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De la communication généralisée à la communication socio-éducative et didactique 1 Daniel Peraya La communication généralisée On le sait, la communication constitue l'un des mythes majeurs des sociétés post-modernes (Lyotard, 1979) et l'on pourrait croire l'ère d'Emerec (Cloutier, 1973) entrée dans un processus de développement irréversible. N'assiste-t-on pas, en effet, à une prolifération de faits technologiques et socioculturels apparentés à différentes formes de communication, de transmission et de stockage de l'information. Les "machines à communiquer" (Schaeffer, 1971-1972; Perriault, 1990), les plus courantes d'entre elles en tous cas, font déjà partie de notre environnement quotidien et nous nous approchons d'une forme d'opulence communicationnelle (Moles, 1989). Le succès rencontré, par exemple, par le réseau Minitel en France paraît de ce point de vue exemplaire et d'aucuns pensent voir dans la constitution d'un tel réseau la concrétisation du village électronique de Mac Luhan. Le développement des réseaux de communication électronique (messageries, conférences électroniques, consultations de données, etc.) en est un autre. Nos sociétés sont donc caractérisées par une accélération sans précédent de la circulation de l'information mais aussi par une atomisation des centres et des structures d'émission ou de réception (De Certeau, Luce-Giard, 1983). 1 Texte non publié, notes pour une recherche en cours.

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De la communication généralisée à lacommunication socio-éducative etdidactique1

Daniel Peraya

La communication généralisée

On le sait, la communication constitue l'un des mythesmajeurs des sociétés post-modernes (Lyotard, 1979) etl'on pourrait croire l'ère d'Emerec (Cloutier, 1973) entréedans un processus de développement irréversible.N'assiste-t-on pas, en effet, à une prolifération de faitstechnologiques et socioculturels apparentés à différentesformes de communication, de transmission et destockage de l'information. Les "machines àcommuniquer" (Schaeffer, 1971-1972; Perriault, 1990),les plus courantes d'entre elles en tous cas, font déjàpartie de notre environnement quotidien et nous nousapprochons d'une forme d'opulence communicationnelle(Moles, 1989). Le succès rencontré, par exemple, par leréseau Minitel en France paraît de ce point de vueexemplaire et d'aucuns pensent voir dans la constitutiond'un tel réseau la concrétisation du village électroniquede Mac Luhan. Le développement des réseaux decommunication électronique (messageries, conférencesélectroniques, consultations de données, etc.) en est unautre. Nos sociétés sont donc caractérisées par uneaccélération sans précédent de la circulation del'information mais aussi par une atomisation des centreset des structures d'émission ou de réception (De Certeau,Luce-Giard, 1983).

1 Texte non publié, notes pour une recherche en cours.

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La communication, au-delà des aspects technologiqueset des idéologies que ceux-ci engendrent, apparaît encorecomme l'un des principaux thèmes des recherchesactuelles en sciences humaines. Il est en effet peu demanifestation sociales ou culturelles qui nes'interprètent, tout d'abord comme des faits decommunicationl: le "paysage" audiovisuel et médiatique,les nouveaux médias informatiques et télématiques, lesrelations interculturelles et interpersonnelles, lesdiscours d'acteurs sociaux, le langage et lefonctionnement même des institutions, le gestuel et lespostures corporelles –lle "mimo-posturo-corporel"l–,l'occupation et l'appropriation de l'espace, la distanceinterpersonnelle, etc. On en vient donc à définir laculture essentiellement comme les contenus, les formeset les modalités de communication propres à une société.

De même, de nombreuses pratiques professionnelles ontfait peau neuve sous le jour de la communicationl: lestraditionnelles relations publiques et la pressed'entreprise ne relèvent-elles pas aujourd'hui de lacommunication d'entreprise, externe ou internel? Quantà la publicité et au marketing, paraîtraient-ils moinsmercantiles sous le nouveau label de communication"publicitaire et commerciale", voire même "persuasive"l?

