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1 Les volcans fascinent et inquiètent. Face à leur puis- sance destructrice, le seul moyen de se défendre est encore de prévoir le jour de leur réveil. Pour cela, les scientifiques épient sans cesse les moindres mouve- ments des plus dan- gereux. En sachant que rien n’est jamais gagné : l’éruption surprise du mont Saint Helens, en 1980, rappelle, s’il en était besoin, qu’en- tre Vulcain et l’hom- me c’est encore le bras de fer... TDC n° 802 Les risques volcaniques 15/10/2000 Comprendre pour mieux gérer PAR CLAUDE ROBIN ET MICHEL LARDY Quarante à cinquante éruptions volcaniques se produisent chaque année dans le monde. Si l’on compare ces chiffres au nombre total de volcans, cela paraît peu. Mais l’inactivité de la plupart d’entre eux est trompeuse. Pendant leurs longues périodes de sommeil, souvent de plusieurs siècles, des échanges complexes de matière ont lieu en profondeur, préparant inéluctablement la prochaine érup- tion. Un volcan est considéré comme potentiellement actif s’il est entré au moins une fois en éruption au cours des dix derniers millénaires. Environ 630 volcans (vol- canisme sous-marin exclu) répondent avec certitude à ce critère, mais les spé- cialistes estiment à plus de 1 500 le nombre de ceux qui entrent dans cette ca- tégorie. Beaucoup sont proches de zones habitées et, par là même, doivent être considérés comme dangereux. À ce jour, 420 éruptions ayant occasionné des pertes humaines ont été réperto- riées. Voici les principales. Il y a 3 600 ans, l’île grecque de Santorin était affectée par une gigantesque éruption, responsable de la disparition de la civilisation mi- noenne. L’Antiquité a été marquée par la destruction de Pompéi, en 79 apr. J.-C. Décrite par Pline le Jeune, cette éruption du Vésuve est devenue la référence d’un type de mécanisme éruptif auquel on a donné le nom de dynamisme plinien. Depuis le début du XVII e siècle, 30 éruptions ont causé la mort d’environ 350 000 personnes. Les plus meurtrières ont été celles des volcans Tambora en 1815 (Indonésie, 92 000 victimes), du Krakatau en 1883 (Indonésie, 36 500 victimes), de la montagne Pelée en 1902 (Martinique, 29 000 victimes) et du Nevado del Ruiz en 1985 (Colombie, 24 000 victimes). Enfin, la décennie écoulée a connu d’importantes éruptions, comme celles du Pinatubo (Philippines, 800 victimes), de l’Unzen, au Japon, et de la Soufrière de Montserrat, aux Antilles. La Montagne Pelée en Martinique © IRD - Favier, Marie-Noëlle

Comprendre pour mieux gérer - reseau-canope.fr · sonnes, le Sakurajima et divers autres volcans au Japon sont particulièrement dangereux, car ils sont situés près des zones urbanisées

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Les volcans fascinent et inquiètent. Face à leur puis-sance destructrice, le seul moyen de se défendre est encore de prévoir le jour de leur réveil. Pour cela, les scientifiques épient sans cesse les moindres mouve-ments des plus dan-gereux. En sachant que rien n’est jamais gagné : l’éruption surprise du mont Saint Helens, en 1980, rappelle, s’il en était besoin, qu’en-tre Vulcain et l’hom-me c’est encore le bras de fer...

TDC n° 802 Les risques volcaniques15/10/2000

Comprendre pour mieux gérerPar claude robin et michel lardy

Quarante à cinquante éruptions volcaniques se produisent chaque année dans le monde. Si l’on compare ces chiffres au nombre total de volcans, cela paraît peu. Mais l’inactivité de la plupart d’entre eux est trompeuse. Pendant leurs longues périodes de sommeil, souvent de plusieurs siècles, des échanges complexes de matière ont lieu en profondeur, préparant inéluctablement la prochaine érup-tion.Un volcan est considéré comme potentiellement actif s’il est entré au moins une fois en éruption au cours des dix derniers millénaires. Environ 630 volcans (vol-canisme sous-marin exclu) répondent avec certitude à ce critère, mais les spé-cialistes estiment à plus de 1 500 le nombre de ceux qui entrent dans cette ca-tégorie. Beaucoup sont proches de zones habitées et, par là même, doivent être considérés comme dangereux.À ce jour, 420 éruptions ayant occasionné des pertes humaines ont été réperto-riées. Voici les principales. Il y a 3 600 ans, l’île grecque de Santorin était affectée par une gigantesque éruption, responsable de la disparition de la civilisation mi-noenne. L’Antiquité a été marquée par la destruction de Pompéi, en 79 apr. J.-C. Décrite par Pline le Jeune, cette éruption du Vésuve est devenue la référence d’un type de mécanisme éruptif auquel on a donné le nom de dynamisme plinien.Depuis le début du XVIIe siècle, 30 éruptions ont causé la mort d’environ 350 000 personnes. Les plus meurtrières ont été celles des volcans Tambora en 1815 (Indonésie, 92 000 victimes), du Krakatau en 1883 (Indonésie, 36 500 victimes), de la montagne Pelée en 1902 (Martinique, 29 000 victimes) et du Nevado del Ruiz en 1985 (Colombie, 24 000 victimes).Enfin, la décennie écoulée a connu d’importantes éruptions, comme celles du Pinatubo (Philippines, 800 victimes), de l’Unzen, au Japon, et de la Soufrière de Montserrat, aux Antilles.

