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CONFERENCE DE PRESSE SUR LE PROJET DE REVISION DE LA CONSTITUTION DU BURUNDI du 29/10/2013 Par maître Isidore RUFYIKIRI : Bâtonnier du BARREAU DU BURUNDI La constitution du18 mars 2005 tire sa source de l’Accord d’Arusha signé le 28 Août 2000 à Arusha, sous forme d’une convention entre le Gouvernement du Burundi et les partis politiques de l’époque. Les négociateurs d’Arusha se sont revendiqués de représenter la souveraineté du peuple Burundais et se sont substitués momentanément à celui-ci, sous la bénédiction de l’autorité régionale et de la communauté internationale, dans un contexte de vide constitutionnel consécutif à la situation de coup d’Etat et de guerre civile alors en vigueur. L’Accord d’Arusha avait institué une période de transition dont la fin devait être marquée par l’élection du Président qui a eu lieu en Août 2005, ceci conformément à l’article 13(2) du chapitre I du Protocole II. Il avait également prévu des principes constitutionnels perrennes, sans aucune limitation de durée, qui devaient constituer le socle permanent de la Constitution de la période post-transition. Et pour tout couronner, le Protocole V de l’Accord avait prévu les garanties pour l’application, le respect et la stabilité de l’Accord, et au terme de l’article 10(2) dudit Protocole, les Chefs d’Etat de la Région (Afrique du Sud, Tanzanie, Uganda et Kenya), eux-mêmes co-signataires de l’Accord, étaient désignés pour être les garants de l’Accord. La constitution post-transition, a été adoptée par référendum du peuple burundais et se trouve en vigueur depuis le 18 mars 2005. Cette Constitution, à l’instar de l’Accord d’Arusha dont elle tire directement sa source et sa substance, dispose clairement que le Président de la République exerce un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois. Mais depuis quelques mois, sentant venir inexorablement les prochaines élections de 2015, le Président Pierre NKURUNZIZA et son entourage direct s’activent farouchement à

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Page 1: Conference de presse sur le projet  de revision de la constitution du burundi

CONFERENCE DE PRESSE SUR LE PROJET DE REVISION DE LA CONSTITUTION DU

BURUNDI du 29/10/2013

Par maître Isidore RUFYIKIRI : Bâtonnier du BARREAU DU BURUNDI

La constitution du18 mars 2005 tire sa source de l’Accord d’Arusha signé le 28 Août 2000 à Arusha, sous forme d’une convention entre le Gouvernement du Burundi et les partis politiques de l’époque.

Les négociateurs d’Arusha se sont revendiqués de représenter la souveraineté du peuple Burundais et se sont substitués momentanément à celui-ci, sous la bénédiction de l’autorité régionale et de la communauté internationale, dans un contexte de vide constitutionnel consécutif à la situation de coup d’Etat et de guerre civile alors en vigueur.

L’Accord d’Arusha avait institué une période de transition dont la fin devait être marquée par l’élection du Président qui a eu lieu en Août 2005, ceci conformément à l’article 13(2) du chapitre I du Protocole II. Il avait également prévu des principes constitutionnels perrennes, sans aucune limitation de durée, qui devaient constituer le socle permanent de la Constitution de la période post-transition. Et pour tout couronner, le Protocole V de l’Accord avait prévu les garanties pour l’application, le respect et la stabilité de l’Accord, et au terme de l’article 10(2) dudit Protocole, les Chefs d’Etat de la Région (Afrique du Sud, Tanzanie, Uganda et Kenya), eux-mêmes co-signataires de l’Accord, étaient désignés pour être les garants de l’Accord.

La constitution post-transition, a été adoptée par référendum du peuple burundais et se trouve en vigueur depuis le 18 mars 2005. Cette Constitution, à l’instar de l’Accord d’Arusha dont elle tire directement sa source et sa substance, dispose clairement que le Président de la République exerce un mandat de 5 ans renouvelable une seule fois. Mais depuis quelques mois, sentant venir inexorablement les prochaines élections de 2015, le Président Pierre NKURUNZIZA et son entourage direct s’activent farouchement à imaginer comment tordre la Constitution pour lui permettre de briguer d’autres mandats après 2015.

Irrésistiblement, le Président Pierre NKURUNZIZA et son Gouvernement vient de franchir le rubicon, quand le Conseil des Ministres adopta un Projet de nouvelle Constitution en dates du 9 et 10 Octobre 2013.

Dans son Article unique, le Projet de loi de promulgation de la future Constitution dispose que « la Constitution de la République du Burundi adoptée par référendum du 28 février 2005 est révisée comme suit ». Mais la lecture intégrale du texte de la future Constitution laisse voir plutôt que l’actuelle démarche ne vise pas la révision comme le prévoit et le permet l’Article 297 de la Constitution en vigueur, mais plutôt l’abrogation, c'est-à-dire l’anéantissement pour l’avenir de la constitution actuelle par une nouvelle Constitution censée lui être explicitement contraire. En effet, le Projet de Constitution stipule de façon expresse, en son Article 284, que « la Constitution de la République du Burundi promulguée le 18 Mars 2005 est abrogée ». Et pour tout conclure, le Gouvernement n’a pas même eu froid de qualifier « d’institutions de transition » (article 282) les institutions issues de la Constitution de Mars 2005, annulant ainsi de façon unilatérale et péremptoire

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les dispositions de l’Accord d’Arusha, pour créer de manière également unilatérale de nouvelles institutions politiques au Burundi.

