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Chasse et exploitation minière au Nunavut : une expérience inuit du territoire à Qamani’tuaq (Baker Lake) Mémoire Pascale Laneuville Maîtrise en anthropologie Maître ès Arts (M.A.) Québec, Canada © Pascale Laneuville, 2013

Chasse et exploitation minière au Nunavut : une expérience ......BONNEMAISON ET LA GEOGRAPHIE SACREE 36 SACK ET LA CONSTRUCTION SOCIALE DU TERRITOIRE 38 LE SENS DU LIEU CHEZ LES

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Chasse et exploitation minière au Nunavut : une expérience inuit du territoire à Qamani’tuaq (Baker

Lake)

Mémoire

Pascale Laneuville

Maîtrise en anthropologie

Maître ès Arts (M.A.)

Québec, Canada

© Pascale Laneuville, 2013

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Résumé

L‘objectif de cette recherche est d‘évaluer l‘impact de la mine d‘or de Meadowbank sur la

relation entre la communauté inuit de Qamani‘tuaq, au Nunavut, et son territoire. Ce

dernier est défini comme un espace socialement et historiquement construit et dont le sens

émerge de l‘expérience quotidienne et de la mémoire collective. Mon étude démontre une

multitude d‘impacts socioéconomiques, positifs comme négatifs, découlant notamment des

nouveaux emplois et des répercussions sur le caribou. La construction d‘une route privée et

l‘imposition d‘une régulation quant à son utilisation impliquent par ailleurs une

contradiction entre deux formes de territorialité. Cependant, le rapport au territoire, propre

aux Inuit, demeure manifeste. Une majorité d‘Inuit démontre en effet la capacité à tirer

avantage du nouveau contexte dans le but de supporter leurs activités sur le territoire.

Aussi, les expériences particulières des travailleurs au camp minier témoignent du lien

étroit entre le lieu, la communauté et son histoire.

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Abstract

The goal of this research is to evaluate the effects of the Meadowbank goldmine on the

relationship occurring between the Inuit community of Qamani‘tuaq, in Nunavut, and its

territory. Territory is the social and historical construction of a space which derives

meaning through the everyday experience and the collective memory. The results show the

existence of various socioeconomic impacts, both positive and negative, resulting among

others from new jobs and from impact on caribou. The construction of a private road and

the imposition of rules of usage present a contradiction between two kinds of territoriality.

However, the specific Inuit way of being connected to the land continues to be expressed.

Most Inuit show their ability to take advantage of the new situation in order to maintain

their activities on the land. Also, the specific experiments of workers at the mining camp

testify the close link between place, community and history.

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Table des matières

RÉSUMÉ III

ABSTRACT V

TABLE DES MATIÈRES VII

REMERCIEMENTS XI

LISTE DES ACRONYMES ET ABRÉVIATIONS XIII

INTRODUCTION 1

CONTEXTE HISTORIQUE ET CULTUREL 7

QAMANI’TUAQ, UNE COMMUNAUTÉ DE CHOIX 7

LES INUIT DE QAMANI’TUAQ 9

ÉLÉMENTS GÉOGRAPHIQUES 9

PREMIÈRES RENCONTRES AVEC LES NUNAMIUT 10

LA VIE DES NUNAMIUT AVANT LA SÉDENTARISATION 11

HISTOIRE DES RELATIONS AVEC LES EURO-CANADIENS 14

COMMERCE DES FOURRURES 14

CONVERSION ET APPARTENANCES RELIGIEUSES 15

INTERVENTION GOUVERNEMENTALE ET SÉDENTARISATION 17

VERS UNE ÉCONOMIE MIXTE 20

INDUSTRIE MINIÈRE ET AVANCÉES POLITIQUES AUTOCHTONES 22

CONTEXTE MINIER CANADIEN 22

EXPLORATION MINIÈRE DANS LE KIVALLIQ 25

ESSOR MINIER : LE PROJET MEADOWBANK ET L’ESPOIR ÉCONOMIQUE AU NUNAVUT 28

CADRE THÉORIQUE : LE TERRITOIRE EN TANT QUE RELATION 31

LE TERRITOIRE D’UNE COMMUNAUTÉ : VÉCU LOCAL ET COLLECTIF 31

L’ÉCOLOGIE HUMAINE EN ANTHROPOLOGIE : DE STEWARD À INGOLD 33

MOBILITÉ ET SUBSISTANCE 33

TERRITORIALITÉ 34

TERRITOIRE ET TERRITORIALITE EN GEOGRAPHIE CULTURELLE 36

BONNEMAISON ET LA GEOGRAPHIE SACREE 36

SACK ET LA CONSTRUCTION SOCIALE DU TERRITOIRE 38

LE SENS DU LIEU CHEZ LES INUIT 40

ANTHROPOLOGIE DE LA NATURE 43

CRITIQUE DE L’ÉCOLOGIE 43

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CONCEPTION ANIMIQUE DU MONDE 44

SYNTHÈSE 48

MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE 49

OBJECTIF DE RECHERCHE : UNE MINE EN TERRITOIRE INUIT 49

AFFILIATIONS ET FINANCEMENT 50

STRATÉGIE GÉNÉRALE DE RECHERCHE 50

PARTICIPATION ET CONSENTEMENT 53

OPÉRATIONNALISATION DES CONCEPTS 55

TECHNIQUES DE COLLECTE DES DONNÉES 57

RECHERCHE DOCUMENTAIRE 57

DÉMARCHE ETHNOGRAPHIQUE : PRÉPARATION ET PREMIERS CONTACTS 58

DÉMARCHE ETHNOGRAPHIQUE : LA PARTICIPATION RADICALE 61

ENTREVUES 64

CARTES, NOTES ET PHOTOS 66

ANALYSE DES DONNÉES 67

RÉDACTION ET DIFFUSION DES RÉSULTATS 68

LE TERRITOIRE DES QAMANI’TUARMIUT AUJOURD’HUI 71

VIE SÉDENTAIRE : DE LA CHASSE AU TRAVAIL …DU MAGASIN À LA TOUNDRA 72

TERRITOIRE DE CHASSE 76

UN TERRITOIRE SANS FRONTIÈRE 76

VARIATIONS SAISONNIÈRES 80

RÉGIONS, LIEUX ET SENTIERS 82

ENTRE PARTAGE ET RÉGULATION 86

PARTAGE ET AUTONOMIE DES CHASSEURS 86

SUPPORT ET RÉGULATION D’ICI ET D’AILLEURS 89

APPARTENANCE ET VIES SUR LE TERRITOIRE 91

MINE, EMPLOI ET ROUTE : ENJEUX SOCIAUX, TERRITORIAUX ET ENVIRONNEMENTAUX 99

EMPLOIS : ENVERS ET REVERS D’UNE NOUVELLE OCCUPATION 99

BÉNÉFICES VERSUS ACCESSIBILITÉ 99

RÉPERCUSSIONS SOCIALES 105

INSTABILITÉ ET ADAPTATION À LA VIE MINIÈRE 107

LA COMPAGNIE ET SES INFRASTRUCTURES : QUELQUES ENJEUX POUR LES CHASSEURS 111

OUR LAND : MODIFICATION ET PERTE D’ESPACES 111

(DÉS)APPROPRIATION D’UN CHEMIN: ROUTE PRIVÉE ET RÉGULATION 115

DES MIETTES POUR LA FAUNE ET LA FLORE 118

INTERACTIONS ENTRE INDUSTRIE MINIÈRE ET VIE(S) SUR LE TERRITOIRE 125

TEMPS ET ARGENT : CONCILIATION ENTRE EMPLOI ET CHASSE 125

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ESPACE ET MOBILITÉ : AVANTAGE DE LA ROUTE POUR LA CHASSE 129

CARIBOU ET MINE : RÉACTION ET ADAPTATION 133

LIEU ET HABITANTS : RELATION PASSÉE ET ACTUELLE 135

CONCLUSION : UN TERRITOIRE BIEN EN VIE…ET UN AVENIR MINIER ? 139

RETOUR SUR UNE PROBLÉMATIQUE TERRITORIALE 139

CHOC DES TERRITORIALITÉS ET OPPORTUNISME : EXPÉRIENCE INUIT DU TEMPS ET DE L’ESPACE 141

POUR UNE VISION DU FUTUR : LIMITES ET AMÉLIORATIONS 146

BIBLIOGRAPHIE 153

LISTE DES PARTICIPANTS DE QAMANI’TUAQ 169

ANNEXE A : PROJET MINIER DANS LE KIVALLIQ 170

ANNEXE B : SYSTÈME HYDRAULIQUE DE LA RÉGION DE KIVALLIQ 171

ANNEXE C : CARTES DES SOUS-GROUPES DU KIVALLIQ 172

ANNEXE D : USAGE TRADITIONNEL DU TERRITOIRE – PÊCHE, CHASSE, CACHES ET MIGRATION DU

CARIBOU 173

ANNEXE E : USAGE TRADITIONNEL DU TERRITOIRE – TOMBES, AIRES SPIRITUELLES ET

CAMPEMENTS 174

ANNEXE F : AIRE D’ÉTUDE ARCHÉOLOGIQUE ET LOCALISATIONS 175

ANNEXE G : PROJET KIGGAVIK ET ENVIRONNEMENT FAUNIQUE 176

ANNEXE H : FORMULAIRE DE CONSENTEMENT 177

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Remerciements

Pour le soutien qu‘il m‘a apporté dans la réalisation de ce mémoire de maîtrise, je tiens

d‘abord à remercier mon directeur de recherche, Frédéric Laugrand, qui a démontré une

écoute et une disponibilité inégalables. Tout au long de mes études à la maîtrise, il a

également eu le souci et la générosité d‘assurer presque la totalité du soutien financier

nécessaire à ma recherche. Ce soutien est d‘autant plus crucial considérant les coûts

faramineux qu‘implique la recherche dans le Nord. Je le remercie aussi d‘avoir partagé sa

passion pour d‘abondants sujets touchant l‘être humain et d‘avoir aiguisé par le fait mes

propres intérêts.

Je tiens naturellement à remercier les gens de Qamani‘tuaq qui m‘ont accueillie et soutenue

dans ma recherche et dans cette expérience humaine. Je nomme d‘abord la famille Avaala

qui m‘a hébergée lors de mon séjour et qui m‘a permis de participer à de nombreuses

activités et sorties sur le territoire. En plus d‘avoir une immense reconnaissance et un grand

respect pour John Avaala, le père de la famille, je tiens à faire un hommage tout particulier

à sa femme Verra qui m‘a ouvert grand sa porte et son cœur. Son goût de vivre et

d‘apprendre, tout comme son plaisir à partager ses propres connaissances, nous a permis

d‘avoir une relation mutuellement enrichissante, qui me parut toutefois bien trop courte. Je

fus malheureusement témoin de ces derniers jours, alors que le cancer la gagna peu à peu.

Je reste profondément reconnaissante envers ce que sa famille et elle-même ont pu m‘offrir

dans ce contexte si délicat et émotionnellement difficile.

Je remercie Kenny Avaala et sa femme Debbie, ainsi que Jamie et Daisy Kataluk, pour

m‘avoir invitée à voyager, pêcher et chasser sur le territoire. Je remercie aussi mes deux

interprètes, Daniel Piruyaq et Hattie Mannik, et leurs conjoints respectifs, Sheron Alerk et

Thomas Mannik, pour leur accueil et les efforts qui ont permis la réalisation des entrevues.

Je souhaite par ailleurs souligner la contribution de Fabien Pernet, pour les cours d‘inuktitut

si plaisants qu‘il m‘a offerts, et de Stéphane Robert et Steve Parent d‘Agnico-Eagle, qui ont

eu la gentillesse de me recevoir à la mine et de répondre à mes questions. Finalement, je

dois mentionner le support inconditionnel de mon époux Alupa Clarke, qui a fait preuve

d‘une grande patience et de générosité tout au long de mes études universitaires.

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Liste des acronymes et abréviations

AADNC : Affaires autochtones et développement du Nord Canada (anciennement

MAINC)

Agnico : Agnico-Eagle Mines Ltd.

BLCCC : Baker Lake Concerned Citizens‘ Committee (Makita en inuktitut)

Cumberland : Cumberland Resources Ltd.

ERA : Entente sur les répercussions et les avantages

HTO : Hunters and Trappers Organization

IIBA : Inuit Impact and Benefits Agreement (Entente inuit sur les répercussions et les

avantages)

IQ : Inuit Qaujimajatuqangit (savoir traditionnel inuit)

KIA : Kivalliq Inuit Association

Makita : Nunavimmiut Makitagunarningit (BLCCC en anglais)

MAINC : Ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (maintenant AADNC)

NIRB : Nunavut Impact Review Board

NLCA : Nunavut Land Claim Agreement

NTI : Nunavut Tuungavik Incorporated

RCMP : Royal Canadian Mounted Police (Gendarmerie royale du Canada)

RTG : Revendications territoriales globales

VTT (ATV) : Véhicule Tout Terrain (All Terrain Vehicle)

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INTRODUCTION

Les dernières décennies ont vu l‘accélération de la reconnaissance des droits

autochtones dans le monde et, parfois, l‘émergence de nouvelles institutions comme le

Nunavut1 au Canada. Le besoin et la volonté de développer une autonomie

gouvernementale sont en grande partie issus du renforcement de la pression extérieure pour

l‘exploitation des ressources régionales. La hausse considérable du prix des matières

premières sur les marchés internationaux en est la cause. L‘Arctique, où bien des sites jugés

peu rentables il y a quelques années deviennent de plus en plus accessibles en raison des

changements climatiques et des nouvelles technologies, est maintenant une cible majeure

pour le développement. Les protagonistes du développement se trouvent cependant

confrontés aux populations autochtones locales qui souhaitent conserver le contrôle sur leur

territoire et ainsi préserver une identité fondée sur un lien étroit avec ce dernier.

Les Autochtones, sans tous être totalement opposés au développement, se

questionnent sur les risques pour leur avenir, conscients des effets pervers possibles, dont

les sables bitumineux du nord de l‘Alberta fournissent un bon exemple. En raison d‘un

manque de dialogue et de compréhension, les conflits ne cessent de croître entre les

pratiques locales d‘exploitation des ressources, issues d‘une tradition de chasseurs-

cueilleurs, et l‘exploitation industrielle. Ceci appelle une réflexion sur la compatibilité entre

les deux formes d‘exploitation lorsqu‘elles se déroulent dans le même espace, mais

également sur la relation que l‘humain entretient avec son environnement. A priori, un

antagonisme s‘impose entre l‘exploitation minière et le maintien de la culture inuit. Les

enjeux environnementaux en sont spécialement la cause, mais aussi le choc entre deux

formes de temporalité et de spatialité. A posteriori, dans le cas ici traité, il est intéressant de

se pencher sur la manière dont les Inuit font face aux changements apportés par la mine et,

surtout, de voir comment elle permet le maintien du lien au territoire.

1 Le Nunavut est devenu en 1999 le troisième territoire au Canada, avec les Territoires-du-Nord-Ouest et le

Yukon, grâce à la Loi sur le Nunavut, fruit de l‘entente sur les revendications territoriales globales entre les

Inuit de la région avec le gouvernement fédéral. Le terme signifie « notre terre » en langue inuit.

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Dans cette recherche, je me suis avant tout intéressée à la relation contemporaine, tant

symbolique que pratique, que les Inuit entretiennent avec leur territoire. Je souhaite mettre

en lumière l‘évolution de ce rapport dans la modernité, suite à une sédentarisation

relativement rapide et récente, et son importance actuelle, en vue de dépasser les idées

souvent passéistes que les gens du sud se font des Autochtones. L‘exploitation minière s‘est

ensuite présentée comme un contexte opportun pour saisir la complexité de ce phénomène

dans un monde en constant changement. Il apparait évident par ailleurs que l‘étude du

rapport au territoire est souhaitable afin de mieux évaluer, comprendre et gérer les conflits

d‘intérêts concernant le développement dans le Nord. J‘ai choisi la communauté inuit de

Qamani‘tuaq (Baker Lake)2 au Nunavut, où l‘exploitation minière est très active, pour

répondre à ces intérêts. Elle se situe à proximité de la seule mine actuellement en opération

au Nunavut – la mine d‘or de Meadowbank, qui a débuté sa production en mars 2010 – et

est encore très peu étudiée par les anthropologues3.

Dans le cadre de mon projet de maîtrise, l‘attention est portée sur les impacts de la

mine sur le rapport au territoire. Le but n‘est pas de trancher sur la valeur positive ou

négative de la mine pour la communauté, encore moins pour ce qui concerne l‘industrie

minière en général, estimant que les limites de ma recherche ne me le permettent pas, mais

surtout que cette tâche revient à la communauté. L‘objectif est plutôt de rendre compte de

l‘expérience particulière que les Inuit de la communauté ont du contexte minier, en

continuité avec leur propre façon de vivre dans leur espace. Je crois cette approche du

micro-vécu, de l‘échelle locale, particulièrement pertinente puisqu‘elle est souvent négligée

en rapport à l‘exploitation minière. La littérature sur la question porte souvent davantage

sur les enjeux socioéconomiques, dont ceux liés à l‘emploi, ou alors sur les questions

politiques à plus grande échelle. L‘étude des expériences quotidiennes diverses des Inuit

sur le territoire permet de révéler ce qui n‘est pas prévisible ou perceptible à partir d‘un

point de vue extérieur, et ainsi mieux saisir les positions des locaux.

2 Dans ce travail, j‘utiliserai le nom inuit de la communauté, sauf au chapitre deux, lorsqu‘il sera question du

poste de traite à une époque où les familles inuit n‘y étaient pas encore installées. 3 Deux études récentes ont toutefois été entreprises concernant les impacts de l‘exploitation minière sur la

communauté ; l‘une s‘inscrit dans un programme d‘études autochtones à l‘Université de Manitoba (Bernauer

2011b), et l‘autre au département de géographique à l‘Université de Guelph (Peterson 2012).

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3

L‘œuvre du philosophe Michel de Certeau m‘a beaucoup inspirée dans cette

approche. Dans L’invention du quotidien (1990), il propose un retour à l‘étude des

pratiques quotidiennes des gens ordinaires, autrement dit à la culture populaire. Il oppose ce

champ d‘étude à celui des pratiques stratégiques des experts, que nous retrouvons chez

Foucault notamment dans Surveiller et punir. Naissance de la prison (1975). Selon de

Certeau, la stratégie et la tactique reposent chacune sur une logique d‘action distincte. Alors

que les stratégies sont le fruit de calculs logiques et d‘abstractions, les tactiques sont

fondées sur l‘occasion, indépendantes des circonstances, et font appel à la créativité, à l‘art

de penser, de faire et de dire. Les stratégies sont l‘outil de contrôle et de pouvoir ; les

tactiques, ou les pratiques de détournement, constituent la culture marginale et silencieuse

de la majorité qui lui permet de s‘approprier et d‘actualiser à son avantage les structures et

les systèmes – tant idéologiques que matériels – imposés. Ces deux formes d‘action

impliquent une représentation et un investissement différents du temps et de l‘espace, et

c‘est sur ce point que l‘approche de Certeau rejoint celle de l‘anthropologie dite

ontologique, comme nous le verrons.

Le chapitre un expose le contexte historique et culturel de l‘exploitation minière à

Qamani‘tuaq, retraçant le processus de sédentarisation et l‘expansion du secteur minier à

travers des changements politiques nationaux, dans le but de comprendre l‘évolution du

rapport au territoire chez les Inuit. Le chapitre deux présente le cadre théorique adopté pour

analyser cette problématique. La notion de territoire est centrale à ma recherche et sera

abordée à l‘aide d‘un ensemble de courants anthropologiques et géographiques qui se sont

succédé et complétés dans le temps ; nous verrons des approches en écologie humaine, en

géographie culturelle et en anthropologie de la nature. Partant d‘une vision plutôt

matérialiste, le territoire est ensuite abordé de façon plus holiste, en fonction de son

contexte social et historique, comme support spatial de l‘identité d‘un groupe humain, puis

compris à partir d‘une expérience et d‘une conception particulière du monde, tous deux

indissociables.

La considération des diverses cosmologies, ou ontologies – dans le cas présent

l‘animisme, ou l‘ontologie relationnelle – coexistant dans la modernité et dans la globalité,

passe par la déconstruction de la conception occidentale du monde fondée sur une

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opposition entre la « nature » et la « culture ». La stratégie de recherche, présentée au

chapitre trois, consiste en une étude de cas dont le but est de saisir un phénomène dans son

contexte particulier à l‘aide d‘une théorisation ancrée et d‘un terrain ethnographique de

deux mois dans la communauté de Qamani‘tuaq, au Nunavut. Pour saisir le quotidien des

gens, je me suis inspirée de la participation radicale, technique élaborée notamment par

Goulet (1998 ; 2007).

Ensuite, les chapitres quatre à six portent sur le cœur de mon projet, révélant les

données recueillies en fonction de ma conceptualisation du rapport au territoire. Les usages

et les représentations contemporaines du territoire, en dehors d‘une interaction directe avec

la mine, sont présentés dans le premier de ces trois chapitres. Il est question de l‘économie

mixte, de la fréquentation et de l‘occupation des lieux et des sentiers selon une variation

saisonnière, ensuite de partage et de régulation en lien avec le territoire et enfin des savoirs

sur l‘espace et le monde non humain. L‘importance de la région touchée par les activités

minières du projet Meadowbank, tant à l‘égard de la récolte qu‘à l‘égard de l‘identité, est

spécialement démontrée. Ensuite, j‘expose au chapitre cinq un survol des différents impacts

de la mine, perceptibles après un an de production seulement, concernant la vie

socioéconomique, l‘accès et l‘usage du territoire et l‘environnement. Le chapitre six tente

de révéler une perspective spécifiquement inuit sur la nouvelle situation, en fonction de

leurs expériences premières, de leur histoire et de leurs intérêts propres. En mettant l‘accent

sur la vie sur le territoire et son interaction avec l‘industrie minière, il expose la capacité

des Inuit à tirer profit d‘une conciliation entre le travail et la chasse tout comme d‘une

nouvelle route pour les déplacements. Comme les Inuit ne sont pas seuls sur le territoire à

réagir au contexte minier, leurs interactions et leurs connaissances concernant les caribous

et les non-humains conditionnent également leurs perspectives sur la mine.

En conclusion, je propose un retour sur la notion de territoire et sur l‘ontologie

relationnelle afin de comprendre l‘expérience inuit de la mine à partir de leur conception du

temps, indissociable d‘une conception de l‘espace et des non-humains. Cela permet de

mettre en lumière le caractère opportuniste des Inuit face à la nouvelle situation. Bien que

l‘expérience de la mine semble pour l‘instant en général positive – le contexte économique

et politique du Nunavut y est sans doute pour quelque chose –, il est primordial de rappeler

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la diversité des opinions et des expériences et la portée limitée de cette recherche ancrée

dans une échelle à très court terme. Des pistes de recherche, qui me semblent primordiales

pour améliorer l‘expérience minière des Inuit et réfléchir sur l‘avenir, sont ensuite

proposées. Elles portent principalement sur l‘éducation et sur le développement d‘une

meilleure communication.

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CONTEXTE HISTORIQUE ET CULTUREL

Qamani’tuaq, une communauté de choix

Pour étudier la relation que les Inuit entretiennent avec leur territoire dans le contexte

contemporain, j‘ai choisi la communauté de Qamani‘tuaq (« là où la rivière s‘élargit ») au

Nunavut, qui offre les conditions idéales pour saisir la complexité de ce phénomène.

D‘abord, nous trouvons à proximité la seule mine actuellement opérationnelle au Nunavut,

la seconde depuis la création du territoire, après la mine de diamant Jericho sur l‘île de

Baffin : la mine aurifère de Meadowbank (voir ci-dessous). Située à soixante-dix

kilomètres au nord de la communauté, elle a débuté sa production en mars 2010 pour une

durée de vie anticipée de dix ans.

Source : Agnico-Eagles Mines Limited 2012

Étant donné le riche potentiel minier – surtout uranifère – de la région, il y a un

nombre impressionnant de projets d‘exploration en cours, ce qui permet de prévoir

l‘ouverture imminente d‘autres mines (MAINC et al. 2010 : 9 ; Nunavut News/North 2012 ;

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annexe A). À Qamani‘tuaq, seule communauté de l‘Arctique canadien située à l‘intérieur

des terres, la question de l‘exploitation minière est intimement liée à celles de la santé et de

l‘accessibilité aux caribous de la région, ressource à la fois vulnérable et cruciale pour les

Inuit. En effet, les Qamani’tuarmiut (« les habitants de Qamani‘tuaq ») sont en majorité

issus de sociétés traditionnellement adaptées à la vie continentale et dont le mode de

subsistance est centré sur le caribou. Dans les années soixante-dix et quatre-vingt, les

études de biologistes concernant les hardes de Beverly et de Qamanirjuaq ont fourni des

sources d‘inquiétudes quant à leur état de santé. C‘est alors que fut créé le Beverly and

Qamanirjuaq Caribou Management Board (BQCMB), un comité de cogestion auquel

participent des représentants de divers gouvernements et de plusieurs associations

autochtones. Si à l‘époque la situation des hardes s‘est avérée moins critique que pressentie,

aujourd‘hui l‘augmentation des activités de développement sur leurs aires de mise à bas et

de post mise à bas nourrit les craintes des biologistes et des gestionnaires. Bien que ceux-ci

souhaitent que des mesures plus efficaces de protection soient mises en place, notamment

par l‘établissement d‘aires protégées, le comité en question ne jouit d‘aucun pouvoir

décisionnel (BQCMB avril 2005 ; mars 2011 ; Wakelyn 1999a ; 1999b ; Spak 2005) 4

. Si

l‘activité minière présente le risque d‘affecter les hardes et leurs comportements, elle

menace en conséquence la viabilité future de la chasse inuit, élément central de leur identité

et de leur bien-être.

La diversité des origines territoriales et familiales, due au processus même de

relocalisation et de sédentarisation des Inuit, incarne une particularité importante de

Qamani‘tuaq qui contribue à complexifier les questions d‘usage et d‘appartenance au

territoire. Par ailleurs, très peu de recherches socioculturelles ont été menées dans ce village

comparativement à d‘autres, comme Igloolik et Clyde River, ce qui en fait d‘autant plus un

lieu d‘étude intéressant et pertinent. Pour analyser la relation contemporaine des

Qamani’tuarmiut avec leur territoire, il est nécessaire de connaître le contexte général dans

lequel s‘inscrit ce rapport. J‘aborderai d‘abord dans ce chapitre le mode de vie des Inuit

avant leur sédentarisation, puis l‘histoire des interactions avec les Qablunaat (terme inuit

pour parler des Occidentaux, ou des Blancs) ainsi que les transformations induites par

4 Pour plus d‘information, voir aussi le site web du BQCMB, Kulchyski et Tester (2007), Rodon (2003 : 249-

261) et Usher (1991 ; 2004).

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celles-ci sur la vie des Inuit, et enfin l‘évolution du contexte minier canadien et de la

situation politique et économique du Nunavut.

Les Inuit de Qamani’tuaq

Éléments géographiques

Qamani‘tuaq est l‘une des vingt-cinq municipalités5 appartenant au territoire du

Nunavut créé en 1999 au Canada. En 2011, elle comptait 1 872 habitants, dont 91 % sont

inuit (Baker Lake 2011 ; Statistique Canada 2011). Le Nunavut étant divisé en trois

régions, la communauté en question se situe dans le Kivalliq (anciennement Keewatin).

Localisée à 320 kilomètres à l‘ouest de la Baie d‘Hudson, entre le soixantième et le

soixante-cinquième parallèle, elle connaît un climat arctique et une végétation de type

toundra, d‘où l‘appellation de Barren Grounds (« terres infertiles/arides ») pour désigner la

région. La géographie des Barren Grounds est marquée par trois grandes rivières, Thelon,

Kazan et Dubawnt, qui se jettent dans le lac Baker. Ce lac communique lui-même avec la

mer par le chenal de Chesterfield (voir l‘annexe B). Étant d‘une grande valeur culturelle et

écologique, les rivières Thelon et Kazan sont aujourd‘hui reconnues comme faisant partie

du patrimoine canadien6. Les animaux, à l‘image des sociétés inuit traditionnelles, vivent

de façon très dispersée sur ce territoire. Nous pouvons en outre y rencontrer des bœufs

musqués, des grizzlys – l‘ours polaire ne s‘aventure que très rarement aussi loin dans les

terres –, des renards arctiques, des carcajous et des loups. En plus de présenter un cycle

pluridécennal inconnu, les deux hardes de caribous montrent une variation saisonnière

imprévisible. De façon générale, elles passent l‘hiver plus au sud en forêt, montent vers le

nord au printemps en grands regroupements, se dispersent durant l‘été, puis se regroupent à

nouveau pour redescendre au sud à l‘automne (Burch 2004 ; Csonka 1995 : 43-

60 ; Government of Nunavut, Journey of the Caribou).

5 Le terme officiel est « hameau constitué » (Ressources naturelles Canada 2011). Ceci étant, la notion de

municipalité apparaît plus juste. 6 On trouve la Réserve faunique de Thelon sur la première et le Site national historique de la traverse

d’automne des caribous sur la deuxième (Buggey 2004 : 36 ; Parcs Nunavut)

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10

Premières rencontres avec les Nunamiut7

Depuis le XIIIe siècle avec les Thuléens et jusqu‘à l‘arrivée des premiers Occidentaux

au XVIIIe siècle, l‘histoire de la population du Kivalliq est intimement liée à celle du

caribou envers lequel la grande dépendance engendre une alternance imprévisible entre des

périodes de famine et des périodes d‘abondance (Csonka 1995 : 65-82 ; 2003 ; Fletcher

2004 ; Fossett 2001). C‘est entre 1921 et 1924 que les premières données ethnographiques

concernant les Inuit continentaux sont recueillies par les Danois Knud Rasmussen et Kaj

Birket-Smith lors de la Cinquième Expédition de Thulé (Birket-Smith 1929 ; Rasmussen

1927 ; 1930). À cette époque, Baker Lake est déjà un poste de traite important, mais ces

Inuit participent que de façon mineure au commerce des fourrures qui leur permet d‘avoir

accès à certains biens et produits occidentaux tels que la farine, les fusils et le thé (Damas

2002 ; Csonka 1995 : 99-106 ; Freeman 1976 : 83 ; Nasby 2002 : 12 ; Williamson 1974).

Les deux explorateurs attribuent le nom « Inuit du Caribou » aux sociétés vivant à

l‘intérieur des terres et perçues comme étant les plus primitives de toutes les sociétés inuit.

Elles sont nommées ainsi en raison de l‘importance des lieux de traverse de caribous, situés

sur les rivières et les lacs, comme pôles d‘attraction de la population (Burch 2004 : 74, 76;

Csonka 1995 : 107-122, 147-159; Nasby 2002 : 5, 12; Rasmussen 1927 : 87)8.

Alors qu‘ils sortent tout juste d‘une période de famine, ces Inuit sont dénombrés à

500 individus pour un territoire d‘environ 185 000 km2

(Birket-Smith 1929 : 66,

69 ; Williamson 1974 : 87). Ils sont divisés en sous-groupes familiaux – partageant tous un

même héritage culturel – qui tirent leur appellation de traits topographiques des lieux qu‘ils

occupent, auquel est ajouté l‘infixe -miut (« habitant de ») (Bennett et Rowley 2004 : 121 ;

Vallee 1967 : 24) 9

. Le nombre exact de groupes vivant dans le Kivalliq varie selon les

auteurs (voir la carte de Bennett et Rowley en exemple à l‘annexe C)10

. Chez les Inuit

vivant actuellement à Qamani‘tuaq, sept sous-groupes sont représentés de façon

7 Le terme qui signifie littéralement « les habitants de la terre », est utilisé par Mannik (1990) pour désigner

les Inuit dont la vie était traditionnellement tournée vers l‘intérieur des terres. 8 Bien que cette nomination ait ensuite été adoptée par les chercheurs, il n‘existe en fait chez ces Inuit aucune

désignation qui les distingue de ceux fréquentant le milieu côtier (Vallee 1967 : 21). 9 Vallee (1967: 21) définit un groupe –miut comme un ensemble de bandes partageant un territoire défini et

considéré comme leur homeland, un dialecte et d‘autres traits culturels. Il n‘existe pas de frontières claires

entre les groupes, qui sont ni endogames ni exogames et qui ne constituent pas des superstructures politiques. 10

Voir Bennett et Rowley (2004 : 340), Birket-Smith (1929 : 59), Keith (2004 : 41), Vallee (1967 : 24) et

Williamson (1974 : 17-20).

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11

majoritaire : les Harvaqtuurmiut et les Hauniqtuurmiut viennent du sud, les

Hanningajulingmiut, les Qairnirmiut, les Utkuhiksalingmiut, du nord de Baker Lake mais

du sud de la rivière Back, les Killinirmiut et les Iluilirmiut viennent du nord de la rivière

Back (McGrath 23-25 août 1999 : 7-8). À l‘époque de la Cinquième Expédition de Thulé,

ces familles sont dispersées sur le territoire et certaines côtoient fréquemment les zones

côtières. Avec le temps, d‘abord à travers le commerce des fourrures, les contacts avec les

Qablunaat deviendront plus importants et les différences intergroupes s‘atténueront (Vallee

1967 : 22-25)11

.

La vie des Nunamiut avant la sédentarisation

L‘organisation sociale traditionnelle des Inuit démontre une grande flexibilité et est

fondée sur la parenté. La famille étendue patrilocale constitue l‘unité socioéconomique de

base (Bennett et Rowley 2004 : 127 ; Burch 2004 ; Vallee 1967 : 63, 69, 172).

Habituellement, de deux à trois familles nucléaires12

– rarement plus, pour éviter d‘exercer

trop de pression sur l‘environnement – appartenant à la même famille étendue se retrouvent

sur un même campement (Kappianaq et Nutaraq 2001; Vallee 1967 : 59 ; Williamson

1974 : 30, 41-42). Une famille nucléaire se déplace de façon autonome entre les

campements, ce qui facilite la recherche de nourriture et donc sa survie (Kappianaq et

Nutaraq 2001). Selon Vallee (1967 : 21, 59), elle n‘est pas attachée à des lieux particuliers,

mais plutôt à une région, un homeland, à l‘intérieur de laquelle elle circule amplement et

utilise régulièrement de deux à trois sites. L‘appropriation de ce homeland passe par la

présence constante et attendue de la part des autres familles qui tendent en conséquence à

l‘éviter, et non par l‘acquisition d‘un droit exclusif d‘usage.

Les Inuit continentaux vivent principalement du caribou tout au long de l‘année et le

poisson sert de nourriture d‘appoint13

. Le caribou comble aussi leur besoin en matériel

servant en outre à la fabrication de vêtements et d‘outils et à la construction de tentes, de

11

Selon Vallee (1967: 24), vers la fin des années cinquante, une fois les Inuit établis, l‘affiliation religieuse

est devenue plus importante que l‘origine culturelle (–miut) pour distinguer les familles inuit entre elles. 12

Vallee (1967 : 17, 60) les nomme « maisonnées » et mentionne qu‘elles sont composées chacune de trois à

quatre personnes. 13

Ils mangent également lorsque disponibles des oiseux, tel que le lagopède, des œufs et des baies.

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kayaks et de traineaux à chiens (Vallée 1967 : 36). Le cycle annuel de leurs activités suit

celui des caribous et les saisons constituent leur référence temporelle première. En effet,

avant l‘introduction de nouvelles catégories du temps par les missionnaires, par l‘usage des

calendriers et des montres, les Inuit ne disposaient pas de système métrique abstrait. Semi-

nomades, les familles sont mobiles et dispersées l‘été et occupent un campement plus

permanent l‘hiver, habituellement à proximité des lieux de traverse des caribous (Damas

2002 ; Williamson 1974 : 41). Les produits de la récolte sont la propriété de la famille

nucléaire, mais sont partagés automatiquement avec les autres membres du campement qui

en ont besoin (Vallee 1967 : 72). Le partage de la viande et des équipements est

grandement institutionnalisé au sein de la famille étendue, mais est aussi très valorisé au-

delà de ses frontières, considérant que la difficulté de la survie dans la toundra rend les

familles interdépendantes les unes des autres14

.

Le rôle, non hérité, de leader dans les campements est habituellement joué par un ou

une aîné(e) dont l‘intelligence et les habilités de communication orale et de chasseurs (ses)

sont reconnues par les membres du camp. Le leader exerce son leadership à l‘intérieur du

camp par le consensus plutôt que par la coercition (Williamson 1974 : 42). Chaque

campement compte également au moins un chaman (angakkuq) qui joue le rôle de

médiateur entre les humains et le monde surnaturel (sila15

). Il jouit de dons de guérison et

de divination et du pouvoir de se métamorphoser en animal. Des esprits auxiliaires appelés

tuurngait, qui constituent une catégorie qui en regroupe d‘autres telle que les ijirait

l‘accompagnent dans ses diverses tâches (Laugrand et Oosten 2010 : 109 ; Williamson

1974 : 26 ; voir aussi Balikci 1963). Ceux-ci vivent dans la toundra et peuvent prendre

différentes formes (Burch 1971 ; Saladin d‘Anglure 1992), mais ne sont visibles sous leur

forme humaine que par les chamans (Rasmussen 1976). Pour certains Inuit, un ijiraq

(singulier d‘ijirait) est le tarniq (traduit par les missionnaires par « âme ») d‘une personne

décédée qui se transforme en caribou (Kappianaq et Nutaraq 2001 : 71; Laugrand et Oosten

2010 : 175). Selon les aînés, ces esprits possèdent de nombreux pouvoirs, comme celui

14

Concernant le cycle annuel des Inuit du Kivalliq, voir Bennett et Rowley (2004), Birket-Smith (1929),

Burch (2004), Csonka (1995), Freeman (1976 : 92-93), Friesen et Stewart (2004) Keith (2004) et Rasmussen

(1927). 15

Le terme sila se rapporte à la fois à l‘univers, à la température et au sens commun (intelligence, sagesse).

Chaque être humain porte en lui son essence (Ouellette 2000 : 88 ; Vallee 1967 : 170 ; Williamson 1974 : 22).

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d‘effacer le souvenir d‘une rencontre, de prendre l‘apparence d‘une personne connue et de

transformer un animal piégé (Ouellette 2000 ; Saladin d‘Anglure et Morin 1998 : 66 ;

Saladin d‘Anglure 1983). Par crainte des ijirait, les Inuit évitent généralement de se

retrouver seuls dans la toundra, d‘avoir des pensées négatives à leur intention, et même de

parler d‘eux (Ouellette 2000 : 113-114).

Les Inuit entretiennent également des rapports divers et complexes avec les animaux,

qui peuvent eux aussi prendre à l‘occasion une forme humaine (Laugrand et Oosten 2010 :

109). Tout comme les humains, les animaux ont un tarniq qui fait d‘eux des personnes

conscientes et douées de volition (Randa 2003 : 112) envers lesquelles ils doivent le

respect16

. Ce respect s‘exprime par un ensemble de principes, de coutumes et de règles –

concernant notamment l‘évitement de tout gaspillage – en rapport aux interactions avec les

animaux, souvent dans le cadre des activités de chasse (Birket-Smith 1929 : 95 ; Laugrand

et Oosten 2010 : 103-120 ; Piryuaq 1986)17

. Pour Laugrand et Oosten (2010 : 131, 120,

197), l‘observation des maligait (nom inuit pour ces règles), permet de maintenir l‘ordre

sociocosmique, en d‘autres termes le cycle de la naissance et de la mort. En fait, lorsque la

chasse est réalisée de façon responsable et respectueuse, l‘animal bienveillant accepte de

s‘offrir au chasseur, dans une logique de don. Son tarniq se réincarne ensuite dans un autre

animal de la même espèce pour aller se donner à nouveau au même chasseur ou à ses

descendants. L‘animal agit ainsi parce qu‘il est conscient des pensées et des actions des

humains (ibid. : 117 ; 194). La chasse est ainsi ce qui maintient en vie les proies, puisque si

elles ne sont pas chassées, elles disparaissent (ibid. : 120)18

. Il existe de ce fait une

connexion étroite entre les animaux, le comportement humain, nuna (la terre), et sila

(l‘environnement). Ces éléments fondent un ordre moral à l‘intérieur duquel les actions

sont mutuellement rendues : « the land is shaped by the thoughts of people, and when the

land is good to you, you have to reciprocate with a gift » (ibid. : 134). Aujourd‘hui, les

16

Selon Laugrand et Oosten (2010 : 194), les animaux ne sont cependant pas des êtres sociaux comme les

humains puisqu‘ils ne sont pas soumis aux mêmes règles, ils demeurent des proies anonymes et les humains

ne peuvent nouer d‘alliances durables avec eux. 17

Selon Vallee (1967 : 170), les « tabous » ont une valeur utilitaire puisqu‘ils permettent de faciliter la survie

grâce à la conservation des ressources et la réduction des maladies. Voir aussi Birket-Smith (1929 : 95)

concernant certaines règles à suivre à l‘égard des esprits. 18

Voir aussi Randa (2003) sur la responsabilité envers l‘animal chez les Inuit.

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14

problèmes sociaux de la vie moderne sont souvent attribués au manque de regard envers la

terre, les animaux et les règles sociales (ibid. : 386).

Histoire des relations avec les Euro-Canadiens

Les Inuit ont connu de nombreux changements depuis leurs premiers contacts avec

les Euro-Canadiens ; mentionnons la sédentarisation, la mécanisation et la monétarisation.

Ces changements auraient pu mener à la disparition progressive de leur mode de vie, fondé

essentiellement sur les activités de récolte, et du mode de pensée qui l‘accompagne.

Pourtant, aujourd‘hui, force est de constater que la plupart des communautés nordiques

vivent toujours en grande partie des produits de la chasse et de la pêche qui continuent

d‘être des composantes fondamentales de leur identité. Nous allons maintenant passer en

revue l‘histoire de l‘introduction des Qablunaat dans la vie des Inuit.

Commerce des fourrures

Dans cette région de l‘Arctique, avant le XXe siècle, les contacts avec les

Occidentaux demeurent indirects et affectent peu les Inuit (Birket-Smith 1929 ; Burch

2004 ; Csonka 1995 ; 2003). Cependant, ces derniers intègrent de nouvelles technologies,

principalement le fusil et le bateau, qui ont pour résultat de réduire l‘interdépendance des

chasseurs entre eux et d‘augmenter la productivité des activités de récolte (Rasmussen

1927 ; Vallée 1967 : 35). Au cours du XIXe siècle, l‘usage de ces technologies, la

participation à l‘économie de traite et l‘abondance périodique des ressources terrestres

(caribou et bœuf musqué principalement) rendent possible pendant une courte période un

mode de vie relativement stable (Damas 1988; 2002 : 188-189 ; Friesen et Stewart 2004).

Ce sont ces facteurs qui favorisent l‘installation définitive de certains groupes à l‘intérieur

des terres, ceux rencontrés par les explorateurs danois de 1921 à 1924. L‘adaptation

continentale est également occasionée par la croissance démographique, le manque de

ressources côtières, l‘adoption de la maison de neige et le fait que le Kivalliq est laissé

vacant par le départ des groupes d‘Amérindiens. Selon plusieurs auteurs, c‘est à ce moment

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15

que le scindement en groupes socio-territoriaux distincts s‘effectue (Birket-Smith 1929 :

59 ; Burch 2004 ; Csonka 1992 ; 1995: 133-154 ; Keith 2004).

Au début du XXe siècle, alors que les contacts avec les Qablunaat deviennent plus

systématiques, la période d‘abondance fait place à une série d‘épidémies et de famines qui

provoquent des mouvements de population, un effondrement démographique et des

modifications culturelles (Burch 2004 ; Csonka 1992 : 155-164 ; 1995 ; 2003 ; Kulchyski

et Tester 1994). En même temps, le commerce des fourrures s‘intensifie avec l‘ouverture de

plusieurs postes dans la région du Kivalliq, dont le premier au lac Baker en 1914 (Birket-

Smith 1929 : 32). La dépendance des Inuit envers la traite et les biens importés s‘accentue

et suscite un début de centralisation autour des postes (Burch 2004 ; Csonka 1995 ; Damas

1988 ; 2002 ; Freeman 1976 ; Friesen et Stewart 2004 ; Williamson 1974). Grâce aux

revenus générés par la trappe, les familles nucléaires deviennent plus indépendantes les

unes des autres (Vallée 1967 : 72-75). Durant cette période, les agents fédéraux et les

commerçants de la Compagnie de la Baie d‘Hudson (HBC) interviennent de façon à

encourager – ou à contraindre (Silas Aitauq – Bernauer 2011a)19

– les Inuit à conserver un

mode de vie axé sur le territoire. Pour les soutenir, la Gendarmerie royale du Canada

(Royal Canadian Mounted Police, RCMP) distribue des vives aux campements en besoin

(Damas 2002 ; Burch 2004 ; Freeman 1976 : 83 ; Kulchyski et Tester 1994). Elle a souvent

recourt à des employés inuit tel que Norman Attungalaaq, participant à la recherche et aîné

de la communauté parmi les premiers Inuit à s‘être sédentarisés20

.

Conversion et appartenances religieuses

Alors que le christianisme est introduit chez les Inuit de l‘Arctique canadien dès les

premiers contacts avec les baleiniers, l‘évangélisation plus systématique par les

missionnaires ne débute que vers la seconde moitié du XIXe siècle (Laugrand 1998 ; Vallée

1967 : 177). À Baker Lake, la mission anglicane est construite en 1926, suivie de la mission

19

Selon Vallee (1967 : 45-48), à Baker Lake, les agents gouvernementaux éprouvent à un certain moment de

la difficulté à décourager les Inuit de rester au poste, et ce malgré les arguments d‘ordre économique (il n‘y a

qu‘un nombre très limité d‘emplois disponibles dans l‘établissement). 20

L‘opération militaire Musk-ox en 1945 et l‘ouverture de la station météorologique l‘année suivante ont

également procuré les premiers emplois aux Inuit (Williamson 1974 : 87).

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16

catholique en 1927 (Vallee 1967 : 177 ; Williamson 1974 : 87). À l‘instar du commerce et à

l‘encontre de la volonté du gouvernement de garder les Inuit dispersés sur le territoire, les

missions contribuent à modifier les patterns d‘établissement par une centralisation

temporaire autour des postes à l‘occasion des fêtes religieuses (Damas 2002 : 25 ;

Kulchyski et Tester 1994 : 242-248). Selon Laugrand (1997), la rencontre entre les

angakkuit (chamans) d‘un côté et les missionnaires anglicans et catholiques de l‘autre

s‘opère sur un mode d‘ouverture et d‘échange, et surtout selon une logique chamanique.

Les angakkuit, qui sont souvent les premiers Inuit convertis, se sont volontairement tournés

vers la chrétienté dans le but de s‘allier à de nouveaux esprits – autrement dit Dieu et les

saints – qu‘ils jugeaient plus puissants que les tuurngait, afin de consolider leur autorité21

.

Quittant les angakkuit, les tuurngait s‘éloignent alors, devenant tantôt inaccessibles, tantôt

des entités errantes dans la toundra. Pour certains, ces esprits sont aujourd‘hui moins

menaçants, ne commettant plus de meurtre ni d‘enlèvement, mais s‘en tenant à des vols

d‘objets divers dans les camps (Ouellette 2000 : 111). Pour d‘autres, ils incarnent des

figures démoniaques (voir, par exemple, les œuvres artistiques de Jessie Oonark à

Qamani‘tuaq). Bien qu‘il n‘existe officiellement plus de angakkuit désormais, les tuurngait

vivent toujours sur le territoire et entrent à l‘occasion en contact avec les Inuit y séjournant

(Ouellette 2000).

En 1958, presque tous les Inuit de la région de Qamani‘tuaq sont convertis, soit à

l‘Église anglicane, pour la majorité, soit à l‘Église catholique romaine (Vallee 1967 : 179).

Sous l‘œil sévère des missionnaires, ils remplacent leurs pratiques chamaniques par des

pratiques chrétiennes, mais conservent leur croyance envers le chamanisme (Laugrand et

Oosten 2010 : 378). Graduellement, dans tout l‘Arctique, l‘émergence et le renforcement

d‘appartenances religieuses d‘origines chrétiennes modifient le paysage spirituel des

communautés sans effectuer une rupture totale avec le passé (Bennett et Rowley 2004;

21

Laugrand (1999) soulève aussi comme facteurs incitatifs l‘enthousiasme des prosélytes, l‘usage du

syllabique et des textes bibliques et l‘engouement pour les hymnes. Il faut cependant noter la rigidité des

missionnaires vis-à-vis des pratiques chamaniques qu‘ils diabolisaient, condamnaient et jugeaient

incompatibles avec la foi chrétienne, obligeant les Inuit à faire un choix entre les deux traditions (Laugrand et

Oosten 2010 : 378).

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17

Burch 2004; Williamson 1974 : 22-42; Rasmussen 1927)22

. À Qamani‘tuaq aujourd‘hui, ce

sont l‘Église anglicane et celle des Glad Tidings (Église pentecôtiste – Glad Tidings 2013)

qui sont fréquentées avec assiduité23

. Jusqu‘à récemment, une troisième église était très

populaire : la Christian Fellowship of Arctic créée dans les années soixante-dix par Armand

Tagoona, un Inuk originaire de Naujaat anciennement catholique mais qui est venu

s‘installer à Qamani‘tuaq (Vallée 1967 : 184 ; Tagoona 1975). L‘établissement a fermé ses

portes il y a quelques années pour diverses raisons mal connues. Le travail de Tagoona, qui

a transcrit la Bible et une grande quantité d‘hymnes et de prières religieuses en inuktitut, a

permis de réformer les pratiques religieuses au sein des différentes Églises dans l‘Arctique,

mais a surtout rendu possible une appropriation de la religion par les Inuit24

. Actuellement,

la revalorisation générale du savoir traditionnel inuit (Inuit Qaujimajatuqangit) favorise la

préservation et le transfert des connaissances concernant la terre et les non-humains. Même

si le chamanisme est moins présent dans les pratiques, les aînés recommencent à en parler

et demeurent convaincus que les angakkuit existent toujours et que leurs actions continuent

d‘affecter leur vie (Laugrand et Oosten 2010 : 380-381)25

.