La Montagne Pelée en Martinique© IRD - Favier, Marie-Noëlle

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Sommes-nous démunis face aux risques ?Dans beaucoup de pays, notamment ceux en voie de développement, la croissance anarchique d’agglo-mérations à proximité de volcans en activité augmente considérablement les risques. La question de savoir ce que l’on peut faire face aux menaces volcaniques est donc posée. À titre d’exemples, le Popocatépetl, proche de la ville de Puebla au Mexique, le Misti au Pérou, qui domine Arequipa (800 000 habitants), le Mérapi sur l’île de Java, le Cotopaxi en Équateur, le Vésuve en Italie, qui menace plus de 700 000 per-sonnes, le Sakurajima et divers autres volcans au Japon sont particulièrement dangereux, car ils sont situés près des zones urbanisées. Pour permettre aux autorités civiles de prendre les décisions qui s’im-posent, il est nécessaire de détecter le plus rapidement possible les signes avant-coureurs d’une érup-tion volcanique, surtout si elle implique des dynamismes explosifs. La chose est loin d’être aisée, car de nombreux paramètres entrent en jeu.Tout d’abord, un volcan possède un « caractère », paisible ou violent ; il connaît des « sautes d’humeur », marquées par des phases d’activité intense, parfois explosive, ainsi que des périodes de repos de durée variable. Ensuite, du fait de leur développement en profondeur, les processus magmatiques ne peuvent être observés ou mesurés directement. Enfin, lorsqu’une éruption se produit, des facteurs externes, les eaux superficielles par exemple, peuvent intervenir et modifier son intensité ou son déroulement.Il faut savoir également qu’une éruption volcanique, aboutissement de processus extrêmement comple-xes, ne se reproduit jamais à l’identique. Les grands types d’éruption sont eux-mêmes variés, mettant sur le devant de la scène des aléas, donc des risques différents. Excepté les coulées de lave faciles à éviter (Hawaii, piton de la Fournaise, Etna), les conséquences de l’activité volcanique sont fortement meurtrières.Les sept risques majeurs se rencontrent dans les volcans des zones de subduction, là où les plaques océaniques disparaissent dans le manteau terrestre. Aussi est-ce vers ces appareils volcaniques que se tournent les spécialistes.Évaluer la dangerosité d’un volcan revient d’abord à étudier la dynamique de ses éruptions, ainsi que leur fréquence. L’étape suivante consiste à connaître les processus qui en sont à l’origine, le fonctionnement interne du volcan et son degré d’évolution. Une telle démarche, fondée sur des méthodes géologiques, géochi-miques et géophysiques, permet d’établir des scénarios apportant des informations sur la nature d’une éventuelle éruption, sur son déroulement et sur la répartition des produits volcaniques qu’elle est sus-ceptible d’engendrer. Déterminer le moment où cette éruption se produira est le plus difficile. Or c’est le point crucial pour décider de l’évacuation des populations, seule disposition à prendre en cas d’éruption majeure. Pour mener à bien cette prévention, les scientifiques disposent de nombreux outils.

Piton de la Fournaise en éruption © IRD - Borgel, A. et Caillé, F.

