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Claude Lévi-Strauss Le syncrétisme religieux d'un village mg du Territoire de Chittagong In: Revue de l'histoire des religions, tome 141 n°2, 1952. pp. 202-237. Citer ce document / Cite this document : Lévi-Strauss Claude. Le syncrétisme religieux d'un village mg du Territoire de Chittagong. In: Revue de l'histoire des religions, tome 141 n°2, 1952. pp. 202-237. doi : 10.3406/rhr.1952.5869 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1952_num_141_2_5869

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Claude Lévi-Strauss

Le syncrétisme religieux d'un village mg du Territoire deChittagongIn: Revue de l'histoire des religions, tome 141 n°2, 1952. pp. 202-237.

Citer ce document / Cite this document :

Lévi-Strauss Claude. Le syncrétisme religieux d'un village mg du Territoire de Chittagong. In: Revue de l'histoire des religions,tome 141 n°2, 1952. pp. 202-237.

doi : 10.3406/rhr.1952.5869

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhr_0035-1423_1952_num_141_2_5869

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Le syncrétisme religieux

d'un village msg

du Territoire de Chittagong1

Au début du mois de septembre 1950, nous avons pu participer pendant quelques jours à la vie et aux travaux d'un village mog du Territoire de Chittagong (Chittagong Hill Tracts), dans le Pakistan oriental, non loin de la frontière birmane. Bien que des observations aussi rapides offrent inévitablement un caractère fragmentaire, nous croyons utile de les publier en raison du manque presque total de documents relatifs à cette importante population indigène. Les Mog s'élèvent au chiffre de 70.000 environ ; ils habitent la partie méridionale du Territoire de Chittagong, principalement la région comprise entre Cox's Bazar au bord de la mer et Ban- darban dans l'intérieur. Venus il y a quelques siècles d'Arakan, province de la Birmanie du Sud, ils ont conservé les croyances et le genre de vie archaïque de leur contrée d'origine. En dehors d'excellentes informations remontant à la période 1850- 1870, dont on est redevable à un officier de l'armée des Indes, T. H. Lewin, et que nous aurons souvent l'occasion de citer,

1) Nous tenons à exprimer notre reconnaissance à tous ceux qui ont permis ou facilité les recherches dont cet article présente les premiers résultats. D'abord le Département des Sciences sociales de l'Unesco qui a fourni l'occasion de notre voyage au Pakistan. Ensuite MM. Aziz Ahmed, secrétaire général du Gouvernement du Bengale oriental, Asgar Ali, District Magistrate de Chittagong, le colonel L. H. Niblett, District Commissioner des Chittagong Hill Tracts, et surtout M. Rai Bahadur Kumar Birupaksha Roy, frère cadet du regretté chef des Çakma qui, pendant toute la durée de notre enquête dans les Hill Tracts, a bien voulu être pour nous un compagnon attentif et un interprète incomparable.

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LE SYNCRÉTISME RELIGIEUX D'UN VILLAGE MOG 203

les Mog n'ont fait l'objet d'aucune enquête ethnologique, systématique1. On peut en dire malheureusement autant des autres populations de race mongolique qui partagent le même habitat avec une distribution plus septentrionale : Kuki de Chittagong, négligés au profit de leurs frères d'Assam, Sakma au nombre de 125.000, Tippra venus du nord (comprenant 40.000 personnes réparties en deux groupes, Riâyjg et Ufuï), et plusieurs groupes de moindre importance dont l'identification est douteuse : Mro, Khiàvjg, Khumi, Sak. Au total, la circonscription administrative connue sous le nom de Chittagong Hill Tracts s'étend sur plus de 5.000 milles carrés, et sa population, non-musulmane dans la proportion de 97 % et officiellement bouddhiste dans .celle de 70 %, atteint environ 300.000 personnes. Il faut espérer que le recensement national pakistani, entrepris au début de l'année 1951, permettra de préciser et de rectifier ces estimations.

Dans tout le territoire de Chittagong, le bengali est utilisé comme langue de culture ; et les Sakma, qui constituent près de la moitié de la population, ont perdu jusqu'au souvenir d'une langue propre, parlant un dialecte bengali qui comporte un certain nombre de termes d'origine inconnue. Ils ont même élaboré un alphabet particulier2. Le deuxième groupe en importance, les Mog, parlent un dialecte birman du sud, l'arakan, dont l'alphabet — différent de l'alphabet birman — est toujours employé par leurs lettrés. Les Kuki parlent la langue de leur groupe. On ne sait pas grand-chose des autres, hors les vocabulaires de base recueillis pendant le siècle dernier3.

Notre séjour dans les monts de Chittagong, rendu difficile par la mousson qui était à son maximum en septembre 1950, s'est partagé entre un village kuki et un village mog. Nous

1) On peut citer toutefois un ouvrage historique en bengali auquel nous n'avons pu accéder : S. R. Chandra Baduya, Chattagramer Mager Itihas : History of the Mags of Chittagong, Calcutta, 1906.

2) D. Diringer, The Alphabet, p: 408, fig. 186. 3) Dont on retrouvera la plupart dans : Sir George A. Grierson, Linguistic

Survey of India.

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envisagerons le premier dans un autre travail1 pour nous limiter ici aux observations recueillies dans le second.

Ce village était situé en bordure septentrionale de la région principalement occupée par les Mog ; il était peu représentatif de la culture indigène, en raison des influences diverses auxquelles il était exposé tant de la part des Sakma que de celle des gens des plaines. Ses caractères originaux n'en sont que plus frappants et laissent bien augurer d'une enquête qui pénétrerait au cœur du territoire.

Le village se trouvait à une heure de marche environ d'un lieudit (en dialecte çakma) : dhuliiasuri : « ruisseau sablonneux », sur la rive gauche de la rivière Karnafully et à deux heures environ, par barque à moteur, en aval du centre administratif de Rangamati. L'emplacement du village s'appelait, en fakma : azdsuri, « ruisseau de la saline » (le terme aza, « sel, saline », n'est pas bengali) ; les Mog le désignaient eux- mêmes du nom du chef de village : Hladuârig. Le village comptait 32 maisons distribuées de part et d'autre d'un ruisseau, sur les pentes d'une petite vallée encaissée. L'habitat mog contraste ainsi avec celui de leurs voisins kuki dont les villages sont toujours situés au sommet des monts escarpés qui donnent sa physionomie caractéristique au territoire de Chittagong.

La population du village se décomposait comme suit :

Adultes : Hommes 63, dont 19 adolescents non-mariés Femmes 62, — 14 adolescentes non-mariées

Enfants : (de moins de 11 ans) Garçons 32 Filles __26

Total 183

1) Kinship Systems of the Chittagong Hill Tracts, Southwestern Journal of Anthropology, I, 1952.

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LE SYNCRÉTISME RELIGIEUX D^UN VILLAGE MO G 205

auquel il faut ajouter les deux moines du temple bouddhiste et les deux nonnes installées dans une maison écartée.

Le léger excédent de la population masculine d'âge conjugal sur la population féminine correspondante n'était peut- être pas fortuit ; le même déséquilibre était apparent dans d'autres villages de la région, notamment chez les Kuki.

Au moment de notre visite, le village était à moitié désert. C'était, en effet, le temps du porôy\ : séjour dans la cabane (boô) du jum (culture à flanc de colline laissée en jachère quatre années sur cinq) pour la récolte et le battage du paddy (sain). Certaines familles procédaient pourtant à ces opérations dans le village. Le paddy était alors piétiné (saba-naré) sur la plate-forme surélevée de chaque demeure (voir plus loin) puis décortiqué (môt\-navè) à l'aide d'un appareil à main composé d'un bras de levier muni à son. extrémité d'un pilon vertical (môf] §щ) agissant dans un ̂ mortier (moi) khu mul) enterré à ras du sol ; enfin vanné (sain tiré) à la main dans une corbeille (sây\gu).