Intervention gouvernementale et sédentarisation

En 1953, le gouvernement canadien débute une intervention plus intensive dans le

Nord par la création du Ministère des Affaires Nordiques (Damas 2002 ; Fletcher 2004 :

68; Kulchyski et Tester 1994 : 48-52, 308). Concernant les Inuit du Kivalliq, cette décision

répond à une nouvelle vague de famines qui touche la majorité des campements et décime

une partie notable de la population26

. Le gouvernement entreprend de relocaliser certaines

familles dans des régions moins peuplées afin de garantir l‘autosuffisance et l‘efficacité de

l‘usage des ressources. Ces tentatives s‘avèrent généralement des échecs et des expériences

22

Au Nunavut aujourd‘hui, les Églises pentecôtiste et évangélique démontrent leur capacité à s‘ajuster aux

besoins des Inuit et à mettre de l‘avant leurs similarités avec la logique chamanique (Laugrand et Oosten

2010). 23

Il y a toujours une Église catholique à Qamani‘tuaq, mais il semble que des services n‘y soient offerts que

très rarement comme aucun prêtre de cette Église n‘habite le village. 24

C‘est du moins la conclusion que j‘ai tirée des entrevues menées avec Norman Attungalaaq (79) à ce sujet. 25

Dans le cadre de ma recherche, une aînée a mentionné que l‘état de santé de certains Inuit est toujours

affecté par d‘anciens sortilèges chamaniques. 26

L‘expérience marquante de ces famines est retracée dans différents ouvrages à travers le récit de survivants

aînés (voir entre autres Mannik 1990 ; Nasby 2002 ; Piryuaq 1986 ; Scottie 2010).

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traumatisantes pour les Inuit (Damas 2002 : 90-203)27

. En même temps que le manque de

nourriture oblige les Inuit à accroître leur va-et-vient entre leurs camps et le poste de Baker

Lake – où ils restent pour des périodes de plus en plus longues –, le déclin du commerce

des fourrures provoque une plus forte dépendance envers l‘aide gouvernementale (Csonka

1995 ; Damas 2002 ; Fletcher 2004 : 69 ; Kulchyski et Tester 1994 : 48). Vers la fin des

années cinquante, le gouvernement renverse sa position et entreprend les mesures

nécessaires pour sédentariser tous les Inuit de l‘Arctique. Pour ce faire, il établit des

services sociaux dans différents centres et incite les familles à quitter leur mode de vie

nomade. Il est déterminé que les Inuit vivant dans le district de régistration E-2 – espace

incluant un rayon d‘environ 150 miles au nord, à l‘ouest et au sud de Baker Lake –

s‘établirait à Baker Lake, centre administratif de la région (Vallée 1967 : 1-2). Cependant,

en raison de nombreux facteurs, dont les relocalisations et l‘ouverture de la mine de nickel

à Rankin Inlet, plusieurs individus de la région sont envoyées ailleurs, tout comme des

familles d‘autres districts s‘installent à Baker Lake (Vallee 1967 : 4, 49-55). En 1956, une

infirmerie et un bureau d‘agence des services nordiques fédéraux sont ouverts. L‘année

suivante une école fédérale est bâtie (Williamson 1974 : 87), suivie de logements

gouvernementaux (voir Thompson 1972).

Enfin, dans les années soixante, Ottawa adopte officiellement sa politique d‘État

Providence qui achève la sédentarisation de tous les Inuit du Kivalliq (Damas 2002 : 107-

112). Inspirée par des idées libérales, cette nouvelle politique est en partie motivée par

l‘intérêt nouveau de développer les ressources naturelles du Nord (Damas 2002 : 113;

McPherson 2003). En 1968 à Baker Lake, quatre-vingt nouvelles maisons sont construites

(Damas 2002 : 167-168). Alors que les familles souhaitent prévenir de nouvelles famines

et se rapprocher des écoles où elles sont désormais contraintes de laisser leur enfants, la

disponibilité des logements finit par convaincre les dernières sur le territoire de s‘installer

dans la communauté (Damas 2002 : 87-89 ; Nasby 2002 : 25-26 ; Thompson 1972)28

. Le

retour sporadique des caribous permet alors aux 500 habitants de continuer à fréquenter

leurs camps de chasse et de trappe en été et en automne pour revenir au village à l‘hiver.

27

Il y a entre autres le Keewatin Relocation Project, par lequel soixante-dix Inuit vivant sur la rivière Back

sont relocalisés à Rankin Inlet (Vallee 1967 : 14, 49). Voir aussi Kulchyski et Tester (1994 : 238-239) et

Laugrand et al. (2010) sur les relocalisations. 28

Ces informations ont été confirmées à plusieurs reprises lors de mes entrevues.

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19

Leurs déplacements sont maintenant facilités par l‘usage de la motoneige, alors que

l‘exploitation intensive à proximité de l‘établissement les oblige à parcourir de plus grandes

distances (Damas 2002 : 164-168 ; Freeman 1976).

Au cours de la période de sédentarisation, Vallee (1967 : 5, 135-150), qui effectue

une recherche à Baker Lake en 1959 et 1960, constate qu‘une différenciation identitaire se

crée entre d‘un côté les Inuit dont le mode de vie est toujours tourné vers le territoire, les

Nunamiut (« people of the land »), et de l‘autre ceux établis au poste et travaillant pour les

Qablunaat, les Kabloonamiut (« people of the white man ») 29

. Les premiers, dont font

partie les chasseurs et les trappeurs les plus prospèrent et les plus estimés, sont davantage

tournés vers la tradition. Pour leur part, les seconds sont plus enclins à adapter les modèles

socioculturels des Qablunaat et connaissent un certain prestige en raison de leur habilité à

s‘y adapter. Selon Vallee, cette distinction révèle l‘émergence d‘un système de classes

socioéconomiques. En effet, les chefs de famille identifiés comme Kabloonamiut (14 % des

quatre-vingt-cinq maisonnées du district E-2) ont le monopole sur le petit nombre

d‘emplois permanents disponibles – ce qui transparaît dans la répartition inégale des

possessions de valeur telles que les chiens et les bateaux – et se voient attribués les

fonctions de leader et de représentant dans la vie de la communauté (ibid. : 45-48) 30

.

La relation entre les Kabloonamiut et les Qablunaat – missionnaires, commerçants et

agents fédéraux – s‘inscrit, selon Vallee (ibid. : 124-129), dans une logique de patron-

client. Les derniers, en rapport de supériorité, démontrent une attitude clairement

paternaliste et protectionniste envers leurs employés et leurs familles, n‘hésitant pas à leur

donner des conseils ou à les gronder sur leur comportement. S‘octroyant le rôle de

socialisateur, les Qablunaat souhaitent par cette attitude arriver à développer chez les Inuit

les aptitudes et les habilités qu‘ils jugent conforment à leur propre conception d‘une bonne

personne. Dans cette relation, par l‘expérience qu‘ils ont avec les Qablunaat, qui ont le

monopole sur un nombre important de nouvelles ressources, les Inuit ont l‘impression que

ces derniers sont capables de tout et qu‘ils savent toujours ce qui est le mieux. Pour cette

29

Searles (2010) rapporte l‘usage d‘une telle catégorisation chez les Inuit d‘Igloolik. 30

Les Kabloonamiut maîtrisent mieux l‘anglais que les autres Inuit, ils ont par conséquence le contrôle sur les

relations avec les Qablunaat. (Vallee 1967 : 148).

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20

raison, ils laissent habituellement les Qablunaat décider pour eux, sauf de toute évidence

lorsqu‘il s‘agit d‘activités sur le territoire31

.

Malgré cela, après l‘échec des relocalisations, le gouvernement finit par reconnaître la

nécessité d‘impliquer les Inuit dans les prises de décision qui les concernent, ce qui amène

l‘émergence de conseils d‘établissement inuit32

. Par la suite, la prolifération des projets de

développement industriel devient un aspect déterminant de la mise en place de la

configuration politique et économique des nouvelles communautés du Nord.

Vers une économie mixte

Avec la création de multiples services gouvernementaux et la construction des

logements et des bâtiments gouvernementaux, en s‘établissant à Qamani‘tuaq comme

ailleurs dans l‘Arctique, les Inuit ont accès à un nombre plus grand d‘emplois permanents.

En même temps, l‘usage de la motoneige devient nécessaire pour continuer à chasser à

partir d‘un même centre permanent (Collignon 1993 ; Wenzel 2000)33

. Pour pouvoir se

pourvoir des équipements nécessaires à cette activité qui exige considérablement de temps,

un paradoxe apparaît alors entre le besoin d‘argent et le manque de moments libres que

procure un travail à temps plein (Randa 2003 : 117). En conséquence, le nombre d‘Inuit

conservant la chasse comme occupation principale diminue considérablement au fil des ans,

alors que la population à nourrir est toujours de plus en plus grande (Collignon 1993 :

85 ; Gombay 2005 : 424). Le nombre d‘habitants de Qamani‘tuaq est passé de 386 à 1 728

entre 1961 et 2006 (NPC 2008 : 1).

31

Paine (1971a) définit la relation patron-client comme une réciprocité généralisée dirigée par le patron ; elle

est donc asymétrique mais pas nécessairement inégalitaire. Le patron est celui qui use de ses atouts comme

moyen d‘influence pour établir une relation de dépendance envers lui. Il offre à son client des biens ou des

services autrement inaccessibles pour ce dernier, sans rien n‘attendre de comparable en contrepartie, ce qui lui

permet alors de déterminer les termes de leur relation. Ce qu‘il souhaite surtout obtenir en échange, c‘est la

loyalité de son client et son adhérence à son propre système de valeurs (Paine 1971a ; Freeman 1971 : 34). 32

Pour en savoir plus, voir Damas (2002: 115-129), McPherson (2003 : 31) Kulchyski et Tester (1994 ;

2007 : 205, 238, 307, 351), Vallee (1967 : 205-213). 33

L‘adoption de la motoneige coïncide aussi avec une chute notable du nombre de chiens chez les Inuit. Cette

chute est due à un ensemble complexe de facteurs dont l‘énumération dépasse les objectifs de ce travail. À

Qamani‘tuaq, c‘est vers les années 1970 que les chiens disparaissent (H/60s ; Norman Attungalaaq/79).

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21

Dans la population inuit en général, il y a donc eu une réorientation des activités

quotidiennes du territoire vers le village, accompagnée d‘un nouveau rythme de vie moins

dicté par la variation saisonnière des activités de subsistance que par les horaires de bureau,

de l‘école et des activités communautaires (Stern 2000 : 19). La majorité des familles

continuent néanmoins à voyager sur le territoire et à visiter des camps saisonniers,

principalement en été (Stuckenberger 2006). Chez les jeunes générations, le territoire est

parfois davantage perçu comme un espace de loisir, la chasse comme une activité de fin de

semaine (Stern 2000). Pourtant, les activités de récolte jouent toujours un rôle économique

et social primordial dans les communautés. Pour les plus âgés, elles restent une forme

d‘approvisionnement fondamentale et un moyen de se connecter avec la tradition et avec

leur identité (Collignon 1993 : 86 ; Freeman 2005 ; Nuttall 2005 ; Stern 2000 : 21).

Plusieurs auteurs sont par ailleurs convaincus que l‘économie monétaire et

l‘économie de subsistance traditionnelle ne sont pas en contradiction, mais qu‘elles se

complètent à l‘intérieur d‘une économie mixte34

. Si la coexistence et l‘interdépendance sont

possibles, c‘est parce qu‘elles prennent place au niveau de la maisonnée, et non de

l‘individu. Comme à l‘époque nomade, la maisonnée constitue l‘unité économique

minimale au sein de laquelle les revenus, tout comme les produits de la récolte, sont

partagés (Usher et al. 2003). Les revenus sont de sources multiples, telles que l‘emploi, la

vente de produits du territoire et les prestations gouvernementales. Le partage permet à

chacun des membres d‘apporter sa contribution et de garantir que les moyens financiers et

matériels sont disponibles pour ceux d‘entre eux ayant le temps et les capacités nécessaires

pour aller chasser. Ainsi, dans une maisonnée, il est courant de retrouver au moins un

individu occupant un emploi permanent à temps plein, et un autre consacrant la plupart de

son temps sur le territoire. Robert-Lamblin (1999), qui se base sur la situation des Inuit du

Groenland, croit que la participation des Inuit aux deux formes d‘activités est la meilleure

stratégie dans le contexte contemporain où l‘argent fait partie intégrante du système

socioéconomique.

34

Voir Burch (2004: 92), Collignon (1996), Damas (1988 ; 2002 : 185), Hovelsrud-Broda (2000), Fried

(1964), Fletcher (2004), Inuit Cultural Institute (1978), Nuttall (2005), Wenzel (1995).

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22

Industrie minière et avancées politiques autochtones

Contexte minier canadien

Au Canada, comme dans la majorité des pays occidentaux, c‘est le principe de « free

mining » qui prévaut depuis toujours dans le secteur minier. Lapointe (2010 : 10) le définit

comme « un droit de libre accès à la propriété et à l‘exploitation des ressources d‘un

territoire ». Quiconque peut « acquérir librement, avec peu de contraintes et à faibles coûts,

un droit de propriété sur les ressources minérales d‘un territoire », mais aussi « obtenir des

garanties de pouvoir les explorer et, en cas de découverte, de les exploiter ». Le droit, ou

« claims », acquis simplement par la preuve suffisante de la présence de la ressource, prend

alors saillance sur ceux des propriétaires fonciers et dépossède naturellement les peuples

autochtones des leurs (ibid.: 14-17). Le « free mining » avantage les minières d‘une

autonomie et d‘un rapport de force notable au détriment des gouvernements – limitant

même ses pouvoirs discrétionnaires – et des communautés (ibid. : 14 ; voir aussi Campbell

et Laforce 2010). En plus de prioriser le développement minier sur toute autre forme de

développement, selon Lapointe, ce système vieux de plusieurs siècles est désuet puisqu‘il

ne permet plus « de rencontrer les plus hauts standards internationaux en termes de

protection des droits sociaux et environnementaux » (ibid. : 9). Il a en fait retardé la mise en

place d‘un cadre institutionnel et administratif adéquat pour assurer des mesures de

protection environnementale. À l‘heure actuelle, il n‘y a pas non plus d‘ « obligations

claires sur le plan de l‘information, de la consultation et du consentement des populations »

(ibid. : 10). Cependant, grâces à des avancées politiques à tous les niveaux, les pratiques et

les normes en la matière ont amplement évolué depuis les années soixante-dix.

Dans le Nord canadien, l‘exploration minière débute au XIXe siècle et s‘intensifie au

cours de la deuxième moitié du XXe siècle à travers la politique fédérale « A Territorial

Road Policy for the Future » (McAllister 1982 ; voir aussi McPherson 2003 : 45-50). C‘est

à cette époque que la mine de North Rankin Nickel entre en production pour une durée de

cinq ans, de 1957 à 196235

. Dans les années soixante-dix, l‘industrie minière éprouve des

35

C‘est la première mine au Canada qui emploie en nombre majoritaire des Inuit, soit 70 % des travailleurs

(Bell 12-04-11). Ils sont recrutés partout dans le Kivalliq, dont à Qamani‘tuaq (Silas Aitauq/78 ; McPherson

2003 : 7-9). Le souvenir des famines les motive à accepter un emploi comme mode de vie permanent

(Williamson 1974 : 117). Cependant, à la fermeture de la mine, la majorité se retrouve sans emploi, dépendant

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23

difficultés majeures à recruter et à retenir la main-d‘œuvre en plus d‘encaisser une

augmentation des coûts relatifs aux mesures de protection de l‘environnement. Avec

l‘appui de politiques provinciales dans certains cas, des compagnies adoptent alors un

nouveau modèle d‘établissement minier plus rentable et plus attrayant pour les travailleurs

que celui des villes minières36

(Gagnon 1988 ; O‘Faircheallaigh 1995 : 206-207). Gagnon

(1988 : 154) définit ce système en question - nommé système fly-in fly-out, rotationnel, ou à

migration pendulaire – comme « un type de déplacements reliés au travail qui […]

impliquent un mouvement organisé de va-et-vient entre un lieu de résidence et un lieu de

travail, et cela sur des distances généralement assez longues […] par transport collectif,

selon des périodes de rotation qui peuvent varier d‘une mine à une autre ». Ce nouveau

système fournit la possibilité d‘intégrer à la force de travail les habitants permanents des

régions rurales isolées, c‘est-à-dire les Autochtones, susceptibles de constituer une main-

d‘œuvre stable et productive, considérant qu‘ils ont habituellement que très peu

d‘opportunités d‘emplois. Pour les développeurs, l‘intégration des Autochtones a par

ailleurs pour avantage de légitimer les projets miniers au regard des communautés et des

gouvernements (Gagnon 1988 : 160). Pour les Autochtones, le système rotationnel permet

la conciliation entre le besoin d‘un revenu stable et le désir de maintenir les activités

traditionnelles, ce qui rend l‘emploi de type industriel plus acceptable et accessible pour

eux (Gagnon 1988 : 162-165 ; O‘Faircheallaigh 1995 : 206).

Au-delà des emplois, puisqu‘elles vivent souvent à proximité des activités minières,

les populations autochtones expérimentent et subissent plus directement les différentes

transformations environnementales et sociales induites par celles-ci. Dans les années

soixante-dix, pendant cette période de développement précipité, des Autochtones de partout

au Canada se mobilisent politiquement et pressent ainsi une réforme des politiques

fédérales en matière de droits autochtones – la politique sur les revendications territoriales

de l‘aide sociale et devant assumer de multiples répercussions socioculturelles (Christensen 1998 ; McPherson

2003 : 5-16). 36

Parmi les désavantages de la ville minière, construite en contexte d‘isolement, se trouvent la nécessité de

déménager la famille de chaque travailleur et, une fois sur place, le manque d‘emplois disponibles pour les

femmes et de divertissements (O‘Faircheallaigh 1995 : 207).

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24

globales (RTG) voit le jour –, d‘environnement et de développement industriel37

. Les

discussions et les politiques internationales suivent dans le même sens, menant notamment

en 2007 à la Déclaration sur les droits des peuples autochtones de l‘ONU. Le principe de

consentement libre, préalable et informé38

est issu de cette déclaration et fournit désormais

une ligne directrice pour les compagnies dans leur rapport avec les communautés

autochtones. La définition et la mise en pratique des concepts de consultation et de

consentement, ainsi que le degré décisionnel qui leur est rattaché, demeurent cependant

problématiques dans la majorité des cas (Lebuis et King-Ruel 2010 : 91). Depuis les années

2000 surtout, des jugements de la Cour Suprême du Canada ont aussi poussé les provinces

à adopter des mesures pour assurer la consultation et l‘accommodement adéquats des

communautés39

. Malgré la quasi absence de mesure législative à ce sujet, les promoteurs

prennent de plus en plus l‘initiative de s‘entendre avec les communautés afin d‘éviter

l‘incertitude politique et économique. Ils reconnaissent en effet l‘avantage d‘obtenir l‘appui

de ces dernières pour conférer une légitimité et une acceptabilité sociale à leur projet

(Campbell et Laforce 2010 : 79 ; Lebuis et King-Ruel 2010 : 95).

La consultation avec les communautés pour un projet minier s‘effectue normalement

par la signature d‘une entente sur les répercussions et les avantages – ERA (Lapointe 2010 :

9). Cette entente, souvent gardée confidentielle, est obtenue entre les développeurs du

projet en question et le gouvernement et/ou les organisations autochtones. Elle pose les

conditions sociales, économiques et environnementales pour la réalisation du projet. Au

Canada, les ERA sont dotées d‘un pouvoir légal, mais ne sont obligatoires par la loi que

dans les régions où des accords sur les RTG ont été signés, comme au Nunavut. Elles sont

alors considérées comme des ententes privées, complémentaires aux permis émis par les

agences gouvernementales. Elles se fondent en partie sur l‘examen préalable des impacts

environnementaux et traitent de formation, d‘emploi – garantissant souvent un certain

pourcentage d‘emplois réservé aux Autochtones –, de partage des profits, de

37

Il y a révision de la politique canadienne minière en 1972 (Canada‘s North, 1970-1980 – Lapointe 2010 :

9). La mine de Nanisivik est le premier projet approuvé par la suite, en 1974. Il est entendu que 60 % des

employés seraient inuit, mais le pourcentage n‘a jamais dépassé 25 % (Benoît 2004 : 112-113). 38

Ce principe découle des concepts de développement durable et de participation publique (Lebuis et King-

Ruel 2010). 39

Nommons les jugements Nation Haida et Taku River en 2004, et Mikisew en 2005 (voir Lapointe 2010 :

17) et Lebuis et King-Ruel 2010 : 90).

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compensations, d‘éducation interculturelle, etc. (Benoît 2004 : 57 ; Knotsch et al.

2010 : 60-61 ; Notzke 1994 : 199). En plus de « favoriser la participation des Autochtones

au développement économique de leur région », ce type d‘entente « [sert] à réduire les

risques environnementaux, à établir les responsabilités et les bénéfices des parties et à

promouvoir la collaboration entre les parties » (Benoît 2004 : 56)40

. Les Joint-ventures sont

une autre forme d‘entente courante par laquelle les parties autochtones ont un plus grand

rôle à jouer41

. Nous examinerons maintenant l‘avancée des politiques et des pratiques

minières pour ce qui concerne le Nunavut. Nous verrons notamment, à travers le cas de

Qamani‘tuaq, que les enjeux de l‘exploitation minière sont depuis longtemps intimement

liés à la question des droits autochtones (Kulchyski et Tester 2007 ; McPherson 2003).

Exploration minière dans le Kivalliq

À la fin des années soixante, la première vague d‘exploration minière –

principalement uranifère42

– dans la région de Qamani‘tuaq provoque une forte

mobilisation politique locale (McPherson 2003 : 145 ; Scottie 2010)43

. En raison de

l‘absence d‘un mode de régulation formel des activités minières, de la non-consultation et

de la non-divulgation de l‘information concernant ces activités à la communauté, celle-ci

entreprend différentes mesures dans le but de mettre un frein à l‘exploration. Elle souhaite

ainsi manifester sa volonté de participer et d‘exercer un contrôle sur le développement de la

région, mais également exprimer ses inquiétudes concernant les répercussions possibles

pour l‘environnement, le caribou et, par conséquent, les activités de subsistance

traditionnelles (McAllister 1982 ; McPherson 2003). En 1975, devant le refus du

gouvernement d‘imposer un gel sur les activités minières jusqu‘à ce qu‘il y ait un accord

40

Selon Knotsch et al. (2010), en mettant l‘accent sur les bénéfices économiques et fiscaux quantifiables, ces

ententes faillent cependant à mettre de l‘avant les mesures nécessaires à la progression de l‘état de santé

individuel et du bien-être collectif. 41

Deux compagnies, habituellement une autochtone et l‘autre « blanche », s‘allient pour un contrat spécifique

et partagent de façon plus ou moins égale les parts de la nouvelle compagnie ainsi formée (Benoît 2004 : 57 ;

Wilkinson 2001 : 1). 42

La hausse de la valeur marchande de l‘uranium provoque en 1968 une période d‘exploration intense dans le

bassin de la rivière Thelon, où se situent le Réserve faunique de Thelon et l‘aire de mise à bas de la harde de

Beverly (McPherson 2003 : 145 ; Wang 2006 : 7) 43

Dans ces années, selon l‘étude de Bernauer (2011a : 43) et plusieurs participants à ma recherche, certains

Inuit de la communauté sont également engagés comme prospecteurs ou interprètes par les compagnies.

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26

sur les RTG, la communauté fait de son problème une question nationale en allant chercher

l‘appui des Inuit Tapirisat du Canada (ITC). Cet organisme représente les intérêts de tous

les Inuit du Canada et est à ce moment responsable des négociations avec le gouvernement

concernant le Nunavut (McAllister 1982 ; McPherson 2003).

Malgré une injonction légale lancée conjointement par la municipalité, la Hunters and

Trappers Organization (HTO) de Qamani‘tuaq et l‘ITC en 1979 contre six compagnies, les

Inuit n‘arrivent pas à freiner l‘exploration44

. Ils obtiennent cependant la tenue de rencontres

annuelles dans le but de mettre en place des mesures de protection du caribou et de

promouvoir une communication directe entre la population et les développeurs (McPherson

2003 : 54-55 ; Scottie 2010). Dans les années quatre-vingt, le projet Kiggavik

d‘exploitation de l‘uranium, mené sans la consultation des résidents, accentue l‘activisme

des citoyens ainsi que l‘urgence d‘assurer un contrôle sur le territoire. La Nordic Anti-

Uranium Coalition (NAUC, qui signifie « non » en inuktitut) et le Comité des Citoyens

Concernés de Baker Lake (BLCCC, Makita en inuktitut) prennent l‘initiative d‘informer la

population inuit quant aux risques de ce type exploitation. Puis, en 1990, la municipalité

décide d‘organiser un vote ; le résultat obtenu est à 90 % contre le projet. En raison de ce

vote, mais aussi d‘un contexte économique défavorable, le projet est suspendu pour une

durée indéterminée (Bernauer 2011a : 48-49 ; Makita Nunavut 1992 ; McPherson 2003 :

159-194; Scottie 2010 ; Wang 2006 : 7-8).

En parallèle avec le combat de la communauté vis-à-vis des minières, de 1970 à

1990, l‘ITC45

tente d‘arriver à un accord sur les RTG qui imposera la participation des Inuit

dans les prises de décision concernant le développement et la gestion du territoire, le tout

dans le but de préserver leur mode de vie. En 1993, un accord final est enfin signé et le

territoire du Nunavut (qui se traduit « notre terre ») est créé. Le Nunavut Land Claims

Agreement (NLCA) fait des Inuit du territoire, soit 85 % de la population totale (Teveny

2003 : 171), les propriétaires légaux de 350 000 km2 de terres – environ 20 % de tout le

44

Le jugement Mahoney mentionne que l‘exploitation minière interfère avec les droits autochtones de chasse

et de pêche, ce qui représente un précédent et annonce une incertitude concernant les droits miniers dont

disposent les compagnies. Cependant, le jugement ne reconnaît aucun droit inuit sur la terre ni l‘évidence

significative que l‘exploitation nuit à la santé des caribous, ce qui justifierait une injonction sur l‘exploitation

(Asch 2002 : 27-28 ; McPherson 2003 : 81-89 ; Wang 2006 : 4). 45

L‘ITC sera ensuite remplacée dans les négociations par le Nunavut Tunngavik Inc. (Teveny 2003).

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territoire (McPherson 2003 : 202 ; Wang 2006 :6) – et de 36 000 km2 de sous-sols

comprenant des droits miniers (NTI 2004 : article 19). L‘accord prévoit la création d‘un

gouvernement inuit public et d‘institutions de cogestion de l‘environnement et de la faune.

Selon Damas (2002 : 204), il a aussi pour conséquence d‘élargir la politique de bien-être

social en raison, encore aujourd‘hui, de la vulnérabilité économique du territoire. Le

système de cogestion, dont le Nunavut Impact Review Board (NIRB) et le Nunavut

Wildlife Mangement Board (NWMB) font partie, doit permettre aux Inuit d‘exercer une

surveillance sur les activités menées sur leur territoire, dont celles de l‘industrie minière. Le

premier est responsable de l‘évaluation des projets de développement proposés sur le

territoire du Nunavut (NTI 2004 : article 12). Avant l‘émission d‘un certificat de projet, il

procède à des audiences publiques auxquelles participent les institutions publiques,

fédérales et territoriales, et les communautés concernées (NIRB 2006). C‘est ensuite

l‘association régionale concernée – dans le cas de notre étude il s‘agit de la Kivalliq Inuit

Association (KIA) –, qui est chargée de négocier une entente sur les bénéfices et les

répercussions (Inuit Impact and Benefit Agreement, IIBA)46

. Selon Rodon (2003 : 247),

bien que la création du Nunavut a permis la participation des Inuit à des structures de

cogestion des ressources fauniques, cette participation demeure assujettie aux normes

occidentales. Leur autonomie ne peut donc s‘exprimer que dans le cadre défini par le

système canadien.

Au niveau de la communauté, le conseil de la municipalité, qui a juridiction sur les

terres municipales, et la HTO47

, qui gère les activités de récolte de tous les membres inuit

de la communauté au nom du NWMB, constituent les instances gouvernementales

officielles (NTI 2004). La HTO agit surtout comme intermédiaire entre les chasseurs et les

instances gouvernementales territoriales, fédérales et régionales, à l‘égard desquelles il doit

obéissance. D‘un côté, elle informe les locaux des régulations et programmes

gouvernementaux en matière faunique et de récolte et s‘assure de l‘application des dites

régulations et des dits programmes. De l‘autre, elle représente les chasseurs face aux

46

Un IIBA traite notamment de formations, d‘emplois, de contrats, de logements, d‘infrastructures

récréatives, de protection de la langue, et est considéré comme un contrat entre l‘association régionale et le

développeur (NTI 2004 : article 26). 47

Les HTO existaient avant le NLCA, ils ont simplement obtenu une reconnaissance officielle avec la

signature de l‘accord (voir Damas 2002 : 204).

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institutions publiques de plus hauts niveaux, mais aussi face au privé, et peut revendiquer

des compensations pour dommage (NIWS 2008). Dans chaque communauté siège aussi un

agent de conservation du Ministère de l‘environnement du Nunavut auquel la HTO est

redevant (NIWS 2008). Même si le NLCA a permis aux Inuit d‘acquérir un plus grand

pouvoir de force et de résistance concernant l‘exploitation de leur territoire, le

gouvernement fédéral conserve un rôle non négligeable dans la gouvernance du Nunavut.

Par exemple, des agents fédéraux siègent dans la plupart des institutions territoriales et la

décision finale à propos d‘un projet de développement reste la prérogative du ministère des

Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) (Bernauer 2011b : 64 ; Wang 2006 : 13).

De plus, une certaine insatisfaction persiste au sein de la population inuit concernant le

manque de régulation des activités minières (Wang 2006) 48

.

Essor minier : le projet Meadowbank et l’espoir économique au Nunavut

Suite au NLCA, est adoptée en 1997 une politique territoriale sur les mines visant à

supporter le développement minier. Le projet aurifère de Meadowbank, situé à soixante-

dix kilomètres au nord de Qamani‘tuaq sur le lac Third Portage (Apuqtinaartuq en

inuktitut49

), est le premier projet entrepris sous l‘accord territorial, ce qui permet au

Nunavut Tunngavik Inc. – le NTI est l‘organisme chargé de veiller au respect des

promesses incluses dans le NLCA – d‘exiger des redevances sur les concessions inuit50

. Le

projet est approuvé par le NIRB en 200651

et un IIBA est ensuite signé par la KIA et

Cumberland Resources Ltd52

. La première coulée d‘or a lieu le 1er

mars 2010 (Agnico-

Eagles Mines Ltd 2011 ; NIRB août 2006 ; Werniuk juin 2008). Le projet d‘exploitation à

ciel ouvert, dont la durée de production envisagée est de dix ans53

, couvre environ 230 km2

48

Pour en savoir plus sur le NLCA, voir notamment Légaré (1993), McPherson (2003 : 57-155), Rodon

(2003 : 228-248), Teveny (2003) et Teveny et Therrien (1999). 49

Ce terme signifie « place where boulders of rocks are gathered on the shore and where ice pushes up

against them » (Jacob Ikiniliq/77 ans ; Spalding 1998). 50

Le projet comprend dix concessions de la Couronne et de trois du NTI (Danylchuk 2007). 51

Lors de ces audiences publiques, la municipalité de Qamani‘tuaq donne son accord au projet (NIRB août

2006 : 48) qui est approuvé sous quatre-vingt-six conditions (voir NIRB août 2006). 52

Cet IIBA se concentre surtout sur l‘emploi et la formation régionale. Une nouvelle entente est signée en

2011 avec Agnico, qui acquière le projet en 2007 (Knotsch et al. 2010 : 61). 53

La durée comprend deux ans pour la construction, dix pour la production et deux pour la clôture (NIRB

août 2006 : 11).

Page 43: Chasse et exploitation minière au Nunavut : une expérience ......BONNEMAISON ET LA GEOGRAPHIE SACREE 36 SACK ET LA CONSTRUCTION SOCIALE DU TERRITOIRE 38 LE SENS DU LIEU CHEZ LES

29

de terres inuit et comprend de nombreuses infrastructures, dont une centrale électrique, une

piste d‘atterrissage, un campement pouvant accueillir plus de 350 personnes et une route

toute saison de 110 kilomètres entre la mine et Qamani‘tuaq (Agnico-Eagles Mines Ltd

2011 ; Géoscience au Nunavut 2010 ; Weber 24-04-10 ; Werniuk juin 2008). Cette route se

situe dans le bassin de drainage de la rivière Prince et chevauche dix-neuf ruisseaux (NIRB

août 2006 : 12). Des installations de déchargement de barges et des espaces d‘entreposage

sont également aménagés à deux kilomètres à l‘est du village (ibid. : 11-12). Avec près de

40 % de travailleurs inuit, le projet a fait chuter le taux de chômage local de 45 % à 3 % en

2008 d‘après le Canadian journal of mining (Werniuk juin 2008). Pour cette raison, il est

généralement bien reçu par la population, même si certaines inquiétudes demeurent

concernant les risques pour l‘environnement, les caribous et la santé des Inuit (Bell 01-08-

03 ; 20-06-10 ; Danylchuk 2007 ; George 10-08-09 ; Weber 24-04-10).

Dans les années 2000, alors que le projet Kiggavik revient sur la table54

, l‘opposition

populaire se fait beaucoup moins forte que vingt ans auparavant. Selon Bernauer (2011a),

ce revirement s‘explique à l‘aide de plusieurs facteurs ; la campagne de relation publique

entreprise par Areva (propriétaire de Kiggavik), la structure capitaliste du NLCA, la plus

grande dépendance des Inuit à l‘économie de marché, la perte des compétences relatives

aux activités de récolte chez la dernière génération, et enfin l‘expérience plutôt positive de

la mine de Meadowbank. Bien que Makita et le BQCMB continuent de mettre en évidence

les risques du projet pour l‘environnement et les hardes de caribous55

, le NIRB approuve le

projet en 2007 et l‘ouverture est prévue pour 2016 (Scottie 2010 ; Bird 19-02-09; Wang

2006 ; Weber 24-04-10). Selon Makita, il est douteux de croire que la mine puisse apporter

des bénéfices malgré les quelques 750 postes qui seront ouverts, considérant entre autres le

taux de décrochage à Meadowbank (se référer au chapitre cinq), ce qui ferait peser plus

lourd les impacts socioéconomiques néfastes (Murphy 26-06-2012 ; Zarate 21-11-10). Une

autre crainte du comité citoyen est que l‘acceptation d‘un premier projet uranifère rende à

l‘avenir plus difficile le refus d‘autres projets (Webber 24-04-10 ; Zarate 21-11-10).

54

Mise à part ce projet, la mine d‘or de Lupin, en production de 1982 à 1998, ouvre à nouveau ses portes de

2000 à 2005. Puis, la première mine de diamant, Jericho, démarre sa production en 2006 pour n‘arrêter que

deux ans plus tard pour cause de difficultés économiques (MAINC et al. 2010 : 32). 55

Considérant l‘augmentation du nombre de concessions minières dans le Kivalliq, le BQCMB recommande

au NIRB de ne plus accepter de projet qui empiète sur les aires de mise à bas (Murphy 14-07-12).

Page 44: Chasse et exploitation minière au Nunavut : une expérience ......BONNEMAISON ET LA GEOGRAPHIE SACREE 36 SACK ET LA CONSTRUCTION SOCIALE DU TERRITOIRE 38 LE SENS DU LIEU CHEZ LES

30

Après la crise économique mondiale de 2008, l‘essor du secteur minier en Arctique

suscite beaucoup d‘espoir auprès du NTI et du gouvernement du Nunavut (GN) qui y

voient l‘occasion de cheminer vers l‘indépendance économique du territoire (SikuNews 10-

04-09)56

. En 2011, les investissements dans l‘industrie minière, dont une grande partie est

concentrée dans le projet de Meadowbank, ont permis une forte augmentation du produit

intérieur brut du territoire (CBC News 31-01-11; Nunatsiaq News 08-09-11 ; Gagnon 04-

04-11). Les activités minières stimulent de plus l‘économie locale, régionale et territoriale

par le développement des compétences et des infrastructures et par des opportunités

d‘affaires qui favorisent aussi le fleurissement d‘autres secteurs tels que l‘artisanat et la

vente de nourriture locale (George 11-04-11 ; Nunatsiaq News 05-03-12 ; Rogers 25-06-

11). Pour le NTI et le GN, engagés à la fois à préserver la culture inuit et à protéger le

territoire et la faune et à la fois à promouvoir les investissements et à supporter le

développement miner, il s‘avère cependant parfois compliqué d‘arriver à balancer ces

objectifs en apparence contradictoires (MAINC et al. 2010 ; Gagnon 04-04-11). Ce n‘est

sans doute qu‘à travers l‘expérience qu‘ils arriveront à se positionner et à prendre des

décisions dans les intérêts de tous les Inuit.

À partir de ce portrait historique, social et politique dans lequel s‘inscrit l‘ouverture

de la mine de Meadowbank, je me suis intéressée dans ce qui suit à comprendre

l‘expérience directe, quotidienne et actuelle de la communauté la plus touchée par cette

mine, celle de Qamani‘tuaq. Après les missionnaires, les commerçants et les agents

fédéraux, les développeurs apportent de nouveaux changements qui, cette fois, touchent

plus directement le lien intime entre les Inuit et leur territoire. Je présenterai maintenant les

outils conceptuels qui me permettront de saisir et d‘analyser ce lien particulier.

56

Au Nunavut en 2010, dix-huit accords d‘exploration actifs étaient situés au moins en partie sur des terres de

propriété inuit (IOL), dont Mary River, Meadowbank et Meliadine (MAINC et al. 2010 : 9). Sur près de

soixante projets actifs, treize sont situés à 300 kilomètres et moins de Qamani‘tuaq (Nunatsiaq News 17-05-

12).

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31

Cadre théorique : le territoire en tant que relation

Cette recherche a pour thème central le rapport au territoire. L‘objectif du chapitre

qui suit est de présenter, à l‘aide d‘une revue de littérature de nature essentiellement

théorique, comment je définis ce rapport dans le cadre de mon travail. Ce thème a été traité

par de nombreux auteurs dans des disciplines variées, mais je me suis particulièrement

intéressée aux approches en géographie et en anthropologie. En présentant le tout dans une

perspective généalogique, nous verrons d‘abord les courants anthropologiques en écologie

qui abordent le territoire essentiellement en termes d‘environnement biophysique. Puis,

nous nous pencherons sur l‘approche de la géographie culturelle qui met l‘accent sur sa

dimension sociale et symbolique. Ensuite, retournant du côté de l‘anthropologie, nous

explorerons des auteurs qui se sont intéressés de façon plus générale à la diversité des

conceptions du monde. Pour mieux saisir ces dernières, l‘écologie politique et

l‘anthropologie de la nature proposent une approche critique de la notion de « nature ».

Comme les écrits s‘inscrivant dans ces deux approches sont innombrables, j‘ai davantage

porté attention aux auteurs travaillant dans l‘aire d‘étude arctique et subarctique. Avant

d‘explorer cette littérature, une considération est en premier lieu portée à la notion de

communauté, également essentielle à mon analyse, par souci de justifier son emploi.

Le territoire d’une communauté : vécu local et collectif

Ce travail consiste à analyser au niveau local le rapport qu‘un groupe social entretient

avec l‘espace qu‘il occupe, non pas l‘espace domestique ou d‘établissement, mais

l‘ensemble de l‘espace utilisé, fréquenté et connu qui est extérieur au village contemporain.

Cet espace, nous pouvons l‘appeler environnement, milieu naturel ou encore territoire, il

importe seulement de bien choisir et définir les termes selon notre projet. D‘abord, cette

proposition implique la notion de groupe local, dans le sens d‘un ensemble d‘individus

occupant une même localité et y exerçant des activités communes.

À ce groupe local peut être attribué le terme de communauté, en tant que forme de

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groupement social, lorsqu‘il présente une intégration relativement forte des membres basée,

bien souvent, sur les liens de parenté. Chaque membre vit par et pour la communauté, dans

le sens qu‘il travaille pour sa pérennité, à la fois à travers la reproduction des membres et

des coutumes, et à la fois par le maintien de la cohésion sociale par la rencontre des droits

et des devoirs de tous (Bonte et Izard 2008 : 165-166). Le passé commun joue un rôle

primordial, puisque « la communauté trouve le principe de son existence dans l‘histoire »

(ibid. : 166). Le partage d‘une religion, ou d‘une vision du monde, peut aussi produire un

lien entre les gens. Durkheim (1912) parle alors de communauté morale, qui peut ou non

recouper un groupe local. La notion de communauté comporte aussi parfois une dimension

institutionnelle et économique qui intègre les membres dans une même structure. En

somme, elle fait référence à l‘appartenance à un groupe, mais ne se rapporte pas

nécessairement à l‘appartenance à un territoire ni à un mode de production donné, quoi que

ces derniers puissent renforcer l‘existence d‘une communauté.

La population de Qamani‘tuaq rencontre selon moi la majorité des critères servant à

définir une communauté, sur les plans social, culturel et institutionnel. Elle présente une

grande homogénéité ethnique étant donné que plus de 90 % de la population est inuit

(Baker Lake 2011). Évidemment, les Inuit parlent différents dialectes et ne sont pas tous

issus des mêmes régions, mais ils sont liés par de multiples liens de parenté, une histoire

commune et une conception du monde partagée. Au plan institutionnel, des organisations

municipales intègrent les gens de façon administrative et économique. Par exemple, la

HTO participe à la redistribution de moyens et de produits de l‘économie de subsistance.

Les réseaux de partage, autrefois davantage limités à la famille nucléaire ou élargie, se sont

étendus par l‘entremise de liens de parenté et de coopération, mais aussi des institutions

locales. De plus, à Qamani‘tuaq, la définition de la communauté est selon moi indissociable

de l‘existence d‘un territoire commun. C‘est ce que je tenterai de démontrer dans ce travail

en me penchant sur la dimension locale de l‘expérience et de la représentation du territoire.

Définissons maintenant qu‘est-ce que le rapport à l‘espace nommé territoire.

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33

L’écologie humaine en anthropologie : de Steward à Ingold

Mobilité et subsistance

Un des courants anthropologiques les plus importants concernant le rapport

écologique fut fondé par Julian Steward vers la moitié du XXe siècle : l‘écologie culturelle.

Il a pour projet de « rendre compte de la dynamique des systèmes sociaux à partir des

modalités de leur adaptation à l‘environnement » (Bonte et Izard 2008 : 214). Dans l‘étude

des sociétés dites de chasseurs-cueilleurs, dont les peuples d‘Amérique du Nord font partie,

les tenants de l‘écologie culturelle partent des activités de subsistance et de l‘organisation

économique pour expliquer l‘ensemble de l‘organisation sociale. Ces sociétés sont

généralement décrites comme présentant une structure sociale souple, composée de petits

groupes très mobiles qui vivent en interaction étroite avec leur environnement. Les petites

unités familiales dispersées et autonomes font généralement partie d‘un réseau de parenté

plus large nommé « bande » à travers lequel la collaboration et le partage facilitent

l‘approvisionnement (Dorais 1967 ; Helm 1965).

Un des concepts centraux des travaux en écologie culturelle est celui de « mobilité »,

qui, avec celui d‘ « établissement »57

, définit l‘organisation spatio-temporelle des sociétés,

en tant que stratégie adaptative pour répondre au problème d‘acquisition des ressources

(Kelly 1983). En fonction des facteurs de l‘environnement, les établissements peuvent être

permanents, saisonniers ou annuels (ibid. : 30). Évoquant l‘aspect matériel de l‘occupation

humaine, l‘établissement est différencié de la communauté qui fait plutôt référence à la

dimension sociale et démographique de la formation d‘un groupe résidentiel (Wenzel

2008). La mobilité est donc toujours orientée à la fois par rapport à un lieu et par rapport à

un groupe (Ingold 1987 : 165-178). Les différents types de mobilité sont distribués sur un

continuum entre le nomadisme, c‘est-à-dire une mobilité résidentielle forte toute l‘année, et

la sédentarité, c‘est-à-dire l‘occupation d‘une base permanente. Le concept de mobilité

résidentielle vient de Binford (1980) et est dissocié de celui de mobilité logistique qui

évoque le déplacement de petits groupes ou d‘individus à partir du lieu de résidence. Selon

Binford (1990) et Kelly (1983), ce dernier type de mobilité est primordial durant les hivers

57

L‘établissement est défini comme toute forme humaine d‘occupation d‘un lieu dont le but est l‘habitation

ou l‘exploitation écologique (Chang 1962 : 29).

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34

arctiques, où les ressources terrestres sont dispersées, mobiles et imprévisibles, en raison

des coûts élevés de la mobilité résidentielle. C‘est ainsi que les sociétés nordiques

traditionnelles, alternant entre une forte mobilité estivale et une relative sédentarité

hivernale, sont considérées comme semi-nomades.

Une des critiques importantes apportées à l‘écologie culturelle est la combinaison

d‘un projet évolutionniste et d‘une interprétation diffusionniste des traits culturels (Bonte et

Izard 2008 : 214). De plus, elle est limitée par « un cadre anhistorique et asociologique qui

met l‘accent sur l‘adaptation des populations humaines au milieu dans un sens étroitement

biologique » (Crépeau 1993 : 75). Wenzel (1991 : 56-64, 97-101), qui travaille chez les

Inuit de Clyde River au Nunavut, a cependant exploré la notion de subsistance en continuité

avec le modèle adaptatif de l‘écologie culturelle. Au-delà d‘un état matériel, il reconnaît le

rôle des valeurs culturelles, en plus des institutions sociales, des principes et des règles,

dans la subsistance des Inuit dont le succès repose sur les liens de parenté et la solidarité.

Partage, responsabilité et réciprocité, tant envers les humains qu‘envers les animaux, sont

les principes de base et sont traduits par le terme inuit ningiqtuq (Wenzel 1995).

Aujourd‘hui, en rapport à l‘économie monétaire, la subsistance constitue une économie

informelle capable de se reproduire dans le nouveau contexte grâce à un bricolage adaptatif.

Aporta (2004) a quant à lui souligné de multiples motifs, autres que ceux liés à la

subsistance, à la mobilité des Inuit : le partage, le désir de changement, le mariage, le

commerce, la curiosité géographique et bien d‘autres.

Territorialité

Selon Smith (1984 : 68-70), le problème de l‘écologie culturelle est son caractère

probabiliste et son incapacité à développer des hypothèses opérationnelles capables de

tester et de valider les explications « écologico-culturelles ». C‘est pour répondre à ce

problème qu‘il a développé l‘approche hypothético-déductive de l‘écologie évolutive. Dans

les années soixante-dix et quatre-vingt, l‘approche évolutionniste participe à une réflexion

sur la territorialité humaine à partir du principe de la sélection naturelle et des

connaissances issues de la recherche en éthologie. Elle consiste notamment en l‘analyse des

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choix comportementaux des chasseurs en termes de coûts et de bénéfices énergétiques dans

le but d‘expliquer la cause ultime des comportements (Smith 1983 ; 1984 ; Smith et

Winterhalder 1992). Dans ce cadre théorique, le territoire est défini comme une aire

occupée plus ou moins exclusivement par un individu ou un groupe grâce au moyen de la

répulsion, à travers la défense ouverte ou une forme de communication (Wilson 1975 :

256). Les avantages du comportement de territorialité sont calculés selon la disponibilité

des ressources, leur prévisibilité et la compétition pour celles-ci (Dyson-Hudson et Smith

1978). Le système territorial est donc directement lié à la structure de l‘environnement et à

l‘organisation socioéconomique, ce qui nous éloigne relativement peu du courant de

Steward.

Le réductionnisme et le déterminisme biologique sont les principales critiques faites à

l‘écologie évolutive. En effet, l‘utilisation de modèles évolutionnistes, bien qu‘elle rende

possible l‘élaboration d‘hypothèses et de prédictions vérifiables, réduit la complexité

socioculturelle à un ensemble de choix individuels déterminés par une motivation

strictement énergétique (Smith 1983). Ce déterminisme ignore l‘existence d‘autres forces

influentes sur le comportement, telles que les règles sociales et les croyances. De plus, la

vision mécanique des rapports entre l‘organisme et son environnement nie la nature

créative de l‘adaptation culturelle. C‘est pourquoi Cashdan (1983) propose un modèle de la

territorialité qui tient compte des particularités de l‘espèce humaine, c‘est-à-dire ses

capacités culturelles et cognitives. Dans un contexte de rareté et d‘imprévisibilité des

ressources, comme dans la région arctique, les sociétés humaines auraient avantage à

contrôler l‘accès au groupe social plutôt que de défendre physiquement un périmètre. Ce

type de contrôle implique un altruisme réciproque entre les membres du groupe qui

partagent les ressources et les informations sur celles-ci. Ces membres acceptent également

de partager leur territoire avec les étrangers à condition que ceux-ci adhèrent au groupe et

jouent le jeu des règles sociales. Cette stratégie apparait mutuellement bénéfique

puisqu‘elle fournit à tous un meilleur accès aux ressources à travers la collaboration et

l‘allocation des ressources. Dans ce sens, la territorialité s‘appréhende comme un système

d‘organisation spatiale et le territoire de chasse comme une unité de gestion par laquelle les

individus sont dispersés de façon adaptative selon les ressources.