Un tel foisonnement a permis à Winkin (1981) de parlerde terme "fourre-tout", de "fatras sémantique" à proposde la communication. Et l'on comprend mieux cetteréaction si l'on songe au champ de recherche quedélimitent ces deux définitions extrêmes. La première,

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minimaliste, est celle proposée par le modèle"télégraphique" de la communication de Shannon (1949)l;elle ne nous est pas inconnue (cf. Schéma 1). Il s'agit dela transmission d'un signal entre l'émetteur et lerécepteur dans le cadre d'une théorie mathématique del'information. La seconde, maximaliste, définit lacommunication comme "tout événement qui déclencheune réaction de la part d'un organisme" (Bateson et al.,1987:217).

La science de la communication –lmais il conviendraitpeut-être d'écrire les théories de la communication2l– aété porteuse d'un profond renouveau problématique dans 2 Ce n'est pas ici le lieu de faire l'historique des courants d'inspiration

communicationnelle. Dans les années 70, les modèles de la linguistiquestructurale et de la sémiotique du code –ltoutes deux d'inspiration saussuriennel–ont contribué à structurer les développements du champ de la communication enlui assurant une forte cohésion tant théorique que méthodologique. Ledéveloppement des sciences du comportement humain –llinguistique del'énonciation, théorie des actes de langages, pragmatique, psychosociologieinteractionniste, etc.l– ont profondément boulversé les champs disciplinaires et lesméthodologies. Le champ de la communication qui apparaît aujourd'huidéstructuré laisse la place à des démarches fort différentes dont les limites sontparfois bien difficiles à tracer: psychosociologie, pragmatique, pragmatiquelinguistique, linguistique, socio-sémiotique, etc. (cf. Peraya D., 1985, "Les 4niveaux de la pragmatique" inl: la communication scalène).

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les sciences humainesl: elle délimite de nouveaux objetset fait surgir de nouvelles interrogationsl; elle proposeencore de nouvelles méthodologies. Une part importantedu champ de la connaissance ne peut être pensée niformulée sinon dans les termes d'un modèle communica-tionnel. La prédominance de ce schéma en tant quemodèle, soit théorique soit descriptif, serait dès lors unfait marquant de l'histoire des sciences et del'épistémologie contemporaine autant –lsinon plusl– quele développement technologique imposant une structureélectrique de l'information.

Les formes de communication pédagogique

Rares sont les études pédagogiques qui abordent lespratiques éducatives –lau sens largel– sous l'anglespécifique de la communication pédagogique. Il ad'ailleurs fallu que se développent les premières analysescommunicationnelles des médias et leur utilisation enmilieu scolaire pour que se développe la notion même decommunication pédagogique (La Borderie, 1979). Etpourtant considérer les processus d'enseignement etd'apprentissage, les pratiques éducatives, comme desfaits, comme des actes de communication peut paraîtreévident et relever du strict bon sensl: "Enseigner a unsens très voisin de communiquer", écrit Vandevelde(1978). Les communications éducative et/oupédagogique correspondent à des usages particuliers delangages, de systèmes de communication connus etétudiés dans d'autres contextes. Dans un premier tempsnous nous satisferons de la classification suivantel:

1. La communication digitaleL'enseignant, l'animateur, l'éducateur parle et utilise desdocuments écrits. Le véhicule fondamental de l'éducationet de la formation reste bien le langage verbal, sous saforme parlée ou écrite. Et l'on sait qu'il demeure lemoyen de communication par excellence. L'étude desinteractions verbales (Notamment, Flanders, 1960l;Bayer, 1966l; De Landsheere et Bayer, 1969l;

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Delchambre 1975, ) menée à travers l'observation dessituations d'enseignement suffit à nous rappeler lapertinence du point de vue communicationnel.

