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ÉDITORIAL Un Cœur-à-Cœur avec Dieu Un bulletin paroissial mensuel BAABDATH sommaire 26 « « MAI 2014 ÉDITORIAL THÈME LITURGIQUE DU MOIS LES CHEMINS DE LA PRIERE MÉDITATION DOMINICALE LA PSALMODIE OU LITURGIE DU CŒUR L’ABÉCÉDAIRE DE LA FOI L’ÉGLISE IMAGES ET REPERES 1er ANNIVERSAIRE DE L’ÉLECTION DU PAPE FRANÇOIS-II PRIER AVEC JEAN XXIII PRIER AVEC JEAN-PAUL II LA JOIE DE L’ÉVANGILE MÉDITATIONS I: DIEU ET L’ARGENT - V MÉDITATIONS II: JE SUIS LE CHEMIN, LA VERITÉ ET LA VIE LES CLÉS DE LA PRIERE LA RÉVOLUTION D’UN HOMME NOUVELLE ÉVANGELISATION LA NOUVELLE EVANGELISATION, C’EST QUOI? - VII ENQUÊTE JÉSUS ET LES SIGNES DE LA BONNE NOUVELLE LA FOI EN QUESTION À LA DÉCOUVERTE DES SITES ET ÉGLISES DU LIBAN ANNIVERSAIRE DES SAINTS SAINTE JEANNE D’ARC, LA PUCELLE D’ORLEANS PROGRAMME DES ACTIVITÉS ET CARNET 1 2 6 16 12 18 20 22 48 56 52 62 64 60 26 30 24 34 40 36 A vec la résurrection du Christ nous sommes rentrés dans le temps pascal qui va durer cinquante jours et illuminer les quatre prochaines semaines jusqu’à l’Ascension du Seigneur, que nous célébrerons le dernier dimanche de ce mois de mai, qui est aussi le mois marial par excellence. Tout au long des textes d’Évangile de ce mois, nous découvrirons que nous sommes bien souvent aveuglés par notre univers immédiat, par nos problèmes quotidiens, au point de ne plus voir la présence du Christ dans notre vie, car comme pour les disciples d’Emmaüs, le Christ nous surprend à vivre avec nous, sous une apparence inattendue ! À travers les mots que nous ne reconnaissions plus comme étant de lui ! Il faudra pourtant que nous gardions en éveil notre attention et notre cœur pour découvrir les gestes qui nous diront sa présence, car le Seigneur ne cesse de venir parmi nous, il est toujours au milieu de nous comme il l’était au milieu de ses disciples. Jésus nous visite journellement, à nous d’être vigilants à sa présence et à son message de paix et d’amour, car il nous envoie à notre tour partout dans le monde pour être porteurs de ce message, nous qui avons été traversés par sa résurrection au point de voir nos vies transformées par le Christ. Rendons compte de l’espérance qui est en nous (1P3, 15) en puisant sans cesse l’énergie nécessaire aux sources vives de la prière. Fra’ Jean-Louis

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ÉDITORIAL

Un Cœur-à-Cœur avec DieuUn bulletin paroissial mensuel

BAABDATH

sommaire26

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I 2

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ÉDITORIAL THÈME LITURGIQUE DU MOISLES CHEMINS DE LA PRIERE

MÉDITATION DOMINICALELA PSALMODIE OU LITURGIE DU CŒURL’ABÉCÉDAIRE DE LA FOIL’ÉGLISE IMAGES ET REPERES1er ANNIVERSAIRE DE L’ÉLECTIONDU PAPE FRANÇOIS-IIPRIER AVEC JEAN XXIIIPRIER AVEC JEAN-PAUL IILA JOIE DE L’ÉVANGILEMÉDITATIONS I:• DIEU ET L’ARGENT - V

MÉDITATIONS II:• JE SUIS LE CHEMIN, LA VERITÉ ET LA VIE

LES CLÉS DE LA PRIERELA RÉVOLUTION D’UN HOMMENOUVELLE ÉVANGELISATION• LA NOUVELLE EVANGELISATION, C’EST QUOI? - VII

ENQUÊTE • JÉSUS ET LES SIGNES DE LA BONNE NOUVELLE

LA FOI EN QUESTIONÀ LA DÉCOUVERTE DES SITESET ÉGLISES DU LIBANANNIVERSAIRE DES SAINTSSAINTE JEANNE D’ARC, LA PUCELLE D’ORLEANS

PROGRAMME DES ACTIVITÉS ET CARNET

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A vec la résurrection du Christ nous sommes rentrés dans le temps pascal qui va durer cinquante jours

et illuminer les quatre prochaines semaines jusqu’à l’Ascension du Seigneur, que nous célébrerons le dernier dimanche de ce mois de mai, qui est aussi le mois marial par excellence. Tout au long des textes d’Évangile de ce mois, nous découvrirons que nous sommes bien souvent aveuglés par notre univers immédiat, par nos problèmes quotidiens, au point de ne plus voir la présence du Christ dans notre vie, car comme pour les disciples d’Emmaüs, le Christ nous surprend à vivre avec nous, sous une apparence inattendue ! À travers les mots que nous ne reconnaissions plus comme étant de lui ! Il faudra pourtant que nous gardions en éveil notre attention et notre cœur pour découvrir les gestes qui nous diront sa présence, car le Seigneur ne cesse de venir parmi nous, il est toujours au milieu de nous comme il l’était au milieu de ses disciples. Jésus nous visite journellement, à nous d’être vigilants à sa présence et à son message de paix et d’amour, car il nous envoie à notre tour partout dans le monde pour être porteurs de ce message, nous qui avons été traversés par sa résurrection au point de voir nos vies transformées par le Christ. Rendons compte de l’espérance qui est en nous (1P3, 15) en puisant sans cesse l’énergie nécessaire aux sources vives de la prière.

Fra’ Jean-Louis

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LES CHEMINSDE LA PRIÈRE

2 THÈME LITURGIQUE DU MOIS:

ALLEZ DONC !e n’est pas un hasard si la finale de l’Évangile de Matthieu que nous entendons le jour de l’Ascension nous invite à aller faire des disciples de toutes les nations. Le dynamisme de la résurrection est un puissant moteur intérieur qui pousse les croyants à répandre

la Bonne Nouvelle en tout temps et en tous lieux. Après Jésus et comme Jésus, les premiers disciples vont de ville en ville, de maison en maison, de place publique en place publique, pour annoncer la parole d’espérance et de réconciliation qu’ils ont entendue et dont ils vivent. Cette Parole, notre monde en a un urgent besoin!

Nous l’avons reçue pour la transmettre: la garderons-nous pour nous ou la laisserons-nous nous bouleverser jusqu’à nous lancer sur les chemins de notre quartier, de notre ville, de notre pays ou du monde pour que les hommes en soient illuminés? Ne pensons pas que cela soit difficile ou réservé à d’autres Jésus passait en faisant le bien autour de lui. S’il est notre modèle, agissons de même, passons parmi nos frères en faisant le bien, en semant la parole de réconciliation, en offrant la bonté. C’est en approfondissant notre relation au Christ dans la prière quotidienne et dans la pratique des sacrements que nous partirons, comme Marie, en toute hâte à la rencontre du pauvre, du malade, du désespéré pour lui apporter la présence consolante de Jésus. Allez, ce mois-ci, faites un petit pas pour que l’Évangile arrive dans tous les cœurs.

Bernadette Mélois

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3LES CHEMINS DE LA PRIÈRE

Marie-Noëlle ThabutTout ce mois de mai est illuminé par la nouvelle de la résurrection du Christ. C’est elle qui inspire les lettres de Pierre, c’est elle qui nous donne d’oser témoigner de notre espérance. Et nous apprenons à voir à travers le visage de Jésus le vrai visage de notre Père du ciel.

Il fallait3e dimanche de Pâques - ALes disciples d’Emmaüs étaient encore sous le coup des terribles événements des derniers jours. Il ne leur restait plus qu’à quitter Jérusalem, où était morte leur espérance. L’avenir entrevu autour de la personne de Jésus Nazareth était mort avec lui. Et loin de calmer leur tristesse un compagnon de route leur tint des propos étranges: Vous n’avez donc pas compris ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Messie souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire ? (Lc 24, 25-26).Fallait-il vraiment cette horrible Passion, la haine déchaînée contre un innocent, la mort infamante? Qui donc exigeait pareilles atrocités? Et de quelle gloire parlait-il ? Et quand donc les prophètes d’Israël avaient-ils annoncé des choses pareilles? L’inconnu semblait au clair, lui, avec toutes ces questions et il se lança dans une longue expli¬cation: pour ouvrir leurs esprits à l’intelligence, il entreprit une longue relecture des Écritures à travers Moïse (c’est-à-dire les cinq premiers livres de la Bible traditionnellement attribués à Moïse), les Prophètes et les Psaumes.Comme on aimerait savoir quels textes Jésus a choisis pour éclairer nos deux disciples ! À défaut de pouvoir les citer, on en devine le contenu, puisque, peu à peu, une cohérence apparut. Et c’est tout heureux, tout illuminés d’une compréhension nouvelle que Cléophas et son compagnon ont fait demi-tour pour aller annoncer aux onze Apôtres restés à Jérusalem ce qu’ils savaient déjà: Oui Jésus est bien vivant.Et si le Christ a dû traverser les épreuves de la Passion, ce n’est pas pour satisfaire une exigence de Dieu. Le fameux « il fallait » traduit seulement la dureté de cœur des hommes : Je suis venu [...] pour [...] rendre témoignage à la vérité, disait-il (Jn 18, 37). Ce témoignage lui a coûté la vie.

La première lettre de Pierre4e dimanche de Pâques - AVous l’aimez sans l’avoir vu (1 P 1, 8).On parle beaucoup des lettres de saint Paul, on parle moins de celles de Pierre. Il en a pourtant écrit deux, très belles et énergiques. Plusieurs de leurs formules nous sont familières, cependant, car elles ont été reprises dans la liturgie de la messe. Elles sont courtes (cinq chapitres pour la première, trois pour la seconde): cela devrait nous inciter à nous y plonger et nous aurons alors la surprise de nous trouver en terrain connu. Tout d’abord, parce qu’elles sont émaillées de citations de l’Ancien Testament, ensuite parce que nombre de phrases pourraient être signées de saint Paul, enfin parce que le salut apporté par Jésus Christ en est l’objet principal. Qui sont les destinataires? D’après ses propres termes « des élus qui vivent en étrangers dans la diaspora », c’est à-dire d’anciens païens d’Asie Mineure devenus chrétiens. Ce qui nous rappelle au passage que la région que nous appelons aujourd’hui la Turquie fut le berceau du christianisme!Par les Actes des Apôtres, nous avons accès déjà à la prédication de Pierre. Mais le ton des lettres sera différent en raison de la diversité des auditoires: d’après les Actes au matin de la Pentecôte, Pierre s’adressait à des Juifs présents à Jérusalem pour le grand pèlerinage de cette fête Dans sa première lettre, au contraire, il déclare écrire à d’anciens païens devenus chrétiens. Les discours ne sont évidemment pas les mêmes. À des Juifs en attente du Messie, il annonçait que leur attente était comblée. À des païens, il annonce leur

entrée dans le peuple des élus Cela nous vaut une magnifique définition du salut: être sauvés, c’est devenir capables de vivre dans la justice (1 P 2, 24), c’est-à-dire en conformité avec le projet de Dieu : projet de paix, d’amour mutuel, de fraternité.

Voir Dieu5e dimanche de Pâques - AQui m’a vu a vu le Père (Jn 14, 9)Voir Dieu, c’était de tout temps le rêve des hommes de la Bible, jusqu’à s’en fabriquer des statues quand il se faisait trop lointain. C’est l’histoire du veau d’or, par exemple (Ex 32). Or la loi de Dieu transmise par Moïse au Sinaï était formelle à ce sujet, c’était l’interdiction pure et simple de toute image de toute sorte: Tu ne feras aucune idole, aucune image de ce qui est là-haut dans les cieux, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux par-dessous la terre (Ex 20, 4). Il n’y avait que trop d’exemples d’animaux divinisés, quand ce n’étaient pas des statues humaines, dans les pays voisins. Pourquoi cette interdiction si radicale? Probablement parce que toute image de Dieu ne peut être que réductrice. D’autre part, c’est un leurre et une fausse piste (un danger) de disposer de Dieu à notre guise: lui assigner une place, en somme. Une autre raison encore: Dieu lui-même ne cherche pas à capter toute notre attention, ilvoudrait nous voir nous tourner vers nos frères.En revanche, Dieu lui-même avait suggéré quel portrait de lui était visible, tout simplement l’humanité elle-même: Dieu dit: « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance » (Gn 1, 26). Voilà la seule image que son peuple avait de Dieujusqu’à la venue de Jésus. Désormais c’est sur le visage du Christ que nous pouvons contempler Dieu : Qui m’a vu a vu le Père.

Oser dire l’espérance chrétienne6e dimanche de Pâques - ARendre compte de l’espérance qui est en vous (1 P 3, 15).Apparemment, nos communautés chrétiennes affrontent des difficultés semblables à celles du Ier siècle de notre ère. Tout comme nous, les premiers chrétiens faisaient alors figure de marginaux en monde païen. La fidélité à leur baptême exigeait d’eux des renoncements dont ils avaient à se justifier auprès de leur entourage. Pour certains, c’était un changement de vie, voire de métier: pour tous, c’était le rejet de leurs anciennes pratiques religieuses et, en particulier, le refus de participer aux sacrifices païens. Les circonstances ne sont plus exactement les mêmes mais, aujourd’hui encore, une vie chrétienne qui se veut authentique signifie pour beaucoup d’entre nous d’accepter de ramer à contre-courant dans bien des domaines: économique, social, familial.Sans vouloir faire la leçon à quiconque, nous sommes parfois contraints de dire les motivations profondes de nos choix. La phrase de Pierre s’adresse donc à nous avec une particulière pertinence: Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre compte de l’espérance qui est en vous (1 P 3, 15). Il n’est donc pas question de baisser les bras. Notre baptême nous envoie en mission. Où puiserons-nous l’énergie nécessaire? Dans la prière.De toute évidence, Pierre lie fortement les deux étapes de notre témoignage: ce qui se passe dans le secret du cœur, dans la prière et le courage de témoigner. L’un ne va pas sans l’autre: C’est le Seigneur, le Christ, que vous devez reconnaître dans vos cœurs comme le seul saint. Vous devez toujours être prêts à vous expliquer (1 P 3,15).

(Marie-Noëlle Thabut est bibliste dans le diocèse de Versailles. Avec un grand sens pédagogique, elle fait partager sa passion pour la Bible à travers des formations, des conférences et des voyages. Elle collabore régulièrement à Panorama, à Radio Notre-Dame et à MAGNIFICAT.

PETITE CHRONIQUE BIBLIQUE

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4 THÈME LITURGIQUE DU MOIS:TEMOIN DE L’ÉVANGILE

Jocelyne Khoueiry, un long combat pour la vie Marie- Helène de Cherisey

Une Palestinienne frappe à la porte du centre Jean-Paul-II, à Beyrouth, pour avorter. Son mari veut qu’elle continue à travailler. C’est la première fois que Jocelyne Khoueiry, chrétienne maronite, accueille, dans ce lieu qu’elle a créé pour soutenir les familles, quelqu’un du camp « ennemi ». Un vrai défi pour l’ancienne raïssé (chef, en arabe) qui a pris les armes dès le début de la guerre du Liban et vu tant de frères mourir à ses côtés! Elle choisit d’accompagner cette femme personnellement, lui offrant de compenser le manque à gagner jusqu’à ce qu’elle puisse reprendre son travail. « Grâce à cette expérience, confie-t-elle, j’ai perçu que la grâce de Dieu ne permet pas que les plaies de la guerre décident de mes comportements. J’ai senti que j’étais vraiment libre en moi. »

Les chemins détournés de la grâcePour Jocelyne, ce chemin de libération s’éclaire à la lumière de Marie. Pourtant, même si ses parents aimaient prier la Vierge, rien ne prédisposait ce » garçon manqué » à une consécration mariale. Patriote et passionnée de politique, elle avait opté pour une formation en journalisme et passait ses vacances dans des camps d’entraînement militaire. Profitant des joies de la vie étudiante, elle avait délaissé sa foi et ne pratiquait plus.En 1975, dès que la guerre éclate contre les Palestiniens, elle s’engage avec ses frères dans les Kataëb, la milice chrétienne dirigée par Bachir Gemayel. À 20 ans, elle prend la tête d’un commando de jeunes filles et participe aux combats qui font rage dans la capitale. Un soir de trêve, le 6 mai 1976, elles ne sont que six à tenir un bâtiment stratégique. Jocelyne monte seule sur le toit. Un soldat, en bas, promet: « On va vous faire la peau! » Une forte présence de Dieu la saisit alors. Elle tombe à genoux, priant Marie pour la première fois: « Protégez les filles! » Instant de grâce inouï au cœur de l’angoisse. Elle redescend étrangement calme, transformée. Soudain, un déluge de feu ébranle les murs. Les filles ripostent, mais le rapport des forces est désespéré. Discrètement, Jocelyne remonte pour lancer du haut du toit sa dernière

grenade, en visant le chef. Cris de panique. Trois cents Palestiniens se replient!

La « raïssé » de MarieCet exploit consacre Jocelyne en héroïne de la résistance chrétienne, fière et un peu cassante. Mais un an plus tard, gagnée par une mélancolie indéfinissable, elle prend ses distances et collabore à plusieurs journaux. Le malaise persiste. Une religieuse lui fait réaliser que la présence mystérieuse du 6 mai est la seule qui puisse la combler. Dans une église, seule face à la statue de la Vierge, elle dépose son treillis et offre à Marie de devenir son soldat. Impatiente, elle entreprend des études de théologie et part en quête d’une communauté religieuse. Aucune ne lui correspond. Sans rien savoir de tout cela, Bachir Gemayel la convoque pour la seule mission qu’elle puisse accepter: «Inculquer des valeurs, le sens des responsabilités » aux militantes libanaises devenues « insouciantes et immorales, menant une vie désordonnée ».La raïssé a changé et la guerre aussi. Par le jeu des influences extérieures, les factions sont mieux armées et plus professionnelles. Jocelyne, sans négliger l’entraînement physique des centaines de militantes, insiste sur leur formation humaine et spirituelle. Fait nouveau, elle les écoute et ne compte plus sur ses propres forces. Avec ardeur, les jeunes filles répercutent son message auprès des troupes, sur tous les fronts : « Il est grave de défendre la chrétienté au Liban sans en pratiquer les vertus! » Des religieux viennent les aider, ouvrant des aumôneries dans chaque caserne et provoquant de nombreuses conversions. Depuis 1985 où la raïssé quitte les Kataëb, sa mission ne cesse de s’approfondir pour défendre la valeur sacrée de la vie. Au milieu d’un peuple meurtri par des années de guerre, séduit par la société de consommation, elle fonde « La Libanaise 31 mai », encourageant les femmes à s’engager pour une société plus humaine, « avec le cœur de Marie ». En réponse à l’encyclique Evangelium vitae, l’association « Oui à la vie » et le centre Jean-Paul-II voient le jour, donnant les moyens à chacun de vivre en cohérence avec l’Évangile.Fidèle aux maronites qui ont toujours défendu le mys¬tère de Marie et de l’Incarnation dans l’Église Jocelyne est bien une fille du Liban !

(Marie-Hélène de Cherisey, journaliste et auteur, a filmé et écrit Passeurs d’espoir, racontant la rencontre de sa famille avec vingt et un entrepreneurs sociaux dans les cinq continents, et elle a créé pour les jeunes la collection de livres « L’Avenir, c’est nous ! ».

Le fin mot de l’histoire...Jocelyne, après sa consécration à Marie, est invitée à donner son témoignage dans le carmel situé au pied de Notre-Dame du Liban, haut lieu de pèlerinage, réunissant des Libanais de toutes confessions. Dans le pays, les journaux avaient contribué à la notoriété de la « raïssé », en donnant un large écho à la victoire du 6 mai 1976.Après l’avoir écoutée, la mère supérieure des religieuses prend la parole et lui fait cette confidence: « Si tu savais, Jocelyne, combien nous avons prié pour toi quand tu étais sur les barricades, afin que tu finisses entre les mains du Seigneur. »

(Pour aller plus loin: Nathalie Duplan et Valérie Raulin,Le Cèdre et la Croix,Presses de la Renaissance, Paris, 2005)

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5LES CHEMINS DE LA PRIÈRELES MOTS DE LA FOI

KérygmePère Sylvain Brison

Voilà un mot bien étrange à nos oreilles francophones: il provient directement du grec, mais n’est pas passé dans le langage courant. Kerygma signifie littéralement annonce ou message. Dans le langage de la foi, il désigne la Parole proclamée au nom de Dieu. Le kérygme est donc lié à la mission que l’Église reçoit du Christ au matin de Pâques: aller dans le monde entier et annoncer l’Évangile à toutes les nations. Parole proclamée dans la vérité, le kérygme porte en lui également une dimension performative qui rend présent de manière efficace ce qui est dit.

Le « tweet » de la Bonne NouvelleLa première caractéristique du kérygme est sa brièveté. L’expression la plus forte se trouve dans le discours de Pierre à la Pentecôte: Ce Jésus que vous avez crucifié, Dieu l’a ressuscité, nous en sommes les témoins (cf. Ac 2, 23-24.32). Dans cette phrase tout est dit de l’essentiel : le mystère de la mort et de la résurrection de Jésus et le témoignage de celui qui croit. Le long discours de Pierre culmine dans ces affirmations qui retiennent la quintessence de la Bonne Nouvelle. Aujourd’hui, sur Twitter, saint Pierre n’aurait pas écrit autre chose: «Kerygme: ce Jesus Christ que vous avez crucifié Dieu l’a ressuscité. » En définitive, le kérygme, c’est un peu le tweet de l’Évangile: le dépôt de la foi en moins de cent quarante caractères!

L’efficacité de la ParoleParce qu’il touche au cœur de la foi chrétienne et qu’il est lié à la parole de Dieu portée par le témoignage des

Apôtres, le kérygme rend présent l’événement pascal dans la vie de celui qui l’entend. En effet, l’événement de la résurrection est à la fois historique au sens où Jésus meurt à un moment précis et où il apparaît vivant de manière concrète et réelle dans la vie des disciples, mais il est aussi non-historique dans la mesure où le Christ ressus¬cité est affranchi des barrières du temps et de l’espace qui structurent notre monde et notre histoire: la résurrection est un événement eschatologique. Le mystère pascal est donc accessible et rendu présent à celui qui, entendant l’annonce de la foi, l’accueille avec grâce et générosité. Le kérygme se distingue donc des formules dogmatiques qui suivront dans l’histoire de l’Église. Il en est le fondement, le pivot qui enracine le dogme dans l’expérience pascale relatée par l’Écriture sainte.

Le cœur de l’évangélisationEn fin de compte, Pierre et les Apôtres n’annoncent pas autre chose que le Christ lui-même. Paul, dans la première lettre aux Corinthiens transmet ce qu’il a lui-même reçu: l’eucharistie (1 Co 11, 23-25) et le kérygme (1 Co 15, 3-5). Ce que Paul transmet, c’est le Christ vivant dans la communauté de l’Église, découvert et reçu dans la Parole et dans le sacrement. Proclamez le kérygme, c’est prêcher le Christ en son mystère, tel qu’il « avance au milieu des siens dans la communauté», selon la belle expression de Dietrich Bonhoeffer. La redécouverte du kérygme est donc essentielle pour pouvoir annoncer l’Évangile aujourd’hui.

Sylvain Brison est prêtre du diocèse de Nice. Enseignant au Theologicum de l’Institut catholique de Paris et aumônier de l’université à Nice, il est l’un des auteurs du livre Ils sont jeunes, ils sont prêtres, ils sont heureux.

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6 MÉDITATION DOMINICALE - I

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRISTSELON SAINT LUC 24, 13-35

4 MAI 2014 3e DIMANCHE DE PÂQUES - A

«Apparition aux disciples d’Emmaüs »Le troisième jour après la mort de Jésus, deux disciples faisaient route vers un village appelé Emmaüs, à deux heures de marche de Jérusalem, et ils parlaient entre eux de tout ce qui s’était passé. Or, tandis qu’ils s’entretenaient et s’interrogeaient, Jésus lui-même s’approcha, et il marchait avec eux. Mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Jésus leur dit : « De quoi discutez-vous en marchant ? » Alors, ils s’arrêtèrent, tout tristes. L’un des deux, nommé Cléophas, lui répondit : « Tu es bien le seul étranger résidant à Jérusalem qui ignore les événements de ces jours-ci. » Il leur dit : « Quels événements ? »

Ils lui répondirent : « Ce qui est arrivé à Jésus de Nazareth, cet homme qui était un prophète puissant par ses actes et ses paroles devant Dieu et devant tout le peuple

: comment les grands prêtres et nos chefs l’ont livré, ils l’ont fait condamner à mort et ils l’ont crucifié. Nous, nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël. Mais avec tout cela, voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé. À vrai dire, des femmes de notre groupe nous ont remplis de stupeur. Quand, dès l’aurore, elles sont allées au tombeau, elles n’ont pas trouvé son corps ; elles sont venues nous dire qu’elles avaient même eu une vision : des anges, qui disaient qu’il est vivant. Quelques-uns de nos compagnons sont allés au tombeau, et ils ont trouvé les choses comme les femmes l’avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas vu. » Il leur dit alors : « Esprits sans intelligence ! Comme votre cœur est lent à croire tout ce que les prophètes ont dit ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? » Et, partant de Moïse et de tous les Prophètes, il leur interpréta, dans toute l’Écriture, ce qui le concernait. Quand ils approchèrent du village où ils se rendaient, Jésus fit semblant d’aller plus loin. Mais ils s’efforcèrent de le retenir :

« Reste avec nous, car le soir approche et déjà le jour baisse. » Il entra donc pour rester avec eux. Quand il fut à table avec eux, ayant pris le pain, il prononça la bénédiction et, l’ayant rompu, il le leur donna. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent, mais il disparut à leurs regards. Ils se dirent l’un à l’autre : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » À l’instant même, ils se levèrent et retournèrent à Jérusalem. Ils y trouvèrent réunis les onze Apôtres et leurs compagnons, qui leur dirent : « Le Seigneur est réellement ressuscité : il est apparu à Simon-Pierre. » À leur tour, ils racontaient ce qui s’était passé sur la route, et comment le Seigneur s’était fait reconnaître par eux à la fraction du pain.

POUR MÉDITER L’ÉVANGILELes premières heures de la vie célébrées aujourd’huiCet évangile d’Emmaüs est déjà celui que nous avons entendu au soir de Pâques, pour faire coïncider le temps liturgique avec le temps historique. Ce soir-là, Jésus, quelques heures après sa résurrection, va prendre la peine de marcher aux côtés de disciples désœuvrés pour les enseigner, les éclairer et les envoyer témoigner. C’est ainsi que chemin faisant, Jésus va les illuminer par son enseignement, jusqu’au point de solliciter leur liberté, pour finalement leur offrir de célébrer la résurrection avec le ressuscité.« Chemin faisant » : Jésus nous accompagne dans notre propre vie et c’est sur ce chemin tantôt chaotique, tantôt aplani, facile ou difficile, dans la pesanteur du quotidien et la poussière de l’humain, que Dieu rejoint chacun. Notre vie concerne le Seigneur, et si nous le voulons bien il nous accompagne discrètement mais fermement, prêt à nous expliquer le sens des choses et de la vie à la lumière des Écritures. Il faut pour cela disposer notre cœur à recevoir son enseignement et accepter d’être bouleversés par la vérité qui se fait charité. C’est pourquoi Jésus les emmène jusqu’au point où il va leur proposer de l’inviter eux-mêmes à rester.« Solliciter la liberté »: quelle délicatesse de la part du Seigneur que de ne pas s’imposer. Non seulement ils ne le reconnurent pas tandis qu’il marchait à leurs côtés, mais aussi il fit mine de continuer son chemin comme pour ne pas forcer leur liberté et leur laisser la joie de l’inviter à entrer chez eux. Les conditions de la révélation sont rassemblées et Dieu n’aura plus qu’à poser les gestes significatifs pour qu’ils le reconnaissent. Il illumine en eux leurs cœurs à la fraction du pain, récapitulant tout son enseignement à ce moment fondateur institué quelques jours auparavant pour établir l’Alliance nouvelle et éternelle entre Dieu et les hommes.« Célébrer le ressuscité » : c’est dans l’illumination du ressuscité révélé à leurs yeux de croyants que nos disciples d’Emmaüs vont non seulement rendre grâce mais surtout rendre témoignage en retournant d’où ils venaient, à Jérusalem, pour témoigner de la joie du ressuscité auprès des apôtres enfermés. Or, avant même qu’ils aient le temps de parler, ce sont les apôtres eux-mêmes qui leur annoncent en premier la joie de la résurrection comme pour authentifier leur témoignage. Rassemblés au Cénacle, ils vont ensemble célébrer pour la première fois la vie. Premières heures sur la terre de la vie du ressuscité, qui se prolongent depuis dans chaque dimanche célébré par ceux qui portent la Bonne Nouvelle.

Abbé Guillaume Seguin

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7MÉDITATION DOMINICALE - II

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 10, 1- 10

11 MAI 2014 4e DIMANCHE DE PÂQUES - A

« Jésus est le bon pasteur et la porte des brebis »Jésus parlait ainsi aux pharisiens : « Amen, amen, je vous le dis: celui qui entre dans l’enclos des brebis sans passer par la porte, mais qui escalade par un autre endroit, celui-là est un voleur et un bandit. Celui qui entre par la porte, c’est le pasteur, le berger des brebis. Le portier lui ouvre, et les brebis écoutent sa voix. Ses brebis à lui, il les appelle chacune par son nom, et il les fait sortir. Quand il a poussé dehors toutes les siennes, il marche à leur tête, et les brebis le suivent, car elles connaissent sa voix. Jamais elles ne suivront un inconnu, mais elles s’enfuiront loin de lui, car elles ne connaissent pas la voix des inconnus. » Jésus employa cette image pour s’adresser à eux, mais eux ne comprirent pas de quoi il leur parlait. C’est pourquoi Jésus reprit la parole : « Amen, amen, je vous le dis : Moi, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus avant moi sont des voleurs et des bandits ; mais les brebis ne les ont pas écoutés. Moi, je suis la porte. Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage. Le voleur ne vient que pour voler, égorger, faire périr. Moi, je suis venu pour que les brebis aient la vie, la vie en abondance.