Nous observons d’abord que la Constitution actuelle n’a donné nulle part au Président de la République et à son Gouvernement, pas plus qu’au Parlement d’ailleurs, le pouvoir d’abroger la Constitution en vigueur. Les Articles 297 et 300 de celle-ci parlent uniquement de « révision »et d’ « amendement ». Or, juridiquement, la révision est définie comme étant un procédé de technique juridique par lequel un acte (loi, contrat, etc.) est modifié dans sa forme ou plus fréquemment dans son contenu. En principe, la révision ne peut intervenir que dans les formes qui ont été nécessaires pour son établissement ; c’est ainsi qu’une convention ne peut être révisée que par l’Accord des parties. De même, l’amendement se définit comme une modification proposée à un texte de loi au cours de sa discussion. A la lumière de ces définitions, non seulement l’abrogation de l’actuelle Constitution n’est pas autorisée, mais aussi la révision ne peut être initiée et conduite unilatéralement par la seule partie Gouvernementale alors que cette Constitution a été le fruit de l’Accord des signataires d’Arusha ; cela veut dire qu’avant de suivre le processus législatif, sa modification doit suivre au préalable les formes qui ont été nécessaires pour son établissement.

Aller contre ce principe n’aurait d’autre nom que faire un coup d’Etat constitutionnel ; en ce cas, le pouvoir aura fini d’ouvrir la boite de PANDORE.

Les raisons du désespoir   :

Un régime politique qui a passé le plus clair du temps de ses deux mandats à organiser et protéger les pires crimes économiques, les crimes de sang, les exécutions extra-judiciaires et les disparutions forcées, les persécutions des opposants politiques, le muselage des journalistes et des media, qui a excellé à institutionnaliser l’impunité des crimes, la corruption, la politisation et instrumentalisation des Juges pour occulter les pires crimes ou régler le comptes aux opposants par l’usage de l’emprisonnement arbitraire ; un pouvoir qui n’a cessé d’entretenir au grand jour les provocations aux conflits inter-ethniques ; un tel pouvoir ne peut qu’envisager avec frayeur la fin de sa suprématie, il ne peut ne pas être envahi par un sentiment de désespoir suprême. C’est dans ce contexte qu’au mépris du regard du public tant national qu’international, le Gouvernement décide de tenter de jouer le tout pour le tout, en torpillant de force la Constitution pour donner à Pierre NKURUNZIZA encore 2 mandats au moins en 2015 et 2020, histoire de se protéger et de protéger le cercle de ses collaborateurs contre les poursuites pénales.

Les moyens d’action   :

Le régime de Bujumbura a froidement choisi de détourner la démocratie pour instaurer une dictature de Parti unique de style stalinien ou hitlérien, où la terreur et le crime organisé des jeunesses droguées ou idéologiquement surexcitées, imposent le silence à tout le monde, y compris aux forces armées et à la Police dont le champ a été envahi, en faisant le beau temps et la pluie sur la République .

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Observation et recommandation

Le monde entier a vu hier les préludes du génocide de 1994 au Rwanda : au plus fort du désespoir du président HAVYARIMANA Juvénal, quand il a senti que les négociations d’ARUSHA avec le FPR allaient aboutir inexorablement à diluer son pouvoir exercé jusque-là sans partage, lui et son cercle de généraux criminels et pilleurs de l’économie se sont carrément affolés en créant la fameuse milice INTERAHAMWE de sinistre mémoire.

Non content d’être à la tête d’une Armée, d’une Police, d’un Gouvernement et d’un Parlement tout à sa dévotion, HAVYARIMANA Juvénal a tenu à mettre en place une milice armée et entrainée à outrance pour exécuter l’apocalypse. Cela se réalisa sous le regard médusé du monde des humains qui avait pourtant vu venir la catastrophe et l’apocalypse annoncés. Est comme si les hommes n’apprenaient rien de l’histoire, les Burundais et la communauté régionale et internationale continuent de regarder, tétanisés, le phénomène le plus dangereux jamais vu au Burundi : la prolifération et la démonstration de force de la jeunesse IMBONERAKURE du parti CNDD-FDD au pouvoir. La création et l’entretien de cette milice participe sûrement à la stratégie du pouvoir Pierre NKURUNZIZA de museler tout le monde par la terreur et s’occuper de la Constitution comme bon lui semble sans être inquiété par personne.

Face à cette situation, le Barreau réitère et recommande ce qui suit :

-Il lance un appel pressant au Président Pierre NKURUNZIZA pour arrêter le processus engagé à abroger ou réviser unilatéralement la Constitution par le Gouvernement ;

-Il exige que la Constitution soit révisée si nécessaire et non abrogée, et en tout état de cause avec l’Accord préalable des autres partenaires tant nationaux que régionaux et internationaux de l’Accord d’Arusha ;

-Il invite le Président de la République à s’abstenir de tout acte qui viole la Constitution et qui risque de provoquer des réactions violentes chez les forces républicaines les plus attachées à la régularité des institutions ;

- Il recommande au peuple burundais de quitter sa peur et sa torpeur pour refuser que son destin soit accaparé par des forces négatives ;

-Il lance un appel solennel aux Chefs d’Etat de la Communauté Est Africaine, à l’Afrique du Sud, à l’Union Africaine, à l’ONU, et à l’Union Européenne, pour ne pas laisser le Burundi foncer tout droit vers une apocalypse annoncée.

Notre Barreau, quant à lui, s’apprête dès maintenant, à attaquer cette procédure de révision et d’abrogation illégales de la Constitution devant les juridictions indépendantes et compétentes, pour violation des principes fondamentaux qui guident le Traité de la Communauté Est Africaine et violation de la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance qui prévoit des sanctions contre les Etats en cas de « Changement anti-Constitutionnel de Gouvernement ».

Je vous remercie.

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