2. La communication analogiqueQuand il parle, l'enseignant change de ton et module sesinflexions vocales, il bouge, se déplace et possède sapanoplie de grimaces, de gestes et de tics. En situationde communication rapprochée, dans un face à facepédagogique, l'enseignant utilise donc à des finsexpressives et communicatives un nombre importantd'indications non verbales que les destinataires n'ontd'ailleurs aucune peine à interpréter. Il s'agit, parexemple, de variables intonatives et suprasegmentales dela langue orale, d'attitudes corporelles (le mimo-postural), de l'occupation de l'espace qu'étudie laproxémique, etc.

3. La communication audio-scripto-visuelleL'enseignant fait souvent usage de documents sonoreset/ou visuels (images fixes, cinéma ou vidéo) ou encorede programmes informatiques (logiciels et multimédia).Les livres et les manuels proposent un nombre croissantd'illustrations, d'images phonographiques, de schémas,de graphiques, de tableaux de données, etc. Si le langageverbal demeure le principal support de l'enseignement,l'usage à visée éducative d'autres technologiesintellectuelles que le langage verbal, d'autres modes dereprésentation tend à se généraliser.

Remarquons tout d'abord que la communicationpédagogique se présente comme un système sémiotiquehétérogène, mêlant des substances d'expressiondifférentesl: le digital, l'analogique et l'audio-scripto-visuel. D'un point de vue descriptif, on remarque lacomplexité de tels systèmesl: un acte de communicationpédagogique peut faire se succéder, par exemple, lesséquences de communication suivantes : orale/digitale(exposé), écrite (utilisation du tableau noir), visuellephotographique (projection de diapositives),orale/digitale (commentaires d'images), scripto-visuelle

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médiatisée (documents graphiques imprimés), etc. Or, lepoint de vue systémique nous a appris à considérer quela complexité d'un système dépend de la combinaison deses composantes et que celle-ci ne peut être assimilée àleur simple sommel: les différents modes decommunication, et à l'intérieur de ceux-ci la diversité deslangages et de matières signifiantes, interagissent pourdonner naissance à une multiplicité d'effets signifiés,d'une infinité de façons. L'ensemble est donc toujoursdifférent et toujours plus complexe que la simplejuxtaposition des parties. La description des différentsmodes de communication –ldigital, analogique et audio-scripto-visuell– ainsi que celle de leurs relations etinteractions constituerait donc l'essentiel d'une approchecommunicationnelle des faits pédagogiques. Et l'onaurait tort de privilégier un seul de ces trois aspects.

Cela étant dit, dans le cadre de cet exposé, nouscentrerons notre attention sur la communication audio-scripto-visuelle. Dans cette perspective, il sembleraitcohérent de s'attacher dans un premier temps à ladescription de chacune de ces formes particulières,fondées sur la notion hjelmslevienne de substance del'expression. Pour Hjelmslev, le langage organise deuxsortes de "continuum" indistincts, celui de l'expression etcelui du contenu et, les structurant, il leur donne uneforme organisée. Aussi tout système de significationcomporte-t-il deux plans, et le signe deux facesl: le plande l'expression (E) et celui du contenu (C) qui ont étésouvent assimilés au signifiant au signifié saussurien. Lasignification peut donc être représentée comme larelation ERC. Cette représentation, et c'est là sonpremier intérêt, permet de rendre compteéconomiquement, avec un minimum de transpositionmétaphorique, des systèmes de signes composés tels quele métalangagel: ER(ERC) et la dénotationl: (ERC)RC.

Mais Hjelmslev mettra surtout en évidence le fait que lesigne est une fonction qui unit deux fonctifs, expressionet contenul: telle est la fonction sémiotique. Cettedernière notion laisse entrevoir la possibilité d'appliquer