POUR MÉDITER L’ÉVANGILEL’unique berger du troupeauUne fois n’est pas coutume : aujourd’hui, la cohérence des textes de ce dimanche nous apparaît assez clairement ! Le psaume, la deuxième lecture ou encore l’évangile utilisent la même métaphore du berger. Notre psaume compare la relation de Dieu avec Israël à la sollicitude d’un berger pour son troupeau: « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien; sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer. » Dans la deuxième lecture, l’apôtre Pierre compare les hommes qui n’ont pas la foi en Jésus- Christ à des brebis perdues: « Vous étiez errants comme des brebis ; mais à présent vous êtes revenus vers le berger qui veille sur vous ». Et enfin, dans l’évangile, Jésus entame un long discours sur le thème du bon berger. Nous le savons bien, ce thème est cher aux Écritures. En effet, il faut savoir que les civilisations orientales anciennes considéraient volontiers leurs rois comme des pasteurs auxquels la divinité avait confié le service de rassembler et de soigner le peuple, à la manière d’un bon pasteur qui veille sur ses brebis. C’est finalement sur cet arrière-plan que la Bible détaille les relations qui unissent Israël et Dieu, à travers notamment la figure « Roi-pasteur » que l’on retrouve dans différents textes bibliques (cf. Mi 2,12-13). Mais si l’on regarde

bien notre évangile, ce n’est pas d’abord ce thème qui apparaît en premier. Jésus commence par développer deux autres thèmes : celui de la porte et celui de la voix. Tout d’abord le thème de la porte. Cette porte est à la fois la porte par laquelle entre le berger, mais elle aussi elle la porte de la vie, car c’est par cette porte unique que sortent les brebis pour aller vers les pâturages. Dans l’évangile, Jésus se définit lui-même comme étant cette porte : « Je suis la porte. » Il n’y a donc pas plusieurs portes, mais une seule et unique. De plus, il s’agit d’une porte étroite où l’on ne passe que un par un (Lc 13,24).On le sait bien, la voix de chaque personne est unique. C’est pourquoi, les brebis reconnaissent sans trop de difficulté la voix de leur berger. Mais cette connaissance est réciproque, car le berger connaît chacune de ses brebis puisqu’ « il les appelle chacune par son nom ».Ces deux thèmes insistent donc sur l’unicité : un est le berger, une est la porte et un est le troupeau dans lequel chaque brebis est appelée par son nom. Jésus est venu dans le monde pour qu’il n’y ait qu’un seul troupeau, réuni autour d’un seul pasteur. Ainsi, Jésus nous dit qu’il n’y a pas d’autre chemin de salut que lui-même. Il est le seul et unique médiateur qui unit Dieu et l’homme. Dans cet unique troupeau, chacun est appelé personnellement et doit répondre à l’appel de son nom puisque chacun est aimé d’un amour unique.

Père Bernard fmnd.

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8 MÉDITATION DOMINICALE - III

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 14, 1-12

18 MAI 2014 5e DIMANCHE DE PÂQUES - A

« Personne ne va vers le Père sans passer par moi »A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples : «Ne soyez donc pas bouleversés: vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la maison de mon Père, beaucoup peuvent trouver leur demeure ; sinon, est-ce que je vous aurais dit : Je pars vous préparer une place ? Quand je serai allé vous la préparer, je reviendrai vous prendre avec moi ; et là où je suis, vous y serez aussi.Pour aller où je m’en vais, vous savez le chemin. » Thomas lui dit : « Seigneur, nous ne savons même pas où tu vas ; comment pourrions-nous savoir le chemin? » Jésus lui répond : « Moi, je suis le Chemin,

la Vérité et la Vie ; personne ne va vers le Père sans passer par moi. Puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l’avez vu. » Philippe lui dit : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. »Jésus lui répond : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ! Celui qui m’a vu a vu le Père. Comment peux-tu dire: « Montre-nous le Père » ? Tu ne crois donc pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ! Les paroles que je vous dis je ne les dis pas de moi-même; mais c’est le Père qui demeure en moi, et qui accomplit ses propres œuvres. Croyez ce que je vous dis : je suis dans le Père, et le Père est en moi; si vous ne croyez pas ma parole, croyez au moins à cause des œuvres. Amen, amen, je vous le dis : celui qui croit en moi accomplira les mêmes œuvres que moi. Il en accomplira même de plus grandes, puisque je pars vers le Père ».

« Là où je suis, vous y serez aussi! »En ce 5e dimanche du temps pascal, l’Église nous invite à méditer le discours après la Cène de Jésus, qui veut rassurer ses apôtres avant sa Passion. Il ne les abandonne pas. Il part leur préparer une place : « Là où je suis, vous y serez aussi! » Cette promesse de Jésus s’adresse aussi à nous. Méditons-la et ayons foi en Jésus ressuscité, le vivant, qui ne peut plus connaître la mort. Nous sommes chrétiens, du Christ, nous partageons la vie des hommes de notre temps, mais notre patrie éternelle est le ciel, là où Jésus vit et où il nous prépare une place !À la question de Thomas, Jésus répond : « Je suis le chemin, la vérité et la vie ! » Jean-Paul II, à Saint-Jacques-de-Compostelle en 1991, avait médité ces paroles avec les jeunes des JMJ. Il les avait invités à ne pas avoir peur d’être des saints en suivant Jésus. Comprenons plus en profondeur le mystère de l’incarnation : le Fils de Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne

enfant de Dieu!Jésus est la vérité parce qu’il est le Verbe. Il est la vie parce qu’il est Dieu, le vivant. Il est le chemin, parce que par l’incarnation, comme l’a dit Dieu le Père à sainte Catherine de Sienne, il est devenu la route qui nous conduit au ciel. Jésus a adopté notre nature humaine et a récapitulé l’humanité en devenant la tête de l’humanité rachetée. Par le baptême, disait Jean-Paul II en France en 1996, nous avons choisi le Christ, le bonheur et la vie. Nous avons renouvelé les promesses de notre baptême : mourons toujours davantage au péché avec Jésus et vivons avec lui de la vie de la grâce !Dans la conclusion de l’évangile de ce dimanche, Jésus promet à celui qui croit en lui d’accomplir les mêmes œuvres que lui et même de plus grandes ! Avons-nous foi en ces paroles ?Pouvons-nous hésiter à participer avec détermination à la nouvelle évangélisation comme le pape François l’a demandé dans l’exhortation Evangelii Gaudium? Avons-nous lu le texte de notre Saint-Père ? Jean-Paul II, au terme du grand Jubilé de l’an 2000, nous avait envoyés en mission : avancez en eaux profondes et jetez les filets, duc in altum! Ne soyons pas des évangélisateurs défaitistes, des combattants battus d’avance, mais des témoins de Jésus, qui croient en l’Évangile et qui sont joyeux et enthousiastes ! Les sept premiers diacres ont été de tels témoins. Imitons-les et laissons-nous guider par l’Esprit Saint, avec la conviction que la parole du Seigneur est puissante et qu’elle peut réaliser ce qu’elle a réalisé au début de l’Église. En avant pour la mission, dans le souffle évangélique de notre pape François ! Et soyons des pierres vivantes comme nous le demande saint Pierre ! Père Bernard fmnd

POUR MÉDITER L’ÉVANGILE

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9MÉDITATION DOMINICALE - IV

ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT JEAN 14, 15-21

25 MAI 2014 6e DIMANCHE DE PÂQUES - A

La loi nouvelle de l’ÉvangileD’où tirons-nous les règles de notre comportement? De ce qui se fait autour de nous? Cela a un fâcheux relent de conformisme. Notre dignité humaine est-elle réduite à suivre ce que les autres font, sans discernement? Certes, nous savons bien quel besoin nous avons de nous sentir soutenus par ce qui se fait autour de nous, mais devons-nous pour autant prendre la couleur de la muraille? Qui ne voit l’inconvénient de cette position? La variété des civilisations offre une palette étonnante de règles de comportement qui doit nous faire réfléchir.Depuis l’Antiquité, des penseurs se sont penchés sur ce problème. Par une réflexion sur l’expérience humaine, ils employaient souvent le mot « nature de l’homme ». Ils ont élaboré maints systèmes de morale, depuis Aristote jusqu’au structuralisme. Là encore, nous sommes étourdis devant la variété des perspectives proposées. Nous courons le danger de choisir le système qui nous convient le mieux, parfois celui qui va dans le sens de la pente de notre être. Est-ce cela que Dieu a voulu pour nous ?Le livre de Ben Sirac nous redit cette certitude : Dieu nous a créés libres, non pas pour pécher, c’est-à-dire nous soustraire à son projet, mais pour y adhérer. Il nous a dotés d’une intelligence capable de

gouverner notre comportement. De plus, celle-ci a été éclairée par la bienveillance divine qui, par l’Esprit Saint, nous a fait connaître ce que Dieu avait en vue en nous créant (texte de saint Paul). Les commandements sont donc les intentions du Dieu créateur dont il a bien voulu nous faire part. Mais, contrairement à l’analyse purement humaine des philosophes, ce plan divin est extrêmement ambitieux. Dieu a une haute idée de sa créature humaine et il entend que nous essayions de nous hausser au-dessus de ce qui semble accessible. C’est l’originalité de la loi nouvelle, de la loi évangélique, que de nous proposer des buts qui semblent inaccessibles. Les trois exemples tirés du sermon sur la montagne, dans lesquels Jésus semble mettre la barre encore plus haut que l’Ancien Testament, déjà lui-même très exigeant, montrent cette volonté du Christ de nous faire agir dans un autre registre que celui du possible. Bien d’autres phrases de Jésus rendent le même son. Il faut viser plus haut. D’une part à cause de cette ambition de Dieu à notre endroit, d’autre part à cause de notre faiblesse due au péché originel. Il sait notre faiblesse, mais il nous montre le dur chemin pour la vaincre. Plus encore, il nous en donne la force par son amour rédempteur. N’oublions pas le bref résumé de saint Augustin sur le sujet: « Dieu donne ce qu’il ordonne. » Père François de Vorges

POUR MÉDITER L’ÉVANGILE

« Je ne vous laisserai pas orphelins »À l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, il disait à ses disciples :Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Moi, je prierai le Père, et il vous donnera un autre Défenseur qui sera pour toujours avec vous : l’Esprit de vérité, lui que le monde ne peut recevoir, car il ne le voit pas et ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous, et il sera en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins, je reviens vers vous. D’ici peu de temps, le monde ne me verra plus, mais vous, vous me verrez vivant, et vous vivrez aussi. En ce jour-là, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi en vous. Celui qui reçoit mes commandements et les garde, c’est celui-là qui m’aime ; et celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi, je l’aimerai, et je me manifesterai à lui. »

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ÉVANGILE DE JÉSUS-CHRIST SELON SAINT MATTHIEU 28, 16-20

29 MAI 2014 ASCENSION DU SEIGNEUR

« Allez vers toutes les nations… je suis avec vous »Au temps de Pâques,Les onze disciples s’en allèrent en Galilée, à la montagne où Jésus leur avait ordonné de se rendre. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais certains eurent des doutes. Jésus s’approcha d’eux et leur adressa ces paroles : « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! De toutes les nations faites des disciples: baptisez-les au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé. Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. »

ASCENSION DU SEIGNEUR

La loi nouvelle de l’Évangile

D’où tirons-nous les règles de notre comportement? De ce qui se fait autour de nous? Cela a un fâcheux relent de conformisme. Notre dignité humaine est-elle réduite à suivre ce que les autres font, sans discernement? Certes, nous savons bien quel besoin nous avons de nous sentir soutenus par ce qui se fait autour de nous, mais devons-nous pour autant prendre la couleur de la muraille? Qui ne voit l’inconvénient de cette position? La variété des civilisations offre une palette étonnante de règles de comportement qui doit nous faire réfléchir.Depuis l’Antiquité, des penseurs se sont penchés sur ce problème. Par une réflexion sur l’expérience humaine, ils employaient souvent le mot « nature de l’homme». Ils ont élaboré maints systèmes de morale, depuis Aristote jusqu’au structuralisme. Là encore, nous sommes étourdis devant la variété des perspectives proposées. Nous courons le danger de choisir le système qui nous

convient le mieux, parfois celui qui va dans le sens de la pente de notre être. Est-ce cela que Dieu a voulu pour nous ?Le livre de Ben Sirac nous redit cette certitude : Dieu nous a créés libres, non pas pour pécher, c’est-à-dire nous soustraire à son projet, mais pour y adhérer. Il nous a dotés d’une intelligence capable de gouverner notre comportement. De plus, celle-ci a été éclairée par la bienveillance divine qui, par l’Esprit Saint, nous a fait connaître ce que Dieu avait en vue en nous créant (texte de saint Paul). Les commandements sont donc les intentions du Dieu créateur dont il a bien voulu nous faire part. Mais, contrairement à l’analyse purement humaine des philosophes, ce plan divin est extrêmement ambitieux. Dieu a une haute idée de sa créature humaine et il entend que nous essayions de nous hausser au-dessus de ce qui semble accessible. C’est l’originalité de la loi nouvelle, de la loi évangélique, que de nous proposer des buts qui semblent inaccessibles. Les trois exemples tirés du sermon sur la montagne, dans lesquels Jésus semble mettre la barre encore plus haut que l’Ancien Testament, déjà lui-même très exigeant, montrent cette volonté du Christ de nous faire agir dans un autre registre que celui du possible. Bien d’autres phrases de Jésus rendent le même son. Il faut viser plus haut. D’une part à cause de cette ambition de Dieu à notre endroit, d’autre part à cause de notre faiblesse due au péché originel. Il sait notre faiblesse, mais il nous montre le dur chemin pour la vaincre. Plus encore, il nous en donne la force par son amour rédempteur. N’oublions pas le bref résumé de saint Augustin sur le sujet: « Dieu donne ce qu’il ordonne. » Père François de Vorges

POUR MÉDITER L’ÉVANGILE

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12 LA PSALMODIE...

LA PSALMODIE, OULITURGIE DU CŒUR-IV

Si notre démarche actuelle porte essentiellement sur le rôle de la musique dans la liturgie, elle se voit en même temps incontournablement confrontée à d’autres univers. Celui de la liturgie nous découvre un «va-et-vient» permanent entre nouvelle et ancienne Alliance. Nos yeux, alors illuminés, contemplent la force d’un Amour sur lequel l’usure du temps n’a aucun pouvoir. C’est cet Amour que, dans l’ «aujourd’hui» périssable des Hommes, célèbrent nos cœurs et servent nos musiques à travers une liturgie translucide et intemporelle ; lorsqu’après avoir goûté à sa Bonté, sa Beauté et sa Vérité, toutes nos soifs transfigurées rejaillissent en désir d’incorruptibilité. Les mélodies psalmiques proposées pour ce mois signifient par un climat métamorphosé la transformation ontologique qui atteint le monde créé au cours du Temps sacramentel Post-Pascal.

Prélude à l’Amourous venons de célébrer la fête par excellence de l’œuvre du Salut accomplie par le Christ,

le Mystère de sa mort et de sa résurrection. Ce Mystère est avant tout celui d’un Dieu, sorti de lui-même en un «Exitus» inédit et formidable, pour venir racheter à la mort ceux qui s’y étaient voués par leurs égarements: Pâque du Dieu sauveur. Une Nouvelle Alliance, scellée dans le sang de l’Agneau Véritable et sans défaut, inaugure un Jour Nouveau qui ne connaît pas

de couchant: Pâque de l’univers sauvé, inscrite dans le «Reditus» de ce même Dieu vers Lui-même. La porte jadis fermée par la faute du premier Adam s’ouvre à nouveau. Par sa Mort, Jésus Christ a vaincu la Mort. Aux morts, Il a donné la Vie. Ce qui est réalisé et scellé une fois pour toutes, dans la nuit de Pâque, s’actualise pour nous durant le Temps Pascal. C’est le Temps où l’Église dans son cheminement est appelée à fixer son regard vers le Seigneur de l’Histoire devenu serpent d’Airain et Arbre de Vie; pour que soient guéris

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LA PSALMODIE, OULITURGIE DU CŒUR-IV

13...OU LITURGIE DU CŒUR

de la morsure du péché ceux qui en avaient été atteints. L’Église perpétue l’action du Christ qui sauve, en la rendant efficace, ici et maintenant, dans le «hic et nunc». C’est le Temps de l’Esprit, l’Heure de la liturgie. Antidote de la Mort ou bois de la CroixDans sa longue marche dans le désert, le peuple de la première Alliance désespérant des biens promis est épuisé par la soif. De son bâton, Moïse frappe alors le rocher et fait jaillir l’eau. Mais ce peuple à la nuque raide demeure incliné aux voluptés égyptiennes. Comme leurs désirs serviles suscitaient des serpents dont la morsure insinuait un poison mortel dans ceux qui en étaient victimes, le grand Législateur rendit vaine la puissance des serpents véritables par une figure de serpent. Pour St Grégoire de Nysse, le seul antidote pour la nature humaine, si sujette aux divers dérèglements, consiste en la purification opérée dans l’âme par le mystère de la religion dont l’essentiel est de regarder vers la Passion de celui qui a accepté de souffrir pour nous libérer. La Passion, c’est la Croix. Aussi «celui qui regarde» vers celle-ci, comme l’Écriture le montre, n’est pas lésé par le poison du désir. Se tourner vers la Croix, c’est rendre toute sa vie morte au monde et «crucifiée», de telle sorte qu’elle ne puisse se laisser entraîner à quelque péché que ce soit […].Le vrai serpent, c’est le péché. Et celui qui se porte vers lui revêt la nature de serpent. Mais, l’homme est libéré du péché par celui qui a pris sur lui la forme du péché, qui s’est fait semblable à nous qui nous étions tournés vers la forme du serpent ; par lui, la mort est empêchée […] L’homme qui regarde vers celui qui a été élevé sur le bois repousse la passion, dissolvant le poison par la crainte du commandement comme par un remède. […] «De même que Moise a dressé le serpent dans le désert, ainsi il faut que le Fils de l’homme soit élevé». Le temps de l’Église ou l’Actualisation Après ce plongeon avec Grégoire de Nysse dans ce qui fait l’essence de la théologie de la Croix située au cœur du Mystère Pascal, penchons-nous à présent sur son lien avec la liturgie, espace et temps où se déploie l’Économie du Salut dans les derniers temps de l’Église. Le Temps Pascal qui s’ouvre à nous est, comme tout temps sacramentel, un temps qui a le pouvoir de réaliser ce qu’il signifie. Le Cardinal Joseph Ratzinger (Pape Benoît XVI) nous dit que tout temps est d’abord temps de Dieu et que s’il semblait au premier abord n’y avoir aucune relation possible entre l’immutabilité de l’éternité et l’écoulement du temps, l’Éternel lui-même a maintenant pris le temps en Lui. En le Fils coexistent le temps et l’éternité. En se soumettant à la temporalité, en assumant l’existence humaine, le Verbe éternel incarné a fait entrer le temps dans la sphère de l’éternité. Il est devenu lui-même le lien entre le temps et l’éternité de Dieu qui est au-delà du temps, qui contient le temps, et qui est accessible à travers le temps. «Le temps de l’Église est un temps intermédiaire, entre ombre et réalité; cette structure particulière demande un signe, demande à être soulignée par un temps spécialement choisi et précieux, le temps de la liturgie qui a pour but de ramener le temps dans les mains de Dieu».

Qu’est-ce que le temps?Avant d’aborder la fonction spécifique du temps dans la liturgie, rappelons que le temps est d’abord une réalité cosmique: rotation de la terre autour du soleil. Ce mouvement donne un rythme à l’existence; perçu dans l’alternance du jour et de la nuit, dans le retour des saisons, dans le rythme de la lune avec ses différentes phases plus ou moins longues. Le rythme solaire et le rythme lunaire sont à la base de notre mesure du temps, «Chronos». Leurs rapports réciproques ont diversement marqué l’histoire et les cultures.

De quel étonnement ne sommes-nous pas saisis, devant l’absolue synchronicité des composantes du Cosmos qui se répand comme un parfum de la Sagesse dans l’univers où tout est Musique, inscrit par sa main avec ordre et mesure, par qui tout subsiste ? L’espace sacré dans lequel est célébré le culte chrétien est lui-même ouvert au temps. La direction vers l’est signifie que la prière se fait en direction du soleil levant, une orientation cosmique qui se double d’une orientation historique. Elle désigne le mystère de la Pâque de Jésus-Christ, le mystère de sa mort et de sa résurrection. L’orientation annonce le monde à venir et l’accomplissement de l’histoire dans le second avènement du rédempteur. Ainsi temps et espace s’entrelacent dans la prière chrétienne: l’espace devient temps et le temps entre dans l’espace. Espace et temps, histoire et cosmos sont entrelacés dans la liturgie. Le temps cosmique, déterminé par le soleil, devient une image du temps humain, du temps historique, qui avance vers les noces de Dieu et du monde, de l’histoire et de l’univers, de la matière et de l’esprit à la rencontre de la «nouvelle cité», dont la lumière est Dieu lui-même. C’est alors que le temps entrera dans l’éternité» (Cardinal Joseph Ratzinger).

Le huitième JourC’est au huitième Jour que le Christ a «franchi» le temps et l’a élevé au rang de l’éternité. Ce jour correspond au temps nouveau qui a débuté avec la résurrection et qui court déjà parallèlement à l’histoire, «Kairos». C’est vers ce Jour que toute la vie liturgique aspire. Cet «Aujourd’hui» du Dieu vivant où l’homme peut désormais pénétrer est «l’Heure de Jésus», vers laquelle ce dernier marchait consciemment. Cette Heure se réfère avant tout à un moment précis: la Pâque des juifs (cf. Ex 12). La mort de Jésus a un sens pour l’histoire, pour l’humanité, pour l’univers. Elle devait donc prendre place à une heure déterminée, afin que la pâque célébrée par la religion de Moïse depuis l’Exode passe d’un rite de substitution à la réalité du sacrifice vicaire du Christ. «Le dernier ennemi de l’homme étant la mort, l’homme, pour être totalement libéré, devait être libéré de la mort. L’oppression d’Israël en Egypte avait en effet pour fin la destruction du peuple par l’élimination de tous les descendants mâles. Or, dans la nuit de Pâque, l’ange exterminateur traversa l’Égypte et frappa ses premiers-nés. La libération d’Israël apparut ainsi comme la libération du pouvoir de la mort. Le Christ, premier-né de la Création, prit la mort sur lui et, par la résurrection, anéantit son pouvoir : la mort cessa d’avoir le dernier mot» (Cardinal Joseph Ratzinger).

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14 LA PSALMODIE ...

Refrain : Tu m’as montré, Seigneur, le chemin de la vieGarde-moi, mon Dieu : j’ai fait de toi mon refuge. J’ai dit au Seigneur: « Tu es mon Dieu!Seigneur, mon partage et ma coupe: de toi dépend mon sort.»Je bénis le Seigneur qui me conseille: même la nuit mon cœur m’avertit.Je garde le Seigneur devant moi sans relâche; il est à ma droite : je suis inébranlable. Refrain

Refrain : Le Seigneur est mon berger, rien ne saurait me manquerLe Seigneur est mon berger, Je ne manque de rien. Sur des prés d’herbe fraîche, il me fait reposer.

Il me mène vers les eaux tranquilles et me fait revivre; il me conduit par le juste chemin pour l’honneur de son nom. Refrain

Refrain : Seigneur, ton amour soit sur nous, comme notre espoir est en toi.

Criez de joie pour le Seigneur, hommes justes! Hommes droits, à vous la louange!Jouez pour lui sur la harpe à dix cordes Chantez-lui le cantique nouveau. Refrain

Refrain : Terre entière , acclame Dieu, chante, le Seigneur.

Acclamez Dieu, toute la terre; fêtez la gloire de son nom,glorifiez-le en célébrant sa louange, Dites à Dieu: « Que tes actions sont redoutables». Refrain

Toute la terre se prosterne devant toi, elle chante pour toi, elle chante pour ton nom,Venez et voyez les hauts faits de Dieu, ses exploits redoutables pour les fils des hommes. Refrain

Mon cœur exulte, mon âme est en fête, ma chair elle-même repose en confiancetu ne peux m’abandonner à la mort ni laisser ton ami voir la corruption.Je n’ai pas d’autre bonheur que toi Tu m’apprends le chemin de la viedevant ta face, débordement de joie! à ta droite, éternité de délices! Refrain

Si je traverse les ravins de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi, ton bâton me guide et me rassure.Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis; tu répands le parfum sur ma tête, ma coupe est débordante.

Grâce et bonheur m’accompagnent tous les jours de ma vie; J’habiterai la maison du Seigneur pour la durée de mes jours. Refrain

Oui, elle est droite, la parole du Seigneur; il est fidèle en tout ce qu’il fait, il aime le bon droit et la justice; le terre est remplie de son amour. Refrain

Dieu veille sur ceux qui le craignent, qui mettent leur espoir en son amour, pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine. Refrain

Il changea la mer en terre ferme: ils passèrent le fleuve à pied sec;De là, cette joie qu’il nous donne, Il règne à jamais par sa puissance. Refrain

Venez, écoutez, vous tous qui craignez Dieu; je vous dirai ce qu’il a fait pour mon âme,Béni soit Dieu, qui n’a pas écarté ma prière, ni détourné de moi son amour! Refrain

Dimanche III du Temps Pascal (Année A) - Psaume 15

Dimanche IV du Temps Pascal (Année A) - Psaume 22

Dimanche V du Temps Pascal (Année A) - Psaume 32

Dimanche VI du Temps de Pascal (Année A) - Psaume 65

Remise des pendules à l’Heure À la suite du Christ, il y a le «moment favorable», moment précis de l’Alliance, qui plante dans notre année l’Heure de la croix sur laquelle tourne le temps. Ce déroulement particulier du «Kairos» suscité dans le «Chronos» constitue donc un moment nouveau, le «déjà-là» et le «pas-encore-là», le Moment, l’Heure de l’Esprit.

Liturgie ou signe d’un Amour plus fort que le tempsÀ partir du jour de Pâques, le Temps nouveau de la Résurrection a fait irruption dans le temps mortel. En jaillissant du tombeau, la lumière de la Vie incorruptible a englouti pour toujours la nuit immense et obscure, entraînant notre année cyclique au-delà du cercle de la mort. Pour nous, croyants, s’est instauré un jour de lumière, long, éternel, qui ne s’éteint pas, la Pâque mystique. Quand nous célébrons le Christ notre Pâque, notre temps, pénétré et transfiguré par ce Jour, devient sacramentel. L’Heure est dans une avancée sans retour qui fait reculer le temps profane. La sanctification intérieure qui s’opère en ce dernier le rachète et rectifie son cours. Sa dense texture lourde et opaque s’étiole. Il transmute, modifie ses tons et s’accorde à la mesure de l’Instant d’Éternité. Ressuscités avec le Christ, nous pouvons déjà nous réjouir du vin nouveau dans des outres neuves!

Dénouement de l’AmourAu Temps Pascal, tout ce qui est mortel se transforme mystérieusement. Sur les pas du Ressuscité, éloignons-nous du souvenir des passions déchirantes. Éradiquons la peur en nous abreuvant à la Liturgie où l’Amour nous étreint, à ce Fleuve de Vie qui entraîne tout vers la consommation du temps, et ramène à la Source de l’immortalité, en récapitulant, et le temps et tout ce qui est créé.

Patricia BAROUDY

Bibliographie- RATZINGER Joseph, L’Esprit de la Liturgie, Éd. ad solem, Genève, 2001.- CORBON Jean, Liturgie de source, Éd. Cerf, Paris, 1983.

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15...OU LITURGIE DU CŒURDimanche III du Temps Pascal (Année A) -

Psaume 15

Dimanche IV du Temps Pascal (Année A) - Psaume 22

Dimanche VI du Temps de Pascal (Année A) - Psaume 65

Dimanche V du Temps Pascal (Année A) - Psaume 32

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Le mot « église » s’explique assez bien par son étymologie latine ecclésia, « assemblée ». Il désigne en effet la réunion des premiers chrétiens pour célébrer l’eucharistie, mais aussi l’édifice, le bâtiment dans lequel se déroule cette célébration et le lieu de rencontre de cette communauté. Pour les catholiques et les orthodoxes est véritablement une Église celle qui est présidée par un évêque, car seul celui-ci possède la totalité du pouvoir spirituel nécessaire. Mais l’évêque, en tant que chef d’un territoire qui lui est confié (le diocèse), doit être en communion avec les autres évêques sous la présidence du plus important d’entre eux, le patriarche orthodoxe ou le pape catholique. Certaines Églises issues de la Réforme sont également présidées par des évêques - par exemple les anglicans, les luthériens d’autres ne reconnaissent en revanche aucune autorité à l’épiscopat. Plus à l’est, le caractère national des Églises est plus accentué qu’en Occident (Églises russe, grecque, serbe...). Certaines ont gardé l’utilisation de langues anciennes (éthiopien, copte, syriaque) et ont constitué un élément de résistance contre la disparition de leur peuple (Arméniens, Coptes). De leur côté, les Églises dites uniates (du russe ouniyat, « union ») ont été voulues par Rome afin de rétablir l’unité avec les Églises orthodoxes, mais leur efficacité s’est révélée très discutable. L’œcuménisme suppose, en effet, que les particularités de chaque Église soient respectées, condition indispensable à la fondation d’une telle unité.