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36

Avec son ouvrage The Appropriation of Nature publié en 1987 (147-158), Ingold

souhaite redéfinir les notions de mobilité et de territorialité en mettant de l‘avant la

dimension sociale et l‘intentionnalité sous-jacentes au comportement humain. Il adhère en

partie à la vision de Cashdan concernant la territorialité et l‘oppose à la notion de

« tenure ». La première illustre un état de relation entre une population et son

environnement et constitue un instrument à l‘appropriation collective, mais n‘est pas

l‘appropriation en soi. C‘est la seconde qui renvoie au processus continu d‘appropriation de

l‘espace à travers l‘établissement de relations entre les membres du groupe. La territorialité

se veut un mode de communication et de partage, plutôt que de compétition, entre les

membres d‘un groupe qui domine un espace et qui intègre les étrangers (Ingold 1987)58

.

Nuttall (2001 : 57) supporte cette idée en mentionnant que le droit d‘accès aux ressources

des aires de chasse et de pêche locaux dépend de l‘appartenance à la communauté ou à la

capacité à établir une connexion avec elle. Il ajoute que la communauté contrôle et gère le

territoire en allouant à ses membres des droits d‘exploitation et de « tenure » sur des sites

données et reconnaît ces droits en fonction d‘une utilisation effective et continue (Nuttall

1992). Ingold (1987) attribue trois dimensions à la notion de « tenure » (ou appropriation

collective) ; les sentiers, les lieux et enfin la surface de la terre. Selon lui, les sociétés de

chasseurs-cueilleurs ne s‘approprient que les deux premiers59

, bien qu‘un lieu ou un site

soit perçu comme incluant tout le paysage qui l‘entoure, en tant que vision partielle d‘un

tout. Bref, le territoire, sans être délimité par des frontières, se définit comme un espace

partagé.

Territoire et territorialité en géographie culturelle

Bonnemaison et la géographie sacrée

Le géographe Bonnemaison (1981) affirme quant à lui que la territorialité est bien

plus qu‘un phénomène social, puisqu‘elle est d‘abord une réalité culturelle et symbolique.

58

Pour Dahl (1998 : 61), le territoire est une notion inhérente à tout mode d‘appropriation et de gestion des

ressources. Il reflète l‘existence et l‘importance du contrôle social local, d‘où l‘exigence d‘appartenir à une

communauté et de se soumettre à ses règles pour avoir accès à un territoire. De plus, le territoire est une

notion historique, puisqu‘elle change avec les développements sociaux. 59

Voir aussi Sack (1986 : 58).

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37

Elle représente la relation symbolique entre un groupe ethnique et son espace, dont le

territoire en est l‘expression. Le territoire est donc second à la culture : « La territorialité

découle en effet de l‘ethnie en ce qu‘elle est d‘abord la relation culturellement vécue entre

le groupe humain et une trame de lieux hiérarchisés et interdépendants, dont la figure au sol

constitue un système spatial, autrement dit un territoire » (ibid. : 253). Ici, le territoire n‘est

pas une frontière. Il se présente plutôt comme un système de lieux connectés à un réseau

d‘itinéraires60

; produit d‘une territorialité qui joue entre fixité et mobilité, qui englobe à la

fois la relation à un espace interne et connu, et la relation à un espace externe et étranger,

autrement dit à l‘altérité (ibid. : 256). Soulignons que la notion de « réseau d‘itinéraire »

nous ramènent ici à de Certeau (1990), dont j‘ai parlé en introduction, qui emploie cette

notion en référence à l‘expérience de l‘espace fondée sur les pratiques tactiques

quotidiennes, par opposition à l‘usage logique et stratégique, qui impose une abstraction et

une représentation cartographique de l‘espace.

La relation symbolique entre le groupe et le tissu des lieux et des sentiers crée ce que

Bonnemaison nomme des géosymboles : « Le territoire devient dès lors un

« géosymbole » : c‘est-à-dire un lieu, un itinéraire, un espace, qui prend aux yeux des

peuples et des groupes ethniques une dimension symbolique et culturelle, où s‘enracinent

leurs valeurs et se conforte leur identité » (ibid.: 249). La signification des géosymboles

prend racine dans les mythes –racontant l‘histoire des ancêtres – et les traditions qui

induisent une dimension sacrée au territoire. Celui-ci est du coup porteur d‘une vision

particulière du monde et est indissociable de l‘histoire. Bonnemaison mentionne que les

premiers lieux à être investis d‘une dimension symbolique particulière, pour des raisons

politiques, culturelles ou bien religieuses, sont souvent ceux qui se démarquent du paysage

par leur trait physique61

. En ces lieux, qui constituent « la vérification terrestre des mythes,

la source des pouvoirs cosmiques et les fondements de l‘organisation sociale » (ibid. : 260),

60

Ingold (1993 : 167) définit de façon semblable le territoire ; celui-ci se compose de lieux qui sont des

positions dans un système qui dépendent nécessairement de sentiers, puisqu‘il n‘y a pas de lieu sans chemin,

ni l‘inverse. Comme les lieux sont des centres sans frontières, le territoire n‘est jamais une frontière, mais

plutôt un réseau de lieux qui varie selon ses usagers. Voir aussi Aporta (2004) concernant les réseaux de

sentiers (trails) à Igloolik. 61

Voir aussi Claval (1995) à ce sujet.

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38

la culture s‘exprime en humanisant l‘espace62

. Conséquemment, le territoire en tant

qu‘espace culturel est plus qu‘un système territorial objectif répondant aux besoins et aux

fonctions du groupe, il est le versant invisible, subjectif et affectif du paysage (ibid. : 256).

Il a pour fonction de sécuriser le groupe à la fois dans son existence matérielle, sociale et

identitaire ; il est ainsi fondamental à la reproduction culturelle. En effet, tout groupe

culturel a besoin d‘un espace d‘enracinement, espace réel et rêvé, qui n‘est pas

nécessairement habité parce que parfois perdu (ibid. : 255-56). Le territoire peut donc

s‘étendre au-delà de l‘espace de vie quotidienne63

.

Sack et la construction sociale du territoire

Le géographe Robert Sack (1986) souligne à son tour les aspects social et symbolique

du comportement de territorialité chez l‘humain. Il définit cette dernière comme une

stratégie spatiale – ou géographique – servant à affecter, influencer ou contrôler les gens,

les choses ou les événements en passant par le contrôle d‘une aire géographique.

L‘établissement et l‘usage de la territorialité par un individu ou un groupe, comme

expression géographique du pouvoir social, dépendent du contexte social et historique. En

plus de lier la territorialité à la façon dont les gens utilisent la terre (mode de production) et

sont socialement organisés, comme dans les approches précédentes, Sack mentionne le rôle

du sens donné aux lieux comme au temps. Il souligne l‘interrelation entre la dimension

pratique – organisationnelle – et la dimension symbolique – conceptuelle – qui fonde la

territorialité. Selon lui, comme la conception de l‘espace et du temps est différente entre les

sociétés dites prémodernes et celles dites modernes, les usages de la territorialité varient64

.

62

Deleuze et Guattari (1997 : 381-433) font aussi référence à ces marques pour définir le territoire comme

l‘agencement de l‘espace chaotique. Le territoire émerge lorsque des composantes du milieu acquièrent une

expressivité, première à la possessivité, qui les transforment en marques, ou encore en signatures artistiques,

qui ont une constance temporelle et une portée spatiale (ibid. : 387). 63

Di Méo (1996) nomme « espace de vie » la dimension matérielle du territoire. C‘est l‘espace où prennent

place, les pratiques quotidiennes menées en des lieux et des chemins, et « espace vécu » la représentation

idéelle, ou ontologique, du territoire. 64

Les principaux usages pratiques et symboliques de cette stratégie spatiale sont la classification par types de

région, la communication de la possession par l‘établissement de frontières et le contrôle sur l‘accès aux

choses et aux ressources à l‘intérieur d‘une région (Sack 1986).

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39

À l‘instar de Cashdan et d‘Ingold, ce géographe croît que le territoire des sociétés

prémodernes – vivant habituellement en petites communautés où règnent réciprocité et

égalité – est socialement construit, c‘est-à-dire qu‘il présente des frontières sociales plutôt

que physiques. C‘est le contraire dans les sociétés modernes, dans lesquelles les groupes

sont définis par le lieu qu‘ils habitent. Dans le premier cas, aucun dans la communauté ne

possède de façon exclusive un territoire ou ne monopolise de ressources65

. La terre est à

l‘usage de toute la communauté et ses membres la partage. Si la compétition émerge de

l‘extérieur, alors l‘accès sera déterminé par l‘appartenance au groupe (ibid. : 12, 57-58).

Les lieux qui composent le territoire sont perçus comme indissociables du contexte

social, c‘est-à-dire des événements et des activités qui s‘y déroulent. Les distances sont

quant à elles expérimentées comme des séquences d‘événements, d‘expériences

imprévisibles, au cours du déplacement d‘un lieu à l‘autre (ibid. : 6). Pas plus que pour

l‘espace, il n‘y a de mesure objective du temps. Différents cycles, pertinents en rapport aux

activités des individus, comme celui du soleil et des saisons, servent de repères temporels66

.

Dans ce contexte, le contact de l‘humain avec la nature paraît plus intime et fondé, tout

comme pour les interactions humaines, sur la réciprocité (ibid. : 57-58). Les gens se sentent

organiquement et spirituellement liés aux lieux qu‘ils habitent et ils perçoivent la terre

comme étant habitée par l‘esprit de leurs ancêtres. Les formes du paysage prennent aussi

sens dans les mythes (ibid. : 58). La vision mythique et magique du territoire a pour effet

d‘amplifier le lien entre les événements et l‘espace. Sack affirme ainsi le rôle des

expériences quotidiennes comme fondement d‘une vision particulière du temps et de

l‘espace, vision collectivement partagée et acceptée (ibid. : 65).

Il en va tout autrement pour les sociétés modernes, qui, à travers le développement de

la science occidentale et des technologies, ont construit une conception métrique abstraite

du temps et de l‘espace qui subsume, en partie, les expériences personnelles (ibid. : 65).

Avec le changement de l‘économie politique et des représentations, vient celui des usages

65

Si certaines délimitations s‘établissent à l‘intérieur du territoire, comme pour assigner un lot de terre à une

famille, elles sont temporaires et constamment réévaluées selon les besoins ponctuels et servent à faciliter la

réciprocité (ibid. : 12, 57). Voir aussi Nuttall (2001). 66

Pour Ingold (1993), les lieux et les sentiers reflètent aussi la relation permanente entre l‘humain, l‘animal et

la terre et propose la notion de « taskscape » comme l‘interaction et la résonance des divers cycles d‘activités

humaines et non humaines dont le paysage en est la forme figée.

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de l‘espace. Dans ces sociétés, à économie capitaliste et à organisation bureaucratique, la

territorialité sert à établir un pouvoir juridique et à délimiter la propriété privée (ibid. : 15).

Fondée sur le pouvoir politique, elle a tendance à s‘exprimer par une fragmentation et une

hiérarchisation de l‘espace en sous-unités territoriales (administratives) qui sont des cadres

pour les activités et les événements. Elle a particulièrement pour effets de faciliter la

mobilité et l‘accessibilité géographiques de la population, de rendre impersonnelles les

relations sociales – en masquant les relations inégalitaires et obscurcissant ainsi les sources

de pouvoir – et de créer une conception « vide » de l‘espace (ibid. : 46). Le temps et

l‘espace acquièrent en fait une valeur abstraite qui est première aux événements : « Space

and time have become abstract frameworks to which events and experiences are

contingently related. […] In fact, instead of events marking time, metrical units of time

have come to define events, as when in factory life work begins at 8.00 a.m. and ends at

6.00 p.m » (ibid. : 84).

Aussi, le temps n‘est pas conçu comme un cycle de bons et de mauvais moments,

mais comme le progrès constant vers un futur meilleur (ibid. : 84). Cependant, cette vision

métrique et quantitative du temps et de l‘espace, bien qu‘utile pour la planification, le

changement et le mouvement, ne se substitue pas aux autres formes de territorialité, mais

s‘y ajoute (ibid. : 15, 91). Le paysan expérimente toujours le territoire en lui étant

émotivement et spirituellement lié, sans être à tout coup conscient que ce territoire, et ses

frontières, lui sont en même temps imposés. La tendance à vouloir faire d‘un lieu un chez

soi, « to make a place feel like home », est typiquement humaine (ibid. : 74). La

représentation abstraite du territoire « did not constitute the day to day experiences of the

peasant. For him, ordinary space and time were still limited to local and personal

experiences » (ibid. : 77).

Le sens du lieu chez les Inuit

Bonnemaison et Sack ont mentionné le rôle de la culture, en interaction avec les

facteurs sociaux et économiques, dans la façon dont les groupes humains s‘organisent et

investissent leur espace. Les conceptions du temps et de l‘espace sont primordiales pour

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comprendre le rapport qu‘une communauté entretient avec son territoire. C‘est pourquoi

nous nous tournons maintenant vers les travaux de Béatrice Collignon, géographe, et de

Mark Nuttall, anthropologue, qui traitent des représentations du territoire chez les Inuit.

Pour définir le territoire des Inuit, et pour illustrer l‘interpénétration des dimensions

du temps et de l‘espace, Nuttall (1992) emploie la notion de « memoryscape ». Celle-ci

rappelle que les lieux sont des espaces mémorisés, toujours perçus en référence aux

expériences et aux événements passés, et donc en relation aux habitants. L‘histoire est

partie intégrante de leur composition67

. En langue inuit, l‘affixe –vik incarne ce

chevauchement du temps et de l‘espace et est employé pour parler des lieux en fonction du

contexte saisonnier et social de leur utilisation (Laugrand et Oosten 2010 : 196 ;

Williamson 1974 : 36-37). Comme Bonnemaison, il croit en une partie cachée du paysage

(landscape), perceptible grâce à une prédisposition à regarder en fonction des sens, des

expériences et des savoirs, qui constituent leur cognitive map, ou memoryscape (ibid. : 49,

54). C‘est ainsi que les individus s‘orientent dans leur environnement. La communauté est

imprégnée dans le paysage, marquée dans les lieux, sous forme de réseau, par des marques

visibles comme invisibles. Les toponymes font partie de ces marques invisibles ; ils

rappellent les événements passés, l‘usage de l‘espace et des ressources. La relation entre

l‘humain et son environnement ne se limite donc pas à une relation économique ou spatiale,

mais est articulée par la mémoire (ibid. : 54)68

.

L‘expérience sociale et la mémoire collective d‘un lieu spécifique, fonction de

l‘activité qu‘on y mène, contribuent à un sens particulier du lieu, ce que Nuttall (2001)

nomme sense of locality. Ce sens de la localité, attribut intrinsèque de l‘être humain en

relation avec les autres et avec son environnement (ibid. : 61), participe à un sentiment

affectif d‘appartenance au lieu et au paysage. Inscrit dans le contexte de l‘appartenance à

une communauté, il produit l‘identité territoriale locale : « Yet, ―belonging‖ is not simply

about being rooted in or connected to a piece of land, (…), but to the concrete reality of a

67Concernant l‘analyse d‘un site d‘occupation traditionnelle près de Qamani‘tuaq (Harvatuuq), Stewart et al.

(2004) mentionnent que les lieux tirent leur signification culturelle de leur contexte, c‘est-à-dire l‘histoire, les

pratiques (le mode de vie) et l‘ensemble du paysage. Ils révèlent le souvenir d‘événements et de personnes

issus d‘un moment précis dans le passé et dont l‘histoire fournit au site une valeur symbolique. Le paysage

exprime la relation permanente entre les individus et la terre. 68

Saladin d‘Anglure mentionne également que le symbolisme des lieux chez les Inuit est à la fois marqué

dans les traces et les vestiges, et non marqué dans les toponymes, les mythes et les croyances (Saladin

d‘Anglure 2004 : 112). « Tout l‘invisible inuit, entretenu par la tradition orale […], s‘appuie sur des lieux, des

espaces, des expériences de vie et des récits historiques (ibid.: 126).

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particular place and network of close social relations » (ibid. 2001: 54). L‘identité est

évidemment conçue en relation à l‘extériorité, et d‘autant plus forte lorsque le groupe local

est éloigné ou isolé du reste du monde comme c‘est le cas pour les communautés

nordiques. La mémoire des gens, des lieux et des événements est donc fondamentale dans

la construction des identités locales. Comme il existe habituellement plusieurs acteurs dans

un même espace, expérimentant de façon variée les rapports sociaux et spatiaux, nous

pouvons alors postuler la multilocalité des lieux, comme quoi différents territoires peuvent

se chevaucher (voir Godman 1992). Pour Searles (2010), qui croit aussi que l‘identité siège

en des lieux particuliers, l‘identité et la culture inuit sont fortement déterminées par la

relation au territoire, considéré comme leur véritable chez soi, en opposition à la ville. Le

maintien d‘un lien fort au territoire, qui signifie d‘y passer du temps, est fondamental au

maintien de leur identité.

Dans la même lignée que les derniers auteurs, Collignon (2003) croit que le territoire

des Inuit est un espace de relation ; relation entre des individus, relation entre les habitants

et leur espace de vie, et enfin relation entre des lieux. L‘importance du lieu découle de sa

position dans un réseau, et non de son existence en soi. Le territoire est aussi un espace

instable, toujours en reconstruction, comme les relations qui le composent sont en équilibre

instable, sujettes à de constantes modifications, soudaines et imprévisibles, surtout

considérant la nature du climat arctique. Finalement, le territoire est un espace subjectif,

puisque la connaissance et l‘appréciation de celui-ci varient selon les individus et les

cultures. Chaque culture a sa propre grille de lecture, en fonction de ses valeurs, de ses

connaissances et de ses expériences acquises et transmises. Composantes de la mémoire

collective, ces dernières animent le paysage. Collignon parle dans ce sens d‘appropriation :

l‘« inscription de l‘histoire des hommes dans le territoire conduit à une lecture affective du

paysage par laquelle l‘espace est approprié – puisqu‘il est le fruit de l‘histoire du groupe –

et ainsi humanisé » (Collignon 1999 : 98). Le territoire est le porteur de l‘identité d‘une

communauté dans sa dimension temporelle (ibid. : 99). Le sentiment d‘appartenance

réciproque à la terre s‘illustre bien dans la terminologie inuit. Therrien (1987 : 43)

mentionne que le fait d‘habiter un lieu ou une région se dit nunaqaqpuq en inuktitut, qui se

traduit par « avoir une terre ». Habiter évoque donc l‘appropriation tant physique que

symbolique de la terre et le partage.

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43

Comme chez d‘autres peuples d‘Amérique du Nord, la tradition orale joue un rôle

fondamental dans la transmission de l‘histoire, du savoir et des valeurs associées au

territoire. Les mythes fondateurs d‘une société sont inscrits dans le territoire, mais aussi

dans la toponymie (Poirier 2001 : 51). Les toponymes font partie de la mémoire collective ;

ils racontent les événements passés, réels ou mythiques, intègrent un savoir, et témoignent

de la présence continue et des activités sur le territoire. En ce sens, ils constituent aussi une

forme d‘appropriation du territoire (Collignon 1999 ; Nuttall 2001 : 57 ; Poirier 2001 : 46).

Par les informations descriptives qu‘ils contiennent, concernant les traits visibles du

paysage ou bien le comportement et la présence des ressources, ils sont par ailleurs

cruciaux pour l‘orientation (Collignon 1996 ; Saladin d‘Anglure 2004 : 120).

En somme, en géographie culturelle, le territoire est un espace vécu, approprié,

porteur de sens et d‘identité. Aujourd‘hui, avec les changements du mode de vie des Inuit,

tout comme l‘identité, le territoire se redéfinit en fonction d‘une nouvelle réalité. Par une

diminution des connaissances, il devient selon Collignon (1999 : 106) plus discontinu et

irréel. Après avoir porté attention à la représentation du territoire chez les Inuit, nous

retournons aux approches écologiques en anthropologie qui traitent des différentes

conceptions de l‘environnement dont le concept de nature fait partie.

Anthropologie de la nature

Critique de l’écologie

Dans les années soixante et soixante-dix, le déterminisme écologique en

anthropologie fait place à une anthropologie sociale et culturelle plus prédominante et

dirigée contre les explications causales (Milton 1997 : 524). L‘anthropologie cognitive,

dont fait partie l‘ethnoécologie qui étudie les savoirs traditionnels sur l‘environnement,

s‘intéresse alors aux univers mentaux afin de comprendre les pratiques culturelles. Cette

approche « a révélé la diversité absolue des modes de perceptions et d‘interprétations du

monde, qui est devenue l‘une des plus grandes préoccupations théoriques de

l‘anthropologie » (ibid. : 528). Elle mène tranquillement dans les années quatre-vingt-dix à

une puissante remise en question des deux approches, opposées, de l‘anthropologie

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moderne en regard à l‘étude du rapport entre l‘humain et son environnement : le

déterminisme écologique et le relativisme culturel.

La critique est qu‘elles reposent sur le cadre épistémologique de la science moderne

défendant une séparation et une indépendance des faits de nature et des faits de culture.

Dans cette logique, les tenants du déterminisme écologique soutiennent l‘existence d‘une

seule vraie nature – ce qu‘on nomme le monisme naturaliste –, alors que les autres

défendent la construction sociale des visions du monde, toutes autant valables les unes que

les autres (Descola 2005 : 124 ; Milton 1997 : 528-530 ; Viveiros de Castro 1998 : 473).

Déconstruire le cadre conceptuel de la science moderne s‘avère nécessaire à la fois d‘un

point de vue éthique, pour reconnaître la valeur des différentes visions du monde69

, et d‘un

point de vue heuristique, pour mieux les comprendre.

Conception animique du monde

La discipline anthropologique contemporaine porte comme projet général de

comprendre les cultures en fonction des notions et concepts propres aux différentes

sociétés. C‘est dans cette optique que certaines conceptions du monde, soumises depuis

longtemps à la définition académique, ont été revisitées. Autrefois appréhendées comme

des croyances, elles sont aujourd‘hui davantage reconnues au sens large comme des

savoirs, incluant des présupposés, des croyances, des valeurs et des normes sociales (Milton

1997 : 525). De plus, l‘idée d‘une interdépendance entre les modes d‘interactions avec

l‘environnement et les modes d‘appréhensions de ce dernier est mise de l‘avant (ibid. :

533).

La cosmologie autochtone qui nous intéresse particulièrement ici, celle attribuée aux

Inuit conjointement aux pratiques chamaniques, est l‘animisme. Le terme, développé pour

la première fois par Tylor en 1871, a plus d‘un siècle d‘histoire et a connu d‘innombrables

définitions (Bird-David 1999). D‘abord analysée à l‘intérieur du paradigme scientifique,

cette cosmologie est aujourd‘hui comprise sous un nouveau regard grâce à la remise en

69

Le courant de l‘écologie politique s‘est particulièrement intéressé à démontrer les jeux de pouvoir et les

tensions entre différentes conceptions de l‘environnement qui se côtoient (voir notamment Berkes 2008 ; Biro

2005 ; Escobar 1997 ; 1999).

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question de la dualité nature/culture. Comparant différentes conceptions du monde, Descola

(2005) a démontré de façon éloquente la nature construite, historique et culturelle, et donc

non universelle, du paradigme scientifique occidental. Il a identifié quatre différents

modèles d‘identification du monde : l‘animisme, le totémisme, l‘analogisme et le

naturalisme. Alors que ce dernier, celui de la science moderne, définit les relations entre

l‘homme et son environnement en termes de nature et d‘objectivité, l‘animisme exprime

plutôt ces relations comme étant sociales. La continuité entre l‘homme et la nature est pour

le premier une question d‘attributs physiques, pour le second d‘intériorité. L‘animisme est

ainsi caractérisé par l‘extension de l‘état de « culture », c‘est-à-dire la socialité et

l‘intériorité humaine, aux non-humains, envers lesquels ils entretiennent des rapports du

même ordre que ceux vécus entre des humains. Descola qualifie cette vision du monde de

sociocentrique.

Bien que cette analyse structuraliste permette de replacer l‘animisme et le naturalisme

comme étant deux formes équivalentes de représentation du monde, cette description de

l‘animisme reste insatisfaisante selon Ingold (2000) et Viveiros de Castro (1998), tout

simplement parce qu‘elle reproduit le dualisme nature/culture. Parler de la projection du

social sur la nature présuppose au départ une distinction entre les deux domaines et suggère

donc qu‘il existe une nature « réelle » (celle des scientifiques) opposée à des natures

construites (celles des sociétés)70

. Or, c‘est de ce préconçu dont il faut se débarrasser.

Viveiros de Castro (1998) tente de démontrer que la conception amérindienne s‘appuie sur

une supposition totalement opposée, soit la diversité des mondes et l‘universalité de la

culture. Cette dernière fait référence à l‘intériorité humaine, c‘est-à-dire la capacité à avoir

une perspective sur le monde et à expérimenter sa propre nature en tant que sujet, et est

propre à l‘ensemble des êtres vivants. Cette continuité métaphysique entre les êtres

correspond au terme animisme. La notion de « perspectivisme » de Viveiros de Castro sert

quant à elle à nommer la discontinuité physique de la nature, ou des espèces, qui naît de la

divergence de perspective sur le monde, elle-même conditionnée par une différence

corporelle. En effet, le corps, en tant que système d‘affects et de dispositions, détermine

l‘habitus d‘un individu, sa façon d‘être et d‘agir dans le monde et donc la position à partir

70

Voir aussi Latour (1991 ; 1999) au sujet de la nature des scientifiques, qui n‘est pas plus réelle que les

autres.

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de laquelle il perçoit le monde. L‘animisme, ni une forme d‘anthropocentrisme, ni une

forme de relativisme, est l‘expression de l‘équivalence logique des relations réflexives que

les humains et les animaux ont d‘eux-mêmes.

Selon Bird-David (1999), plutôt que d‘incarner une forme de croyances sur le monde,

l‘animisme correspond à une façon particulière de connaître ; c‘est pourquoi cette auteure

lui préfère le terme d‘épistémologie relationnelle. Plus encore, l‘animisme est une tendance

perceptuelle commune à l‘humanité émergeant des capacités cognitives ayant évoluées

pour être socialement biaisées (ibid. : 69). Alors que le paradigme objectiviste exige une

séparation du sujet par rapport à son objet pour le connaître, l‘expression « talking with »

illustre le mode animique de production de la connaissance fondé sur l‘action et la relation

avec les choses (ibid. : 77). Le savoir animique croît en fait à travers l‘expérience de la

« relationalité », vécue à partir d‘un point de vue situé à l‘intérieur des horizons changeants

de celui qui perçoit (ibid. : 69), et consiste au développement des compétences personnelles

à maintenir cette « relationalité ». Dans cette engagement, l‘attention se porte sur les

changements qui surviennent autour de nous en même temps qu‘à l‘intérieur de nous. Cette

épistémologie est ancrée dans la « dividuality », c‘est-à-dire l‘expérience partagée entre la

personne et les choses, plutôt que dans l‘individualité, c‘est-à-dire la dichotomisation du

sujet et de l‘objet. Finalement, les chasseurs-cueilleurs ne socialisent pas avec les choses

parce qu‘ils leur accordent une personnalité, mais leur accordent une personnalité parce

qu‘ils socialisent avec elles (ibid. : 78).

Pour Ingold (2000), dépasser le dualisme scientifique permet de saisir davantage que

la conception animique, mais tout le processus de la vie. À travers l‘approche

phénoménologique, il développe une écologie sensible qui réconcilie l‘individu organique

et l‘individu social en replaçant l‘Homme dans la nature. Selon lui, les comportements

humains ne sont pas des adaptations culturelles ou génétiques, mais sont développés à

chaque génération par tous les individus à travers leur expérience sensible et pratique du

monde. La notion de « dwelling perspective », qui se rapproche du modèle relationnel,

illustre cet engagement continu dans le monde qui permet d‘acquérir des compétences à

interagir avec l‘environnement et tout ce qui le compose. Comme la perception du monde

est indissociable de la façon d‘interagir avec lui, qu‘elle suppose l‘habitation du monde et

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une vision de l‘intérieur, elle ne constitue pas simplement la traduction en schèmes

conceptuels d‘une réalité extérieure. À l‘image des compétences, les savoirs et les

croyances se développent dans le contexte sensible et non dans l‘abstraction. Ainsi,

attribuer une personnalité aux composantes de son environnement illustre le fait que celles-

ci participent à notre « croissance » tout comme nous participons à la leur. Dans cette

même logique, Ingold mentionne que la terre (land) est le produit historique de

l‘engagement des personnes dans le monde et de leurs relations sociales, puisque celles-ci

laissent leurs traces dans le paysage. En d‘autres termes, la terre est indissociable des

habitants dont les histoires de vie s‘entremêlent à travers l‘expérience partagée d‘habitation

de lieux et d‘utilisation de chemins et elle leur fournit le terrain de leur croissance

(Ingold 2000 : 148-150).

De l‘ensemble des propos qui précèdent, l‘animisme apparaît comme un mode

d‘identification au monde qui repose sur une ontologie dite relationnelle (Laugrand et

Oosten 2010). Celle-ci consiste en une appréhension du monde fondée sur l‘expérience de

la relation avec l‘ensemble de ses composantes, humaines et non humaines. Cette relation

est réciproque, chacun participant à définir l‘autre, et respectueuse, en raison de la

reconnaissance de l‘autre comme un être sensible, conscient et intelligent. L‘animisme

n‘est plus ici considéré comme une construction culturelle nécessairement fausse, mais

comme une connaissance valide qui mérite d‘être prise au sérieux (Ingold 2000 ; Nadasdy

2007). Si l‘ontologie d‘une culture englobe les façons de penser, de savoir, de faire, et

d‘être, elle détermine alors sa façon de vivre et de se reconnaître dans son espace,

autrement dit sa territorialité. À l‘image des tensions entre des formes de territorialités,

dans la modernité, les ontologies s‘entrechoquent, certaines s‘imposent, font violence à

d‘autres, sans toutefois les faire disparaître. Les ontologies locales, autochtones, restent

fortes malgré la domination du paradigme scientifique et technocratique (Poirier 2001). Si,

depuis plus de vingt ans, les tentatives d‘intégration des connaissances autochtones dans la

gestion bureaucratique des ressources et du territoire échouent, c‘est parce que le

processus-même d‘intégration, réduit à un exercice technique, reproduit l‘hégémonie de la

science occidentale sans reconnaître le contexte social tout comme les relations de pouvoir

derrière la production du savoir (Nadasdy 2003).

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Synthèse

Pour résumer les idées-clés qui me servent à définir le territoire chez les Inuit, je

propose de le concevoir comme un espace de relations :

D‘abord, relation entre des individus qui, en vertu de l‘histoire et par les liens de

coopération et de parenté, appartiennent à une même communauté et s‘y identifient

(dimension sociale) ;

Relation entre la communauté et un espace de vie quotidienne, où elle mène les

activités nécessaires à sa reproduction tant matérielle que sociale et culturelle

(dimension pratique) ;

Relation entre des lieux, indissociable d‘un déplacement, d‘une mobilité à la fois

primordiale et complexe (dimension spatiale) ;

Relation entre le temps et l‘espace, parce que l‘expérience des lieux, comme des

itinéraires, est toujours temporellement située (dimension temporelle) ;

Relation entre la communauté et son passé, puisque le territoire incarne de diverses

manières, dans le visible et l‘invisible, son histoire, ce qui produit un sentiment

d‘appartenance à la terre (dimension historique et identitaire) ;

Relation avec les habitants non humains, implicite dans le procès des activités

quotidiennes (dimension écologique et sociale) ;

L‘appartenance au groupe et à la terre renvoie nécessairement à la relation avec

l‘extérieur, l‘étranger, et à la tendance à l‘intégration, ou bien au rejet, de laquelle

peut découler des conflits (dimension politique).

De cet ensemble toujours unique et dynamique de relations émerge une appréciation

du territoire et du monde qui est particulier aux individus qui expérimentent ces relations.

Le territoire chez les Inuit n‘est donc pas une réalité matérielle, visible, délimitée par des

frontières et des zones administratives. Il est à la fois une expérience et représentation de

l‘espace comme étant le leur, tout comme lui appartenant eux-mêmes, et ce en vertu d‘une

relation historique. Leur territorialité est précisément l‘expérience quotidienne de toutes ces

relations énumérées. Elle intègre tous les humains et les non-humains, qui ont chacun leur

propre territorialité, et produit une connaissance fondée de ces derniers.

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MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

Objectif de recherche : une mine en territoire inuit

L‘objectif de ce projet de recherche est d‘analyser l‘impact que l‘ouverture d‘une

mine provoque sur la relation contemporaine qu‘une communauté inuit entretient avec son

territoire. La question posée est la suivante : comment l‘exploitation minière affecte-elle et

modifie-t-elle cette relation ? Ici, l‘exploitation minière concerne plus spécifiquement la

mine d‘or de Meadowbank et la communauté de Qamani‘tuaq. Comme cette recherche fut

menée qu‘un an après l‘ouverture de la mine, elle ne concerne que le court terme. Cette

dernière notion est pertinente dans le cas de l‘exploitation minière, mais elle nous empêche

de mobiliser la notion de développement durable qui ne s‘applique qu‘à des projets pensés

sur un très long terme. Cette courte durée s‘explique non seulement par le caractère limité

de la ressource, mais aussi par les fluctuations fort imprévisibles du marché financier qui

risquent à tout moment de rendre inviable un projet d‘exploitation. Je proposerai cependant

en conclusion une perspective sur un avenir qui demeure plutôt rapproché.

La première étape pour atteindre mon objectif de recherche est de déterminer ce que

j‘entends par territoire, ce qui fut accompli au chapitre précédent. Ensuite, il est nécessaire

d‘étudier ce qu‘est le territoire et le rapport au territoire à Qamani‘tuaq, et ce dans une

perspective historique. Quelle était la relation au territoire avant la sédentarisation ?

Comment cette dernière s‘est-elle effectuée et quelle est la situation actuelle ? Pour

répondre à ces questions, j‘ai d‘abord procédé à une vaste recherche documentaire dont

l‘essentiel fut présenté au chapitre un. À l‘occasion d‘un séjour sur le terrain à

Qamani‘tuaq, j‘ai ensuite récolté des informations sur le rapport actuel au territoire.

Comme ce rapport est complexe et comporte de multiples facettes, il est malheureusement

impossible de le saisir à l‘intérieur de deux mois. C‘est cependant l‘exercice que j‘ai

modestement tenté de réaliser dans le chapitre quatre. Finalement, il faut rappeler que la

réflexion proposée dans ce mémoire n‘implique pas directement de déterminer si la mine

est une bonne ou une mauvaise chose pour la communauté, mais simplement de voir

comment les Inuit qui habitent le territoire expérimentent le nouveau contexte en fonction

de leur propre façon d‘être au monde. Ainsi, l‘analyse des différents impacts ne servira pas

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tant à dénoncer les effets négatifs de la mine sur les pratiques des chasseurs qu‘à rendre

compte des processus d‘adaptation et des différentes perspectives qui lui sont liées.

Affiliations et financement

Ce projet de recherche est affilié à deux projets d‘Alliances de recherche université-

communauté (ARUC) financés par le Conseil de recherche en sciences humaines du

Canada (CRSH) : Tetauan : Habiter le Nitassinan mak Innu Assi, Paysages culturels,

aménagement et gouvernance des milieux bâtis des Collectivités innues du Québec, et Inuit

Leadership and Governance in Nunavut and Nunavik : Life Stories, Analytical Perspectives

and Training. En plus d‘une bourse de terrain offerte par les Affaires autochtones et du

Nord Canada (AADNC, anciennement le MAINC) dans le cadre du Programme de

formation scientifique dans le Nord (PFSN), j‘ai obtenu pour réaliser mon terrain et mon

travail de recherche l‘aide financière de ces deux ARUC. D‘un point de vue éthique, mon

indépendance est totale dans la mesure où mon projet ne bénéficie d‘aucun appui de

compagnies minières. Finalement, j‘ai également eu la chance incommensurable de

recevoir une bourse d‘étude d‘un an du CRSH, ce qui m‘a permis d‘accomplir ma

deuxième année d‘étude à la maîtrise sans avoir à me soucier de mes revenus.

Stratégie générale de recherche

Comprendre le fonctionnement d‘un processus social dans un contexte précis, ancre

mon projet dans une perspective anthropologique. J‘ai choisi de mettre en place une

recherche qualitative de type empirico-inductive ayant pour approche fondamentale

l‘enquête naturaliste (Patton 1990). Une telle entreprise implique des contacts directs avec

les gens, des descriptions détaillées et des observations, une sensibilité au contexte

spécifique et une flexibilité du devis face à ce contexte. Elle nécessite la mobilisation d‘une

variété de méthodes et de techniques, comme la théorisation ancrée, la recherche

documentaire, le travail de terrain, la triangulation (Denzin et Lincoln 1994). En ce sens,

ma recherche s‘apparente à l‘étude de cas, c‘est-à-dire l‘étude empirique d‘un phénomène

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contemporain pris dans son contexte de vie réel dans le but d‘en dégager une description en

profondeur et la plus détaillée possible (Hamel 1997 ; McCorcle 1984 ;Yin 1981).

Une étude de cas répond habituellement à la question « comment » ou « pourquoi » et

cherche une connaissance de type explicative (McCorcle 1984 ; Yin 1981 : 100). Elle

convient donc à ma recherche qui s‘intéresse à la façon dont un phénomène (l‘exploitation

minière) en affecte un autre (la relation au territoire), sans que cela n‘implique

nécessairement une relation causale (Yin 2009). Ainsi, bien que l‘ouverture de la mine

engendre des réactions et des ajustements dans la relation que les Inuit entretiennent avec

leur territoire. Celle-ci comporte sa propre logique. Elle existe préalablement et

indépendamment de la mine, s‘exprime simplement dans un nouveau contexte et se modifie

en rapport à un ensemble de facteurs confondus qui ne sont pas tous liés à la mine. Le

savoir qui est tiré de l‘étude de cas est selon Stake (2005 : 454) de nature expérientielle, en

ce sens qu‘il est issu de l‘expérience des gens, de leurs activités, plutôt que de leurs

opinions et de leurs sentiments. Dans les limites de cette recherche, même en m‘intéressant

aux pratiques, il fut cependant naturellement impossible de se passer du discours et des

opinions.

Ne visant ni la production d‘une grande théorie, ni la vérification d‘une théorie

préexistante, cette recherche a pour but de construire et de valider dans un même temps une

théorie contextualisée « par la comparaison constante entre la réalité observée et l‘analyse

émergente » (Paillé 1994 : 150). La théorisation ancrée est une démarche itérative et

progressive qui vise à théoriser un phénomène, c‘est-à-dire à dégager sa signification par la

construction d‘un schéma explicatif qui est solidement ancré dans les données empiriques

(Paillé 1994). Ceci nécessite de ne pas rester confiné à des concepts définis, mais de faire

preuve de souplesse et d‘ouverture et de laisser émerger les questions et les catégories

pertinentes dans le contexte de la recherche. J‘ai ainsi élargi de prime abord ma perspective

sur les enjeux liés à la mine à Qamani‘tuaq en m‘intéressant non seulement aux impacts sur

la chasse et sur le territoire, mais également aux multiples changements sociaux et

économiques que les gens expérimentent à la fois au village, sur le territoire et au

campement minier. J‘ai tenté de laisser parler les gens le plus possible sur ce qui leur

semblait important, sur leurs expériences, sans me restreindre à mes propres idées

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préconçues.

De ce fait, certains thèmes ont pris moins d‘importance que prévu, comme la gestion

communautaire du territoire, et d‘autres en ont pris davantage, comme la vie sociale au

camp minier. J‘ai tenu compte du fait que certains questionnements, ou encore l‘usage de

certains termes, n‘avaient aucun sens pour les Inuit. Cela m‘a permis de critiquer leur

pertinence et de revoir le sens des concepts et des catégories préalablement définis. De plus,

en commençant l‘analyse des données dès le début du processus de collecte, mes

interprétations ont pu être constamment confrontées à la réalité. J‘ai donc tenté d‘avancer

parcimonieusement, du début à la fin, vers une meilleure définition et une plus grande

compréhension de mon objet d‘étude. La triangulation, composante fondamentale de

l‘étude de cas et de la théorisation ancrée, m‘a permis de clarifier mes perceptions, de tester

mes interprétations et de valider mes conclusions en m‘intéressant aux divers points de vue

(Stake 2005 : 453-454). Ceci est d‘autant plus important puisque les expériences de la

réalité varient au sein d‘un groupe en fonction entre autres de critères économiques,

politiques et culturels. Tout au long de ma recherche, j‘ai donc cherché à croiser, à

recouper, à compléter et à confirmer les informations obtenues auprès de différentes

sources, en passant par des documents officiels émis par les compagnies et des

organisations gouvernementales, en faisant varier le profil socioéconomique et familial des

informateurs et en confrontant les positions (Denzin 2009 ; Erlandson et al. 1993).

Il était important pour moi d‘éviter le phénomène d‘ « encliquage » dont parle Olivier

de Sardan (2008 : 93), c‘est-à-dire de me retrouver dans un réseau de relations particulier à

l‘intérieur duquel les expériences et les opinions sont homogènes. Bien que j‘aie profité des

réseaux sociaux de ma famille d‘accueil et de mes interprètes, je suis à quelques reprises

entrée par moi-même en contact avec des membres de la communauté pour sortir de ces

réseaux. J‘ai interviewé des employés de la mine et des institutions publiques et

gouvernementales, et des gens qui n‘ont jamais travaillé. Par ailleurs, j‘ai pris conscience

de la nécessité d‘être transparente quant à mes objectifs et mes affiliations – ou plutôt ma

non affiliation – pour éviter que les individus me catégorisent eux-mêmes et qu‘ils adaptent

leurs attitudes et leurs propos en fonction de cette catégorisation. Ils devaient savoir que je

n‘étais pas employée par une compagnie minière, que je n‘avais pas de position personnelle

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concernant l‘industrie minière – bien que cela puisse être difficile à concevoir – et que je

souhaitais apprendre sur les bons comme les moins bons côtés de Meadowbank. Malgré les

efforts, il ne s‘est pas avéré si évident de faire comprendre aux gens que je n‘étais là que

pour mes études, sans connaître moi-même la portée concrète de ce travail et sans être

payée pour l‘accomplir. Finalement, la théorisation ancrée et la triangulation m‘ont servi, je

crois, à assurer une certaine crédibilité à mon interprétation, c‘est-à-dire une adéquation

empirique entre la réalité des répondants et celle que je leur attribue. Elles sont des outils

pour garantir la qualité des données recueillies et leur respect lors de l‘analyse, qui doit

faire parler les participants et non le chercheur ou la théorie. Selon Olivier de Sardan (ibid.:

18-24, 79-82), elles aident à contrer la dérive théorique et la surinterprétation.

Participation et consentement

Sans orienter ma recherche vers une action sociale, le souci d‘apporter des

connaissances utiles à la communauté étudiée fait cependant naturellement partie d‘une

recherche qui se veut « décolonisée ». Comme le dit Denzin (2009 ; 2010 : 458), la

production du savoir est toujours morale et politique et la volonté d‘apporter un bénéfice

influence la recherche. Portant sur l‘analyse d‘un problème pratique actuel, c‘est-à-dire le

développement industriel en territoire autochtone, cette recherche possède une portée

pratique évidente. Bien qu‘elle ne fût pas de type collaboratif, j‘ai eu l‘espoir de trouver

quelques personnes motivées à participer à son élaboration et à son déroulement. J‘ai

cependant vite perdu mes illusions. Sans être fuyants, du moins pour la majorité, les gens

démontraient très peu d‘intérêt vis-à-vis ma recherche. Les raisons sont multiples, et pour la

plupart mal connues, mais elles comprennent sans doute l‘ignorance ou l‘incompréhension

quant au fonctionnement et au but de la recherche universitaire, et sans doute le sentiment

personnel d‘être incompétent à l‘égard du sujet d‘étude.

Chez les Inuit, ce sentiment est particulièrement marqué chez les adolescents et les

jeunes adultes qui considèrent que les aînés détiennent une plus grande faculté de

compréhension sur le monde qu‘eux et donc une plus grande légitimité et l‘autorité

nécessaire pour répondre aux questions (Hervé 2010 : 15-16 ; Laugrand 2008). Les

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individus nés dans un igloo sont en fait identifiés comme les « vrais Inuit », puisqu‘être né

sur le territoire est un marqueur de l‘identité inuit authentique. Ces vrais Inuit sont ceux qui

possèdent l‘isuma, la capacité de penser (Searles 2010 : 156). Ainsi, répondre à des

questions est toujours moins évident pour les jeunes, d‘autant plus lorsqu‘il est question de

savoirs et d‘expériences qui touchent aux traditions, comme les histoires chamaniques, pour

ne donner qu‘un exemple71

. D‘autre part, les Inuit sont conscients que chaque individu

expérimente différemment la réalité ; ils valorisent donc l‘expérience première (cf. Therrien

1998) et sa multiplicité. Ils ne discutent que de leur propre expérience, à l‘aide d‘exemples

concrets, sans se prononcer sur des sujets dont ils n‘ont pas l‘expérience directe et en

évitant de spéculer sur les causes et les effets des phénomènes (Kublu et al. 1999). Ne pas

aller au-delà de l‘expérience personnelle, c‘est avoir le souci de dire la vérité (Goulet 2007 :

222). Pour cette raison, les Inuit ont tendance à faire attention à leurs réponses, et parfois

même ils évitent de répondre. Malgré ces difficultés, seuls quelques individus ont

clairement décliné une proposition d‘entrevue. Un nombre satisfaisant ont consenti a

participer, soit par gentillesse, soit parce qu‘ils y voyaient une occasion de s‘occuper un

peu. Chose sûre, au lieu de l‘enthousiasme espéré, j‘ai plutôt obtenu des « I don‘t mind ».

Les questions éthiques en lien avec la décolonisation de la recherche ne renvoient pas

qu‘au bienfondé de la recherche collaborative. Elles font bien-sûr également appel à

l‘importance de bien renseigner les gens à propos de nos objectifs et d‘assurer le

consentement éclairé de leur participation. Ainsi, à chaque fois que je rencontrais une

personne, je m‘identifiais clairement comme chercheuse et mentionnais le sujet de mon

étude. Il m‘a semblé une bonne stratégie d‘informer les gens d‘abord, puis d‘attendre à la

prochaine rencontre, question de nous familiariser et d‘avoir le temps pour une première

discussion informelle, pour faire une demande d‘entrevue si cela s‘avérait pertinent. Aussi,

au début de chaque entrevue, en accord avec la politique des Comités d‘éthique de la

recherche sur les êtres humains de l‘Université Laval (CÉRUL) et celle du Nunavut

Research Institute (NRI) – desquels j‘ai obtenu des certificats de recherche –, j‘ai

71

L‘attitude vis-à-vis ce sujet varie grandement selon les générations. Sans vouloir trop généraliser, je

pourrais dire que les aînés aiment parler. Leurs enfants (âgés dans la cinquantaine et soixantaine), qui ont été

christianisés et scolarisés intensément très jeunes, évitent le sujet ou nient toute affirmation. Quant aux petits-

enfants (âgés dans la trentaine et la quarantaine), ils ne connaissant pas vraiment la question, mais aimeraient

bien en entendre parler.

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clairement expliqué le contexte et le but de ma recherche ainsi que les sujets sur lesquels le

répondant allait être questionné. Avec l‘accord préalable du participant, j‘enregistrais cette

introduction et son consentement à procéder à l‘entrevue. Ainsi, toutes mes entrevues

(c‘est-à-dire les discussions formelles) furent enregistrées et chaque consentement fut

obtenu de façon verbale72

. En raison des normes de recherche dans le Nord canadien et de

l‘exigence du NRI, j‘ai également versé une compensation financière aux participants et

aux interprètes pour les entrevues73

. Celle-ci n‘était pas présentée comme un salaire, mais

comme un dédommagement pour leur participation et comme un moyen pour la recherche

universitaire d‘apporter des bénéfices concrets et immédiats pour la communauté, surtout

compte tenu du très faible revenu d‘un bon nombre de ménages. Au-delà de ces aspects

techniques, les questions éthiques nous éveillent à la nécessité de surmonter une attitude

ethnocentrique trop répandue et fortement ancrée en nous pour s‘ouvrir à l‘ontologie de

ceux sur qui portent notre recherche et de la prendre au sérieux (Goulet et Miller 2007 ;

Goulet 2007 ; Ingold 2000 ; Nadasdy 2007 ; etc.). Ma méthode de recherche découle en

grande partie de cette idée. En ce sens, nous verrons un peu plus loin comment la méthode

de la participation radicale permet de faire face aux problèmes à la fois éthiques et

épistémologiques en anthropologie.

Opérationnalisation des concepts

À partir de mon cadre théorique, qui a bien évolué depuis le début du processus de

recherche, j‘ai préparé ma collecte des données. À cette fin, j‘ai opérationnalisé mes

concepts. Je les ai traduits en phénomènes identifiables et questionnables sur le terrain.

Cependant, je ne me suis pas limitée à l‘application critique des concepts retenus. Ceux-ci,

en fournissant des thèmes principaux d‘analyse, n‘ont servi que de balises de départ dans

l‘exploration de la réalité vécue des Inuit et de leurs propres catégories conceptuelles. À

prime abord, pour l‘élaboration des schémas d‘entrevue, l‘opérationnalisation de mes

concepts s‘est présentée comme suit :

72

Voir à l‘annexe H le formulaire de consentement rédigé pour le CÉRUL. 73

J‘ai offert un montant allant entre vingt et soixante dollars par entrevue, selon l‘âge du participant et la

durée de l‘entretien.