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Consulter les archives de la Terre et des hommesLa volcanologie s’est affranchie peu à peu des mythes et des croyances, que l’on retrouvait d’un conti-nent à l’autre, avec des rites et des symboles souvent proches. Dans toutes les civilisations, les cratères des volcans ont été considérés comme des lieux surnaturels où l’esprit des morts était censé se réfugier. L’analyse de documents anciens permet parfois de dater les manifestations volcaniques et d’en recons-tituer le déroulement. Ainsi, les sociétés de l’écrit ont consigné les traces des événements exceptionnels causés par les volcans, permettant de reconstituer une partie de leur histoire. Mais les traditions orales ont pu également contribuer à la connaissance d’une région et guider le travail des volcanologues. C’est ainsi que s’est transmise depuis plus de 500 ans, de génération en génération, l’histoire du cataclysme de Kuwae. Recueillis par des missionnaires, puis rapportés par des anthropologues, ces récits ont guidé les archéologues qui ont découvert les preuves et réalisé les premières datations. Des géologues, enfin, ont situé, estimé et daté avec précision (1452) cette gigantesque explosion.Pour les volcans menaçants, il est primordial de connaître leurs phénomènes éruptifs, au long des siè-cles et même des millénaires, par l’analyse des dépôts qu’ils ont laissés. Lorsqu’ils sont récents et peu érodés, leur étude à l’aide de méthodes comme celle de la datation au carbone 14 permet de définir des cycles éruptifs. La morphoscopie et la granulométrie (classements selon l’aspect physique et la taille des grains) rendent compte des caractéristiques et de l’évolution des dynamismes. Par exemple, les retombées aériennes constituent de bons repères lorsqu’elles renferment des bois carbonisés ou lorsqu’elles s’intercalent dans des sols. Cette première étape conduit à la connaissance géographique des risques. Il est alors possible de cartographier les menaces, en incluant l’environnement anthropique. Établies à partir d’observations de terrain (la répartition des types de produits, par exemple), ces car-tes peuvent être affinées en laboratoire à l’aide de modèles numériques prenant en compte certaines données, comme une topographie détaillée, pour définir le parcours des écoulements.

Prendre le pouls des volcansLes études géologiques conduisent à élaborer des modèles montrant l’évolution des appareils volcani-ques dans le temps.Ainsi a-t-on pu constater qu’après une longue période d’inactivité, lorsque le magma atteint un stade avancé de cristallisation, sa pression gazeuse devient suffisante pour ouvrir les conduits vers le haut. La décompression brutale provoque l’émission d’un grand volume de cendres et de ponces. Une large dépression (caldeira) se forme alors en surface par effondrement, à la suite du vide créé dans la cham-bre magmatique. Le glissement d’un secteur entier du volcan, consécutif à la lente montée du magma visqueux (éruption du mont Saint Helens, en 1980), peut représenter une variante à ce scénario, ou bien se produire plus tard, lorsque l’édifice est à nouveau reconstruit. Dans les deux cas, le volume de maté-riel déplacé est gigantesque : plusieurs kilomètres cubes, parfois plusieurs dizaines de kilomètres cubes. Pourtant, de telles éruptions marquent très rarement la fin de l’activité volcanique. En règle générale, du magma nouveau monte épisodiquement depuis des zones profondes et prolonge l’activité. Selon la composition plus ou moins acide des laves nouvellement émises et leur viscosité plus ou moins grande, l’un ou l’autre des deux appareils volcaniques suivants se forme.Si les laves sont riches en silice, très cristallines et visqueuses, elles ne s’écoulent pas ou seulement sur de très faibles distances (c’est le cas des volcans explosifs). En se refroidissant, les laves forment des dômes dont l’intérieur et les racines restent chauds. À quelques kilomètres de profondeur, du fait du refroidissement et de la poursuite de la cristallisation, la pression des gaz augmente de nouveau. Après une longue période de repos apparent, cette pression peut provoquer la déformation, puis la déstabilisation des dômes, leur effondrement et/ou l’ouverture brutale de la partie haute des conduits. En Équateur, le volcan Cayambe, dont le sommet est composé d’une série de dômes sans activité visible, est l’exemple parfait d’un volcan en état de « mise sous pression » et au sommeil trompeur (voir l’encadré en fin d’article)Deux sortes de produits caractérisent les éruptions de ce type de volcan : les écoulements pyroclasti-ques, ou nuées ardentes, et les retombées pliniennes, à partir de panaches qui s’élèvent à haute altitude, formés de cendres, de fragments vésiculés de magma (ponces) et de petits blocs rocheux provenant de la pulvérisation du bouchon.Si les laves sont plus basiques et fluides, un nouveau cône se forme, prolongeant l’ancien. Ce cône est souvent le siège d’une activité complexe, comprenant des cycles éruptifs qui alternent l’émission de coulées et de brefs épisodes explosifs pliniens. Ainsi, tous les 100 à 150 ans, de grandes éruptions re-produisent un scénario souvent propre au volcan. Au cours des périodes de repos, l’évolution magmati-

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que dans la chambre se poursuit en système fermé. Une reprise d’activité comprend souvent l’émission verticale d’une colonne éruptive dense. En retombant, cette colonne donne naissance à des écoule-ments canalisés par les vallées, menaçant alors tous les flancs du volcan. La partie la moins épaisse de la colonne éruptive, quant à elle, est à l’origine de retombées de ponces et de cendres dont l’extension peut être régionale. Au cours des semaines ou des mois qui suivent ces explosions, les produits meubles sont remaniés en coulées boueuses, ou lahars, alors que des coulées de lave suivent, accompagnées d’explosions moins importantes au sommet.