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la sémiotique à des objets non linguistiques. En effet,n'importe quel objet, s'il est interprété comme tel par uninterprète, peut devenir le plan d'expression d'unerelation sémiotique dans lequel il entre comme l'un desfonctifs. La fonction sémiotique, caractérisée par larelation ERC constitue donc la possibilité de fonder unesémiotique généralisée. Enfin, chacun de ces deux plans,expression et contenu, doit encore être décomposé endeux aspects: une forme et une substance. Barthes aproposé de cette distinction une interprétation en termesstrictement linguistiquesl: la forme est ce qui peut êtredécrit exhaustivement par la linguistique de façoncohérente, au niveau épistémologique, sans devoir recou-rir à aucune prémisse extralinguistiquel; la substance,quant à elle, recouvre l'ensemble des aspects et desphénomènes qui ne peuvent être décrits sans faire appelà des prémisses extralinguistiques. En combinant alorsces deux séries de critères descriptifs, on obtiendra doncles quatre classes distinctesl:1) la substance de l'expressionl: la substance

communicante, la matière à l'état brut, nonfonctionnelle et non articulée, telle qu'elle apparaît endehors de toute organisation signifiantel; en ce quiconcerne le langage verbal, on considérera l'universdes manifestations phoniques possiblesl;

2) la forme de l'expressionl: l'organisation formelle dessignifiants, selon les règles et les conventions(paradigmatiques et syntaxiques) du systèmel;

3) la forme du contenul: l'organisation formelle dessignifiés entre eux, réalisée dans une organisationlangagière particulière (langue, énoncé)l;

4) la substance du contenul: tous les aspectssémantiques, émotifs, cognitifs, phénoménologiques etidéologiques nés du rapport de l'homme à sonenvironnement et à la vie socialel; autrement dit, ils'agirait de la pensée même considérée comme uneentité non organisée, celle-là même qu'articule etstructure chacune des langues selon son systèmepropre.

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La définition des catégories de la substance et leurarticulation à celles de la forme n'ont pas été sans poserquelques problèmes. On se souviendra que Saussure3

définissait déjà la pensée comme une masse amorphe,une "nébuleuse où rien n'est distinct avant l'apparitionde la langue". Quant à la substance phonique, elle n'estguère plus définie –lplus articuléel–lque la pensée. ChezHjelmslev, les substances –ldu contenu et del'expressionl– sont conçues de la même façon, comme ununivers non encore sémiotisé. Aussi, les substances nepeuvent-elles être produites et reconnues –ldonc êtreidentifiéesl– qu'à travers les formes qui les manifestent.Ce sont donc les langues qui, dans leur diversité,articulent et organisent ce double continuum. La formede l'expression rend alors pertinentes certainescatégories de sons tandis que la forme du contenustructure le continuum de la pensée –ll'exprimable ouencore le monde en tant qu'il constitue le champ denotre expériencel– en un système sémiotiqued'oppositions.

La définition linguistique de la forme du contenu atoujours paru plus délicate que celle de la forme del'expression. En général, elle s'est longtemps limitée àcelle de quelques microsystèmes facilement identifiableset qui constituent aujourd'hui des exemples classiques:au niveau lexical, la désignation des couleurs, laclassification de certains phénomènes naturels (lesvégétaux, les différentes type de neige) ou, au niveaumorphématique, le système du nombre (le singulier, lepluriel, le duel ou même parfois le triel), etc. Or, cetteconception étroite est aujourd'hui remise en cause par denombreux travaux de psychologues et de linguistescognitivistes qui tentent d'articuler le langage etl'extralangage. Autrement dit; il s'agit de prendre enconsidération "différents niveaux de représentations(linguistiques, langagières, cognitives)" et d'"insérer cesniveaux dans une architecture ou les catégories dulangage entrent en interaction avec celle de la perception 3 Saussure de F., Cours de linguistique générale, Payot, 1972, p.155 et svt.