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Mobilité : analyse spatiotemporelle des déplacements, de l‘usage de moyens de

transport et de sentiers, et de l‘occupation des lieux sur le territoire.

Territorialité : analyse de la gestion communautaire de l‘accès au territoire par les

modes de communication, par l‘établissement de frontières ou de divisions

territoriales, par la reconnaissance des étrangers et par divers moyens de

formulation et d‘application de codes de conduite formels ou non.

Appropriation symbolique et collective des lieux et des sentiers : analyse des

savoirs et des valeurs historiques et économiques en lien avec les lieux qui composent

le territoire et de l‘appropriation de lieux et de sentiers par des membres de la

communauté.

Subsistance : Analyse des espèces exploitées et des groupes et des techniques de

récolte.

La pertinence de ces aspects de la relation écologique naît de trois changements

majeurs dans la vie des Inuit de tout l‘Arctique. D‘abord, le mode de vie sédentaire a réduit

grandement leur mobilité et a augmenté la pression humaine sur l‘environnement. Puis,

l‘émergence du développement industriel a amené de nouveaux conflits concernant l‘usage

du territoire et des ressources. Par exemple, l‘arrivée des travailleurs étrangers ainsi que la

construction de routes peuvent rendre plus difficile une contrôle local (voir Scott et Webber

2001). Enfin, les changements dans l‘organisation politique, par l‘intégration dans la

politique canadienne, puis par la formation d‘un gouvernement territorial, transforment eux

aussi le mode de régulation des pratiques sur le territoire et surtout les échelles d‘influence.

Pour l‘étude de l‘impact de la mine d‘or, les concepts ont servi à analyser ceci :

Mobilité : impact de la présence de la mine et de la route sur les déplacements,

l‘usage des sentiers et l‘occupation des lieux sur le territoire.

Territorialité : impact de l‘exploitation minière, de la présence de la compagnie et

des travailleurs du sud sur la capacité de la communauté à exercer un contrôle sur

l‘usage du territoire.

Appropriation symbolique et collective des lieux et des sentiers : impact sur les

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valeurs économiques, historiques et identitaires des lieux et sur la capacité des

individus à s‘approprier des lieux et des sentiers.

Subsistance : impacts sur l‘accès et la disponibilité des ressources exploitées et sur

leur habitat.

Bien qu‘elle constitue un outil de base primordial pour me diriger dans ma recherche,

cette catégorisation m‘a évidemment semblé plutôt superflue une fois sur le terrain parce

qu‘elle ne colle pas directement à la réalité des gens. Les concepts et les catégories sont des

abstractions, et donc le fruit d‘un travail intellectuel auquel la majorité des gens ne

s‘adonnent pas régulièrement. Afin d‘aborder les thématiques liées à mon cadre théorique,

je dus faire de nombreux essais et erreurs en modifiant la formulation et les termes de mes

questions. Il ne suffit pas de dire les mots « gestion », « régulation », ou « sentier » pour

éveiller chez l‘interlocuteur ses expériences quotidiennes ; ces termes sont souvent bien

trop abstraits pour l‘interpeller. D‘autres fois, à l‘opposé, les questions font tellement appel

au sens commun, qu‘elles paraissent stupides. J‘ai donc dû les substituer à des formules

plus près de leur réalité, notamment à des questions sur les règles de la compagnie minière,

sur la relation avec les autres chasseurs sur le territoire, sur le travail de la HTO, sur leur

façon de trouver leur chemin sur le territoire, sur les endroits où ils aiment aller pêcher, etc.

Aussi, certains concepts ou aspects théoriques se sont avérés impertinents, comme la notion

de frontière, comme il était possible de se douter. Par ailleurs, j‘ai tenté d‘explorer les

notions locales et vernaculaires en lien avec le territoire, mais ce ne fut pas avec grand

succès, comme nous le verrons un peu plus loin. Apprendre à poser les bonnes questions en

anglais à propos du territoire et des activités qui y sont menées, sujet tout-à-fait nouveau

pour moi au-delà de quelques lectures académiques, de manière à ce qu‘elles fassent sens

pour mon interlocuteur, fut déjà une grande tâche.

Techniques de collecte des données

Recherche documentaire

Grâce à une recherche documentaire, je me suis d‘abord informée sur le cadre général

de la problématique de recherche, soit l‘histoire, la géographie, la culture, la politique et

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l‘économie de la communauté de Qamani‘tuaq. Ceci inclut les différentes échelles

d‘analyse, allant du local au national. D‘abord, les sources ethnographiques et

historiographiques ont servi à documenter l‘histoire et les traditions de la population

étudiée. Les ouvrages de Vallee (1967) et de Mannik (1990) ont été d‘une aide particulière

puisqu‘ils traitent du vécu sur le territoire des Qamani’tuarmiut pour la période qui précède

la sédentarisation intensive à la fin des années soixante. Ensuite, les documents et les sites

web officiels de gouvernements et d‘institutions publiques ont permis de connaître le

fonctionnement politique et le contexte économique. Les rapports du NIRB et des

compagnies minières ont quant à eux donné accès aux enjeux reconnus et anticipés de

l‘exploitation minière pour la communauté. Le rapport de Cumberland (octobre 2005) sur

l‘étude sur le savoir traditionnel à Qamani‘tuaq est aussi riche en informations pertinentes

concernant l‘usage et les connaissances du territoire pour ce qui concerne l‘époque

contemporaine, juste avant l‘ouverture de la mine d‘or. Ces informations, ainsi que les

cartes géographiques qui les accompagnent (annexes D, E et F), serviront à appuyer et

compléter mes propos dans les trois chapitres qui suivent.

Enfin, une revue de presse de quotidiens (Nunatsiaq News, Kivalliq News, Northern

News, Nunavut News/North, CBC New, etc.) autour du thème de l‘exploitation minière au

Nunavut, plus particulièrement à Qamani‘tuaq, a fourni une autre source d‘information

secondaire privilégiée. Elle s‘accompagne du visionnement de vidéos, disponibles sur le

site web inuit IsumaTv, sur lesquels des Nunavumiut discutent de ce thème. La lecture de

documents académiques, journalistiques et gouvernementaux s‘est étendue du tout début de

l‘élaboration de mon projet de recherche à la toute fin. Au retour de mon terrain de

recherche, j‘ai continué mes lectures pour affiner mon approche théorique, trouver des

sources de comparaison avec le cas minier choisi et compléter mes connaissances factuelles

concernant l‘histoire de la communauté et le contexte politique et minier au Nunavut.

Démarche ethnographique : préparation et premiers contacts

Dans le cadre de cette étude anthropologique, un séjour sur le terrain fut évidemment

essentiel à l‘accès direct à la dynamique locale et me permit de collecter des données à

l‘aide de deux techniques principales : l‘observation participante et l‘entrevue semi-dirigée.

Ce séjour à Qamani‘tuaq fut d‘une durée de deux mois au printemps 2011 (du 22 avril au

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24 juin). J‘ai choisi cette saison puisqu‘elle apparaissait comme la plus propice à la

rencontre de gens actifs sur le territoire. Cette idée fut confirmée, mais pour pouvoir

rencontrer davantage de gens il eut été utile de disposer de mon propre moyen de transport.

La préparation du terrain de recherche, en plus de l‘élaboration du projet, comprit

l‘apprentissage de la langue vernaculaire, la mise en contact avec certaines organisations de

la communauté et la recherche d‘une famille pour m‘accueillir et m‘héberger.

Pour me familiariser avec l‘inuktitut, j‘ai pris deux cours simultanément à l‘hiver

2011. Ils m‘ont permis d‘acquérir une base nécessaire pour entreprendre un

perfectionnement sur le terrain. Je croyais cette base essentielle à la réalisation de ma

recherche à la fois pour pouvoir mieux communiquer avec l‘ensemble des membres de la

communauté et à la fois pour tenter d‘explorer les notions et les catégories linguistiques

locales en lien avec ma problématique. Cependant, une fois arrivée, il s‘est avéré que la

connaissance de la langue ne fut pas si essentielle pour mener à bien la recherche. Non

seulement la majorité de la communauté pouvait parler aisément l‘anglais et le faisait très

fréquemment (surtout les jeunes de quarante ans et moins), mais une grande quantité de

gens (généralement vingt-cinq ans et moins) étaient pratiquement incapable de parler et de

comprendre l‘inuktitut. Cette situation fut très surprenante, comme il est en tout autrement

dans d‘autres communautés de la région74

. Dans ce contexte, il fut évidemment plus ardu,

malgré ma volonté, de pratiquer l‘inuktitut. Il eut été bénéfique à cette fin de trouver une

personne prête et disponible pour m‘aider. La personne la plus propice à m‘accompagner

eut été la femme qui m‘a hébergé, Vera Avaala, une femme ouverte et dévouée.

Malheureusement, sa condition de santé, qui s‘est fortement détériorée pendant mon séjour,

ne lui a pas permis de passer autant de temps qu‘elle l‘aurait souhaité, j‘en suis sûre, à m‘en

apprendre sur sa culture. Ainsi, bien que j‘aie appris d‘une part à utiliser quotidiennement

certaines expressions et d‘autre part quelques mots en lien avec le territoire75

, ma

connaissance de l‘inuktitut n‘a guère pu progresser lors de mon terrain. J‘ai pu cependant

me débrouiller dans presque toutes les situations en utilisant l‘anglais. Pour mener les

entrevues avec les aînés unilingues, je n‘ai pas eu de difficulté à trouver un interprète à

74

Selon le NPC (2008 : 6), en 2006, seulement 28,5 % des Inuit de Qamani‘tuaq parlaient plus fréquemment

l‘inuktitut que toute autre langue à la maison, contre 63,5 % pour tout le Nunavut. 75

Comme j‘étais en processus de familiarisation avec le milieu inuit, certaines de mes tentatives pour aborder

les notions inuit ont été vaines, sans doute en raison de l‘inadéquation de mes questions.

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l‘aise dans les deux langues. J‘ai tout de même voulu assurer une place à la langue locale

dans ma recherche par la collecte et l‘analyse de toponymes. Ceux-ci sont des sources

d‘information riches en ce qui a trait aux activités et les représentations passées actuelles et

lien avec le territoire.

Pour ce qui est de la mise en contact, j‘ai d‘abord envoyé des courriels à la mairie

(hamlet) et à la HTO de Qamani‘tuaq dans le but de les informer de ma venue et de mon

projet et de solliciter leur soutien dans ma recherche d‘informateurs une fois sur le terrain76

.

Malheureusement, pour des raisons inconnues, ces deux instances ne m‘ont pas répondu et,

une fois à Qamani‘tuaq, n‘ont pas été d‘une aussi grande aide que je pouvais l‘espérer. La

mairie m‘a référé à la HTO, et la HTO, ou plutôt la secrétaire-gestionnaire de la HTO, n‘a

pas manifesté un grand intérêt pour ma recherche, paraissant déjà trop occupée. Elle a

cependant eu la délicatesse de m‘inviter à une réunion de la HTO qui m‘a permis de

rencontrer les membres du conseil administratif, dont l‘un d‘eux m‘a plus tard accordé une

entrevue, et de poser quelques questions sur le fonctionnement et la mission de la HTO.

J‘ai eu beaucoup plus de chance avec ma famille d‘accueil, puisque je l‘ai trouvée un

mois avant mon départ et qu‘elle fut d‘une grande générosité et d‘une grande aide pour

réaliser ma recherche. Vera et John Avaala, tous deux soixante-deux ans, ont eu l‘amabilité

de m‘accueillir comme une fille dans leur maison, habitée également par trois de leurs

enfants et quelques petits-enfants. Les Avaala sont une famille très active au village comme

sur le territoire, ce qui fut une chance pour moi. J‘ai ainsi pu en apprendre beaucoup avec

eux en participant à maintes activités : services religieux, courses de motoneiges et de

traîneaux à chiens, fêtes familiales, journées de pêche, jeux communautaires, voyages de

chasse, séjours à la cabin77

, etc.

76

Le CÉRUL et le NIR exigent également que la communauté visée par la recherche donne son accord pour

que la recherche soit menée. 77

J‘ai choisi d‘utiliser le terme anglais employé par les Inuit pour parler de leurs petits chalets, étant donné

que je ne trouvais aucun autre mot français qui puisse bien le traduire.

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Démarche ethnographique : la participation radicale

Ce terrain était à la fois ma première expérience de recherche et à la fois mon premier

séjour dans une communauté inuit. Dès mon arrivée, je fus frappée d‘un sentiment de

grande vulnérabilité et d‘ignorance. Étrangère portant des objectifs paraissant soudainement

plutôt ambigus, ne connaissant rien de ces gens et de leur vie quotidienne, je me suis

retrouvée dans la peau d‘une enfant qui avait tout à apprendre, y compris « apprendre à

apprendre » (Goulet 2007). Je devais donc inévitablement entrer en processus de

socialisation à travers l‘engagement personnel et l‘échange avec l‘Autre, et ainsi explorer

sa façon d‘être, de penser et de faire, si je souhaitais saisir moindrement sa réalité. C‘est en

ce sens que je me suis inspirée de la méthode de la participation radicale, telle qu‘élaborée

par Barth (1992), Goulet (1998 ; 2007) et Goulet et Miller (2007). Celle-ci évoque la

pertinence, pour comprendre l‘expérience humaine, de développer nos connaissances à

partir de notre engagement et de notre implication dans les pratiques et les activités

quotidiennes des membres de la communauté. Elle donne accès aux « tactiques

quotidiennes » (de Certeau 1990) qui ne sont pas inscrites dans les structures et les discours

dominants, mais dans la pratique. Afin de s‘impliquer intimement dans son milieu de

recherche, mais aussi de lâcher prise face à son désir de tout contrôler dans un contexte où

tout lui échappe, le chercheur doit savoir mettre à distance son agenda académique ainsi

que l‘ensemble des connaissances sur le monde qu‘il prend pour acquis, ce qui est loin

d‘être évident. Il peut ainsi s‘ouvrir à la réalité de l‘autre, son ontologie, être plus réceptif à

l‘inattendu et faire soi-même l‘expérience de cette réalité. Ceci implique entre autres de ne

pas penser leurs représentations d‘abord en termes de croyances, mais en termes des vérités

qui nous informent sur le monde (Goulet 2007 ; Nadasdy 2007). Nous rejoignons ici

l‘approche par théorisation ancrée, qui cherche à faire parler l‘Autre et non nos propres

représentations et idéologies, mais aussi l‘approche de l‘anthropologie de la nature.

La participation radicale exige de mettre en pratique beaucoup plus que ses qualités

de chercheur, mais aussi ses qualités en tant que personne ; son ouverture d‘esprit, son

empathie, ses capacités d‘apprentissages des codes sociaux, notamment. Non seulement il y

a alors développement d‘un savoir fondé sur l‘engagement intime, mais également

élaboration d‘une relation de confiance avec les membres de la communauté, facilitant le

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dialogue et l‘échange de savoirs (Goulet 1998 ; 2007 ; Goulet et Miller 2007). Le chercheur

a lui aussi quelque chose à offrir aux autres, et une attitude de réciprocité peut être plus que

bénéfique pour le déroulement de la recherche. Pour ma part, j‘ai toujours tenté d‘établir

une relation d‘échange avec les Qamani’tuarmiut ; sollicitant leurs connaissances, leurs

idées et leurs vécus, je leur offrais mon temps, mon aide pour différentes tâches et

partageais avec eux des bribes de ma propre existence.

Collings (2009) mentionne l‘importance de la participation radicale pour développer

ses compétences à communiquer et à établir des rapports selon les codes socioculturels

spécifiques, et donc à poser des questions de façon appropriée. Ceci est d‘autant plus

important pour ma recherche puisque chez les Inuit, l‘apprentissage s‘effectue beaucoup

moins en posant des questions que par l‘observation, et que les questions, qui comportent le

risque de violer certains tabous, représentent davantage une atteinte à l‘intégrité et

l‘autonomie des individus. Lorsqu‘on acquière des capacités à communiquer

convenablement, il devient possible de pratiquer la technique de « phased assertion »

élaborée par Collings. Celle-ci consiste à mettre de l‘avant notre connaissance de base pour

encourager les gens à parler. Elle permet un accès progressif au savoir détaillé caché. C‘est

ce que j‘ai tenté de faire tout au long de mon terrain, en abordant les gens sur la base de

mes propres expériences et connaissances fraîchement acquises sur le terrain, les motivant à

échanger leurs propres vécus et à aborder des sujets qu‘ils auraient autrement,

volontairement ou non, mis de côté. Évidemment, à l‘intérieur d‘un séjour de deux mois, la

méthode de participation radicale fut davantage un horizon qu‘une pratique concrétisée, ce

qui me permis tout de même, je crois, de pousser un peu plus loin l‘observation

participante.

La première tâche sur le terrain fut de me familiariser le plus possible avec les gens

de la communauté ainsi qu‘avec les façons d‘être et de faire des Inuit, plus particulièrement

en ce qui a trait au territoire. Le fait d‘être accueillie et hébergée par une famille inuit fut

d‘un grand support dans ce processus d‘apprentissage et d‘intégration, jugé nécessaire à la

compréhension de ma problématique de recherche. Dès mon arrivée, je me suis impliquée

dans la vie familiale, par la réalisation de tâches ménagères par exemple, j‘ai participé aux

activités du village et profité de toutes les occasions de sortie sur le territoire. À travers

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l‘expérience directe de la vie quotidienne et des pratiques sur le territoire, je devins peu à

peu apte à poser des questions compréhensibles et appropriées pour les Inuit et pertinentes

pour ma recherche. Tout en cherchant d‘abord à limiter le nombre de questions posées aux

gens que je fréquentais, en partie par souci de respect, j‘ai appris à profiter des discussions

informelles pour apprendre et ainsi me préparer pour réaliser des entrevues. En plus des

séjours sur le territoire et des entrevues avec les chasseurs, j‘ai eu la chance d‘effectuer

deux visites à la mine de Meadowbank et d‘assister à une rencontre organisée par Agnico

au centre communautaire de Qamani‘tuaq. Cette rencontre d‘information ouverte à tous

m‘a offert un aperçu de la relation entre la compagnie et la communauté, mais aussi des

opinions, attitudes et inquiétudes des Inuit quant à ce qui se passe à la mine. J‘ai pu faire la

connaissance de deux employés cadres d‘origine québécoise et leur parler de mon projet.

La première visite à la mine, pour laquelle j‘étais accompagnée de trois membres de la

communauté, m‘a donné une idée de la vie au camp ainsi que de l‘activité sur la route et de

ses impacts sur la faune. Cela était d‘autant plus intéressant du fait que deux des co-

passagers étaient employés pour étudier les activités fauniques le long de la route.

La seconde visite eut lieu grâce à l‘invitation des deux cadres rencontrés auparavant.

Ils m‘ont offert un tour guidé du camp et présenté, avec support visuel, le projet minier et

tous les défis qu‘il comporte dans le Grand Nord canadien. J‘ai pu m‘informer notamment

sur l‘activité minière, les Inuit au travail et sur les questions politiques et

environnementales liées la mine. Cette invitation n‘est pas venue d‘elle-même, mais a fait

suite à un refus de la part de la compagnie de me laisser assister à un rencontre à la mine

entre Agnico et différents comités de la communauté (aînés, jeunes, éducation, HTO, etc.).

Malgré une déception, j‘ai compris que la décision avait été prise dans le but que ce type de

rencontre demeure un espace privilégié de contact et de dialogue entre les membres de la

communauté et la compagnie. La visite m‘a néanmoins fourni l‘occasion de discuter avec

différents employés inuit et non inuit de la mine, mais surtout d‘en apprendre sur une

perspective totalement différente de la situation, celle des employés d‘origine occidentale

qui ont leur propre expérience. Il faut noter qu‘étant de même nationalité que moi, le

contact avec eux fut grandement facilité et enrichissant. Une relation d‘échange fut par la

suite maintenue ; d‘une part il était avantageux pour moi de garder le contact en vue de

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toute demande future d‘information, et d‘autre part ils désiraient être mis au courant de mes

résultats de recherche. Pour cette raison, je leur ai remis un rapport préliminaire en

sollicitant leurs commentaires. Ceux-ci m‘ont paru honnêtes et justes et j‘en tiens compte

dans ce mémoire. Je n‘ai senti en aucun cas l‘intention de leur part d‘influencer ma

recherche, mais plutôt la volonté d‘informer sur leur réalité et de chercher des solutions à

certaines difficultés.

Entrevues

Le recrutement des participants s‘est mis en place tranquillement à partir de la

troisième semaine et s‘est effectué de différentes façons. Par la fréquentation des lieux

publics (principalement le magasin général), les promenades dans les rues et la

participation aux activités communautaires, j‘ai pu rencontrer les gens, faire connaître mon

projet et repérer des informateurs potentiels, sans les solliciter dès la première rencontre. Le

profil recherché fut simplement des individus majeurs maintenant des activités de chasse

sur le territoire autour de la communauté, mais préférablement au nord, là où la route et la

mine se situent. Il s‘est avéré que pratiquement tous les chasseurs de la communauté

allaient, au moins à l‘occasion, chasser dans cette région. Une variation dans les aires de

chasse fréquentées s‘est tout de même révélée en fonction de l‘origine des participants.

Pour en tenir compte, j‘ai eu la chance d‘interviewer des gens issus de différentes régions.

Sur les dix-neuf participants, cinq viennent de la rivière Kazan (Harvaqtuurmiut), onze du

Nord, de la rivière Meadowbank à Gjoa Haven en passant par la rivière Back

(Ukkuhiksalingmiut ou Natsilingmiut), deux de la côte, entre Chesterfield et Rankin Inlet

(Qainirmiut), et enfin un de la région de Cambridge Bay (Kihlirnirmiut).78

Bien que dans

ce travail je nomme « chasseurs » les participants, il faut savoir qu‘ils sont la plupart du

temps aussi pêcheurs et trappeurs79

. J‘ai tenté de faire varier l‘âge et le sexe des participants

de plus que leur occupation principale, c‘est-à-dire avec ou sans emploi, en m‘intéressant

particulièrement à ceux travaillant ou ayant travaillé à la mine. Dans tous les cas, en raison

78

Il n‘y a pas de certitude quant à l‘appartenance des participants aux différents groupes -miut. Je n‘ai pas

dans tous les cas eu l‘information directement de leur part, mais me suis souvent basée sur différentes cartes,

trouvées notamment dans Mannik (1990), Bennett et Rowley (2004) et Vallee (1967). 79

Lors de ma recherche, j‘ai malheureusement très peu étudié et appris sur la trappe à Qamani‘tuaq.

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du contexte de la recherche – notamment la petite taille de la population d‘enquête –,

l‘échantillonnage fut de type non probabiliste et fonctionna par jugement (Bernard 2006 :

146-147, 187).

Avant tout, j‘ai dû trouver un interprète pour réaliser les entrevues auprès d‘aînés

unilingues, ce qui fut vite accompli grâce à l‘aide de ma mère d‘accueil. Au bout de

quelques semaines, j‘ai cependant dû moi-même trouver un remplaçant, ce qui se fit avec

chance encore assez aisément et rapidement. Pour les deux, il s‘est avéré difficile

d‘entretenir leur enthousiasme et leur assiduité au travail après quelques semaines. Par

contre, j‘ai pu réaliser avec intérêt l‘influence de l‘interprète, de son caractère, de ses

relations sociales et de ses opinions, sur le déroulement des entrevues, surtout dans le cas

de deux entrevues menées avec le même participant mais chaque fois avec un interprète

différent. Ces deux interprètes m‘ont aidé à lister, en fonction de leurs réseaux sociaux, les

noms d‘aînés susceptibles de pouvoir m‘aider et à recruter ceux-ci au jour le jour. J‘ai

débuté mes entrevues avec les aînés et pris de l‘expérience pour me lancer dans les

entrevues auprès des plus jeunes bilingues. J‘ai recruté ces derniers par effet « boule de

neige » en partant d‘abord des réseaux sociaux de ma famille d‘accueil et de mes

interprètes, puis de ceux des participants. J‘ai ainsi réalisé des entrevues individuelles,

d‘une durée moyenne d‘une heure chacune, avec dix-neuf chasseurs entre trente-quatre et

soixante-dix-neuf ans, dont onze aînés et trois femmes80

. Une seule entrevue fut menée sur

le lieu de travail du participant, toutes les autres se sont déroulées à domicile. Pour trois des

aînés, une seconde entrevue fut menée en raison de leur intérêt, de leur expérience et de

leur disponibilité. Il est impossible de déterminer quel pourcentage des chasseurs de la

communauté cela représente puisqu‘il n‘existe aucune recension exacte81

.

À l‘image des apprentissages acquis à travers la participation à des activités et les

entretiens, ma grille d‘entrevue, d‘abord élaborée à partir de mon cadre conceptuel, fut en

continuelle évolution. Pour presque chaque entrevue, j‘ai revu les thèmes et la façon de les

80 Le faible pourcentage de femmes est dû au fait qu‘elles sont beaucoup moins nombreuses que les hommes à

voyager et à chasser de façon indépendante. Cependant, j‘ai pu obtenir l‘opinion d‘un certain nombre d‘entre

elles lors de discussions informelles. 81

Selon le rapport d‘Agnico sur la surveillance faunique à Meadowbank, en 2008 la liste des membres de la

HTO de Qamani‘tuaq comptait 683 chasseurs/pêcheurs/trappeurs locaux. Agnico estime plutôt le nombre à

389, comme cette liste comprend certainement des familles entières. En 2005, le NWMB l‘avait établit à 336

(Gebaeur et al. 2011).

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aborder dans le but de confirmer mes acquis et de pousser ma compréhension. Je fis

également varier les sujets en fonction du profil des individus et de ce qui avait plus ou

moins été discuté dans les entretiens précédents. Chaque entrevue s‘est vue unique de plus

en raison du fait qu‘elle se déroulait selon les intérêts et les réponses du répondant, que je

tentais le plus possible de laisser s‘exprimer sur les sujets qu‘il jugeait importants. Parmi

les thématiques touchées, en plus de l‘expérience du territoire et des impacts de la mine,

figurent notamment l‘expérience de la sédentarisation et les connaissances sur la migration

des caribous. Les préoccupations et les expériences liées à la mine d‘or ont naturellement

été accompagnées de celles liées aux autres camps d‘exploration anciens et actuels, et plus

particulièrement celui de Kiggavik, dont le développement est éminent. Je glisserai un mot

à ce sujet en conclusion.

Cartes, notes et photos

Durant mes observations participantes des diverses activités, c‘est-à-dire la majorité

de mon temps passé dans la communauté, j‘ai tenté d‘éviter de prendre des notes sous le

regard des gens. J‘attendais plutôt un moment d‘isolement pour écrire quelques mots.

Ensuite, une fois de retour dans ma chambre, particulièrement le soir, j‘ai pris le temps

d‘écrire en détails mes observations et mes apprentissages de la journée. En parallèle, j‘ai

tenu presque quotidiennement un journal de bord dans le but de verbaliser mes réflexions

personnelles et mes interprétations en les distinguant des données recueillies (Olivier de

Sardan 2008 : 84). Les entrevues ont été enregistrées avec le consentement préalable des

participants, à l‘aide d‘un magnétophone et de quelques notes sur papier. Comme support

visuel, j‘ai fait l‘usage de cartes géographiques de la région englobant pratiquement tout

l‘espace actuellement fréquenté par les membres de la communauté ainsi que leurs terres

d‘origine82

. La majorité des informateurs pouvaient lire les cartes et les utilisaient aisément

pour situer géographiquement leur propos. Elles me furent très utiles pour saisir et

visualiser les dimensions du territoire et les différentes directions. J‘ai par ailleurs pu y

noter les toponymes obtenus. Finalement, ma collecte de données fut complémentée par la

82

Je me suis procuré ces cartes auprès de la Arviat Lumber Supply.

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prise de nombreuses photos au cours de la participation à des activités dans le village et sur

le territoire et de la visite de différents lieux, tel le village, les maisons et les cabins.

Analyse des données

Tel que mentionné plus haut dans ce chapitre, j‘ai adopté pour ma recherche la méthode

d‘analyse par théorisation ancrée. Celle-ci suggère la simultanéité de la collecte des

données d‘un côté et de l‘analyse et de l‘interprétation des données de l‘autre, dans le but

d‘ajuster de façon continuelle les catégories conceptuelles à la réalité (Paillé 1994).

L‘analyse des données a commencé sur le terrain, alors que les observations, les

discussions et les entrevues me donnaient l‘occasion de réfléchir sur mon objet d‘étude et

l‘application de mon cadre théorique. En donnant la priorité aux données plutôt qu‘à la

théorie, je revoyais mes questionnements et ma façon de les aborder avec les gens,

cherchant des confirmations, des précisions sur certains sujets moins abordés ou de

nouvelles pistes de recherche.

Au retour de terrain, avant toute transcription et analyse, j‘ai d‘abord mis sur papier,

notamment par la rédaction d‘un rapport préliminaire83

, les réflexions et les premières

conclusions qui me venaient à l‘esprit ainsi que les catégories d‘analyse qui me semblaient

les plus pertinentes. Celles-ci allaient bien au-delà de mon objet d‘étude précis, soit le

rapport au territoire, mais concernaient aussi les impacts sociaux et économiques de la

mine. Elles ont naturellement évolué, comme j‘ai tenté de les rendre le plus exclusives

possible, et ce tout au long de la codification et de l‘analyse des entrevues. À l‘automne

2011, j‘ai achevé la transcription de l‘ensemble de mes entrevues à l‘aide du logiciel Word

Office. À l‘hiver 2012, j‘ai procédé à la codification et à l‘analyse des entrevues. Pour la

codification, j‘ai utilisé un ensemble de catégories et de sous-catégories et eu recours à des

symboles pour signifier la nature des idées ; positif, négatif, neutre, relation de causalité ou

de non-causalité entre deux phénomènes, situation de changement, etc. Réalisant vite la

83

J‘ai rédigé ce rapport en anglais à la demande d‘un doctorant travaillant en collaboration avec la HTO de

Qamani‘tuaq. Il souhaitait obtenir ce rapport pour aider la HTO à se positionner contre le projet de Kiggavik.

Sans accepter de prendre moi-même position sur la question, sachant que les opinions des Inuit sont très

divisées, j‘ai rédigé le rapport en mentionnant les bons et les mauvais côtés de la mine de Meadowbank. C‘est

le même rapport qui fut envoyé à Agnico, la mairie et la KIA.

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quantité d‘informations et la variété des propos, j‘ai dû trouver un moyen de tout classer

pour faciliter l‘analyse et l‘identification de récurrences et de liens entre les variables. J‘ai

alors utilisé le logiciel Excel de façon à pouvoir vite repérer l‘information obtenue pour

toutes les catégories et pour chaque informateur, en prenant soin d‘y inclure, sous forme de

commentaire, le plus de détails possibles et le numéro des pages d‘entrevue

correspondantes.

Une fois mon tableau terminé, j‘ai tenté de faire ressortir quelques généralités et de

développer des arguments de travail. J‘ai dû faire le choix de mettre certains éléments de

côté pour me concentrer sur d‘autres. À cette étape, le travail intellectuel qui s‘effectue

entre la constatation des données et la proposition d‘une thèse, est bien difficile à décrire.

Bachelard (1940) nomme ce processus créateur scientifique l‘« induction transcendante ».

La théorisation, plutôt que d‘être un « processus graduel et pyramidal d'extraction du

dénominateur commun qui, en fin de route, nous livrerait une Généralisation », est un

passage discontinu des faits à l‘intuition, intuition « certes nourrie de faits mais décollée de

ces faits » (Verdon 1988 : 200-201). C‘est une idée qui me semble juste.

Rédaction et diffusion des résultats

L‘une des difficultés qui se présentent lorsque vient le temps d‘analyser et de mettre

sur papier les réflexions, est la traduction. Alors que la majorité du travail de recherche

(lecture théorique et collecte des données) s‘est effectué en anglais, la présentation des

résultats se fait ici en français. De plus, les données verbales premières sont en inuktitut, et

le passage à l‘anglais implique une perte d‘information en soi. La notion centrale de mon

mémoire représente un embarras particulier. Le terme « nuna » en inuktitut est utilisé pour

parler à la fois du territoire – qui comporte en français une idée d‘appartenance –, de la

terre, de l‘environnement et du paysage. Les Inuit traduisent « nuna » par « land ». En

anglais, il y a une distinction importante entre « land » et « territory », alors qu‘en français

nous confondons souvent les deux en employant le terme « territoire ». C‘est la tâche que je

me suis donnée de clarifier le sens de ce terme en prenant pour contexte la communauté

inuit de Qamani‘tuaq. Comme chez les Inuit le terme « nuna » implique tous les éléments

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de l‘environnement et du paysage en interaction les uns avec les autres, il en est de même

pour mon usage du terme « territoire », tel que vu au chapitre deux.

Pour la rédaction, j‘ai respecté le désir de confidentialité de certains informateurs en

les identifiant simplement par leur âge et leur sexe entre parenthèses. Pour alléger le texte,

j‘ai utilisé les abréviations « H » pour désigner les hommes et « F » pour les femmes, suivi

de l‘âge de la personne; par exemple : (H/45 ans). Dans les cas où je ne connaissais pas

l‘âge exact de l‘informateur, j‘ai indiqué dans quelle dizaine il se situait en la terminant par

un « s »; par exemple : (F/60s). Lorsque l‘anonymat n‘était pas exigé, le nom complet de la

personne a été indiqué dans le texte, ou entre parenthèses, suivi de l‘âge; par exemple :

(Elijah Amarook/40 ans).

Finalement, la diffusion des résultats est une étape fondamentale puisqu‘elle permet

de rendre la recherche profitable non seulement à la communauté scientifique, mais

également aux sujets intéressés, soit la compagnie minière et la communauté. En plus du

rapport préliminaire partagé avec la HTO, la KIA et Agnico, mon mémoire leur sera

envoyé. Je prévois également la rédaction d‘un article scientifique dans la revue Études

inuit. Du côté des communications orales, j‘ai présenté mon projet aux Midis du CIÉRA

(Centre interuniversitaire d‘études et de recherches autochtones) en février 2012, au

Colloque du CIÉRA-AÉA (Association étudiante autochtone) en avril 2012, au Colloque

étudiant du CREQTA (Chaire de recherche du Canada sur la question territoriale

autochtone) en mai 2012, au Congrès d‘Études Inuit 2012 à Washington et enfin à la

Conférence des étudiants de l‘AUCEN (Association universitaire canadienne d'études

nordiques) en novembre 2013 à Val d‘Or.

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71

LE TERRITOIRE DES

QAMANI’TUARMIUT AUJOURD’HUI

Ce chapitre est consacré à la description des pratiques et des représentations

contemporaines en lien avec le territoire à Qamani‘tuaq. Il présente essentiellement les

données recueillies lors de mon terrain et sélectionnées pour leur pertinence en rapport à la

problématique de recherche. Ces informations restent donc très limitées et sommaires. Tout

le territoire autour du village fut et est toujours fréquenté par les familles de la

communauté. L‘ouvrage de Hattie Mannik (1990), qui expose le récit de nombreux aînés de

Qamani‘tuaq et une carte toponymique de la région, illustre bien l‘occupation

traditionnelle, tandis que la présence actuelle de cabins sur les mêmes sites ainsi que de

nombreux sentiers témoigne de la persistance de cette occupation. Ici, je mettrai

particulièrement l‘accent sur les pratiques et les témoignages en rapport à la région au nord

de la communauté où se situent actuellement la mine et la route de Meadowbank. L‘objectif

est de montrer l‘usage et l‘importance actuels, au plan pratique comme symbolique, de

cette partie du territoire pour la Qamani’tuarmiut.

L‘information est classée selon mes propres catégories conceptuelles. J‘aborderai

d‘abord les aspects économiques – d‘une économie mixte –, puis l‘occupation

spatiotemporelle du territoire, des lieux et des sentiers, ensuite les questions de partage et

de régulation, pour finir avec l‘appropriation symbolique – dont la toponymie fait partie –

et les savoirs relatifs aux non-humains. Des citations sont insérées dans le texte pour donner

au lecteur un accès aux données brutes. Il faut noter que de nombreuses informations ont

aussi été recueillies en dehors des entrevues formelles et avec d‘autres membres de la

communauté qui ne sont pas inclus dans les dix-neuf participants ni dans les quelques

statistiques que je propose dans ce chapitre. Pour appuyer et compléter mes informations, je

ferai notamment référence, dans ce chapitre et les suivants, à l‘étude de Cumberland

(octobre 2005) sur le savoir traditionnel des Qamani’tuarmiut. Cette étude a été produite en

accord avec les exigences du NIRB quant à la documentation des savoirs traditionnels et

elle a permis de recueillir plusieurs témoignages sur l‘usage traditionnel et actuel de la

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région, en plus de fournir des cartes géographiques et toponymiques (annexes D, E et F).

Vie sédentaire : de la chasse au travail …du magasin à la toundra

Une fois les Inuit installés de façon permanente à Qamani‘tuaq, la fréquentation du

territoire et les activités de récolte ont tranquillement pris un peu moins de place dans la vie

quotidienne. Comme nous l‘avons vu au chapitre deux, la sédentarisation a eu pour effet

d‘alourdir les contraintes du temps et de l‘espace et d‘y ajouter celle des moyens financiers.

Selon William Noah de Qamani‘tuaq, considérant le changement récurrent de la route

migratoire des caribous, il est impossible de vivre exclusivement de la chasse à partir d‘un

village centralisé permanent (Bernauer 2011a : 6). Ceci a rendu les Inuit de plus en plus

dépendants des biens et des technologies importés, et en conséquence de l‘argent et du

travail salarié (ibid. : 7 ; 2011b : 122-123). Les activités sur le territoire, incluant les

voyages et la récolte, conservent néanmoins aujourd‘hui une importance primordiale pour

le bien-être physique, mental et social des Inuit. La preuve est que la majorité de la

population continue de circuler sur le territoire dès que se présentent un moment libre et les

moyens pour le faire84

: « Caribou is still an important part of our life because, even if

someone has no job and knows how to hunt, he can still provide food for his family. […]

Hunting is an integral part of our culture. Even the young people know how to hunt; they

go hunting and are still learning » (Norman Attungalaaq/79 ans).

Sur le plan alimentaire, la nourriture du magasin n‘a jamais totalement remplacé celle

issue du territoire. Cela s‘explique par le fait que, non seulement elle coûte beaucoup plus

cher, notamment en raison des coûts élevés du transport et de l‘entreposage, mais sa valeur

nutritive est très faible relativement à celle de la nourriture locale85

. Bon nombre d‘Inuit,

surtout les plus âgés, préfèrent de loin la nourriture locale et éprouvent même de la

difficulté à digérer celle achetée au magasin86

(Bernauer 2011b ; H/63 ans) : « Traditional

food is really important. Whenever I process store bought food, I end up with a hot burn, I

feel a burning sensation. Caribou is stable for me; fish is stable for me. […] It is important

to have all traditional knowledge kept alive » (Matthew Kuunangnat/70s). 84

À titre indicatif, Statistique Canada (2001 : 11) rapporte qu‘en 2001, 70 % des adultes inuit du Nunavut

chassait et que 80 % des maisonnées comptait au moins un chasseur parmi leurs membres. 85

Pour en savoir davantage sur la valeur nutritive, voir Statistique Canada (2001). 86

Selon Statistique Canada (2001 : 13), en 2001 au Nunavut, au moins la moitié de la diète de chaque

maisonnée était constituée de nourriture locale.

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Ce rapport qualité-prix est aussi valable pour les vêtements. Bien que les jeunes

préfèrent, pour leur confort, les vêtements fabriqués dans le sud, tous savent que ces

derniers ne peuvent tenir aussi bien au chaud que ceux fabriqués en peau de caribou

(H/40s ; Matthew Kuunangnat/70s). Malheureusement, de moins en moins de femmes inuit

acquièrent les habilités nécessaires pour les confectionner, ce qui peut également expliquer

la prédominance des habits achetés en magasin. En plus de fournir de la nourriture et des

matériaux, les activités de récolte apportent un rendement monétaire notable pour de

nombreuses familles à travers l‘artisanat local, très prospère à Qamani‘tuaq (voir Nasby

2002), la vente de fourrure et la chasse sportive (celle-ci nécessite l‘emploi d‘un guide

inuit). Ce rendement suffit cependant rarement à faire vivre une famille, puisque la chasse

engage en elle-même des coûts considérables. Pour se procurer un moyen de transport, pour

l‘approvisionner en essence et pour s‘armer de minutions, il faut en effet d‘abord de

l‘argent.

Comme je l‘ai évoqué au chapitre deux, les sources de revenus sont fort diversifiées

au sein de la maisonnée. Ce que les uns arrivent à acheter est alors partagé avec ceux qui

ont le temps et les habilités nécessaires pour aller chasser. Les motoneiges, traineaux et

autres moyens de locomotion circulent et s‘échangent particulièrement parmi les membres

de la famille élargie, au-delà de la maisonnée. Comme ils sont à la fois chers et

indispensables et que la mobilité est un besoin essentiel, les Inuit valorisent grandement ces

objets. En effet, de nombreux d‘Inuit se trouvent souvent dans l‘impossibilité d‘aller sur le

territoire simplement parce qu‘ils n‘ont pas accès à un moyen de transport (F/41

ans ; H/60s)87

. Pour arriver à financer de façon autonome leurs sorties sur le territoire, la

plupart des chasseurs les plus actifs – chassant sur une base hebdomadaire – occupe un

emploi à temps plein. Parmi les chasseurs de moins de soixante-dix ans, et donc en âge de

travailler, que j‘ai interviewés (douze sur dix-neuf), uniquement trois étaient sans emploi.

Cinq hommes et une femme travaillaient à la mine et trois autres travaillaient dans la

communauté. Parmi les individus sans emploi, l‘homme le plus âgé était retraité depuis

87

Parmi les dix-neuf personnes interviewées, qui sont des chasseurs relativement actifs dans la communauté,

trois ne possédaient aucun moyen de transport au moment de l‘entrevue et cinq autres n‘avaient qu‘une

motoneige ou qu‘un VTT et devaient donc emprunter un des deux transports selon la saison. Il est parfois

possible de trouver du gibier suffisamment près du village pour le chasser à pied. Cependant, s‘ils ont le

choix, les chasseurs préfèrent prendre leur caribou un peu plus loin, questions notamment de sécurité et pour

assurer la santé de l‘animal (David Mariq/40s ; H/40s ; H/45 ans ; H/60s).

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peu, le plus jeune était en arrêt de travail pour des raisons familiales et de santé, et le

dernier, âgé de quarante-cinq ans, est le seul chasseur à temps plein que j‘ai rencontré88

.

Toujours parti sur le territoire, il entretenait des moyens de locomotion de deuxième main,

louant parfois ses services de mécanicien, et arrivait à acheter de l‘essence grâce aux

revenus de sa femme et de ses enfants. Pour les autres, l‘occupation d‘un emploi implique

nécessairement beaucoup moins de temps pour aller chasser. Ce temps se résume souvent,

surtout en hiver où il ne fait clair que quelques heures par jour, au samedi, puisque le

dimanche est consacré aux services religieux89

. Pour avoir davantage de temps disponible

lorsque la saison se présente, certains, surtout des jeunes adultes, ont tendance à quitter leur

emploi pour un moment, ou encore à ne travailler qu‘à contrat, sur une base sporadique ou

saisonnière90

. Les emplois offerts dans le village, notamment dans les domaines de la

construction, permettent souvent cela. Comme le rappelle Norman Atungalaaq (79 ans), les

Inuit optent pour différents types d‘engagement en rapport au travail : « We have different

ways of doing things now. There are some people that just work seasonally and collect their

money and can get hunting gear. And there are some people that work all year long and just

go hunting evening and weekends ».

Évidemment, les paiements de transfert du gouvernement, dont la pension de

vieillesse et l‘assistance sociale, s‘ajoutent au revenu familial et permet de financer les

activités sur le territoire de quelques individus comme les aînés91

. D‘autres types de

revenus, plutôt marginaux et instables, mal appréciés par beaucoup de gens mais populaires

chez d‘autres, sont la revente d‘alcool et le bingo à la radio communautaire. Le tableau

suivant présente sommairement le statut économique et le niveau d‘activité sur le

territoire des dix-neuf participants :

88

Statut économique des dix-neuf répondants : neuf avec emploi (47,4 %), dont six à la mine (31,6 %) et trois

au village (15,8 %) ; et dix sans emploi (52,6 %) ; dont trois jeunes adultes (15,8 %) et sept aînés (36,8 %). 89

Ce n‘est peut-être pas le cas pour toutes les familles, mais celle avec qui j‘ai habité était très assidue aux

services religieux, s‘impliquant même au sein du conseil de fabrique de l‘Église anglicane. 90

Concernant les Indiens Beaver de Colombie-Britannique, Brody (1982 : 208) explique que les opportunités

d‘emploi ont toujours été exploitées de façon à supporter les activités traditionnelles. Dans l‘impossibilité de

concilier ces dernières à l‘intérieur un système mixte flexible, les emplois étaient rejetés. 91 En 2006 à Qamani‘tuaq, 79,6 % des revenus totaux venaient de l‘emploi, alors que 19,4 % venaient des

transferts du gouvernement, contre 11,2 % pour l‘ensemble du Nunavut (NPC 2008 : 17).

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Statut économique/ Niveau

d’activité92

Avec emploi Adultes

sans emploi

Aînés

sans emploi

Très actifs (hebdomadaire), possèdent

tous au moins un véhicule

5

1

2

Moins actifs (bihebdomadaire ou

moins)

4

2

5

Le temps et l‘argent sont les facteurs principaux qui déterminent la capacité d‘un

individu à chasser. Le temps peut être limité par les obligations familiales et celles liées au

travail. Bien que la chasse demeure une aspiration importante, s‘occuper de la famille,

garder les enfants ou prendre soin des aînés, passe bien souvent avant la sortie de chasse

(H/40s ; H/45 ans). En raison de ces obligations, les gens partent rarement plus d‘une

journée sur le territoire. Aujourd‘hui, les moyens de transport motorisés permettent de

voyager suffisamment loin pour trouver du gibier et revenir au village dans la même

journée et beaucoup préfèrent ceci (F/41 ans ; H/40s ; H/58 ans), mais encore faut-il

disposer de véhicules puissants et performants, donc plus onéreux à l‘achat. Les

connaissances et les habilités physiques nécessaires à la chasse et au voyage influencent

également la capacité des gens à aller sur le territoire. Dans certains cas, surtout pour les

aînés moins autonomes, il faut attendre la disponibilité d‘un compagnon pour partir (Irene

Kaluraq/77 ans ; Jacob Ikiniliq/77 ans ; Silas Aitauq/78 ans)93

.

Considérant ces nombreuses contraintes, certaines maisonnées ne comptent aucun

chasseur parmi leurs membres et ont donc moins facilement accès à la viande de caribou.

Elles n‘ont habituellement pas davantage les moyens de se payer suffisamment de

nourriture au magasin pour subvenir à leurs besoins (Elijah Amarook/40

ans ; H/40s ; H/60s). C‘est pourquoi le partage de la nourriture locale est encore

extrêmement important aujourd‘hui et se déploie bien au-delà de la famille immédiate et

élargie (Bernauer 2011a). Pour les chasseurs, partager la nourriture est un acte essentiel, pas

uniquement avec la famille proche, mais avec tous ceux qui en ont besoin, particulièrement

s‘ils ne peuvent pas chasser par eux-mêmes (F/41 ans ; H/40s ; H/60s ; H/71 ans). C‘est ce

92

La classification du niveau d‘activité sur le territoire vient de moi-même et est très approximative. Je n‘ai

pas systématiquement demandé aux gens à quelle fréquence ils allaient chasser, comme cela varie beaucoup

au cours de l‘année entre les gens, en raison de toutes sortes de conjonctures. J‘ai donc souvent estimé moi-

même le niveau d‘activité. 93

En général, les Inuit préfèrent partir seul ou bien en petits groupe de deux ou trois. Ils évitent de chasser en

un trop grand nombre, notamment pour éviter les conflits (H/34 ans ; H/40s ; H/63 ans).

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que rappelle une participante, qui donne « […] to people that have no hunting equipment,

that cannot go hunting for themselves » (F/71 ans). Comme les aînés continuent de se

nourrir principalement de viande de caribou sans toutefois conserver les capacités pour aller

chasser, on partage particulièrement avec eux, et ce sans qu‘ils n‘aient à en faire la

demande (H/34 ans ; H/40s). Pour distribuer la viande, les chasseurs apportent directement

la viande aux gens qu‘ils savent dans le besoin, ou bien les invitent, par le bouche-à-oreille

ou sur les ondes de la radio communautaire, à venir se servir à leur maison (David

Mariq/40s ; H/45 ans ; H/71 ans)94

. C‘est ce qu‘explique Elijah Amarook (40 ans) :

«…neighborhood, friends, everybody. I announce on the radio that there is meat outside my

place and anyone who wants some come pick it up. Merely within ten minutes, it is all

gone, even if there are four caribous […]. Some people are not that fortunate. They don‘t

have anything to go hunting with, like no machine, no Honda, no boat ».

Des repas communautaires, très populaires auprès des aînés et des familles moins

fortunées, sont également organisés à l‘occasion de fêtes religieuses ou autres, comme les

Hamlet‘s Days qui durent quelques jours au printemps. Même si la norme est de partager,

ce n‘est évidemment pas tout le monde qui la met en pratique, selon un chasseur de

quarante-cinq ans : « They [go hunting], but even if they catch something they don‘t share.