Observer leurs sautes d’humeurLes dynamismes éruptifs sont essentiellement liés à la viscosité des magmas et à leur teneur en gaz, deux paramètres qui dépendent notamment de la composition chimique, du degré de cristallisation et de la température d’émission des laves. Par l’étude de leurs propriétés physico-chimiques (pétrographie, géochimie…), il s’agit de définir les conditions prééruptives et de découvrir les mécanismes pouvant déclencher ces dynamismes. Des associations minéralogiques complexes, des déséquilibres ou des changements de la vitesse de crois-sance des cristaux, observés dans les laves émises successivement, donnent des informations capitales sur la vitesse de remontée du magma, l’état de la chambre magmatique, les temps de résidence du magma dans celle-ci, etc.L’étude et la surveillance d’un volcan dépendent de la menace qu’il exerce : la proximité d’aggloméra-tions, le souvenir d’une crise récente, voire d’une éruption aux conséquences dramatiques, sont des fac-teurs qui justifient la mise en place d’un observatoire. Les volcans isolés peuvent également être l’objet d’une attention particulière lorsqu’ils menacent la circulation aérienne. C’est pourquoi l’Organisation de l’aviation civile internationale coordonne un système d’alerte auquel contribuent des observatoires volcanologiques de différentes régions du monde. Cependant, si les pays riches disposent d’infrastruc-tures performantes, il n’en va pas de même pour les pays en voie de développement. Ces derniers sont soumis aux aides extérieures, apportées dans le cadre de la coopération pour la formation de person-nels et la mise en œuvre d’équipements. Actuellement, environ 160 volcans aériens sur les quelque 600 en activité sont équipés d’observatoires de proximité avec lesquels on pratique en permanence ou de manière récurrente de nombreuses mesures.L’étude sismologique, basée sur l’analyse des vibrations du sol dues aux mouvements du magma ou au dégazage dans les conduits et réservoirs supérieurs, est la méthode de surveillance la plus classique. Des mouvements internes du magma ou un nouvel apport de magma profond à la chambre entraînant un gonflement de l’édifice volcanique, celui-ci peut être suivi grâce à un réseau d’inclinomètres capa-bles de détecter en surface de très faibles écarts angulaires. Des appareils, comme les distance-mètres, calculent les variations de la durée du trajet d’un rayon laser sur des réflecteurs disposés à la surface du volcan pour en contrôler les déformations. Grâce à la réception de données satellitaires, le système GPS (Global Positioning System) permet d’obtenir également des mesures sur les mouvements du sol avec une précision millimétrique. D’autres observations sont menées conjointement, apportant leur lot

Conséquences de l’éruption du volcan Tungurahua, Équateur© IRD - Le Pennec, Jean-Luc

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de précieuses informations. Les perturbations occasionnées par les transferts de magma et de produits volatils en profondeur entraînent des variations sur les mesures du champ magnétique terrestre et du champ de pesanteur, mesures enregistrées depuis la surface à l’aide de magnétomètres et de gravimè-tres. Les mesures des changements de température des gaz (fumerolles), des eaux (lacs de cratère) et des laves, ainsi que l’analyse sur le terrain ou en laboratoire des modifications chimiques, renseignent également sur le comportement des magmas. L’observation permanente de la Terre par des satellites permet de repérer les volcans en activité, de surveiller les zones menacées, de suivre les panaches de poussières et de gaz projetés dans l’atmosphère. Les données ainsi recueillies permettent aussi d’établir des cartes détaillées, appelées modèles numériques de terrain (MNT), pour suivre les déformations des édifices. Les techniques modernes offrent également la possibilité de repérer les anomalies des sources de chaleur à partir d’images prises en infrarouge, de réaliser la collecte automatique des données des stations de terrain et de les redistribuer en temps réel aux laboratoires pour analyse, au travers des réseaux de messagerie électronique.

Reproduire les phénomènes en laboratoireLe développement de la modélisation dans les laboratoires de volcanologie complète les observations sur le terrain en période de crise. Elle est souvent fondée sur l’analyse d’images (une séquence vidéo reproduisant l’évolution d’un panache, par exemple) et sur la comparaison entre les phénomènes na-turels observés et les résultats d’expérimentations obtenus sur modèles réduits. Ainsi, pour évaluer le danger que représentent les panaches de cendres pour la navigation aérienne, on reproduit numéri-quement les propriétés dynamiques et thermodynamiques d’une colonne éruptive, en tenant compte de paramètres tels que l’évolution de la température, la pression atmosphérique, l’altitude ou le ré-gime des vents. Les mesures effectuées sur le terrain (épaisseur des dépôts, dimension des clastes), couplées à ces modèles théoriques, permettent d’estimer les caractéristiques des éruptions : volume des panaches, vitesse d’émission, débit, etc. Des progrès considérables sur la compréhension du comporte-ment des écoulements pyroclastiques sont actuellement accomplis en modélisation analogique (fondée sur des rapports de similitude), grâce à l’utilisation de matériaux de densité différente. Avec l’utilisation du silicone, l’étude des déformations des flancs des volcans enregistre les mêmes progrès.