Toutes les maisons (hen) étaient conçues sur le même type. Il suffira donc d'en décrire une, celle du chef de village où nous résidions. Construite sur pilotis, elle comprenait les parties suivantes :

1) La terrasse (prày\) planchéiée de deux couches perpendiculaires de larges perches de bambou refendu, grossièrement assemblées avec des ligatures de même nature. Cette plate-forme à claire-voie permet l'écoulement des eaux sales provenant de la cuisine ou des ablutions ; elle pourrit rapidement mais peut être remplacée en quelques heures ou réparée au fur et à mesure des besoins. La terrasse commande l'accès à toutes les autres pièces ; on l'atteint par une échelle (kriga) faite d'un tronc sur un côté duquel ont été taillées au dao des échancrures en forme de marches ;

2) A droite de la terrasse et de plain-pied avec elle, la salle des hôtes (saum), environ 5 m. x 2 m., avec au centre un foyer (sepô) formé d'une masse d'argile cylindrique et aplatie ;

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3) A gauche de la terrasse et également de plain-pied, la salle commune (kràiy)), environ 7 m. x 3 m., divisée sur une partie de sa longueur par une paroi nattée délimitant 3 alcôves

Fig. 1. — Maison du chef de village

respectivement occupées par : le chef du village et sa femme ; son second fils et sa femme ; son troisième fils divorcé. L'espace laissé vacant à la suite de la dernière alcôve forme grenier à paddy (sabagra) ;

4) A l'extrémité de la salle commune et communiquant avec elle par un passage ménagé dans la paroi de natte, la

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LE SYNCRÉTISME RELIGIEUX D'UN VILLAGE MDG 207

cuisine (lama §ahé), 2 m. x 2 m., avec le foyer (sepôkrï) au centre. Un autre foyer se trouve au deuxième tiers de la longueur dans la direction de la cuisine, et au milieu, de la salle commune.

Cet ensemble de 3 pièces principales placées de part et d'autre de la terrasse forment avec cette dernière une unité de construction. La charpente principale est faite de troncs d'arbres à peine équarris et la couverture de nattes et de paille est posée sur des chevrons de bambou. Le plancher et une partie des murs sont composés de gros bambous entiers fendus longitudinalement et aplatis ; ces éléments sont tressés en échiquier : il en résulte une surface élastique qui acquiert un beau poli et dont les interstices sont libéralement employés pour évacuer vers le sol les débris alimentaires, les sécrétions nasales et la salive ; les Mog, qui sont des fumeurs enragés (pipes communes ou à eau, et cigares improvisés de quelques feuilles de tabac roulées) produisent cette dernière avec une remarquable abondance.

La partie frontale de la salle commune (c'est-à-dire celle opposée à la cuisine) se prolonge en une sorte d'auvent à claire- voie qui s'avance en porte à faux vers l'extérieur, augmentant ainsi la profondeur de la pièce, en même temps qu'il améliore la ventilation.

Derrière la maison se trouve le jardin (aiôi) entouré d'une palissade de bambou (tairait]ré) où poussent le grand arum (printarabai), le maïs (mokafu), le tabac (si) et les bananiers.

La série d'alcôves, isolées par des cloisons fixes nattées s'arrêtant à hauteur des murs, doivent être occupées dans un ordre prescrit. L'alcôve de tête (la plus éloignée de la cuisine) est réservée au chef de famille ; ensuite viennent les enfants par ordre de naissance. Chez les Sakma, les filles semblent passer avant les garçons. Ainsi on aurait :

Chef de famille, fille aînée, fils aîné, fille cadette, fils cadet

Dans le cas des Mog cependant, cet ordre n'est respecté que pour les mâles et encore quand ceux-ci sont marié?,

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veufs ou divorcés. Les garçons célibataires dorment dans la salle commune ; les filles non mariées partagent la première alcôve avec leur mère et c'est alors le père qui doit, tant que dure cette situation, partager la salle commune avec ses fils.

Les maisons sont construites par aide collective (э'ки) ; le bénéficiaire doit offrir aux participants une fête comprenant un repas de riz et de porc: A vrai dire, les maisons de notre village offraient un aspect assez misérable. De taille restreinte par rapport au nombre des habitants, elles paraissaient bâties avec des matériaux de mauvaise qualité assemblés sans soin, et insuffisamment entretenues. Dans ce fond de vallée humide et boueux le village mog, fragile et désordonné, contrastait de façon pénible avec le village kuki, lieu de notre séjour précédent. Celui-ci, solidement construit au plus haut sommet d'une chaîne de collines, rassemblait 8 vastes demeures bien assises sur leurs robustes pilotis, dont certaines étaient longues de 20 m. Avec leurs murs et planchers régulièrement tressés et polis comme le laque où l'on voyait, accrochés ou empilés, des centaines de trophées de chasse et des monceaux de bois de chauffage exactement rangés, les uns et les autres témoins ostentatoires du zèle et de l'activité des habitants (car ce bois n'est jamais utilisé), ces demeures donnaient une image très différente de celle présentée par l'habitat mog. C'est sur le plan de la complexité de la vie sociale et religieuse que cette dernière population place plutôt sa vanité.

* *

Les Mog qui se désignent eux-mêmes du nom de Morma1, paraissent divisés en clans (zazaisa) patrilinéaires et aga- miques, c'est-à-dire ne comportant ni interdiction ni préfé-

■ 1) Cf. E. Riebeck, The Chiltagong Hill Tribes, Results of a Journey made in the Year 1882, London, 1885, qui, comme Lewin, donne : Мигта, Муатта : « birman » (p. 2).

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LE SYNCRÉTISME BELIGIEUX D'UN VILLAGE MOG 209

rence matrimoniales. Notre village était ainsi habité par les représentants de deux clans :

Rigiesa Kiôprusa

auxquels il faut ajouter, pour le reste du territoire, les noms de clans suivants jusqu'alors inédits, mais dont la liste n'est pas exclusive d'autres noms oubliés par nos informateurs :

Palalr\sa Kôgdët\sa Paràr\sa Lorig'dusa Marôsa Oiut\sa $erïrigsa Pôlaksa RuakoirCa Ok'sa Raït\brisa Sapregia Sain

La légende traite le clan Kiôprusa comme le plus anciennement installé dans les Hill Tracts ; les Rigiesa seraient venus ensuite d'Arakan et auraient asujetti leurs prédécesseurs. L'origine première des Mog, au dire du chef de village, serait un pays qu'il appelait Sipâ-yjgro, terme différent de ceux (Chainpango ou Champanugger) recueillis au siècle dernier par Lewin et qu'il identifiait au royaume de Champa1. Des deux chefs qui se partagent l'influence en pays mog, l'un, le chef Rohmôrig, appartiendrait traditionnellement au clan Rigiesa, l'autre, le chef Мо-цд, au clan Pala^sa. Il n'a été

1) T. H. Lewin, Wild Races of South Eastern India, London, 1870, p. 158-9. (Voir aussi, du même auteur, The Hill Tracts of Chitlagong and the Dwellers therein ; with comparative vocabularies..., Calcutta, 1869 ; et R. H. Sneyd Hutchin- son, Chittagong Hill Tracts, East Bengal and Assam District Gazetteers, Allahabad, 1909.

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possible d'obtenir des informateurs ni traduction ni etymologie pour ces noms qu'ils affirmaient privés de signification. Pourtant on rencontre dans presque tous une désinence sa qui semble être le mot pour « fils ». De la liste ci-dessus, deux noms seulement avaient été recueillis par Lewin : ce sont les Palairisa et les Kôgdëtisa respectivement transcrits par Palainglsa et Kowkdyntsa1. Il y aurait entre les clans, selon les indigènes, des différences dialectales et de costume, notamment dans la façon de nouer le turban, mais ils les considèrent en voie de disparition. On notera cependant que, même encore aujourd'hui, certaines particularités vestimentaires sont stéréotypées et maintenues par les intéressés comme un véritable code. Ainsi les Sakma portent un pagne noir à bordure rouge avec décor tissé (la « fleur » de la bordure), les TÔTjgçuiniia, rouge à bordure noire, les Tippra comme les Sakma, mais avec une bordure non décorée, et les indigènes s'accordent pour reconnaître les Mro à la dimension très réduite de leur pagne, généralement estimée à 8 doigts.

La transmission héréditaire des deux chefferies principales suggère une hiérarchisation des clans. Nous n'avons pu obtenir de précision à ce sujet en ce qui concerne les Mog, mais certaines observations recueillies de nos informateurs çakma éclairent une situation analogue.

Les membres de la lignée çakma qui détient le pouvoir héréditaire sont chargés d'une force magique appelée fi. Comme le disent les intéressés eux-mêmes, ils sont « chargés de dieux ». Cette propriété les rend dangereux pour les gens du commun, dans les maisons desquels ils ne sauraient pénétrer sans risquer d'attirer les pires calamités sur les habitants. Notre informateur, frère cadet du chef en exercice, et qui n'avait perdu son fi que tout récemment, quand il était devenu fonctionnaire de l'administration provinciale, nous a raconté comment, lors de tournées effectuées pour le compte de son frère, il était obligé, aux étapes, de rester à

1) Wild Races..., p. 146 sqq.

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l'extérieur des habitations pendant que ses coolies pouvaient y pénétrer librement et jouir de l'ombre et de la fraîcheur. Cette situation paradoxale était, dit-on, prétexte à plaisanteries et à quolibets à l'adresse du prince fort mal à l'aise. Pour résoudre la difficulté, il n'existe que deux méthodes.