[…] Whenever I catch meat, I try my best to give out to anyone who needs meat ». Selon

quelques participants, mais pas tous, il n‘y a pas suffisamment d‘individus qui chassent et

qui partagent leur prise pour satisfaire toute la communauté (H/45 ans ; H/60s). Il arrive

que certaines familles, manquant de moyens, doivent elles-mêmes faire une requête à la

radio pour obtenir de la viande pour nourrir leurs enfants (H/40s ; H/63 ans).

Territoire de chasse

Un territoire sans frontière

Le territoire des Qamani’tuarmiut n‘est pas une entité délimitée par des frontières,

ni une entité administrative et politique. Il ne correspond à aucune juridiction, ni celle de la

municipalité, ni celle de la KIA. Il est plutôt l‘espace, en dehors du village, connu et

94

Je n‘ai pas eu connaissance de l‘existence d‘un réfrigérateur communautaire lors de ma recherche.

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fréquenté, à des fréquences et des durées variables. Les Inuit parcourent et occupent cet

espace pour chasser, pêcher, trapper, dormir, voyager vers un campement ou vers une autre

communauté, souvent pour visiter des membres de la famille. En conséquence, leur

territoire et celui d‘autres communautés s‘entrecoupent ; il arrive que des Inuit de

communautés différentes visitent les mêmes régions (H/34 ans). Il est difficile, voire

impossible, de poser une limite à ce territoire en raison de la grande variation des parcours

selon les membres de la communauté. Certains restent tout près (dans un rayon de dix

kilomètres), fréquentent toujours les mêmes endroits, ne sortant que durant les mois les plus

doux, tandis que d‘autres voyagent sur le territoire tout au long de l‘année et sur une base

régulière. Ces derniers nomadisent ainsi encore beaucoup, quitte à se rendre en des lieux

fort éloignés (jusqu‘à 300 kilomètres), que ce soit vers le nord, vers l‘est ou vers l‘ouest95

.

À la demande de m‘indiquer les limites de son territoire, Norman Attungalaaq (79 ans)

répondit ainsi :

It would probably be easier to just show areas where people go hunting. There are

some real manly men who will hunt anything anywhere. They know what the animals

are like, they know what kind of reaction the animal will have and they would go

hunting anywhere. There are people who can go all the way to the tree line, who

would make all the way to Gjoa Haven. There are people that will go all the way

down to Arviat, to the coast, or all the way to Wager Bay. […] The area where people

would go hunting is huge.

Les régions les plus proches de la communauté sont évidemment les plus fréquentées.

Au contraire, à mesure qu‘on s‘éloigne, les aires sont choisies de façon préférentielle par

des familles données. Ces préférences familiales sont liées aux origines ; comme les

ancêtres et les aînés y ont vécu, les familles connaissent bien ces régions et savent qu‘elles

y trouveront gibier et poisson. À titre indicatif, les familles qui sont originaires de la rivière

Kazan (Harvaqtuuqmiut) sont plus orientées vers le sud du lac Baker (Hugh Ikoe/60 ans ;

H/60s ; Matthew Kuunangnat/70s ; Norman Attungalaaq/79 ans), et les familles venant du

lac Garry ou de la rivière Back (Hanningajuqmiut) ont l‘habitude de voyager plus loin au

nord que les autres (H/34 ans ; H/63 ans). Dans l‘ensemble, les Inuit de Qamani‘tuaq

voyagent dans toutes les directions ; vers Gjoa Haven au nord, le lac Thirty Miles au sud, le

95

Dans son rapport sur les études fauniques, Agnico rapporte que beaucoup de chasseurs « have a ‗favorite‘

hunting area that they frequent each year », d‘autres « prefer hunting in ‗convenient‘ locations », alors que

d‘autres « prefer remote locations well away from frequented areas ». Aussi, certains « enjoyed partaking in

long distance hunting trips over multiple days » (Gebauer et al. mars 2011: 10-7).

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lac Beverly à l‘ouest et Chesterfield Inlet à l‘est. Les axes principaux de déplacement sont

1) les cours d‘eau et les lacs qui mènent au nord au lac Whitehills (Tahiryuaq) et au peu

plus haut aux lac Tehek (Tahiryualukyuaq)96

et Third Portage (Apuqtinaaqtuq), 2) la rivière

Thelon qui monte vers l‘ouest aux lacs Schultz, Aberdeen et Beverly et 3) le lac Baker qui

rejoint le chenal de Chesterfield à l‘est et la rivière Kazan au sud (voir annexe B).

Si la majorité des chasseurs actifs (qui subviennent à leur famille en gibier sur une

base hebdomadaire ou bihebdomadaire) vont en somme parcourir tout le territoire autour de

Qamani‘tuaq, c‘est parce que la disponibilité saisonnière et annuelle du caribou les y

contraint. Le territoire ne peut pas être divisé en territoires de chasse familiaux pour la

simple raison que les caribous, et les autres espèces à fourrure, sont tellement dispersés et

présents de façon si imprévisible dans le temps et dans l‘espace qu‘on ne peut s‘assurer de

les trouver dans une région précise à un moment donné97

. Il faut donc suivre les ressources

là où elles sont, suivre également le cycle et les itinéraires des caribous qui changent

régulièrement. Ces extraits expliquent ceci :

I went hunting everywhere where caribous are. I go north in this area, that way, this

way. I went pretty far; I went hunting all over the place (Irene Kaluraq/77 ans).

People know that the caribous are constantly migrating and always moving. We are

not guaranteed to catch every time we go because they are constantly on the move.

One day we may catch in one area, and the next day we may not. Wherever the

hunting areas around Baker are good, caribou are not always there, but there is

always caribou somewhere around Baker Lake (H/63 ans).

Le territoire des Qamani’tuarmiut est donc considéré comme un tout, dans lequel

l‘ensemble des régions et des lieux est primordial. Les usages s‘entrecoupent, ce qui

n‘admet pas l‘exclusivité. Chacun a un voisin ou un parent qui dépend d‘aires où il n‘est

lui-même jamais allé. Le bien-être de tous repose finalement sur le succès collectif à la

récolte. En s‘établissant à Qamani‘tuaq, les Inuit venant de partout ont ainsi dû se

familiariser assez rapidement avec l‘ensemble de la région pour arriver à se nourrir98

,

96

Tahiryuaq signifie « grand lac » et Tahiryualukyuaq « très grand lac » (Cumberland octobre 2005).

J‘utiliserai dans ce texte les noms anglais de ces lacs par commodité, puisque les répondants, ou les

interprètes, ont utilisés ceux-ci lors des entrevues. 97

Il est possible qu‘il existe certaines divisions territoriales quant aux lignes de trappe. Je n‘ai

malheureusement pas eu la chance d‘investiguer la question dans le cadre de ce terrain. 98

Norman Attungalaaq (79 ans) a souligné la réticence de familles à venir s‘établir à Qamani‘tuaq au tout

début parce que leur manque de connaissance de la région rendait problématique de trouver du gibier.

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comme la famille de Matthew Kuunangnat (70s) venant de la rivière Kazan : « My family

would be in the Harvaqtuuq area. They are from an area located on the south side of Baker

Lake, between the end of Baker Lake, all the way up to Aberdeen lake. […] I started

learning down here when we moved into town. I started learning the land north of Baker

also and started hunting wherever on the north side too ».

Par la sélection de régions et de sites préférentiels comme territoire de chasse ou pour

installer une cabin, les familles sont restées liées aux aires de vie traditionnelles. La région

entre la rivière Meadowbank et le lac Whitehills fut particulièrement parcourue et habitée

des années cinquante aux années quatre-vingt, alors que le processus de sédentarisation

était amorcé99

. Certaines familles y avaient toujours vécu, d‘autres, venant d‘une zone plus

septentrionale, s‘étaient déplacées vers le sud en raison des famines (H/45 ans). Les

familles de David Mariq (40s), né dans une tente tout près du camp minier actuel, et d‘un

autre Inuk (63 ans), né à la rivière Back mais qui a grandi à Meadowbank, ont entrepris ce

mouvement vers le sud. Deux autres ont installé des camps d‘avant-poste (outpost camps) à

l‘embouchure de la rivière Back plus au nord, ils empruntaient donc régulièrement un

chemin reliant leur camp à Qamani‘tuaq et passant par Meadowbank100

.

Une fois que les familles ont adopté définitivement la vie en village, les distances

parcourues et la durée des séjours sur le territoire devinrent progressivement pour la

majorité plus courts (Elijah Amarook/40 ans ; F/41 ans ; H/71 ans). Aujourd‘hui, même si

un petit nombre voyage annuellement très loin, notamment vers le lac Garry et Chantrey

Inlet, peu de gens vont régulièrement chasser et pêcher aussi loin qu‘Apuqtinaaqtuq (Hugh

Pourtant, la région n‘était pas nécessairement pauvre en ressource, comme certaines familles avaient déjà

l‘habitude d‘y chasser avant (H/60s ; Irene Kaluraq/77 ans). 99

Ayant travaillé à Baker Lake dans les années cinquante, Vallee (1967 : 17) rapporte une augmentation du

nombre de campements concentrés à proximité de l‘établissement pendant cette période. Cette information est

aussi appuyée par les résultats des études archéologiques menées par Cumberland rapportant l‘existence, sur

le site minier et le long de la route, « d‘environ soixante-dix sites d‘intérêts, principalement des sites de

campements de moins de cinquante ans d‘âge » (NIRB août 2006 : 17). Le lac Tehek et Portage, tout près de

la mine d‘or, étaient autrefois intensivement visités pour la pêche, la trappe, la chasse au caribou et pour

cacher de la viande (voir l‘annexe D). Ils sont toujours fréquentés par certains Inuit aujourd‘hui (Cumberland

octobre 2005 : 5-1). 100

Ils y habitèrent vers la fin des années soixante-dix, puis le problème d‘approvisionnement en carburant les

a obligés à s‘établir pour de bon à Qamani‘tuaq (H/58 ans ; H/63 ans). Selon l‘étude sur le savoir traditionnel

de Cumberland (octobre 2005 : 5-1), la région était un corridor de déplacement important entre

l‘établissement et le rivière Back, où se trouve le territoire de chasse traditionnel de plusieurs familles, et

passait directement à travers le lac Third Portage.

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80

Ikoe/60 ans)101

. Même si David Mariq (40s) fréquente à l‘occasion ce coin, il explique que

la majorité des gens de son âge et les plus jeunes ne le connaissent pas : « The elders grew

up around that area, but us the younger ones we don‘t really know the area. I don‘t think

that young people know this area anymore. Nobody really goes up by snowmobile now,

just a hand full of us. [Young people go] just close by, not too far from BL nowadays ». La

région entre Meadowbank et Qamani‘tuaq, où se trouve le lac Whitehills, est cependant

actuellement l‘une des régions – avec le nord-ouest (lac Schultz) – les plus fréquentées par

l‘ensemble de la communauté, et ce, tout au long de l‘année, pour la chasse comme la

pêche102

. C‘est là que se trouve maintenant la route minière, qui affecte évidemment l‘accès

et l‘usage de la région.

Variations saisonnières

L‘occupation des aires de chasse et des lieux varie grandement avec les saisons en

raison de la disponibilité des ressources, mais aussi de l‘accessibilité. Comme la

topographique de la région est relativement plate, en hiver, quand le sol est couvert de

neige, les Inuit peuvent voyager aisément en motoneige partout sur le territoire et sur le lac

Baker, à 360 degrés. Ils sont alors capables de franchir de grandes distances en de courts

laps de temps. Par contre, dès que la neige fond, le terrain parsemé d‘eau et de rochers

devient presqu‘impraticable. Les sentiers de VTT permettent de parcourir lentement de

petites distances, mais l‘idéal est de naviguer sur les cours d‘eau en bateau à moteur lorsque

l‘eau est libre de glace, au plus deux mois par année. Ils peuvent ainsi atteindre des lieux

plus éloignés et parfois joignables qu‘en bateau, en transportant même parfois un VTT dans

l‘embarcation.

Même si l‘occupation du territoire est différente pour chaque membre de la

communauté, nous pouvons résumer grossièrement le cycle saisonnier des activités, il est

101

Plus on s‘éloigne de la communauté et moins il y a de chasseurs (Hugh Ikoe/60 ans). Déjà en 1978, l‘usage

de l‘aire près de la mine, pour la chasse au caribou, était considéré comme étant faible (1 % à 33 % des

chasseurs), alors que les cinquante premiers kilomètres au nord du village était moyennement utilisés (33 % à

66 %) et les premiers dix kilomètres fortement occupés (67 % à 100 %) (Cumberland octobre 2005 : 5-9).

L‘occupation de la région pour la chasse et la trappe serait également limitée par la faible présence d‘animaux

(ibid. : 5-12). 102

Plusieurs chasseurs cachent également de la viande dans cette région (Cumberland octobre 2005: 4-8).

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en lien directe avec celui de la migration des caribous, la ressource principale des

Qamani’tuarmiut103

. Au printemps (avril à juin), les caribous quittent leurs habitats

hivernaux forestiers et se dirigent tranquillement vers leurs aires de post mise à bas

automnales situées au nord du lac Baker. La harde de Beverly arrive de l‘ouest alors que la

harde de Qamanirjuaq vient du sud. Le temps se faisant plus clément, c‘est une période

privilégiée pour les sorties de chasse et de pêche en famille (F/41 ans ; H/63 ans ; Norman

Attungalaaq/79 ans ), comme le souligne un chasseur de 63 ans: « When it is too cold out, I

don‘t really see much of hunters passing by skidoo, but when the weather starts warming

up, I see skidoos, people going out fishing ». Le village se vide pratiquement toutes les fins

de semaine. La présence de neige rend encore possible les longs déplacements, certaines

familles partent donc pour une fin de semaine camper, sous la tente ou dans une cabin, à

plusieurs heures de Qamani‘tuaq. Les sites les plus populaires pour la pêche se situent sur

la rive nord du lac Baker, près de l‘embouchure de la rivière Prince, et dans les lacs au nord

de Baker Lake, particulièrement Whitehills (Cumberland octobre 2005 : 5-4 à 5-7) 104

.

Une fois en juillet, et jusqu‘à la mi-août environ, les Inuit circulent en bateau partout

sur le lac Baker et remontent les rivières Thelon et Kazan et le chenal de Chesterfield,

lorsqu‘ils ont les moyens de se procurer un bateau, bien entendu (F/60s ; H/34 ans ;

H/60s). Ils fréquentent aussi les cabins les plus près, joignables par des sentiers de VTT ou

en bateau, et continuent de chasser et pêcher (Elijah Amarook/40 ans ; H/63 ans ; Jacob

Ikiniliq/77 ans). Vers la mi-juillet, les caribous des deux hardes se rencontrent en masse à

l‘embouchure de la rivière Thelon pour la traverser d‘ouest en est, attirant de nombreux

chasseurs (F/71 ans ; David Mariq/40s). La plus grande saison de chasse est toutefois à

l‘automne105

(août-octobre), lorsque les caribous s‘arrêtent pour un moment tout près au

nord du lac Baker (David Mariq/40s ; Elijah Amarook/40 ans ; H/34 ans). Enfin, en

103

Certains Inuit, surtout ceux dont la santé physique le permet, chassent également des animaux à fourrure,

mais mangent très rarement leur viande (H/34 ans ; H/45 ans ; H/40s). 104

Dans l‘étude menée par Cumberland (octobre 2005 : A-22), Jacob Ikiniliq confirme ce fait et ajoute que les

lacs Amarulik (qui signifie « là où il y a un loup ») et Third Portage (Apuqtinaartuq) sont particulièrement

bien pour la pêche en hiver. 105

Selon une étude de la récolte à Qamani‘tuaq menée sur cinq ans (1996-2001), plus de la moitié des prises

annuelles de caribous s‘effectuent de août à octobre alors que les récoltes de la pêche se concentrent au

printemps (mai et juin) et à l‘automne (octobre) (Usher et Priest 2004). D‘après les études d‘Agnico, les plus

grandes périodes de chasse au caribou sont tôt au printemps (mars) et en automne (août à octobre) (Gebauer et

al. mars 2011 : 10-4).

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octobre, la neige recommence à tomber, le froid s‘installe et les caribous refont le chemin

inverse. Qu‘une petite partie seulement des hardes demeure dans la région tout au long de

l‘hiver. De la même façon, qu‘une minorité de chasseurs continuent de chasser, explorant

un peu partout pour trouver le caribou rare et dispersé. Pendant l‘automne et l‘hiver, les

caribous des hardes de Wager Bay et de Lorillard, vivant toute l‘année au nord-est de

Qamani‘tuaq jusqu‘à la péninsule de Melville, viennent également fréquenter les

environs106

. De retour au printemps, le cycle recommence, mais jamais parfaitement du

pareil au même, comme les aires de chasse et des pêche les plus fécondes varient d‘année

en année.

Dans la région de Meadowbank, les caribous des quatre groupes sont présents toute

l‘année ; en plus forte abondance en automne, et en plus faible en été. Davantage un lieu de

passage entre l‘habitat hivernal et les aires de post mise à bas, la région ne constitue pas un

habitat critique pour la reproduction, la migration printanière ou les périodes de mise à bas

et de post mise à bas (Cumberland octobre 2005 : 4-8, 5-9, 5-10 ; NIRB août 2006 : 16).

Régions, lieux et sentiers

Lorsque les gens partent sur le territoire, le choix de la direction repose sur un

ensemble de facteurs. Il y a bien sûr la question de l‘accessibilité au territoire par les

moyens de transport disponibles, mais également la connaissance du territoire. Celle-ci est

souvent intimement liée aux lieux d‘origine de la famille. Savoir et origine, avec la

disponibilité des ressources, expliquent l‘attachement à une région précise et ont influencé,

dès les années soixante-dix, le choix des emplacements pour installer les cabins familiales.

Cet extrait de l‘entrevue menée avec Norman Attungalaaq (79 ans) illustre ceci : « They

pick them because of the location; either the landscape is good; it is close to a lake; it is a

land that they remember or that they enjoy. It is a land that they want to be on. For different

reasons, people picked different sites to make their own cabins ».

106

Les informations sur la migration des caribous sont en grande partie tirées des entrevues et de Wakelyn

(1999a et 1999b), excepté ce qui concerne les hardes de Wager Bay et de Lorillard, dont l‘information vient

du site web du GN (Journey of the caribou).

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L‘aménagement des cabins sur le territoire a débuté avec les programmes

gouvernementaux de construction de logements sociaux. Quand les premières maisons

construites, les matchboxes107

, ont été remplacées par les nouvelles maisons avec des

pièces, les premières ont été récupérées et apportées sur le territoire pour créer des

campements. Ensuite, l‘introduction de la motoneige et du VTT a grandement facilité

l‘aménagement et la fréquentation de campements, souvent situés sur les territoires de

chasse traditionnels : « ATVs give you an advantage, it gives you a distance, you can go

further. And because you can go further with an ATV, you can go back to your old hunting

ground. […] You can also set up a cabin where you can go both with an ATV or a boat.

You have cabins all over the place, it makes it easier. […] It makes a difference for where

people put up their cabins » (Norman Attungalaaq/79 ans). Avec le temps, une grande

quantité de cabins ont été installées partout sur le territoire, à différentes distances selon les

préférences. Les plus proches du village, étant davantage utilisées, sont souvent plus

grandes – comprennent parfois plus d‘une pièce, mais surtout plus aménagées et plus

équipées. Aujourd‘hui, certaines, souvent les plus éloignées, ont été abandonnés, mais

témoignent toujours de l‘étendue sur laquelle les habitants de Qamani‘tuaq avaient

l‘habitude de vivre et de chasser.

Ces cabins sont qualifiées de « familiales ». Bien que, tous les membres de la

communauté sont toujours bienvenus et autorisés à utiliser la cabin de quiconque en cas de

besoin, s‘en est autrement en pratique. Selon mon expérience, la cabin est habitée

presqu‘exclusivement par l‘individu ou le couple qui l‘a établi ainsi que ses descendants.

Effectivement, rares sont les personnes qui séjournent dans la cabin d‘un autre. Il semble

qu‘elles éprouvent souvent un certain malaise face à ce type d‘initiative, comme le

mentionne une femme (60s) : « For a lot of us, it is kind of so uncomfortable to just enter in

somebody else cabin, when they don‘t know ». Les membres de la famille élargie ne

semblent pas davantage dormir dans une cabin qui n‘est pas le leur, mais optent davantage

pour installer une tente à côté ou bien encore construire leur propre cabin sur le même site.

Ainsi, le site où se situe une cabin est bien souvent approprié par la famille élargie, un lieu

bien connu par elle et régulièrement visité. Cette appropriation est reconnue et respectée par

107

Nommées ainsi parce qu‘elles étaient toutes petites et ne comportaient que quatre murs.

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le reste de la communauté. Parfois, trois cabins appartenant à une même grande famille se

retrouvent sur un site de campement, considéré comme privilégié pour la chasse et la pêche.

En raison des coûts que représente l‘installation d‘une cabin, certaines familles n‘en

ont pas du tout, alors que d‘autres en ont plusieurs et les utilisent différemment en fonction

des saisons108

. Les cabins les plus éloignées, jusqu‘à 200 kilomètres de distance, comme

celles du lac Garry, sont plus rares et moins souvent visitées, n‘étant accessibles qu‘en

hiver. Les plus proches, celles qui sont situées à quelques kilomètres du village, sont

régulièrement utilisées par les familles au printemps et en été. Les femmes,

particulièrement, ont l‘habitude de s‘y rendre en juin pour faire sécher la viande de caribou

accumulée au cours de l‘hiver (F/41 ans ; F/71 ans ; Irene Kaluraq/77 ans). On trouve une

forte concentration de cabins juste au nord du village, secteur aisément accessible en tout

temps et par tous : le long de la rive nord du lac Baker, près de la rivière Prince, à

l‘embouchure de la rivière Thelon et plus au nord vers le lac Whitehills. Lors de longs

voyages hivernaux en des contrés désertes, quelques rares personnes détiennent encore les

connaissances nécessaires pour construire un igloo en cas de besoin. Comme je l‘ai déjà

noté, les activités et les obligations au village, mais aussi le confort des maisons, motivent

habituellement le retour avant la nuit. Néanmoins, pour ceux qui apprécient demeurer sur le

territoire, les cabins permettent de voyager plus loin et plus longtemps. Certains,

particulièrement les plus âgés sans emploi mais encore autonomes, passent plusieurs

semaines en saison chaude à leur cabin située près de la communauté.

Les déplacements vers les sites de campement et les aires de chasse laissent des

marques qui constituent les sentiers des Qamani’tuaqmiut. Ces derniers sont créés par la

force de l‘usage et ainsi, au fin des années et des saisons, constamment sujet à des

transformations. L‘importance, la persistance et la quantité des sentiers varient selon la

saison et les types de déplacements. Les sentiers de motoneige sont retracés chaque hiver

tandis que les sentiers de VTT sont plus permanents (H/40s) 109

. Les premiers sont aussi

moins essentiels, puisqu‘il existe de multiples chemins possibles sur la toundra enneigée,

108

Sur dix-neuf chasseurs questionnés, seulement trois n‘avaient aucune cabin et quatre en avaient deux ou

trois. La majorité (douze) n‘avait accès qu‘à une seule cabin, que ce soit le leur ou celle de leurs parents. 109

Les premiers à ―briser‖ les sentiers à chaque hiver doivent avoir une excellente mémoire de ceux-ci, mais

aussi une connaissance du terrain topographique et des noms de lieux (voir Aporta 2004 à propos d‘Igloolik).

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alors qu‘il n‘y en a qu‘en nombre très limité à travers les rochers et l‘eau en été (H/40s ;

H/71 ans)110

. Les principaux sentiers de VTT conduisent aux cabins et aux sites de pêche et

de chasse les plus près, dont au lac Whitehills, à la rivière Prince et le long de la rivière

Thelon (Elijah Amarook/40 ans ; F/41 ans). En hiver, pour se rendre dans une aire ou un

endroit précis, qu‘il soit près ou loin de la communauté, les gens ont aussi tendance à suivre

des sentiers. Ceux-ci sont la garantie de voyager par le meilleur chemin, le plus confortable

et le moins accidenté, pour se rendre d‘un point à l‘autre, comme l‘illustrent ces extraits

d‘entrevue :

The trails are used where it is easier to go through. There are a lot of rocks and awe

musk everywhere. We try to find a smooth area to travel. That is why there are a lot

of trails going here and there (F/60s).

In the winter time, we have more freedom because we have snow, we can travel on

the top of the snow. We got more than 360 degrees area that we can go in. In the

summer time, people pick trails that are smoother, flatter, and easier to go through. If

we know people that use the trail, we know it will be easier to travel, so we use that

trail over and over (Irene Kaluraq/77 ans).

Plus on s‘éloigne du village, moins il y a de sentiers, et ceux-ci sont petits et

dispersés. Cependant, comme Aporta (2009) l‘a mentionné, il existe encore aujourd‘hui des

sentiers de motoneige qui parcourent le territoire entier du Nunavut, connectant les villes

entres elles. David Mariq (40s) a partagé le fait qu‘à Qamani‘tuaq, un sentier est créé

chaque année jusqu‘à Gjoa Haven par les gens qui continuent d‘aller visiter leur famille

dans cette communauté. Il fait d‘ailleurs partie de ces gens : « I travelled to Gjoa Haven

how many times, about close to six times. […] There used to be a skidoo trail going up to

Gjoa Haven, in the spring, like in April-May. […] [People] usually go every year, not a

whole lot, just a few now ».

Même s‘il est possible de suivre un sentier pour aller un peu partout sur le territoire,

la majorité des chasseurs connaissent le territoire et s‘orientent par le paysage qui les

entourent et non par les sentiers. La grande faculté de mémorisation du paysage, de chaque

colline et de chaque lac auquel on reconnaît toujours une singularité et attribut, ou un

souvenir quelconque, est un trait caractéristique des Inuit. Suffit d‘un voyage ou deux pour

110

Il y a deux courtes périodes durant lesquelles les déplacements sont pratiquement impossibles ; lorsque la

neige fond en juin et au premier gel en octobre (Cumberland octobre 2005 : 5-7).

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86

mémoriser un itinéraire complet et être en mesure le raconter et ainsi l‘apprendre aux autres

(Elijah Amarook/40 ans ; H/34 ans ; H/63 ans ; Norman Attungalaaq/79 ans).

I use my eyes; I look at the land, the lakes and all that. Using my mind, as to where I

should go and which way I came from, that is how I go back and forth to town and

out hunting. […] We don‘t always depend on using the same way. Especially when

we are far from Baker, we would go on top of the hills, look around to see where we

are, and we just know where to go and how to get back (H/71 ans).

Going by the description somebody is saying, I will be able to tell where he is […].

Which way he travel, what the landscape looks like, what direction he is travelling

and how long he has travelled. Going by that I would be able to tell where he is

presently located and the name of that place (H/58 ans).

Malheureusement, la mémorisation et la connaissance du paysage, qui avaient déjà

été ébranlées par l‘adoption de la motoneige111

, ne sont pas aussi développées chez les

jeunes qui ont de plus en plus tendance à utiliser un GPS. Bien que celui-ci soit utile pour

se retrouver lors de blizzard112

, plusieurs croient que son usage est très limité et qu‘il est

risqué d‘en dépendre. Non seulement la batterie peut cesser de fonctionner en tout temps,

mais en plus, ne faisant que pointer des localisations sur le territoire, il n‘indique pas la

façon la plus sûre de se rendre de l‘une à l‘autre, contrairement au savoir traditionnel

(David Mariq/40s ; H/63 ans ; Norman Attungalaaq/79 ans).

Entre partage et régulation

Partage et autonomie des chasseurs

Pendant l‘époque nomade, les familles étaient rattachées à une région et quelques

sites en particulier (Vallee 1967 : 21, 59). Par contre, la recherche de nourriture les

conduisait souvent à bouger. La mobilité était particulièrement accrue pendant les périodes

de famine113

. Les familles, dispersées sur un vaste territoire à faible densité humaine et

animale, pouvaient voyager d‘une région à l‘autre et y rencontrer des membres de la

111

Permettant de voyager vite en suivant des sentiers, l‘usage de la motoneige ne permet pas d‘observer et de

connaître le paysage comme autrefois (Aporta 2004 : 30 ; Laugrand et Oosten 2010 : 381). 112

Certaines personnes savent toutefois toujours s‘orienter à l‘aide des congères de neige au besoin (H/34

ans). 113

Lors des famines dans les années cinquante, Norman Attungalaaq (79 ans) travaillait pour la RCMP et

apportait des vivres aux familles dans le besoin. Comme elles étaient toujours en mouvement, il était difficile

de les trouver.

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parenté éloignée qui partageaient alors nourriture et aires de récolte (F/71 ans ; Hugh

Ikoe/60 ans). Dans son ouvrage sur les Inuit du territoire (Inland Inuit), Mannik (1990 :

228-229) rapporte le vécu de George Tataniq, un Harvaqtuurmiut de la communauté qui

avait l‘habitude d‘accueillir des gens d‘autres groupes dans son camp :

That year I had a lot of caribou caches, and that winter people from anywhere, even

from Qamani‘tuaq, came to our camp to survive. […] Anybody would take turns

camping with me and my family, or I with them, or anyone from other areas would

come and camp with us. The Paaliqmiut and Qaiqniqmiut, these people have always

come together to camp with us Harvaqtuuqmiut […]. The people from all those areas

are all sort of relatives, just one big group of people, except that they call themselves

from different names.

Les notions de frontière, de propriété et d‘étranger ne s‘appliquaient pas. En

conséquence, il n‘existait pas de gestion de l‘accès à l‘espace et aux ressources comme

nous l‘entendons en Occident ; le partage était le principe premier114

. Encore aujourd‘hui,

malgré la centralisation et la concentration de la population en un établissement permanent,

le territoire disponible pour les Inuit de Qamani‘tuaq est resté immense relativement à leur

population – si nous ne tenons pas compte des contraintes nouvelles à la mobilité. Aussi,

jusqu‘à récemment, les Inuit étaient pratiquement les seuls à utiliser leur territoire,

contrairement à la situation des communautés autochtones situées plus au sud du pays, dont

le territoire fut progressivement envahi par les projets de développement, ébranlant du coup

leur économie de subsistance (voir Brody 1981). Ils ont ainsi préservé une grande

autonomie et une grande liberté quant à leur façon d‘occuper et de partager le territoire,

ayant l‘habitude d‘aller où ils veulent au moment et par le moyen qu‘ils le souhaitent. Le

territoire n‘est pas fragmenté en espaces privés et en espaces publics régulés, comme c‘est

le cas dans le sud.

Le partage du territoire signifie que quiconque peut aller chasser où il le désire, mais

il s‘exprime aussi par le partage des informations entre les voyageurs comme forme

d‘entraide. D‘après Jacob Ikiniliq (77 ans), comme les ressources et le territoire

n‘appartiennent à personne, il est tout à fait normal d‘informer les gens en rapport à ses

114

Concernant la propriété, Laugrand et Oosten (2010 : 169) mentionnent que dans la mythologie inuit, les

Inuit sont issus de la terre. Ils appartiennent ainsi à la terre et non l‘inverse. La terre et le ciel ne peuvent être

possédés par les individus, mais sont partagés par ceux qui y vivent. Les Inuit se considèrent comme les

nunaqqatigiit, ceux qui partagent la terre (ibid. : 137).

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voyages, à sa récolte, aux conditions sur le territoire et à la présence d‘animaux : « Usually,

when other people are asking me about my hunt, I tell them where I got caribou. I don‘t

hide where I hunt, because the wildlife doesn‘t belong to anyone, it belongs to everyone ».

Qu‘ils se rencontrent au village ou sur le territoire, les gens discutent constamment de leurs

activités sur le territoire, ils racontent leurs voyages. Aujourd‘hui, les moyens de

communication se sont diversifiés et les gens utilisent la radio haute-fréquence ou le

téléphone satellite sur le territoire, et la radio communautaire ou le téléphone au village

(H/40s ; H/58 ans ; Matthew Kuunangnat/70s). Ce type de discussions et de récits a

plusieurs utilités – pour ne pas employer le terme fonction –, comme celle de s‘assurer que

des gens puissent nous retrouver si jamais un incident survenait pendant un séjour sur le

territoire, comme le souligne cet extrait : « Before they leave, they always let know to a

close relatives or somebody they meet where they are going. Then if their machine break

down, someone always know where they are » (H/71 ans). Mais surtout, s‘informer

mutuellement est un grand coup de main pour faire de la chasse un succès115

. C‘est

pourquoi beaucoup d‘Inuit comme Irene Kaluraq et un homme dans la soixantaine se fient

aux ouï-dire pour choisir vers où partir chasser :

When people who are out hunting come back, other people will ask ―where did you

come from, what did you see, was there any caribou‖. They say that and go on the

local radio then other people can go out hunting and feed their children too. That is

how we help each other (H/60s).

You would find that when people are talking, when they have heard of a group of

caribous, or when they have gone out hunting, they will pass on to somebody else.

[…] It just spread, it is like welfare. If there is caribou here, lots of people will find

out (Irene Kaluraq/77 ans).

En somme, les principales normes morales en rapport à l‘usage du territoire et des

ressources sont d‘abord le partage, mais aussi l‘évitement de tout gaspillage. La seconde

complète bien la première, bien qu‘elle possède sa propre logique, comme celui du respect

de l‘animal116

, que je ne détaillerai pas ici. Ces normes éthiques traditionnelles ont

115

Comme le mentionne Bates (2007), dans un environnement fort imprévisible comme l‘Arctique, la réussite

de la chasse dépend de l‘acquisition d‘informations sur les conditions et les opportunités courantes, à la fois

par le contact étroit et continuel avec le territoire et les animaux et à la fois par la communication entre les

chasseurs. 116

Voir notamment Bird-David (1999), Ingold (2000), Poirier (2010), Laugrand et Oosten (2010).

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aujourd‘hui pris une forme plus institutionnalisée, notamment avec le règlement municipal

interdisant de jeter de la viande de caribou.

Support et régulation d’ici et d’ailleurs

Avec la création du Nunavut, de nouvelles instances administratives se sont mises en

place pour gérer le territoire et ce, à plusieurs niveaux (NTI 2004). La HTO de

Qamani‘tuaq, sous l‘autorité de l‘agent local de conservation du Ministère de

l‘environnement (GN), est la principale organisation qui travaille au niveau de la

communauté pour gérer les activités de récolte. Bien qu‘elle intervienne de différentes

façons pour supporter les activités de ses membres – e. i. tous les chasseurs de Qamani‘tuaq

–, il est apparu dans les entrevues que beaucoup connaissent mal son rôle, son utilité et son

fonctionnement.

Les revenus de la HTO proviennent du NTI, entre autres via le Nunavut Harvesting

Support Program (NHSP), et servent d‘une part à l‘administration et d‘autre part à

l‘organisation de chasses collectives au bénéfice de toute la communauté. Comme me l‘a

souligné un membre du conseil administratif de la HTO, les 3 000 $ que l‘organisation

reçoit par année ne permettent pas de financer bien des choses étant donné les coûts relatifs

aux activités de récolte. En plus d‘organiser des sorties de chasse pour fournir de la viande

aux membres de la communauté inaptes à chasser par eux-mêmes, la HTO administre

annuellement un concours par lequel est distribué divers équipements (H/63 ans ; Jacob

Ikiniliq/77 ans). Elle est aussi responsable de l‘installation sur le territoire de cabins

communautaires (NTI 2004), ouvertes à tous, qui contribuent à rendre plus sécuritaire les

expéditions, en cas de tempête ou de bris de la motoneige par exemple. Elles sont situées

un peu partout sur le territoire, particulièrement au nord et nord-ouest du lac Baker, comme

ce sont les régions les plus fréquentées. Les gens s‘y arrêtent souvent pour prendre le thé et

discuter (David Mariq/40s ; H/63 ans ; H/71 ans ; Silas Aitauq/78 ans).

Un projet important réalisé par la municipalité de Qamani‘tuaq et la HTO fut la

construction d‘une route de chasse d‘une dizaine de kilomètres partant du village vers la

rivière Prince et se terminant par un pont, suivi de sentiers de VTT. Le projet avait pour

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but de faciliter l‘accès à une région très visitée en été, à la fois pour la chasse, la pêche et

les cabins. D‘après Matthew Kuunangnat et Irene Kaluraq, en améliorant les conditions de

déplacement dans la région au printemps, la route a eu pour effet d‘augmenter la quantité

de cabins dans le secteur.

That first hunting road is following trails that were traditionally used for hunting and

is going right to the bridge. That bridge open up to a lot of areas that you can hunting

in. Because traditionally in the spring time, lakes started running, snow started

melting, so there is a lot of water, and when you are travelling by ATV, you don‘t

want the ground to be too wet (Irene Kaluraq/77 ans).

In this area, as soon as they made that hunting road up, it opened up the whole area

and people started bringing up their materials and making cabins. Before it was just

an ATV trail; it was hard to bring up lumber (Matthew Kuunangnat/70s).

En tant qu‘intermédiaire entre les chasseurs et les instances gouvernementales, la

HTO se doit aussi de faire appliquer les règlements territoriaux et fédéraux en matière de

faune et de chasse. En général, c‘est par le bouche-à-oreille, ou parfois lorsque l‘agent de

conservation va à l‘antenne de la radio communautaire, que les Inuit prennent connaissance

de ces règlements (H/40s ; Matthew Kuunangnat/70s). Elijah Amarook (40 ans) informe

que l‘agent de conservation est habituellement un Inuk de la communauté, mais qu‘il agit

simplement comme exécuteur des décisions prises par le gouvernement : « It is like the

police officer, all he does is enforcing, but the government is the one who decides what will

going to be enforced ». Les Inuit se sentent souvent peu concernés par ces règlements, les

considérant parfois nuisibles ou inutiles (Irene Kaluraq/77 ans), simplement parce que ce ne

sont pas leurs propres lois, qu‘elles proviennent des décideurs blancs qui ne vivent pas sur

le territoire117

et qui siègent malheureusement en trop grand nombre au GN et dans les

institutions publiques118

. Ces extraits d‘entrevues l‘illustrent bien :

I don‘t think there are any regulations for hunting. The Inuit hunting season is all year

long. We will catch whenever we can, anytime of the year. And we do know that

cows right now are not the best, so we try to stay away from them, because they are

carrying the calves or giving birth to new one. […] Those are normal common sense.

You don‘t need a white person to tell us ―don‘t shoot that mother bear because the

117

Aupilaarjuk de Rankin Inlet nomme maligait les lois inuit. Les nouvelles lois en rapport à la faune n‘en

font pas parties et il croit que les Inuit n‘en ont pas besoin pour éviter l‘extinction des espèces. En fait,

plusieurs Inuit se méfient des biologistes, parce que contrairement aux Inuit, ils ne vivent pas avec le caribou

(Laugrand et Oosten 2010 : 125-126). 118

Selon Teveny (2003 : 79) au moment de la création du Nunavut, les Inuit occupaient 50 % des postes

fonctionnaires, mais 10 % seulement étaient des postes avec responsabilité.

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baby bears still have to grow, wait until that baby bear is grown up, then shoot the

mother‖. We do understand stuff like that (H/40s).

It is not my law, I will not follow it. […] Rightfully, the laws that are being enacted

should not been created down there. They don‘t know what they are talking about,

what they are doing (H/58 ans).

Néanmoins, selon Norman Attungalaaq (79 ans), aîné très impliqué dans les affaires

politiques tant communautaires que régionales, la création de la HTO à travers le NLCA a

permis de fournir aux chasseurs un moyen pour se faire entendre des gouvernements et des

compagnies. Comme les administrateurs de la HTO sont des Inuit de la communauté, ils

sont les mieux équipés pour comprendre les intérêts et les préoccupations des chasseurs :

Now we have a voice that we can go to, there is an organization that we can use. We

now can express what we think. That makes it easier. […] The HTO board members

are really easy to deal with. They are locals and they understand what is going on the

land and they understand the concern of the people that are hunting in Baker Lake

[...]. The HTO have to report to all the ministers or different department that we have

to deal with.

À la fois au service des chasseurs de la communauté et dépendant du financement et

des politiques des gouvernements fédéral et territorial, la HTO occupe une position quelque

peu ambivalente, ce qui peut expliquer pourquoi certains chasseurs en restent éloignés. En

somme, à travers ses différentes activités, elle participe à institutionnaliser certaines

pratiques traditionnelles en lien avec le territoire – tel que le partage de la nourriture et des

lieux – en assurant un minimum d‘autonomie pour la communauté quant à l‘usage du

territoire, tout en contribuant à implanter localement de nouvelles formes de régulation du

territoire.

Appartenance et vies sur le territoire

Pour les gens ayant connu l‘époque nomade, le territoire est toujours considéré

comme le véritable chez soi, là où ils se sentent bien (F/60s), comme l‘exprime si bien

Hugh Ikoe (60 ans) : « That is home for me, I was born out there ». Les Inuit entretiennent

un rapport particulièrement affectif avec les territoires de chasse et les lieux occupés avec

leur famille avant la sédentarisation. Ces espaces sont reconnus pour leur abondance et la

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qualité de la nourriture qu‘on y trouve, comparativement à ce qu‘on trouve près du village :

His late father in law used to remember all the good fishing areas for char and he

really enjoyed living up there. He had a lot of memories there and he was really

attached to this area and really liked the fish up there. […] I even remember my

mother telling me that the chars that they get along the Back River are really different

from the chars we would get here in town. The chars we get up there are really fat,

delicious, and once we get here in town, they are dry and like garbage after having

the arctic char from Chantrey Inlet (H/40s).

Une opposition entre le village et le territoire, entre être « in town » et être « out on

the land », est clairement perceptible dans les représentations de ces espaces. Alors que le

village est associé aux problèmes sociaux divers, le territoire est lié à la paix et à la santé.

Le village est un espace plutôt bruyant, sale, où les gens, toujours occupés, se comportent

en étrangers et ne prennent plus le temps de discuter ; sur le territoire, tout le monde

redevient solidaire, partage la nourriture119

. Ne s‘étant jamais totalement habitués à la vie

au village et dans la maison, les Inuit ayant vécu sur le territoire ressentent régulièrement le

besoin d‘y retourner pour retrouver la tranquillité et l‘odeur de la toundra (F/60s)120

:

We now live in building and there are some people that just go take a break from

being in town and they want to go spend the night in their cabin or in their igloo.

There are some people that just want to go spend a couple of days in a tent because

they want to take a break from the building, the town itself, from the dust, from all

the traffic, all the noise. In the summer time, when we are out on the tundra, on a

really warm sunny day, we can smell the land, we can smell the plant. It is a totally

different smell, we do not smell dust, traffic, we are not around people, there is no

electronic noise, it is just quiet (Norman Attungalaaq/79 ans).

La mobilité est encore très forte et primordiale chez les Inuit comme chez d‘autres

peuples amérindiens121

. Ils aiment avoir la possibilité de bouger du village au territoire, de

la maison au chalet, d‘une communauté à l‘autre et même d‘une région et d‘un pays à

l‘autre, et ils le font énormément. Ainsi, même étant au village, les Inuit pensent

constamment au territoire et à leur prochain voyage, comme l‘exprime Joan Scottie (Makita

Nunavut 2012) : « while our bodies may be in the settlement, our hearts and mind are on

119

Selon Searles (2010), la vie en ville est associée à la perte de la culture et de l‘identité inuit. C‘est sur le

territoire que les qualités humaines et morales (isuma) sont acquises, et c‘est en y envoyant les jeunes

contrevenants que les aînés espèrent régler certains problèmes associés à la vie en ville (ibid.. : 156-157; voir

aussi Laugrand et Oosten 2010 : 197 ; 382). Lors de mon terrain, j‘ai eu vent de l‘existence d‘un centre de

réhabilitation sur le territoire à Qamani‘tuaq. 120

Voir aussi Laugrand et Oosten (2010 : 136). 121

C‘est notamment une conclusion qui ressort des entretiens menés chez les Innus de la Côte-Nord dans le

cadre du projet de recherche ARUC Tetauan, à l‘Université Laval, auquel je participe.

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the land, hunting caribou ». Le territoire est rempli de souvenirs, parsemés de lieux

auxquels sont rattachés des histoires plus ou moins anciennes racontant le vécu des

ancêtres. Chez les Inuit, connaître le territoire, c‘est ainsi connaître son histoire (Laugrand

et Oosten 2010 : 166). Les récits permettent aussi aux gens de connaître des lieux sans

jamais les avoir visités, se sentant du coup liés à ces lieux. L‘histoire et le savoir

s‘expriment aussi dans les toponymes, qui décrivent parfois la topographie du territoire,

comme Qamani’tuaq qui signifie « là où la rivière s‘élargie », ou réfèrent au comportement

des animaux, comme Naglurnaq, « là où les caribous traversent une rivière ». Aussi, les

noms de lieux de la région « tie into the historical use of the land, and teach traditional

values and perspectives by their literal meaning » (McGrath 23-25 août 1999 : 13)122

. Par

leur valeur descriptive, ils constituent par ailleurs une connaissance précieuse pour les

déplacements sur le territoire (Elijah Amarook/40 ans ; H/58 ans) :

Each land has a specific name attach to it and going by the description of the name,

of the land, we follow what was mention to us and use that knowledge to keep on

going. And at the same time, we are learning as we go, because we are following the

description and we also see. […] Different areas have different names. Different

lakes have different names; they have different descriptions, and different

characteristics. […] The parents will teach their children, and would pass on all their

knowledge; ―this land look like this, when you get past this point, the land will

change‖ (Norman Attungalaaq/79 ans).

De nombreux toponymes, souvenirs et vestiges – tels que des cercles de tente en

pierres, des tombes et des caches – couvrent la région au nord de la communauté sur le

chemin vers la rivière Meadowbank, et lient les Inuit à leur passé plus ou moins éloigné

(annexes F)123

. Ils témoignent de l‘occupation actuelle et ancienne, comme le rappellent

ces extraits d‘entrevues :

It is all over…Whitehills, Amarulik, Apurtinaartuq, Inukhugajualik…Kugiilik. All

around up there, we can‘t name all of them. These are ones that my family and I

always used to be, around here, all the way up (F/71 ans).

122

Concernant les Harvaqtuurmiut, Keith (2004) mentionne que le paysage était organisé selon trois

éléments ; la migration des caribous, l‘écoulement de la rivière et la proximité de l‘océan, ce qui transparait

toujours dans la toponymie. 123

L‘étude de Cumberland (octobre 2005 : 4-8, 5-4 à 5-7) sur le savoir traditionnel des Qamani’tuarmiut

mentionne également la présence de ces vestiges sur les abords des lacs de la région, dont plusieurs ne sont

pas tellement vieux.

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I know for myself that there is some tent rings around here, on the top of the hill. And

around here, they camp around here, here, even around Meadowbank. There is a big

Inukshuk around there (F/60s).

My parents used to live in that area before. Even I think there is a grave of maybe my

late brother, that passed away young. There are quite a few people, relatives that used

to camp over there, long time ago (H/45 ans).

Les toponymes et les histoires renferment également des savoirs en lien avec les habitants

non humains du territoire ; les animaux et les esprits. Le savoir des Inuit de Qamani‘tuaq

touche naturellement surtout le caribou, son comportement et ses migrations annuelles. Il

est par ailleurs continuellement renouvelé et complété par les expériences quotidiennes de

tout un chacun. Sans ne jamais connaître avec certitude l‘emplacement des caribous à un

moment donné, les Inuit sont conscients que les caribous reviennent toujours aux mêmes

endroits pour se nourrir (Elijah Amarook/40 ans). L‘extrait suivant rappelle que les Inuit

accordent à l‘animal, en l‘occurrence le caribou, les facultés de mémoire et

d‘intentionnalité, ce qui leur permet de s‘ajuster à l‘environnement :

One day you may go there and there will be nothing. The following year, you go

there, there will be a lot. And you go there again, there may be nothing. Animals are

always on the move, they are not always in one area. […] Caribou have four legs,

they are constantly moving, grazing, and caribou have a memory. They know where

the good grazing areas are, they know that if they stay in one area they will run out of

food, so they are constantly moving. And caribou do know that after you have eaten

in an area, the plants will grow back. So when they finish in an area, after some time

they will go back in that area again (H/63 ans).

Depuis quelques années, les Inuit ont remarqué que les caribous passent beaucoup

moins près de la communauté pendant leur migration et qu‘ils se déplacent en plus petits

groupes124

. Il n‘y a pas si longtemps, il était courant d‘apercevoir à partir des maisons

d'immenses hardes couvrir une grande partie du territoire autour de Qamani‘tuaq : « They

are not as close as they use to be before, where we can go back and forth in one day. It

seems to be getting a little bit further each year. […] Before there was too much

exploration, there used to be a lot of caribous, herd of caribous, […] Now herd can‘t be

what we call herd these days » (H/60s).

124

Mitch Campbell, biologiste au GN, et le BQCMB ont noté dans les dernières années une diminution

majeure du nombre de caribous dans l‘aire de mise à bas traditionnel de la harde de Beverly, ce qui pourrait

refléter soit un déplacement vers le nord, soit un déclin de la population (BCQMB mars 2011; Gagnon 04-04-

11). Le biologiste John Nagy de l‘Université d‘Alberta croit plutôt en la thèse du déplacement (George 30-11-

11).

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Ce changement dans le comportement des caribous coïncide avec le début de la

construction de la route et du camp miniers et certains y voient un lien, comme nous le

verrons davantage au prochain chapitre125

. Malgré tout, pour la majorité des aînés, le

caribou n‘est pas dans un état de vulnérabilité. Il est, comme l‘humain, capable de s‘adapter

au changement. Et lorsqu‘il est à la recherche de nourriture, rien ne peut l‘arrêter :

Just like the way we learn, adapt and grow, human beings, animals are the same way.

They will learn and adapt and they will change. Nowadays, the caribous don‘t get

scared off as easy, if they are not as skittish (Irene Kaluraq/77 ans).