Pour la plupart des civilisations anciennes, le séjour des morts, l’enfer (du latin infernus, « d’en bas »), s’oppose à ce qui est au-dessus, comme le paradis et le ciel. C’est un monde souterrain peuple d’un ou de plusieurs dieux, ou l’on connaît épreuves, tourments et ennui profond. L’âme ne peut mourir, les pécheurs perdus sont « consumés » et les fidèles récompensés. Avec le Nouveau Testament l’enfer se précise : le feu et les tortures éternelles, les ténèbres et le soufre brûlant, au côté du Diable ! Mais la punition suprême est pire : être privé du bonheur auprès de Dieu. Certes, l’Église, tout en refusant d’y condamner qui que ce soit, confirme l’existence de l’enfer. Cependant, le séjour qu’y fit Jésus possède une valeur symbolique : il est le libérateur des morts, il ouvre la voie de la Résurrection ; les âmes, chrétiennes ou non, peuvent monter au ciel pourvu qu’elles le méritent.

Tiré de « L’Abécédaire du christianisme »

« Le sang païen revient ! L’Esprit est proche, pourquoi Christ ne m’aide-t-il pas, en donnant à mon amé noblesse et liberté. Hélas L’Évangile a passé ! L’Évangile ! L’Évangile ! »Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, août 1873.

L’ABÉCÉDAIRE DE LA FOI

Maisons de Dieu, maisons des hommesDès le IIIe siècle, les chrétiens éprouvent le besoin de se réunir à l’intérieur d’édifices voués uniquement à leur religion. C’est ainsi que sont bâties les premières églises où l’on célèbre la messe, mais dont l’expansion ne peut s’opérer qu’après l’arrêt des persécutions en 313. L’architecture dite romane (Xe-fin du XIIe siècle), premier style chrétien, profite d’une large expansion de l’Église autour de l’an mille. Quant aux cathédrales, église prin¬cipale d’un diocèse et siège de l’évêque, la plupart sont construites ou achevées au XIIIe siècle. De nos jours, l’architecture est résolument tournée vers l’expression contemporaine.En Orient a régné l’art dit byzantin, dont l’un des fleurons est Sainte-Sophie d’Istanbul (Turquie). Malgré les différences architecturales, les églises occidentales et orthodoxes se remarquent souvent par leur magnificence. En revanche, les temples protestants, ainsi appelés en référence au Temple de Jérusalem de la Bible, sont empreints de sobriété, la seule représentation religieuse se résumant en principe au Christ en croix. Enfin, dans le reste du monde, les autres Eglises ont bâti des édifices très différents, comme les superbes églises monolithiques de Lalibela, en Éthiopie, creusées dans le granit.La plupart des églises suivent un schéma général : le fidèle marche sur le parvis et entre par le narthex, un vestibule précédé ou suivi d’un portique. Il pénètre dans la nef ou se tient l’assistance et qui constitue le plus grand espace. Il marche ensuite vers le transept qui, plus large que l’ensemble, donne à l’église une forme de croix. Il sépare la nef du chœur où se dresse l’autel, partie réservée au clergé. Derrière celui-ci court un déambulatoire qui épouse l’arrondi de l’extrémité du bâtiment, l’abside, où se nichent les chapelles.

COMME...

E COMME...ÉGLISES

E COMME...ENFER

...ÉDIFICES

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18 L’ÉGLISE: IMAGES ET REPÈRES

ertains reprochent à l’Église de ne pas être « en phase avec son temps ». Ils voudraient qu’elle s’adapte, visant notamment son discours sur les mœurs. Pour d’autres, l’Église oublie que son mystère est le même

depuis deux mille ans, et elle se laisse contaminer par le monde et son temps : l’évolution de sa liturgie et de certains aspects de sa doctrine, en particulier, en sont la preuve.

Une réalité divineCes deux reproches contraires ont en commun de ne pas saisir en quoi l’Église est immuable, et en quoi elle a vocation à se transformer. La vérité n’est pas à mi-chemin entre ces deux extrêmes ; elle ne jaillit que de la contemplation de son mystère.Pour connaître l’Église, il faut sans cesse revenir à celui qui nous en révèle le mystère : saint Paul, et se nourrir de la grande exégèse apportée par Vatican II. L’Église

est un mystère, c’est-à-dire une réalité à la fois divine et humaine. Elle est d’abord corps et épouse du Christ, temple de l’Esprit saint. Elle est aussi peuple de Dieu, assemblée des fidèles du Christ cheminant à travers le temps, de génération en génération.En tant qu’elle est une œuvre divine, l’Église ne change pas : elle est une et unique, la même depuis le jour de la Pentecôte, jusqu’à la fin des temps. La foi de chaque croyant, à quelque époque que ce soit, s’il la reçoit de l’Église, n’est pas autre que celle de la Vierge Marie, des Apôtres, de tous les saints... L’Eucharistie, célébrée chaque jour, est à chaque fois actualisation de l’unique mystère pascal du Christ, vécu historiquement il y a

deux mille ans environ. En ce sens, la foi de l’Église, ses sacrements, son précepte de charité, sont immuables. Ils connaissent seulement un

approfondissement continu de siècle en siècle, qui est un dévoilement sans cesse entrepris du mystère lui-même.

C

François DaguetDominicain, professeur de théologie à l’institut catholique de Toulouse

C’est à partir du moment où nous avons nommé l’Esprit Saint que nous pouvons parler de l’Église. Celle-ci est une dimension, capitale mais non exclusive, de la présence de l’Esprit dans le monde. Elle est la communauté rassemblée par le souffle de la Pentecôte pour entendre la Bonne Nouvelle de Jésus

Ressuscité. Elle est le Peuple de Dieu devenant Corps du Christ et Temple de l’Esprit. Les qualificatifs qui dans le Credo accompagnent la mention de l’Église : « sainte » et « catholique » ne sont pas des constats : nous pouvons vérifier parfois la faiblesse ou l’étroitesse de l’Église. Mais ce sont des affirmations de

foi : Dieu veut son Église ainsi. Et ce sont surtout des propositions d’action : l’Église doit devenir chaque jour davantage ce qu’elle est selon le cœur de Dieu. Le don de Dieu nous désigne une tâche.

Œuvre divine, l’Église ne change pas. Réalité humaine, elle est engagée dans le temps. Et si son organisation et sa liturgie évoluent, c’est toujours l’Évangile qui en est le cœur.

DIVINE, MAIS SI HUMAINE...II

L’ÉGLISE EST-ELLE IMMUABLE?

L’Église est un corps vivant qui vit dans le temps qui passe

d’une vie qui ne passa pas

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19Un peuple d’hommes et de femmes Mais l’Église, corps du Christ et peuple de Dieu, est engagée dans le temps. Elle est une réalité divine qui se déploie dans le monde humain, marqué par le temps, la finitude et la contingence. L’assemblée des croyants ne se discerne qu’avec les yeux de la foi, et elle est immergée dans le monde, dans ce que l’on appelle « le siècle ». C’est un travers ancien et fréquent que de considérer l’Église en soi, comme une réalité séparée du monde, planant en quelque sorte au-dessus du monde, comme si l’ordre surnaturel était séparé de l’ordre naturel. Or l’Église, réalité par essence surnaturelle - c’est l’Esprit saint qui est son principe de vie - est composée aussi d’éléments naturels : d’abord les hommes et les femmes qui la composent. Elle est, comme le dit le concile Vatican II, « une réalité complexe » faite d’un double élément, humain et divin, de visible et d’invisible... L’Église est un corps vivant, qui vit dans le temps qui passe d’une vie qui ne passe pas. En tant qu’immergée, enfouie dans le monde, l’Église se transforme nécessairement. Ses deux mille ans d’histoire le montrent avec évidence : elle change dans son rapport au monde, dans son organisation, dans ses manifestations...

L’action de l’Esprit saintDepuis ses premières années, l’expression de l’Église s’est adaptée aux diverses cultures dans lesquelles vivent les chrétiens. Il n’y a rien d’étonnant, dès lors, à ce que sa liturgie évolue, car la façon dont on s’exprime change avec le temps et le lieu ; mais c’est toujours la liturgie de l’Église, le même mystère qui s’exprime. Un corps vivant se développe nécessairement. Si l’on veut arrêter sa croissance à un moment donné, il s’atrophie. Pour qui veut bien y prêter attention, cette vitalité de l’Église, à toutes les époques, sous des formes tantôt manifestes et

tantôt cachées, est chose merveilleuse. Elle témoigne de la présence agissante de l’Esprit saint en elle - l’amé du corps, comme le dit saint Augustin : « Voici que je fais toutes choses nouvelles. »La tentation symétrique consiste à vouloir conformer l’Église au monde, sous prétexte qu’elle est nécessairement dans le monde. Or celui-ci est un mélange d’éléments conformés à l’Évangile et d’autres qui lui sont contraires. Si bien que le ferment évangélique est parfois,

inévitablement, source de contradiction et pierre d ’ a c h o p p e m e n t . Comment s’en étonner, pour qui se souvient que l’Église est corps du

Christ, lui qui a été le premier, signe de contradiction pour le monde ? Ce que la tète a vécu, les membres le vivent aussi. Cela signifie, en particulier que la lumière de l’Évangile donnée sur l’homme peut entrer en contradiction avec certaines conceptions véhiculées par le monde. Le chrétien apparaît alors à contrecourant, et ce n’est pas confortable lorsque ce courant semble tout emporter. Le grand danger, pour le chrétien, est que sa propre conscience en vienne à s’obscurcir, et qu’il regarde les opinions du monde comme conformes à l’Évangile.

Vieille et jeune à la foisDans l’un des textes les plus anciens de la Tradition, le Pasteur d’Hermas, qui remonte au IIe siècle, l’Église apparaît à la fois sous la figure d’une vieille femme, et sous celle d’une femme jeune. Elle est vieille, parce qu’elle est présenté à l’origine du monde ; elle est jeune parce qu’animée de la vie toujours nouvelle de l’Esprit. Voilà pourquoi elle apporte aux fidèles, comme le scribe de l’Évangile, du neuf et de l’ancien. Et jamais l’un sans l’autre.

Tiré des Cahiers Croire

DIVINE, MAIS SI HUMAINE...-II

L’Église est un mystère, c’est–à-dire une réalité à la fois

divine et humaine.

L’Église, ce n’est pas d’abord une institution, encore moins un bâtiment ! Église vient du mot grec ecclesia, qui désignait l’assemblée du peuple. Ce mot vient donc du vocabulaire politique des cités démocratiques de la Grèce, pas du vocabulaire religieux. Appliquée aux croyants, l’Église désigne le peuple de Dieu. Non pas du Dieu tout-puissant, le « Très-Haut » qui siège dans les Cieux et domine la création, mais le Dieu mendiant d’amour, le «Très-bas » venu parmi nous comme un serviteur. La «politique » de Dieu est une politique du service et l’Église en est l’assemblée.Bien sûr, Dieu aurait pu rester dans son ciel. Nous aurions pu l’aimer d’en bas et il nous aurait parlé d’en haut. Il nous aurait suffi de lever les yeux pour lui parler. Mais Dieu était guidé par une passion irrésistible pour l’homme. C’est pour cela qu’il est venu et qu’il est devenu l’un de nous. Depuis, il est impossible d’entrer en relation avec quelqu’un sur cette terre sans avoir affaire à lui. Et nous ne pouvons pas non plus nous tourner vers lui en oubliant tous ceux pour qui il est venu car, désormais, ce sont nos frères et nos sœurs.Alors, en réponse à son appel, nous sortons de chez nous pour nous rassembler autour de lui comme il nous l’a demandé. Là, dans ce bâtiment-église qui cherche à abriter le peuple-Église, il est présent, discrètement, au milieu de cette assemblée souvent distraite. En général, il ne fait pas de longs discours, il faut même souvent tendre l’oreille pour l’écouter. Au sortir de l’église, chacun est un peu diffèrent. Une joie s’est glissée en nous. Elle nous fait considérer autrement les gens, les situations... Dimanche après dimanche, nous recevons ainsi de petits coups au cœur qui, imperceptiblement, inscrivent en nous quelque chose de ce Dieu qui est venu parmi les siens.Un jour, lors d’une halte, on se retourne, et au regard du chemin parcouru, on se rend compte que l’on a changé, que le Christ nous a changés. Nous sommes plus attentifs aux autres, plus attentionnés, différents. Ce sont tous ces petits changements qui constituent la vie intime de l’Église et lui donnent sa vraie consistance. L’unique force politique de cette assemblée réside dans cette vie de Dieu en nous et toutes ses richesses - prétendument immenses - y sont cachées.L’Église, c’est ce long pèlerinage des croyants qui, che¬min faisant, sont peu à peu remodelés par l’amour de Dieu. Encore faut-il se laisser faire et garder les yeux rivés sur ce but. Malheureusement, nous le savons bien, c’est tou¬jours un peu raté ! L’amour n’est jamais accueilli comme il devrait l’être. C’est pourquoi l’Église est elle aussi un peu ratée par rapport à ce que l’on imagine pour elle. Elle traîne et paresse en chemin, parfois même elle s’égare, parce que nous sommes lents à nous laisser aimer jusqu’à la moelle. Mais c’est toujours en même temps réussi, car, à celui qui le demande, Dieu ne s’est jamais refusé.

P. Étienne Grieu, jésuite

Église et église: quelle différence

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20 1er ANNIVERSAIRE DE L’ÉLECTION...

1er ANNIVERSAIRE DE L’ÉLECTIONDU PAPE FRANÇOIS

Suite...

Le pape François…Un an déjà. En un an, que de bouleversements au sein de l’Église se font déjà pressentir. Une nouvelle approche, une nouvelle ouverture aux autres.Chacun son style, direz-vous. Et celui de François va droit au cœur de chacun. Ce « pape des pauvres », aux attitudes et aux prises de position audacieuses, aux gestes spontanés et simples, aux homélies profondes mais directes qui l’ont immédiatement rendu proche de tous ceux

qui attendaient de l’Église une plus grande compréhension des problèmes du monde et une plus grande mansuétude,

ce pape est le visage même de la nouvelle évangélisation.Nous retranscrivons ci-dessous des extraits de l’homélie

prononcée par le pape François lors de la messe solennelle d’inauguration du pontificat, ainsi que de la brève allocution qu’il

a formulée au cours de l’audience générale du 27 mars 2013,et qui sont en quelque sorte des « feuille de route »

pour les chrétiens que nous sommes.

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EspéranceAudience générale du 10 Avril 2013Le Seigneur Ressuscité est l’espérance qui ne fait jamais défaut, qui ne déçoit pas. Combien de fois dans notre vie les espérances s’évanouissent-elles, combien de fois les attentes que nous portons dans notre cœur ne se réalisent pas ! Notre espérance de chrétiens est forte, sûre, solide sur cette terre, où Dieu nous a appelés à marcher, et elle est ouverte à l’éternité, parce qu’elle est fondée sur Dieu, qui est toujours fidèle.

Nous ne devons pas oublier : Dieu est toujours fidèle ; Dieu est toujours fidèle avec nous. Être ressuscités avec le Christ au moyen du baptême, avec le don de la foi, pour un héritage qui ne se corrompt pas, nous conduit à rechercher davantage les choses de Dieu, à penser davantage à Lui, à le prier davantage. Être chrétiens ne se réduit pas à suivre des commandements, mais veut dire être en Christ, penser comme Lui, agir comme Lui, aimer comme Lui.

Tiré du « Pèlerin hors-série »

Confiancerères et sœurs, ne nous fermons pas à la nouveauté que Dieu veut apporter dans notre vie ! Ne sommes-nous pas souvent fatigués, déçus, tristes, ne sentons-nous pas le poids de

nos péchés, ne pensons-nous pas que nous n’y arriverons pas ? Ne nous replions pas sur nous-mêmes, ne perdons pas confiance, ne nous résignons jamais : il n’y a pas de situations que Dieu ne puisse changer, il n’y a aucun péché qu’il ne puisse pardonner si nous nous ouvrons à Lui.(..) Accepte alors que Jésus Ressuscité entre dans ta vie, accueille-le comme ami, avec confiance : Lui est la vie ! Si jusqu’à présent tu as été loin de Lui, fais un petit pas : il t’accueillera à bras ouverts. Si tu es indiffèrent, accepte de risquer : tu ne seras pas déçu. S’il te semble difficile de le suivre, n’aies pas peur, fais-lui confiance, soit sûr que Lui, il est proche de toi, il est avec toi et te donnera la paix que tu cherches et la force pour vivre comme Lui le veut.

Le 30 mars 2013

21... DU PAPE FRANÇOIS

L

HOMÉLIE LORS DE LAVEILLÉE PASCALE EN LA BASILIQUE

SAINT-PIERRE DE ROME

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22 PRIER AVEC JEAN XXIII

« Jean XXIII portrait le souci de reconnaître l’Esprit Saint à l’œuvre dans l’humanité »

l a fait paraître naturel le surnaturel ! » C’est ce que disait volontiers le cardinal Suenens lorsqu’il évoquait Jean XXIII, souvent appelé familièrement « le bon pape Jean ». Né le 25 novembre 1881, Angelo Giuseppe Roncalli est

élu pape le 28 octobre 1958, à 77 ans. Beaucoup, sensibles à la bonhomie de ce fils de paysan lombard, se demandent alors ce que signifie son élection, et, de fait, son pontificat n’aura duré que cinq ans. Mais ces cinq années ont entraîné l’Église dans un printemps inattendu à la richesse immense. Ouvert à l’Esprit Saint, Jean XXIII portait le souci de le reconnaître à l’oeuvre dans l’humanité, dans la « houleuse marche en avant de l’histoire du salut », selon le mot d’un de ses biographes. Le 11 octobre 1962, il convoqua le concile Vatican II. L’Église était invitée à lire les signes des temps, c’est-à-dire à reconnaître l’action de Dieu dans l’Histoire. Deux mois avant sa mort, Jean XXIII donnait à l’Église et au monde - « à tous les hommes de bonne volonté » - une encyclique qui était un véritable testament : Pacem in Terris (La paix sur la Terre). En canonisant Jean XXIII, le pape François confirme que sa vie était solidement enracinée en Dieu. Nous vivons du trésor de sa foi.

I« Dans ses desseins adorables, Dieu veut que je devienne un saint dans toute la force du terme. Je dois en être toujours bien persuadé. Et je dois être saint à tout prix » : ces phrases prémonitoires, Angelo Roncalli, futur saint Jean XXIII, les écrivit en 1902 alors qu’il n’était encore que séminariste.

Signe d’une ambition démesurée ? Bien au contraire, car il ajoutait peu après : « Non pas faire ma volonté, mais celle de Dieu ; être habituellement disposé à accepter les choses les plus déconcertantes. »Bien que « n’ayant nul souci de poste, de carrière, de distinctions », l’humble natif de Sotto il Monte (Lombardie) devint prêtre, évêque, nonce apostolique, archevêque, cardinal et pape, avant d’être béatifié en 2000 ! Son court pontificat (1958-1963) fut marqué par la convocation du concile Vatican II, qui donna un souffle nouveau à l’Église. Chantre de la paix et de l’unité, Jean XXIII sut conquérir les cœurs par sa bonhomie et sa simplicité. Dans ses discours et ses écrits apparaît aussi un homme de foi profond, qui conjugua bonté et exigence, douceur et lucidité, tradition et rénovation.

BiographieJean XXIII 1881-1963

Le concile Vatican II s’ouvrit solennellement le 11 octobre 1962.Le pape Jean XXIII prononça alors un discours marquant, dans lequel il appelait les pères conciliaires à travailler à une « mise à jour » (« aggiornamento »), non de la doctrine catholique, mais de la manière dont elle était présentée au monde.

Aggiornamento Méditation

La résurrection du Christ est une résurrection de chaque instant que nous vivons au plus profond de nos cœurs. Cette résurrection passe par l’existence concrète d’hommes et de femmes d’aujourd’hui qui vivent totalement le message du Christ et qui deviennent, en disciples d’aujourd’hui, les témoins actifs de sa Parole !La liste de ces témoins s’est allongée de deux nouveaux noms, de deux hommes du XXe siècle. Angelo et Karol : les papes Jean XXIII et Jean-Paul II, qui ont profondément marqué la vie de l’Église et son évolution au présent. Ils ont transformé le monde à leur manière, eux ces nouveaux apôtres du Christ qui ont actualisé la tradition des premiers disciples.La canonisation à Rome de ces deux hommes que nous avons connus, vus, écoutés et parfois touchés, nous donne la preuve que le Christ est à chaque instant ressuscité, par notre manière de vivre son message de paix et d’amour et de le partager.

PRIER AVECJEAN XXIII

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23PRIER AVEC JEAN XXIIILe fond et la formeLe XXIe Concile œcuménique [...] veut transmettre dans son intégrité, sans l’affaiblir ni l’altérer, la doctrine catholique. [...] Il faut que, répondant au vif désir de tous ceux qui sont sincèrement attachés à tout ce qui est chrétien, catholique et apostolique, cette doctrine soit plus largement et hautement connue, que les âmes soient plus profondément imprégnées d’elle, transformées par elle. Il faut que cette doctrine certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui répond aux exigences de notre époque En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités contenues dans nôtre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée

BontéMéditationSans jamais oublier les impératifs de justice et de vérité, Jean XXIII exhorta à plusieurs reprises les chrétiens à «pratiquer le devoir de la bonté » à la suite du Seigneur, « auteur de toute bonté ». Par son attitude et ses paroles, Angelo Roncalli mérita d’être appelé le « bon pape Jean».

RayonnementIl est triste d’avoir à déplorer le mal, mais il ne suffit pas de s’en plaindre pour l’éliminer. C’est le bien que nous devons vouloir, accomplir, exalter/ c’est la bonté qui doit être proclamée à la face du monde pour qu’elle rayonne et pénètre tous les éléments de la vie individuelle et sociale.L’individu doit être bon, d’une bonté qui révèle une conscience pure, inaccessible à la duplicité, au calcul, à la dureté de cœur. Bon, par une application continuelle à la purification intérieure, à la perfection véritable; bon, par la fidélité à un ferme propos manifesté en toute pensée, en toute action. La famille sera bonne si l’amour mutuel se fait sentir dans l’exercice de toute vertu. La bonté adoucit et fortifie l’autorité paternelle, elle se montre dans la délicatesse maternelle ; elle marque aussi l’obéissance des enfants, elle tempère leur exubérance, inspire des sacrifices inévitables.C’est encore la bonté qui doit orienter toutes les manifestations de la vie hors du foyer familial, mais en relation avec lui. Elle trouve des applications variées à l’école, à tous ses degrés, dans les diverses institutions de la vie civique, pour la vie bien ordonnée des citoyens dans la tranquillité, dans le respect, dans la concorde. [...]L’humanité elle aussi doit être bonne. Ces voix qui montent du fond des siècles, pour nous enseigner encore aujourd’hui avec une note d’actualité, rappellent aux hommes le devoir qui incombe à tous indistinctement d’être bons, c’est-à-dire justes, droits, généreux, désintéressés, prompts à comprendre et à excuser, disposés au pardon et à la magnanimité.

PapeMéditationLa messe de couronnement de Jean XXIII eut lieu à Saint-Pierre de Rome le 4 novembre 1958. Le nouveau souverain pontife prononça alors une homélie dans laquelle il annonçait sa volonté d’être - avant toutes choses - un « bon pasteur, doux et humble de cœur ».

Pasteur de tout le troupeauOn attend surtout d’un Pontife qu’il soit homme d’État expérimenté, diplomate avisé, homme de science

universelle, sachant organiser la vie de tous en commun, ou enfin un Pontife à l’esprit ouvert à toutes les formes de progrès de la vie moderne, sans aucune exception. Pourtant, tous ceux qui pensent ainsi s’écartent du bon chemin qu’il faut suivre, car ils se forment du Souverain Pontife un concept qui n’est pas pleinement conforme au véritable idéal qui doit être le sien. [...]Ce qui nous tient à cœur, plus que tout le reste, c’est de nous montrer le Pasteur de tout le troupeau. Toutes les autres qualités de l’esprit et les distinctions humaines, comme la science, la sagesse dans le gouvernement, l’habileté diplomatique, le talent d’organisation, peuvent compléter et enrichir la charge pastorale ; elles ne peuvent en aucune façon la remplacer.

PrêtreMéditationLa sainteté des prêtres attire les jeunes gens vers le sacerdoce :telle était la conviction de Jean XXIII qui fut lui-même profondément marqué par Don Rebuzzini, curé de son village natal, comme en témoigne cette émouvante confidence faite à des séminaristes.

Se sanctifier et sanctifier Oh ! sublime beauté de la vie sacerdotale ! [...] À ce propos, nous aimons vous faire cette confidence que, plus de soixante ans après sa mort, nous gardons toujours vivant et sacré dans notre cœur, toujours cher et béni à nos yeux, le souvenir du premier prêtre que nous rencontrâmes dans la vie, qui nous baptisa et nous donna la première communion, auprès de qui s’ouvrit et s’épanouit, telle une fleur délicate, notre adolescence. L’impression spirituelle qu’il fit en nous pénétra si profondément que nous estimâmes comme la meilleure et la plus élevée sa façon de vivre sur la terre ; c’est-à-dire : se sanctifier et sanctifier ; prier pour tous et faire la charité; et que nous ne songeâmes pas à envisager autre chose pour assurer notre bonheur personnel ici-bas et notre bonheur éternel dans la lumière du Seigneur.

Père Jacques Nieuviarts, assomptionniste

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24 PRIER AVEC JEAN-PAUL II

anto subito ! », avaient scandé quelques-uns sur la place Saint-Pierre le 8 avril 2005, jour des funérailles de Jean-Paul II. Ils désiraient qu’il soit proclamé saint tout de suite. En ces quelques mots résonnait le cri de reconnaissance de tous ceux que l’on a appelés la « génération Jean Paul II ». Une génération très vaste tant sa personnalité a marqué, par la proximité avec tous et la force de son témoignage. Apôtre infatigable, Karol

Wojtyla aura visité, durant les 26 années de son pontificat, 130 pays et parcouru près de 1.300.000 kilomètres, soit 31 fois le tour de la Terre ! Par ailleurs, il aura donné à l’Église 14 encycliques, 15 exhortations, 44 lettres apostoliques, et il lui aura réappris à respirer de ses deux poumons, en redécouvrant la richesse de la tradition orientale. La canonisation de Jean-Paul II par le pape François ne valorise pas un palmarès, mais la foi de ce pape slave. Cette foi a donné forme à sa vie, et à travers lui, elle a nourri, renouvelé et affermi la foi de l’Église. Ainsi nous pouvons puiser sans crainte dans sa foi et dans l’exemple de sa vie le goût, la saveur et la force de l’Évangile. Pour marcher, nous aussi, plus résolument à la suite de Jésus.

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PRIER AVECJEAN PAUL II

Souvenons-nous, c’était hier, et pourtant, c’est presque déjà de l’Histoire : le samedi 2 avril 2005, le substitut de la secrétairerie d’État du Vatican, Mgr Leonardo Sandri, annonçait le décès du pape Jean-Paul II avec des sanglots dans la voix : « Notre Saint-Père est retourné à la maison du Père, à 21h37. »L’émotion provoquée par la mort de Jean-Paul II fut exceptionnelle, tout comme sa vie. Né en 1920, le Polonais Karol Wojtyla connut à la fois le nazisme et le communisme ! À 22ans, il fit le choix difficile de renoncer à sa passion, le théâtre, pour se consacrer entièrement au Christ. Le 16 octobre 1978, il devint le premier pape slave. Parmi ses premiers mots, cette formule qui fit sensation : « N’ayez pas peur ! »Son long pontificat fut riche en gestes prophétiques, symboliques. Ainsi, en 1983, Jean-Paul II rendit visite en prison à Ali Agça, celui-là même qui, deux ans plus tôt, avait voulu le tuer ! En 1986, il fut le premier des successeurs de Pierre à entrer dans une synagogue, préfiguration de l’audacieuse démarche de repentance qu’il initia pour toutes les fautes commises par les chrétiens au fil de l’Histoire. On se souvient aussi de la Journée de prière pour la paix, à Assise, en présence de nombreux chefs religieux. Désireux d’apporter à tous la parole du Christ, Jean-Paul II effectua plus de cent voyages hors d’Italie ! Ses visites à sa chère Pologne précipitèrent l’effondrement du bloc communiste. Par la création des Journées mondiales de la jeunesse, il parvint aussi à créer un lien fort et nouveau avec les jeunes. Longtemps robuste et énergique, « l’athlète de Dieu » (selon les mots du cardinal Marty) affronta de graves problèmes de santé qui le rapprochèrent des malades du monde. Jean-Paul II puisa, dans la prière et dans l’attachement à la Vierge Marie, le courage de réaliser sa mission jusqu’au bout. Ce pape hors norme, qui béatifia et canonisa tant de chrétiens exemplaires, fait désormais officiellement partie de ces « témoins lumineux de l’Évangile » qui intercèdent pour nous auprès de Dieu, « dans la mystérieuse réalité de la communion des saints ».Xavier Lecœur

BiographieJean-Paul II (1920 – 2005) Pèlerin jusqu’au bout

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25PRIER AVEC JEAN-PAUL IIMéditation :Le 29 octobre 1978, quelques jours après son élection au siège de Pierre, Jean-Paul II s’est rendu en hélicoptère au sanctuaire marial de La Mentorella, à une cinquantaine de kilomètres de Rome. Il parle de la prière.

Rendre gloire à DieuJ’ai voulu venir ici, dans ces montagnes, pour y chanter le Magnificat, à la suite de Marie. C’est un endroit où, d’une façon particulière, on s’ouvre à Dieu. Loin de tout, mais en même temps en contact avec la nature, on peut y parler tranquillement à Dieu. On y entend au plus intime de soi-même l’appel personnel qu’il adresse à l’homme. Et l’homme doit rendre gloire à Dieu, son Créateur et Rédempteur. Il doit, en quelque sorte, se faire l’interprète de toute la création pour dire en son nom : « Magnificat.» Il doit annoncer les « grandes choses de Dieu », et en même temps s’exprimer lui-même dans cette sublime relation avec Dieu, parce que dans le monde visible lui seul peut le faire. Pendant mes séjours à Rome, ce lieu m’a beaucoup aidé à prier. C’est pourquoi j’ai voulu y revenir aujourd’hui. La prière, qui exprime de diverses manières la relation de l’homme avec le Dieu vivant, est aussi la première tâche et comme la première annonce du pape, elle est aussi la première condition de son service dans l’Église et dans le monde.