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et de l'action" (Desclés, 1993, 123). Le développement dela grammaire et de la sémantique cognitives constitue unimportant renouveau de cette problématique (voirnotammentl: Johnson Laird, 1983 et 1988; Lakoff, 1985;Langacker, 1987; Communications 53, 1991, FDL, 1993)

Dans leur modèle de fonctionnement des discours,Bronckart et al. (1985) proposent de la réalitéextralinguistique, de l'extralangage, une interprétation entermes d'espace référentiel définit comme uneorganisation de primitives psychologiques a-langagièrescaractérisées par des traits universels cognitifs et histo-rico-culturelsl: "Ce que l'activité langagière investit autitre d'espace référentiel, ce sont les représentationspsychologiques a-langagières que tout être humain estsusceptible de construire, à propos de la totalitéappartenant à l'extralangage. A titre d'hypothèse (quidevra, bien entendu, être validée par des démarchesempiriques), nous postulerons à la suite de Culioli, deKleber (1981), ainsi que de l'école piagétienne dans sonensemble (cf. Sinclair, 1970), l'existence de «primitives»psychologiques auxquelles s'articule l'activité langagièrel;le réel est «connu» au travers de catégorisationspsychologiques, dotées de traits universels-cognitifs, etde traits historico-culturels." (op. cit.:27-28).

En définitive, si les catégories de forme et de substancesont parfois difficiles à saisir dans le cadre du langagehumain où signifiants et signifiés sont difficiles àdissocier, elles constituent une matrice formelle declassification permettant, dans la perspective d'unesémiologie généralisée, de décrire typologiquement lessignes de n'importe quel langage et de les regroupersuivant la nature de leur substance –lleur matière4l–d'expressionl: signe verbal, signe graphique, signe

4 Notons que la tradition francophone a souvent utilisé le terme matière plutôt

que substance pour traduire le terme danois mening.

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gestuel, etc. et chacun de ces signes formerait, selon laterminologie de Barthes, un signe typique5.

Ces premières définitions relatives à la communicationnécessitent quelques développements et quelquesremarques afin de mieux faire apparaître leur pertinencedans le contexte pédagogique.

Digital et analogique

L'utilisation des termes "digital" et "analogique" pourdésigner respectivement la communication verbale et cequi relève du sujet communicant et de sa réalitéempirique pourra surprendre. Digital se réfère à lanature du signe linguistique. La linguistique a montréque l'une de ses caractéristiques est d'être discontinu(Saussure, Martinet). Au sein du continuum verbal,l'arbitraire du signe délimite des unités bipartites, àchaque signifiant correspondant un signifié : le signelinguistique est une unité discrète. Ces deux premiersniveaux d'analyse constituent la double articulation dulangagel: une première organisant les unités signifiantes(les monèmes) et la seconde, des unités non signifiantesen nombre limité et fini, les phonèmes. Si l'on poursuitson analyse plus avant, on découvre que le signifiant est 5 Un signe-typique ne serait rien d'autre qu'une sémie, telle que la définissait

Buyssens. Pour éviter toute confusion entre l'indice et la véritable communication(cf sémiologie de la communication et de la signification (ici même p.9. Cetauteur propose d'appeler chaque objet particulier de la sémiologie une sémiel:"Les sémies les plus connues sont évidemment les langues. A côté d'elles, il fautciter les signes graphiques des sciences exactes, ceux de la logique, lasignalisation routière, les gestes des trappistes et ceux qu'utilisent les Indiensd'Amérique pour communiquer entre tribus qui ne parlent pas la même langue, lessonneries de cloches à l'église et de clairons à l'armée. Les horaires de chemin defer et les guides touristiques recourent à une quantité de signes graphiques; unecarte géographique n'est faite que de tels signes. [...]". La liste proposée parl'auteur est plus longue encore. Mais, ce qui nous intéresse ici, par rapport à lanotion de signe-typique c'est que à l'intérieur d'une sémie, les sèmes ou les unitésqui la constituent appartiennent à une même famille et sont réalisés par desprocédés similaires. Buyssens parle même de leur unité génétique (Lacommunication et l'articulation linguistique, Presses Universitaires de Bruxelles,1967, p. 21 et sv.).