Étude du volcan Tungurahua en Equateur © IRD - Eissen, Jean-Philippe

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Sensibiliser les populationsLes cycles de forte activité des volcans explosifs peuvent être espacés de quelques décennies à quelques siècles ; cette échelle de temps ne dispose pas les êtres humains à une bonne perception du risque vol-canique, et la maintenance d’observatoires permanents peut paraître inutile. C’est pourquoi les volcano-logues se donnent pour tâche d’informer les populations, ce qui s’avère souvent ardu. Deux exemples ré-cents illustrent le bien-fondé de cette démarche. En 1990, l’Unzen (Japon), après un peu moins de deux siècles de sommeil, se réveille ; le volcan est sous surveillance et le souvenir de la catastrophe de 1792, qui avait fait 15 000 victimes, est toujours vivace. Convaincre les habitants de la nécessité d’évacuer la zone dangereuse n’a pas été trop difficile. En 1991, le Pinatubo (Philippines) se réveille après plus de 50 ans d’accalmie ; 15 000 personnes vivent au pied du volcan, et quelque 500 000 autres sont mena-cées. Un film sur les risques volcaniques majeurs, réalisé par Maurice Krafft à la demande de l’Association internationale de volcanologie (IAVCEI), sera diffusé dans les villes et les villages concernés. Cette projection fera prendre conscience du danger et permettra l’évacuation des habitants sans rencontrer trop de résistance. À la connaissance historique et à la démonstration par l’exemple s’ajoute, en France, l’information préventive, devenue un droit depuis 1987. L’État se doit de fournir des dossiers synthétiques, regroupés sous l’appellation générale de « cartes des risques ». Ces documents compren-nent les zones menacées, des informations sur les éventuels dommages matériels et leurs conséquences économiques, les plans d’évacuation des populations, etc. À partir de ces dossiers, villes et communes ont le devoir d’informer les habitants. De la bonne connaissance du risque résulteront des comporte-ments adaptés en cas de nécessité.

L’art délicat de gérer une criseSi les tristes records en nombre de victimes du volcanisme au XXe siècle peuvent être attribués aux éruptions de la montagne Pelée et du Nevado del Ruiz (qui ont causé la disparition de, respectivement, 29 000 et 24 000 personnes), on peut souligner qu’ils ne sont pas tant dus à l’importance des pa-roxysmes volcaniques de 1902 et de 1985 qu’à des raisons politiciennes (élections pour la Martini-que, négligence dans le cas de la Colombie). Bon nombre de catastrophes récentes (Chichon, Unzen, Pinatubo, Rabaul…) montrent la difficulté de prendre des décisions adaptées pour assurer la sécurité, quels que soient le pays, son développement et son organisation sociale. Dans tous les cas, la mise en relation des experts, des autorités civiles, des médias et de la population est souhaitable, afin de limiter les risques.Pour éviter les conflits d’interprétation, les scientifiques doivent confronter en toute sérénité les différentes hypothèses qui résultent des scénarios préalablement établis, des modèles théoriques, des observations passées et des mesures en cours. La crise récente de la Soufrière de Montserrat (petite île des Caraïbes sous administration britannique), qui débuta en juillet 1995, est l’exemple d’une collabo-ration scientifique internationale réussie. Ainsi, une charte règle l’accueil et l’intégration des chercheurs étrangers à l’équipe du MVO (Montserrat Volcano Observatory), et la diffusion d’informations vers la presse est soumise à l’accord préalable du directeur scientifique de l’observatoire. L’ensemble des données, des rapports quotidiens ou hebdomadaires destinés aux scientifiques et aux autorités gouver-nementales, est édité, archivé sur un site web, puis un bulletin destiné à la population est publié par le service de presse du gouvernement de l’île, en relation avec le MVO. Seuls une telle organisation et les rapports de confiance entre experts et autorités civiles auxquelles revient la décision de faire évacuer une zone menacée sont susceptibles d’aboutir à la bonne gestion d’une crise. La diffusion d’une infor-mation fiable et compréhensible par les médias peut atténuer les inquiétudes des populations, limiter la circulation des rumeurs et/ou favoriser une prise de conscience du danger. Au regard des autres risques naturels (cyclones, inondations, tremblements de terre…), les éruptions volcaniques ne sont pas les plus meurtrières. Cependant, de grandes étendues peuvent être totalement dévastées, la circulation aérienne compromise, le climat perturbé pour plusieurs années lors de violents paroxysmes, tel celui du Pinatubo en 1991. L’objectif de la volcanologie actuelle passe par la mise au point de méthodes sur le terrain et en laboratoire pour mieux comprendre et prévoir les processus chaotiques qui se déroulent à l’intérieur d’un volcan, et par le développement des mesures de prévention. Ces actions ne devraient pas être entravées par des intérêts politiques et économiques. Dans tous les cas, la concertation entre les experts, les autorités civiles, les médias et les populations concernés est souhaitable afin de limiter les risques.