Méditation :Toujours au sanctuaire marial de La Mentorella, Jean-Paul II partage son sens de la prière. Il la définit comme « la première condition de la liberté authentique », « la voix intérieure de l’Esprit divin », une union avec le Christ accessible à tous.

Exprimer la vérité intérieure de l’hommeCe que je dis aujourd’hui veut être une première et humble réponse à tout ce que j’ai entendu : l’Église prie, l’Église veut prier, elle désire être au service du besoin le plus simple et en même temps le plus splendide don de l’esprit humain qui se réalise dans la prière. La prière est en effet la première expression de la vérité intérieure de l’homme, la première condition de la liberté authentique de l’esprit.L’Église prie et veut prier pour entendre la voix intérieure de l’Esprit divin, afin qu’en nous et avec nous il puisse parler de toute la création avec des gémissements indicibles.L’Église prie et veut prier pour répondre aux besoins du plus profond de l’homme, qui est parfois tellement réduit et limité par les conditions de sa vie quotidienne, par tous les problèmes matériels, par la faiblesse, le péché, le découragement et par une vie qui lui semble ne pas avoir de sens. La prière donne un sens à toute la vie, à chaque instant, en toutes circonstances.C’est pourquoi le pape, en tant que vicaire du Christ sur la terre, désire avant tout s’unir à tous ceux qui tendent à l’union avec le Christ dans la prière en quelque endroit qu’ils soient : le Bédouin dans le désert, la carmélite ou le trappiste dans leur monastère, le malade sur son lit d’hôpital dans les souffrances de l’agonie, l’homme actif dans la plénitude de la vie, l’homme opprimé et humilié... partout.La mère de Dieu a traversé la montagne pour dire son Magnificat. Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit acceptent la prière du pape en ce sanctuaire et accordent les dons de l’Esprit à tous ceux qui prient.

Méditation :Le 1er juin 1980, lors de son premier voyage en France, le pape Jean-Paul II rencontrait 50.000 jeunes au Parc des princes. Un moment très fort. Avec simplicité, le pape est entré en dialogue avec eux après avoir écouté leurs questions.

Se mettre à l’écouteIl y a plusieurs définitions de la prière. Mais on l’appelle le plus souvent un colloque, une conversation, un entretien avec Dieu. En conversant avec quelqu’un, non seulement nous parlons, mais aussi nous écoutons. La prière est donc aussi une écoute. Elle consiste à se mettre à l’écoute de la voix intérieure de la grâce. À l’écoute de l’appel. Et alors, comme vous me demandez comment le pape prie, je vous réponds ; comme tout chrétien : il parle et il écoute. Parfois, il prie sans paroles, et alors il écoute d’autant plus. Le plus important est précisément ce qu’il entend. Et il cherche aussi à unir la prière à ses obligations, à ses activités, à son travail, et à unir son travail à la prière. Et de cette manière, jour après jour, il cherche à accomplir son service, son ministère, qui lui vient de la volonté du Christ et de la tradition vivante de l’Église.

Méditation :Lors de l’audience générale du 16 octobre 2002, entrant dans la 25e année de son pontificat, Jean-Paul II proclame l’année qui va d’octobre 2002 à octobre 2003 « Année du Rosaire ».

Contempler le visage du ChristLe centre de notre foi est le Christ, rédempteur de l’homme. Marie ne l’obscurcit pas, elle n’obscurcit pas son œuvre salvifique. Montée au ciel en corps et en âme, la Vierge, première à goûter les fruits de la passion et de la résurrection de son Fils, est celle qui, de la manière la plus sûre, nous conduit au Christ, fin ultime de nos actes et de toute notre existence. En invitant les croyants à contempler sans cesse le visage du Christ, j’ai vraiment voulu que Marie, sa mère, soit pour tous maîtresse de cette contemplation.Pour atteindre ce but, exigeant mais extraordinairement riche : contempler le visage du Christ avec Marie, y a-t-il un meilleur instrument que la prière du Rosaire ? Nous devons pourtant redécouvrir la profondeur mystique renfermée dans la simplicité de cette prière, chère à la tradition populaire.Dans sa structure, cette prière mariale est en effet surtout une méditation des mystères de la vie et de l’œuvre du Christ. En répétant l’invocation « Ave Maria », nous pouvons approfondir les événements essentiels de la mission du Fils de Dieu sur terre, qui nous ont été transmis par l’Évangile et la Tradition.Pour que cette synthèse de l’Évangile soit plus complète et suscite une meilleure inspiration, j’ai proposé dans ma Lettre apostolique Rosarium Virginis Mariae d’adjoindre cinq autres mystères à ceux que l’on contemple actuellement dans le Rosaire, et je les ai appelés « mystères de lumière ». Ils concernent la vie publique du Sauveur, depuis le baptême au Jourdain jusqu’au début de la Passion. Cette suggestion a pour but d’élargir l’horizon du Rosaire, afin qu’il soit possible, pour celui qui le récite avec dévotion et non pas mécaniquement, de pénétrer encore plus profondément le contenu de la Bonne Nouvelle et de conformer toujours davantage son existence à celle du Christ.

Père Jacques Nieuviarts, assomptionniste

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26 LA JOIE DE L’ÉVANGILE

éfis de l’inculturation de la foi68. Le substrat chrétien de certains peuples – surtout occidentaux – est une réalité vivante. Nous trouvons là, surtout chez les personnes qui sont dans le besoin, une réserve morale

qui garde les valeurs d’un authentique humanisme chrétien. Un regard de foi sur la réalité ne peut oublier de reconnaître ce que sème l’Esprit Saint. Cela signifierait ne pas avoir confiance dans son action libre et généreuse, penser qu’il n’y a pas d’authentiques valeurs chrétiennes là où une grande partie de la population a reçu le Baptême et exprime sa foi et sa solidarité fraternelle de multiples manières. Il faut reconnaître là beaucoup plus que des « semences du Verbe », étant donné qu’il s’agit d’une foi catholique authentique avec des modalités propres d’expressions et d’appartenance à l’Église. Il n’est pas bien d’ignorer l’importance décisive que revêt une culture marquée par la foi, parce que cette culture évangélisée, au-delà de ses limites, a beaucoup plus de ressources qu’une simple somme de croyants placés devant les attaques du sécularisme actuel. Une culture populaire évangélisée

contient des valeurs de foi et de solidarité qui peuvent provoquer le développement d’une société plus juste et croyante, et possède une sagesse propre qu’il faut savoir reconnaître avec un regard plein de reconnaissance.

69. Le besoin d’évangéliser les cultures pour inculturer l’Évangile est impérieux. Dans les pays de tradition catholique, il s’agira d’accompagner, de prendre soin et de renforcer la richesse qui existe déjà, et dans les pays d’autres traditions religieuses ou profondément sécularisés, il s’agira de favoriser de nouveaux processus d’évangélisation de la culture, bien qu’ils supposent des projets à très long terme. Nous ne pouvons pas ignorer, toutefois, qu’il y a toujours un appel à la croissance. Chaque culture et chaque groupe social a besoin de purification et de maturation. Dans le cas de culture populaire de populations catholiques, nous pouvons reconnaître certaines faiblesses qui doivent encore être guéries par l’Évangile : le machisme, l’alcoolisme, la violence domestique, une faible participation à l’Eucharistie, les croyances fatalistes ou superstitieuses

D

La joie de l’Évangile-IVUne église aux portes ouvertes « Evangelii Gaudium» du pape François 2e partie (24 novembre 2013)

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CHAPITRE -IV

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27PAPE FRANÇOIS

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qui font recourir à la sorcellerie, etc. Mais c’est vraiment la piété populaire qui est le meilleur point de départ pour les guérir et les libérer.

70. Il est aussi vrai que parfois, plus que sur l’impulsion de la piété chrétienne, l’accent est mis sur les formes extérieures de traditions de certains groupes, ou d’hypothétiques révélations privées considérées comme indiscutables. Il existe un certain christianisme fait de dévotions, précisément d’une manière individuelle et sentimentale de vivre la foi, qui ne correspond pas en réalité à une authentique “piété populaire”. Certains encouragent ces expressions sans se préoccuper de la promotion sociale et de la formation des fidèles, et en certains cas, ils le font pour obtenir des bénéfices économiques ou quelque pouvoir sur les autres. Nous ne pouvons pas non plus ignorer que, au cours des dernières décennies, une rupture s’est produite dans la transmission de la foi chrétienne entre les générations dans le peuple catholique. Il est incontestable que beaucoup se sentent déçus et cessent de s’identifier avec la tradition catholique, que le nombre des parents qui ne baptisent pas leurs enfants et ne leur apprennent pas à prier augmente, et qu’il y a un certain exode vers d’autres communautés de foi. Certaines causes de cette rupture sont : le manque d’espaces de dialogue en famille, l’influence des moyens de communication, le subjectivisme relativiste, l’esprit de consommation effréné que stimule le marché, le manque d’accompagnement pastoral des plus pauvres, l’absence d’un accueil cordial dans nos institutions et notre difficulté à recréer l’adhésion mystique de la foi dans un scénario religieux pluriel.

Défis des cultures urbaines71. La nouvelle Jérusalem, la Cité sainte (Ap 21, 2-4) est le but vers lequel l’humanité tout entière est en marche. Il est intéressant que la révélation nous dise que la plénitude de l’humanité et de l’histoire se réalise dans une ville. Nous avons besoin de reconnaître la ville à partir d’un regard contemplatif, c’est-à-dire un regard de foi qui découvre ce Dieu qui habite dans ses maisons, dans ses rues, sur ses places. La présence de Dieu accompagne la recherche sincère que des personnes et des groupes accomplissent pour trouver appui et sens à leur vie. Dieu vit parmi les citadins qui promeuvent la solidarité, la fraternité, le désir du bien, de vérité, de justice. Cette présence ne doit pas être fabriquée, mais découverte, dévoilée. Dieu ne se cache pas à ceux qui le cherchent d’un cœur sincère, bien qu’ils le fassent à tâtons, de manière imprécise et diffuse.

72. Dans la ville, l’aspect religieux trouve une médiation à travers différents styles de vie, des coutumes associées à un sens du temps, du territoire et des relations qui diffère du style des populations rurales. Dans la vie quotidienne, les citadins luttent très souvent pour survivre et, dans cette lutte, se cache un sens profond de l’existence qui implique habituellement aussi un profond sens religieux. Nous devons le considérer pour obtenir un dialogue comme celui que le Seigneur réalisa avec la Samaritaine, près du puits, où elle cherchait à étancher sa soif (cf. Jn 4, 7-26).

73. De nouvelles cultures continuent à naître dans ces énormes géographies humaines où le chrétien n’a plus l’habitude d’être promoteur ou générateur de sens, mais reçoit d’elles d’autres langages, symboles, messages et

paradigmes qui offrent de nouvelles orientations de vie, souvent en opposition avec l’Évangile de Jésus. Une culture inédite palpite et se projette dans la ville. Le Synode a constaté qu’aujourd’hui, les transformations de ces grandes aires et la culture qu’elles expriment sont un lieu privilégié de la nouvelle évangélisation.61 Cela demande d’imaginer des espaces de prière et de communion avec des caractéristiques innovantes, plus attirantes et significatives pour les populations urbaines. Les milieux ruraux, à cause de l’influence des moyens de communications de masse, ne sont pas étrangers à ces transformations culturelles qui opèrent aussi des mutations significatives dans leurs manières de vivre.

74. Une évangélisation qui éclaire les nouvelles manières de se mettre en relation avec Dieu, avec les autres et avec l’environnement, et qui suscite les valeurs fondamentales devient nécessaire. Il est indispensable d’arriver là où se forment les nouveaux récits et paradigmes, d’atteindre avec la Parole de Jésus les éléments centraux les plus profonds de l’âme de la ville. Il ne faut pas oublier que la ville est un milieu multiculturel. Dans les grandes villes, on peut observer un tissu conjonctif où des groupes de personnes partagent les mêmes modalités d’imaginer la vie et des imaginaires semblables, et se constituent en nouveaux secteurs humains, en territoires culturels, en villes invisibles. Des formes culturelles variées cohabitent de fait, mais exercent souvent des pratiques de ségrégation et de violence. L’Église est appelée à se mettre au service d’un dialogue difficile. D’autre part, il y a des citadins qui obtiennent des moyens adéquats pour le dé-veloppement de leur vie personnelle et familiale, mais il y a un très grand nombre de “non citadins”, des “citadins à moitié” ou des “restes urbains”. La ville produit une sorte d’ambivalence permanente, parce que, tandis qu’elle offre à ses citadins d’infinies possibilités, de nombreuses difficultés apparaissent pour le plein développement de la vie de beaucoup. Ces contradictions provoquent des souffrances déchirantes. Dans de nombreuses parties du monde, les villes sont des scènes de protestation de masse où des milliers d’habitants réclament liberté, participation, justice et différentes revendications qui, si elles ne sont pas convenablement interprétées, ne peuvent être réduites au silence par la force.

75. Nous ne pouvons ignorer que dans les villes le trafic de drogue et de personnes, l’abus et l’exploitation de mineurs, l’abandon des personnes âgées et malades, diverses formes de corruption et de criminalité augmentent facilement. En même temps, ce qui pourrait être un précieux espace de rencontre et de solidarité, se transforme souvent en lieu de fuite et de méfiance réciproque. Les maisons et les quartiers se construisent davantage pour isoler et protéger que pour relier et intégrer. La proclamation de l’Évangile sera une base pour rétablir la dignité de la vie humaine dans ces contextes, parce que Jésus veut répandre dans les villes la vie en abondance (cf. Jn 10, 10). Le sens unitaire et complet de la vie humaine que l’Évangile propose est le meilleur remède aux maux de la ville, bien que nous devions considérer qu’un programme et un style uniforme et rigide d’évangélisation ne sont pas adaptés à cette réalité. Mais vivre jusqu’au bout ce qui est humain et s’introduire au cœur des défis comme ferment de témoignage, dans n’importe quelle culture, dans n’importe quelle ville, perfectionne le chrétien et féconde la ville.

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28 LA JOIE DE L’ÉVANGILE

II. Tentations des agents pastoraux76. J’éprouve une immense gratitude pour l’engagement de toutes les personnes qui travaillent dans l’Église. Je ne veux pas m’arrêter maintenant à exposer les activités des différents agents pastoraux, des évêques jusqu’au plus humble et ca-ché des services ecclésiaux. Je préfèrerais plutôt réfléchir sur les défis que, tous, ils doivent affronter actuellement dans le contexte de la culture mondialisée. Cependant, je dois dire en premier lieu et en toute justice, que l’apport de l’Église dans le monde actuel est immense. Notre douleur et notre honte pour les péchés de certains des membres de l’Église, et aussi pour les nôtres, ne doivent pas faire oublier tous les chrétiens qui donnent leur vie par amour : ils aident beaucoup de personnes à se soigner ou à mourir en paix dans des hôpitaux précaires, accompagnent les personnes devenues esclaves de différentes dépendances dans les lieux les plus pauvres de la terre, se dépensent dans l’éducation des enfants et des jeunes, prennent soin des personnes âgées abandonnées de tous, cherchent à communiquer des valeurs dans des milieux hostiles, se dévouent autrement de différentes manières qui montrent l’amour immense pour l’humanité que le Dieu fait homme nous inspire. Je rends grâce pour le bel exemple que me donnent beaucoup de chrétiens qui offrent leur vie et leur temps avec joie. Ce témoignage me fait beaucoup de bien et me soutient dans mon aspiration personnelle à dé-passer l’égoïsme pour me donner davantage.

77. Malgré cela, comme enfants de cette époque, nous sommes tous de quelque façon sous l’influence de la culture actuelle mondialisée qui, même en nous présentant des valeurs et de nouvelles possibilités, peut aussi nous limiter, nous conditionner et jusqu’à nous rendre malades. Je reconnais que nous avons besoin de créer des espaces adaptés pour motiver et régénérer les agents pastoraux, « des lieux où ressourcer sa foi en Jésus crucifié et ressuscité, où partager ses questions les plus profondes et les préoccupations quotidiennes, où faire en profondeur et avec des critères évangéliques le discernement sur sa propre existence et expérience, afin d’orienter vers le bien et le beau ses choix individuels et sociaux ».62 En même temps, je désire attirer l’attention sur certaines tentations qui aujourd’hui atteignent spécialement les agents pastoraux.l’idéologie politique des gouvernants.

Oui au défi d’une spiritualité missionnaire78. Aujourd’hui, on peut rencontrer chez beaucoup d’agents pastoraux, y compris des personnes consacrées, une préoccupation exagérée pour les espaces personnels d’autonomie et de détente, qui les conduit à vivre leurs tâches comme un simple appendice de la vie, comme si elles ne faisaient pas partie de leur identité. En même temps, la vie spirituelle se confond avec des moments religieux qui offrent un certain soulagement mais qui ne nourrissent pas la rencontre avec les autres, l’engagement dans le monde, la passion pour l’évangélisation. Ainsi, on peut trouver chez beaucoup d’agents de l’évangélisation, bien qu’ils prient, une accentuation de l’individualisme, une crise d’identité et une baisse de ferveur. Ce sont trois maux qui se nourrissent l’un l’autre.

79. La culture médiatique et quelques milieux intellectuels transmettent parfois une défiance marquée par rapport au message de l’Église, et un certain désenchantement. Comme conséquence, beaucoup d’agents pastoraux, même s’ils prient, développent une sorte de complexe d’infériorité, qui les conduit à relativiser ou à occulter leur identité chrétienne et leurs convictions. Un cercle vicieux se forme alors, puisqu’ainsi ils ne sont pas heureux de ce qu’ils sont et de ce qu’ils font, ils ne se sentent pas identifiés à la mission évangélisatrice, et cela affaiblit l’engagement. Ils finissent par étouffer la joie de la mission par une espèce d’obsession pour être comme tous les autres et pour avoir ce que les autres possèdent. De cette façon, la tâche de l’évangélisation devient forcée et ils lui consacrent peu d’efforts et un temps très limité.

80. Au-delà d’un style spirituel ou de la ligne particulière de pensée qu’ils peuvent avoir, un relativisme encore plus dangereux que le relativisme doctrinal se développe chez les agents pastoraux. Il a à voir avec les choix plus profonds et sincères qui déterminent une forme de vie. Ce relativisme pratique consiste à agir comme si Dieu n’existait pas, à décider comme si les pauvres n’existaient pas, à rêver comme si les autres n’existaient pas, à travailler comme si tous ceux qui n’avaient pas reçu l’annonce n’existaient pas. Il faut souligner le fait que, même celui qui apparemment dispose de solides convictions doctrinales et spirituelles, tombe souvent dans un style de vie qui porte à s’attacher à des sécurités économiques, ou à des espaces de pouvoir et de gloire humaine qu’il se procure de n’importe quelle manière, au lieu de donner sa vie pour les autres dans la mission. Ne nous laissons pas voler l’enthousiasme missionnaire !

Non à l’acédie égoïste81. Quand nous avons davantage besoin d’un dynamisme missionnaire qui apporte sel et lumière au monde, beaucoup de laïcs craignent que quelqu’un les invite à réaliser une tâche apostolique, et cherchent à fuir tout engagement qui pourrait leur ôter leur temps libre. Aujourd’hui, par exemple, il est devenu très difficile de trouver des catéchistes formés pour les paroisses et qui persévèrent dans leur tâche durant plusieurs années. Mais quelque chose de semblable arrive avec les prêtres, qui se préoccupent avec obsession de leur temps personnel. Fréquemment, cela est dû au fait que les personnes éprouvent le besoin impérieux de préserver leurs espaces d’autonomie, comme si un engagement d’évangélisation était un venin dangereux au lieu d’être une réponse joyeuse à l’amour de Dieu qui nous convoque à la mission

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29PAPE FRANÇOISet nous rend complets et féconds. Certaines personnes font de la résistance pour éprouver jusqu’au bout le goût de la mission et restent enveloppées dans une acédie paralysante.

82. Le problème n’est pas toujours l’excès d’activité, mais ce sont surtout les activités mal vécues, sans les motivations appropriées, sans une spiritualité qui imprègne l’action et la rende désirable. De là découle que les devoirs fatiguent démesurément et parfois nous tombons malades. Il ne s’agit pas d’une fatigue sereine, mais tendue, pénible, insatisfaite, et en définitive non acceptée. Cette acédie pastorale peut avoir différentes origines. Certains y tombent parce qu’ils conduisent des projets irréalisables et ne vivent pas volontiers celui qu’ils pourraient faire tranquillement. D’autres, parce qu’ils n’acceptent pas l’évolution difficile des processus et veulent que tout tombe du ciel. D’autres, parce qu’ils s’attachent à certains projets et à des rêves de succès cultivés par leur vanité. D’autres pour avoir perdu le contact réel avec les gens, dans une dépersonnalisation de la pastorale qui porte à donner une plus grande attention à l’organisation qu’aux personnes, si bien que le “tableau de marche” les enthousiasme plus que la marche elle-même. D’autres tombent dans l’acédie parce qu’ils ne savent pas attendre, ils veulent dominer le rythme de la vie. L’impatience d’aujourd’hui d’arriver à des résultats immédiats fait que les agents pastoraux n’acceptent pas

facilement le sens de certaines contradictions, un échec apparent, une critique, une croix.

83. Ainsi prend forme la plus grande menace, « c’est le triste pragmatisme de la vie quotidienne de l’Église, dans lequel apparemment tout arrive normalement, alors qu’en réalité, la foi s’affaiblit et dégénère dans la mesquinerie».63 La psychologie de la tombe, qui transforme peu à peu les chrétiens en momies de musée, se développe. Déçus par la réalité, par l’Église ou par eux-mêmes, ils vivent la tentation constante de s’attacher à une tristesse douceâtre, sans espérance, qui envahit leur coeur comme « le plus précieux des élixirs du démon ».64 Appelés à éclairer et à communiquer la vie, ils se laissent finalement séduire par des choses qui engendrent seulement obscurité et lassitude intérieure, et qui affaiblissent le dynamisme apostolique. Pour tout cela je me permets d’insister : ne nous laissons pas voler la joie de l’évangélisation !

Tiré de « La joie de l’Évangile – Pape François »

61 Cf. Proposition 25.62 Action Catholique Italienne, Messaggio della XIV Assemblea nazionale alla Chiesa ed al Paese (8 mai 2011).63 Joseph Ratzinger, Situation actuelle de la foi et de la théologie. Conférence prononcée durant la rencontre des Présidents des Commissions épiscopales d’Amérique latine pour la doctrine de la foi, célébrée à Guadalajara, Mexique, 1996. Osservatore romano, 1 novembre 1996. Cf. Vème Conférence générale de l’Episcopat latino-américain et des Caraïbes, Document d’Aparecida (29 juin 2007), n. 12.64 Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne, Paris, 1974, p. 135.

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30 MÉDITATION I

DIEU ET L’ARGENT-V

LES BIENS EN PARTAGEDès les origines du christianisme, la liberté reçue du Christ à

l’égard de l’argent a été mise en œuvre de différentes manières.Ni loi, ni uniformité, ni rigidité dans la gestion chrétienne des biens. Le Nouveau Testament atteste que les croyants et les communautés de l’Église naissante ont adopté des solutions diverses qui tenaient

compte de leurs besoins, de leurs possibilités et de leur génie propre.La lecture de l’Ancien Testament permet de retrouver les traces de cinq modèles de liberté à l’égard des biens. Deux nous sont livrés

par l’Evangile et les Actes des Apôtres : le dépouillement radical et la communauté des biens. Ce sont des « modèles d’utopie ».

Trois sont présentés dans les écrits de l’Apôtre Paul : collecte, mécénat et bénévolats ; ce sont des « modèles de participation ».

Commençons par les premiers.

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31LES CLÉS DE LA FOIa, vends ce que tu possèdes … »La plus spectaculaire injonction de Jésus au sujet des biens est cet appel lancé à un jeune homme riche :

Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les cieux. Puis viens, suis-moi. (Matthieu 19,21)L’homme interrogeait Jésus pour avoir son conseil sur la voie à suivre pour parvenir au salut. À cet homme inquiet, Jésus propose alors de changer de logique en passant du quantitatif au qualitatif - ou, si l’on préfère, de l’avoir à l’être. Il l’invite à quitter son avoir, à lâcher son monde paisible protégé par la richesse, où « sans qu’on s’en aperçoive, d’un même amour sont aimés les commandements de Dieu, les parents, les conditions d’une vie assurée. ». Ce qui lui manque, c’est de quitter ce trop-plein pour entrer, allégé, dans la suivance de Jésus.Ce qui lui était demandé était de changer la nature de son trésor, d’investir dans une autre richesse, qui est le « trésor dans les cieux. » Cette conversion des valeurs est typique des appels de Jésus à le suivre : chercher à sauver sa vie à tout prix, c’est la perdre ; si l’on gagne le monde entier en y perdant son âme, quel est l’avantage ? (Matthieu 16,24-26) Le jeune homme est questionné radicalement par Jésus : où sont tes vraies valeurs ? où est ton trésor ? à quoi attaches-tu ton cœur ?Cet épisode ne pouvait laisser les disciples indifférents. L’affirmation de Jésus qu’il « est plus facile à un chameau d’entrer par un trou d’aiguille à coudre qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu » laisse les disciples stupéfaits. Faut-il s’appauvrir pour suivre le Christ ? Qui peut être sauvé ? La réponse est énigmatique : « Aux

hommes, c’est impossible, mais à Dieu tout est possible. » (19,26) Seul Dieu est en mesure de sauver l’homme de lui-même, de ses liens, de ses possessions, de ses convoitises.

Éloge de la pauvretéIl ressort du texte que l’invitation au dépouillement radical n’a pas été imposée par Jésus à l’ensemble de ses disciples. Certains se sont engagés dans cette voie, ouvrant une tradition de pauvreté et d’ascétisme qui persistera tout au long de l’histoire de l’Église. Dès le IIIe siècle, en Syrie, les Pères du désert se sont retirés des villes pour vivre dans l’absolu dénuement. Le mouvement érémitique s’est am-plifié dans l’Antiquité, puis au Moyen Âge avec les ordres mendiants (franciscains en particulier). Au XXe siècle, les noms de l’abbé Pierre et de Mère Teresa illustrent la persistance de cette tradition de pauvreté.Si l’invitation au dépouillement ne fut jamais ressentie comme une obligation, le choix de la pauvreté volontaire est demeuré au sein du christianisme comme un signe et une alerte. La vie de ces hommes et de ces femmes réalise en effet jusqu’à l’extrême l’inversion salutaire de la fonction de l’argent, et son entrée dans la sphère du don. Ce choix radical est à la fois une solidarité avec ceux qui n’ont rien et une illustration de la possibilité de vivre de peu, suspendu à la seule grâce de Dieu.Au sein d’une chrétienté (trop) installée dans la société de consommation, l’existence de ces figures ou de ces communautés vivant de peu est une interrogation salutaire. Voici ce qu’écrit un moine de la communauté monastique de Bose (Italie): « Il s’agit d’un style de vie qui confère aux choses matérielles leur place légitime, qui est secondaire et non primaire. Éviter les gaspillages,

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32 MÉDITATION I

utiliser les biens avec intelligence, ne pas multiplier les besoins, ce sont là des éléments constitutifs d’une vie qui se veut simple. Proposer l’ascèse, la sobriété, des styles de vie sobres et modères, la capacité de renoncer, cela n’a rien de fou, mais a pour but de permettre à l’homme de retrouver ses racines. »*La pauvreté en soi n’est ni un mérite, ni une vertu. Si les pauvres sont déclarés heureux, si le Royaume de Dieu est à eux (Luc 6,20), ce n’est pas parce que l’indigence décèlerait une vertu cachée, mais parce que Dieu se fait le protecteur des sans-droit. Le choix de ces pauvres volontaires ne leur accorde pas un mérite spécial, ni ne constitue la voie unique de fidélité au Christ ; mais il fait résonner en permanence, au cœur de la société, la dérangeante question : sur quelles valeurs fondez-vous votre vie ? où sont vos racines ?Ces pauvres par choix sont la conscience inquiète du christianisme. Ils dénoncent l’illusion de se croire propriétaire de sa vie, le mirage du pouvoir absolu que la richesse secrète tel un fruit pervers. Car l’argent corrompt plus sûrement que le pouvoir (ne dit-on pas que tout s’achète, y compris les humains ?). Les pauvres volontaires avertissent les riches du danger de tricher avec ses propres limites.

« Ils mettaient tout en commun »Le second modèle d’utopie exposé dans le Nouveau Testament est, comme l’appel au dépouillement radical, porté par un idéal de perfection ; il s’agit de la communauté de biens. L’idéal communautariste s’est concrétisé dans la première Église à Jérusalem, rassemblée autour des apôtres, selon le portrait qu’en brossent les Actes des Apôtres :Tous ceux qui étaient devenus croyants étaient unis et mettaient tout en commun. Ils vendaient leurs propriétés et leurs biens, pour en partager le prix entre tous selon les besoins de chacun. (Actes 2,44-45)

L’évangéliste Luc décrit cette communauté avec admi¬ration. Dans sa gestion des biens se croisent deux idéaux. D’une part, depuis Aristote, l’idéal grec de l’amitié veut que « ce que possèdent des amis est commun » (Aristote, Ethique à Nicomaque) ; les croyants de Jérusalem réalisent donc l’idéal d’amitié dont rêvent les Grecs. Mais, d’autre part, le partage des biens pratiqué à l’origine par les chrétiens jérusalémites réalisait aussi

l’espoir israélite de la disparition des pauvres au sein du peuple de Dieu.