Une méthode traditionnelle consiste à anoblir le propriétaire de la maison. Ainsi protégé par sa nouvelle dignité, il ne risque plus de pâtir de l'intimité royale.

La deuxième méthode est fondée sur un principe différent. Le propriétaire de la maison peut prendre l'initiative d'inviter le prince à y pénétrer. Celui-ci refuse d'abord et ne s'incline qu'après beaucoup d'insistance de la part de son hôte et moyennant une somme d'argent qu'il est obligé d'accepter, mais dont il devra ensuite retourner le double. Cet échange de prestations annule le danger.

Bien qu'on n'ait pu avoir de précision sur la fonction sociologique actuelle des clans ou lignées, leur existence reste suffisamment importante pour que la première question que s'adressent deux inconnus qui se rencontrent soit : zalœf\ sa le, « de quel clan es-tu fils ? »

Les clans sont patrilinéaires, mais nous avons recueilli certaines indications qui suggèrent la présence d'éléments matrilinéaires. Chez les Mog d'Arakan la résidence serait matrilocale. Il n'en est plus ainsi parmi ceux de Chittagong ; les règles d'héritage distinguent cependant entre « biens masculins » et « biens féminins ». Les premiers, transmis du père à ses fils et dits : iokia uain, comprenant la maison, les chèvres, le bétail et la terre. Les seconds : min ma uain, sont composés des bijoux, vêtements féminins, matériel de filage et de tissage, volaille et porcs, qui passent de la mère à ses filles. D'une façon générale, l'aîné reçoit l'héritage principal, sauf s'il a quitté la maison de famille (auquel cas l'héritage va au plus

jeune' fils), et l'aîné et le cadet sont avantagés par

rapport aux garçons intermédiaires. On note ensuite une relative autonomie de la fille dans le

choix de son époux. Le mariage de deux jeunes gens, sans

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l'accord du père de la fille, astreint les coupables à l'amende (Res. 100 ou davantage) ; mais cette formalité accomplie, l'union reste valable.

Il est intéressant de comparer cette règle avec la coutume des Sakma, qui connaissent aussi le mariage par enlèvement (deizena). Le coupable est condamné envers le père de la jeune fille à une amende comprenant une somme d'argent et un porc (zorimana), et la fille est rendue à ses parents. Mais si l'enlèvement est répété 3 fois de suite, avec paiement des amendes correspondantes, le mariage devient définitif et les parents de la fille perdent leur recours. On voit que la coutume mog s'inspire du même principe, mais que l'inclination de la jeune fille peut s'affirmer à moindres frais.

Enfin il semble qu'à l'époque où nous nous trouvions dans les Hill Tracts, le chef Môrjg de Maniçori, c'est-à-dire la deuxième autorité politique de la société mog, ait été une femme, déjà âgée, et qui détenait le pouvoir depuis de longues années en l'absence d'héritier mâle de son père et prédécesseur. Cependant la « Dame-Chef », comme on disait, avait elle-même un fils qui serait appelé à lui succéder après sa mort. Ces indications jettent le doute sur l'existence de la famille agnatique chez les Mog ; elles semblent confirmées par la règle de succession qui appelle au pouvoir l'aîné survivant de la famille régnante et non le fils aîné, c'est-à-dire que le frère succède au frère avant le fils.

Sur un plan plus psychologique, on est frappé par l'indépendance et l'autorité dont semblent jouir les femmes. Déjà, en 1870, Lewin les décrit comme volontiers provocantes1, et nos informateurs f акта insistaient souvent sur le contraste offert par la société mog avec la leur, et plus encore avec les usages hindous et musulmans. Même en présence d'un étranger, les femmes mog n'hésitent pas à se mêler à la compagnie masculine et à prendre part à la conversation.

Dans la maison de notre hôte, vivait un fils divorcé, et un

1) Ibid., pp. 146-9.

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autre homme jeune, également divorcé, habitait une hutte voisine. Dans les deux cas, le divorce (kuair) s'était fait par la volonté de la femme et sans consentement du mari. Car le divorce par consentement mutuel est prononcé moyennant une amende (razuái) de Res. 30 et celle-ci est simplement doublée s'il n'y a pas accord entre les parties. Dans le deuxième cas que nous avons observé, la femme, qui habite actuellement un autre village, en serait à son cinquième mari. Malgré la position indépendante dont semblent jouir les femmes (ou peut-être, au contraire, en raison de celle-ci) les Mog préfèrent avoir des garçons plutôt que des filles. Comme leurs voisins kuki, ils expliquent que les garçons ont le devoir de prendre soin de leurs vieux parents.

Les Mog sont officiellement bouddhistes, mais leur ferveur religieuse ne semble pas pouvoir s'épuiser dans un seul culte. On observe donc un curieux empilage de croyances, de rites, de pratiques et de spécialisations sacerdotales, qui vont de la religion avouée à des rites locaux ou familiaux plus discrets, et qu'il est nécessaire d'examiner isolément, au risque d'introduire entre tel ou tel d'entre eux des séparations parfois arbitraires. On commencera par les pratiques et les croyances officiellement rattachées au bouddhisme.

Les temples bouddhistes (кЫаг\д) que nous avons pu visiter étaient tous approximativement conçus selon la même formule. Construits sur pilotis, comme les habitations ordinaires, ils comportent aussi les mêmes matériaux : charpente de troncs mal dégrossis et de forts bambous, parois et planchers en bambou refendu et tressé, couverture de chaume. Mais les dimensions sont plus vastes et l'exécution plus soignée. Un temple se compose d'une vaste salle carrée de 10 m. de côté environ, précédée d'une véranda où se font les ablutions et couverte d'une toiture à 2 ou 4 pans, surmontée d'une lanterne, soit à 4 côtés et couronnée d'un toit à 2 pans, soit

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composée de 3 toitures superposées à 4 pans chacune et offrant un aspect caractéristique de pagode.

L'intérieur du sanctuaire présente un tableau désordonné. Au fond, c'est-à-dire du côté de l'est, l'autel est recouvert d'une cinquantaine de statuettes de Bouddha en albâtre, en métal fondu ou, pour les plus luxueuses, en laiton martelé sur forme. Au-dessus, on voit une série de dais superposés, offrandes de fidèles confectionnées à l'aide de lambeaux de cotonnades disparates. A droite, quelques gongs sont suspendus à un bâton horizontal entre deux poteaux. Tout autour de l'autel — et dans la cage même de la lanterne pour les plus longues — pendent des bannières composées d'une bande de tissu rectangulaire ou de fils parallèles, accrochés entre 2 triangles plats en vannerie. Les moines rangent leur matériel de couchage à droite et à gauche de l'autel avec, sur de vieilles caisses et à leur portée immédiate, une collection de petits pots et de flacons contenant vraisemblablement leur pharmacie personnelle. Certains moines s'occupent à sculpter au couteau des statuettes miniatures en os. Le long des murs on voit des chromo-lithographies sous verre illustrant des épisodes de la vie du Bouddha, et une fois, nous avons observé un massacre de cerf accroché à un pilier1. L'ensemble évoque de façon curieuse un mélange de grenier, de kermesse et de chambrée.

En plus du sanctuaire proprement dit, il y a, à l'extérieur, mais immédiatement attenant au bâtiment principal et délimitant ainsi une sorte d'enclos, un ou deux édifices de bambou recouverts de paille, dont l'un paraît servir de salle d'école et l'autre de hangar pour y abriter de fragiles accessoires de bambou et de papiers colorés qui sont exhibés dans les processions.

1) On serait tenté d'en conclure à un usage similaire aux danses de trôtt cambodgiennes, où des volontaires miment une scène de chasse à l'aide d'un accessoire analogue, les aumînes qu'ils recueillent étant destinées à la pagode. Cf. Eveline Porée-Maspero, Cérémonies des douze mois ; fêles annuelles cambodgiennes, Commission des Mœurs et Coutumes du- Cambodge, 1950, p. 24.

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LE SYNCRÉTISME RELIGIEUX D'UN VILLAGE MOG 215

Dans le village du chef Hladuà-rçg, ces 3 bâtiments s'élevaient au sommet d'une butte haute d'une trentaine de mètres, cernée d'une enceinte de bambou à l'entrée de laquelle chaussures ou sandales étaient abandonnées. Il fallait donc gravir la pente pieds nus, ce qui rendait fort nécessaires, en raison de la nature argileuse du sol, les ablutions réglementaires au sommet.