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La caldeira de KuwaeUne caldeira est une dépression généralement circulaire, formée par l’effondrement du toit d’une cham-bre magmatique à la suite de l’émission rapide d’un grand volume de magma. Dans l’archipel des Nouvelles-Hébrides, la tradition orale relate la disparition, au cours d’une catastrophe volcanique, d’une terre nommée Kuwae, qui englobait les îles actuelles d’Épi et de Tongoa. Celles-ci sont en effet recouvertes d’épais dépôts de cendres et de ponces, caractéristiques d’éruptions explosives de grande amplitude. La découpe concave et les pentes abruptes des côtes se faisant face soulignent également la présence d’une large caldeira sous-marine entre les deux îles. Des relevés bathymétriques ont précisé la profondeur et les limites de cet édifice dont la formation datée au carbone 14 sur bois carbo-nisés, remonte avec certitude au milieu du XVe siècle. C’est probablement le plus important que l’homme moderne ait connu, par les dimensions mêmes de la structure (12 x 6 km), l’amplitude de l’effondrement (entre 800 et 1 100 m) et le volume de magma éjecté (32 à 39 km³). L’intensité éruptive de Kuwae a été comparable à celle des éruptions de Santorin (Grèce), il y a 3 600 ans, et de Tambora (Indonésie) en 1815. Une violente crise sismique, accompagnée de larges glissements en mer, a précédé l’éruption. Alertée par ces phénomènes précurseurs, une partie des habitants eut le temps de se réfugier sur les îles voisines. Ces phénomènes sont enregistrés dans les glaces du Groenland sous forme d’un pic d’acidité correspondant aux années 1452-1453. Les perturbations atmosphériques que cette éruption a provoquées ont été perceptibles à l’échelle planétaire durant plusieurs années, comme l’attestent de nombreux écrits relatant un climat anormalement froid en Asie et en Europe.

Un volcan un peu trop sageEn Équateur, le Cayambe est considéré par les habitants qui vivent aux alentours de cette montagne comme un volcan éteint. L’étude des retombées de cendres et de ponces dans une tourbière ainsi que les datations au carbone 14 effectuées à différents niveaux des dépôts ont révélé qu’au cours des qua-tre derniers millénaires le volcan a connu trois périodes éruptives de 700 ans environ, séparées par des phases de repos de l’ordre de 500 à 600 ans.

Au-delà de 4 000 ans, celui-ci est demeuré très longtemps inactif. Les styles éruptifs qui caractéri-sent les trois périodes d’activité sont ceux d’un appareil volcanique à dômes sommitaux. Au moins 23 éruptions ont été dénombrées, engendrant des coulées pyroclastiques et des retombées pliniennes. Ce nombre équivaut à un peu plus d’une éruption par siècle, en moyenne. Le temps qui nous sépare de la dernière explosion (deux siècles) n’est donc pas suffisant pour affirmer que la dernière période d’activité est terminée.Pour vérifier ce résultat, un réseau de stations sismologiques a été mis en place au sommet du volcan par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et maintenu opérationnel plus de deux mois. Contre toute attente, l’activité sismique y est apparue intense. Elle est au moins égale à celle d’appareils volcaniques considérés comme très actifs, tel le Cotopaxi, voisin du Cayambe, pour lequel de très nom-breuses éruptions historiques et préhistoriques ont été répertoriées.

Le volcan Cayambe, Equateur © IRD - Monzier, Michel

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Le Cayambe étant recouvert par une épaisse calotte de glace, l’émission de puissants lahars, ou coulées de boue, représenterait un réel danger lors d’une reprise d’activité, comme ce fut le cas pour la ville colom-bienne d’Armero, au pied du Nevado del Ruiz, en 1985.