Les chercheurs se sont bien entendu demandé si Luc ne projetait pas dans le passé un idéal qui culpabiliserait les générations futures. Je pense qu’il n’invente rien, mais qu’il généralise ici le mode de vie, non pas de la totalité des premiers chrétiens, mais de petits groupes à l’aube du christianisme. On sait qu’à la même époque, des groupes de juifs esséniens partageaient leurs biens de semblable façon. L’auteur des Actes a voulu en préserver la mémoire, il correspond à sa conviction que la foi revendique et mo¬bilise la personne tout entière. L’Évangile ne s’arrête pas au salut des âmes, mais imprime à la totalité de l’existence, y compris dans sa face économique, une orientation nouvelle. Ainsi les premiers chrétiens ont-ils voulu concrétiser matériellement cette nouvelle fraternité que tissait entre eux le baptême au nom de Jésus Christ.Luc a voulu qu’on s’en souvienne : si le christianisme est devenu une religion universelle, c’est en vertu de la qualité de sa vie communautaire. La société environnante disait des chrétiens : «Voyez comme ils s’aiment ! » Ce mode de vie communautaire est-il viable économiquement à long terme ? Vraisemblablement pas, et c’est pourquoi il disparut au plus tard au IIIe siècle.

Éthique de conviction, Éthique de participationLe dépouillement radical comme la communauté des biens se fondent, sur un idéal de perfection. D’où cet idéal tire-t-il son origine ? La source en est incontestablement la proximité du Règne de Dieu, le retour attendu comme imminent du Seigneur Jésus. Les premiers chrétiens se considèrent comme placés au cœur d’un drame dont le dénouement est proche. Parce que le Règne va incessamment venir, parce que son ombre envahit déjà le temps présent, la conversion doit se faire radicale. Il est urgent de s’arracher aux fausses sécurités qu’offre le monde, et même les solidarités les plus intouchables (la famille) doivent être congédiées. Le disciple abandonne sa maison et son mode de vie pour suivre son Seigneur. Il n’est plus temps de transiger ou de construire des compromis.

L’appel à se dépouiller de toute possession ou à la partager doit être compris dans cet état d’esprit. Cette option est tout entière tendue vers le Royaume, avec son potentiel de fraternité et d’espérance ; l’urgence qu’il réclame conduit à contester les règles de fonctionnement économique inhérentes à la société. Cet héroïsme, où l’individu se libère de toute sécurité offerte par le monde, correspond à ce qu’on appelle une éthique de conviction: l’impératif moral est reçu sans compromis et sans accommodation possibles.

Mais déjà dans la première génération chrétienne, autour de l’apôtre Paul, d’autres modelés se font jour, qui substituent à l’héroïsme rigoureux une solidarité active et raisonnée : collecte, mécénat et bénévolat s’inscrivent sur la ligne d’une éthique de participation.

Tiré de l’ouvrage « Dieu et l’argent » de Daniel MARGUERAT

* Luciano Manicardi, « Vivre de peu », in: Daniel Marguerat, éd. Parlons argent (essais bibliques 39), Genève, Labor et Fides, 2006, pp. 131-132.

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33LES CLÉS DE LA FOI

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34 MÉDITATION II

a formule, typique du quatrième évangile quand Jésus parle de lui-même : « Moi, je suis», n’apparaît accompagnée de trois attributs que dans cette formule : « Je suis le chemin et la vérité et la vie » (Jean 14, 6 (1)). Jésus cherche

à apaiser le cœur de ses disciples troublés par la Cène qui précède. On le serait à moins ! Au cours de ce repas, dans cette atmosphère de Pâque et dans ce climat de lâchage généralisé, Jésus met en œuvre son amour extrême. Il est l’agneau de Pâque qui enlève le péché du monde (cf. Jean 1,29). Il s’est dévoilé dès sa rencontre avec la Samaritaine : «Moi, je suis ! » (4,26) (2). Déjà condamné à mort (5,18), il a rassuré les disciples dans la tempête sur la mer de Tibériade : « Moi, je suis : ne craignez pas !» (6,20). Il s’est offert comme le Pain vivant descendu du ciel (Jean 6, 35.41.48.51). Condamné à tort, sans lui-même condamner personne, il s’est révélé « lumière du monde » (8,12). Dans le prolongement de la guérison d’un aveugle de naissance à Jérusalem, il peut encore se définir comme « la porte des brebis » (10,9) et « le Pasteur, le beau » (10,11.14). N’est-il pas en effet celui par qui l’on entre dans la communauté des croyants et celui qui la dirige ?

Il est bien le Fils de Dieu (10,36), tellement désarmé que rien en lui ne peut prêter à aucune accusation d’idolâtrie. À Marthe, la sœur de Lazare qu’il ramène à la vie, il peut encore dire : «Moi, je suis la résurrection et la vie ; celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra, et tout ce qui vit et qui croit en moi ne mourra pas à jamais» (11,25) plus proches qu’ils se rapprochent du moyeu ou de l’axe de la roue, de même un couple grandit dans l’amour mutuel quand ils se rapprochent de l’amour de Dieu. Prier, vivre des

sacrements, l’eucharistie, la confession, c’est faire grandir l’amour, car Dieu est amour. Seul, le tout autre peut me donner d’aimer en vérité. Et le choix exclusif de l’autre

est à l’image de l’amour exclusif de Dieu pour nous : la monogamie est à l’image du monothéisme.

Un chemin d’amourJésus a donc montré, dans ses faits et gestes, par ses paroles et ses discours, à quel point il est le seul à permettre le passage de ce monde au Père (cf. 13,1). À l’origine de tout comme Parole du Père (cf. 1,1), il conduit à la fin ultime de tous. Ce chemin qui fait passer de l’origine à la fin, c’est l’amour « achevé » (Jean 13,1 ; 19,28-30).

Yves Simoens,Jésuite, professeur de Théologie au Centre Sèvres.

En disant qu’il est la Vie, Jésus dit aussi qu’il le chemin et la vérité.Pourquoi associer ces trois mots ? Comment s’articulent-ils ?

« Je suis le chemin, la vérité et la vie »

LLa vie ne se réduit pas à la vie

biologique mortelle. Elle est le propre de Dieu

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35JE SUIS LE CHEMIN, LA VERITE ET LA VIESa mort sur la Croix, consentie le soir de la Cène, sera mort d’amour et de Dieu et des autres. Son chemin introduit dans sa propre relation au Père et dans la juste relation à chacun. Il accomplit ainsi la Torah et la Sagesse d’Israël. « Et maintenant, Israël, que te demande Yhwh ton Dieu, sinon de craindre Yhwh ton Dieu, de suivre tous ses chemins, de l’aimer, de servir Yhwh ton Dieu de tout ton cœur et de toute ton âme » (Deutéronome 10,12). «Enseigne-moi, Yhwh, le chemin de tes volontés, je veux le garder en récompense » (Psaume 118,33).Le Deutéronome consigne le long discours d’adieu, que Moïse est censé avoir prononcé dans les plaines de Moab avant sa mort, sans pouvoir entrer avec son peuple en Terre promise. Jésus épouse ce modèle dans ses propres adieux. Il n’est pas un nouveau Moïse : il accomplit Moïse parce qu’il est le chemin par excellence, sûr d’entrer dans la Terre promise qu’est le Père en personne. Moïse a pris sur lui le péché de son peuple en lui permettant d’entrer où lui ne peut aller. Jésus retourne au Père d’où il vient en enlevant le péché du monde pour entraîner quiconque veut le suivre au lieu où l’attend le Père et qui est encore le Père lui-même.

Jésus, l’homme vraiS’il est le chemin, c’est aussi parce que Jésus est « la vérité ». La vérité, au sens grec du terme, consiste en l’adéquation de l’intelligence et de la chose. La vérité sémitique est plus symbolique, moins conceptuelle que relationnelle. Son symbole est le rocher qui tient, Dieu ou le partenaire de la relation sur qui s’appuyer (Psaumes 95,1 ; Deutéronome 32,4.15.18.30-31 ; Isaïe 51,1). La vie, quant à elle, ne se réduit pas à la vie biologique mortelle. Elle est le propre de Dieu, de son Verbe-Parole, Jésus Christ, en vue de sa communication à toute créature (1,4). « La vie éternelle » est l’équivalent du Royaume des cieux ou de Dieu des Synoptiques. « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu envoyas, Jésus Christ » (17,3).Elle est donc synthèse possible de la foi monothéiste juive et de la confession de foi trinitaire chrétienne. Le Père et le Fils évoqués, l’Esprit transparaît dans cette « vie éternelle » (cf. 14,17).

Recevoir la vie de DieuComment interpréter en conclusion la succession de ces trois attributs : chemin, vérité et vie, qui complètent la formule christologique : « Moi, je suis » ? « Moi, je suis le chemin parce que je suis la vérité et donc la vie », fait de la vérité le sommet des trois attributs. Jésus révèle en effet Dieu et l’homme dans le Verbe incarné qu’il est, discernable en toute étincelle de vérité éparse dans le monde. « Moi, je suis le chemin et la vérité parce que je suis la vie » met l’accent sur l’attribut final et semble plus conforme aux données du quatrième évangile. Le but de la révélation à la lumière du Christ, c’est de communiquer et de recevoir la vie même de Dieu Père, Fils et Esprit, qui est Amour (1 Jean 4, 8.16).

Une leçon magistraleLa représentation habituelle de l’épisode d’Emmaüs est celle de l’instant ou les deux pèlerins reconnaissent Jésus à la fraction du pain. Chez Rembrandt, par exemple, elle se traduit par la lumière surnaturelle qui baigne la scène et par l’expression stupéfaite des deux compères. Or, ici, Tintoret choisit de peindre le moment qui précède immédiatement celui de la reconnaissance. Si Jésus a déjà le pain en main et si un nimbe lumineux commence

à naître autour de sa tête, nul ne l’a encore reconnu. À gauche, un serviteur lui tend un plat tandis que l’un des pèlerins devise avec un vieillard. À droite, l’autre pèlerin, plus âgé, lui tourne à demi le dos et semble plus intéressé par la servante qui tend un pichet à un jeune homme. Isolé entre les deux groupes, Jésus semble donc bien esseulé.Par cette atmosphère étrange, Tintoret administre une magistrale leçon de vie. L’homme est un animal toujours en mouvement, toujours affolé, qui risque à tout moment de passer à côté de ce qui constitue sa vraie raison de vivre (qu’on peut nommer amour, spiritualité, prière, bonheur, etc.). Et c’est souvent dans les choses les plus simples - ici un peu de pain, un verre manifestement rempli d’eau et non de vin, une chère assez maigre - que l’on trouve ce qu’on se croit obligé de chercher dans l’agitation. La juste attitude est indiquée par le Christ : les yeux mi-clos, il nous dit que tout se passe à l’intérieur de nous-mêmes ; mais de l’index, il nous invite à regarder vers le haut.

Les Cahiers Croire 292 – Vivre un Mystérieux Cadeau

À plusieurs reprises, Paul affirme que la vie, la seule qui vaille, qui soit souhaitable, désirable, c’est le Christ lui-même. Ainsi, dans la lettre aux Philippiens, il écrit à ses correspondants : « Pour moi, vivre c’est le Christ, et mourir est un avantage ». Et il continue, en confiant son embarras : « Mais si, en vivant en ce monde, j’arrive à faire un travail utile, je ne sais plus comment choisir. Je me sens pris entre les deux: je voudrais bien partir pour être avec le Christ, car c’est bien cela le meilleur ; mais, à cause de vous, demeurer en ce monde est encore plus nécessaire » (1 Philippiens 1, 21-22). La vie serait-elle donc si peu de chose pour l’apôtre? Faut-il se débarrasser de la vie terrestre pour rejoindre le Christ ? Non, mais il faut accomplir avec lui ce passage par la mort qui, peu à peu, nous rend semblables à lui, mieux : qui nous assimile à lui : « Avec le Christ, je suis fixé à la Croix : je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi. Ma vie aujourd’hui dans la condition humaine, je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi » (Galates 2, 19-20). En fait la vraie vie, c’est la vie même du Christ qui vient vivre en nous, qui vient nous animer au fur et à mesure de notre cheminement spirituel qui est constitué de deux mouvements quasi symétriques et opposés qui se nour-rissent l’un de l’autre. Le premier, c’est l’attachement au Christ, le second le détachement de tout ce qui n’est pas lui. C’est ainsi qu’il peut écrire : « Tendez vers les réalités d’en haut, et non pas vers celles de la terre. En effet, vous êtes morts avec le Christ, et votre vie reste cachée avec lui en Dieu. Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire » (Colossiens 3,1-3).

SAINT PAUL :« VIVRE, C’EST LE CHRIST »

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36 LES CLÉS DE LA PRIÈRE

oici que je me tiens à la porte, et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui; je prendrai mon repas

avec lui, et lui avec moi 23».Comme évoqué plus haut, cette petite méthode va vous aider à construire votre temps de prière sur quatre piliers, correspondant à quatre temps:- Silence- Écoute- Adoration- IntercessionAprès avoir commencé par une séquence de silence, vous prendrez ensuite une séquence d’écoute de la Parole de Dieu, puis une séquence d’adoration (de cœur à cœur

avec le Seigneur), puis vous ouvrirez votre prière aux dimensions du monde par une séquence d’intercession.Comme vous pouvez le découvrir avec le schéma ci-après, ces différentes séquences sont symboliquement centrées sur la Croix. La Croix sur laquelle le Christ nous donne le salut en s’offrant par amour au Père, pour nous donner la vie. Ce combat de la prière est intimement lié à la Croix, car il est lié à notre rédemption.Voici schématiquement la structure de votre temps de prière

SILENCE« Le silence est le tout de la prière et Dieu nous parle dans un souffle de silence, il nous atteint dans cette part

de la prière:Les clés EN CHEMIN POUR PRIER TOUS LES JOURS?-I

V

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37EN CHEMIN POUR PRIER TOUS LES JOURS?de solitude inférieure qu’aucun être humain ne peut combler24».Qu’elle est belle cette prière du pape François : « Que les hommes de notre temps, souvent submergés par le bruit, redécouvrent la valeur du silence et sachent écouter la voix de Dieu et de leurs frères ! 25»Le silence est une porte ouverte sur l’écoute, l’accueil, la rencontre. Benoît XVI, modèle de silence intérieur, nous enseigne que : « Le silence fait partie intégrante de la communication. Sans lui aucune parole riche de sens ne peut exister. Dans le silence, nous écoutons et nous nous connaissons mieux nous-mêmes ; dans le silence, la pensée naît et s’approfondit, nous comprenons avec une plus grande clarté ce que nous voulons dire ou ce que nous attendons de l’autre, nous choisissons comment nous exprimer. 26 »Pour prier, il nous faut donc entrer dans le silence : « Le silence n’est pas évasion mais rassemblement de nous-mêmes au creux de Dieu27 ». Ce premier temps de la prière est nécessaire, car il va permettre la rencontre avec le Christ en nous mettant mieux à son écoute, et donner ensuite tout leur sens aux paroles que nous allons recevoir de Lui et à celles que nous allons lui dire.Pour faire silence, l’environnement de notre prière est très important : nous pourrons être plus attentifs à ne pas nous

laisser distraire et nous centrer sur ce que nous allons vivre.Pratiquement, choisissez un endroit où vous n’allez pas être dérangé, un lieu où ce moment d’intimité pourra être préservé : votre chambre, votre bureau, votre voiture (si vous êtes à l’arrêt sur un parking, évidemment)... L’essentiel est que personne ne puisse venir vous extraire du lieu où vous serez. Cette habitude de prier en tout lieu conditionne notre relation à Dieu en dehors de nos temps de prière, quels que soient les évènements de la vie. Saint François de Sales soulignait l’importance de pouvoir se retirer dans le silence et la solitude à tout instant de la journée, « alors que, physiquement, nous sommes au milieu des conversations et des affaires28 ».

Ce que nous dit ce grand maître spirituel du XVIème siècle est fondamental pour nous laïcs du XXIème siècle: notre relation à Dieu déborde forcement des temps que nous avons planifiés et organisés pour prier.Par ailleurs, ce n’est pas parce que nous n’avons pas le Saint Sacrement ou un tabernacle à «notre portée » que notre prière est impossible. Dieu tient compte de nos contraintes, du lieu où nous sommes. Il nous parle selon notre état de vie, selon ce que nous sommes. Notre prière

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38 LES CLÉS DE LA PRIÈREsera d’autant plus fructueuse, que nous ne sommes pas éloignés de notre devoir d’état.Il est clair que si vous avez la possibilité de prier dans une église, c’est très bien, mais vous vivez dans le monde et non dans un monastère. Vous avez une activité professionnelle, associative ou familiale, et peut-être que votre champ d’activité ne se situe pas à proximité d’une chapelle ou d’un oratoire : cela ne doit jamais être un obstacle à votre vie de prière ! Comme le chantent magnifiquement nos frères chrétiens d’orient : « Dieu est partout présent et emplit tout ! 29»Cherchez donc un lieu calme où vous pourrez être en silence. Car c’est au cœur de cette paix que l’Esprit Saint est donné comme un feu contagieux.Le silence extérieur ouvre la porte pour accueillir l’Esprit Saint qui va conduire les instants que vous allez vivre en présence de Dieu. C’est Lui qui vient allumer le feu du désir de la rencontre avec le Christ. « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » (Lc 12, 49). C’est Lui qui vient nous vivifier et étancher notre soif de recevoir la Parole de Dieu : « Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi ! Comme dit l’Écriture : De son cœur couleront des fleuves d’eau vive. En disant cela, il parlait de l’Esprit Saint qu’allaient recevoir ceux qui croiraient en lui » (Jn 7, 37-39). C’est Lui qui nous éclaire pour reconnaître les signes de l’action de Dieu dans nos vies: « Croire n’est possible que par la grâce et les secours intérieurs du Saint-Esprit30 » C’est Lui encore qui fait de nous des témoins : « Le Saint-Esprit donne par ailleurs le courage d’annoncer la nouveauté de l’Évangile à tous, sans crainte, à voix haute, en tout temps et en tout lieu. C’est ainsi qu’aujourd’hui encore le feu de la Pentecôte nous envoie sur des chemins d’évangélisation encore inexplorés. Mais ce dynamisme missionnaire ne peut trouver sa source que dans une prière d’appel au Saint-Esprit... 31 »L’Esprit Saint n’est pas une « force anonyme », il est la troisième Personne de la Trinité. C’est pour cette raison que nous l’invoquons, lui parlons, et implorons sa présence. Par notre baptême, nous devenons participants de la Communion d’Amour de la Trinité : « Et voici la preuve que vous êtes des fils : Dieu a envoyé l’Esprit de son Fils dans nos cœurs, et cet Esprit crie : ‘Abba !’, c’est-à-dire : ‘Père !’ » (Gal 4, 7-8). Ainsi nous pouvons Le laisser agir en nous, en ouvrant nos cœurs dans l’abandon. Nous devons demander sans cesse une effusion de l’Esprit qui va nous livrer à l’amour. Nous ne pouvons pas prier et vivre en disciples du Christ si nous ne nous livrons pas à l’Esprit qui « fait toutes choses nouvelles 32». Laissons nous interpeller par saint Paul à Éphèse : « Lorsque vous êtes devenus croyants, avez-vous reçu l’Esprit Saint?33» Oui, nos temps de prière sont autant d’occasions de demander ce feu nouveau, ce vin nouveau. Dieu ne nous refuse jamais son Esprit !Mettons-nous à l’école de Pierre Goursat, fondateur de la Communauté de l’Emmanuel : « On va demander au Saint-Esprit que vraiment cet Amour de Dieu vienne en nous. Or c’est la seule prière qui est sure d’être exaucée, le Seigneur nous l’a assez dit ! Si on demande

à l’Esprit Saint de venir, eh bien le Seigneur viendra et nous transformera 34». Notre cœur et notre intelligence sont ainsi disponibles pour écouter, oser demander et tout recevoir de Dieu. « Moi, je vous dis : Demandez, on vous donnera ; cherchez, vous trouverez ; frappez, on vous ouvrira. En effet, quiconque demande reçoit ; qui cherche trouve ; à qui frappe, on ouvrira. Quel père parmi vous, quand son fils lui demande un poisson, lui donnera un serpent au lieu du poisson ? ou lui donnera un scorpion quand il demande un œuf ? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus le Père du ciel donnera-t-il l’Esprit Saint à ceux qui le lui demandent ! » (Lc 11, 9-13).La prière vocale - dans la mesure où votre environnement extérieur vous permet de parler-, vous aidera à passer d’un silence extérieur à un silence intérieur. Les mots que vous pouvez adresser clairement à Dieu - à voix haute ou à voix basse - vous guideront par la suite vers une prière mentale, portée par un silence intérieur qui ouvrira votre cœur à l’écoute, puis à l’oraison. Sainte Catherine de Sienne35 le conseille très clairement dans son traité sur la prière : « Tu sais que l’âme est impar-faite avant d’être parfaite : sa prière doit être de même. Pour ne pas tomber dans l’oisiveté, lorsqu’elle est encore imparfaite, l’amé doit s’appliquer à la prière vocale36. L’âme doit commencer par la prière vocale pour arriver à la prière mentale, et dès qu’elle s’y trouve disposée, elle gardera le silence. La prière vocale, faite comme je l’ai dit, conduit à la prière parfaite 37».Paradoxalement, chanter un cantique ou dire quelques paroles de louange à voix haute, avant de rechercher ce silence intérieur, peut nous y faire plonger plus rapidement, et surtout plus profondément. En effet, cette dynamique de louange nous dispose dans la joie, à répondre à la vocation de tout homme : louer son Créateur et Sauveur, comme l’affirme Saint Ignace de Loyola38

dans Les Exercices Spirituels39 !

Tiré de « Comment prier chaque jour ? »

23 Ap. 3, 20.24 Frère Roger Schutz, de Taizé.25 Pape François, Intention de prière pour le mois de septembre 2013.26 Benoît XVI, Message pour la 46ème journée des communications sociales.27 Madeleine Delbrel, La sainteté des gens ordinaires, 7ème tome des Œuvres Complètes, Nouvelle Cité, 2009, p.168.28 Saint François de Sales, op. cit, chap. XII.29 Cf. Prière au Saint Esprit dans le rite Byzantin : « Ô Roi céleste, Consolateur, Esprit de Vérité, toi qui es partout présent et emplis tout, trésor des biens et source de vie, viens, fais ta demeure en nous, purifie-nous et sauve-nous, toi qui es Bonté ».30 Catéchisme de l’Église Catholique, nº154.31 Pape François, Audience générale du 22 mai 2013.32 Ap 21,5.33 Ac 19,2.34 Martine Catta, Pierre Goursat, Paroles, Paris, Éditions de l’Emmanuel, 2011, p.151.35 Tertiaire dominicaine, sainte Catherine de Sienne (1347-1380) est docteur de l’Église et co-patronne de l’Europe.36 Sainte Catherine de Sienne, Traité de la prière, 1ère partie, chap. LXVI, nº5.37 Ibid, nº15.38 Saint Ignace de Loyola (1491-1556) est le fondateur de la Compagnie de Jésus.39 « L’homme est créé pour louer, respecter et servir Dieu notre Seigneur » (Exercices Spirituels, nº23).

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39EN CHEMIN POUR PRIER TOUS LES JOURS?

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Personne ne l’aurait cru…omment Jorge Mario Bergoglio le discret est-il devenu François le charismatique ? Voici l’étrange histoire d’un malentendu. Ou d’une

divine surprise.

Ce mercredi 13 mars 2013, quand je file vers le plateau du 20 heures de TF1 pour commenter l’élection du pape, je suis heureux. Pas seulement parce que je vais vivre et faire vivre en direct un grand événement international. Non, ce que je me dis surtout, c’est que tout va bien. La rédaction de La Vie a tout prévu. Le bouclage du journal a été retardé de 24 heures au cas hautement improbable où le pape serait élu avant le sixième tour de scrutin. Et c’est le cas ! Plusieurs enquêtes, toutes remarquables, dressent le profil personnel et politique des principaux cardinaux en lice pour succéder à Benoît XVI. Il y a l’Italien archifavori Angelo Scola, patriarche de Venise, stratège de la relation entre chrétiens et musulmans. Il y a le Québécois Marc Ouellet, autre figure du réseau ratzingérien. Et le Brésilien Odilo Scherer, qui pourrait symboliser le basculement du catholicisme vers le Sud sans susciter l’hostilité de la curie, l’organisme central de l’Église catholique qui redoute la réforme.

L’inconnu du Nouveau MondeAux environs de 20h10, le nom du pape est révélé par le cardinal français Jean-Louis Tauran. Les mots latins sonnent, litanie étrange où se cache l’identité de l’élu. «Annuntio vobis gaudium magnum. Habemus Papam: Eminentissimum ac Reve-rendissimum Dominum,

Dominum Georgium Marium Sanctae Romanae Ecclesiae Cardinalem Bergoglio qui sibi nomen imposuit Franciscum. » C’est le choc. Je comprends, stupéfait, que l’heureux élu est donc l’Argentin Jorge Mario Bergoglio. Tous les plans des réseaux ecclésiaux, toutes les projections des vaticanistes, et tous les calculs des experts ont été déjoués. Toutes mes prévisions étaient erronées. Personne n’avait rien compris. Sauf la grâce, sans doute, qui s’est jouée d’un collège électoral presque exclusivement conservateur.

Mais qui est donc Bergoglio, à cet instant-là ? Un inconnu pas même illustre. Dans l’intensité du direct, les souvenirs qui reviennent instantanément ne sont d’ailleurs pas très positifs. Avant le précédent conclave, en 2005, son nom avait déjà émergé parmi celui des papabile. Dans le contexte de la succession de Jean Paul II, où aucune figure n’émergeait de manière évidente, l’archevêque de Buenos Aires pas-sait pour un outsider, un de ces candidats de second rang que les experts rajoutent à leurs pronostics par acquit de conscience. Mais en aucun cas Bergoglio n’était alors considéré comme un éventuel réformateur, à la considérable différence de son confrère Martini, le jésuite milanais.

Le Saint-Siège peut attendreUn cardinal a osé ! Oui, le secret du conclave qui vit Benoît XVI élu a été violé. Anonymement, mais, comme on dit en langage journalistique, « de source sûre ». Dès le premier tour de scrutin, dans l’après-midi du 18 avril 2005, le cardinal argentin recueille 10 voix, soit une de

40 LA RÉVOLUTION D’UN HOMME

LA RÉVOLUTIOND’UN HOMME

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plus que le réformateur Martini. Entre ce premier tour et l’élection du lendemain, sa progression est régulière. Au troisième, il aurait même atteint 40 voix, contre 72 à Joseph Ratzinger. Certes, le futur Benoît XVI est alors majoritaire. Mais Bergoglio dispose d’une minorité de blocage. Dans un système où les deux tiers des voix sont requis, il peut faire capoter l’élection de Ratzinger. L’élection du pape allemand ne sera donc rendue possible que par le ralliement de son adversaire. Bergoglio apparaît alors comme celui qui ne veut pas être pape. On connaît la suite, huit ans plus tard.

La suite, justement. En ce soir d’élection du pape François, que sait-on, ou plutôt que croit-on savoir de lui en Europe, dans les rédactions, chez les vaticanistes ? Le cardinal jésuite vit simplement à Buenos Aires, la ville qui l’a vu naître, qu’il n’a guère quittée, et dont il connaît tous les coins de rue, depuis sa naissance dans le quartier populaire de Flores jusqu’à sa nomination comme évêque auxiliaire puis archevêque. En bref, c’est un Porteño sans grand horizon, pour ne pas dire un plouc qui ignore tout de la grande Église, la vraie, l’Européenne, la Romaine. Sait-on que Bergoglio a vécu et étudié au Chili, en Allemagne et à Alcalá de Henares en Espagne ? Qu’il dispose d’un bon réseau dans l’épiscopat américain ? Qu’il parle couramment l’Italien son père, Piémontais d’origine, et de sa mère, née aux environs de Gênes ? Qu’il maîtrise aussi à des degrés divers l’espagnol, l’allemand, le latin, le français ? Qu’il a beaucoup lu les auteurs français, notamment le jésuite Michel de Certeau ? Aucunement !Sait-on qu’il est proche de ses prêtres, au point de leur avoir dédié une ligne téléphonique directe pour être plus facilement en contact avec eux ? Absolument pas. On n’ignore pas, en revanche, qu’il a refusé d’habiter le logis épiscopal et qu’il réside dans un immeuble ordinaire. Qu’il

L’homme qui ne souriait jamais est mort entre la Sixtine et le balcon de

la basilique Saint-Pierre.

n’a pas de chauffeur, prenant les transports en commun. Qu’il assure lui-même son secrétariat. Sympathique marque de pauvreté et de modestie évangélique. Il a, pour le jeudi saint, lavé les pieds de malades du sida. Mais est-ce cela qui fait un pape, dans un collège cardinalice où l’on peine à discerner les nuances entre différents conservatismes ? Un pape ? Allons, on le saurait ! Pape, c’est un métier. Il faut être taillé pour le cos-tume, pouvoir porter des chaussures rouges.

Un bruit de bottes en fond sonoreDe plus, on croit savoir que Bergoglio n’a pas été un héros de la résistance à la dictature qui a sévi dans son pays entre 1976 et 1983. Certains le soupçonnent même d’avoir collaboré. Cette accusation reviendra en force dans les premiers jours qui suivent l’élection. Sous le règne des généraux argentins, dit-¬on, celui qui était alors le supérieur des jésuites de son pays aurait même été responsable de l’arrestation de deux de ses confrères, les pères Jalics et Yorio. Il fallut l’intervention du prix Nobel argentin et militant des droits de l’homme Adolfo Pérez Esquivel pour que l’accusation, dénuée de tout fondement, s’effondre lamentablement. Un livre récemment tra¬duit du journaliste italien Nello Scavo, la Liste de Bergoglio (Bayard) tord définitivement le cou à cette rumeur. Non seulement le supérieur des jésuites n’a pas collaboré, mais il a pris des risques considérables et sauvé un nombre important de personnes menacées, organisant méthodiquement leur fuite à l’étranger, notamment via le Brésil. Bergoglio parvint même à s’introduire chez le chef de la marine, le redoutable amiral Massera, pour exiger, et obtenir, la libération de Jalics et Yorio.