Fig. 2. — Vue générale du 2edi ; à droite, le sar5.r\g

A la base de la butte et à l'extérieur de l'enceinte se trouvait un petit bois au milieu duquel un stupa ou zedi avait été construit à l'orée du sentier menant au temple. Le monument consistait en un monticule de terre de base ' circulaire et s'élevant en 7 degrés concentriques jusqu'à une hauteur de 2 m. 60 environ. Chaque degré était en retrait sur le degré immédiatement inférieur et maintenu vertical par un clayon- nage de branches qui donnait à la terre entassée à l'intérieur la forme requise. Ce corps de construction conique entourait un piquet central qui dépassait de 1 m. 75 environ le sommet du zedi.

Le zedi est situé au milieu d'une double enceinte quadran- gulaire formée de piquets reliés par un grillage de bambous tressés en losanges. L'enceinte intérieure s'ouvre à l'est et à l'ouest par deux arceaux courbés en ogive. L'enceinte exté-

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rieure ne comprend qu'une seule ouverture ménagée dans le grillage, sans ogive, et s'ouvrant à l'est.

A l'ouest de cette enceinte on remarquait enfin un petit pavillon de bambou à claire-voie couvert de chaume qui était, au dire de nos informateurs, un sarâi)g construit à l'occasion d'un deuil récent1.

Les statuettes les plus importantes, en laiton martelé, avaient la tête surmontée d'une coiffure amovible, de même matière, • dont la forme était très exactement celle du zedi conique à 7 degrés, avec cette seule différence qu'au lieu d'être surmontées par une tige verticale, ces coiffures se terminaient par le motif en forme de croissant de flamme symbolisant l'air et l'éther.

Au moment de la fête de bisu, une statuette de Bouddha est placée au sommet du 'zedi, une ombrelle (le plus souvent un parapluie ordinaire) attachée au mât, et des fleurs et des chancelles sont disposées à tous les étages, tandis que la population circule en procession entre les deux enceintes et autour du zedi.

Le personnel bouddhique monastique comprenait deux hommes et deux femmes.

Le moine principal s'appelle hu-qgri ; son assistant, mbv]sa, et les deux nonnes, sudama. Celles-ci diffèrent des moines masculins en ce qu'elles ne vivent pas dans le temple, mais dans une maison écartée du village ; les vœux qu'elles prononcent sont au nombre de 8 au lieu de 10. Mais, comme leurs collègues masculins, elles ont la tête rasée, portent la tenue brun rouge et vivent de la charité.

Quatre garçonnets du village, âgés de 8 à 12 ans, passaient leurs journées au temple où ils rendaient de menus services tels que d'aller puiser l'eau. Ils formaient l'effectif d'une petite école tenue par les moines et aux heures chaudes de l'après-midi, on les entendait jusqu'au bout du village psalmodier leur alphabet. Avec les gongs qui résonnaient au cré-

1) Voir plus loin, p. 230.

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LE SYNCRÉTISME RELIGIEUX D'UN VILLAGE MOG 217

puscule, c'étaient les seuls signes d'activité qui provenaient du temple dissimulé aux regards derrière les arbres de sa colline.

Il arrive qu'un prêtre disparaisse dans la jungle pour s'y livrer à la méditation. Il ne prévient personne de son intention et ne laisse aucune indication de la direction qu'il a prise. Il

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1 2760

Fig. 3. — Le ~zedi. Élévation et plan

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reste dans sa retraite, sans boisson et sans nourriture, jusqu'à ce que les habitants du village, anxieux d'avoir perdu leur prêtre, le découvrent et lui apportent des offrandes pour l'inciter au retour. Cette retraite au cœur de la forêt s'appelle tôtoté ; on croit que, tant qu'elle dure, le moine est à l'abri des attaques des animaux féroces (principalement tigre, panthère et ours) qui sont très abondants dans ces parages.

En dehors de ces circonstances exceptionnelles, les moines ne sortent jamais du temple. Chaque famille offre aux moines, au moment de la récolte, 1 seer (1 kg.) de riz. Deux fois par jour, à l'aube et au coucher du soleil, les femmes du village vont leur porter les offrandes de nourriture de chaque maisonnée. Mais pour paraître choyés, ils n'en sont pas moins jalousement surveillés. C'est ainsi que, pendant notre séjour, le village s'était indigné qu'ils laissassent pousser des plants d'ananas sur les pentes de la butte au sommet de laquelle était édifié le temple, pour la raison que « des moines ne doivent pas avoir de jardin ». Ainsi rappelés à l'ordre, ils avaient fait arracher tous les plants, qui pourrissaient entassés au pied de l'enceinte consacrée.

En cas de décès, un nouveau moine peut être fourni par le monastère voisin de Sitmaruvjg, ou par une association monastique qui s'étend à l'ensemble du territoire de Chitta- gong. Il semble que 3 sectes se partagent les zones d'influence, l'une originaire d'Assam, une autre de Birmanie, la troisième rattachée plus étroitement à la ville de Shillong.

* *

Un autre aspect de la vie religieuse apparaît dans le culte domestique de Sumale.

Au-dessus de la porte menant à l'alcôve du maître de la maison où nous résidions, et placé directement sur l'entrait, se trouvait un objet dont nous commencerons par donner la description.

Il s'agissait d'une sorte de natte à claire-voie, tressée en

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culte domestique de sumale
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LE SYNCRÉTISME RELIGIEUX D'UN VILLAGE MDG 219

échiquier avec des lattes de bambou, et formant une claie quadrangulaire de 40 cm. de côté composée de 7 éléments dans chaque sens. Sur cette claie s'élevaient deux constructions, également en bambou, dont chacune occupait en surface un carré de 3 cellules par côté à partir du même bord.

Celle de gauche (en regardant la claie posée horizontalement sur l'entrait et tel qu'elle se présentait aux habitants de la maison) avait la forme d'un pylône quadrangulaire

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Fig. 4. — Autel de Sumale vu de dessus (à gauche) ei de profil (à droite)

d'environ 40 cm. de hauteur et 16 cm. de côté, formé d'un axe de bambou maintenu vertical par 4 lattes obliques s'insérant, à la base, dans le tressage de la claie et reliées à la tige centrale au sommet. Un lambeau d'étoffe entourait la partie sommitale.

La construction de droite occupait la même surface de 9 cellules sur le même côté et au coin opposé de la claie ; elle était formée de 3 lattes parallèles s'insérant aux deux extrémités dans le tressage de la base et s'élevant dans leur partie médiane pour former une voûte, haute au sommet de 15 cm. environ, donnant à la figure l'aspect général d'une sorte d'arceau profond ou de court tunnel. Les 3 lattes incurvées étaient maintenues en place, et parallèles entre elles, grâce à un tressage sommaire en zig-zag.

L'ensemble se présente donc comme une claie de vannerie sur le même bord de laquelle s'élèvent deux figures d'approxima- tivement même volume, mais dont l'une a la forme d'une pyramide effilée et l'autre d'une voûte ou d'une masse arrondie (car

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il n'est pas certain que la figure soit intentionnellement creuse). Cet objet désigné comme Sumale sât], « autel de Sumale »,

est employé dans le culte d'une divinité ou, plus exactement, d'un couple de divinités. La figure de gauche (la pyramide) est appelée « maison de Sumale Moghi », celle de droite (masse arrondie) « maison de Sumale ». A l'inverse de ce qu'on aurait pu croire d'après la forme des deux figures, qui évoquent respectivement le linga et le yoni, les indigènes affirment que la figure de droite représente un dieu. Ils sont moins précis sur le sexe de celle de gauche, que notre interprète fakma n'hésitait pas, lui, à considérer comme une déesse, en invoquant un culte analogue de sa tribu adressé à une divinité bisexuée, СитиШ-цд, qui sanctifie le mariage moyennant un sacrifice obligatoire d'un porc et de 3 coqs.

Le même interprète citait aussi les cultes çakma du dieu Saraliia et de la déesse Kormesuri, le premier invoqué avant d'aller en forêt pour obtenir sa protection contre le danger, la seconde présidant au karma de chaque individu et gardienne du foyer.

Chez les Mog, Sumale protège les champs de paddy, la récolte de riz, la paix du foyer. Sumale Moghi combat les fantômes et les esprits malfaisants. L'image de la double divinité est descendue seulement 3 fois par an : au début de l'année, c'est-à-dire en avril-mai ; à l'occasion d'un mariage ; ou quand un bébé atteint 3 mois, pour la cérémonie d'imposition du nom. A ces occasions, on sacrifie 1 porc, 3 coqs, et autant de coqs supplémentaires que la famille compte de membres. Sumale est alors transporté dans la chambre du maître de maison où ce dernier peut seul pénétrer. Le saint objet est placé au centre d'un autel entouré d'autant de tronçons de bambou que la famille compte de membres ; dans chacun de ces vases improvisés on met une tige de la plante negresin (non-identifiée)1.