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à son tour composé d'éléments minimaux, cette fois nonsignificatifsl: ce sont les phonèmes. Chaque phonèmepeut encore être décomposé en traits distinctifsl: labialité(avancement ou étirement des lèvres), aperture(ouverture relative de la cavité bucale, la différence entre«été» et «succès»), sonorité (vibration des cordes vocales),etc.6 C'est en ce sens que l'on peut dire que le signelinguistique est digitall: il est constitué, à chaque niveaud'analyse, par un système différentiel d'oppositionsminimales, et binaires. La présence (ou l'absence) de l'undes termes de chacune de celles-ci modèle le signe, le"configure" en tant qu'il est une unité linguistiqueunique et particulière. Discret et discontinu, le signelinguistique obéit à la loi du tout ou rien et n'autoriseaucun état intermédiaire7.

Quant au terme "analogique", il possède deux sens. Lepremier sens est lié aux différents contextes d'utilisationqui se réfèrent à la définition de l'icône et de la relationiconiquel: l'icône en général, et l'image en particulier,sont des signes analogiques, des analogon, dans lamesure où ils entretiennent des rapports d'homologieavec l'objet qu'il dénotent (sens 1). Cependant, tout estune question de degrél: l'iconicité d'une photographie estbien plus grande que celle d'un schéma, d'un diagrammeou d'un histogramme (Peirce, Eco). Il existe d'ailleursplusieurs recherches qui tentent de classer, par exemple,les différentes représentations imagées en fonction deleur degré d'iconicité (Moles, 1988) ou qui s'appuient surde telles taxonomies (Nyssen et Peraya, 1992). Mais l'on 6 Autrement dit, le signe linguistique se construit sur des oppositions binaires à

partir de la présence ou de l'absence d'un trait caractéristique6 : au niveau de lasubstance d'expression, de la substance phonique, les sons [b] et [p] par exemplese distinguent par le seul trait de sonorité, le premier étant une occlusive bilabialesonore, le second étant une occlusive bilabiale sourde. Au premier niveau del'analyse linguistique, au niveau de la forme de l'expression ou de la phonologie,l'opposition phonologique entre les phonèmes /p/ et /b/6 permet de distinguer, parexemple, les unités linguistiques «pal» et «bal».

7 Notons, qu'ainsi défini, le signe linguistique correspond au symbole, dans laterminologie peircienne, et au signe digital, dans celle de Bateson et Watzlawick.

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doit aussi considérer une seconde acception de ce termequi désigne, dans l'opposition «digital/analogique», lesphénomènes dont la nature est continue par rapport àceux qui sont discrets et discontinus (sens 2). Cettedéfinition plus générale permet d'englober dans unemême catégorie les signes iconiques, gestuels,mimétiques ou corporels, etc. Ceux-ci se présentent, eneffet, le plus souvent comme un continuum au seinduquel il est bien difficile d'isoler des unités minimalesdifférentielles et discontinues, des unités strictementbinaires (Meunier et Peraya). Si l'on prend par exemplel'image conventionnelle d'un soleil (un cercle entouré detraits droits ou curvilignes), elle est se présente commeun continuum graphique difficilement fragmentable8.C'est donc le caractère analogique de ces signes (sens 1)qui fonde leur caractère analogique au sens 2.

En réalité, l'analyse des langages montre que ladistinction digital-analogique (sens 2) n'est pas franche.Il existe du digital dans l'analogique et de l'analogiquedans le digital. Les langages audio-scripto-visuels ensont le plus bel exemple. Un document didactiqueillustré, un paratexte, se compose de langage verbal(composante digitale "pure"), mis en page graphiquement(composante déjà analogique), de dessins, de graphiques,de schémas, etc. (composantes analogiques au degréd'iconicité variable selon le cas) (cf. Schéma 2).

8 C'est d'ailleurs pour cette raison que R. Barthes proposait de considérer le langage

de l'image comme un langage de connotation, toute analyse au plan strictementdénotatif étant difficile, voire vouée à l'échec.