Le cardinal à la triste figureDe Bergoglio l’ignoré à François l’admiré. Étrange et stupéfiante histoire d’un malentendu, ou peut-être d’une divine surprise. Avant le conclave, on perçoit aussi l’Argentin comme un homme à l’allure austère et triste, qui fuit les contacts - sans doute parce qu’il n’accorde guère d’interviews à la presse. Le soir de son élection, toutes les photos d’agence disponibles sont soigneusement épluchées par le service photo de La Vie, qui repère depuis des années les meilleures images religieuses à la rédaction. Toutes ou presque montrent un personnage solitaire au visage grave, long comme un jour de jeûne

et de privations. Pas de sourire. Pas de clin d’œil. Pas de présence. Bouclée dans l’urgence, notre couverture consacrée au nouveau pape, disons-le, sera plutôt moche,

faute d’images. À la différence de Jean Paul II, génie de la scène, Bergoglio ne sait pas prendre la lumière. Pire, et même rédhibitoire, du point de vue des médias : il la fuit. Son élection marquerait donc une régression. Un repli janséniste : le comble pour un jésuite ! Personne ne peut alors savoir que l’archevêque de Buenos aires a marqué les esprits durant les congrégations générales, réunion des cardinaux qui précède l’entrée en conclave, par cette phrase choc : « Quand l’Église ne sort pas d’elle-même pour évangéliser, elle devient sa propre référence et tombe malade. »Je serai rassuré quelques mois plus tard en apprenant que Greg Burke, le journaliste américain de Fox News accouru à Rome à la fin du pontificat de Benoît XVI pour tenter de sortir le Vatican du désastre de communication dans

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lequel il est plongé, en était au même point que moi et que tous les vaticanistes il y a un an. Revisitant devant les confrères français de la presse catholique ses souvenirs de l’élection du pape François, Burke lâche, avec le sourire : « Je me suis dit qu’il serait vraiment catastrophique pour les journalistes. »

De l’ombre à la lumièreEst-ce donc le même homme qui, sitôt apparu au balcon de la basilique Saint-Pierre, lâche son tout simple « Buona sera », bonsoir, et demande de prier pour lui, ce fameux mercredi 13 mars 2013 ? Il semble¬rait que non. « Cinq minutes après l’avoir vu, j’ai compris mon erreur », sourit Burke. Ce pape-là passe de l’ombre à la lumière comme rarement aucun génie de la communication ne sut le faire avant lui. Il sait tou¬cher instantanément les cœurs. Il rit, il embrasse, il bouscule, il surprend, il improvise. En un mot, il déménage. Littéralement, puisqu’il quitte les appartements pontificaux. Et symboliquement, avec ses pétillantes homélies quotidiennes. Avec un humour caustique, François conseille aux bonnes sœurs de ne pas devenir de vieilles filles. « Je suis un austère qui se marre », pourrait-il dire, paraphrasant Jospin. En tous cas, il nous faut l’admettre : Bergoglio, l’homme qui ne sourit jamais - l’homme dont on croyait qu’il ne souriait jamais - est mort quelque part entre la chapelle Sixtine et le balcon de la basilique Saint-Pierre. Un autre homme l’a remplacé. Pas comme Paul l’apôtre a succédé à Saül le persécuteur sur le chemin de Damas. Plutôt comme Pierre, appelé par le Christ, s’est substitué à Simon dans l’Évangile : d’humble pêcheur de poissons du lac de Galilée à pêcheur d’hommes et chef de l’Église. On connaît la suite. La métamorphose de Bergoglio, l’homme qui ne souriait jamais, devenu pape François, l’homme qui rayonne toujours, restera dans les annales. Le premier grand document du pontificat le dira d’ailleurs claire¬ment : le successeur de Benoît XVI veut faire éclater « l’évangile de la joie ». Au pessimisme du pape

précédent, il oppose un optimisme résolu qui n’est pas sans rappeler les premiers mots d’un des grands textes du concile Vatican II, inttulé justement Gaudium et Spes, la joie et l’espérance : « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. » L’optimisme du Concile revient au sommet de l’Église. La divine surprise serait-elle l’autre nom de l’Esprit saint ?

Jean-Pierre Denis

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De l’Argentine à l’Italie, un voyage en 10 étapes sur les lieux qui ont marqué la vie de Jorge Mario Bergoglio.

L’église de San José, à Buenos AiresLe pape a reçu sa vocation dans cette église de son quartier. Après la confession, «il m’arriva une chose étrange, dit-il. Je ne sais pas ce que ce fut exactement, mais cela changea ma vie. » C’était le 21 septembre 1953. Jorge Mario avait 17 ans.

Le club de foot de San Lorenzo, à Buenos AiresComme beaucoup d’Argentins, Jorge Mario Bergoglio est un fan de foot. Enfant, il allait au stade avec son père voir jouer l’équipe de San Lorenzo. Fidèle à sa passion, le cardinal avait, en 2008, pris sa carte de supporter, à l’occasion du centenaire du club.

Le college de l’Immaculée Conception, à Santa FeJorge Mario Bergoglio a fait partie du corps enseignant de cet établissement scolaire. Donner aux jeunes le goût de la littérature fut pour lui « une grande expérience ».

Le bidonville de Bajo Flores, à Buenos AiresLa capitale argentine, comme toutes les mégapoles latino-américaines, compte beaucoup de bidonvilles, que l’on appelle villas. Jorge Mario Bergoglio aimait s’y rendre, pour rencontrer les habitants et soutenir l’action sociale et pastorale des prêtres villeros.

La maison de son enfance, à Buenos AiresDans le quartier populaire de Flores, la maison où le pape a vécu avec ses parents et ses quatre frères et sœurs a été démolie. Une autre a été construite à la place, ce qui n’empêche pas l’afflux des curieux.

L’église Saint-Louis-des-Français, à RomeUne chapelle de cette église abrite la Vocation de saint Matthieu, un tableau du Caravage que le pape François aime particulièrement car il lui rappelle le moment où il sentit l’appel de Dieu. Chaque fois était en visite dans la Ville éternelle, Jorge Mario Bergoglio ne manquait pas d’aller l’admirer.

La cathédrale de Buenos AiresArchevêque de la capitale, Jorge Mario Bergoglio a officié durant 14 ans dans cet édifice dont la façade est une copie de celle de l’église de la Madeleine, à Paris.

La basilique Sainte-Marie Majeure, à RomeLorsqu’il séjournait à Rome, l’archevêque de Buenos Aires venait toujours prier dans cette église. Depuis son élection, il y est allé de nombreuses fois pour remercier la Vierge.

La maison de famille dans le PiémontLe pape est d’origine italienne. Avant d’émigrer en Argentine, en 1929, ses grands-parents paternels habitaient à Bricco Marmorito di Portacomaro, près de Turin. La maison familiale s’y trouve toujours. Jorge Mario Bergoglio a gardé des liens avec des parents restés dans la région.

La résidence Sainte-Marthe, à RomeC’est dans le bâtiment réservé aux visiteurs du Saint-Siège, construit sous Jean Paul II, que le pape a élu domicile, délaissant le Palais apostolique. Car François préfère la vie communautaire : « J’ai besoin de vivre ma vie avec les autres », dit-il.

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Sa Géographie

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Focus sur les hommes et les œuvres qui ont inspiré au pape sa vocation, orienté sa spiritualité, forcé son admiration ou touché sa sensibilité.

Biographie de François d’Assise- 1181 : François naît à Assise- 1205 : Il vit une conversion et choisit la pauvreté- 1208 : Il débute sa prédication- 1210 : Il crée la première fraternité des Franciscains- 1224 : Il reçoit les stigmates au monastère de l’Alverne- 1226 : Il meurt le 3 Octobre- 1228 : Grégoire IX le canonise

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Son Panthéon

François d’Assise (1181- 1226)Le modèle absoluJorge Mario Bergoglio a eu l’audace de choisir un prénom qu’aucun pape n’avait porté avant lui. Sa référence : François d’Assise, le saint le plus aimé de la chrétienté, mais également le plus connu, sinon admiré, des non-chrétiens. Certes, pour le premier pape d’Amérique du Sud, le prénom de François avait la force de parler direc¬tement au cœur des Italiens. Francesco d’Assisi, c’est le grand frère de tous, une sorte de monument affectif et culturel, surtout pour ceux qui ne mettent jamais les pieds à la messe. « N’oublie pas les pauvres ! » a glissé au pape à peine élu le cardinal Claudio Hummes, archevêque émérite de Sao Paulo. « Quelle grande parole : les pauvres ! C’est ce qui m’a fait penser à François d’Assise. Puis, j’ai pensé aux guerres, et François est l’homme de la paix. C’est ainsi que le nom est venu dans mon cœur. Ah ! comme je voudrais une Église pauvre, et pour les pauvres! »

Dans un dépouillement totalLoin être un vœu pieux, cette réflexion de Jorge Mario Bergoglio devait fixer sa ligne de conduite. Son pontificat serait placé sous le patro¬nage du saint d’Assise, et dès les premières minutes de son élection, il a posé des

signes clairs en ce sens. À l’exemple de celui qui portait la robe de bure, il a d’emblée pris ses distances avec l’apparat de la fonction, apparaissant au balcon vêtu d’une simple soutane blanche, refusant les mules rouge écarlate et la voiture officielle préparées à son intention. Et il a fait savoir aux Argentins désireux de venir à Rome pour assister à sa messe d’intronisation qu’il serait plus judicieux d’employer l’argent du billet d’avion à soulager les pauvres.

Le Poverello d’Assise estimait que la sainteté consistait à se faire le dernier dans l’ordre du service, et que les Franciscains ne devaient pas être prêtres, pour ne pas recevoir l’honneur lié à la cléricature. En écho avec cette vision utopiste, le nouveau pape a tenu à rappeler qu’il était d’abord l’évêque de Rome avant d’être un pasteur universel. « Ce n’est pas le successeur de Pierre mais le Christ qui est le centre de l’Église », a-t-il précisé.

Un geste très fort de François d’Assise est passé dans la mémoire collective chrétienne : celui où il enlève ses vêtements et se retrouve nu face à son père, dont il rejette moins la richesse que la mondanité, le conformisme social. Une leçon que le pape François s’est attaché à transmettre. À Assise, en octobre 2013, le jour de la fête du saint, il a condamné la dérive liée à la mondanité dans

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Pierre Favre(1506-1546)Le Jésuite préféréLe 17 décembre 2013, le pape François a déclaré Pierre Favre saint, sans qu’une reconnaissance de miracle ait été nécessaire, 141 ans après sa béatification par Pie IX. Ce Savoyard fut le premier compagnon d’Ignace de Loyola, avec lequel il partagea une chambre d’étudiant à Paris. En 1525, ils formèrent avec le futur saint François-Xavier « les Amis dans le Seigneur », un petit groupe à l’origine de la fondation de la Compagnie de Jésus, en 1540, dont Pierre Favre fut le premier prêtre. Ce jésuite a parcouru ensuite

les principaux pays d’Europe, travaillant au renouvellement spirituel du catholicisme. Le pape François dit admirer chez lui « Le dialogue avec tous, même avec les plus lointains et les adversaires de la Compagnie ; la piété simple, une certaine ingénuité peut-être, la disponibilité immédiate, son discernement intérieur attentif, le fait d’être un homme de grandes et fortes décisions, capable en même temps d’être si doux... »

Jorge Luis Borges(1899-1986)L’ami écrivainFervent lecteur de cet auteur argentin, le pape connaissait personnellement Borges. Lorsque François était professeur de lettres au collège jésuite de l’Immaculée Conception, à Santa Fe, il l’avait même fait venir pour rencontrer ses élèves et mieux les éveiller à la littérature.

Puis il a commencé à les faire écrire. « À la fin, raconte-il dans son interview pour les revues jésuites, j’ai décidé de faire lire à Borges deux récits écrits par mes élèves... Borges a été emballé. Et il a proposé d’écrire l’introduction de l’un de ces récits. »

Thérèse de Lisieux (1873-1897)La petite confidenteCelle qui proposait de chercher la sainteté non pas dans les grandes actions mais dans les actes du quotidien est, de l’avis des proches du pape, sa sainte préférée. Marqué par le message central de la carmélite française (Dieu n’attend pas la perfection mais que l’on s’abandonne à sa miséricorde), Jorge Mario Bergoglio a confié un jour : « Quand j’ai un problème, je lui demande, non pas qu’elle le résolve, mais qu’elle le prenne entre ses mains. Comme un signe,

je reçois presque toujours une rose blanche. » L’homme accompagne souvent ses messages d’une image de la sainte normande proclamée docteure de l’Église en 1997 par Jean Paul II. Aux journalistes du vol papal de retour des JMJ, qui l’interrogeaient sur le contenu de son cartable, il a confié qu’il y avait glissé un livre de Thérèse.

Henri de Lubac(1896-1991)Le théologien antimondainDans l’entretien qu’il a accordé aux revues jésuites en août 2013, le pape François mentionne ce cardinal jésuite comme l’un de ses penseurs contemporains français favoris. Le théologien Henri de Lubac faisait de la mondanité spirituelle le pire mal qui puisse arriver à l’Église.

Un thème récurrent chez Jorge Mario Bergoglio. En effet, dès son intervention devant le conclave des cardinaux, avant d’être élu pape, il déclarait, faisant référence à une image chère à Lubac, celle de la lune qui tient uniquement sa lumière du soleil : « L’Église, quand elle est autoréférence, sans s’en rendre compte, croit tenir sa propre lumière. Elle cesse d’être mysterium lunae et donne naissance à ce mal si grave qu’est la mondanité spirituelle. C’est vivre pour s’apporter la gloire les uns aux autres. Pour simplifier, il y a deux images de l’Église : l’Église évangélisatrice qui sort d’elle-même... ou l’Église mondaine qui vit en elle-même, d’elle-même et pour elle-même. » Henri de Lubac, qui fut un temps mis au ban de la Compagnie de Jésus et interdit d’enseignement, à la suite de la publication de son livre Surnaturel, qui fit scandale en 1946, a également contribué au renouveau de l’Église, lors du concile Vatican II.

45LA RÉVOLUTION D’UN HOMMEle lieu même où le jeune François s’était dévêtu pour se remettre totalement à Dieu : « L’Église doit se dépouiller de l’orgueil, de l’idolâtrie, elle ne peut servir deux maîtres. La mondanité est le cancer de la société, elle tue l’âme des personnes et de l’Église. »

L’Église, le diable et la missionC’est à l’âge de 23 ans que François d’Assise a reçu sa vocation profonde. Abîmé en prière devant le crucifix d’une chapelle en déshérence, il entend un appel de Dieu à «réparer son Église en ruine ». Un programme métaphorique qui prendra tout son sens lorsque les Franciscains, des années plus tard, incarneront la reconstruction spirituelle d’une Église en train de s’étouffer dans son confort. Cette urgence à reconstruire l’Église, le pape l’a tout d’abord signifiée lors de sa première messe devant les cardinaux: « Quand on n’édifie pas sur les pierres, qu’est-ce qui arrive ? Il arrive ce qui arrive aux enfants sur la plage quand ils font des châteaux de sable, tout s’écroule, c’est sans consistance. » Puis lorsqu’il s’est rendu à Assise, il a choisi d’être accompagné par les huit cardinaux incarnant le chantier de la réforme engagée à Rome. Là encore, la cohérence franciscaine est totale.

Le combat contre le Malin et la dimension missionnaire associés à la figure de saint François sont également présents dans le message du pape. « Ne cédons pas au pessimisme et à l’amertume que le diable nous offre chaque jour ; ni au découragement, explique-t-il lors de sa première messe devant les cardinaux. Ayons la ferme certitude de ce que l’Esprit offre à l’Église. Avec son souffle puissant, il offre le courage nécessaire à persévérer et de nouvelles méthodes d’évangélisation à porter jusqu’aux extrémités de la terre. La vérité chrétienne est attrayante et convain-cante si elle répond aux besoins profonds de la vie humaine et annonce clairement le Christ comme unique Sauveur de l’homme, de tous les hommes. » Autre thème de la spiritualité franciscaine repris dans la messe inaugurale du pape, celui de la sauvegarde de la Création: « C’est le fait d’avoir du respect pour toute créature de Dieu et pour l’environnement dans lequel nous vivons. C’est le fait de garder les gens, d’avoir soin de tous, de chaque personne, avec amour ; spécialement des enfants, des personnes âgées, de celles qui sont plus fragiles et qui souvent sont dans la périphérie de notre cœur... »

Un soupçon de légèretéEnfin, le saint d’Assise est aussi l’homme de la légèreté et de l’humour, comme on le sait à travers les Fioretti, recueil relatant les anecdotes de sa vie. Le pape François n’a jamais perdu une occasion de faire un mot d’esprit. L’humour est une façon de faire sauter les peurs et les blocages. Son pèlerinage à Assise a été un feu d’artifice en la matière et il correspond à la stratégie « amoureuse» de François face à l’Église. Le pape a fait rire la foule lorsqu’il a évoqué les jeunes mariés qui se lancent des assiettes à la figure, mais doivent au moins se réconcilier avant de se coucher. Avec les Clarisses, il a évoqué la vraie joie, qui n’est pas le sourire de l’hôtesse de l’air.

Tendresse, humour, miséricorde, simplicité et proximité: le pontificat sous le signe de saint François d’Assise se déploie à partir d’éléments affectifs, qui font passer des aspects plus après, comme celui du combat spirituel contre le diable et la compromission avec l’esprit du monde.

Jean Mercier

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Michel de Certeau (1925-1986)L’historien de la mystiqueLe pape doit peut-être à cet intellectuel jésuite français son engouement pour Pierre Favre, qu’il a canonisé en décembre 2013. Michel de Certeau a en effet publié en 1959

une Edition critique de son Mémorial, que François dit apprécier particulièrement. Ami de Jacques Lacan, avec lequel il a fondé l’École freudienne de Paris, Michel de Certeau était un spécialiste de l’histoire de la mystique. Il a aussi publié le Guide spirituel et la correspondance de Jean-Joseph Surin, jésuite bordelais du XVIIe siècle, dont le pape se sent proche.

Joseph Malègue(1876-1940)Le romancier oubliéCet écrivain français, tombe dans les oubliettes de la littérature, est l’une des références majeures du pape François, notamment pour son concept des « classes moyennes de la sainteté » illustré par le livre Augustin ou le Maître est là, roman-fleuve paru en 1933 (réédité au Cerf). Le pape fait aussi référence à un passage du livre où Malègue critique le rapport périlleux qu’entretient l’intelligence, jalouse de sa toute-puissance, avec la foi, qui, elle, se situe dans le renoncement à la maîtrise. C’est

la conversation cruciale où Augustin retrouve la foi, face à son vieil ami de Normale sup, Largillier, devenu jésuite.Augustin demande à Largillier ce qui l’a attiré dans la Compagnie de Jésus. Le prêtre lui répond à rebrousse-poil : « Une totale absence d’attraits sensibles, aucun appât, aucune pente, aucun motif humain. Il a bien fallu comprendre que c’était ce dépouillement d’attraits sensibles que Dieu voulait de moi. » Il est probable que le jeune lecteur qu’était Bergoglio ait été impressionné par la radicalité de cette réponse, qui résume l’esprit de liberté du discernement jésuite. Et que Joseph Malègue ait, à son insu, orienté sa vocation.

Par Henri Madelin, ancien provincial, enseigne au centre Sèvres, à Paris, et intervient comme expert à Strasbourg au sein du service jésuite européen. Avec la journaliste Caroline Pigozzi, il est l’auteur du best-seller. Ainsi fait-il (Plon), qui dresse un portrait inédit de Jorge Mario Bergoglio jésuite argentin devenu pape.

Est-ce parce qu’il appartient à la Compagnie de Jésus que François paraît si diffèrent de ses prédécesseurs ?

Un jésuite nous livre son analyse.

-Sa musique Mozart : « L’Et incarnatus est de sa Messe en do est indépassable. Il te conduit à Dieu ! » ; Beethoven, « mais joué de façon prométhéenne » ; et les Passions de Bach.-Ses livres : 12 œuvres de Dostoïevski et celle de Friedrich Hölderlin, auteur romantique allemand dont un poème lui rappelle Rosa, sa grand-mère adorée. Elle lui avait fait apprendre par cœur le début des Fiancés, un roman historique d’Alessandro Manzoni qu’il ne cesse de relire depuis.-Son musée : Les tableaux du Caravage. En particulier la Vocation de saint Matthieu : « Ce doigt de Jésus... vers Matthieu. C’est comme cela que je suis, moi. C’est ainsi que je me sens, comme Matthieu... Un pécheur sur lequel le Seigneur a posé les yeux. » Une vision qui lui a inspiré sa devise, Miserando et eligendo (« en lui pardonnant et en le choisissant »). Et les tableaux de Marc Chagall, surtout sa Crucifixion blanche, parce que la Passion y est sereine et nimbée d’espérance.-Son cinéma : Le Festin de Babette, film danois inspiré d’une nouvelle de Karen Blixen, car on assiste à l’irruption du bonheur et de la liberté chez des puritains enfermés dans leurs rancœurs. Mais aussi la Strada, de Federico Fellini, Rome ville ouverte, de Roberto Rossellini... et tout le cinéma néoréaliste italien, culture qu’il doit à ses parents.

SON UNIVERS ARTISTIQUE

46 LA RÉVOLUTION D’UN HOMME

L’héritier de Saint Ignace

Après avoir reçu de nouvelles remontrances de Rome, le père Teilhard de Chardin, le 31 décembre 1926, écrit une lettre au père Valensin, jésuite comme lui et ami de toujours : « Oh ! comme j’aimerais avoir rencontré le saint Ignace ou le saint François dont notre âge a tant besoin. Suivre un homme de Dieu sur une voie libre et fraîche, poussé par la plénitude de la sève religieuse de son temps, quel rêve ! »

Le rêve est-il en train de devenir réalité ? Il est encore trop tôt pour en juger. Dans la Joie de l’Évangile (paragraphe 216), le pape François déclare : « Nous tous, les chrétiens, petits mais forts dans l’amour de Dieu, comme saint François d’Assise, nous sommes appelés à prendre soin de la fragilité du peuple et du monde dans lequel nous vivons. » En parallèle avec cette mission franciscaine d’accueil bienveillant de nos fragilités et d’hospitalité pour tous, le 265e successeur de Pierre apparaît d’abord à jamais marqué par les pratiques et les outils que les jésuites

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47LA RÉVOLUTION D’UN HOMMEreçoivent en héritage de leur fondateur Ignace de Loyola. Dans l’avion qui le ramène à Rome à la fin des JMJ de Rio, au Brésil, Caroline Pigozzi lui demande s’il se sent encore jésuite. Avec netteté, il répond : « Je me sens jésuite dans ma spiritualité, dans la spiritualité des Exercices spirituels, dans la spiritualité que j’ai dans le cœur... Je n’ai pas changé de spiritualité : François, franciscain, non. Je me sens jésuite et je pense en jésuite. Pas de manière hypocrite. » Tentons de repérer quelques-uns de ces traits dans la façon de penser, la manière d’agir et la sensibilité spirituelle du pape François.

La spiritualité ignatienne reçoit incontestablement sa spécificité des Exercices spirituels. Ce n’est pas un livre à lire mais un guide pour un parcours personnel. « Faire » les Exercices, c’est apprendre à « ordonner sa vie sans se décider par aucun attachement qui soit désordonné ». Le but est de se détacher de nos entraves pour pouvoir prendre selon Dieu une décision vitale. Il s’agit de découvrir Dieu existant pour moi aujourd’hui. Une telle démarche suppose hiérarchisation des désirs, discernement poussé entre les divers possibles, vérification intérieure en explorant dans la suite des moments vécus les sentiments de notre cœur qui oscillent constamment entre paix et nervosité, allégresse et tristesse, joie durable et plaisir amer, calme et impatience. À côté du travail de la raison, cette alchimie permanente apportera de précieux repères pour la vie apostolique. Lorsqu’un jeune entre au noviciat, il est plongé assez vite dans une retraite d’un mois avec ce livret et un accompagnateur qui en éclaire le sens. À la fin de ses études, il récidivera. Car Ignace pense qu’une longue formation intellectuelle peut dessécher le cœur et l’encombrer d’un bagage idéologique peu propice à l’action apostolique. Ainsi chaque « exercitant » deviendra peu à peu capable de donner à son tour les Exercices. Adaptés aux circonstances, ceux-ci ne restent pas le monopole des jésuites.Jorge Mario Bergoglio a vécu ce parcours commun à tous. Entreéau noviciat des jésuites à l’âge de 21 ans, appelé au surplus, très jeune encore, à devenir maître des novices, il se lance dans diverses formes d’accompagnement spirituel et excelle très vite dans ce que la tradition jésuite appelle « l’entretien spirituel », un art de communiquer, dans le souffle de l’Esprit saint, avec ses semblables sur tous sujets et à tous moments. À ses frères, les évêques d’Espagne, le futur évêque de Rome et déjà connu comme « le pape des pauvres » donne en 2006 une retraite tout imprégnée de la dynamique des Exercices spirituels. On peut en retrouver le contenu dans un livre traduit en français sous le titre Amour, service et humilité (Magnificat).

Quant à son désir d’entrer dans la Compagnie de Jésus, Jorge Mario Bergoglio a précisé qu’il ne savait pas bien alors comment s’orienter. Il parle, en langage militaire, d’un besoin d’ordre et de rigueur pour savoir si son rêve n’était pas un caprice mais bien la marque d’un appel de Dieu adressé à un homme pécheur bouleversé par la miséricorde de Dieu à son égard. C’est pourquoi nous pouvons entendre aujourd’hui quelqu’un qui ne craint pas de dire à ses contemporains qu’il est un pécheur sauvé

par l’amour de Dieu. Ainsi parlaient Pierre et Paul que Dieu est venu guérir de leurs trahisons et des persécutions infligées aux autres. Une vocation pour la gloire de Dieu,

ce n’est pas se choisir une place mais être choisi, être envoyé dans l’obéissance et non pas être promu par soi-même. Cet Argentin, devenu « haut prélat » au sortir de son

intégration première dans la Compagnie, ne passait pas pour un homme « souple » dans ses façons de faire. Il dit s’être corrigé depuis. Ignace compare l’homme d’action à celui qui cherche à passer un gué avec sa monture. Il doit longtemps monter et descendre le long de la rivière. Il risque de se noyer dans sa ferveur s’il veut passer trop vite l’obstacle. Un jour il trouve un gué favorable, ce que les manuels de management appellent une « fenêtre d’opportunité ». C’est le moment où la décision peut devenir effective et moins risquée. Le pape François ressemble à ce modèle. Car il sait s’entourer de conseils, réfléchir longuement

avant de passer à l’acte. Il veut également se ménager des espaces de réflexion, de prière et de sociabilité. D’où son choix d’habiter

avec d’autres. Pouvoir méditer, entendre des propos non convenus ne peut se faire en vivant dans l’isolement et l’étiquette des palais pontificaux. On y risque de ne plus entendre au quotidien les battements du cœur des gens ordinaires. L’enfermement dans une fonction peut éloigner du commun des mortels. Pour agir le plus efficacement possible pour et selon Dieu, il convient de demeurer le plus possible à l’écoute des autres. Avec François, se profile donc sous nos yeux étonnés une autre manière d’être pape.

La Compagnie de Jésus a été fondée en 1540, à Rome, par l’Espagnol Ignace de Loyola et quelques compagnons. En 1556, année de la mort d’Ignace, elle comptait un millier de membres et plus de 15.000 en 1640. Religieux de vie apostolique, les jésuites sont aujourd’hui près de 19.000 dans le monde (15.000 prêtres, 1.000 frères et 3.000 novices et étudiants) au service de l‘enseignement, des plus pauvres, du discernement spirituel et de la mission universelle de l’Église.

Il sait que, pour être efficace, il faut demeurer à l’écoute des autres.

« Je me sens jésuite dans ma spiritualité.. et je pense en jésuite »

dit le pape François.

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48 NOUVELLE ÉVANGÉLISATION-VI

En chrétiens, face à ces nouveaux scénarios

ace à de tels changements, il est naturel que la première réaction soit une réaction d’égarement et de peur, lorsque nous nous trouvons confrontés à des transformations qui interpellent notre identité et notre foi, déjà

dans leurs fondements. Il devient naturel d’assumer cette attitude critique de discernement maintes fois rappelé par le Pape Benoît XVI, lorsqu’il nous invite à développer une relecture du présent à partir de la perspective d’espérance

que le christianisme apporte comme un don. En réapprenant ce qu’est l’espérance, les chrétiens pourront apprendre dans le contexte de leurs connaissances et de leurs expériences, en dialoguant avec les autres hommes en identifiant ce qu’ils peuvent apporter au monde, ce qu’ils peuvent partager, ce qu’ils peuvent assumer pour exprimer mieux encore cette espérance, et sur quels éléments, au contraire, il est juste de ne pas céder. Les nouveaux scénarios avec lesquels nous sommes appelés à nous confronter exigent de développer une critique des styles de vie, des structures de pensée et de valeur, des langages élaborés en vue de la communication. Cette

F

Le temps d’une« nouvelle évangélisation »-III

Développons aujourd’hui le rôle qui doit être celui des chrétiens face aux multiples scénarios que nous avons évoqués précédemment et auxquels est confrontée la nouvelle évangélisation, ainsi que la mission qu’ils se

devraient d’assumer, dépassant ainsi le niveau émotionnel d’un jugement défensif ou de peur face à l’indifférence de la chose religieuse ou, pire, à

l’incroyance rampante du monde moderne.

La nouvelle évangélisation, c’est quoi?-VI ...suite et fin

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49LE TEMPS D’UNE « NOUVELLE ÉVANGELISATION »critique devra en même temps aussi fonctionner en tant qu’autocritique du christianisme moderne, qui doit constamment réapprendre à se comprendre soi-même à partir de ses racines.