The caribous travel wherever they want, nothing seems to stop them. They have a

drive and they just go wherever they want to. […] They walk over the road, they go

across lake. […] Even lakes don‘t stop them (Matthew Kuunangnat/70s).

Once a migrating caribou wants to walk, there is nothing to stop him, even if he seed

something or someone, if he really wants to move on, he will not stop (Jacob

Ikiniliq/77 ans).

Les Inuit sont toujours très attentifs à l‘apparence et au comportement du caribou, ce

qui leur permet d‘être de bons chasseurs, mais aussi de détecter des anomalies qui

pourraient avoir des répercussions sur leur santé126

. À certains moments, le comportement

du caribou peut surprendre les gens, à un point tel de se questionner sur son identité, surtout

lorsqu‘il s‘avère impossible de le tuer. David Mariq (40s) a vécu une expérience de ce

genre qu‘il a alors reliée aux histoires à propos des esprits nommés ijirait 127

: « One time a

bunch of us were shooting one bull and we couldn‘t even miss it, but it kept running, it has

never been shoot, just kept going. […] At one time, we started thinking maybe it is

something else, not an animal. We were just thinking. […] […] I don‘t know, they call it

ijiraaq. Even if you shoot it, it might die right there, but it would have been crying or

something like that. […]. I just hear about that ». Tel que mentionné au chapitre deux, les

ijirait qui habitent la toundra ont la capacité de modifier leur apparence. Matthew

Kuunangnat (70s) explique qu‘ils peuvent prendre la forme d‘un être humain comme celle

d‘un caribou128

et qu‘on peut les reconnaître par la forme de leur bouche – en sens vertical

125

Barnabas Peryouar (Laugrand et Oosten 2010 : 126 ; Mannik 1990 : 177) et Silas Aitauq (78 ans) de

Qamani‘tuaq croient quant à eux que les recherches des biologistes causent depuis longtemps le changement

de la route migratoire des caribous. 126

Voir Elias et al. (1997) et Poirier et Brooke (2000) à propos des contaminants environnementaux. 127

Laugrand et Oosten (2010 : 169) rapportent également que les Inuit du Nunavut ont tendance à suspecter

un caribou qui se comporte étrangement d‘être un ijirait, sans en être jamais sûrs. 128

Les ijirait peuvent aussi simplement se vêtir de peaux de caribou (Laugrand et Oosten 2010: 175).

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96

– et la couleur de leurs jambes. Lorsqu‘on en capture un par erreur, on risque de se

retrouver soudainement perdu au milieu de nulle part129

:

Ijiraaq is a caribou who can transform into a person, or backing to a caribou. When

they are in a form of a person […], ijirait’s mouth is supposed to be up and down. [..]

When they are in caribou form, the legs have different color. […] If you catch an

ijiraaq, it will allow you to skin it, to butcher it and to bring it back to the boat. But

once you get back to the boat, or as soon as you turn around, the animal will

disappear […] and you end up in a blizzard.

Les esprits tels que les ijirait sont souvent associés à des lieux particuliers où il est

risqué de s‘aventurer en raison des phénomènes inhabituels qui y surviennent (H/40s ; H/63

ans) 130

. L‘un de ces endroits est une île située sur le lac Baker, où les gens qui y dorment

perdent leurs biens les plus précieux. Un autre est sur le lac Whitehills, où des bruits

incessants la nuit empêchent les gens de dormir (Matthew Kuunangnat/70s) :

I have never heard anything in particular, but there were some sort of tragedy that

happen way back, and for some reason that is why it is call Tunuartalik.[It means]

place with demons. One thing I heard about that place is that if you stay there

overnight and bring something that is dear to you, you will wake up in the morning

and it will be missing. […] It is impossible to sleep [at Akilahaarjuk], even if you try,

you cannot. Whenever people try camping there, there are sounds of construction, of

banging. Somebody is hammering (H/58 ans).

Selon Elijah Amarook (40 ans), l‘expérience d‘un lieu donné varie selon les

individus. Les Inuit n‘y voient pas et n‘y entendent pas tous les mêmes choses. Il reste

cependant primordial de transmettre les expériences individuelles, et de ne pas voyager seul

en ces lieux131

. La construction du projet minier de Meadowbank fut une occasion pour

discuter de l‘histoire de la région. En plus d‘apprendre le nom inuit, Apuqtinaartuq, du lac

129

Le sentiment de désorientation provoqué par la rencontre avec un esprit est décrit ainsi par Bennett et

Rowley (2004: 155) : « Tailittuq is the experience of moving but without the sense of getting any closer to

one‘s destination ». Kappianaq et Nutaraq (2001 : 6, 71, 81), originaires du Nunavut, parlent aussi de perte

des sens et de la force qui peut aller jusqu'à la mort. Dans l‘ouvrage de Laugrand et Oosten (2010 : 175) Irène

Avaalaqiaq de Qamani‘tuaq raconte une expérience semblable. 130

Les Inuit croient que des forces maléfiques habitent ces lieux sacrés et blessent les gens. Ces lieux se

situent là où les frontières entre le monde des esprits et celui des mortels se font perméables (Bennett et

Rowley 2004 : 122, 154). L‘existence de ces lieux, dont celui au lac Whitehills, a également été rapportée lors

de l‘étude sur le savoir traditionnel menée par Cumberland (octobre 2005 : A-8, A-16, A-20) 131

Laugrand et Oosten (2010 : 137-141) expliquent qu‘il est important chez les Inuit du Nunavut de connaître

l‘existence de ces lieux où l‘on peut par exemple entendre des voix et des rires, et des règles à suivre

lorsqu‘on s‘y trouve. Ces lieux sont en fait très respectés, tout comme les anciens sites de campement et les

sites d‘enterrement des ancêtres qui parsèment le territoire. Voir aussi Kappianaq et Nutaraq (2001 : 6, 30-

31,80-81) sur les êtres et les lieux dangereux, qu‘il faut toujours respectés, et sur l‘importance de transmettre

le savoir qui les concerne.

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où se situe la mine, c‘est-à-dire le lac Third Portage, certains ont alors appris que le site

était autrefois le lieu de rencontre d‘ancêtres chamanes qui sont toujours présents, mais

sous une autre forme, comme nous le verrons plus loin.

Dans ce chapitre, j‘ai tenté de démontrer l‘importance et l‘usage actuels du territoire à

Qamani‘tuaq, et plus particulièrement pour la région où se situe la mine de Meadowbank.

Loin d‘être un espace vide, elle est remplie d‘histoires et en conserve de nombreuses traces.

Fréquentée et connue depuis fort longtemps, comme en témoigne les toponymes, les Inuit

s‘y sentent rattachés, en tant qu‘individu, que familles, sinon en tant que communauté. Ils y

voyagent, y chassent, y pêchent et y dorment toujours, parce qu‘ils connaissent la région,

parce que leurs ancêtres l‘avaient choisie et qu‘ils savent qu‘ils peuvent y trouver du gibier,

mais aussi parce qu‘elle est facilement accessible tout au long de l‘année. Le savoir, issu de

l‘expérience passée et actuelle, concernant le paysage et les habitants du territoire guident

le vécu quotidien. Ce vécu alimente à son tour la compréhension d‘un monde en

changement constant. En somme, c‘est en prenant compte des histoires, des savoirs et des

pratiques des Qamani’tuaqmiut sur le territoire qu‘il est possible de comprendre la façon

dont ils expérimentent l‘ouverture de la mine.

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99

Mine, emploi et route : enjeux sociaux, territoriaux

et environnementaux

Pour les Inuit de Qamani‘tuaq, l‘ouverture de la mine de Meadowbank engage à tous

les plans de multiples effets, à la fois positifs et négatifs. Il est difficile, même délicat, de

retirer une idée générale de l‘impact de la mine et des positions à son égard tant celles-ci

sont diversifiées au sein même de la communauté. Les divers types d‘impacts et

l‘expérience particulière de chacun ont pour résultats des perspectives toutes aussi variées

sur la question. Par ailleurs, le lien de causalité entre l‘ouverture de la mine et le vécu

quotidien des Inuit n‘est pas toujours évident, rarement même clairement énoncé par les

Inuit. Comme cette recherche ne fut menée qu‘un an seulement après l‘ouverture de la

mine, il n‘est possible de considérer que les effets à court terme. Pour supporter mes

propositions, j‘utiliserai cependant des exemples tirés d‘autres cas de mine en territoire

autochtone, majoritairement au Canada. Il est primordial de souligner que les propos

présentés ici font principalement référence aux perceptions, aux vécus et aux opinions des

Qamani’tuarmiut et qu‘ils peuvent à certains moments contredire des faits vérifiables. En

fait, de telles contradictions sont fort probables puisque, comme nous le verrons en

conclusion, la communication et la compréhension n‘est pas toujours évidente entre

compagnie, organisations inuit, communauté et individus.

Dans ce chapitre, seront présentés d‘abord les impacts socioéconomiques découlant

de la mine et des emplois, puis les questions d‘usage et d‘accès au territoire, spécialement

en ce qui concerne la route minière, et enfin les questions environnementales. Après avoir

considéré en quoi la mine peut affecter la vie des Qamani’tuarmiut, nous verrons au

chapitre suivant comment les Inuit, tout comme les autres habitants du territoire, répondent

et s‘adaptent aux changements.

Emplois : envers et revers d’une nouvelle occupation

Bénéfices versus accessibilité

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100

L‘aspect positif le plus important relatif à la mine et ce qui a motivé l‘approbation du

projet de Meadowbank par les organisations inuit et par la municipalité (NIRB août 2006)

est évidemment les retombées économiques. Celles-ci sont multiples, mais présentent aussi

leurs revers. Comme dans la plupart des communautés autochtones, souvent isolées

géographiquement du reste de la société, le haut taux de chômage et le manque

d‘opportunité d‘emplois participent à la misère sociale générale. Statistique Canada (2001 :

15-17) rapporte en 2001 que, selon les Inuit du Nunavut, les problèmes les plus saillants

dans leurs communautés sont le taux élevé de chômage, les faibles revenus, le faible niveau

d‘espérance de vie, l‘abus de drogue et d‘alcool, le suicide et la piètre qualité des

habitations. À l‘ensemble de ces problèmes, 53 % des répondants inuit croient qu‘avoir

accès à plus d‘emplois serait la meilleure solution. À Qamani‘tuaq, l‘industrie minière offre

depuis plusieurs décennies quelques opportunités d‘emplois pour les Inuit travaillant

comme guides, interprètes, mineurs et même prospecteurs132

. Ces quelques postes, ajoutés à

ceux offerts par la municipalité et quelques entreprises locales, étant malheureusement

insuffisants, le taux d‘inemploi à Qamani‘tuaq est resté très bas avec les années, étant

toujours à près de 80 % en 1992 (Scottie Makita Nunavut 2012).

Ce taux a drastiquement chuté en 2007 et 2008 alors que débutait la construction du

camp minier et de la route de Meadowbank, passant de 45 % à 3 % en un an selon le

Canadian Mining Journal (Werniuk juin 2008). Parmi les participants à ma recherche, 58 %

(11/19) ont à un moment ou à un autre été engagés dans le secteur minier. Six d‘entre eux

le sont toujours, trois ne sont plus en âge de travailler, un est en arrêt pour des questions

familiales et de santé, et le dernier est maintenant employé par le gouvernement. Tous ceux

qui n‘y travaillent plus ne sont donc pas au chômage par faute d‘emploi. La grande quantité

d‘emplois réservés aux Inuit à Meadowbank, certainement en accord avec l‘IIBA signé

entre Agnico et la KIA, explique la forte participation inuit dans l‘industrie minière. Depuis

le début de la construction de la mine, près de 40 % (231 sur 631 à la fin de 2011) des

132

Avec la mine de Rankin Inlet dans les années cinquante, de nombreux Inuit du Kivalliq ont pu trouver un

emploi. Puis, à partir des années soixante-dix, une première vague d‘exploration dans la région de

Qamani‘tuaq a permis à quelques Inuit de la communauté d‘être embauchés. Il y a toujours des prospecteurs

inuit à Qamani‘tuaq. Une association des prospecteurs locaux de Qamani‘tuaq a d‘ailleurs été formée en

1997, notamment pour travailler à la création d‘un lexique minier en inuktitut (McGrath 23-25 août1999).

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employés engagés par Agnico sont inuit, dont la grande majorité (128) vient de

Qamani‘tuaq (SEMC 2011)133

.

Pour beaucoup de gens n‘ayant jamais travaillé au cours de leur vie, les nombreux

postes offerts permettent enfin de décrocher un emploi et ainsi mieux subvenir aux besoins

de la famille (H/58 ; H/63 ; Peterson 2012 : 67). Accroissant l‘indépendance financière de

celle-ci, l‘aide au revenu offert par le gouvernement fédéral a chuté de 20 % en 2010

(George 11-11-11). Les nouveaux salaires augmentent également la sécurité alimentaire,

car les produits du magasin, très couteux, deviennent plus accessibles (Elijah Amarook/40

ans ; H/60s ; Matthew Kuunangnat/70s). Occuper un emploi, c‘est détenir les moyens de se

procurer des biens essentiels, mais plus encore c‘est obtenir la capacité d‘aider les autres

par le partage, et l‘opportunité de grandir (H/40s ; H/71 ans ; Matthew Kuunangnat/70s),

comme le relèvent Silas et Norman :

There are a lot of benefits for me and for the whole town, because even when we are

not relatives, we help each other. I had never expected to see that years ago, and

today I am in awe to see what going on in town. People are getting job, getting what

they want to buy, especially transportation and all (Silas Aitauq/78 ans).

There are some who have just lived on welfare for their whole life and they never got

a single job. There are now people that are working, that have an income, that can get

an ATV or snowmobile or truck or buy food. There are people that have access to it,

people that are growing, developing, changing, that have found a lot of benefits of

having a job up there. There have been a lot of benefits for a lot of people, it does

help the community (Norman Attungalaaq/79 ans).

C‘est donc toute la communauté qui bénéficie des nouveaux salaires. Le plus grand

pouvoir d‘achat, jumelé à un accroissement de la population, se traduisent par une

accélération de la construction de logements, surtout des maisons en rangées134

, et une

augmentation générale du nombre de véhicules de tous les types (H/34 ans ; H/45 ans ;

133

Ce pourcentage de travailleurs inuit est relativement élevé si on le compare à celui de 15 % à la mine de

Raglan au Nunavik en 2011 (George 11-11-11 ; Nunatsiaq News 26-05-11), mais ne dépasse pas celui de

54 % rencontré à la mine Voisey‘s Bay au Labrador, le niveau de participation le plus élevé au Canada

(Knotsch et al. 2010 : 65). 134

Ces dernières ne plaisent pas à tous, notamment en raison des risques de propagation des incendies

(Norman Attungalaaq/79 ans). Bien que davantage de famille ont la possibilité de devenir propriétaire de leur

maison, Peterson (2012 : 72, 77, 95) mentionne qu‘il y a malgré tout toujours un manque de logements.

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102

Peterson 2012 : 77)135

. L‘installation de travailleurs étrangers, inuit et non inuit, attirés par

les nouvelles opportunités d‘emploi, est la cause principale de l‘expansion de la

communauté (David Mariq/40s ; H/34 ans ; H/40s ; H/45 ans ; H/71 ans ; Hugh Ikoe/60

ans). Pourtant, cet influx demeure limité par la possibilité des travailleurs de voyager

directement à partir de leur propre communauté vers le camp minier grâce au système de

fly-in fly-out (H/40s)136

. Aussi, la présence d‘un plus grand nombre d‘habitants se fait

moins sentir, car une bonne partie d‘entre eux se trouve en tout temps au camp minier.

D‘un autre ordre, les bénéfices économiques de l‘industrie minière prennent la forme

de fêtes et de festins communautaires et de projets d‘infrastructure financés par la

compagnie, comme la construction d‘un terrain de baseball inauguré en juin 2011. Des

visites en hélicoptère des anciens sites de campements et territoires de chasse éloignés ont

également été organisées par Agnico pour les aînés, ce qui fut très apprécié. La compagnie

doit finalement payer des redevances au NTI, chargé de les gérer et de les distribuer aux

associations régionales137

. Comme le premier versement, s‘élevant à 2 249 500 $, eut lieu

en 2012 (Nunatsiaq News 01-05-12), lors de mon terrain les Qamani’tuarmiut n‘avaient

pas encore pu sentir les retombées des redevances. Pour cette raison, mais aussi par un

manque de connaissance concernant les ententes avec les associations inuit, certains ont

l‘impression qu‘ils ne reçoivent pas suffisamment de la compagnie, tandis que les idées de

projets que cette dernière pourrait financer pour soutenir la communauté ne manquent pas,

comme l‘asphaltage des rues et la construction d‘un nouveau centre communautaire par

exemple (H/40s ; Peterson 2012 : 115-120) :

I don‘t think they give enough to us. I wonder if it is even a whole percent of ore that

they give back. The mine and the exploration have been going on for a while up here

at Meadowbank, and what have we received really? Not much, we haven‘t been

receiving anything as I know. […] If they wants to help they should do pavement on

the roads here, we have a lot of flat tires, and a bigger airport (H/60s).

135

Knotsch et al. (2010 : 63) ont apporté la même remarque, en plus d‘un nombre croissant d‘individus

s‘envolant vers Winnipeg pour le magasinage. Peterson (2012 : 74-75) précise que les Inuit perçoivent une

augmentation importante du trafic au village et une hausse de la demande en essence de plus de 60 %. 136

Selon Statistique (2012), la population locale a augmentée de 8,3 % de 2006 à 2011, passant de 1 728 à

1 872, ce qui est une diminution comparativement à une croissance de 14,7 % de 2001 à 2006. 137

Contrairement à la mine de Raglan au Nunavik, les redevances ne sont donc pas directement versées dans

les poches des bénéficiaires, ce qui est plutôt positif considérant l‘ampleur des répercussions sociales de ce

type de versement dans les communautés de Salluit et de Kangirsujuaq (Rogers 16-04-10 ; Nunatsiaq News

01-06-11).

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I don‘t think that Baker Lake had anything yet from the gold mine, not very much.

[…] It just starts. We did not even received a bit of something, but a fest, not very

much, like nothing big or major, nothing that will be there for long, like a pool or a

new community hall (David Mariq/40s).

Aussi, bien que la mine ait créé de nombreuses opportunités d‘affaires pour les

entreprises locales comme Peter Expeding Ltd qui s‘occupe du transport de matériel et du

personnel (George 11-11-11 ; Werniuk juin 2008), les bénéfices qu‘elles retirent semblent

rarement investis dans la communauté. Le problème est qu‘elles ne sont pas dirigées par

des Inuit comme elles devraient l‘être, c‘est ce que dénonce Hugh Ikoe (60 ans) 138

: « Lot

of these companies that are Inuit owned are not Inuit at all. They are owned by Southerners.

[…] Lot of the money is not really going at the people of Baker Lake, to people of

Nunavut. Companies would like to see benefits for the town, but in many ways just don‘t.

The money is going down south ».

D‘autres déplorent la chute de la quantité et de la qualité des emplois disponibles

pour les Inuit depuis la fin de la phase de construction (Bernauer 2011a : 10). Comme c‘est

souvent le cas dans les projets de développement, cette chute s‘explique par le fait que la

production nécessite à la fois moins de main-d‘œuvre et à la fois une force de travail plus

qualifiée à laquelle ne correspond pas la majorité des Inuit (NAHO 2008). Qu‘elles aient

déjà travaillé à la mine ou non, plusieurs personnes interviewées ont ainsi affirmé être elles-

mêmes ou un membre de leur famille en attente d‘un emploi à la mine (H/40s ; H/60s ;

H/63 ans). Ironiquement, il semble pourtant manquer de main-d‘œuvre dans la

communauté (H40s ; Norman Attungalaaq/79 ans), en raison d‘une concurrence, entre les

employeurs de la mine et ceux du village, pour le bassin local de main-d‘œuvre très limité.

Comme les premiers offrent de meilleurs salaires, il semble que des Inuit refusent

dorénavant de travailler en ville, et les services municipaux et les soins aux aînés s‘en

voient affectés (Bernauer 2011b : 129)139

. Selon quelques-uns, ce problème s‘explique par

une certaine lâcheté trop répandue : « There is still a lot of works, but there is not enough

workers in town. They just don‘t want to work, they are lazy » (H/34 ans). En effet, ce

138

De plus, Peterson (2012 : 80) rapporte que toutes les opportunités d‘affaires apportées par l‘industrie

minière sont monopolisées par les trois plus grosses compagnies de Qamani‘tuaq, BLCS, Peter‘s Expediting

et Arctic Fuel, ce qui laissent peu de place pour la création de nouvelles entreprises. 139

Par exemple, les salaires au magasin Northern sont entre dix et douze dollars, alors qu‘à la mine ils vont de

vingt à quarante dollars. La grande différence entre les salaires crée une différenciation socioéconomique

entre les familles, de laquelle découle des tensions sociales (Peterson 2012 : 74,79).

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serait par volonté que certains Inuit se trouvent toujours sans emploi (H/40s ; H/60s). Il a

également été mentionné que les plus gros salaires ont fait augmenter le coût des produits

en magasin, alors que le revenu de toutes les familles n‘a pas nécessairement augmenté

(Peterson 2012 : 74-75). Même avec de meilleurs emplois disponibles à la mine, il faut

aussi noter que le faible niveau de scolarité de la population inuit représente un obstacle

majeur pour l‘accessibilité à ces postes, surtout pour ce qui est des emplois exigeant un

certain niveau de qualification (F/71 ans ; H/60s). La majorité des Inuit travaillant à la mine

occupe des postes d‘entrée, dans les cuisines ou à l‘entretien ménager (Peterson 2012 : 68),

comme c‘est le cas à la mine de Raglan (Benoît 2004). Le résultat est ce que Bernauer

(2011a : 12) qualifie de « racially stratified workforce »140

. Les possibilités étant limitées

pour les Inuit, ils acceptent néanmoins n‘importe quel emploi : « We would like to have

good jobs, permanents jobs too, not just slave work. […] They accept it because they have

to make a living. There are a lot of young people that don‘t know how to go out hunting,

that don‘t have jobs in order to make a living, to be eating, to be paying for their rent »

(H/60s).

À titre indicatif du niveau de scolarité, en 2006, 72,6 % des Inuit de Qamani‘tuaq de

quinze ans et plus n‘avaient aucun diplôme ou certificat, y compris le diplôme d‘études

secondaire, et 82,2 % n‘avaient ni diplôme ni certificat post-secondaire (NPC 2008 : 9-

10)141

. Il y a pourtant quelques rares Inuit qui détiennent un diplôme d‘études supérieures et

qui occupent des postes de supervision ou de bureau à la mine142

. Pour les ambitieux qui

débutent en bas de l‘échelle et qui travaillent fort, il y a évidemment des possibilités

d‘avancement (H/34 ans ; H/40s ; Norman Attungalaaq/79 ans ; Peterson 2012 : 69)143

. La

formation des employés est un enjeu primordial pour les Inuit et il reste du développement

à faire de ce côté. Il existe certains programmes de formation spécialisée, comme pour la

conduite de machinerie lourde dont les postes sont majoritairement occupés par des Inuit.

Une telle formation auparavant était alors donnée en Ontario, alors que certains auraient

140

Boutet (2010 : 40-41) a également noté que les Innus et les Naskapis n‘occupaient que des postes de

journaliers – sans aucune responsabilité, « les tâches les moins désirables et les plus dures » – dans le secteur

minier à Schefferville entre 1954 et 1983. 141

Selon Peterson (2012 : 89), le fait que les emplois offerts aux Inuit n‘exigent souvent aucune formation

spécialisée n‘encourage pas les jeunes à terminer leurs études secondaires. 142

Il y a par exemple une Inuk aux ressources humaines, et un Inuk à l‘informatique. 143

Voir le cas deVince Pattunguyak (Greer 25-05-11).

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préféré être formés directement à Meadowbank (H/34 ans ; H/40s ; Peterson 2012 : 89-

90)144

.

Les réseautages et les conflits internes à la communauté sont aussi parfois des

obstacles à l‘accès à l‘emploi à la mine. En effet, certains Inuit éprouvent de la difficulté à

être embauchés tout simplement parce que d‘autres membres de la communauté, avec

lesquels ils sont en conflit, sont mieux placés qu‘eux pour influencer les décisions liées à

l‘embauche (H/40s)145

. C‘est ce qu‘explique Hugh (60 ans) :

You got some people that are very much in contact and who don‘t go up. Because

there are some companies in town that have private work, consult with some people

who is saying ―it is good‖. ―Yes, it is good, I got a job. Let‘s say about this guy‖. But

if the guy here doesn‘t like him, he will say ―no, he is not good‖. Even though he is

good, he can do the job. But him he doesn‘t want to see him working and be in

competition. So there is room for some business that is not good at all, like any other

mine.

Répercussions sociales

Concernant les impacts sociaux liés aux emplois à la mine et pressentis par les Inuit,

un répondant a mentionné la diminution de la cohésion sociale comme conséquence de la

réduction du temps passé en famille, ce qui n‘est évidemment pas uniquement dû à la mine.

Ce manque de temps affecte nécessairement la capacité à transmettre des compétences et à

pratiquer des activités culturelles comme la chasse : « I believe it was a lot better before

there was the mine, because a lot of things seemed to be more under control, people seemed

to work together a lot more and families were able to get together and have more time. Now

because of the mine, people have been busy all the time, running. They don‘t have time to

get together so often anymore as they used to, that makes a lot of differences » (H/60s).

Bien qu‘il n‘y ait pas eu une redistribution individuelle des redevances, l‘obtention

soudaine d‘un salaire considérable pour un grand nombre d‘Inuit, mais aussi

144

La compagnie a dernièrement investi dans un simulateur de conduite pour former les travailleurs sur place

(George 11-11-11) 145

Une telle situation fut notée à North Rankin Nickel Mine où certains sous-groupes culturels (-miut), plus

estimés que d‘autres, avaient davantage d‘influence sur les décisions prises par le contremaître (Williamson

1974 : 137). J‘ai remarqué à Qamani‘tuaq que certaines familles semblaient bénéficier d‘une plus grande

place dans les rapports avec Agnico. Je n‘ai toutefois pas pu noter une différence entre les sous-groupes.

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l‘accroissement de la population, ont participé à l‘augmentation en termes absolus des

activités de contrebande, de la consommation de drogues et d‘alcool et de la participation

aux jeux de hasard, principalement le bingo (Bernauer 2011b : Hugh Ikoe/60 ans ; Norman

Attungalaaq/79 ans ; Peterson 2012 : 77-78, 98)146

. Pour plusieurs participants, cela

s‘explique en partie par le fait que certains individus, qui gagnent peut-être trop d‘argent,

ne savent pas faire bon usage de cet argent (F/71 ans ; H/40s ; H/63 ans) :

I noticed that there seems to be a lot more drugs. I am hearing that there is

bootlegging too around here. This kind of things is coming. We just used to hear it

before, but now that the mining is up there, you are seeing it and hearing it that it is in

our community. So, on the other hand, it is very difficult for the local people having

the mine up there too. I think there is one or two that are in jail and out of the

community because of that, use of drugs and alcohol (H/60s).

There is more alcohol and drugs in town now according to me, lots of different kind

of little problems here and there. […] The workers up there are making too much

money. The only part that I hate is maybe too much money; they can afford alcohol

and drugs. That is too much (H/45 ans).

En parallèle, depuis le début des opérations à Meadowbank, la RCMP rapporte une

accentuation des problèmes liés au suicide, à la violence, aux abus sexuels et à l‘usage de

drogue et d‘alcool (Murphy 26-06-12)147

. Les appels ont augmenté de 22,5 %, et les permis

d‘alcool de plus de 100 %, passant de 3 000 en 2009 à 6 105 en 2011 (Dawson 23-07-

12)148

. Ironiquement, selon certains aînés, occuper un emploi permet pourtant aux jeunes de

rester loin des problèmes liés à la consommation et à la violence, tout en leur offrant une

nouvelle motivation et une occasion d‘apprendre, et participe donc à contrer en partie les

problèmes sociaux (Matthew Kuunangnat/70s ; Norman Attungalaaq/79 ans)149

. Les aînés

146

Peterson (2012 : 99) mentionne également la prostitution chez les femmes inuit. L‘argent, la

consommation, la violence et les étrangers ont rendu généralement l‘environnement des femmes inuit moins

sécuritaire. Tous ces effets contradictoires d‘une plus grande abondance monétaire n‘ont pas fait l‘objet de

mon étude, mais méritent une étude complète à eux seuls. 147

Voir Knotsch et al. (2010 : 66) concernant les impacts de l‘industrie minière sur la santé. 148

Ce même problème de consommation a été observé à North Rankin Nickel Mine, à Nanisivik sur l‘île de

Baffin et à Marmorilik au Groenland (Dahl 1984). À Nanisivik en 1978, la moitié des 297 employés inuit était

des jeunes célibataires sans enfant ayant souvent moins besoin d‘argent et donc plus tendance à mal l‘utiliser

(Hobart 1982a). À North Rankin Nickel Mine, où un bar fut aménagé, la consommation d‘alcool devint un

problème sérieux, canalisant une partie importante des revenus et suscitant beaucoup d‘anxiété dans la

population inuit (Williamson 1974 : 127-129). 149

La consommation de drogue et d‘alcool est interdite à Meadowbank – comme à Raglan (Benoît 2004 :

107), et cette politique est généralement appréciée des Inuit. Peterson (2012 : 70) ajoute que la vie au camp

minier offre une structure et une discipline qui procure un sentiment de sécurité – incluant au niveau

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107

encouragent donc particulièrement les jeunes n‘ayant pas les habilités et l‘intérêt pour la

chasse à s‘engager dans l‘industrie minière (Bernauer 2011a : 12).

Exploration and mining is good too for a small town like ours, because there is hardly

any employment around here, and it gives a chance for people to work and, especially

the young generation, to stay away from drugs and alcohol. […] We encourage

people who don‘t know how to go out hunting to have a job and if possible to keep

them away from drugs and alcohol while they could make a good living and feed

their children. There are a lot of things actually. We have to be aware and make sure

that our children have a good job or learn to go out hunting, survive (H/60s).

Comme pour toute autre mine ouvrant ses portes dans une petite ville, les multiples

répercussions sociales étaient prévisibles et la plupart des Inuit en étaient conscients (Hugh

Ikoe/60 ans ; Cumberland octobre 2005). Pourtant, comme Norman Attungalaaq (79 ans) le

mentionne, il faut se rappeler que de nombreux problèmes, comme l‘abus de drogue et

d‘alcool, étaient présents bien avant la mine (Peterson 2012 : 98, 100). À l‘égard de la

mine, il faut aussi savoir porter attention aux bons côtés et tenir compte de tous ceux qui

vivent sans problème.

Instabilité et adaptation à la vie minière

L‘instabilité des Inuit à l‘emploi est le plus grand problème que rencontre Agnico

dans son projet d‘exploitation avec un taux de décrochage de 80 % et d‘absentéisme par

jour de 2 à 5,6 % (Murphy 26-06-12 ; Bell 20-04-12)150

. Il est en effet difficile de soutenir

le rythme de la production lorsque la formation des gens est continuellement à

recommencer. C‘est ce que rapporte un des premiers Inuit à avoir travaillé à

Meadowbank : « They want to work, they go to work, then they don‘t want to follow, they

are lazy. When they find out it is too hard for them, they never come back. And then we

have to train another person, takes all your time and stuff. While things should have been

done, they are not done because they quit » (H/60s). Bien qu‘il y ait de bons travailleurs qui

apprécient leur emploi et l‘occupent de façon continue depuis quelques années, nombreux

alimentaire – , d‘accomplissement et de bien-être. La chute du taux de chômage agit également contre la

solitude et le désespoir (ibid. : 100). 150

Sur 276 travailleurs inuit engagés en 2010, 229 ont quitté. Chaque jour, une moyenne de vingt-deux

travailleurs ne se présente pas au travail. Le taux de décrochage annuel est passé de 37 % à 27 % de 2010 à

2011 (Bell 20-04-12).

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108

sont ceux qui quittent au bout de quelques mois, parfois pour y revenir plus tard, ce qui

génère un roulement accéléré de la main-d‘œuvre. Ce va-et-vient est souvent manifeste

pour les emplois peu qualifiés, comme le dit Benoît (2004 : 89) au sujet de Raglan,

« certaines personnes sont intéressées à occuper ces postes d‘entrée pour une période

nécessaire à l‘achat de matériel dont ils ont besoin »151

.

L‘instabilité des Inuit au travail peut s‘expliquer de différentes façons. L‘une d‘elle

est la difficulté à s‘adapter à un emploi du type industriel. Comme plusieurs n‘ont jamais

occupé un emploi régulier et quotidien auparavant, ils doivent s‘habituer à un mode de

travail étranger, à une gestion stricte du temps, à obéir à un patron et à travailler durant de

longues heures, ce qui nécessite évidemment de la volonté et du temps (Hobart 1984). De

nombreux participants ont partagé ceci (H/40s) :

That is something that they have to learn, because they have been out of work for so

long. When they get hired, it is hard for them to adapt to a different working

environment. They have to readapt themselves to twelve hours day shift (Elijah

Amarook/40 ans).

It will take us a while. We still saw a lot of people quitting, they don‘t want to work

up there. They cannot get themselves into this system, having a fulltime job up there

with the family down here. It is a big problem. […] So there is all kind of social

problems that become big problems for many of them. A year ago in June, they had

fifty-four people quitting in one month. They have a hard time adapting. It will take a

few years before people get used to this kind of life style (Hugh Ikoe/60 ans).

When people don‘t want to follow rules, for those who are not used to follow this

kind of regulations, then the problems start arising. Then they start going at each

other neck. […] According to me, they start understanding each other, the bosses and

the workers start to get along (H/60s).

Dans le cas de Meadowbank et à l‘instar de Raglan, les Inuit doivent apprendre à

collaborer avec des étrangers qui parlent une partie du temps une langue incompréhensible,

étant donné que la majorité des employés non inuit sont québécois152

. Si certains apprécient

l‘opportunité de rencontrer des gens d‘ailleurs (H/34 ans ; H/40s), d‘autres éprouvent

davantage de difficulté à s‘y accommoder, comme l‘expriment un homme et une femme

ayant travaillé au camp :

151

Il ajoute cependant que le taux de roulement pour ce type d‘emploi est similaire ailleurs au Canada. 152

Notons que la langue de travail officielle est l‘anglais, l‘inuktitut et le français étant interdits au camp.

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109

If you don‘t speak French, if you are not white, you are garbage. That is one thing I

heard, that is one thing I had for myself. The committees, they talk to you, all the

committees and all the big wig cells they are talking very nice, but when you are

actually working there, it is different (H/40s).

Sometimes, I don‘t understand them because they start to speak in French. But we

started making friends, it is alright. […] We don‘t like when people hate us. But they

are friendly; it is alright mostly, from what I know. It is fun joking around with them,

since they don‘t take it seriously (F/41 ans).

Inévitablement, les différences culturelles et le manque de compréhension mutuelle

conduisent parfois à la discrimination envers les Inuit, ce qui pousse ceux-ci à quitter leur

emploi (Benoît 2004 : 89 ; Bernauer 2011b ; Peterson 2012 : 71)153

. Conscient qu‘une

bonne communication est la clé, Agnico offre toutefois certaines formations interculturelles

(Bell 20-04-12).

Le cycle de l‘emploi à la mine est réglé pour la majorité des Inuit selon une

migration pendulaire de deux semaines à la mine suivies de deux semaines de congé à la

maison. Cette absence prolongée et régulière, nouvelle pour les Inuit, est une autre grande

difficulté, cette fois en rapport à la vie et aux responsabilités familiales (George 10-08-09;

O‘Faircheallaigh 1995)154

. Le cycle de travail à Meadowbank présente toutefois une

amélioration si nous le comparons à celui de six semaines de travail suivi de deux semaines

à la maison que l‘on trouvait à la mine de Nanisivik155

. Bien qu‘un cycle plus court puisse

diminuer le stress lié à la séparation, plusieurs préfèrent de ne pas travailler si la famille a

besoin d‘eux, pour s‘occuper des enfants ou bien prendre soin d‘un parent âgé ou malade

par exemple, comme dans le cas suivant : « Saturday, they called me on emergency because

a guy got fired and they wanted me to come up on short notice. I said ―I have nobody to

153

La relation difficile entre les employés inuit d‘un côté et les employés blancs, superviseurs ou non, de

l‘autre fut également rapportée par les Inuit ayant travaillé à North Rankin Nickel Mine dans les années

cinquante, où le taux d‘absentéisme était aussi fort élevé (Williamson 1974 : 115-126). En fait, les Inuit se

sont difficilement habitués au tempérament incertain des Qablunaat, à leur attitude impersonnelle et à leur

façon agressive de s‘exprimer. Dans ce contexte, et ayant appris l‘importance de la ponctualité chez les

Qablunaat, les Inuit préféraient s‘absenter du travail pour la journée entière lorsqu‘ils étaient en retard plutôt

que de s‘exposer à un sermon. 154

Elle a aussi un impact potentiel sur la vie communautaire si les travailleurs voient leur participation aux

activités cérémonielles et communautaires diminuer. C‘est ce qui fut observé dans certains cas miniers, alors

que dans d‘autres ce fut l‘effet contraire (Hobart 1982b ; Holden et O‘Faircheallaigh 1991 ; O‘Faircheallaigh

1995). À Qamani‘tuaq, cela reste à étudier. 155

Selon Hobart (1982a), le cycle de travail était la cause principale du très haut taux de désengagement. En

fait, les employés inuit appréciaient en général leur travail, mais n‘aimaient pas le fait d‘être éloignés de leur

famille pendant de longues périodes. Et sur ce point, c‘était leurs femmes, qui devaient s‘occuper seules de la

maison et des enfants, les plus insatisfaites (ibid. : 69).

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take care of [my mother], I got to do it‖. She comes first, so I said ―you have to wait until

Monday‖. I will go on Monday, few days ago, but I could not find anyone to take care of

her. So, I had to say no to that job » (H/40s).

Comme il est de plus en plus courant pour les deux parents de travailler à temps

plein, le départ de l‘un d‘eux à la mine peut présenter un problème s‘ils n‘arrivent pas à

trouver une gardienne pour les enfants (F/41 ans ; H/40s)156

. Un problème survient

également lorsque les Inuit ayant quitté pour des raisons familiales ou autres, comme des

funérailles, souhaitent retourner ensuite au travail, mais ne sont pas rappelés par la

compagnie (H/63 ans)157

. Dans ce cas, il est possible de supposer que le problème en est

probablement un de communication, j‘y reviendrai plus loin. La vie partagée entre le camp

minier et le village crée aussi beaucoup de tensions sur le plan conjugal en raison des

histoires d‘infidélité qui courent158

(Hugh Ikoe/60 ans ; Peterson 2012 : 71). Certaines

femmes se sont plaintes du fait que les relations intimes entre travailleurs du sud et

travailleurs du nord détruisent les familles. Ces relations amènent parfois dans le sud de

jeunes femmes qui, une fois sur place, requièrent l‘aide de leur famille pour revenir (F/71

ans). Que ce soit au sujet de relations intimes ou non, le contexte de commérages au camp

minier ne plaît pas à tous, et certains préfèrent tout simplement en rester éloignés (H/45

ans).

Paradoxalement, un autre élément pouvant être responsable de l‘instabilité à l‘emploi

en est un d‘ordre économique. Travailler à temps plein pendant un certain moment

occasionne la montée du loyer des logements sociaux159

. Il apparaît que des Inuit opteront

alors pour quitter l‘emploi plutôt que devoir payer leur loyer plus cher (George 10-08-

09)160

. Enfin, mis à part les problèmes sociaux, le besoin matériel et psychologique d‘aller

sur le territoire représente souvent un motif à l‘absentéisme, et même au décrochage à

156

Peterson (2012 : 72) mentionne le manque important de places en garderie depuis l‘ouverture de la mine

comme il n‘existe qu‘une garderie qui accueille moins de vingt enfants. 157

Cette situation fut également notée à Raglan (Benoît 2004). 158

Certaines ont parlé d‘augmentation de la récurrence des MTS dans la communauté. À l‘appui de ceci, des

auteurs ont identifié l‘accroissement des pratiques sexuelles non sécuritaires comme un impact de l‘industrie

minière sur la santé. Elles ont aussi révélé des répercussions sur la santé des femmes (voir Knotsch et al.

2010 : 66). 159

Si le revenu du ménage monte au-dessus d‘un certain seuil, le loyer peut passer de cinquante dollars à plus

de 800 par mois (SEMC 2009). 160

Voir Benoît (2004 : 115) au sujet de la mine de Raglan, et Mancini et Mancini pour le Nunavut (2007).

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certains moments de l‘année ; le cycle des saisons a en effet son lot de responsabilités.

Comme le mentionne Williamson (1974 : 117) au sujet des travailleurs inuit de North

Rankin Nickel Mine : « Spring-time restlessness, however, infected everybody ». Ceci peut

expliquer le nombre faramineux de départs de travailleurs inuit au premier printemps

suivant l‘ouverture de la mine. Les Inuit habitués à chasser et à pêcher régulièrement se

sentent particulièrement « pris » lorsqu‘ils sont au camp minier, sans permission ni temps

libre pour sortir sur le territoire (F/41 ans ; H/34 ans).

En somme, les emplois à la mine présentent de bons et de moins bons côtés. Comme

pour d‘autres cas miniers, en raison de la faible employabilité de la main-d‘œuvre locale et

des difficultés d‘adaptation au travail, les Autochtones ne jouissent pas encore pleinement

des emplois disponibles (O‘Faircheallaigh 1995). Pour Norman Attungalaaq (79 ans),

engagé auprès de la KIA, comme le développement économique est inévitable et

primordial, et que d‘autres mines suivront nécessairement, l‘essentiel pour l‘avenir est de

mettre sur pied de meilleurs programmes pour éduquer les jeunes aux nouvelles possibilités

qui s‘offrent à eux. Agnico rejoint l‘optique de Norman et prévoit d‘ailleurs participer à la

création de meilleurs programmes de formation (George 11-11-11).

La compagnie et ses infrastructures : quelques enjeux pour les

chasseurs

Our land : modification et perte d’espaces

Au Canada, les sociétés nordiques sont restées relativement éloignées des projets de

développement jusqu‘à récemment. La présence éparse et discontinue de compagnies

minières dans le Kivalliq n‘a pas suscité de dépossession majeure ni contraint la population

à se retirer de ses territoires de chasse. Cependant, l‘installation plus permanente d‘une

compagnie, en l‘occurrence Agnico, obtenant des droits sur des parcelles de terre et

construisant de nouvelles infrastructures, représente un changement substantiel, puisque ces

parcelles recouvrent un espace encore matériellement et symboliquement important pour la

communauté. Nous avons vu au chapitre précédant que les Qamani’tuarmiut sont liés à la

région de Meadowbank tant par leur histoire que par leur fréquentation actuelle dans le

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112

cadre de différents types de séjour. Apuqtinaaqtuq est bien connue par les aînés qui

continuent de transmettre aux jeunes le savoir toponymique et expérientiel des lieux et des

sentiers qui le composent. La construction d‘une mine et des différentes infrastructures qui

l‘accompagnent modifie alors le paysage et le territoire des Qamani’tuaqmiut en plus

qu‘elle limite l‘accès aux lieux et sentiers. Au tout début du projet, il eut en conséquence

des gens opposés à sa réalisation, particulièrement ceux ayant grandi dans la région

concernée, mais aussi les aînés en général, sensibles plus que d‘autres à la destruction du

territoire avec lequel ils entretiennent toujours un lien affectif très fort (David Mariq/40s ;

Peterson 2012 : 102) : « Some of the local people of Baker Lake, [who probably want] to

keep the land and area clean and untouched, were not too happy about the mine been

open » (H/63 ans), « I just don‘t like the sight anymore. […] My mom said that they ruined

the land » (H/45 ans).

Chez les Inuit du Nunavut, on croit traditionnellement que les offenses commises

envers la terre sont la cause de diverses catastrophes, comme la maladie et la famine

(Bennett et Rowley 2004 : 118), d‘où la crainte de voir le territoire être détruit161

. Pour

limiter les dommages faits aux sites importants pour la communauté en regard à son

histoire et son identité, Cumberland et Agnico ont mené des recherches archéologiques,

auxquelles ont participé quelques Inuit, qui ont démontré la présence d‘un nombre

important de sites historiques tant près du site minier que le long de la route (F/60s ; H/34

ans)162

. Ils ont ainsi pu contourner ces sites lors de la construction. L‘aménagement de la

route et de la barge a également été planifié en collaboration avec la HTO et les aînés

(Cumberland octobre 2005). Ces mesures de respect du patrimoine participent sans doute à

apaiser un sentiment d‘envahissement du territoire, ajoutées au fait notoire que la mine n‘a

pas rendu ce dernier plus accessible aux étrangers, étant donné que les travailleurs du sud

ne se sont pas installés dans la communauté qui demeure encore relativement isolée.

Contrairement à d‘autres communautés autochtones vivant plus au sud, l‘arrivée de

161

Voir aussi Laugrand et Oosten (2010 : 136) et Rasmussen (1929 : 19) concernant les Inuit, et Paci et

Villebrun (2005) concernant le lien entre le bien-être de la communauté et la santé du territoire chez les Dénés

de la Saskatchewan. 162

Il y a environ soixante-dix sites d‘intérêt, dont une quinzaine se trouve le long de la route (voir l‘annexe F ;

Cumberland octobre 2005 : 5.34 ; NIRB août 2006 : 17).

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113

travailleurs étrangers n‘a pas pour l‘instant augmenté la pratique de la chasse sportive163

.

Ainsi, à Qamani‘tuaq, de nombreux chasseurs interviewés ne se sentent nullement

dépossédés164

, aussi longtemps qu‘ils ont la possibilité de poursuivre leurs activités sur le

territoire. Comme les caribous ne se tiennent pas spécifiquement près de la mine, celle-ci ne

cause pas vraiment problème (ibid.) :

As long as they don‘t disturb the animals, as long as they don‘t interfere, they are not

a problem. If I don‘t like them, I can send them home and drive them out of my land.

It is my land, I used to live on the land, I came from the land (H/58 ans).

There is no real problem dealing with mine and exploration. They don‘t really go to a

highly densely hunting area. There are all the areas where people still can go for

hunting. It doesn‘t really affect how much hunting that we can do (Norman

Attungalaaq/79 ans).

Either way, people will go to where the caribous are. […] It is a small part compare

to…like between here and Yellowknife, it is like 6-700 hundred miles (Elijah

Amarook/40 ans).

Pourtant, la perte de l‘accès à la région, en raison des nouvelles infrastructures et des

règlements de la compagnie, affecte ceux qui connaissaient et fréquentaient encore

récemment plus spécifiquement cette région qu‘une autre :

After they lost their father, we used to be around this area too [north Shultz Lake],

but now the further I can go out hunting now is around here [between Amarulik and

Tehek Lake]. And because of the rules, we are not allowed to pass this area to hunt,

although this area is part of my land (F/71 ans).

I heard that I cannot go close to the mine. I never went as far as the mine. I could go

where I want to go, a part or around. But the rules say this and that now, so it is

harder to go hunting (H/45 ans).

Situé sur le chemin vers Gjoa Haven, Apuqtinaaqtuq constituait notamment un lieu de

rencontre pour les voyageurs qui doivent dorénavant contourner la région :

We hear that we can‘t get to Meadowbank, at least for coffee or anything. When it

was an exploration, we used to talk through there. […] We used to go there anytime,

but with this gold mine going on now, we can‘t just grab there anymore. […] We

163

Voir Brody (1982: 234) concernant les Indiens Beaver et Henriksen (1998) concernant les Innus. 164

David Mariq (40s) a mentionné ne pas être dérangé par le fait que la compagnie extrait du minerai pour

l‘apporter dans le sud étant donné que c‘est elle qui a trouvé l‘or, alors que les Inuit vivent là depuis fort

longtemps et n‘ont jamais eu connaissance de son existence. David aurait évidemment préféré que ce soit les

Inuit qui trouvent l‘or.

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used to go there and have coffee, […] on the way to Gjoa Haven or just dropping by,

hunting. […] But now we have to drive around it (David Mariq/40s).

En plus du camp minier, la route privée, ouverte en toute saison, et son entrée

(gatehouse) modifient l‘accessibilité à des lieux comme les cabins, nombreuses dans la

partie sud de la route, et à des espaces de chasse et de pêche. D‘après certains Inuit, la

construction de la route a d‘ailleurs nécessité le déplacement de certaines cabins, malgré le

désaccord des propriétaires165

.

Where the gatehouse is, we used to use it a lot for hunting prospection, looking for

caribou. We used to use that to go out fishing, either by walking or by ATV. Now we

cannot get close to it, from the rule. […] It is not good for me, when they tell people

to move, like that cabin. I know of one who has been asked to move it, and he just

said ―no, I am not going to move it, I want to keep it‖ (H/45 ans).

When they first started making the road, people cabins would be moved to the side a

bit, so they can made the road where they want to. That was complain that some

people had, that they were moving cabins without letting anyone know. They picked

that particular spot for their cabins because they like it (Irene Kaluraq/77 ans).

Alors que la présence de la route modifie certainement le paysage qu‘ils ont choisi pour

s‘installer, certains conviennent que la route engendre, au contraire, une meilleure

accessibilité à certaines cabins. Les infrastructures minières empiètent aussi parfois sur des

sentiers, comme l‘installation de la barge, comprenant un oléoduc, juste à l‘est de la

communauté, sur le chemin de la rivière Prince :

To go to Prince River, it is harder to cross this area, from the pipe. […] It is harder to

go where I want to go. It seems that, even during the fall, when the barges come in,

by machine it is harder to get there, we have to take a detour around, even by ATV.