Une difficile prévisionLes appareils géophysiques sont capables aujourd’hui de déceler les prémices d’un réveil et de sui-vre avec plus ou moins de réussite l’évolution interne sur une période relativement courte. Les infor-mations sont transmises par voie hertzienne, terrestre ou satellitaire (Argos, Inmarsat) aux laboratoi-res et centres d’observation concernés. Mais il existe encore beaucoup d’appareils volcaniques peu ou pas instrumentés. Toutefois, un volcan n’étant pas un métronome, il est bien difficile de connaître avec précision l’alternance possible de ses accalmies et de ses reprises d’activité. Par exemple, dans la région du Vésuve, les champs Phlégréens (de l’italien Campi Flegrei, « les champs qui brûlent ») ont subi en 1983-1984 de violents tremblements de terre, associés à d’importants soulèvements du sol, qui ont conduit à l’évacuation provisoire de la ville de Pouzolles.Depuis, la région est redevenue calme. Aux environs de Rabaul (Papouasie-Nouvelle-Guinée), on a enre-gistré en 1983-1985 une crise sismique, accompagnée de grandes déformations. Il a fallu attendre 1994 pour qu’une forte éruption, précédée de plusieurs séismes, se produise, entraînant le déplacement de quelque 50 000 habitants. L’amélioration des prévisions, en complément d’une meilleure connaissan-ce des conditions éruptives, passera donc par le perfectionnement des appareils utilisés sur le terrain (miniaturisation et extension des nouveaux capteurs, accroissement de la fiabilité, automatisation des réseaux de mesures) et par le développement des observations satellitaires.

L’Onu se mobiliseBeaucoup de volcans explosifs des zones tropicales se situent dans les pays en voie de développement ou émergents ; ils complètent la panoplie des risques majeurs tels que les cyclones et les tremblements de terre, auxquels ces pays sont déjà très exposés. La vulnérabilité aux risques naturels s’accroît dans un contexte socioéconomique défavorable, qui combine démographie, pauvreté et urbanisation soute-nue. La faiblesse d’une réelle politique de prévention, où le fatalisme n’est pas toujours absent, fragilise encore davantage les habitants des régions menacées. Décrétée par l’Organisation des Nations unies de 1990 à 2000, la Décennie internationale pour la réduction des catastrophes naturelles a orienté ses objectifs vers la prévention, incitant les gouvernements à préparer des plans d’urgence, à fournir des efforts durables d’organisation et à sensibiliser les populations menacées. Le Secrétaire général concluait, en juillet 1999 : « Les catastrophes dites naturelles ne sont pas si naturelles que cela. Ce qu’il faut faire, nous le savons. Il reste maintenant à mobiliser la volonté politique. » Les pays riches ont été sollicités pour exporter leur savoir-faire vers les pays du Sud. Sous l’impulsion de l’Association volcano-logique internationale (IAVCEI) et de l’Organisation mondiale des observatoires (WOVO), des réunions d’information et la création d’un réseau mobile d’intervention, particulièrement pour les pays en voie de développement, sont en cours.

Surveillance des volcans du Vanuatu © IRD - Lardy, Michel

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Plus imprévisible que le temps

Qu’est-ce qu’un risque volcanique ?D’une façon générale, c’est tout ce qui peut affecter une population : blessures, décès, pertes et biens, etc. D’un point de vue plus technique, le risque apparaît comme le produit des conséquences et de la probabilité d’occurrence du phénomène volcanique. Il s’appréhende donc à deux niveaux. D’abord, au plan de la surveillance, avec comme objectifs de prévoir le réveil du volcan, déterminer le scénario érup-tif imminent le plus probable, puis suivre le déroulement de l’éruption. C’est la prévision à court terme. Ensuite, au plan général, c’est-à-dire en période de calme éruptif, il s’agit de monter les futurs scénarios éruptifs possibles et de prévoir la répartition des produits émis ainsi que leurs effets sur l’environne-ment. On parle alors de prévision générale : l’approche géologique du risque s’y inscrit totalement. Le principe de base qui la régit partout dans le monde est simple : « Le passé est la clé du futur ». Il traduit le fait que chaque volcan a un comportement propre, fait qui ressort clairement de l’étude des différents édifices actifs d’une même structure volcanique (chaîne ou arc, par exemple), autant que de celle des volcans qui se sont superposés en un même lieu au cours du temps.

Denis Westercamp, © La Recherche, n° 174, février 1986.

Un danger méconnu Un Boeing 747 de British Airways survole Java, en Indonésie. Soudain, à 12 300 mètres d’altitude, les quatre réacteurs tombent en panne. C’est la nuit, l’avion chute, de la poussière envahit la cabine. Après treize minutes interminables, les réacteurs redémarrent partiellement, l’avion se pose en urgence à Jakarta. Cet incident a eu lieu dans la nuit du 23 juin 1982. Le 13 juillet de la même année, un autre Boeing 747 échappe au crash au même endroit, dans les mêmes circonstances. En démontant les avions en cause, les techniciens découvrent une étrange couche de verre sur les turbines des réacteurs. Le fautif ? Un volcan, le Galungung. Entré en éruption en juin, il a projeté dans l’atmosphère des tonnes de cendres volcaniques qui ont été piégées dans les moteurs des Boeing. Elles ont fondu dans les réacteurs, déclen-chant leur arrêt automatique. […] Un cauchemar pour les pilotes : plus de 80 avions de ligne ont ainsi été mis en difficulté par des volcans ces quinze dernières années !Les radars embarqués sur les avions ne savent pas différencier nuages d’eau ou de cendres. C’est pour-quoi l’Organisation météorologique mondiale a décrété récemment une veille volcanique internationale des routes aériennes. Neuf centres de surveillance ont été désignés, dont Météo France. Leur mission ? Prévoir, à l’aide d’un logiciel de simulation conçu pour suivre les retombées de la catastrophe de Tcher-nobyl, les déplacements des panaches éruptifs.