C’est là que l’instrument de la nouvelle évangélisation trouve sa spécificité et sa force : il faut considérer ces scénarios et ces phénomènes en sachant dépasser le niveau émotionnel du jugement défensif et de peur, pour saisir objectivement les signer de la nouveauté avec, en même temps, les défis et les fragilités. « Nouvelle évangélisation » signifie donc agir dans nos Églises locales pour construire des itinéraires permettant une lecture des phénomènes indiqués précédemment, capable de traduire l’espérance de l’Évangile en des termes réalisables. Ce qui signifie que l’Église se construit en acceptant de se mesurer ces défis, en devenant toujours plus l’auteur de la civilisation de l’amour.

La nouvelle évangélisation nous demande de nous confronter à ces scénarios en ne restant pas enfermés dans les limiter de nos communautés et de nos institutions, mais en acceptant le défi de pénétrer dans ces phénomènes, pour prendre la parole et apporter notre témoignage du dedans. C’est là la forme qu’assume la martyria chrétienne dans le monde moderne, en acceptant la confrontation avec aussi les récentes formes d’athéisme agressif ou de sécularisme extrême, qui entend éliminer de la vie de l’homme la question de Dieu. Dans un tel contexte, « nouvelle évangélisation » signifie, pour l’Église, soutenir avec conviction l’effort de voir tous les chrétiens unis pour montrer au monde la force prophétique et transformatrice du message évangélique. La justice, la paix, la vie des peuples en commun, la protection de la création sont des mots qui ont marqué l’itinéraire œcuménique de ces dernières décennies. Tous les chrétiens réunis les offrent au monde comme des lieux où mettre en évidence la question de Dieu dans la vie des hommes. En effet, ces mots prennent leur sens le plus authentique uniquement à la lumière de la parole d’amour que Dieu a eue pour nous, dans son Fils Jésus-Christ.

« Nouvelle évangélisation » et besoin de spiritualitéCet effort d’insérer la question de Dieu parmi les problèmes de l’homme d’aujourd’hui intercepte le retour du besoin religieux et de spiritualité qui ressort avec une force renouvelée, à partir des jeunes générations. Les changements de scénarios que nous avons analysés jusqu’ici ne pouvaient pas ne pas influencer aussi la façon dont les hommes donnent voix et corps à leur sentiment religieux. L’Église catholique elle-même est touchée par ce phénomène, qui offre des ressources et des occasions d’évangélisation inespérées il y a quelques décennies.

Les grands rassemblements mondiaux de la jeunesse, les pèlerinages vers des lieux anciens et nouveaux de dévotion, le printemps des mouvements et des associations ecclésiales sont des signes visibles d’un sentiment religieux qui ne s’est pas éteint. Dans ce contexte, la «nouvelle évangélisation » demande l’Église qu’elle sache discerner les signes de l’Esprit à l’œuvre, en orientant et en éduquant ses expressions en vue d’une foi adulte et consciente «qui réalise la plénitude du Christ» (Ep 4, 14). Outre les groupes récemment crées - fruit prometteur de l’Esprit Saint - l’une des tâches importantes dans la nouvelle évangélisation concerne la vie consacrée, dans ses formes anciennes et nouvelles.

C’est dans ce contexte due vient s’insérer la rencontre et le dialogue avec les grandes traditions religieuses, en particulier celles orientales, que l’Église a appris à vivre dans les dernières décennies et qu’elle continue d’intensifier. Cette rencontre se propose comme une occasion prometteuse pour apprendre connaître et à confronter la forme et les langages du besoin religieux telle qu’elle se présente dans d’autres expériences religieuses. Elle permet au catholicisme de comprendre plus en profondeur les façons dont la foi chrétienne écoute et assume le besoin religieux de chaque homme.

Nouvelles façons d’être ÉgliseCes nouvelles conditions de la mission nous laissent percevoir qu’en fin de compte le terme « nouvelle évangélisation » indique l’exigence d’identifier de nouvelles expressions de l’évangélisation permettant d’être Église dans les contextes sociaux et culturels actuels en grand changement. Il faut que la pratique chrétienne guide la réflexion dans un lent travail de construction d’un nouveau modelé d’être Église, qui évite les écueils du sectarisme et de « la religion civile » et permette - dans un contexte post idéologique comme celui d’aujourd’hui - de continuer à garder la forme d’une Église missionnaire. Autrement dit, dans le cadre de la variété de ses figures, l’Église a besoin de ne pas perdre le visage d’Église « domestique, populaire ». Dans des contextes de minorité et de discrimination aussi, ne peut pas perdre sa capacité d’être proche de la vie quotidienne des personnes, pour annoncer à partir de là le message vivifiant de l’Évangile. Comme l’affirmait le Pape Jean-Paul II, « nouvelle évangélisation » signifie refaire le tissu chrétien de la société humaine, en recomposant le tissu des communautés chrétiennes elles-mêmes ; cela signifie aider l’Église a toujours être présente « au milieu des maisons de ses fils et de ses filles », pour animer leur vie et l’orienter vers le Royaume qui vient.

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50 NOUVELLE ÉVANGÉLISATION-VIDans ce travail de discernement, une aide importante peut venir des Églises catholiques orientales et de toutes les communautés chrétiennes qui, dans un passé récent, ont vécu ou vivent encore l’expérience de la clandestinité, de la persécution, de la marginalisation, qui sont victimes de l’intolérance ethnique, idéologique ou religieuses. Leur témoignage de foi, leur ténacité, leur capacité de résistance, la solidité de leur espérance, l’intuition de certaines de leurs pratiques pastorales sont des dons à partager avec ces communautés chrétiennes bien qu’ayant derrière elles un passé glorieux, vivent un présent fait de difficultés et de dispersion. Pouvoir écouter des expériences qui leur insufflent cette confiance indispensable à l’élan qu’exige la nouvelle évangélisation constitue certainement un don pour les Églises peu habituées à vivre leur foi dans des situations de minorité.

Le temps d’une nouvelle évangélisation est venu aussi pour l’Occident, où nombreux sont ceux qui, tout en ayant été baptisés, vivent totalement en-dehors de la vie chrétienne et toujours plus de personnes conservent, certes, quelques liens avec la foi, mais qui en connaissent peu ou mal les fondements. Souvent, l’image que l’on a de la foi chrétienne est déformée par la caricature et par les lieux communs diffusés par la culture, dans une attitude de détachement indiffèrent, sinon de contestation ouverte. Le temps d’une nouvelle évangélisation est venu pour cet Occident où « des pays et des nations entières - où la religion et la vie chrétienne étaient autrefois on ne peut plus florissantes et capables de faire naître des communautés de foi vivante et active - sont désormais mis à dure épreuve et parfois même radicalement transformés par la diffusion incessante de l’indifférence religieuse, de la sécularisation et de l’athéisme. Il s’agit en particulier des pays et des nations de ce qu’on appelle le Premier Monde, où le bien-être économique et la course à la consommation, même s’ils côtoient des situations effrayantes de pauvreté et de misère, inspirent et alimentent une vie vécue comme si Dieu n’existait pas ». Les communautés chrétiennes doivent savoir - de façon responsable et courageuse - assumer ce besoin de renouveau que le changement du contexte culturel et social pose à l’Église. Elles doivent apprendre à habiter et à gérer cette longue transition de figure, en ayant toujours comme point de référence le commandement d’évangéliser.

Première évangélisation, sollicitude pastorale, nouvelle évangélisationLe devoir missionnaire par lequel se termine l’Évangile (cf. Mc 16, 15 et suiv.; Mt 28, 19 et suiv. ; Lc 24, 48 et suiv.) est bien loin d’être terminé ; il est entré dans une nouvelle étape. Le Pape Jean-Paul II déjà rappelait que « les frontières de la charge pastorale des fidèles, de la nouvelle évangélisation et de l’activité missionnaire spécifique ne sont pas nettement définissables et on ne saurait créer entre elles des barrières ou une compartimentation rigide. Les Églises de vieille tradition chrétienne, par exemple, aux prises avec la lourde tâche de la nouvelle évangélisation, comprennent mieux qu’elles ne peuvent être missionnaires à l’égard des non chrétiens d’autres pays ou d’autres continents si elles ne se préoccupent pas sérieusement des non chrétiens de leurs pays : l’esprit missionnaire ad intra est un signe très sûr et un stimulant pour l’esprit missionnaire ad extra, et réciproquement ».L’identité chrétienne et l’Église sont missionnaires, ou

alors elles n’existent pas. Celui qui aime sa foi se souciera aussi d’en témoigner, de l’apporter à autrui et de permettre à d’autres d’y participer. Le manque de zèle missionnaire est un manque de zèle pour la foi. Au contraire, celle-ci devient plus forte lorsqu’elle se transmet. Le texte du Pape semble vouloir traduire le concept de nouvelle évangélisation en une question critique et assez directe : sommes-nous intéressés à transmettre la foi et à lui gagner de nombreux non-chrétiens ? La mission nous tient-elle vraiment à cœur ?

La nouvelle évangélisation est le nom qui est donné à cette nouvelle attention de l’Église à sa mission fondamentale, à son identité et à sa raison d’être. Aussi est-elle une réalité qui ne touche pas seulement des régions bien définies ; elle est le chemin qui permet d’expliquer et de traduire dans la pratique l’héritage apostolique dans notre temps, et pour notre temps. Avec le programme de la nouvelle évangélisation, l’Église veut introduire son thème le plus originel et spécifique dans le monde contemporain et dans la discussion actuelle : l’annonce du Royaume de Dieu, qui a commencé en Jésus-Christ. Aucune situation ecclésiale ne peut se sentir exclue d’un tel programme: les Églises chrétiennes d’ancienne fondation, avec le problème de l’abandon pratique de la foi chez nombre de personnes ; et les Églises nouvelles, aux prises avec des itinéraires d’inculturation qui exigent d’être vérifiés en permanence pour parvenir non seulement à introduire l’Évangile - qui purifie et élève ces cultures - mais surtout à les ouvrir à sa nouveauté. De façon plus générale, toutes les communautés chrétiennes, engagées dans la pratique d’une pastorale qui semble toujours plus difficile à gérer et court le risque de devenir une routine peu capable de communiquer les raisons pour lesquelles elle est née.

Nouvelle évangélisation signifie alors mission ; elle demande d’être capable de repartir, de dépasser les frontières, d’élargir les horizons. La nouvelle évangélisation est le contraire de se suffire à soi-même et du repli sur soi, de la mentalité du status quo et d’une conception pastorale selon laquelle il suffit de faire comme on a toujours fait. Aujourd’hui, le « business as usual » ne suffit plus. Comme certaines Églises locales se sont engagées à l’affirmer, il est temps que l’Église appelle ses communautés chrétiennes à une conversion pastorale au sens missionnaire de leur action et de leurs structures.

Chers frères et sœurs, vous faites partie des acteurs de la nouvelle évangélisation que l’Église a entreprise et qu’elle accomplit, non sans difficulté, mais avec le même enthousiasme que les premiers chrétiens.

Que la Vierge Marie, qui n’eut pas peur de répondre «oui» à la Parole du Seigneur, et, après l’avoir conçue en son sein, se mit en route pleine de joie et d’espérance, suit toujours votre modèle et votre guide. Apprenez de la Mère du Seigneur et de notre Mère à être humbles et dans le même temps courageux ; simples et prudents ; doux et forts, armés non pas de la force du monde, mais de celle de la vérité. Amen.

Tiré de “Cedrus Libani No 83”À suivre dans le Cœur à Cœur de juin 2014

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51LE TEMPS D’UNE « NOUVELLE ÉVANGELISATION »

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52 ENQUÊTEJésus ET LES SIGNESDE LA BONNE NOUVELLE

Les évangiles rapportent de nombreux miracles accomplis par Jésus tout au long de sa vie publique. Au-delà de leur effet immédiat, ils ont permis de conforter la foi dans la Bonne Nouvelle.

ésus et les signes de la Bonne Nouvelle« Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, alors le règne de Dieu vient de vous atteindre. » (Luc 11, 20) Jésus prononce

ces paroles après avoir chassé un démon d’un muet. Tandis que la foule s’émerveille devant ce prodige, certains se demandent toutefois s’il ne l’a pas accompli sous l’inspiration du diable. C’est pourquoi Jésus ressent la nécessite de cette mise au point : à ceux qui l’écoutent, il explique qu’une intervention directe de Dieu a délivré le muet, intervention qui manifeste en même temps la venue de son Règne : « Alors le règne de Dieu vient de vous atteindre. »L’expression « le doigt de Dieu » provient d’un passage

d’Exode (8, 15) au sein duquel même les magiciens de Pharaon reconnurent dans les prodiges réalisés par Moïse - les dix fléaux envoyés sur l’Égypte - le « doigt de Dieu» c’est-à-dire la marque d’une intervention divine. En reprenant cette formule, Jésus inscrit volontairement ses pas dans ceux de Moïse, pour signifier la continuité entre l’Ancienne et la Nouvelle Alliance, ainsi que la réalisation des espoirs prophétiques qui s’effectue en sa personne.

L’Annonce du Règne de DieuSi maints interprètes ont voulu réduire les miracles de Jésus à de simples œuvres de magie, il faut néanmoins noter une différence fondamentale avec les pratiques des magiciens auxquels on accordait un certain crédit à la fin de l’Antiquité. Cette différence réside dans le fait

J

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53ENQUÊTE9, 1-8) et, dans certains cas, en malaxant sa salive à de la boue pour redonner la vue aux aveugles (Jn 9, 6) - une technique connue par les guérisseurs de l’époque. Jésus guérit aussi par le toucher : c’est en touchant la langue et les oreilles du sourd muet que celui-ci recouvre la parole et l’ouïe (Mc 7, 31-37). Le Nazaréen touche également les mains de la personne malade : il en va ainsi pour la guérison de la belle-mère de Pierre (Mt 8, 15) ; ou il impose les mains, lors de la guérison d’un lépreux par exemple (Mt 8, 3). Les matériaux traditionnels qui ont servi aux évangélistes pour rédiger leurs écrits - qui s’échelonnent entre 70 et 90 de notre ère pour les synoptiques, l’évangile de Jean se situant autour de 100 -, n’ont conservé qu’en de très rares cas les noms des miraculés. L’un d’eux est l’aveugle Bartimée, guéri par Jésus près de Jéricho (Mc 10, 46-52) : l’abondance de détails fournis dans le récit et le fait que le nom soit conservé semblent confirmer le caractère historique de ce miracle.

Les exorcismes sont aussi très nombreux : Jésus agit par des ordres brefs, dans lesquels le démon reconnaît la supériorité de son pouvoir et sa divinité, et se résigne à abandonner la personne dont il s’était emparé. L’exemple du démon « Légion» - une multitude de démons qui avait pris possession, dans le pays des Géraséniens, d’un seul homme - est des plus significatifs. Le démon reconnaît la divinité de Jésus – «Que me veux-tu Jésus, fils du Dieu Très-Haut ? » - puis se plie à son injonction : « Sors de cet homme, esprit impur!» Le démon implore Jésus de ne pas le chasser du pays et de le faire entrer dans un troupeau de porcs paissant à proximité. Jésus accepte. Alors le troupeau dans lequel Légion s’était introduit se précipite du haut d’une falaise et se noie (Mc 5, 1-20). Face à ces nombreux exorcismes, la foule s’interroge : « Celui-ci n’est-il pas le fils de David ? » (Mt 12, 23). Quant aux résurrections opérées par Jésus, les évangélistes en mentionnent trois : celle de Lazare, celle du fils de la veuve originaire de Naïm (Lc 7, 11-17) et celle de la fille de Jaïre, chef de la synagogue (Mc 5, 21-43). Pour rappeler la fillette à la vie, Jésus lui prend la main et prononce un ordre péremptoire que Marc a conservé en araméen pour en souligner l’efficace: «Talitha qoum ! Réveille-toi ! »

D’autres miracles de natures diverses sont racontés dans les évangiles : Jésus modifie la matière, en changeant l’eau en vin aux noces de Cana (Jn 2, 1-11) ou en multipliant une corbeille de pain et quelques poissons pour nourrir une multitude de gens, sur les rives de la mer de Galilée (Mt 14, 13-21) ; il défie les lois de la nature, en marchant sur les eaux (Mt 14, 25-32) ; il domine les éléments déchaînés, calmant une mer déchaînée (Mt 8, 23-27). Aucun miracle n’est en revanche attribué à Jésus enfant, un thème développé à profusion par les évangiles apocryphes (non officiels).

La question des miracles de Jésus a divisé et divise encore les spécialistes du christianisme. L’historicité de ses prodiges est, en effet, sauf en quelques occasions, impossible à retracer, les évangiles qui les relatent ayant été écrits environ cinquante ans après sa mort. Néanmoins, leur mise en valeur par les quatre évangélistes permet d’affirmer qu’ils font partie intégrante de la mission et de la prédication de Jésus, et qu’ils entrent de plein droit dans son dessein de diffusion de la Bonne Nouvelle.

que Jésus confère une dimension eschatologique à ses actes : ils ont une signification profonde, car ils sont annonciateurs de l’irruption sur terre du règne de Dieu qui met fin à celui de Satan, et annoncent également les temps ultimes, l’eschaton. En outre, ces actes, qui accompagnent toute la période de la prédication de Jésus, contribuent à susciter ou à conforter la foi dans la Bonne Nouvelle qu’il proclame et, selon ses propres paroles, attestent qu’il est Fils de Dieu (Jean 10, 37-38).

Néanmoins, Jésus ne conférait pas une valeur en soi aux prodiges qu’il s’accomplissait, regrettant que des gens aient besoin de miracles pour croire à son message : « Si vous ne voyez signes et prodiges, vous ne croirez donc jamais ? »

(Jn 4, 48). Par l’expression « signes et prodiges », Jésus fait allusion aux performances des magiciens que le diable inspire. Par ailleurs, ne souhaitant pas que l’on fasse de la publicité à ses actes, Jésus donne la ferme consigne aux miraculés de se taire et de rentrer chez eux - consigne rarement suivie. Ainsi le lépreux que Jésus a guéri en Galilée répand-il la nouvelle de sa guérison (Marc 1, 40-45).Les quatre évangiles canoniques relatent une trentaine d’épisodes qui relèvent de la sphère de ce que nous appelons « miracle». Les termes grecs utilisés par les évangélistes pour exprimer ce concept sont erga («œuvres», « actions »), dynameis (« actes de pouvoir ») et enfin semeia (« signes»). De ces signes, opérés sous les yeux de ses disciples et à forte valeur symbolique, Jean affirme qu’ils ont été bien plus nombreux que ceux qu’il a mentionnés dans son évangile. Ces signes - ajoute-t-il - ont été opérés « pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom » (Jn 20, 30-31). L’on trouve aussi, une seule fois, le terme, thaumasia, « choses admirables » (Matthieu 21, 15). Une seule fois également est utilisée l’expression « signes et prodiges»: elle vise les actes des magiciens dont Jésus n’ignore pas l’efficacité, mais qui est due à l’intervention de Satan. Leur but est de conduire le peuple à l’idolâtrie (Mt 24, 24), au culte des faux dieux que propagent de faux prophètes, dans un contexte où l’on sent la fin proche et où règne une atmosphère apocalyptique. Toutefois, l’aspect extraordinaire d’un acte de Jésus est le plus souvent rendu par des mots qui décrivent la réaction des spectateurs : les gens sont émerveillés, stupéfaits, étonnés. Le terme thaumazein est alors souvent employé.

On distingue habituellement les miracles de Jésus en plusieurs catégories : guérisons, exorcismes et résurrections de morts. D’autres miracles, qu’on ne peut réduire à un dénominateur commun, consistent soit dans la domination des éléments, soit dans une modification de la matière.

Des miracles en tous genresDes malades de toutes sortes suscitent la miséricorde de Jésus : aveugles, muets et sourds muets, paralytiques, hydropiques. Jésus guérit sans distinction de race (le lépreux samaritain, en Lc 17, 11-19), ou de sexe (la femme hémorroïsse, en Mt 9, 20-22) ; il guérit même le jour du sabbat (Lc 13, 10-17), s’attirant les foudres du chef de la synagogue. Il guérit en prononçant un ordre : « Prends ton grabat et marche ! », au paralytique de Capharnaüm (Mt

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Attribuée à Sévère d’Antioche, figure majeure du christianisme syriaque, copte et grec des Ve et VIe siècles, La Théosophie de Tübingen est un recueil d’oracles du paganisme grec. Dans l’un d’entre eux, Apollon aurait révélé que trois personnes ont pu contempler la « nature immortelle », de la divinité : Hermès, pour l’Égypte ; Moïse, pour les Hébreux ; et « parmi les habitants de Mazaca, le sage qui vécut autrefois sur la terre très célèbre de Tyane ». Ce sage est Apollonius ; et Mazaca, dans l’actuelle Turquie, sa ville d’origine. Ce philosophe néopythagoricien était aussi un thaumaturge, et il traversa tout le premier siècle de notre ère en prêchant et en guérissant, vivant selon les règles d’un mode de vie ascétique et végétarien, marchant pieds nus, distribuant ses richesses. Il sera en opposition avec les pouvoirs temporels, car sa dénonciation du luxe était sans appel. Exilé par Néron, il sera emprisonné par Domitien. Très tôt, Apollonius sera placé sur le même rang qu’Orphée, Pythagore, Socrate, Plotin, Jésus, Abraham... Des autels seront élevés en son honneur. L’essentiel de ce que nous savons repose sur la biographie rédigée par un rhéteur athénien du IIe siècle, Philostrate, dans sa Vie d’Apollonius de Tyane. Cet ouvrage décrit les voyages d’Apollonius, de la Babylonie à la Grèce, de l’Inde à Rome, en passant par l’Éthiopie.

Des guérisons en abondanceMais la postérité retiendra d’abord ses miracles, notamment ses guérisons. Ce thaumaturge fut initié dans

un temple dédié au dieu de la médecine, Asclépios. Il reçut aussi les initiations de mages chaldéens, de brahmanes indiens, et entra dans le secret des prêtres d’Orphée.C’est par le biais d’Apollonius que nous connaissons la Table d’Émeraude du sage Hermès Trismégiste (« trois fois très grand »), trésor de la spiritualité gréco-égyptienne et référence majeure des courants alchimistes. Plus exac¬tement, ce célèbre texte nous serait parvenu par Balinous Touani, le nom par lequel le guérisseur de Tyane est connu dans le monde arabo-musulman. Or, la Table apparaît pour la première fois dans le Livre du secret de la Création qui lui est attribué.

Des disciples innombrablesNous terminerons en évoquant le Nycthéméron. Écrit par Apollonius, selon l’occultiste Éliphas Lévi, il s’agit d’un court texte poétique et spirituel, dont voici quelques lignes : « Les ailes des génies s’agitent avec un bruissement mystérieux, ils volent d’une sphère à l’autre et portent de monde en monde les messages de Dieu. » L’écrivain néerlandais rosicrucien Jan Van Rijckenborgh en a écrit un intéressant commentaire. On peut y lire : « Le peuple accourait en foule pour l’entendre, et ses disciples étaient innombrables, selon les idées de ce temps. Il fit quantité de miracles, accomplit un grand nombre de guérisons Quand, en fin, on voulut le faire dévorer par des chiens, il disparut de façon mystérieuse. »

Extrait du« Monde des Religions novembre-décembre 2013 »

ENQUÊTE

Grec contemporain de Jésus, Apollonius de Tyane a mené une vie de prédicateur dénonçant les mœurs de ses semblables,

et aurait accompli de nombreux miracles et guérisons.D’où son surnom de « Christ grec ».

APOLLONIUS DE TYANEUN CHRIST GREC ?

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55ENQUÊTE

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B ien des héros de l’Ancien Testament pourraient reprendre ce vers de Péguy: « La foi ça ne m’étonne pas, ça n’est pas étonnant. » Aucun des grands personnages de notre Histoire sainte ne s’interroge directement sur sa foi.

Pas même Judith dont la froide détermination sanglante paraît inentamable. Pas même Job, le plus éprouvé, dont le terrible dilemme n’est pas de renoncer à croire en son dieu, de perdre la confiance qu’il avait en lui quand il était « un homme bien, un homme droit » (Job 1, 1), mais plutôt de parler pour obtenir une réponse à sa réclamation et à sa plainte.

Dieu, un appui solideLe psalmiste, lui, s’émerveille de la force de Dieu, s’étonne parfois avec terreur de la grandeur de la Création, mais sa prière, jusqu’aux pires moments de son existence, est d’entendre, d’arracher la réponse de Dieu à son malheur pour en témoigner. Un psaume, comme le faisait remarquer l’exégète Paul Beauchamp, témoigne en creux de la réponse de Dieu dans le passage qu’effectue le priant de la plainte à la louange, un pli silencieux où

s’inscrit la réponse.Disons alors que la foi, dans l’Ancien Testament, serait davantage cette insistance, cet entêtement d’une relation privilégiée entre la personne, le peuple, et ce Dieu de parole. La foi est un acte de parole qui engage le corps et l’existence. La femme et l’homme de l’Ancien Testament discutent sans relâche de la relation à leur dieu. C’est le verbe ‘aman (né’aman, hé’émîn) en hébreu qui caractérise la foi et dont la racine a donné le vieil amen liturgique. Le sens premier est celui de solidité, de fermeté. Se fonder sur la solidité d’une parole, d’une promesse. « Et Abraham se fia (hé’émin) à Yhwh... » (Genèse 15, 6). On peut traduire aussi : « Et Abraham s’est appuyé sur Yhwh... »La foi exprime ici un engagement entre deux partenaires. Et c’est bien ce que viennent rappeler les prophètes. « Eh bien, parle à la maison d’Israël, fils d’adam, et dis-leur : Encore une fois, vos traîtres de pères m’ont outragé par leur trahison. Je les ai fait entrer dans le pays que je m’étais engagé, main levée, à leur donner ». (Ezéchiel 20, 27). Toute la grande tradition prophétique d’Israël reprend cette tragédie d’une relation trahie, d’un engagement qui n’est plus réciproque.

La Bible est traversée d’histoires de croyants improbables, qui s’engagent dans des aventures dont ils ne connaissent jamais l’issue. Ils ont la foi, ils font confiance,

ils obéissent, parfois aveuglément. Bien sûr beaucoup se rebiffent aussi.Quel est ce Dieu qui se mêle de leur vie, qui les dérange et les oblige à faire le contraire de ce qu’ils avaient prévu ? Seule la foi permet d’accepter, de répondre qu’ils sont d’accord.

Le plus beau, et le plus étonnant, c’est qu’ils ne sont jamais déçus et que la suite de l’histoire révèle un Dieu qui ne lésine pas sur la récompense accordée.

Croire, c’est aussi être porté par plus grand que soi. C’est toujours aller vers la vie.

Frédéric Boyer, écrivain, éditeur

Dans la Bible, la foi n’est pas quelque chose que l’on possède. C’est une relation de confiance, qui s’appuie sur un dialogue permanent et sans concessions avec Dieu.

UN DIEU QUI SUPRENDLA FOI EN QUESTION

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Une éthique de la discussionIl n’y a pas de foi sans parole donnée. D’où cette pratique de la discussion au cœur de l’expression de la foi dans le récit prophétique et sans laquelle, il me semble, aucune relation de confiance ne saurait rester vivante et durable.La narrativité biblique inscrit la foi dans ce que le philosophe allemand contemporain Jürgen Habermas appellera « une éthique de la discussion ». La confiance entre les personnes est assurée par une pratique du dialogue sans concession des différends et des attentes de chacun.

Dieu lui-même éprouvé le besoin inlassable de s’expliquer avec son peuple. Ainsi les longues justifications de Dieu qui rythment les livres d’Isaïe : « Sion disait : Yhwh m’abandonne et le Maître m’oublie mais une femme irait-elle oublier son bébé sans souffrir pour un fils qu’ont porté ses entrailles ? » (IsaIe 49, 14-15). Jusqu’aux premiers héros de nos bibles que sont Adam et Eve, qui nous apprennent que tout se passera par la parole et la confiance que nous mettrons dans la parole entendue. Leur première épreuve de foi est bien celle d’une discussion de ce qui fut dit au sujet de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Supplication, lamentation, contestation marqueront alors l’histoire d’Israël et de son dieu et feront de la foi un acte de parole ancré dans la communauté du peuple et dans l’existence de chacun. La foi n’est donc pas ici une chose que l’on pourrait posséder mais une relation, un engagement qui se discute, qui s’éprouve.Sans doute est-ce la raison profonde pour laquelle la foi naît d’un appel qui résonne souvent comme une provocation. Abraham, Moïse, Samuel, Ezéchiel et Jérémie, tous entendent une voix s’adresser à eux dans le silence ou l’intimité.