We have to ask first if we can cross. When there was nothing there, I didn‘t have to

ask, I would just go. So it is harder. There is different ways of going over there, this

is the shorter way that I know, by the beach, because it is smoother. And the way we

have to go through now is much rougher (H/45 ans).

Le cas le plus notable de dérangement d‘un sentier est celui de la route minière,

construite sur un ancien sentier de VTT maintenant détruit, comme l‘explique un chasseur

de quarante-cinq ans : « They rift our trails. I was mad at the beginning, because they

165

À la connaissance du superintendant en environnement d‘Agnico, aucune cabin n‘aurait en fait été

déplacée.

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115

ruined the Honda trail‖166

. Les Inuit ont perdu un sentier collectif important au profit d‘une

route qui n‘est pas la leur, mais qui est la propriété de la compagnie qui impose ses propres

règles quant à son usage : « You know it is their road, if we want to use it, we have to ask

kindly. In a sense, Agnico did say, ―yea, you can use it‖ (Hugh Ikoe/60 ans). Nous allons

maintenant voir comment les usagers inuit expérimentent et perçoivent la route et sa

réglementation.

(Dés)appropriation d’un chemin: route privée et régulation

La disparition du sentier en question passe par l‘appropriation du chemin par la

compagnie et s‘exprime par une perte de contrôle et de liberté sur l‘utilisation de ce chemin

alors très parcouru par les chasseurs, et ce en raison de l‘imposition d‘une nouvelle

régulation d‘origine externe dont les Inuit n‘ont pas l‘habitude. Au tout début, selon les

conditions incluses dans le certificat de projet émis par le NIRB pour Cumberland, la route

était réservée à l‘usage exclusif des travailleurs167

. Les Inuit y voyaient pourtant un moyen

efficace de se déplacer en été (Irene Kaluraq/77 ans), et certains en ont immédiatement usé

pour aller chasser en VTT, ignorant l‘interdiction ou y étant insouciant : « We still went out

by the road no matter what, because they are invading our land » (H/40s). Face à ce

problème, Agnico et la municipalité ont négocié avec le NIRB le droit d‘usage pour les

chasseurs inuit, sous certaines restrictions visant la sécurité des utilisateurs qui partagent la

route avec des conducteurs de gros transports (Bernauer 2011b : 92 ; George 10-08-09 ;

H/60s ; Hugh Ikoe/60 ans ; Norman Attungalaaq/79 ans).

D‘abord, au désagrément de certains qui aimeraient bien un peu plus de confort et de

vitesse, les chasseurs ne peuvent voyager sur la route qu‘en VTT, les véhicules plus gros

étant interdits (Bernauer 2011b : 93 ; David Mariq/40s). Selon Hugh Ikoe (60 ans), qui

166

Il faut cependant noter que, selon le superintendant en environnement d‘Agnico, les voix d‘accès pour la

motoneige le long de la route et à la barge ont été négociés avec la HTO et les aînés de Qamani‘tuaq.

167 La municipalité, souhaitant bénéficier de la route, avait pourtant exprimé au NIRB en 2006 son

insatisfaction quant à l‘interdiction d‘usage et à l‘intention de remettre le terrain à l‘état naturel après la mine

(NIRB août 2006). Le ministère des Pêches et Océans du Canada appuyait, elle, cette interdiction tout comme

celle empêchant les travailleurs à la mine de pêcher, cela dans une optique de protection du poisson et du

maintien d‘une récolte durable (ibid. : 33).

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approuve cette mesure, ceci n‘est pas un réel problème compte tenu du fait que seuls les

plus fortunés peuvent se procurer un tel véhicule, mais aussi que le manque d‘expérience et

de vigilance des conducteurs inuit implique des risques. Ensuite, il est exigé de

s‘enregistrer à l‘entrée de la route à l‘allée et au retour, notamment pour se munir d‘une

veste de sécurité orange et poser un drapeau fluorescent sur son VTT. Ceci plaît en général

très peu (H/45 ans), notamment parce que les couleurs vives font fuir le caribou : « My dad

said that animals don‘t like to see bright colors, so when the gate house is far, we just take

the vest off » (F/41 ans). Pour limiter les risques d‘accident, l‘accès aux chasseurs est

restreint pendant les périodes de plus grand achalandage des véhicules lourds. C‘est le cas

en juillet, lorsque des cargos débarquent à Qamani‘tuaq avec du matériel et du combustible

à transporter au camp minier. Or, cet inconvénient saisonnier entre en conflit avec les

activités de récolte, très pratiquées aux mêmes moments dans le secteur (F/71 ans ;

Matthew Kuunangnat/70s) : « The travel is restricted quite a bit during the sealift season,

when the barge comes in. It is also the time when the fish are biting, which is when people

want to go out fishing. That is the best time of year for fishing, and later on when the lakes

start freezing » (Irene Kaluraq/77 ans).

La route est également fermée à d‘autres occasions, comme lors de tempêtes ou de

réparations routières, ce qui gêne quelque peu : « The only problem I see is that sometimes

the road is close because of the weather or other road problem that need fixing, or because

there is a lot of snow along the road. […] Sometimes, almost every spring or summer, the

road has to be fixed, and they have to close the road. That is the only problem I face »

(Silas Aitauq/78 ans). Les chasseurs qui utilisent la route doivent également s‘arrêter sur

l‘espace d‘accotement pour laisser passer les gros transports lorsqu‘ils s‘approchent. Aussi,

il est interdit de chasser à partir de la route ; il faut descendre et s‘éloigner de quelques

kilomètres avant de tirer sur un animal, ce qui incommode certains chasseurs : « When we

see caribous, we have to get away from the road to catch one. Now it is harder for me since

there are rules. I try to follow the rules and to not hunting near the road. When there were

no road, it was easier. […] It brought new rules » (H/45 ans). Finalement, il est défendu de

dépasser le quatre-vingtième kilomètre de la route, pour respecter un certain périmètre de

sécurité autour de la mine. Pour ceux qui ont remarqué la plus forte présence de caribous au

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site minier depuis quelques années, cette règle est plutôt contraignante (F/71 ans ; H/71

ans).

Alors que les Inuit sont habitués de voyager librement partout sans restriction et sans

frontière, de partager tous les espaces, l‘imposition de règlements sur une zone délimitée du

territoire représente de nouvelles complications (Elijah Amarook/40 ans ; H/45 ans ; Jacob

Ikiniliq/77 ans). Certains choisissent alors tout simplement de ne pas utiliser la route (Elijah

Amarook/40 ans ; H/45 ans ; H/60s), alors que d‘autres préfèrent malgré tout se plier aux

règles et ainsi préserver le droit de l‘emprunter (H/40s) : « We love to hunt in that area, but

not too close from the mine. We just try to follow the rules. […] We have no choice if we

want to use the road. I just go by that rule now. That road, it is good through summer and

fall » (David Mariq/40s). Selon Hugh Ikoe (60 ans) et Irene Kaluraq (77 ans), personne ne

se plaint vraiment de la route et des règlements. Pourtant, certains chasseurs refusent de

respecter les règles qui ne sont pas les leurs, ce qui engage des risques et provoque des

conflits entre les utilisateurs :

I know that not everybody is listening. They are so used to be hunting in the areas

and they will continue to hunt there. This is the mentality that they have. But for

myself I don‘t go to that area too often anyways (Elijah Amarook/40 ans).

It is not my law; I will not follow it (H/58 ans).

There are people that just don‘t regard the regulation or anything. They may find that

irritating at time because there are some young people that just fly, that don‘t have

any regard for the heavy trucks and stuff like that (Irene Kaluraq/77 ans).

Bref, les Inuit préféreraient sans doute avoir accès à la route sans être soumis à toutes ces

restrictions, et même avoir une route qui ne sert qu‘aux chasseurs (H/60s), ce qui

éliminerait les risques liés au partage de la route. La régulation représente donc une

confrontation à l‘égard des habitudes et des pratiques inuit.

La présence physique de la route, quoiqu‘elle soit bien pratique par moment, présente

également des complications pour les déplacements. D‘une part, le fait qu‘elle soit

surélevée par rapport au niveau du sol rend pénible, particulièrement pour les aînés, la

nécessité de la descendre et de la monter pour suivre le caribou. D‘autre part, considérant

qu‘en hiver la neige soufflée de chaque côté forme des bancs qui fondent tranquillement au

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printemps, la route, n‘étant d‘aucune utilité pour les chasseurs voyageant en motoneige,

constitue plutôt un obstacle sur leur trajectoire. Il est ardu de trouver un endroit pour

traverser et il arrive à l‘occasion de rester coincé dans la neige au printemps :

It is hard to go up and over the road. You see caribous and try to get over the road to

go get them and by the time you finally cross the road the caribous are long gone.

[…] People don‘t go to some of the areas as often because the road is on the way, or

the road goes on certain lakes. […] When winter comes around again, it is hard to go

over certain parts of the road, because it is made for summer travelling (Irene

Kaluraq/77 ans).

It has made it harder for the older people to go out hunting, because they have to go

through tops of hill now in order to cross. […] I am getting older and just intimated

by possibly tumbling over, or running over and getting hurt. […]. One time, on the

way back, the snowmobile got stock and they tried using an ATV to pull it out too

but that was really hard (F/71 ans).

Pour faire face à ce problème, la HTO prévoit demander à Agnico de construire

davantage de traverses, en tenant compte des lieux de passage habituels des chasseurs

(Hugh Ikoe/60 ans). En raison de tous ces inconvénients générés par la route, quelques-uns

ont l‘impression qu‘il est finalement plus facile de se déplacer sur les sentiers traditionnels,

mais aussi plus excitant : « Before they had that road towards the mine, it used to be better

to follow the Honda‘s trail or machine. […] It is boring using the road » (F/41 ans), « it is

more challenging to go out without any road. I can go where I want to go, without anyone

telling me ―you cannot go here‖. […] It is more fun [without the road] » (H/45 ans). Parce

qu‘il devient plus facile de voyager par la route qu‘il suffit de suivre, il est par ailleurs

possible de croire que son usage risque de mettre un frein à la transmission et à

l‘apprentissage direct du savoir relatif au territoire, à l‘histoire et à l‘orientation. Ce

processus d‘altération fut d‘ailleurs amorcé avec l‘adoption de la motoneige.

Des miettes pour la faune et la flore

Naturellement, la route et la mine ont d‘importantes répercussions pour

l‘environnement. L‘un des inconvénients de la route les plus mentionnés est la poussière,

qui se voit de très loin et s‘étend dans l‘air, en plus d‘incommoder les usagers voyageant en

VTT : « Green dust; that is how we call it, there is of lot of that in the summer. When we

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go on the road in summer by ATV, we try to not be order the last, we try to stay ahead so

our face doesn‘t get green » (David Mariq/40s)168

. Les Inuit se soucient de l‘impact de la

poussière de la route sur les étendues et les cours d‘eau, considérant qu‘ils pêchent

énormément dans les lacs près de la route, dont le lac Whitehills, et qu‘ils s‘y

approvisionnent en eau. Les végétaux dont se nourrissent les caribous risquent également

d‘être contaminés (Cumberland octobre 2005 ; H/45 ans ; Irene Kaluraq/77 ans ; Peterson

2012 : 106)169

. Plantes et eau ne sont pas davantage à l‘abri d‘accidents routiers lors

desquels des matières toxiques peuvent être déversées, causant des dégâts majeurs à long

terme pour la communauté. Un tel accident est d‘ailleurs déjà survenu à l‘hiver 2011 près

d‘une rivière à moins d‘une vingtaine de kilomètres du village. Des Inuit craignent que

l‘eau qui s‘écoule dans le lac Baker ne soit bientôt contaminée (F/71 ans ; H/34 ans ; H/63

ans ; H/71 ans) : « Last August or September, there was an accident, a tanker tips over.

There was some gas draining around here. I am afraid that it drips to the river and to the

lake […] It is starting to melt down, it can go down throw the river, throw the lake and it is

draining to Baker. And when the ice breaks and the river starts spoiling, we go get our fresh

water from the bridge » (Irene Kaluraq/77 ans).

Le plus gros enjeu lié à la route demeure l‘interférence qu‘elle génère avec le chemin

migratoire des caribous, au printemps et à l‘automne. La presque totalité des Inuit

interviewés ont remarqué la difficulté des caribous à franchir la route minière en raison du

trafic constant et des bancs de neige (F/71 ans ; H/60s ; H/63 ans ; Hugh Ikoe/60 ans). En

hiver, ils demeurent donc dorénavant du côté ouest de la route (H/45 ; H/71 ans). Au

printemps, cherchant le bon moment et le bon endroit pour traverser, ils restent un moment

coincés à l‘ouest et longent la route vers le sud170

.

In May, you have groups that are actually following the road now. They have been

looking for ways to cross, but because of the road, they keep getting closer and closer

168

Peterson (2012 : 107) mentionne également le problème de la poussière, étant donné que le trafic des

véhicules motorisés a augmenté drastiquement depuis quelques années dans le village. 169

Selon le superintendant en environnement pour Agnico, les études sur les cours d‘eaux et la végétation

n‘ont démontré jusqu‘à maintenant aucun impact notoire. La mine et la route impliquent évidemment de

nombreux autres enjeux qui ne sont pas tous discutés ici, comme ceux liés aux oiseaux migrateurs et au

transport maritime (voir NIRB août 2006). J‘ai choisi de parler de ceux qui semblaient les plus préoccupants

pour les Inuit de Qamani‘tuaq. 170

Les études menées par Agnico concluent pourtant que la route n‘a pas d‘impact sur les caribous (Gebauer

et al. mars 2011).

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to Baker trying to get a cross to the other side of the road. […] Further up, there is

only a few that actually do cross, but most of them are having hard time trying

getting to the other side. […] Also with the big snow banks on the side, you can tell

from the tracks that they can‘t cross and have to turn around (F/71 ans).

They used to cross before there was a road; they just used to go anywhere. […] But

the past two winters, I have been mostly seeing them on the west side of the road.

[…] They want to cross, but they just keep going down south of the road. There was

hardly any caribou from what I have been seeing; they don‘t really want to cross the

road (David Mariq/40s).

I am not sure, but I think the trucks are scaring the caribous now. That is what I think.

There is hardly any close by; they are mostly near the mine area now (F/41 ans).

It has changes, because before they started building the road, the caribous used to go

right into town, from the east. […] But this year and last year, we didn‘t see really

caribous around here, because of the road and the trucks are constantly going back

and forth every day, nonstop. […] They will move further up, further away from our

community (H/60s).

Pour favoriser leur passage, les conducteurs ont pour devoir de s‘arrêter lorsque des

caribous tentent de traverser la route (H/34 ans ; H/40s ; H/63 ans ; Jacob Ikiniliq/77 ans).

En pratique, les caribous hésitent souvent, surtout lorsqu‘ils sont en petit nombre, à

s‘approcher suffisamment près de la route pour qu‘ils soient justifiables pour les

conducteurs de s‘arrêter. Cependant, pendant les grandes migrations, les activités sur la

route sont suspendues pour permettent aux caribous de traverser en masse (H/71 ans)171

.

C‘est ce qu‘explique Matthew Kuunangnat (70s), qui comme d‘autres (Peterson 2012 :

103), ne semble pas inquiet pour la migration des caribous et a confiance en Agnico pour

prendre les meilleures mesures possibles pour limiter le dérangement :

I didn‘t hear of any disturbance or anything. […] One things that the companies

would do during the construction season, if it coincides with the time of the migration

of the caribous, they would stop all construction, all stuff, all traffic, any kind of

activities and wait for the caribous to pass. That is one thing that I heard, but other

than that there has been no problem. […] They had to make a few adjustments as to

when during the year the road has to be closed. […] As long as they continue to be

considering the wildlife, I don‘t see any problem with the mine itself or the

companies.

171

Ce fut le cas en octobre 2010. Selon le nombre de carcasses retrouvées sur la route ou à proximité de 2008

à 2010 (onze en tout), l‘automne est la saison la plus à risque (Gebauer et al. mars 2011 : 9-7).

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Même si certains ont remarqué que les caribous, dans leur mouvement circulaire à la

recherche d‘un lieu et d‘un moment propice pour traverser, dérivent souvent vers

Qamani‘tuaq (David Mariq/40s ; F/71 ans ; H/40s), il existe un consensus sur le fait que les

caribous sont, depuis quelques années, moins nombreux et plus loin de la communauté qu‘à

l‘habitude172

. Pour la HTO, ce changement dans la migration coïncide clairement avec la

construction de la mine : « ever since the Meadowbank mine was built, caribou don‘t stay

near town as much as they used to » (Murphy 26-06-12)173

. Selon un Inuk dans la

soixantaine, l‘occupation longue et constante de certains lieux pas les compagnies minières

cause nécessairement un changement dans la migration des caribous174

: « I believe that the

exploration have a lot to do with the migration of caribous, because it changed quite a bit.

At time, whenever a person goes on around Baker Lake, south and part of Baker Lake,

looking for gold and that, the migration of the caribous changed. […] If the exploration

companies keep on, coming back to the same place each year, the migration would

change »175

.

L‘éloignement des caribous, serait selon Irene Kaluraq (77 ans) dû au fait qu‘ils

n‘arrivent plus à se nourrir à proximité de la route: « They have to go a little further

because the food that they eat has being buried with dust, sand, traffic. The caribous that I

have been seeing on the sides of the road, they are just passing through or just walking by.

Normally, when you see caribous, you just expect them to be constantly grazing. The ones

that we saw going up to the mine are just walking ». En été surtout, la présence marquée

d‘hélicoptères appartenant à différentes compagnies minières est un second élément

perturbateur pour les caribous, qui tendent à s‘éloigner, comme pour les chasseurs. Les

172

Peterson (2012 : 105) a également rapporté cette confusion dans les propos ; certains disent que les

caribous sont plus près, d‘autres croient qu‘ils se sont éloignés. Cela pourrait s‘expliquer par le fait que les

différentes hardes et les différents individus réagissent différemment aux activités minières. 173

Des aînés ont mentionné que l‘éloignement des caribous était sans doute causé par les odeurs de gaz et

d‘huile, puisque leur odorat est très développé (Cumberland octobre 2005 : 5-12). Des Inuit de Rankin Inlet

ont aussi observé un changement dans la migration à l‘époque de la mine de nickel (NIRB août 2006 : 82). 174

Selon l‘étude de Boutet (2010 : 46), les Innus et les Naskapis de la région de Schefferville croient

également que les activités de dynamitage et de forage, entre autres, ont provoqué, au cours de la seconde

moitié du XXe siècle, la dispersion et l‘éloignement des caribous.

175 Ceci se rapporte au sentiment, chez les Inuit, que la terre se transforme et se réchauffe lorsqu‘une même

région est occupée trop longtemps : « They referred to the land becoming ‗too hot‘ ». For the health of the

land and the animals, they needed to move » (Mariano Aupilaarjuk, Aivilingmiut, dans Bennett et Rowley

2004 : 121). Voir aussi Laugrand et Oosten (2010 : 136) à propos des Inuit d‘Igloolik.

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122

Inuit sont presqu‘unanimes sur la question ; les hélicoptères volent souvent trop bas et

effraient du coup les caribous (Peterson 2012 : 105) :

I also know that some planes or helicopters are disturbing the hunters and the

wildlife. One time, when I and [my wife] where out camping, in a place called

Qavvilikjuartahi, there was this airplane flying pretty low. We know that they are

supposed to fly some many thousand feet above the ground, but the one we saw was

flying pretty low and it disturbed wildlife. We even used to try letting them know to

fly further higher (Jacob Ikiniliq/77 ans).

It is hard to be out when we try to stop a caribou and a helicopter comes along and

scared him. There is nothing worse than that. It is becoming a common thing for most

hunters, I think, that we have to face it (Hugh Ikoe/60 ans).

D‘autres problèmes liés à la faune sont observés au camp minier. Loin d‘avoir peur,

les animaux semblent plutôt attirés par l‘activité humaine, spécialement la nourriture et les

déchets (H/63 ans). Des loups, des renards, des carcajous et même des caribous se tiennent

près de la mine (David Mariq/40s ; H/34 ans ; H/45 ans ; Jacob Ikiniliq/77 ans)176

,

perturbant parfois le travail et la sécurité du personnel (H/40s ; Hugh Ikoe/60 ans). La

stratégie adoptée par Agnico est de forcer les animaux à garder leur distance sans les tuer,

ce qui ne s‘avère pas si simple, car ces derniers s‘habituent aux humains et en ont de moins

en moins peur. Plusieurs soupçonnent d‘ailleurs qu‘un carcajou, qui était logé sous la

cuisine près d‘un fil électrique, puisse être la cause du feu ayant complétement ravagé la

cuisine du camp minier en mars 2011 (CBC News 29-03-12 ; George 05-04-11 ; H/34 ans ;

H/40s ; Jacob Ikiniliq/77 ans)177

.

Lorsque nécessaire, certains animaux peuvent être capturés et relocalisés, et même

tués (voir Gebauer et al. mars 2011 : 8-4). Dans cette dernière éventualité, Agnico doit

obtenir une permission de la HTO et de l‘agent de conservation. Dans tous les cas, il n‘y a

pas de consensus quant à la meilleure solution à adopter (Elijah Amarook/40), certains

voudraient les tuer eux-mêmes, mais ne sont pas autorisés à chasser pendant leurs semaines

de travail, d‘autres préfèrent les protéger :

When I was up there, there were some wolves, wolverines and foxes. We ask to catch

them, so they don‘t keep coming back. Us, kitchen workers, we have to take out the

176

Certains croient que les caribous se tiennent près de la mine parce qu‘ils n‘y sont pas chassés (Peterson

2012 : 105). 177

Pour Agnico, la cause du feu n‘est pas encore certaine.

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garbage to the garbage bin, and there is a wolf all the time about ten feet away. We

asked someone to catch it, but couldn‘t catch it because they didn‘t have the license.

They tried to ask the HTO members to have an approval to catch them, but they

couldn‘t. […] There were some drivers that tried to scare them away, but still they

keep coming back. It would be nice if one of the locals caught it. That would solve

the problem (H/40s).

The wolves that keep coming up, they are not in good health, there are not good for

anything. Obviously, Agnico is very concerned about it. They don‘t want to be

blamed. So I believe they are doing a really good job by not killing them. I do as a

hunter understand that, I got no problem. (Hugh Ikoe/60 ans).

Finalement, l‘abondance des animaux à la mine laisse croire que cette dernière ne les

affecte somme toute pas :

I don‘t see any problem with the mine and the road, with the site itself. People are

constantly talking about seeing wildlife out there, wolves, caribous, wolverines

around camp, in camp, all around the land. It hasn‘t changed the environment in any

way (Matthew Kuunangnat/70s).

I cannot say the mine or the exploration is the cost of loss of wildlife, because I have

done some surveys at Meadowbank and at Kiggavik. Although some hunters may say

that there is no caribou around mining and exploration, but inside that mine there is

caribou, there is wildlife, inside the particular area on both mining companies (Jacob

Ikiniliq/77 ans).

L‘impact du développement minier sur les caribous est loin d‘être évident pour les

Inuit interviewés. En fait, il est intéressant de constater que plusieurs sont convaincus que

les caribous ne sont pas menacés ni par la mine, ni par la route. Après avoir discuté des

différents types de répercussions auxquelles les Inuit de Qamani‘tuaq sont actuellement

exposés, le chapitre suivant sera consacré à la manière dont ces derniers réagissent,

s‘adaptent et expérimentent, au quotidien, les changements en continuité avec une relation

particulière à leur territoire et une conception spécifique du temps.

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Interactions entre industrie minière et vie(s) sur le

territoire

Dans ce chapitre, nous nous intéressons à la façon dont la mine affecte la vie sur le

territoire, ou plutôt y participe. Nous verrons d‘abord comment les chasseurs de

Qamani‘tuaq arrivent à tirer profit du nouveau contexte minier, à la fois en conciliant

travail et chasse et à la fois par l‘usage tactique de la route. Puis, nous considérerons les

perceptions et les expériences des Inuit en rapport au comportement des caribous et

comment elles permettent de comprendre leur attitude à l‘égard de la chasse et de la mine.

Enfin, nous constaterons que la présence de la mine et des travailleurs sur le territoire,

quant à elle, s‘inscrit à l‘intérieur d‘une relation toute singulière entre les Inuit et leur passé.

Temps et argent : conciliation entre emploi et chasse

Étant donné l‘importance que revêtent les activités de subsistance sur le territoire

pour les Inuit, sur les plans social, économique, culturel, spirituel et biologique, il est

fondamental pour les chasseurs actifs que l‘occupation d‘un emploi à la mine ne les

empêche pas de poursuivre ce type d‘activités. Comme le mentionne Hobart (1982a : 70),

l‘idéal est « work for money, hunt and trap for food ». En plus de leur procurer de l‘argent,

un emploi à la mine devrait donc leur laisser du temps pour la chasse. L‘expérience des

travailleurs autochtones dans le secteur minier, au Canada ou ailleurs, varie à cet effet, à

savoir si leur emploi cause une diminution ou bien une augmentation de leur niveau de

récolte178

. Selon Hobart et Kupfer (1980), le système rotationnel (fly-in fly-out) représente

un avantage puisqu‘il offre à la fois de meilleurs moyens pour l‘achat d‘équipement

dispendieux et à la fois davantage de temps libre qu‘un emploi quotidien de neuf à cinq179

.

178 À Nanisivik, le tiers des employés inuit percevait un conflit entre le cycle de l‘emploi et le besoin d‘aller

chasser pour nourrir la communauté (Hobart 1982a : 69). Dans une communauté autochtone du Nord de la

Saskatchewan (Gagnon 1992) et à Hope Valley en Australie (O‘Faircheallaign 1995 : 208), aucun

changement n‘a été noté dans les pratiques de subsistance, sinon que les travailleurs investissaient leur argent

pour mieux s‘équiper. Il semble au contraire que dans certains cas, l‘emploi est responsable de l‘augmentation

de la production de subsistance (Chenard 1979 ; Hobart 1979 ; 1982b). 179

Selon Boutet (2010 : 45), les Innus et les Naskapis travaillant sur un mode continu de neuf à cinq dans

l‘industrie ferroviaire à Schefferville de 1954 à 1983 avaient beaucoup moins de temps pour la chasse. Cela

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Cela est d‘autant plus vrai lorsque le cycle de rotation est court, comme c‘est le cas à

Meadowbank180

. Selon Chenard (1979 : 98-99), ce type de cycle de travail est moins

« culturellement aliénant », puisqu‘il impose un changement moins drastique par rapport à

l‘habitude d‘être « where you want, when you want ».

À Qamani‘tuaq, la perception de l‘impact du travail à la mine sur la chasse était

généralement très positive. S‘il était apprécié d‘avoir accès à une nouvelle source de

revenus permettant d‘acheter des équipements (Norman Attungalaaq/79 ans ; H/40s ; H/63

ans ; H/71 ans ; H/40s ; Peterson 2012 : 105-106), l‘avis était plutôt partagé quant à la plus

ou moins grande disponibilité de temps pour la chasse, la pêche et la trappe. Notons

seulement que pour la plupart d‘entre eux, l‘emploi à la mine est le premier poste à temps

plein, non contractuel et régulier qu‘ils occupent. Comme ils passent deux semaines

entières sans chasser lorsqu‘ils sont à la mine181

, ils peuvent avoir le sentiment d‘y aller en

somme moins régulièrement (Bernauer 2011a : 8). Aussi, certains se disent trop exténués

pour sortir sur le territoire lorsqu‘ils reviennent de la mine (H/40s ; Peterson 2012 : 71, 73).

Pourtant, avec de longs congés et de l‘argent en poche, beaucoup sortent plus régulièrement

qu‘avant lorsqu‘ils ne travaillent pas (Elijah Amarook/40 ans ; Gebauer et al. mars 2011 :

10-17 ; H/63 ans) :

I go more often and I go less at the same time. Because I spent two weeks over there,

and those two weeks off I could go hunting more (H/34 ans).

Since my brother and I got hired up there, we hardly go out. But when we have time

off, we try to go fishing or hunting. […] Looks like more people are going to work,

but when they have their two weeks off, they will go hunting or fishing. […] Just

when we go to the mining camp, we are stocked in there for two weeks, we cannot go

anywhere. When we go home, you have lots of time to go hunting (F/41 ans).

Before the mine started, there used to be a lot of snowmobiles here, from one end to

the other end of the shore. But since the mine started, there is hardly any because

most of people [are at the mine] now, working, and I believe they have no time for

[hunting]. But they do when they go for the two weeks break. That is what I have

noticed last spring. When I used to work, when I come here, I would be exhausted.

était particulièrement problématique pour la chasse au caribou, qui nécessite de parcourir de grandes

distances, et pour les familles dont le territoire de chasse était très éloigné du village. 180

Le cycle était le même à la mine de Lupin dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix

(O‘Faircheallaign 1995). Pour Williamson (1979 : 260), un cycle court constitue un avantage pour les sociétés

de chasseurs et de trappeurs habituées à de courtes périodes d‘absence de la part des membres pourvoyeurs. 181

La chasse est interdite au camp, mais les horaires de travail ne laissent de toute façon pas de temps pour les

sorties (Jacob Ikiniliq/77 ans ; H/40s ; F/41 ans).

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127

After night shift, by the time I am rested I am up there already. […] But for those

people who are determined to go, they are some, they go. One of my cousins is a hard

truck driver; he still goes (H/40s).

Bien que cet élément ne fut pas mentionné par les Inuit, il semble possible de croire

que les quatorze jours libres consécutifs ont pour avantage de permettre de séjourner plus

longtemps sur le territoire, en y dormant et en voyageant plus loin. Ils offrent surtout plus

de chance de voir réunies les conditions sociales et environnementales favorables à la

chasse, ce qui ne survient pas forcément un samedi (Webster 2001). Par contre,

contrairement au cycle rotationnel de l‘emploi, les activités sur le territoire suivent aussi un

cycle saisonnier. Pour pouvoir ajuster les deux cycles, il faudrait que l‘employeur démontre

une plus grande flexibilité dans les horaires de rotation. Comme les conditions de chasse

sont impossibles à prédire, c‘est-à-dire la présence des animaux mais aussi la condition du

sol par exemple, une telle flexibilité favoriserait encore davantage la pratique des activités

dans les meilleures conditions (O‘Faircheallaign 1995 : 209). Elle permettrait à la

temporalité minière de mieux s‘accorder avec la temporalité des chasseurs-cueilleurs axée

sur le moment présent, l‘opportunité (Benoît 2004 : 109 ; Bernauer 2011b). Ainsi, Agnico

pourrait gagner à ajuster les cycles de rotation au printemps et à l‘automne, saisons

importantes de pêche et de chasse à Qamani‘tuaq, en offrant par exemple plus

régulièrement des périodes de temps libre.

La nécessité de concilier l‘emploi à la mine et les sorties sur le territoire peut

expliquer en partie l‘instabilité des Inuit au travail182

. Même si pour Agnico le roulement

d‘employés représente une difficulté majeure, et que bon nombre d‘aînés reconnait le

problème d‘instabilité des jeunes, il est intéressant de renverser la perspective en se

questionnant sur celle des travailleurs inuit. Pour eux, le fait de quitter fréquemment leur

emploi n‘est pas nécessairement une problématique, mais une façon de conjuguer différents

besoins, différentes occupations. Occuper un emploi à la mine de façon sporadique permet

souvent aux Inuit d‘obtenir l‘argent nécessaire pour financer leurs activités sur le territoire,

en achetant notamment un moyen de transport, et quitteront donc leur poste quand ils

auront amassé un montant suffisant. Comme je l‘ai mentionné au chapitre précédent, les

182

Chez les Innus et des Naskapis ayant travaillé dans l‘industrie ferroviaire à Schefferville au cours de la

seconde moitié du XXe siècle, les périodes de grandes chasses étaient également les périodes de plus grand

nombre d‘abandons (Boutet 2010 : 47).

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saisons de chasse et de pêche, surtout au printemps et à l‘automne, sont des moments

propices au non-retour à l‘emploi : « If the mining camp tells me it is time for me to go up

there, I will just say no, just so I can go out fishing or…they can wait. […] But I don‘t

know if I will go back to the camp, at this month it is good to go fishing and go to the

cabin » (F/41 ans).

Duhaime (1991) explique que l‘instabilité des Inuit à l‘emploi, bien qu‘elle paraisse

inintelligible d‘un regard occidental, peut en réalité comporter une logique tout à fait

rationnelle vue de l‘intérieur, selon les normes sociales et le contexte socioéconomique des

communautés inuit. Ce « comportement de désertion » s‘explique par trois éléments : la

possibilité de retirer des revenus d‘une multitude de sources, la persistance des mécanismes

de partage au sein des familles qui permettent la redistribution des revenus, et la flexibilité

institutionnelle, à laquelle les Inuit sont habitués depuis longtemps183

. L‘objectif des Inuit

n‘étant pas de faire un gain, mais d‘obtenir des revenus suffisants tout en gardant ouvertes

le plus grand nombre possible d‘options (Hobart 1983). Ils optent pour une stratégie de

mobilité entre les activités économiques et de combinaison des différentes sources de

revenus (travail, trappe, chasse, artisanat, prestations gouvernementales, etc.)184

. Dans cette

optique, l‘ouverture de la mine vient simplement ajouter une option de plus185

. Les plus

avantagés dans la communauté sont bien souvent ceux qui arrivent à profiter de ces

nouvelles possibilités tout en maintenant des activités sur le territoire. Comme le NLCA et

le IIBA garantissent que des emplois à la mine soient réservés aux Inuit, ces derniers

peuvent, dans une certaine mesure, se permettent cette mobilité sans perdre leur emploi aux

profits de travailleurs blancs. Un « mécanisme d‘autoremplacement » Duhaime (1991), de

partage des postes entre eux, assure ceci. Reste à voir si, à long terme, le roulement

conservera son rythme ou si les jeunes générations changeront leurs habitudes.

183

Dans son étude sur l‘industrie ferroviaire à Schefferville, Boutet (2010 : 47) mentionne la facilité avec

laquelle les Innus et les Naskapis arrivaient à se faire réembaucher après un abandon. 184

Ce pragmatisme, qui implique de garder ouvertes le plus d‘options possibles à l‘intérieur d‘une famille,

s‘exprime également à travers les affiliations religieuses et dans les relations avec les différents paliers de

gouvernement. 185

Un Inuk dans la trentaine avec qui j‘ai beaucoup discuté me racontait qu‘il avait, au moment de mon

terrain, trois ou quatre opportunités d‘emploi – différents employeurs l‘avaient appelé pour lui proposer des

emplois – parmi lesquelles il n‘avait pas encore fait de choix. Il préférait pour l‘instant – c‘est-à-dire au

printemps – ne pas travailler et aller chasser le grizzly.

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Un avantage inattendu de l‘emploi, qui ressort des propos des participants, ne

concerne ni les finances ni la temporalité, mais plutôt la spatialité. Le retour, depuis la

sédentarisation, d‘une présence permanente sur le territoire – c‘est-à-dire en dehors de la

communauté –, soit à la mine soit sur la route, permet de prendre constamment

connaissance de la disponibilité des caribous dans la région ; leur localisation, leur nombre,

leur mouvement, etc. Comme nous l‘avons vu, ces informations sont importantes et

facilitent le succès de la chasse. Lorsqu‘ils travaillent, les Inuit peuvent donc prévoir leur

prochaine sortie, comme c‘est le cas de David Mariq (40s), conducteur pour Peter Expeding

Ltd. : « I like where I am working now. I am the kind of person that like to be out, working

[…] That way I have an idea for the week-end and the evening about where the caribou

are ». Les travailleurs peuvent tout autant partager leurs observations avec d‘autres, au

village, qui pourront en jouir sur le moment (H/60s) : « There has been a plus side; we now

hear of when the caribous start coming down. […] They let the people in town know when

the caribou are starting to come down » (Norman Attungalaaq/79 ans).

Comme les revenus de l‘emploi à la mine ne profitent pas qu‘aux travailleurs, mais

aux autres membres de leur famille aussi, il semble en général y avoir davantage de

chasseurs sur le territoire : « More people seem to go hunting and fishing now. Those who

working at the mine buy new skidoos, Hondas, boats » (H/34 ans), « It helps a lot, for

people who are working up there. Even my daughter buys me gas these days, because she is

working up there. If I had to go out hunting, if I don‘t have money, she will pay for my gas

» (H/60s). L‘augmentation du nombre de chasseurs pourrait aussi être dû au fait que la

communauté croît (Hugh Ikoe/60 ans). Pourtant, ceux qui sont le plus présents sur le

territoire n‘ont pas l‘impression d‘y voir plus de gens (H/45 ans). Le fait d‘avoir plus

d‘argent dans les poches ne change pas nécessairement l‘intérêt des gens ; selon certains,

ceux qui n‘allaient pas chasser auparavant n‘y vont pas davantage.

Espace et mobilité : avantage de la route pour la chasse

La route a clairement provoqué des changements dans l‘usage spatial du territoire

(voir aussi Peterson 2012 : 105). Considérant la présence marquée des chasseurs sur la

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route et ses environs, il semble y avoir plus de chasseurs qu‘autrefois. Presque la totalité

des Inuit interviewés a un jour utilisé la route pour se déplacer (H/34 ans ; Hugh Ikoe/60

ans)186

. Qu‘on l‘aime bien ou pas, cette route présente ses avantages ; elle est confortable et

permet de voyager plus loin et plus rapidement :

To my understanding, at first, when they started building the road, some people were

not too happy. But after it was finished, and they knew they can have access to it to

go out hunting, riding on a smooth area, they started being happy about it (H/60s).

Even before the road was made, people were going by ATV all the way up into this

area. There were ATV trails. I heard other hunters saying that the road make a big

difference. We can get really far really fast and it is really smooth (H/63).

Le fait que la communauté ait construit sa propre route pour rendre plus accessible

une région importante, comme nous l‘avons vu au chapitre précédent, vient supporter l‘idée

que la route minière est fort utile pour les déplacements187

. Selon Hugh Ikoe (60 ans), pour

cette raison, elle attire sur le territoire davantage de jeunes, souvent moins expérimentés à

voyager : « It is the younger generation that, over the years, just feel kind of comfortable

about eating and dressing from the supermarket. So they never really went out that much,

but now it is easy for them to get out. So probably more young people are going out than

before. […] just stay on the road and know that it is going to take you there and take you

home after ». Elle assure par ailleurs une certaine sécurité, puisqu‘en cas de panne ou de

bris du moyen de transport, ce qui est relativement fréquent, elle sert de repère et permet de

s‘orienter facilement et d‘être secouru par les véhicules routiers. Des refuges installés tout

au long de la route assurent également un abri en cas de besoin (Bernauer 2011b : 95 ; F/41

ans ; H/40s ; Matthew Kuunangnat/70s ; Silas Aitauq/78 ans). Plusieurs participants ont

rapporté, la mésaventure de jeunes qui revenaient de Gjoa Haven au nord et, manquant de

gaz, qui ont été sauvés grâce à la route (Irene Kaluraq/77 ans ; Norman Attungalaaq/79

ans) : « There is the group that was coming down from Gjoa Haven, they had problem and

if the road would not be there, they would have probably been frozen to death. And there

were those two young men that were hunting around Whitehills area. If the road wasn‘t

186

Seulement quatre des dix-neuf répondants ont affirmé n‘avoir jamais utilisé la route. 187

Benoît (2004 : 168) rapporte également que la communauté de Salluit, près de la mine de Raglan, a

exprimé le désir d‘avoir une route minière, puisqu‘elle rendrait plus accessible un site traditionnel.

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there, they would have been frozen. Because the road is there, they managed to get help, to

get to Baker » (F/71 ans).

Mise à part les chasseurs qui utilisent fréquemment la route, d‘autres qui connaissent

bien le territoire n‘ont pas vraiment modifié leur usage de ce dernier avec la construction de

la route ; ils continuent de fréquenter les mêmes aires de chasse qu‘auparavant (H/63 ans ;

H/45 ans). D‘autres encore ont modifié leur fréquentation, mais dans le but d‘éviter la route

(Elijah Amarook/40 ans ; Irene Kaluraq/77 ans). Néanmoins, de façon globale, la présence

de la route a provoqué une plus forte concentration de chasseurs dans le secteur en été, mais

aussi une extension de la distance moyenne parcourue vers le nord. Les gens vont

davantage au nord de la communauté en été et voyagent généralement plus loin

qu‘auparavant (H/40s ; H/71 ans ; H/40s ; F/41 ans ; David Mariq/40s ; Hugh Ikoe/60 ans).

La route est particulièrement empruntée en juin pour la pêche et en août pour la chasse :

Some part of June-July, they use the road quite often, going to Whitehills doing some

fishing and sometimes in mid-July or somewhere. Part of August, there is hardly any

caribous, so they slow down using the road for a while and by mid-August when the

caribous start migrating back south or something, they get closer from the road and

that is when they start using the road more often again (H/63 ans).

En conséquence, des espaces auparavant inconnus en été par plusieurs des

Qamani’tuarmiut sont maintenant fréquentés :

Even before the road we used to go to that area in the fall when caribou is migrating.

There were a lot of people within twenty kilometers, and then, thirty miles, then less

and less. By attending forty kilometers, we are only a few, before the road. […]

When we have harvested couple of caribou, it is hard to go without the road. […]

Now we can be a hundred going up there, just a few hours up to eighty kilometers.

[…] We got a road now; it is easy to go up to hunt where the caribous are migrating

(Hugh Ikoe/60 ans).

Before the mine, we couldn‘t even go that far. But with the road, we are going almost

up to kilometer eighty by Honda. […] In some way, yes, I like it, I like the road

because it gets me to places I haven‘t seen in summer. […] It is easier to get caribou

now, even in the summer and fall. […] It takes about half an hour to get to the south

side of Whitehills, which used to take us three hours. […] We have more time for

fishing now (David Mariq/40s).

Comme le souligne ces citations, l‘usage de la route facilite non seulement le transport des

prises, mais, permettant des déplacements plus rapides vers des territoires de chasse plus

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éloignés, augmente de plus le temps disponible pour pêcher ainsi que les chances de trouver

du caribou (voir aussi Cumberland octobre 2005 : 4-8 ; Peterson 2012 : 106). Ce dernier

fait est particulièrement positif si nous considérons le fait qu‘au cours des dernières années

le caribou s‘est éloigné et qu‘il se retrouve désormais régulièrement bloqué d‘un côté de la

route. Les gens savent ainsi où le trouver.

Pour la majorité des Qamani’tuarmiut interviewés, la route présente donc un

avantage en regard de la chasse. Par contre, le fait d‘attirer plus de chasseurs dans le même

secteur pourrait se transformer à la fois en une menace à la sécurité des gens et en un risque

de sur-chasse (Hugh Ikoe/60). Selon les études sur la récolte réalisées par Agnico, le

nombre de caribous attrapés à une distance de cinq kilomètres et moins de la route est

monté à 248 en 2010, le compte le plus élevé jusqu‘à maintenant, représentant 40 % des

prises totales rapportées contre 19 % entre 1999 et 2001. Par contre, le nombre de caribous

capturés mensuellement par chasseur avait diminué par rapport aux trois années

précédentes. Il a était conclu que l‘augmentation des prises, qualifiée de marginale durant

les dernières années, est plutôt le résultat de l‘augmentation du nombre de chasseurs que

l‘amélioration de l‘accessibilité au territoire (Gebauer et al. mars 2011 : 1-2, 10-2). Dans

son rapport de 2010 sur les études fauniques, Agnico conclut finalement que la route, par sa

présence et son utilisation pour la chasse, ne présente pas d‘impact significatif sur les

caribous (Gebauer et al. mars 2011). Cet aspect doit évidemment continuer d‘être l‘objet

d‘investigation dans le futur. Les Inuit sont, quant à eux, confiants du fait que leur sens

commun (isuma) leur permet d‘avoir des pratiques de récolte durable (Cumberland octobre

2005 : 4-8).

En somme, les gens se plaignent peu de la route. Pour l‘instant, en rendant le

territoire plus accessible aux Inuit de Qamani‘tuaq, mais pas aux étrangers, elle participe

davantage au renforcement de l‘économie de chasse qu‘elle ne lui nuit (Bernauer 2011b:

94)188

. Il est vraisemblable de penser que ni la quantité de chasseurs ni la quantité de prise

annuelle n‘ont diminué depuis l‘ouverture de la mine.

188

À Schefferville durant la seconde moitié du XXe siècle, l‘usage du train et des routes minières était

également une stratégie employée par les Innus et les Naskapis pour contrer l‘éloignement du gibier et

l‘achalandage à proximité de la ville (Boutet 2010 : 48).

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Caribou et mine : réaction et adaptation

Pour saisir la façon dont les Inuit expérimentent l‘ouverture de la mine, il ne faut pas

considérer seulement leur situation économique et leurs activités de récolte, mais également

leur compréhension des effets de la mine sur les autres habitants du territoire : soit le

caribou, leur ressource traditionnelle principale, et les esprits, puisque ces non-humains

sont constitutifs de leur propre identité. Ces derniers vivent à leur façon les changements

provoqués par la mine, et par leur capacité d‘action, y réagissent également. Les Inuit sont

donc attentifs à ces réactions.

Malgré le constat unanime d‘un changement dans la migration des caribous, il fut

intéressant de réaliser que la majorité des Inuit interviewés étaient loin d‘être inquiets à leur

sujet, persuadés même qu‘ils ne sont pas en danger (Jacob Ikiniliq/77 ans ; F/60s ; Matthew

Kuunangnat/70s). Cela s‘explique par le fait que pour les Inuit, comme nous l‘avons vu au

chapitre deux, les animaux sont dotés d‘intelligence et des mêmes capacités d‘apprentissage

et d‘adaptation que les humains. Avec ou sans mine, ils continuent de se nourrir et de

voyager où bon leur semble, à l‘instar des Inuit qui continuent de les chasser, et ce malgré

les moments de faible abondance. Pour certains, rien ne semble vraiment avoir changé

(Elijah Amarook/40 ans, H/58 ans, Matthew Kuunangnat/70s, Norman Attungalaaq/79

ans) :

Even with the road being there now, it doesn‘t seem to have affected the caribou and

their travel. They have their own freewill; they think for themselves, they go to

wherever they want. Having a road doesn‘t seem to affect how they travel. When

they have a drive, they go to the area they want to. They are still in their area. People

still go hunting there. Nothing seems really to have changed. Even before the road

was made, there will be times whit no caribou in the area, then there will be a lot. It

comes and goes (H/63 ans).

En fait, selon l‘expérience des Inuit, depuis le début de la sédentarisation, les

animaux s‘habituent peu à peu à la présence humaine, à ses bruits, ses traces et ses odeurs,

craignent de moins en moins les humains et ont donc tendance à vivre plus près d‘eux189

.

189

Le rapport de Cumberland (octobre 2005 : 4-8) sur le savoir traditionnel mentionne également ce

changement. Un des répondants a l‘impression que les caribous d‘aujourd‘hui ne sont pas les mêmes

qu‘autrefois, parce que leur viande goûte différemment et qu‘il arrive qu‘ils se mangent entre eux. Ce

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Years ago, they couldn‘t even stand the smell of humans. Years ago, they would just

run away, just like that. But today, maybe because they have smell and seen humans

or trucks all the time, they don‘t even seem to notice any noise or smell (Silas

Aitauq/78 ans).

Par rapport à la mine, certains ont déjà remarqué que les caribous, après quelques années

d‘adaptation, commencent à revenir (H/40s)190

:

When they first started using the road, the caribou at first started been driving away.

The hunters had to go further and further. But over the years, the caribous have

adapted and got used to the road. Now they just go along it and the hunters don‘t

need to go as far from Baker as they used to. Caribous are turning the road, they are

starting to understand it. They are coming back (Irene Kaluraq, 77 ans).

I think the caribous are just getting used to the noise and just being close by the road

now (David Mariq/40s).

I think the animals are going to be disturbed for a little bit, but after the initial impact,

because they have got so much areas where they can run off to, they will forget, they

will just continue on their routes with their life (Elijah Amarook/40 ans).

Sans s‘inquiéter pour les caribous, certains participants se montraient plutôt préoccupés par

leur propre sécurité, face à un animal qui semble de plus en plus agressif (Irene Kaluraq/77

ans). Une aînée m‘a également rapporté qu‘un jour lorsqu‘elle roulait en VTT sur la route,

elle a eu très peur en voyant un caribou foncer droit sur elle, précisant qu‘à l‘habitude il

aurait dû s‘enfuir en voyant des humains.

Pour Elijah Amarook (40 ans), qui a auparavant occupé le poste d‘agent local de

conservation, considérer l‘étendue du territoire auquel le caribou a toujours accès suffit

pour le convaincre que ce dernier n‘est pas en danger. De plus, Elijah ne voit pas pourquoi

il faudrait s‘inquiéter de quelques accidents routiers impliquant des caribous, puisque de

tels accidents surviennent régulièrement dans le sud sans qu‘ils ne soient pris très au

sérieux. À l‘instar des animaux, il croit que la terre, elle aussi en constante transformation,

guérira d‘elle-même une fois la mine fermée et le terrain restauré :

répondant pense qu‘ils viennent peut-être de populations de caribous dressées par d‘autres peuples et utilisées

comme des chiens (ibid. : A-21). Par ailleurs, selon Matthew Kuunangnat (70s), la perte de la peur des

humains chez les animaux avait été prédite dans la Bible. 190

Selon l‘étude, en 2005, de Cumberland sur le savoir traditionnel (octobre 2005 : 4-8), les Inuit croyaient

que la mine n‘aurait des impacts négatifs sur les caribous qu‘à court terme, soit pendant la phase de

construction, et qu‘ils reviendraient dans la région après quelques années.