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Digital et analogique doivent alors être considérés commeles deux pôles entre lesquels se distribuent les différentssignes et les différentes modalités de communicationhumaine9. Il paraît dès lors justifié de présenter les trois

9 Digital et analogique se différencieraient enfin par le type de processus cognitif

qu'ils induiraient respectivement. Bougnoux (1991) a proposé dans cetteperspective, envisagée d'un double point de vue onto- et phylogénétique, quelquespistes intéressantes. Il met en avant la notion de coupure sémiologique quidistinguerait irrémédiablement les symboles, des icones et des indices : le mondede la sémiosis se trouverait là irréparablement fracturé. Selon un axe allant del'indice au symbole se développeraient les manifestations de type culturel etéducatif : l'éducation consisterait à développer progressivement l'usage desindices, des icones puis celui des symboles et, plus on serait éduqué, plus lacommunication se digitaliserait. Inversement, l'art, le rêve et l'imaginaire se

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modalités de la communication pédagogique que nousavons définies ci-dessus sous une forme nouvelle plusconforme à cette distinction (cf. Schéma 3).

Communication pédagogique et acte de langage

Les linguistes et les sémiologues ont longuement débattud'un critère permettant de distinguer nettement lacommunication et la significationl: c'est l'intentionnalitéde l'acte de communication qui sera choisie comme lecritère le plus parfaitement adéquat. Même si unvêtement peut se faire le support ou le véhicule designifications socioculturelles par trop évidentes, il aparu peu probable à certains auteurs qu'il soit porteurd'un message intentionnel: les tenues vestimentairesrelèveraient donc d'une catégorie particulière de signes

développeraient par une réactivation des aspects analogiques, iconiques etindiciels, de la communication. (cf. Meunier, Peraya, 1993).

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que Buyssens et Prieto nomment l'indicel: "un faitimmédiatement perceptible qui nous fait connaîtrequelque chose à propos d'un autre "fait" qui ne l'est pas"(Prieto, 1966:95). Par contre, la véritable communicationse fait à partir de signaux, c'est-à-dire de signes conven-tionnels, produits volontairement par l'émetteur pour êtrereconnus comme tels par le destinatairel: le code de laroute, par exemple, relève de cette catégorie.

Par leur choix du critère de délimitation du champ de lasémiologie, ces auteurs accordent à l'émetteur, audestinateur, une place privilégiée puisque c'est savolonté, son intention de communication ("son intentionet son degré de conscience" selon Eco) qui sera retenuecomme critère définitoire de la communication. Lareconnaissance de l'importance de l'intention decommunicationl–lle vouloir-dire du locuteurl– apparaîtaujourd'hui comme une notion fondamentale qui sera àla base de la théorie des actes de langage et del'orientation pragmatique que prendra la sémiotique. Etla théorie des actes de langage et la théorie pragmatiquese sont en effet développées comme une tentative pourintégrer à l'analyse des énoncés l'intention decommuniquer qu'expriment les locuteurs lorsqu'ilsaccomplissent un acte de langage.

On doit, à ce propos, rappeler brièvement que tout actede langage –ltout acte illocutionnairel–lpossède uncontenu propositionnel et une certaine force (Austin,1970l; Searle 1972). Plus précisément "un énoncé a laforce d'un ordre si le locuteur a l'intention, par sonénonciation, de donner un ordre à l'auditeur, d'unesuggestion s'il entend par ce qu'il dit suggérer quelquechose, etc." (Recanati, 1981:20). La force illocutionnairecorrespond donc à l'intention qu'a le locuteurd'accomplir, par son énonciation, tel ou tel autre acteillocutionnaire. Quant au contenu propositionnel, il peutêtre entendu comme le sens de l'énoncé en admettantque celui-ci comporte les éléments de connaissance ducontexte indispensables, c'est-à-dire ceux qui fixent parrapport à l'énonciation, le sens de la phrase. On com-

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prend dès lors que le sens d'un énoncé puisse êtrecompris sans que sa force illocutoire ne soitcomplètement élucidéel: "souvent nous comprenons cequ'on dit sans trop savoir “comment cela doit être pris” –lcomme un conseil, par exemple, ou comme une menace,ou comme un avertissement" (ibidem.:21).