1) On comparera avec les autels cambodgiens où des tronçons de tige de bananier paraissent jouer le même rôle de vase ou de support, cf. E. Porée-Maspero, /. c, p. 11-12.

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Le Sumale sar\ est l'objet d'une crainte respectueuse. Il n'a pas été possible d'obtenir qu'il fût descendu de son poste élevé pour permettre de le photographier. Le chef du village objecta que Sumàle n'était déplacé que pour recevoir des offrandes et qu'il pourrait s'irriter de ce transport intempestif. A notre proposition de faire au dieu une offrande extraordinaire il fut répondu (sans doute dans l'espoir de décourager cette initiative) qu'elle ne coûterait pas moins de 10 roupies pakistani (soit 1.000 francs français) et comme cette estimation était acceptée, le chef de village s'enfonça dans une longue méditation au terme de laquelle il rejeta le projet pour la raison que trois circonstances seulement justifiaient la descente de Sumale et qu'il ne pouvait en ajouter une quatrième. Pourtant, quand nous quittâmes le village et que nous voulûmes offrir à notre hôte une somme d'argent à titre de dédommagement, il refusa d'abord avec beaucoup d'indignation : il ne pouvait rien accepter d'un invité. Et c'est seulement à titre d'offrande à Sumale, destinée au prochain exercice du culte, qu'il consentit finalement à recevoir le présent.

Interrogé sur le culte de Sumale, le principal moine bouddhiste se déroba avec un sourire gêné et indulgent.

Le culte de Sumale a une relation, restée obscure, avec une méthode pour tirer des présages en lançant en l'air deux feuilles de bambou. Le présage est favorable quand une feuille tombe à l'endroit et l'autre à l'envers.

Aux 3 types de fonction religieuse remplies respectivement par le moine, la nonne et le chef du culte domestique, s'en ajoutent plusieurs autres qui participent à des degrés divers de la religion et de la magie.

Le naisera nous a été décrit comme un prêtre ; mais il n'a pas été possible d'en savoir davantage, car il n'y avait aucun représentant de cette fonction dans notre village.

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Le sisema traite les maladies par des herbes médicinales, des incantations et une technique de soufflage. Il prépare aussi des talismans. Ces diverses fonctions l'apparentent au boido bengali ; et c'est d'ailleurs sous ce nom que son équivalent opère chez les Sakma. Un de ces spécialistes vivait dans le village, mais il était absent au moment de notre séjour.

Le hofdai est un astrologue et un chiromancien ; <c il connaît tout le passé et tout l'avenir ». Nous avons pu consulter l'un d'eux. C'était un homme d'une cinquantaine d'années, les reins ceints d'un lungi bleu vif qui contrastait avec les teintes plutôt ternes des vêtements portés par les autres habitants du village, et qui arborait une vieille paire de lunettes quand il exerçait son office. Il avait, nous a-t-il raconté, commencé sa carrière comme prêtre bouddhiste et avait renoncé à ses vœux à l'âge de 38 ans. Il voulut bien tirer notre horoscope et nous donner une consultation physio- gnomique et des lignes de la main. Il s'aidait à cette occasion d'une petite ardoise du type vendu dans les bazars pour les enfants des écoles, et de deux manuels illustrés, imprimés en birman, littérature de colportage publiée vers le début du siècle. L'horoscope paraissait être tiré, non en fonction des astres (bien que les indigènes donnent l'étymologie de hordai par (skr.) horâ : « astronome »), mais plutôt d'un calcul numé- rologique utilisant le millésime de l'année de naissance, le numéro d'ordre du mois, la date dans le mois et le numéro d'ordre du jour de la semaine, arrangés en carrés de 4 ou 9 chiffres. Pour l'analyse physiognomonique et des lignes de la main, le hordai se reportait constamment, et sans gêne aucune, aux illustrations de ses manuels où il cherchait à reconnaître son sujet. Les résultats de la consultation furent des plus sommaires, présentés avec beaucoup d'hésitation, de timidité et même, semble-t-il, d'anxiété, le hordai craignant, disait-on, que son client ne se mît en colère si ses révélations ne correspondaient pas à la réalité.

Il subsiste une certaine incertitude sur la relation exacte

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entre le hordai et un autre type de magicien, le tuarsdma. Celui-ci est aussi décrit comme un astrologue ; il détermine le type de sacrifice convenable en cas de fièvre, fracture, indigestion ou colique ; c'est lui, aussi, qui recherche ce que veulent les dieux et les esprits qui manifestent leur insatisfaction par des actes d'hostilité envers tel ou tel. Le luarsdma semble donc jouer un rôle capital dans la société mog ; pourtant les indigènes le placent nettement au-dessous du hordai qui remplit des missions analogues, telles que déterminer le jour favorable à la célébration d'un mariage. Par rapport au hordai, le luarsdma est, nous a dit un informateur cultivé, « comme un maître d'école comparé à un professeur d'université ». Aucun luarsdma ne se trouvait dans le village au moment de notre visite, mais il semble qu'il en existait un, installé à faible distance de l'agglomération principale.

La détermination des présages n'est d'ailleurs pas un privilège de spécialistes. Nous avons signalé le procédé des feuilles de bambou, employé par le chef de famille pour le culte domestique de Sumale. Aussi, dans le rituel du mariage et quand l'accord de principe est réalisé entre les parents, le prétendant vient chercher la jeune fille, porteur de 3 bouteilles de bière de riz. Mais avant la cérémonie proprement dite, les fiancés passent encore une nuit dans leurs demeures respectives et racontent leurs rêves au réveil. Si ceux-ci sont favorables (akôt] ima mraré), le mariage est célébré. En cas de rêves défavorables (тако-ц ima mraré), la cérémonie est remise.

*

Moines, nonnes, chefs de culte familial, devins, sorciers, astrologues et guérisseurs remplissent autant de fonctions permanentes. D'autres activités religieuses ou rituelles offrent un caractère périodique, soit qu'elles se trouvent liées à des dates fixes, soit qu'elles accompagnent certains passages de la vie individuelle, ou qu'elles s'exercent enfin de façon intermittente. Ces diverses manifestations sont, sans doute,

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d'autres activités rel ou rituelles
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224 REVUE DE L'HISTOIRE DES RELIGIONS

beaucoup plus nombreuses que celles que nous avons observées ou dont nous avons recueilli les indices. Il s'agit d'abord des fêtes calendaires.

La fête de bisu (terme fakma ; bengali boisakh : « avril- mai ») dure trois jours avant, et trois jours après, le début de la nouvelle année. Elle comprend les journées suivantes :

fui bisu : « bisu fleur » ; mul bisu : « bisu vrai », « bisu de la racine » ; gurza : « on roule par terre mais on continue à boire » ; purza : « on tombe et on est forcé de s'étendre ».

La fin du mois d'avril et la première partie du mois de mai sont occupées par des visites rendues de maison à maison.

La fête principale a lieu au sanctuaire de Mahamuni situé à Thannah Rajoan dans le district de Chittagong. Elle a été observée par T. H. Lewin1 qui a décrit l'attitude agressive des jeunes hommes à l'égard des femmes dans le temple, les chants alternés entre les deux sexes et les rapprochements qui se produisent sous la protection nocturne. D'après nos informateurs, tous ces caractères subsisteraient et le sanctuaire n'attirerait pas moins d'un millier de fidèles chaque année.

Des fêtes secondaires ont lieu dans chaque village autour du zedi ; le petit bois qui se trouve à son voisinage serait le théâtre d'intrigues amoureuses. En fait, le bisu constituerait la seule occasion officielle où les jeunes gens jouiraient d'une certaine liberté, en raison de la garde sévère montée par la mère autour de ses filles. Il ne semblait pas que, dans notre village tout au moins, on connût l'usage du кЩа-цд comme maison de célibataires placée sous la direction d'un chef de la jeunesse"

(goung), qui a été signalé également par Lewin2. La fête des jums (bor\ ma ou bof\ nai) est célébrée au mois

d'août. La cérémonie principale paraît consister en une

1) T. H. Lewin, Wild Races, pp. 111-114 et pp. 123-125. 2) Id., p. 119.