Dieu déçoit et surprendMais curieusement, dans tous les récits de vocation prophétique, le prophète regimbe et se déclare incompétent. « Seigneur, je ne suis pas un homme de discours... je suis lourd de bouche et lourd de langue », répond Moïse à Yhwh (Exode 4, 10). Il s’agit de cette façon si particulière qu’a le Dieu unique de la Bible de ne jamais appeler ou apparaître là où nous l’attendions. Il se donne à connaître souvent en décevant, en surprenant nos stratégies et nos désirs. Il déjoue les sacrifices qu’on lui offre. Ses ordres font parfois scandale, comme de demander au prophète Osée d’épouser une prostituée. Et le roi que le peuple en exil lui réclame déçoit les attentes messianiques : « Mon serviteur étonnera : défiguré, méconnaissable, n’ayant

plus rien d’humain » (Isaïe 52, 13-14).L’étonnant n’est pas la foi elle-même mais bien la réponse qui est faite à notre demande. Dieu ira jusqu’à faire parler une ânesse pour faire entendre raison à son serviteur. «L’ânesse m’a vu, dit le mystérieux messager de Dieu à Balaam que Dieu a visité la nuit même pour l’envoyer en mission. Trois fois elle s’est écartée.. Si elle ne l’avait pas fait je t’aurais tué mais elle, je l’aurais laissée vivre» (Nombres 22, 28-35). La confiance d’un âne est parfois plus sure que la profession de foi d’un serviteur de Dieu...Un héros tragi-comiqueLe premier grand appel qui décide de l’histoire et de la foi d’Israël est adressé à Abram, au chapitre 12 du livre de la Genèse. L’art du récit biblique, dans sa concision énigmatique et sa rapidité presque burlesque (une trentaine de versets à peine), fait répondre Abram avec

Tout le monde croit en quelque chose ou en quelqu’un ! Le croyant croit en Dieu. Mais en quel Dieu ? L’épopée de Jonas est un itinéraire qui se fonde sur une double question : en quel Dieu mets-tu ta foi ? Une fois nommé, le connais-tu vraiment ?Le livre de Jonas se résume ainsi. Dans le premier chapitre, Dieu envoie Jonas à Ninive, mais celui-ci désobéit et s’enfuit en bateau. À peine est-il embarqué que la tempête se déchaîne et qu’on le jette à l’eau. Le chapitre 2 parle du grand poisson qui avale le prophète. Après trois jours et trois nuits, en prière dans le ventre du monstre, Jonas reçoit de Dieu l’ordre de retourner à Ninive (chapitre 3). Jonas s’exécute et annonce la destruction de la ville. Dans le quatrième chapitre, les habitants de Ninive prennent « au sérieux » cette parole et ils se convertissent. Voyant cela, Dieu renonce au châtiment et donne son pardon. Ce qui contrarie Jonas (chapitre 5) !Jonas ne croit pas en « l’efficacité » de la parole qu’il dit de la part du Seigneur. Malgré son statut de prophète, il ne connaît pas le dessein de Dieu : la miséricorde ! La fuite face à la mission, l’échec d’un projet, l’angoisse traversée dans la prière, le constat de la parole performative sur les habitants de Ninive, la colère... Dans toutes ces étapes, Dieu peu à peu se révèle à Jonas, il l’oblige à quitter ses résistances et ses idées fausses pour découvrir, par don, qui est vraiment celui dont il porte la parole. Jonas comprend que cette parole efficace n’est pas la sienne et qu’elle ouvre à la vraie foi pour tous, lui compris. Sébastien Antoni

Jonas, le prophète qui ne comprend rien

LA FOI EN QUESTION

Comme elle est belle, cette femme à qui Jésus dit « Femme, ta foi est grande ! » (Matthieu 15, 28). Peu initiée aux pratiques du Peuple élu, elle guette pourtant le passage du Messie. C’est le désespoir qui la guide vers lui. Elle tente le tout pour le tout, ayant sans doute épuisé toutes les solutions possibles pour obtenir la guérison de son enfant. Elle crie sa douleur et sa confiance mêlées (v. 23). Elle ne sait rien de Jésus, pourtant elle l’appelle « Seigneur » (v.22).Jésus semble repousser sa demande en parlant de « petits chiens qui n’ont pas à manger le pain des enfants » (v. 26). La femme saisit la balle au bond, révélant là toute sa foi. Avec audace elle insiste, reconnaissant ne pas faire partie de la famille, mais ayant sans doute droit aux miettes, comme les petits chiens, en conni¬vence avec les convives autour de la table de la fête. En substance, cette femme dit à Jésus que comme les convives au festin, les petits chiens sont aussi de la fête, à côté ou sous la table, et qu’avec eux rien n’est perdu du repas (v. 27)Jésus est stupéfait par la foi de cette femme (v. 28). Une foi guidée par un puissant désir. La foi est donc, pour une bonne part, une affaire de désir. Un désir conscient comme pour cette femme qui sait n’avoir au¬cun droit sur Dieu, et qu’il ne peut que donner son amour totalement. Ce don du Seigneur ne se réduit jamais à des miettes, mais à une profusion de pains multipliés à la mesure du désir et de la foi du cœur des hommes et des femmes (Matthieu 15, 32-38].

S.A

La Cananéenne, mue par un puissant désir

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une stupéfiante confiance. Il obéit et quitte tout : famille, terre, histoire... Et sur le chemin d’errance qu’il emprunte, Abram ne fait que traverser en quelques nuits la terre qui lui est promise, devant fuir la famine pour se livrer à l’Égypte au point d’offrir au Pharaon sa propre femme, avant d’être chassé à nouveau et de reprendre le chemin de l’exil. Ce premier appel fondateur fait d’Abraham un héros tragi-comique. L’écrivain Franz Kafka, fasciné par la figure du patriarche, ira jusqu’à parler de « la pauvreté spirituelle et de l’idiotie du premier patriarche », qui répond à l’appel énigmatique de la divinité avec « la spontanéité d’un garçon de café ».Rien dans le texte, en effet, ne laisse penser à une quelconque prise de conscience du personnage, ni à une réponse personnelle revendiquée mais plutôt à un ravissement, un rapt. Étrange odyssée ponctuée d’autres appels similaires, dont le célèbre et terrifiant appel au sacrifice de son fils Isaac sur le mont de la Morriyyah (Genèse 22).

La grande épreuve de la foiLa foi d’Abraham est telle qu’il ne (se) pose aucune

question et se met en chemin. Mais tout l’art du récit est ici encore de déjouer l’attente du lecteur comme celle d’Abraham. Suivre l’obéissance aveugle d’Abraham, c’est être conduit à s’interroger, à la fin de l’épisode, sur l’inversion du récit de violence que nous étions prêts à valider pour prouver notre foi ! La question était donc

moins de s’attacher au modèle admirable d’obéissance que de s’interroger sur cette confiance elle-même et son objet authentique.

À l’origine de tous les grands textes de l’Ancien Testament, il y a cette nécessite d’éprouver la compréhension d’autrui qui me semble être la grande épreuve de la foi. Franz Kafka, encore lui, a imaginé dans son journal un court dialogue entre Dieu et Abraham, après l’épreuve de la ligature d’Isaac.

- « Pourquoi voulais-tu me mettre à l’épreuve ? demande Abraham à Dieu. »- « Pour te montrer non pas ce qui te manque mais qu’il te manque quelque chose... »

Extrait de « Les cahiers croire »

LA FOI EN QUESTION

Ezéchiel ne cesse d’invectiver ses contemporains, promettant le châtiment à tous. En 597 av. J-C., il est déporté avec les siens à Babylone. Dès lors, il n’aura de cesse d’affirmer la fidélité du Seigneur : Dieu ne peut être infidèle à ses promesses, même si les évènements le laissent à penser. Toute sa foi repose sur cette certitude. Ezéchiel le garantit : Dieu va agir. Il va d’abord recréer: « Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. Je mettrai en vous mon propre Esprit, je vous ferai marcher selon mes lois » (Ezéchiel 36,26-27). Ensuite, Dieu va rétablir les promesses faites à Abraham et à Moïse : «Vous habiterez le pays que j’ai donné à vos pères ; vous serez mon peuple et je serai votre Dieu. Je vous délivrerai de toutes vos souillures, j’appellerai le blé, je le ferai abonder, je ne vous imposerai plus la famine » (Ezéchiel 36, 28-29). Enfin, Dieu encouragera l’homme à tirer les leçons de ses expériences en entretenant leur souvenir. Celui-ci sera le socle d’une vie morale nouvelle, inspirée par la foi retrouvée : « Vous vous souviendrez de vos mauvais chemins et de vos actions qui n’étaient pas bonnes. Le dégoût vous montera au visage à cause de vos péchés et de vos abominations» (Ezéchiel 36, 31). La foi se fonde ainsi sur l’équilibre subtil entre l’action de Dieu et la réponse de l’homme. Et réciproquement. Cependant, même si l’homme peut être infidèle Dieu, lui demeure fidèle. S.A

Ezéchiel, sûr de la fidélité de Dieu

Abraham répond à Dieu avec une stupéfiante confiance ! Il ne pose

aucune question

Quand on évoque Marthe, on l’imagine en éternelle maîtresse de maison occupée entre sa cuisine et la salle à manger. Celle que la liturgie nomme l’hôtesse du Seigneur ne peut être ainsi approchée par le seul souvenir de ces versets 38-42 du chapitre 10 de Luc. C’est trop peu !Marthe est une femme qui, face à la mort de son frère Lazare, fait un chemin de foi. Elle dit : « Seigneur, si tu avais été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais maintenant encore, je sais que tout ce que tu demanderas à Dieu, Dieu te le donnera » (Jean 11, 22-23). Jésus a volontairement tardé à venir. Son absence, son silence ont ébranlé la confiance de Marthe. Tout se bouscule dans sa tête : Pourquoi n’es-tu pas venu plus tôt ? À présent il est trop tard! Quoique peut-être... ! Alors Jésus, au cœur de son deuil, interroge son amie et lui révèle son identité : « Je suis la résurrection et la vie... crois-tu cela ? » (v. 25-26). Et Marthe confesse sa foi en son ami et Seigneur dans une formule magnifique: « Oui, Seigneur, je crois que tu es le Messie, le Fils de Dieu, celui qui devait venir dans le monde » (v. 27). Mais cela ne suffit pas. Elle doute du projet de Jésus. En exprimant son hésitation : « Il doit sentir mauvais, car il y a déjà quatre jours qu’il est ici » (v. 39), elle se voit nouveau interrogée par Jésus : « Ne te l’ai-je pas dit? Si tu crois, tu verras la gloire de Dieu » (v. 40). Elle abandonne toutes les objections pour oser la foi en son Seigneur pour qui rien n’est impossible. S.A

Marthe passe du douteà la foi

Dieu a foi en l’homme« Nous aimons parce que Dieu lui-même nous a aimés le premier », dit saint Jean dans sa première lettre (1 Jean 4, 19). C’est de l’Alliance qu’il est question, et c’est Dieu qui en a l’initiative. L’Alliance se fonde dans une proposition d’amour de Dieu dont la foi de l’homme est la réponse. Abraham, l’archétype du croyant (Siracide 44, 20), en fait l’expérience (Genèse 12). Ainsi, à sa suite, la foi est toujours, pour une part importante, la reconnaissance par l’homme de cette proposition amoureuse que Dieu fait parce qu’il croit en l’homme !Par ses mots et ses gestes, de paraboles en miracles, Jésus au long de sa vie n’aura de cesse de croire au dépassement de l’homme, à sa capacité de répondre amour pour amour. Même si la Croix et la mort de Jésus semblent être un échec amer de la foi de Dieu en l’homme, elles ne suffisent pas à éteindre son espérance ! La Résurrection et ses promesses le confirment. S.A

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59LA FOI EN QUESTION

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60 À LA DÉCOUVERTE DES SITES...

• D’autres ruines importantes se trouvent dans la ville de Akroum, dont celles d’une église byzantine appelée « Église de Samson le Magnifique ». Cette église devait être imposante, au vu des lourdes pierres ciselées utilisées pour la construction de son abside principale à l’est, et des restes du mur orienté vers le nord. Il est vraisemblable que son plan ait été basilical, comprenant une nef centrale et deux ailes. Il est également possible qu’elle ait été cruciforme, et ouvrant à trois entrées.• A environ 200m de l’Église de Samson, des ruines éparses attestent l’existence d’une autre église dédiée à «Notre Dame ». Une partie de son abside apparait au bas d’un mur rocheux. Et sa structure primitive ainsi que son orientation peuvent être devinées au vu de ce qui reste de ses fondations. Au nombre de ses vestiges, des linteaux décorés de croix latines (à la branche du bas plus longue que les trois autres).• A proximité des deux églises mentionnées plus haut se trouvent des tombes dont certaines entrées sont surmontées d’une croix. Le Père Lammens mentionne un linteau gravé d’une inscription en grec XMIAKYMOS, le (X) signifiant sans doute Jésus, le (M) Marie et (IAKYMOS) Joachim.Situé au sommet d’une colline dominant le lac de Homs, Qanyah est l’un des villages de Akroum où abondent d’anciens vestiges archéologiques chrétiens. Au creux de sa vallée appelée « Wadi el Dayr » (Vallée du Monastère),

LA CHRÉTIENTÉ DANS LA RÉGION DE AKROUM

L a région montagneuse de Akroum, située au nord-est du Akkar, domine le passage stratégique reliant, par la vallée de Nahr

el Kabir, le centre de la vallée de l’Oronte à la côte libanaise. Elle surplombe également le lac de Homs. Les ruines découvertes dans les sept villages qui la composent (Akroum, Qanyah, Sahleh, Mrah el Khawkh, Mounis, Kfartoun et Basateen) indiquent que la région a été habitée depuis des temps reculés, et que son héritage religieux, fut-il païen ou chrétien, y est profondément enraciné. Certains vestiges archéologiques importants sont les suivants :• Au sommet de la colline qui domine la ville de Akroum se trouvent les ruines de deux temples parallèles dont de grands pans de murs, quelques colonnes ainsi que la façade aux chapiteaux corinthiens sont encore préservés. Le plus petit de ces deux temples se distingue par une grande arcade séparant la cella du sanctuaire proprement dit (adyton) où se trouvait l’autel de pierre avant de disparaitre dans les ruines. Il est possible que la structure de ce temple ait été modifiée pendant la première période chrétienne pour être plus tard transformée en église. Au cours des Croisades et des périodes qui les ont suivies, ce temple fut utilisé comme forteresse en raison de son emplacement stratégique. D’où l’appellation de « Jabal el Hussayn » (Montagne du fort) qui lui fut octroyée.

...Suite

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61...ET ÉGLISES DU LIBAN se trouvent les restes d’un ancien monastère remontant à l’époque byzantine, et qui fut probablement construit à l’aide de pierres ayant appartenu à un ancien temple dont les ruines se trouvent à proximité. On peut également y trouver les restes d’une carrière d’où furent sans doute extraites les pierres ayant servi à la construction du temple.Près du monastère, se trouve une église dont l’abside semi-circulaire est encore visible, ainsi que des pressoirs et des sarcophages.Sahleh est un village réputé pour une cave où se trouve un ancien sanctuaire, connu sous le nom de « Saydet el Durr » (La Vierge allaitant), où se rendent les femmes désireuses d’allaiter leur enfant. Près de ce sanctuaire sont disséminées d’autres ruines, celles sans doute d’un ancien monastère ainsi que d’une église dont une partie de l’abside est encore visible, ainsi que celles de tombes remontant à la période préchrétienne.Dans le vieux village abandonné de Maaroujah, se trouvent les ruines de vastes tombes remontant à l’ère préchrétienne, ainsi que les ruines d’une ancienne église parmi lesquelles on peut voir quelques linteaux gravés de croix.A l’ouest du mont Akroum et au pied des collines de Mart Moora, les fouilles menées au début des années 70 mirent à jour les ruines d’un ancien temple connu localement sous le nom de « Maqam el Rab » (Sanctuaire de Dieu). Ce temple est le seul au Liban à être construit en basalte volcanique noir. Des inscriptions trouvées sur l’un de ses autels de pierre indiquent qu’il était dédié à la déesse Némésis, déesse grecque de la chance et du destin, dont le symbole était une roue. Le culte qui lui était porté en Orient se rapprochait de celui voué par les Arabes à Al-Lat, la Mère Universelle. Les fouilles révélèrent les restes d’un mur du temple orienté vers le sud, ainsi que ceux d’une crypte au toit en dôme, dans laquelle se trouvait l’autel. L’architecture de ce temple, bâti au-dessus d’une source qui se déversait dans les profondeurs du sanctuaire où se dressait le trône du Dieu « Donateur et Fécondateur », est semblable à celle d’autres anciens temples du Liban. Certains chercheurs pensent qu’une église fut érigée sur son emplacement au tout début de l’ère chrétienne, son abside ayant occupé son entrée-est (le pronaos).Sur la pente nord qui lui fait face et qui domine la vallée où se déverse l’eau de la source de Jaalouk, se trouvent les restes d’un ancien sanctuaire dédié à la Vierge Marie, appelé « Saydet el Mouine » (Notre Dame du Secours), construit à l’aide des pierres d’un ancien temple. Un glissement de terrain vers la vallée occasionna l’effondrement de son entrée, mais certaines parties de son abside demeurent encore debout.A l’ouest de Menjez se dressent les ruines d’une Citadelle Croisée, connue sous le nom de « La Citadelle de la Félicité » (Felicium), et bâtie vers le milieu du 12ème siècle. Des inscriptions grecques (Tykeros) remontant au premier siècle chrétien et gravée dans du basalte se trouvent près de la Citadelle, se référant à la déesse de la Chance (Fortuna), justifient ainsi le nom de Felicium qui lui fut donné. Il est vraisemblable qu’une église dédiée à la Vierge Marie ait été construite à cet endroit, sur les ruines d’un temple.Vers la fin du 19ème siècle, les jésuites construisirent une belle église à ce même endroit, église qu’ils appelèrent « Notre Dame de la Citadelle ». Celle-ci fut honorée par tous les habitants de la région, aussi bien musulmans que chrétiens, qui racontaient les miracles qu’elle opérait et

croyaient dans les vertus curatives de l’eau d’une source proche appelée « Puits de Notre Dame ».Les habitants du Akkar, toutes sectes et religions confondues, ont toujours honoré la Vierge Marie. Cette vénération s’est exprimée par la protection des ruines ainsi que des pierres et des arbres avoisinants, et s’est poursuivie tout au long des générations. Ce phénomène de foi profonde est commun aux libanais, à quelque région du Liban qu’ils appartiennent, et dénote ainsi la profondeur de leurs racines et de leur appartenance à la terre et à leur héritage.A l’extrême pointe nord du Akkar, sur le passage stratégique reliant la côte à l’intérieur du pays par la vallée de Nahr el Kebir, se trouve Wadi Khaled, une région riche en vestiges de villages, de temples, de forteresses, d’églises et de monastères. Parmi les plus importantes, on peut citer les ruines du village de Germanaya. Le grand nombre de tombes collectives ou individuelles, les ruines de demeures à multiples pièces, les traces de puits, moulins, ou d’entrepôts indiquent la prospérité de ce qu’était ce village, principalement durant la période Byzantine, alors qu’il était un Siège Épiscopal. Parmi les ruines, se trouvent disséminées des pierres gravées de croix et d’inscriptions en grec. Mais peu d’entre elles demeurent, par suite de destructions importantes et de pillages.A Harb’Ara se trouvent les ruines d’un ancien village où se trouvent encore les vestiges d’une ancienne église en basalte noir. Certaines pierres sont gravées d’inscriptions en grec ainsi que de croix.Dans le village de Mwanseh, des inscriptions trouvées sur le linteau d’une vieille église indiquent que celle-ci était dédiée à Saint Jean.

Le présent article est extrait de « The roots of Christianity in Lebanon »,

éditions de la « Lebanese Heritage Foundation »,Beyrouth, septembre 2008.

Texte traduit de l’anglais par Nawal Arcache.

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62 ANNIVERSAIRE DES SAINTS

é Née vers le 6 janvier 1412 dans le Barrois à Domrémy, morte le 30 mai 1431 à Rouen, Jeanne d’Arc est la fille de Jacques Darc (ou

Tarc ou Dare), et d’Isabelle Romée, paysans aisés.De son enfance on connaît ce qu’elle-même et certains témoins en ont évoquée aux procès : sa dévotion, marquée par l’enseignement des ordres mendiants (confession et communion fréquentes, pratique des œuvres de miséricorde, culte spécial à certains saints et surtout à la Vierge et au nom de Jésus qu’elle prononcera sur le bûcher).Selon différents témoignages, elle entendit des voix célestes à l’âge de treize ans, celles de saint Michel et des martyres sainte Catherine et sainte Marguerite qui lui enjoignaient de libérer le royaume de France de l’occupation anglaise et de faire sacrer le dauphin futur Charles VII roi de France à Reims.En mai 1428 elle va trouver le représentant du roi à Vaucouleurs, le capitaine Robert de Baudricourt, qui la traite de folle et la renvoie chez elle. Le 12 février 1429, elle fait une nouvelle tentative auprès de Baudricourt. Sous la pression de partisans de Jeanne, après une séance

d’exorcisme d’où elle sort victorieuse, Baudricourt cède. Il lui accorde une escorte armée. En onze jours la petite troupe, partie le 13 février de Vaucouleurs par la porte de France, arrive à Chinon, résidence du Dauphin.

Jeanne d’Arc ne connaît pas le Dauphin, quand elle entre dans la salle du château il y a de nombreux gentilshommes. Charles VII est parmi eux sans aucun signe distinctif. Le comte de Clermont qui a pour mission de se faire passer pour le Dauphin s’avance, Jeanne l’ignore et va directement s’agenouiller devant Charles en lui disant :« Voilà le roi ! En nom Dieu gentil prince, c’est vous et non un autre ! Je te le dis de la part du Messire, tu es vrai héritier de France et fils de roi, et il m’a envoyé à toi pour te conduire à Reims, pour que tu reçoives ton couronnement et ta consécration, si tu le veux. »

Pendant une heure ils vont s’entretenir à l’écart des autres, ce qu’ils se sont dit nul ne le sais. Charles a les yeux embués de larmes et précise qu’elle vient de lui confier un secret que personne ne connaissait et ne pouvait connaître, si ce n’est Dieu.

SAINTE JEANNE D’ARC,LA PUCELLE D’ORLEANS

N

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63ANNIVERSAIRE DES SAINTSJeanne doit alors se soumettre à une enquête menée par les maîtres de l’Université à Poitiers afin de prouver qu’elle n’était pas sorcière. Elle passe l’épreuve avec succès et adresse au roi d’Angleterre et au duc de Bedford, le 22 mars 1429, une lettre dans laquelle elle se déclare « envoyée de par Dieu, le roi du ciel », pour combattre les Anglais et les « bouter hors de France ».

Charles VII offre à Jeanne une armure. Son épée, marquée de cinq croix, fait l’objet d’une histoire particulière. Jeanne la désigne après une révélation, située derrière l’autel de l’église Sainte-Catherine de Fierbois (près de Chinon). La rouille qui la couvrait tomba sans effort... Jeanne la conservera jusqu’en avril 1430, sans jamais s’en servir car elle ne répandit jamais le sang.

Jeanne fait confectionner l’étendard qui l’accompagnera tout au long de son aventure : blanc, le Christ au jugement, avec un ange tenant une fleur de lys, l’inscription « Jesus Maria ».

A la tête des troupes royales Jeanne d’Arc entre dans Orléans en avril. Après quelques assauts, les Anglais lèvent le siège le 8 mai 1429. Cette victoire apparaît comme le signe de l’intervention divine, d’autant que Jeanne avait prédit la mort de Glasdale, l’un des chefs anglais ; sa popularité devint alors immense. Jeanne rejoint le roi à Loches le 11 mai et le persuade de partir pour Reims : Charles est couronné et sacré le 17 juillet dans la cathédrale, comme ses ancêtres et selon le même rituel. Jeanne se trouve au premier rang, tenant fièrement son étendard : « Il avait été à la peine, c’était bien raison qu’il fût à l’honneur », répondra-t-elle aux juges qui s’étonnaient qu’elle, petite paysanne, tînt ce jour-là une place plus éminente que d’autres capitaines plus prestigieux.

Charles VII, décidé à mener désormais la politique de son choix, négocie la paix du royaume et l’entente avec Philippe de Bourgogne. Jeanne ne pouvant se résoudre à l’inaction poursuivit la guérilla. En tentant de prendre Paris aux Anglo-Bourguignons, elle est blessée à la porte Saint-Honoré le 8 septembre 1429, puis, après s’être repliée, échoue à la Charité-sur-Loire.

Appelée à l’aide par les habitants de Compiègne assiégée, elle est capturée par les Bourguignons le 23 mai 1430 et leur chef, Jean de Luxembourg-Ligny, la livre aux Anglais contre rançon. Ces derniers la remettent à la justice d’Église, tout en déclarant qu’ils la reprendraient si elle n’était pas déclarée hérétique.

Le tribunalUn tribunal ecclésiastique est constitué, par Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, diocèse sur le territoire duquel Jeanne avait été prise, son diocèse étant aux mains des Français. Cet universitaire parisien, depuis longtemps gagné aux Bourguignons, et devenu une créature des Anglais, était replié à Rouen. Il s’adjoignit, malgré les réticences de celui-ci, un dominicain, frère Jean le Maître, vicaire de l’inquisiteur de France à Rouen. Ce furent les

deux seuls juges de Jeanne, entourés d’un certain nombre de conseillers et d’assesseurs à titre consultatif.

Les charges• Port de vêtements d’homme, qui tombait sous le coup d’une interdiction canonique. • Tentative de suicide qui n’était en fait qu’une tentative d’évasion lorsqu’elle se jeta du haut d’une tour du château de Beaulieu-en-Vermandois. • Ses visions considérées comme une imposture et un signe de sorcellerie. • Refus de soumission à l’Église militante, et divers griefs mineurs.

Le procèsLe procès s’ouvre à Rouen le 9 janvier 1431. Malgré quelques entorses aux règlements, il est conforme à la légalité inquisitoriale. La partialité se manifestera surtout dans la façon de conduire les interrogatoires et d’abuser de l’ignorance de Jeanne. L’Université de Paris à qui sont confiées les déclarations de Jeanne d’Arc déclare solennellement le 14 mai 1431 qu’elle est idolâtre, invocatrice de démons, schismatique et apostate. Cette même institution lui offrira deux choix possibles : elle abjurera publiquement ses erreurs, ou elle sera abandonnée au bras séculier.

Jeanne, qui a résisté aux menaces de torture, « abjure » le 24 mai au cimetière de Saint-Ouen. Elle se ressaisit bientôt et, en signe de fidélité envers ses voix et Dieu, elle reprend le 27 mai ses habits d’homme. Un nouveau procès est expédié et, le 30 mai 1431, Jeanne hérétique et relapse, est brûlée sur le bûcher sur la place du Vieux-Marché de Rouen.

La réhabilitationSuivant la troisième prophétie de Jeanne, les troupes de Charles VII reprennent Paris en 1437. Le 15 février 1450 Charles VII fait procéder à une enquête sur la façon dont s’était déroulé le procès de Jeanne...Il n’y aura pas de suite.

En 1452 le cardinal d’Estouteville, légat pontifical, fait rouvrir l’enquête sans plus de résultat.

C’est en 1455, à la demande de la mère de Jeanne que débute un nouveau procès d’inquisition. Le Dominicain Jean Bréhal, grand inquisiteur de France se dépense sans compter en la faveur de la mémoire de Jeanne d’Arc. Le 7 juillet 1456, dans la grande salle du palais archiépiscopal de Rouen, les commissaires pontificaux, sous la présidence de Jean Juvénal des Ursins, archevêque de Reims, déclarèrent le procès de condamnation de Jeanne et la sentence « entachés de vol, de calomnie, d’iniquité, de contradiction, d’erreur manifeste en fait et en droit y compris l’abjuration, les exécutions et toutes leurs conséquences » et, par suite, « nuls, invalides, sans valeur et sans autorité ». Cette décision est publiée solennellement dans les principales villes du royaume.Elle sera ensuite béatifiée en 1909 et canonisée en 1920 par le pape Benoît XV.

Page 64: BAABDATH MAI 2014 · 2016-06-02 · DU PAPE FRANÇOIS-II ... très belles et énergiques. Plusieurs de leurs formules nous sont familières, cependant, car elles ont été reprises

64 PROGRAMME DES ACTIVITÉS ET CARNETLa paroisse n’est pas uniquement un territoire géographique regroupé autour d’une église paroissiale, la paroisse est le lieu où la communauté se réunit pour célébrer et annoncer le Christ, et c’est le lieu où chaque personne trouve sa place pour croître spirituellement et humainement.

Réunion du Groupe de prière « Apôtre d’amour » : mercredi à 20hChorales arabe et française : samedi à 19hRéunion du Tiers Ordre séculier : le troisième dimanche du mois à 10h30Réunion des membres de la Fraternité « Notre Dame du Rosaire » : mardi à 10h. Récitation du chapelet suivie de la messe à 10h30.

Sa 3 : Sts Philippe et JacquesMa 13 : Notre Dame de FatimaMe 14 : St MatthiasJe 22 : Ste Rita de CasciaMa 27 : St AugustinJe 29 : Ascension

Ve 29 : Ste Jeanne d’ArcSa 31 : Visitation de la Vierge Marie

Ces soirées seront chaque fois clôturées par un moment convivial autour du « verre de l’amitié ». Vous y êtes tous les bienvenus.

ÉPHÉMÉRIDE DU MOIS DE MAI 2014

ACTIVITÉS DE LA PAROISSE EN LANGUE FRANÇAISEPOUR LE MOIS DE MAI 2014

ACTIVITÉS DE LA PAROISSE ST-ANTOINE-DE-PADOUE BAADATH

N’oubliez pas de nous rejoindre nombreux à la rencontre paroissiale mensuelleaprès la messe de 11h chaque dernier dimanche du mois

Jeudi 8 mai à 19h•Projection privée du film « LE SILENCE DES ANGES » Terres et voix de l’Orient orthodoxUn voyage Musical d’Oliver MILLE

Jeudi 29 mai à 19h•Projection privée du film À la rencontre« DU PAPE FRANÇOIS » Réalisé par Andrés Garrigo

HORAIRE DES MESSES

Le comité de rédaction, Nawal Arcache et Jean-Louis Mainguy, remercie tous les bénévoles qui contribuent à cette parution.

La saisie du texte est assuréepar Michella Al-Aya et Judy Abou Haidar

La mise en page et le graphisme sont assuréspar Elie Abou Mrad et Jean-Louis Mainguy.

Le dimanche :9h30 : messe en langue arabe11h : messe en langue françaiseDu lundi au samedi :6h45: Tous les jours messe en français suivie de l’office des Laudes en langue française18h : messe en langue arabe.Père Majed Moussa, curé de la paroisse,ainsi que les pèresJacques AbbouaGabriel Makkarise tiennent à la disposition des fidèles sur rendez-vous auprès du secrétariatde la paroisse, de 8h30 à 16h (Mme Nadine Khalil). Tél. : 04- 820431 et 04-820318.