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Although in some way it looks bad, it is a small portion of a big area. I think for

myself that after they have been left behind, it is going to re-heal itself. Wildlife will

come back, regardless of what happen. […] From what my ancestors said, the land is

always changing anyway, although it is not a sudden change, but it is takes different

forms over time. So even if it does get interrupted, after they live away, everything

will grow again all over. That is the way I see it, the mine will not stop the plant from

regrown, stop the birds from going back there.

Cette confiance qu‘ont les Inuit en la capacité d‘adaptation des caribous et de

résilience de la terre s‘exprime dans la pratique par la continuité de la chasse dans le but de

tirer profit des occasions qui se présentes. Dans ce sens, les activités de récolte des Inuit ne

sont pas nécessairement menacées par la mine et la route de Meadowbank, mais peuvent se

perpétuer.

Lieu et habitants : relation passée et actuelle

En plus des activités de récolte, le retour d‘une présence inuit continuelle sur le

territoire – aujourd‘hui des travailleurs miniers – permet de maintenir et de réactualiser la

connexion qui existe entre les habitants de Qamani‘tuaq et Apuqtinaaqtuq. L‘ouverture de

la mine fut d‘abord une occasion de se remémorer les histoires passées et les connaissances

relatives à cet espace. Certains jeunes ignoraient alors le nom inuit du lac Third Portage où

se situe la mine : « No one really told me stories about that area before they build the road.

But, I know some areas where people were saved during the famines, where I go fishing

once or twice a year, along that area. […] Nowadays, we just hear that it is Apuqtinaartuq »

(H/40s).

Lors des études archéologiques menées par Cumberland, d‘autres ont beaucoup

appris au sujet de l‘occupation ancienne de la région (H/34 ans ; H/40s ; H/63 ans).

Toutefois, nombreux savaient déjà que des ancêtres avaient été enterrés sur le chemin entre

le village et la mine. Des expériences singulières vécues par les Inuit au campement minier

ont également stimulé la diffusion des savoirs passés et actuels concernant Apuqtinaartuq.

Ces expériences qualifiées de paranormales lors des entrevues191

ne sont pas

191 Soulignons ici que le terme anglais « paranormal », bien qu‘utilisé par les Inuit lors des entrevues pour

partager leur expérience avec une Qallunaaq, ne porte pas nécessairement une signification équivalente à la

notion inuit utilisée pour parler du monde de l‘invisible. J‘ai cependant conservé ce qualificatif, car son usage

me semble révélateur du rapport des Inuit avec la culture occidentale.

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particulièrement positives ; elles effraient beaucoup d‘Inuit qui, les ayant eux-mêmes

vécues ou n‘ayant reçu que les échos, refusent alors de retourner travailler à la mine (Elijah

Amarook/40 ans). Une des phénomènes rapportés à plus d‘une reprise consiste en

l‘apparition d‘un Inuk en peau de caribou (David Mariq/40s). D‘autres travailleurs ont été

témoins de disparition et d‘apparition d‘objets pendant leur travail. L‘extrait qui suit

résume bien quelques-unes de ces histoires :

When I used to work up there, I had nightmares in the first few weeks. I used to feel

someone going like this [pull his hair]. […] I ride up if someone was not to my hair

and look, and the sandwich would be missing and I would freak out. In the corner of

my eye, I would see somebody standing. I thought it was my co-worker, but when I

would look he will disappear. So from what I saw it is haunted. But I am not sure.

[…] I heard this local guy who saw a guy just up, traditional guy, from the old time.

[…] He saw it and then it disappeared. Another time, a woman from Arviat was

doing housekeeping. She was going to put some more blanket. By the time she came

back the bed was full of blankets. That is why she quit. She freaked out (H/40s).

Selon un Inuk de cinquante-huit ans qui connaît bien la région et qui y a grandi, il

n‘y a jamais eu de telles histoires à Apuqtinaartuq avant l‘ouverture de la mine :

« …paranormal activities. I just started hearing about it when they started developing the

mine, and when they got the first bar of gold the activities started picking up again. […]

before that, I never heard anything else, no other stories » (H/58 ans). Cet homme se sent

particulièrement connecté à la région et a l‘impression que toutes les fois qu‘il s‘inquiète

par rapport à la mine, les gens y expérimentent des activités paranormales. Il a conclu qu‘il

valait mieux ne pas y penser :

One thing I have noticed is that when I start thinking about [Meadowbank], or when I

start getting stress out about it, there are apparitions and portrait guys, report of ghost

at the mine. […] Whenever I start to getting stress out about that area, I heard that

people have paranormal activities, so I just stop to think about it too much. There is a

direct connection between my stress level and paranormal activities up there. I was

born up there, so there is some sort of connection going on there (H/58 ans).

En parallèle avec ces expériences, certains aînés ont affirmé que le site du camp

minier était autrefois le lieu de rencontre d‘ancêtres chamanes, dont certaines tombes se

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137

trouvent sous la cuisine du camp192

. Elijah Amarook (40 ans) était surpris de n‘apprendre

ces histoires chamaniques qu‘une fois la mine construite, alors qu‘il ne les avait jamais

entendues étant enfant : « That is just a story, I have never heard of shamans buried in that

area until this started to happen. I grew up, I am forty years old, and if there was shamans

buried in that area, my father would probably told me ―don‘t go in that area‖ when a was a

kid ». Pour certains Inuit, l‘empiétement de la cuisine sur ces tombes expliquerait les

apparitions et autres manifestations de ce type : « Below the old kitchen, the old dining

room, there is graves. […] They just put the ground above the graves. They are not

supposed to, they disturb the graves. […] When I was working there the same rumor goes

around from people talking, from locals. And elders said that the shamans used to gather up

here » (H/40s).

Bien qu‘aucun Inuit ne se soit clairement prononcé sur l‘identité de ces esprits, ceux-

ci pourraient bien être des ancêtres, peut-être chamanes, devenus des tuurngait, esprits

redoutés par les Inuit193

. Un des travailleurs a mentionné que la seule façon d‘éviter les

problèmes avec eux, était de ne pas les craindre (H/40s). Pourtant, certains Inuit semblent

craindre l‘insatisfaction des esprits en rapport à la mine, et même croire qu‘ils pourraient

être la cause du feu qui a complètement ravagé la cuisine du camp en mars 2011. Il va s‘en

dire que ces Inuit sont encore plus inquiets de voir la cuisine reconstruite au même endroit,

comme Agnico prévoyait le faire à l‘automne suivant (H/40s). Ces expériences et ces

histoires affectent clairement l‘attitude des Inuit envers la mine et l‘emploi. Pour plusieurs

raisons, dont la réticence des Inuit à parler de tels sujets et le fait qu‘ils ne savent pas à qui

s‘adresser (H/40s), il est pourtant difficile pour Agnico de tenir compte de celles-ci pour

mieux comprendre les attitudes et les comportements des Inuit.

Nous avons vu dans ce chapitre comment les Inuit expérimentent l‘ouverture de la

mine de Meadowbank en accord avec leurs propres manières de vivre le territoire. Les

192

La signification spirituelle des lieux et la présence de tombes aux lacs de Third Portage et Tehek – certains

ont même dit que la région était hantée –, avaient été rapportées lors de l‘étude sur le savoir traditionnel faite

par Cumberland en 2005 (5-1, 5-4, voir annexe E). 193

Rasmussen (1929 : 212) a parlé d‘un autre type d‘esprits nommés inugarulligait (« les petites personnes »)

qui ressemblent à des êtres humains et qui sont vêtus de peaux de caribou. Ces esprits seraient hostiles aux

humains. Ils seraient même capables d‘aller jusqu‘à tuer quelqu‘un rencontré sur leur chemin.

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emplois à la mine et la route sont exploités par les chasseurs de façon à favoriser les

activités de récolte et la présence à Apuqtinaarqtuq vient ranimer une connexion entre les

Inuit, leur passé, et les autres habitants du territoire, fondement d‘un savoir et d‘une

identité. Actuellement du moins, la mine d‘or ne présente donc pas une entrave à la

perpétuation d‘un lien fort au territoire, mais constitue simplement un nouveau contexte à

l‘intérieur duquel cette relation s‘exprime.

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139

CONCLUSION : UN TERRITOIRE BIEN EN VIE…ET

UN AVENIR MINIER ?

Retour sur une problématique territoriale

La mine d‘or de Meadowbank, propriété d‘Agnico-Eagle Mines Limited située à

soixante-dix kilomètres au nord de la communauté inuit de Qamani‘tuaq, est la seule mine

actuellement en opération au Nunavut. Elle est en production depuis mars 2010 et la

fermeture est prévue pour 2017. C‘est la seconde mine à ouvrir ses portes dans la région de

Kivalliq, après North Rankin Nickel Mine dans les années cinquante. À cette époque,

quelques Inuit vivant près du poste de Baker Lake (Qamani‘tuaq) ont pu faire une première

expérience d‘embauche dans l‘industrie minière. À peine quelques décennies plus tard et

jusqu‘à aujourd‘hui, l‘exploitation minière dans la région de Qamani‘tuaq a cependant pris

une ampleur beaucoup plus grande, de sorte que la présence éparse d‘équipes de

prospection sur le territoire est devenue habituelle. Les projets de développement, pour

lesquels les Inuit étaient pas ou peu impliqués ni consultés, ont alors constitué un moteur

important dans l‘enclenchement des négociations politiques qui ont mené à la création du

Nunavut en 1999.

C‘est sous une nouvelle organisation politique et administrative qui accorde

davantage de place aux habitants inuit dans la prise de décision que le projet de

Meadowbank fut proposé, approuvé et régulé. Sans avoir juridiction sur l‘approbation du

projet, ce qui revient au NIRB et ultimement à l‘AADNC (anciennement le MAINC), les

Inuit de Qamani‘tuaq ont été consultés lors des différentes étapes menant à la mise en

œuvre et ont manifesté leur accord pour le projet (NIRB août 2006). Diverses mesures

inexistantes à l‘époque de la mine de Rankin, comme l‘entente sur les répercussions et les

avantages (ERA), fournissent aux Inuit de nouveaux outils afin de tirer des bénéfices du

projet tout en limitant les impacts négatifs sur la société et l‘environnement. Malgré tout, la

mine comporte ses bons comme ses mauvais côtés auxquels les Inuit de Qamani‘tuaq

doivent faire face.

Un an seulement après l‘entrée en production de la mine de Meadowbank, le but de

cette recherche était de rendre compte des différents types d‘impacts sociaux et

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140

économiques déjà perceptibles de la mine sur la communauté. En mettant l‘accent sur le

vécu local et l‘expérience quotidienne, je me suis particulièrement intéressée à la façon

dont la mine affecte, modifie ou interagit avec le rapport pratique et symbolique que les

Inuit entretiennent avec leur territoire. Le territoire est ici défini comme un espace

socialement et historiquement construit à travers la relation entre les habitants et la trame

des lieux et des sentiers qu‘ils investissent par le procès des activités quotidiennes. La

mémoire collective, qui s‘exprime dans les récits et les toponymes, concède une valeur

symbolique aux lieux et produit un lien d‘appartenance entre la communauté et son

territoire. Le rapport à l‘espace, nécessairement particulier à chaque groupe, constitue sa

territorialité propre. L‘expérience de l‘espace est indissociable de celle du temps, mais aussi

d‘une interaction continue avec tout ce qui compose l‘environnement. En découle alors une

vision particulière du monde. Chez les Inuit, comme chez d‘autres peuples autochtones

d‘Amérique, l‘engagement intime, quotidien et continu avec les composantes non humaines

du monde constitue le fondement d‘une ontologie relationnelle, d‘une façon d‘être et de

penser en fonction de l‘expérience de la réciprocité et du partage des capacités cognitives et

sociales.

La compagnie minière, avec ses activités minières et ses infrastructures, transforme

naturellement de manière physique le paysage des Qamani’tuarmiut et en conséquence les

interactions sociales qui y prennent place. Pour la vie tant en ville que sur le territoire, la

mine crée de nouvelles possibilités et en effacent d‘autres. Un terrain de recherche de deux

mois, lors duquel j‘ai tenté, dans les limites du possible, de pratiquer une participation

radicale, m‘a permis de réaliser des entrevues avec dix-neuf membres de la communauté,

hommes et femmes de différents groupes d‘âge, tous des chasseurs relativement actifs. Par

ces entrevues, j‘ai d‘abord souhaité connaître les utilisations et les représentations

contemporaines du territoire, pour ensuite mieux saisir les impacts positifs comme négatifs

de la mine sur ce rapport. Les expériences et les opinions sont naturellement très variées

dans la communauté, mais en me concentrant sur une période de temps restreinte et sur

l‘expérience de quelques chasseurs, j‘ai tenté d‘en faire ressortir une idée générale.

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141

Choc des territorialités et opportunisme : expérience inuit du

temps et de l’espace

À partir des données recueillies lors de ma recherche et d‘une analyse se fondant sur

le cadre théorique proposé, je souhaite démontrer que, bien que les activités minières

engendrent une tension entre deux formes différentes de territorialité, elles n‘effacent pas

pour autant la manière particulière qu‘ont les Inuit d‘être liés à leur territoire et au monde

en général, manière qui s‘exprime notamment par la capacité à tirer profit des nouvelles

opportunités. Les pratiques tactiques, tel que définit par de Certeau (1990), fondées sur la

sensibilité au moment présent et sur un espace vécu en tant que réseaux d‘itinéraires,

présentent la continué de liens présents bien avant la mine.

Nous avons vu que chez les Inuit, le partage des aires de chasse et de pêche, la

coopération et la communication sont fondamentaux au succès de la récolte. Le territoire

appartient à tous, pour autant que ceux qui l‘utilisent acceptent et mettre en œuvre ces

principes d‘entraide. Aucune frontière n‘est érigée, bien que les sites de campement sont

reconnus comme étant occupés de façon continue par des familles particulières qui ont

préséance sur ces sites mais aussi le devoir d‘accueillir les voyageurs. La construction des

infrastructures minières sur le territoire et l‘imposition d‘une régulation par la compagnie

quant à l‘usage de certains espaces apportent de nouvelles contraintes auxquelles les Inuit

ne sont pas familiers. Non seulement des frontières sont dressées, comme le périmètre

autour de la mine et le quatre-vingtième kilomètre de la route qu‘il est défendu de dépasser,

mais ces règles viennent d‘une autorité extérieure, étrangère à la communauté qui est, elle,

intimement liée au territoire. Réguler l‘accès à la route pour les Inuit, par la distribution de

laisser-passer comme c‘était pratiqué en 2010 par exemple, est un non-sens pour ceux qui

ont toujours eu accès au territoire et partagé les voies de déplacement entre eux. En disant

aux Inuit comment agir, la compagnie vient donc s‘interposer entre eux et leur territoire,

forcer un changement des pratiques et restreindre la liberté et l‘autonomie des Inuit.

L‘imposition de règles concernant l‘usage du territoire comme des ressources, nous l‘avons

vu au chapitre quatre, est d‘autant plus problématique lorsque nous considérons

l‘importance du respect de l‘autonomie personnelle chez les Inuit, c‘est-à-dire de la liberté

des individus d‘agir comme ils le souhaitent, sachant que nous pouvons faire confiance à

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leur bon jugement, à leur sens commun (isuma) (Briggs 2001 : 229).

Choc des territorialités signifie choc des spatialités et des temporalités. Auparavant

confinée à la vie en ville, la conception occidentale de l‘espace et du temps s‘étend

maintenant sur le territoire, principalement en ce qui concerne la route et le camp minier. Il

s‘agit d‘une conception technocratique, métrique et abstraite qui vide en quelque sorte les

lieux de leur sens historique et identitaire et qui en somme ne correspond pas à la façon

dont les Inuit vivent et perçoivent ces espaces. L‘usage du kilométrage pour indiquer un

emplacement sur la route semble être maintenant répandu chez beaucoup d‘Inuit. Cela peut

sans doute s‘expliquer d‘abord par le fait qu‘il soit plus commode de communiquer ainsi

avec les employés non inuit. Ensuite, les chasseurs inuit qui profitent de la route pour

voyager rapidement sans toujours porter attention aux paysages qui se succèdent –

paysages parfois totalement inconnus, surtout chez les plus jeunes – utilisent alors le

kilométrage indiqué tout au long de la route pour se repérer. La route constitue en soi un

nouveau point de repère, et le reste de l‘espace risque alors de se fragmenter dans l‘esprit

des gens, par l‘accumulation de zones inconnues (Collignon 1996). Aujourd‘hui, la notion

du temps est elle aussi différente sur la route et au camp minier, relativement au reste du

territoire. Par exemple, l‘usage de la route est en partie déterminé par les saisons de

navigation et celles-ci entrent en conflit avec les saisons de pêche et de chasse, durant

lesquelles la route est un atout. Au camp minier, l‘horaire et le cycle du travail prévaut sur

le rythme des activités de récolte et des saisons, d‘où le haut taux d‘abandon chez les Inuit à

certaines périodes de l‘année.

Malgré cette tension entre une territorialité basée sur le partage, l‘appartenance et

l‘historicité du paysage, et celle fondée sur la productivité, la propriété et l‘abstraction, la

seconde n‘efface en rien la première194

. Au contraire, les Inuit démontrent la capacité à

adapter leur territorialité en fonction de leurs propres intérêts. D‘abord, j‘ai mentionné que

la mobilité, variant avec les saisons, est à la fois complexe et primordiale pour les

Qamani’tuarmiut, que ce soit pour mener les activités de récolte ou bien pour visiter des

lieux ou des membres de leur famille. Comme l‘a souligné Sack (1986 : 46), l‘organisation

194 Poirier (2001) a apporté une réflexion semblable concernant le territoire des Atikamekw au Québec,

observant la persistance des façons coutumières de partager le territoire.

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143

capitaliste et bureaucratique facilite souvent la mobilité et l‘accessibilité géographique.

C‘est ce que nous observons avec la route minière qui permet une plus grande mobilité en

été et donne ainsi accès à de nouveaux espaces autrefois difficilement accessibles en cette

saison. Ensuite, la capacité des Inuit à prendre avantage d‘une nouvelle situation s‘exprime

également au sujet des emplois à la mine. Pour les chasseurs préalablement actifs du moins,

l‘ouverture de la mine rend maintenant possible de concilier l‘emploi et la chasse en

profitant d‘un salaire plus élevé et de plus longs congés195

. La meilleure stratégie

économique pour les ménages est en effet de combiner l‘engagement pour un emploi et

l‘investissement dans les activités de récolte (Usher et al : 2003). L‘ouverture de la mine

signifie simplement pour eux un plus grand nombre de choix quant aux emplois disponibles

et aux horaires de travail. Même si la conciliation nécessite parfois de quitter son poste

pour une période, cela ne représente pas pour autant une problématique pour les Inuit qui

agissent en fonction de leurs intérêts, personnels et familiaux. Il y a donc ici une

confrontation évidente entre les intérêts des Inuit et ceux de la compagnie minière, pour

laquelle l‘instabilité des Inuit au travail constitue un obstacle à surmonter (Bell 20-04-12).

Bernauer (2011a : 10) ajoute que la complémentarité de l‘industrie minière et de la chasse

peut éventuellement s‘exprimer par le passage d‘une activité à l‘autre, toutes deux de nature

très instable et imprévisible, lorsqu‘il y a ralentissement dans l‘industrie ou rareté des

ressources. Finalement, notons que l‘importance du partage se maintient dans le contexte

minier ; les Inuit partagent entre eux emplois et informations concernant le caribou.

Si nous portons maintenant attention aux expériences au camp minier, elles révèlent

que les Inuit continuent de vivre leur territoire en fonction de leur passé et de leur

compréhension du monde. Apuqtinaaqtuq, avant d‘être un camp minier, prend sa

signification dans l‘histoire et dans l‘expérience directe que les Inuit en ont. C‘est ainsi

qu‘il prend une dimension « magique », ou « paranormale ». C‘est le lieu où certains ont

grandi, où des ancêtres ont vécu, et qui est actuellement habité par des esprits, possiblement

ceux d‘ancêtres chamanes. Cette réalité est première au lieu et à la mine et affecte l‘attitude

des gens en rapport au camp : par exemple, certains refusent de travailler à la mine par

crainte de ces esprits. L‘expérience minière est donc aussi une expérience d‘interaction

195

Boutet (2010 : 48) arrive à la même conclusion chez les Innus et les Naskapis de la Côte Nord concernant

l‘industrie ferroviaire à Schefferville.

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entre les Inuit et les esprits. Si nous comparons la présence temporaire et ponctuelle de la

mine à l‘existence ancienne et persistante des esprits, il est logique que les Inuit se

préoccupent davantage des seconds que de la première. Le lien d‘appartenance demeure

entre les Inuit et leurs ancêtres d‘une part et Apuqtinaaqtuq de l‘autre. Par conséquent, la

compagnie ne les désapproprie pas totalement de ce lieu. La façon de vivre et de penser le

site est nécessairement différente pour les employés non inuit, car ils n‘ont pas la mémoire

de ce lieu, qu‘ils y sont étrangers. Ceci rappelle le fait que pour comprendre les perceptions,

il faut d‘abord tenir compte des expériences, et non l‘inverse. Considérant ces expériences,

contrairement à un projet de développement qui détruirait complètement un lieu important

pour l‘identité d‘une communauté et éliminerait toute possibilité d‘accès, je ne crois pas

que la mine de Meadowbank ait pour effet la perte du « sense of place », tel que le

définissent Windsor et McVey (juin 2005). Le « sense of place » est le lien intime et

affectif qui lie une personne ou une communauté à un emplacement particulier en raison

des souvenirs qui y sont ancrés. Ruiner un tel lieu représente pour Porteous et Smith (2001)

un « mémoricide ». Coupant les liens avec le passé, mais ébranlant aussi la sécurité future,

cette perte affaiblit carrément la santé mentale, physique et émotionnelle, individuelle et

collective. Ce que nous avons vu ici, c‘est que la communauté de Qamani‘tuaq ne paraît

pas déconnectée de Meadowbank, au moins spirituellement. La passé rejoint assurément le

présent, dans une ronde continue. Toutefois, la réaction des ancêtres peut, elle, affecter

l‘état de santé de certains Inuit, comme nous l‘avons vu.

La conception inuit du temps persiste également et peut particulièrement nous

éclairer sur la manière générale dont les Inuit réagissent face à la mine. Bates (2007)

explique que contrairement à la conception linéaire du temps chez les Occidentaux,

constamment préoccupés par un avenir inconnu et obsédés par la planification et par la

prédiction, la vision cyclique des Inuit se traduit par la simple acceptation de l‘incertitude et

de l‘imprévisibilité. Cela est cohérent dans un milieu arctique naturellement instable où

seules les prédictions à très court terme sont possibles mais aussi nécessaires afin de tirer

avantage des opportunités qui se présentent. La flexibilité des pratiques de récolte face aux

circonstances changeantes, la mobilité, l‘adaptabilité et la capacité à improviser

caractérisent le système économique inuit (Bates 2007). Ce trait opportuniste chez les Inuit

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peut nous aider à comprendre la manière dont ils s‘adaptent à la présence de la mine et de la

route : ils profitent de tous les avantages possibles sur le moment, est c‘est ainsi qu‘ils en

sortent gagnants. Pour le reste, pour l‘avenir, il n‘y a rien de plus incertain. C‘est d‘ailleurs

pour cette même raison que les Inuit sont habituellement réticents à parler des changements

environnementaux en général. Non seulement les connaissances sur le futur sont pour eux

futiles, mais ils croient que s‘inquiéter et parler de certains phénomènes risque de les

provoquer (Bates 2007 : 94 ; Elias et al. 1997 : 36).

Aussi, réfléchir sur les populations animales, vouloir prédire leurs comportements, est

pour eux une forme d‘ingérence et de contrôle qui est proscrite par l‘idée d‘engagement

social. Cette dernière s‘applique aussi bien aux humains qu‘aux animaux et postule qu‘il est

impossible de prétendre comprendre ou connaître les motivations de l‘autre. En fait, la non-

ingérence est l‘attitude la plus efficace, puisqu‘elle permet de garder une relation de

respect, une intentionnalité positive vis-à-vis des animaux, qui facilite l‘accessibilité future

à la nourriture (Bates 2007 : 93 ; Wenzel 2000). C‘est possiblement pourquoi les Inuit sont

souvent moins préoccupés par la santé des caribous que les Qablunaat. L‘attitude qu‘ils

adoptent, dans une logique de respect et de continuité de la chasse, est de ne pas s‘en faire

et de continuer à chasser les caribous qui viennent à eux. De plus, comme ces derniers ont

toujours habité le territoire, selon des cycles d‘abondance et de rareté, il n‘est pas certain

que l‘existence temporaire de la mine puisse avoir un impact à long terme sur leur

comportement.

L‘identité inuit est fondée sur un rapport fort au territoire qui se reproduit avec la

modernité, bien que ce rapport se modifie (Searles 2010). Selon Bird-David (1992) et

Ingold (1996), la flexibilité de l‘organisation sociale des sociétés nomades exprime une

sensibilité et une ouverture au monde qui les entoure, et donc une capacité d‘adaptation aux

nouvelles réalités. C‘est dans cette mesure qu‘il est possible d‘affirmer que la mine de

Meadowbank n‘affecte pas le rapport au territoire, mais ne lui offre qu‘un nouveau contexte

d‘expression et d‘évolution. L‘investissement du temps et de l‘espace par les Inuit, fondé

sur l‘expérience première et les cirsconstances, tout comme leur engagement avec les

composantes du territoire, notamment à travers les activités de récoltes en tant

qu‘interactions sociales, continuent de structurer leur vie quotidienne. L‘usage tactique

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d‘une structure imposée, actualisée et appropriée – pour revenir à la façon dont de Certeau

(1990) présente les pratiques quotidiennes de détournement –, telle que la route et la

régulation, suggèrent clairement que les Inuit ne sont pas passifs vis-à-vis des activités

minières, mais qu‘ils y réagissent selon leur propres intérêts et leur créativité. L‘ouverture

aux nouvelles opportunités, tout comme l‘expérience partagée (Bird-David 1999) entre les

humains et les non-humains, renvoient à l‘ontologie relationnelle, telle que présentée au

chapitre deux.

Pour une vision du futur : limites et améliorations

Il apparaît ici que l‘expérience de la mine de Meadowbank est somme toute jusqu‘à

maintenant positive. Cela peut notamment se comprendre par le contexte politique du

Nunavut196

, c‘est-à-dire une structure gouvernementale qui, sans être parfaite197

, accorde

davantage de place aux Inuit ainsi qu‘à leurs savoirs (IQ), mais aussi par le besoin criant

d‘opportunités économiques. Selon Duhaime et al. (2003), la pression du gouvernement,

l‘activisme de la société et les conditions économiques favorables encouragent les

compagnies minières à se préoccuper des impacts sociaux. Ces trois conditions réunies

peuvent expliquer les efforts d‘Agnico pour minimiser les répercussions néfastes par une

collaboration avec les Inuit. Il ne faut cependant pas omettre de souligner la diversité des

opinions et des expériences en rapport à la mine de Meadowbank, diversité que j‘ai tenté de

respecter dans ce mémoire. Tous les individus ne sont pas également en mesure de jouir des

bénéfices de la mine ; certains subissent plutôt les désavantages, comme l‘accentuation de

la consommation d‘alcool et les drames conjugaux, sans pouvoir en profiter

économiquement. Ceux qui parviennent le mieux à tirer leur épingle du jeu sont souvent

ceux qui étaient déjà les plus avantagés avant l‘ouverture de la mine (Peterson 2012 : 128).

Aussi, dès le départ, une minorité seulement, je crois, était totalement en désaccord avec

l‘ouverture de la mine en raison des impacts inévitables sur le territoire. J‘ai tenté de

196

Des auteurs ayant étudié ailleurs les enjeux socioéconomiques et culturels de l‘industrie minière pour des

peuples autochtones ont posé comme principal problème l‘absence de reconnaissance politique et juridique

des dits peuples (Nettleton 1997 ; O‘Faircheallaigh 1995 ; Paci et Villebrun : 2005). 197

Bernauer (2011b) mentionne notamment les limites des pouvoirs décisionnels du Nunavut et les problèmes

de représentativité et de corruption.

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147

trouver des dénominateurs communs pouvant éclairer la présence de différentes

positions198

, mais je n‘en ai trouvé aucun, si ce n‘est que toutes les femmes avec lesquelles

j‘ai discuté – un échantillon relativement petit – démontraient une attitude généralement

moins positive que les hommes. Cette question de genre constitue une piste intéressante à

investiguer ultérieurement.

Afin de nuancer la note optimiste de mes résultats de recherche, je dois également

mentionner ses limites. D‘abord, mes résultats se fondent sur un terrain de seulement deux

mois, alors que j‘étais au préalable très peu familière avec le quotidien des Inuit et les

enjeux de l‘exploitation minière, si ce n‘est des lectures réalisées qui ne donnent accès qu‘à

une connaissance abstraite. La problématique étant fort complexe, je n‘ai évidemment pu

percevoir et saisir tous les enjeux qui l‘entourent. Pour cette raison, mais aussi par manque

de temps – deux ans et demi pour la maîtrise – et d‘espace – dans ce mémoire –, ce travail

ne présente finalement qu‘un bref survol d‘un ensemble d‘impacts et d‘enjeux

interconnectés et liés de façon directe ou non à l‘ouverture de la mine. Je me suis

spécialement intéressée au rapport au territoire, mais bien d‘autres enjeux méritent d‘être

étudiés et je proposerai quelques pistes plus loin. Le manque de connaissance de la langue

vernaculaire a certainement constitué un obstacle à la compréhension des expériences et des

opinions des gens. Ensuite, m‘intéresser à des activités davantage pratiquées par des

hommes, c‘est-à-dire les voyages dans la toundra et la chasse, a sans doute quelque peu

complexifié mon travail. Je crois en effet qu‘un chercheur masculin aurait eu davantage

d‘occasions de sortie sur le territoire, jugées utiles pour la recherche. Cependant, il est

possible de croire qu‘en tant que femme, les Inuit du même sexe aient eu tendance à

partager plus facilement certaines expériences. Ensuite, ma recherche porte sur le niveau

local, alors qu‘une plus grande attention aux processus décisionnels, aux lois et aux

perceptions à des échelles supérieures pourrait s‘avérer pertinente pour mieux saisir la

problématique. Finalement, mon étude concerne une échelle de temps très courte, puisque,

lors de mon terrain, la mine n‘était en opération que depuis un an. Pour certains Inuit, il

198

Bien que la catégorisation des familles inuit en Nunamiut et Qablunaamiut (Vallee 1967) puisse constituer

une piste intéressante pour comprendre l‘attitude des Inuit envers l‘industrie minière, la réalité est fort plus

complexe aujourd‘hui qu‘il y a cinquante ans. Par contre, certaines familles identifiées comme Qablunaamiut

par Vallee semblent toujours avoir un rôle important dans la vie politique et dans le rapport avec les

Qablunaat, ce qui leur permet de jouir d‘une plus grande influence et de plus grands bénéfices.

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était encore trop tôt pour sentir les répercussions et avoir une opinion claire. Malgré tout,

des bons comme des mauvais côtés se font déjà sentir, et les gens sont habituellement

conscients des deux revers de la médaille.

Lorsque la mine fermera ses portes en 2017, soit deux ans plus tôt que prévu199

, il

sera peut-être encore trop tôt pour mesurer l‘ensemble des nouvelles possibilités et des

nouveaux défis qu‘aurait pu représenter la mine. Il faut par conséquent rappeler la nature

très éphémère de l‘industrie minière. Alors que tous les Inuit n‘auront pas eu le temps de se

préparer pour en tirer profit, la communauté se retrouvera à nouveau en déficit d‘emplois et

d‘opportunités d‘affaires. La période d‘abondance risque de faire place à une période de

disette face à laquelle les Inuit devront encore adapter leur mode de vie. Bien qu‘Agnico ait

prévu le transfert d‘employés inuit vers Méliadine, sa propriété aurifère située près de

Rankin Inlet dont l‘entrée en production est prévue pour 2017, la municipalité de

Qamani‘tuaq s‘inquiète du choc socioéconomique que cela provoquera pour la

communauté (Nunatsiaq News 15-06-12 ; Rogers 21-03-12). L‘expérience de l‘industrie

minière ne se conclura sans aucun doute pas avec Meadowbank pour les Qamani’tuarmiut ;

d‘autres compagnies travaillent à l‘avancement de leurs projets à proximité de la ville. Le

projet uranifère Kiggavik est tout près d‘obtenir un certificat auprès du NIRB. Les opinions

que j‘ai recueillies à son sujet révèlent que plusieurs Inuit, malgré leur satisfaction en

rapport à Meadowbank, sont loin d‘être enthousiastes à l‘idée que l‘uranium soit exploité

sur leur territoire en raison des risques liés à la radiation (David Mariq/40s ; Elijah

Amarook/40 ans ; F/71 ans ; H/34 ans ; H/58 ans ; Jacob Ikiniliq/77 ans ; Peterson 2012 :

123).

Au plan économique, même si certains Inuit anticipent avec réjouissance un plus

grand choix quant à l‘emploi (F/41 ; H/40 ; Matthew Kuunangnat/70s), il n‘apparaît pas

évident que la communauté tirerait plus d‘avantages avec deux mines plutôt qu‘une opérant

de façon simultanée sur son territoire. La raison est que la main-d‘œuvre locale n‘est pas

suffisante pour répondre au besoin de deux mines, sans compter qu‘il faut garder des

travailleurs en ville (F/71 ans ; H/34 ans ; H/63 ans ; Peterson 2012 : 122-123). Les

199

La fermeture hâtive de Meadowbank, annoncée en 2012 par Agnico, est principalement due à la

surévaluation du potentiel minier du site, à la sous-estimation des coûts de production et, enfin, à la perte

d‘argent causé par le feu en 2011 (Bell 20-04-12).

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149

compagnies minières entreraient donc inévitablement en compétition pour le bassin très

limité200

, ce qui permettrait sûrement aux Inuit d‘obtenir de meilleurs salaires, mais

participerait aussi à alimenter de plus belle les problèmes sociaux. Dans tous les cas, avec

deux mines actives, il faudrait nécessairement faire venir des travailleurs d‘ailleurs, ce qui

aurait tout autant un impact sur la communauté. Dans l‘optique d‘un développement

durable, il me semble qu‘il est d‘abord nécessaire de penser à long terme et en fonction

d‘une diversité locale201

et d‘une complémentarité régionale. L‘idéal est d‘éviter de mettre

tous les œufs dans le même panier en favorisant le développement de différents secteurs, ce

qui assurerait une protection contre l‘effondrement de l‘un des secteurs, et en songeant au

fait que l‘effervescence d‘un secteur donné peut bénéficier à l‘ensemble d‘une région. Au

plan environnemental, le fait que le site de Kiggavik se trouve sur la route migratoire de la

harde de Beverly et près du système hydraulique de la rivière Thelon, qui se jette dans le

lac Baker, inquiète beaucoup (H/40s ; H/40s ; Peterson 2012 : 123 ; voir annexe H). Areva,

propriétaire du projet, prévoit aussi la construction d‘une route minière qui chevauchera la

rivière Thelon. Encore sur ce point, bien que les Inuit soient séduits par l‘idée de pouvoir

utiliser une route pour voyager vers une autre région qu‘ils ont l‘habitude de fréquenter

(H/40s ; H/40s ; H/71 ans ; H/58 ans), ils considèrent également les conséquences néfastes

que la route pourrait avoir sur l‘environnement, la migration des caribous et la chasse (F/71

ans ; H/34 ans ; H/40s ; H/45 ans ; H/60s)202

. D‘autres sont davantage préoccupés par le fait

que l‘usage de la route puisse être réglementé, comme c‘est le cas avec la route d‘Agnico

(Elijah Amarook/40 ans ; H/40s ; H/58 ans ; H/71 ans ; Silas Aitauq/78 ans). À cet égard,

sans doute pour attirer la sympathie des Inuit, Areva a fait la promesse que la route sera

publique et donc libre d‘accès aux chasseurs (Hugh Ikoe/60 ans).

Chose certaine, l‘ouverture d‘autres mines sur le territoire se traduira par la

cumulation d‘impacts négatifs et l‘envahissement d‘autres espaces identitaires, sans la

capacité de tirer le maximum de bénéfices, si les Inuit ne disposent pas du temps nécessaire

pour apprendre et grandir à partir de leur première expérience et ainsi acquérir la capacité

200

J‘ai entendu cet argument de la part de superviseurs d‘Agnico, convaincus que l‘ensemble des gens aptes

et prêts à travailler sont déjà engagés par la compagnie ou ses sous-traitants. 201

La diversification économique locale est d‘ailleurs un besoin exprimé par les Qamani’tuarmiut (Peterson

2012 : 129). 202

Mentionnons aussi que le déplacement d‘un plus grand nombre d‘employés étrangers signifierait

davantage de trafic aérien, qui a déjà amplement accru dans les dernières années.

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de se positionner de façon efficace et éclairée face à l‘industrie. Malheureusement, le boom

actuel que connaît le secteur minier exprime un sentiment d‘urgence qui laisse peu de

temps. Considérant que d‘autres mines ouvriront probablement leurs portes sous peu, il faut

penser à ce qui gagnera à être amélioré dans les pratiques et les relations actuelles. Il faut

reconnaître que l‘apprentissage et les efforts doivent être entrepris de tous les côtés : par les

locaux, par les associations inuit (KIA, NTI, NIRB, etc.) et par les compagnies (voir aussi

Peterson 2012 : 114-123). La responsabilité des minières vis-à-vis des collectivités doit être

mise de l‘avant, tout comme l‘importance de la gouvernance locale, ce qui favoriserait le

bien-être de ces collectivités (Haagen 1982 ; Dahl 1984 :155)203

. Avec les avancées

politiques et juridiques des dernières décennies, la plupart des compagnies font sans doute

preuve de plus de conscience et de volonté qu‘autrefois à l‘égard des communautés.

Toutefois, il reste du travail à accomplir sur le plan de l‘information et de la

communication entre les compagnies, les communautés et les représentants inuit, et aussi

entre les travailleurs inuit d‘un côté et les collègues et superviseurs non inuit de l‘autre204

.

Ce travail permettra de clarifier la compréhension mutuelle des intérêts et des besoins de

chacun.

Tous les Inuit devraient d‘abord avoir une meilleure connaissance de ce qui se passe

sur leur territoire et disposer d‘une plus grande place dans les consultations et les

négociations avec les compagnies, notamment en ce qui a trait aux redevances. Aussi, les

compagnies et les organisations inuit doivent travailler pour mieux informer et préparer les

Inuit à profiter des opportunités offertes par l‘industrie205

. L‘éducation demeure ici

fondamentale. Le GN et Agnico, notamment avec la création de la Kivalliq Mine Training

Society, prévoient à cet effet mettre sur pied de nouveaux programmes, en plus de la

203

Lors des consultations menées par le NIRB à propos de Meadowbank, les représentants de la municipalité,

fâchés de ne pas être invités aux consultations pour l‘IIBA, ont exprimé le besoin d‘un plus grand pouvoir de

régulation au niveau local et de processus formels à cet égard (NIRB août 2006 : 48). 204

Alors qu‘ils sont dans l‘ensemble satisfaits de leur relation avec Agnico, les Inuit de la communauté

considèrent qu‘il y a un manque de communication entre la KIA et Agnico, et la KIA et la municipalité. Ils

aimeraient aussi davantage de pouvoir de régulation au niveau local (Peterson 2012 : 114-122). Le problème

relatif à la communication est récurrent dans les contextes miniers ; il fut rapporté par Benoît (2004) et

Duplantie (2001) à propos de Raglan, par Wang (2006) au sujet de Kiggavik dans les années quatre-vingt-dix,

et il fut une préoccupation centrale lors de la Conférence minière crie de 2012, à laquelle j‘ai participé. 205 Benoît (2004 : 116) propose comme solution un usage systématique de la radio locale et d‘un journal

minier, ainsi que l‘instauration des services conseils professionnels et à l‘orientation sur le camp minier.

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formation au forage déjà offerte à Arviat206

. Certains pensent que la connaissance des

possibilités d‘avenir suffirait pour motiver les jeunes à poursuivre leurs études (Norman

Attungalaaq/79 ans ; Peterson 2012 : 84). Ensuite, il faut réfléchir à la création d‘outils

permettant aux Inuit de faire entendre leurs besoins, leurs intérêts et leurs inquiétudes. Un

comité de liaison a récemment été créé à Qamani‘tuaq à cette fin (Peterson 2012 : 117).

Reste à savoir si la communication passera entre les membres de ce comité et les autres

membres de la communauté.

La communication et l‘information, dans un contexte interculturel de surcroît, sont

naturellement de grands défis. Bien qu‘Agnico tienne à l‘occasion des rencontres publiques

dans la municipalité pour parler des activités à la mine, les intéressés, toujours les mêmes,

demeurent en nombre limité et comprennent rarement des chasseurs actifs (Bernauer

2011b : 148). D‘autres rencontres plus intimes ont lieu au camp minier et offrent la

possibilité aux représentants de différents groupes d‘intérêt (HTO, aînés, jeunes, éducation,

santé, etc.) d‘exprimer les préoccupations et les besoins des Qamani’tuarmiut. Le contact

avec les hauts-placés de la compagnie est cependant le privilège d‘une minorité et peut

évidemment être exploité sans tenir compte des intérêts de l‘ensemble de la

communauté207

. Malgré les efforts de la compagnie, il est difficile de capter l‘attention de

tous les Inuit, qui ont souvent d‘autres priorités que d‘assister aux rencontres d‘information.

Le manque de communication a parfois pour résultat un sentiment d‘impuissance,

d‘insatisfaction et même de frustration chez les Inuit. J‘ai par ailleurs perçu lors de ma

recherche que ceux-ci expriment très peu leurs besoins et leurs attentes quant à l‘emploi,

ayant plutôt tendance à attendre l‘appel de l‘employeur et à prendre ce qu‘on leur offre.

Cette relation entre employeurs blancs et employés inuit n‘est pas sans rappeler la relation

patron-client dont parlait Vallee (1967) à l‘époque des premiers emplois offerts aux Inuit ;

Il semble que la figure du Qablunaaq en est toujours une d‘autorité. La nature de la relation

Inuit-Qablunaaq au quotidien est, je crois, fondamentale pour comprendre à une petite

206

Voir George (11-11-11), Herman (09-04-12), KMTS (2010), Nunatsiaq News (13-12-11) et Peterson

(2012 : 85).

207 Un participant à ma recherche a mentionné, par exemple, qu‘une demande a été faite à Agnico pour

construire une seconde route de chasse, près de la première qui mène à la rivière Prince. Or, cette demande

n‘avait pas été approuvée par la municipalité. Le participant jugeait, de plus, qu‘aucun besoin réel ne justifiait

cette demande.

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échelle la complexité de la problématique coloniale toujours d‘actualité. Le camp minier

offre un terrain d‘analyse pertinent pour investiguer cette question dans la cadre d‘une

future recherche. Comme point de départ, celle-ci pourrait s‘inspirer des réflexions

théoriques de Paine (1971b), qui a étudié les Inuit du Labrador, concernant le patronage et

le courtage (brokerage), deux pratiques distinctes, mais qui peuvent se combiner et même

s‘alterner.

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169

Liste des participants de Qamani’tuaq

Silas Aitauq, 78 ans, interviewé le 13 mai 2011

Andrew Alerk, quarantaine, interviewé le 2 juin 2011

Elijah Amarook, 40 ans, interviewé le 3 juin 2011

Thomas Anirniq, 63 ans, interviewé le 31 mai 2011

Norman Attungalaaq, 79 ans, interviewé le 1er

et le 13 juin 2011

Nancy Aupaluktuq, 71 ans, interviewée le 9 mai et le 8 juin 2011

Roy Avaala, 34 ans, interviewé le 1er

juin 2011

Jacob Ikiniliq, 77 ans, interviewé le 11 mai 2011

Hugh Ikoe, 60 ans, interviewé le 15 juin 2011

Joan Iqqaat, 41 ans, interviewée le 7 juin 2011

Barney Kalluk, 58 ans, interviewé le 31 mai 2011

Irene Kaluraq, 77 ans, interviewée le 6 juin 2011

Bill Keshla, soixantaine, interviewé le 3 et 13 juin 20111

Matthew Kuunangnat, soixante-dizaine, interviewé le 6 juin 2011

Thomas Mannik, 63 ans, interviewé le 18 mai 2011

Larry Mannik, quarantaine, interviewé le 19 mai 2011

David Mariq, quarantaine, interviewé le 7 juin 2011

Paul Nagyougalik, 45 ans, interviewé le 8 juin 2011

Barnabas Oosuaq, 71 ans, interviewé le 26 mai 2011

Interprètes

Hattie Mannik

Daniel Peryuaq

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170

Annexe A : Projet minier dans le Kivalliq

Projets miniers dans le Kivalliq (2008) et aires protégées de l‘habitat des hardes de caribous

de Beverly et de Qamani‘tuaq (en vert)

Source : BQCMB, hiver 2008/2009.

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171

ANNEXE B : Système hydraulique de la région de

Kivalliq

Source : Canadian Heritage Rivers System 2011.

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172

ANNEXE C : Cartes des sous-groupes du Kivalliq

Source : Bennett et Rowley 2004 : 340.

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173

ANNEXE D : Usage traditionnel du territoire –

Pêche, chasse, caches et migration du caribou

Source : CUMBERLAND RESOURCES Ltd, octobre 2005: 5.1.

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174

ANNEXE E : Usage traditionnel du territoire –

Tombes, aires spirituelles et campements

Source : CUMBERLAND RESOURCES Ltd, octobre 2005 : 5.2.

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175

ANNEXE F : Aire d’étude archéologique et

localisations

Source : CUMBERLAND RESOURCES Ltd, octobre 2005 : 5.34.

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177

ANNEXE H : Formulaire de consentement

PARTICIPANT CONSENT FORM FOR HUNTERS

About the researcher

This research is being done for the master‘s program with thesis of Pascale Laneuville, under

Frédéric Laugrand‘s supervision, who is in the Anthropology Department of the Faculty of Social

Sciences at Université Laval. It is funded by the Department of Indian Affairs and Northern

Development through the Northern Scientific Training Program. This organization has no control,

however, over the goals and conduct of my research.

Before agreeing to join in this research project, please take time to read and understand the

following information. This document will explain the goal of the research project, its procedures,

advantages, risks, and inconveniences. Ask the person who presents this document any questions

you feel useful.

About the study

This research aims to study the relationship between the activities of the recently opened gold mine

near Baker Lake and the activities of the same community‘s hunters on the territory. Specifically, it

aims to assess how mining may affect the hunters‘ relationships with their territory and local social

and cultural values.

How you can participate

You will be interviewed individually for around an hour. We will ask about:

- Your identity: origin, age, social status, occupation, etc.;

- Your hunting activities on the territory, the routes and the places you use, and the

wildlife species you hunt;

- The economic, cultural, and social significance of these activities and the territory;

- Your relationships with other hunters and how you organize locally to manage the

territory and its resources

- How you perceive and experience the effects of mining on your activities and the

territory.

Advantages, risks, or inconveniences that may result from your participation

By participating in this research, you will make known your views about the territory‘s importance

for your community and the different Baker Lake mining issues. The results may also be used by an

individual or group to defend your interests when dealing with development projects or programs to

manage your territory and wildlife.

By telling us about your experiences, you might have emotional or disturbing thoughts or

memories. If so, feel free to talk about them with the interviewer. This person will give you the

name of someone who can help, if necessary.

Voluntary participation and right to opt out

You are free to participate in this research project. You may also stop participating, with no

negative consequences or penalty and without having to justify your decision. If you decide to stop

participating, please notify the researcher. Her contact information is included in this document. All

personal information about you will be destroyed.

Confidentiality and data management

To keep your information confidential, we will do the following:

- The participants‘ names will not appear in any report;

- The various research documents will be encoded and only the researcher will have

access to the list of names and codes;

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- The participants‘ individual results will never be released;

- The research materials, including the data and recordings, will be kept on a computer.

Access to the computer will be protected by a password known only to the researcher,

and the computer itself will be in a locked office for which only the researcher will have

the key. These materials will be destroyed two years after the research is completed

(July 2013).

- If the research is published in academic journals, no one will be able to identify or

recognize any of the participants when reading these publications;

- If you wish, we will send you a short summary of the research results. We will need

your mailing address.

For more information

If you have any questions about the research or the implications of your participation, please get in

touch with Pascale Laneuville, master‘s program student, by phoning (418) 656-2131, extension

4108, or by e-mailing [email protected].

Thanks! Your assistance is crucial to the success of this study. Thank you for taking part!

Signatures

I, the undersigned, ______________________________freely consent to take part in the research:

Hunting or Mining: Contemporary Issues on the Baker Lake Territory, Nunavut. I have read

the form and understood the goal, nature, advantages, risks, and inconveniences of the research

project. I am satisfied with the explanations, clarifications, and answers that the researcher has

given me, where applicable, for my participation in this project.

Participant‘s signature Date

If you wish, we will send you a short summary of the research results. We will need an address

where you wish to receive the document. The results will not be available before August 2012. If

your address changes before that date, you should provide the researcher with your new

mailing address.

The address where I wish to receive a short summary of the research results:

I have explained the goal, nature, advantages, risks, and inconveniences of the research project to

the participant. I have answered the participant‘s questions to the best of my knowledge and I have

made sure that the participant has fully understood my explanations.

__________________________________________ _______________________

Researcher‘s signature Date

Complaints or Criticisms

Any complaint or criticism about this research project may be sent to the Ombudsman‘s office at

Université Laval:

Pavillon Alphonse-Desjardins, bureau 3320

2325, rue de l‘Université, Université Laval Québec (Québec) G1V 0A6

Information - Secretariat: (418) 656-3081 Toll-free: 1-866-323-2271

Fax: (418) 656-3846 E-mail: [email protected]