagogique et relationnel. Les différentes médiatisations
doivent permettre de faire évoluer les mentalités. Un projet de loi est en cours de discussion.
Elle doit permettre de répondre en partie à certaines réticences à la rédaction de directives
anticipées.
Mot Clés : Directives anticipées, Médecin traitant, Médecine générale, Réanimation,
Loi Léonetti, Fin de vie