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interdiction (ât\) du village dont il est défendu aux habitants de sortir, et où les étrangers ne peuvent pénétrer, depuis un moment fixé à 3 ou 4 heures de l'après-midi jusqu'au lever du soleil le lendemain : hrua ma ца-ц rarríhó « il est interdit d'entrer dans le village ». Au moment de notre visite, la fête avait été récemment célébrée et nous avons pu voir, toujours en place, le piquet planté au centre du village, devant la maison du chef, et les 4 piquets disposés à la périphérie aux 4 points cardinaux, délimitant l'enceinte de 28 fils de coton enroulés autour du village pour définir l'aire tabouée. Cette enceinte s'appelle kreuainré, et les piquets uâ. Chaque piquet de bambou est fendu au sommet de deux entailles perpendiculaires et les 4 bouts libres ainsi dégagés sont écartés vers l'extérieur pour servir de support à (et maintenir en même temps par pression) une coupe en poterie (sïmin kuôk) contenant une offrande de riz et de l'huile où trempe une mèche allumée pendant la nuit tabouée. A côté de l'un au moins des piquets on remarquait, à demi enfoui dans le sol, un couvercle de marmite en poterie sur la face interne duquel avait été légèrement gravé, à la pointe d'un couteau, un motif carré découpé, par 2 perpendiculaires élevées au milieu de chaque côté, en 4 champs carrés, dont chacun portait inscrit un autre carré reposant sur un sommet. Dans chaque case (40 pour le cadre, 17 pour la croix centrale, 9 pour chacun des 4 carrés inscrits, soit au total 93) se trouvait tracé un signe graphique, mais de façon trop cursive (et déjà trop effacé par l'humidité du sol) pour qu'il fût possible d'en faire le relevé. Cette figure appelée maindra (faut-il entendre mantra ?) était l'œuvre d'un boido, terme bengali et fakma correspondant au mog : Jisema1.

L'étranger qui franchirait la limite pendant la période du tabou serait condamné à rembourser au village tous les frais de la cérémonie, notamment le considérable métrage de fil nécessaire à l'établissement de l'enceinte.

1) Cf. p. 222. 15

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Lewin fait, à plusieurs reprises, allusion à la même cérémonie sous le nom de khang. Chez les Toungtha (nom collectif pour les tribus des montagnes) elle serait célébrée en cas d'épidémie, constituant ainsi une sorte de quarantaine ; le village est cerné d'un fil pendant trois jours. Il ajoute que,

chez les Mru, le même rite serait accompli au mois de juillet quand le riz atteint la maturité1 ce qui se rapproche davantage de nos observations. Les Sakma nous ont indiqué qu'en cas d'épidémie de choléra, ils interdisaient l'entrée du village par le moyen d'un piquet symbolique. Celui qui passerait outre serait assommé.

A propos des Mro, un autre observateur ancien a noté le tabou du village en cas de mort violente ou en couches, d'incendie, de construction d'un nouveau village, d'épidémie, enfin « quand le riz est déjà assez haut... pendant sept jours ». Toute personne contreve

nant au tabou serait mise à l'amende2. Au bord du ruisseau de part et d'autre duquel était cons

truit le village et à la sortie de celui-ci du côté de l'aval, s'élevait, sur la rive gauche, une petite construction haute de 1 m. 50 environ. Elle consistait en 8 piquets de bambou plantés en carré grossièrement assemblés au sommet et surmontés d'un cône de paille, le tout rappelant l'aspect d'une habitation ou plus vraisemblablement (en raison de l'élévation du toit) d'un temple. Deux piquets isolés s'élevaient à côté l'un de l'autre et à 1 m. environ de la construction prin-

Fig. 5. — Autel de la rivière

1) T. H. Lewin, /. c, pp. 196-7 et 236. 2) R. F. St. Andrew St. John, A short account of the Hill Tribes of North

Acaran, Journal of the Royal Anthropological Institute, vol. 2, 1873, p. 240.

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cipale. Cet édifice s'appelle sàrigpozoré (« autel de la rivière » ? cf. p. 220, sumale sôt), « autel de Sumale »). On y dépose des offrandes de fleurs destinées à la rivière au mois d'avril, c'est-à-dire au début de l'année bengali, et en cas de maladie.

Pendant la saison sèche on élève aussi le long des rivières des petits stupas (zedi) de sable, hauts de 20 à 30 cm.

En plus des maisons du type habituel que nous avons décrit, on remarquait, en plein centre du village, une hutte de conception beaucoup plus grossière. C'était une sorte d'abri dont la charpente était faite de branches courbées en arceaux et recouverte de paille, sans murs par conséquent, et haut d'environ 1 m. 40. Cet édicule est une « maison du tonnerre », modoin kho, destiné à servir de refuge à ceux qui craindraient, en cas de tempête ou de cyclone, que leur maison ne s'effondre sur eux. Cet abri semblait régulièrement entretenu ; or, au dire même des habitants, nul n'avait eu l'occasion d'en utiliser de semblable depuis cinquante-deux ans, car aucun cyclone n'était survenu depuis cette époque. Bien que nos informateurs aient toujours défendu une interprétation strictement utilitaire de la « maison du tonnerre », on peut se demander si elle ne possède pas aussi une fonction magique ou religieuse, liée directement ou indirectement à sa destination avouée, et qui expliquerait la" ténacité de l'institution en l'absence de toute utilisation pratique pendant plus d'un demi-siècle.

D'autres cérémonies accompagnent enfin le déroulement de l'existence individuelle ou celui de la vie collective.

Sur le toit de deux maisons du village on apercevait un pot de terre du type habituellement employé pour puiser l'eau. Ce pot appelé maira figure dans une cérémonie célébrée quand un nouveau-né atteint l'âge de 3 mois (on a déjà vu qu'un autre rituel est célébré au même moment devant l'autel de Sumale). Le père prend une lance (Qlain) à l'aide de laquelle il enfonce un écheveau de fil dans le pot qu'il crève du même

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coup. La mère recueille le fil tandis qu'un homme (qui n'est pas le père et qui ne semble pas avoir une relation de parenté prescrite avec l'enfant) grimpe sur le toit et fixe le pot dans la couverture de chaume à l'aide d'un bambou traversant le trou du fond, juste au-dessus de l'endroit où se trouve le berceau (sorte de panier suspendu à la charpente par deux longues cordes). On recommence la cérémonie en cas de

maladie de l'enfant, et le pot est laissé en place jusqu'à ce que les intempéries le brisent ou le fassent choir, que l'enfant ait ou non survécu. Les deux pots que nous avons observés avaient été placés, l'un pour un enfant âgé de 8 mois au moment de notre visite, l'autre pour un enfant mort quelque temps auparavant.

Les Mog incinèrent les morts, sauf les victimes du

choléra et les enfants qui n'ont pas encore percé leurs dents. Ces deux dernières catégories sont enterrées dans un cimetière (saf]ki) situé à l'orée du village. A l'inverse des Kuki qui nous ont laissé pénétrer sans difficulté dans un cimetière où venait d'avoir lieu une inhumation, et même photographier les offrandes de fil et de nourriture disposées sur des échafaudages de bambou devant la tombe, les Mog nous ont obstinément refusé l'accès de leur cimetière. L'esprit gardien aurait pu se mettre en colère et faire mourir les enfants du village.

Quand un décès se produit, le cadavre est veillé par les parents qui frappent continuellement sur des gongs pour chasser les esprits. Il est ensuite baigné, habillé de neuf, parfumé ; la veillée funèbre comporte 7 repas de riz offerts

Fig. 6. — Pot consacré sur un ioit

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IE SYNCRÉTISME RELIGIEUX D'UN VILLAGE MDG 229

par le conjoint survivant. Les défunts importants sont placés sur un char (skr. ralha) dont la carrosserie est en forme d'habitacle (les Sakma l'appellent radhaghor) orné de guirlandes et de banderoles. Chez les Sakma comme chez les Mog, le cortège se divise en deux camps, qui tirent chacun de leur côté sur les cordes du char jusqu'à ce que l'un d'eux l'emporte et traîne le corps jusqu'au cimetière. Ces deux camps, dont Lewin qui décrit déjà cette cérémonie, affirme qu'ils symbolisent les bons et les mauvais esprits1, peuvent être différemment formés : gens mariés contre célibataires, garçons contre filles, clan contre clan, équipes représentant deux villages, etc. La lutte s'appelle en mog radhanânré, et en fakma : dori ianalani « tirer la corde ». Elle s'accompagne de chants dialogues (kdi p\à) entre garçons et filles. Quand le char arrive au cimetière, le corde est coupée. Le cadavre est alors placé, la tête dans la direction du nord, sur un bûcher à 3 étages pour les hommes et à 4 pour les femmes. La raison de cette différence serait de rendre aux femmes, préposées au charriage du bois de chauffage pendant leur vie, un hommage supplémentaire : « elles pourraient trouver que le chiffre 3 est insuffisant ». Lewin, qui se fait aussi l'écho de cette rationalisation, donne le même chiffre pour les Mog et en indique d'autres pour les Sakma : 5 étages pour les hommes, face à l'est, et 7 étages pour les femmes, face à l'ouest. Mais la prééminence reste aux femmes dans les deux groupes2.