Elena Sender-Dumoulin, © Sciences et Avenir, n° 614, avril 1998.

Comment jouer les CassandreOn observe depuis longtemps que de nombreux séismes sont immédiatement suivis d’éruptions volca-niques. Cela est dû au magma qui, lors de son ascension, ouvre de nouvelles failles et fissures, et qui, lors de son expulsion hors de la cheminée, frotte contre la riche à l’état solide. C’est ce qui fait trembler le sol aux environs de la montagne. L’étude de 71 séries de secousses qui ont précédé les éruptions volcani-ques a cependant montré qu’il ne s’agissait pas d’un critère de prédiction valable à 100 %. On a, en effet, constaté une augmentation de l’activité tellurique juste avant l’éruption dans 58 % des cas seulement. Dans 38 % des cas, en revanche, le renforcement du séisme ne fut pas suivi d’une éruption, car le volcan s’est calmé. Dans 4 % des cas, enfin, l’éruption ne fut précédée d’aucun tremblement de terre. […]Outre les tremblements de terre que les volcanologues suivent à l’aide des sismographes, toute modi-fication de la forme du cône volcanique est elle aussi enregistrée. Le magma ascendant peut en effet provoquer d’autres phénomènes : il est courant que les flancs de la montagne gonflent, comme dans le cas du mont Saint Helens. On connaît ces variations au millimètre près grâce aux appareils sensibles qui mesurent la déclivité et aux nivellements qui, à l’aide de rayons laser, permettent de prendre des mesu-res en différents points sur les flancs du volcan. […]

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Il existe une méthode encore récente consistant à analyser les images prises aux infrarouges par des sa-tellites, qui indiquent la répartition de la température sur un volcan. Il est ainsi possible de constater très rapidement qu’un volcan se réchauffe soudain. Cela peut signifier une montée du magma. Un réchauf-fement à l’intérieur de l’édifice entraîne aussi une modification de la température et de la composition chimique des gaz et des eaux qui sortent du volcan. Néanmoins, une élévation marquée de la tempéra-ture n’est pas nécessairement suivie d’une éruption.L’étude à long terme de l’histoire et des habitudes éruptives d’un volcan est absolument indispensable pour établir les pronostics les plus fiables possibles. Chaque édifice volcanique a, en effet, ses propres particularités et les événements qui se déroulent avant chacune de ses éruptions ont tendance à se répéter.

Bernhard Edmaier et Angelika Jung-Hüttl, traduits par Ghislaine Tamisier-Roux, et Philippe Bouysse, Volcans, © Nathan, 1998.

Risques et profitsLes intérêts économiques et politiques peuvent aller à l’encontre des mesures de prévention qui s’impo-sent parfois. En 1997, par exemple, la Soufrière, le volcan de l’île de la Guadeloupe, menaçait d’entrer en éruption. Plus de 70 000 personnes ont alors été évacuées. Trois mois plus tard, elles sont rentrées chez elle. Rien ne s’était passé. De telles mesures paralysent des régions entières pendant un certain temps et coûtent beaucoup d’argent. Il suffit qu’elles aient été prises inutilement une fois pour qu’à la prochaine menace du volcan les autorités politiques se montrent réticentes. Par ailleurs, un pronostic défavorable à long terme effraie les investisseurs, dont les régions volcaniques, qui sont souvent faiblement dévelop-pées sur le plan économique, ont pourtant un besoin urgent.Toute tentative de prévision précise fait prendre aux hommes davantage conscience de leur impuis-sance face aux forces de la nature. Certes, on en sait aujourd’hui bien plus sur l’origine du volcanisme que lors des siècles passés, époque où les cracheurs de cendres et de feu comptaient encore parmi les grands mystères de la Terre. De nombreux volcans représentent néanmoins un risque incalculable. Ils nous montrent à quel point notre planète est inscrite dans un gigantesque cycle du devenir et du temps qui passe.

Ibid. (Nathan)

Suggestions d’activités

Niveau : à partir de la 4e.

Objectif : aborder la notion de risque géologique.

- Qu’entend-on par prévision à court terme et prévision générale ?- Pour quelles raisons est-il primordial de suivre les déplacements des panaches éruptifs ?- De quelle manière les risques sont-ils estimés ?- Que signifie une mesure de prévention ? Quelles difficultés de mise en œuvre rencontre-t-on ?