Le bûcher d'un homme marié est allumé par le fils aîné, à défaut par la veuve ; et par le mari, à défaut par le fils aîné, si le défunt est une femme. L'emplacement est abandonné quand le bûcher a fini de se consumer, mais le lendemain, les parents reviennent visiter le site pour inspecter les traces humaines ou animales (tigre, chien, enfant) qui révèlent la nouvelle incarnation du disparu. On dispose alors les

1) Lewin, /. c, p. 185. Cf. aussi Shway Yoe, The Burman : his life and notions, London, 1910, p. 592, où les deux camps échangent les répliques : «We must bury our dead » — « You shall not take away our friend. »

2) Lewin, /. c, id. En fait, on reconnaît transposée la croyance chinoise en l'inégalité du nombre des esprits vitaux chez l'homme et chez la femme.

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offrandes de riz. Le septième jour qui suit les obsèques, les parents (qui se sont abstenus pendant la période intermédiaire de fruits astringents comme le tamarin, et de certains légumes comme le gombaut et l'arum, — chez les Sakma, la prohibition porte sur la viande et le poisson) invitent le village à une fête donnée dans un pavillon construit spécialement à cette occasion et orné de fleurs et d'oriflammes, le sarai (en çakma, sarârig ghor). Ces pavillons (dont deux s'élevaient dans notre village, l'un à l'entrée et l'autre près du "zedi) mesurent environ 3 m. sur 2 m. Ils sont surélevés sur piquets de bambous et les murs sont faits de nattes tressées en losanges à claire-voie. Jusqu'à ce que les intempéries les aient complètement détruits, ils sont laissés à la disposition des voyageurs de passage qui peuvent y chercher un abri pour la nuit.

Une question assez délicate se pose à propos de ces sarai. Quand nous nous sommes enquis auprès de nos informateurs çakma de l'existence de maisons de célibataires dans la région, ils nous ont affirmé que l'institution était inconnue chez eux, mais que les Mog la possédaient sous la forme des sarârig ghor, ce que d'ailleurs les Mog devaient absolument contester puisque les sarai (comme, d'ailleurs, ce nom l'indiquerait s'il correspondait au terme analogue en indo-urdu) ne servent, selon eux, qu'aux gens de passage. Or Lewin, il y a près d'un siècle, avait observé des maisons de célibataires dans les Hill Tracts, mais il affirmait que, chez les Mog, le temple bouddhiste en tenait lieu. La question devrait donc être reprise, et les résultats d'une enquête systématique seraient sans doute moins négatifs que notre trop rapide passage, à un moment de l'année spécialement défavorable à la vie collective, pourrait le suggérer.

On a vu que les Mog croient à la réincarnation sous une forme humaine ou animale selon le karma de chacun ; les moins méritants iraient dans la terre où ils survivraient sous forme d'insectes, de vers ou encore de fantômes. Il est donc naturel d'envisager ici la croyance aux esprits (§ïsi). Il en existe un répertoire considérable, que les quelques noms qu'on

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nous a cités n'épuisaient certainement pas : le fantôme à 4 yeux, saipa ; le fantôme à 2 yeux, ruka, qui possède ses victimes ; et le plus périlleux de tous, le fantôme sans tête et aux yeux placés sur les épaules, risu. Ces fantômes agissent spontanément, mais on peut aussi enrôler leurs services par des opérations d'envoûtement (prurê) pratiquées à l'aide d'un crâne de singe (d'une façon générale, le singe paraît être considéré comme une bête maléfique : apercevoir la face d'un singe porte malheur ; pour cette raison, on n'en rencontre jamais élevés comme animaux familiers). Le fantôme ruka semble préposé à martyriser la victime ainsi désignée : il lui dérobe son oreiller au moment où elle veut y poser la tête, substitue des excréments à son riz, lui fait vomir des excréments, etc. Il ne sert à rien d'injurier : le fantôme se piquerait au jeu et ferait pis encore.

Nous avons fait allusion à la possession (sisikoiré). Il n'a pas été possible d'en obtenir une description aussi précise que celle fournie par un observateur fakma, mais peut-être la même cérémonie existe-t-elle chez les Mog. Les Sakma célèbrent une fête d'offrandes (morabád děna, terme dont l'origine urdu paraît certaine) en l'honneur des morts des 10 ou 20 dernières générations. Un plat de riz est solennellement présenté à chaque défunt à l'appel de son nom. De temps en temps, on voit un homme, une femme ou un animal (chien ou porc) tomber par terre et se rouler dans des convulsions. On en conclut que la victime de cette possession est la réincarnation du défunt dont le nom vient d'être appelé, et c'est elle qui reçoit l'offrande. Jadis, 200 à 500 personnes prenaient annuellement part à cette cérémonie pour chaque gusti (c'est-à-dire golra ; l'informateur a donné le terme gusti plutôt que celui de goza noté avec le même sens par Lewin1), mais comme les Sakma comptent une trentaine de lignées, les frais sont si élevés que ces célébrations n'ont plus lieu que tous les cinq ans.

1) Id., p. 167-8.

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Nous terminerons par quelques observations dispersées. Les relations sexuelles sont prohibées les nuits de nou

velle lune, la 8e nuit après la nouvelle lune, et pendant la pleine lune1.

Seuls ceux qui sont nés un mardi ou un dimanche ont le droit de tuer les pythons. La raison donnée est que le dimanche est le jour de l'oiseau Gurur, serviteur de Vishnou tueur de serpents, et que le mardi est, d'une façon générale, le jour faste par excellence.

La consommation du bétail est prohibée, à l'exception de la viande de buffle ; le lait n'est ni trait, ni consommé.

Le chef de village avait en sa possession deux manuscrits anciens et passablement attaqués par la moisissure, auquel il attachait un prix considérable, mais que seul le hordaj, semblait capable de lire. L'un, sur feuilles rectangulaires de papier indigène enduit et teinté en jaune, était, nous fut-il dit, une histoire remontant à l'origine du monde et intitulée tha duâ-qg, en écriture ruài)g (c'est-à-dire en arakan) ; l'autre était un coutumier birman sur feuilles de palmier, intitulé dhďma sai.

Un soir, on organisa en notre honneur une représentation théâtrale du type connu dans la région sous le nom de « danse pankho », ce dernier terme semblant sans relation avec le même mot désignant une division des Kuki qui vivent plus au nord-est. A la nuit tombante, un orchestre s'installa sur la terrasse de la maison du chef, au fond et le long de la salle des hôtes. Ils consistait en un harmonium portatif du type qu'on rencontre dans les villages du Bengale, dont le soufflet est actionné par la main droite et le clavier par la main gauche ; une paire de tambours en poterie ; et une paire de cymbales de laiton dont l'une affectait la forme d'une clochette sans

1) C'est-à-dire 3 sur 4 des ubonê « jours de devoir » birmans. Cf. Shway Yoe, l. c, p. 217.

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battant. Deux hommes et un enfant (le cymbaliste) avaient la charge de ces instruments, mais tous les garçonnets du village se disposèrent à leur droite sur deux rangs, comme s'ils étaient les figurants muets d'un orchestre plus nombreux. Pendant ce temps les acteurs, qui devaient jouer dos à l'orchestre, se préparaient dans la salle commune ; c'étaient 3 garçons adolescents de 15 ou 16 ans, qui, aidés par quelques spectateurs, se costumaient avec grand soin (changeant même longuement de costumes entre les scènes) avec des perruques, fausses barbes et moustaches, et des habits brodés et pailletés, de facture grossière et commerciale, provenant sans doute d'une friperie de Calcutta par l'intermédiaire de quelque colporteur.

L'action se déroulait au pays de kasingdra. C'était l'histoire du roi Brahmada (où les Sakma reconnaissent Brahma- dutta, le souverain légendaire de Kaçi, l'actuelle Bénarès) et de la reine Konzena devï qui se lamentent, à la première scène, d'être privés de descendance. Après une deuxième scène où le roi s'irrite contre son premier ministre incapable de remédier à cette triste situation, il se décide à suivre son conseil, qui est de faire appel à un fameux brahmine de Bénarès. Celui-ci explique au roi qu'il doit pour toucher les dieux, abandonner son royaume et se retirer avec la reine pendant trois ans dans les montagnes de l'Himalaya. Le roi offre au brahmine Res.1 5 en remerciement, qu'il porte aussitôt à Res. 50 devant l'indignation du saint homme. Les souverains se transforment en ermites et Indra s'émeut de leur prière (« le trône d'Indra devient chaud », dit notre informateur f акта qui traduisait au fur et à mesure, en anglais, le compte rendu du texte birman que le chef du village lui donnait en bengali). Il exauce leur vœu, et la reine donne naissance à un fils Paia- mausa qui grandit pendant douze ans dans la solitude en accomplissant de hauts faits. Il rencontre plus tard 7 jeunes filles dont il épouse la cadette Krâpru qui, seule, a le doigt assez fin pour porter son anneau. Suivent alors des épreuves : Krâpru est enlevée par le géant Ghandârakafulu et reconquise

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par son époux, et elle le sauve à son tour, par ses prières quand celui-ci tombe victime d'un faux prêtre qui assume son apparence physique pour le remplacer auprès de sa femme. Finalement, l'enfant miraculeux retrouve le trône de son père, mort dans l'intervalle après être devenu aveugle, et se fait reconnaître par sa mère.

Les rôles étaient mal connus et au bout de deux heures environ, les acteurs, qui paraissaient avoir fort peu de conviction, abandonnèrent la partie. Chaque scène se déroulait sur le même modèle : jeu réduit à des gestes rares, les acteurs tenant généralement le bras droit à demi fléchi, la main à la hanche laissant flotter un mouchoir, et scandant d'un pas glissé une mélopée de quelques notes qui était la même pour tous les protagonistes et pour chaque élément prosodique du texte1 :

Voix et harmonium Harmonium seul

Les préposés aux tambours et aux cymbales accompagnaient avec négligence et irrégulièrement. Le plus souvent, ils étaient occupés à bavarder avec leurs voisins.

Aucun des usages et croyances qui ont été décrits ici ne semble présenter une originalité marquée par rapport à ceux déjà signalés chez d'autres populations de l'Asie du Sud-Est. Les pratiques bouddhistes des Mog sont étroitement apparentées à celles de la Birmanie et de l'Assam, comme aussi leur prédilection pour les astrologues et autres tireurs de sorts ; certaines croyances ont été empruntées à l'hindouisme ; et le

1) II est curieux de comparer ce thème avec celui d'un kaya-than, chanson à la mode en Birmanie vers 1910 (citée par Shway Yoe, /. c).

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culte de Sumale, qui mériterait une enquête plus approfondie, doit sans doute être rapproché Ses rites célébrés par certaines populations de l'Asie du Sud-Est devant des maisons en miniature construites pour les esprits1.

Si les coutumes mog méritent de retenir l'attention, c'est donc moins à cause de leur contenu propre qu'en raison de l'intensité du sentiment religieux dont elles témoignent et du syncrétisme dont elles apportent une illustration si variée. Les Mog, comme les autres tribus des Chitlagong Hill Tracts, se situent au carrefour de rencontres multiples, à la fois raciales et culturelles. Le type physique relève de l'Asie du Sud, mais il évoque aussi les montagnes du Nord et la plaine du Gange ; les conquérants musulmans, les pirates portugais qui se sont succédé à l'estuaire de la Karnafully, n'ont pas été sans laisser également leur marque. Sur le plan religieux, l'hindouisme, le bouddhisme et l'Islam se sont superposés à des croyances plus anciennes qui, mieux encore ches les Kuki que chez les Mog, sont parvenues à se maintenir, contribuant avec ces dernières à la formation d'un syncrétisme religieux d'une extrême richesse- et d'une frappante diversité. Comme on voit, à Rangamati, les jeunes bouddhistes aider avec enthousiasme à la procession de la déesse Kali, sous l'œil bienveillant de leurs moines qui ne dédaignent pas d'assister au spectacle, de même il semble qu'un peu partout dans ces montagnes, les rites les plus hétérogènes soient parvenus à se fondre en un tout relativement harmonieux. Plus exactement, ils ont réussi à s'articuler en une sorte de système, dont nos observations trop brèves ne réussissent à donner qu'une idée fort incomplète. Selon qu'on considère telle ou telle forme de la pensée magique ou religieuse et des manifestations qui s'y rattachent : culte collectif et culte familial, sacrements, rites calendaires et de passage, fêtes sacrées et profanes, vocations, envoûtements et exorcismes, etc., c'est tantôt vers le bouddhisme, tantôt

1) Yale University, Southeast Asia Studies, Ethnic Groups of Northern Southeast Asia, 1950, p. 16. Rev. H. I. Marshall, The Karen People of Burma, Ohio State University Bulletin, vol. 26, n. 13, 1922, p. 259.

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vers l'hindouisme, tantôt enfin vers des croyances plus primitives, mais non moins vivantes, qu'il convient de se tourner.

D'autre part, la complexité de la vie religieuse contraste de façon fort émouvante avec la parcimonie des moyens matériels dont disposent les indigènes. Nous avons insisté sur l'aspect misérable de notre village ; il faudrait ajouter que l'apparence physique des habitants était plus affligeante encore, en raison des maladies qui sévissent dans la région : tuberculose, syphilis, choléra, dysenterie, malaria et kalazar. La sous-alimentation ajoute ses ravages : non seulement les cultures à flanc de collines (jum) ne permettent qu'une récolte tous les cinq ans pour chaque brûlis, mais encore elles risquent chaque année d'être envahies par un saccharum tenace, la « sunn grass » qui rend toute exploitation impossible pendant un quart ou un demi-siècle. Une bonne partie des terres sont, pour cette raison, de façon permanente, hors d'usage. Les habitants de notre village se contentaient de deux repas par jour, composés d'une petite quantité de riz et de quelques légumes (courges et melons). en ragoût; ils disaient ne manger de viande ou de poisson- qu'une ou deux fois par mois. Et même ce régime de famine paraissait excéder leurs moyens, puisqu'il n'arrivaient pas à échapper à l'exploitation des boutiquiers de bazar et des usuriers. L'un de ces derniers était installé à demeure dans ce village famélique de moins de 200 habitants ; il fallait donc qu'il parvînt à en extraire encore quelque substance.

Et pourtant, ce n'est pas seulement un usurier que les 180 administrés du chef Hladuâvjg parvenaient à entretenir, mais aussi leurs chefs temporels, villageois, claniques et tribaux (sans compter l'administration provinciale) et surtout, pas moins de 6 espèces différentes d'intermédiaires avec le monde surnaturel, certains représentés à plusieurs exemplaires. Les lieux du culte ont aussi tendance à se multiplier : temple, stupa, autel familial, autel de rivière ; sur le toit des maisons comme aux abords du village, les vestiges respectés d'actes rituels attestent partout la présence du sacré.

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Toute cette vie religieuse paraît néanmoins dominée par un rythme majeur : celui qui, au printemps, vide les villages au profit de la grande kermesse régionale de Mahamuni et qui, à l'automne, les éloigne dans un isolement aussi jaloux que momentané, lors de l'austère fête de la clôture. Rythme lié, dans les deux cas, à la vie agricole puisqu'il marque l'approche des pluies et leur fin, la plantation des rizières et la récolte ; mais qui associe aussi la fécondité des champs à celle des femmes. Au moment de bisu, c'est le mélange des villages autour du sanctuaire commun et c'est aussi le mélange des sexes, car il n'est pas douteux que le bisu fournisse, en même temps que l'occasion des rencontres et des mariages, celle de rapprochements plus fugitifs mais dont la valeur symbolique et l'efficacité magique ne sont pas moindres. A ce moment aussi, la terre est incitée à produire et (près des autels de rivière) l'eau à ne pas faire défaut. Quelques mois plus tard quand les grains mûrissent, c'est cette dernière activité, secrète entre toutes et pour le succès de laquelle le travail humain ne peut plus rien, qui doit être protégée par des prescriptions négatives. A la veille de la moisson, chaque village se replie sur soi, la communication est suspendue, il faut que rien ne circule pour que la substance alimentaire puisse plus sûrement se concentrer. Printemps et automne, semailles et moissons, activités sexuelles et besoins alimentaires, reproduction et consommation, échanges et retraits, s'évoquent admirablement dans le double mouvement qui, du Nouvel An à la Fête des Jums, disperse sur les sentiers des collines une jeunesse chantante et parée et qui, à l'instant où la moisson va débuter et où son résultat décidera du bien- être (parfpis même de la survivance) de chaque communauté, enferme le village dans l'enveloppe des 28 fils, close comme le tégument de la graine, avec la conviction consciente ou inconsciente que, pour l'un comme pour l'autre, un isolement temporaire fournit la seule garantie possible d'une participation éventuelle à de nouveaux cycles.

Claude Lévi-Strauss.

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