Enseigner c'est aussi accomplir un acte de langageintentionnell: les orientations pédagogiques, fondées parexemple sur les théories taxinomiques dont Bloom (1976)fut l'initiateur (par exemple, De Landsheere, 1976l;Magger, 1977l; D'Hainaut, 1977l; Vandevelde, 1978) ontdéveloppé cette orientation comme l'axe principal de leurconstruction théorique comme de leurs propositionsméthodologiques. les séquences "objectif-stratégie/moyens-évaluation" relèvent d'une conceptionde l'enseignement fondée par une théorie de lacommunication discursive intentionnelle. Aux objectifscorrespondent les intentions du locuteur, à la stratégieles différents actes de langage à mettre en oeuvre etenfin, à l'évaluation, la mesure du degré de réussite deseffets perlocutoires souhaités. De plus, la prise encompte par l'éducateur ou par l'enseignant de diversfacteurs tels que les prérequis, le niveau dedéveloppement affectif et cognitif des élèves, etc. n'estautre que l'analyse des conditions de félicité de l'acted'enseigner (Peraya, 1989).

Communication pédagogique, contenu et relation

La communication ne se réduit pas à la simpletransmission d'un message –lde l'informationl– entre undestinataire et destinateur. En effet, dès que l'on cessed'envisager les messages en faisant abstraction de touteréférence à leur réalisations concrètes, il ne peut plusêtre question d'analyser les significationsindépendamment des sujets communicants et descontextes dans lesquels ceux-ci justementcommuniquent. Mais dès que les messages se voientconsidérés comme parties d'une situation concrète, dès

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qu'ils sont envisagés sous l'angle du discours, c'est-à-dire comme des actes avec toutes leurs implicationsrelationnelles, on est conduit à reconnaître, dans lemessage, deux aspects, l'un relatif au contenu et l'autre,à la relation. Aussi est-on amené à distinguer dans unénoncé verbal un sens descriptif ou propositionnel –lsoncontenu informatifl– et un sens pragmatique. Si le sensdescriptif concerne le fait qu'un énoncé verbal représenteun "état de choses" auquel il fait référence, le senspragmatique désigne quant à lui le fait qu'un énoncéassume une fonction illocutoire, c'est-à-dire qu'il met enrelation, sous un certain rapport, les interlocuteurs.C'est bien la notion de force que l'on retrouve ici. Auniveau pédagogique, cette distinction prend toute sapertinence puisqu'elle recouvre la distinction plusconnue entre contenus d'enseignement et relationpédagogique.

Les éléments de la signification qui déterminent le senspragmatique sont essentiellement linguistiques –lle modeverbal, l'ordre des mots, certains verbes commeordonner, promettre, appelés les performatifs explicites,etc.l–, mais aussi, de nombreux éléments que lalinguistique ne prend traditionnellement pas en charge.Ce sont, par exemple, les éléments dits extra-linguis-tiques ou supra-segmentaux: la prosodie, l'intonation, lamélodie, les inflexions de voix ainsi que la qualité vocale.Dans de très nombreux cas, en effet, aucun marqueur deforce illocutoire syntaxique ou sémantique ne permet dediscriminer deux énonciations différentes, possédantdonc deux sens pragmatiques différentsl: on doit enconséquence accepter que ces aspects de type analogiquejouent alors un rôle dans la communication et dans lacompréhension des aspects relationnels. Il est vrai que lecaractère vécu, psychologique, voire "naturel" de cessignes, a longtemps mis en cause la possibilité de lesconsidérer comme des signes conventionnels (Eco, 1990).Pourtant, ils sont eux aussi codifiés, tout au moinspartiellement. Qu'ils puissent être imités, simulés oufalsifiés –lsouvenons-nous de nos enseignants, de leurstics et de nos imitationsl– en constitue la meilleure

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preuve: ils sont identifiés et reconnus pour ce qu'ilsattestent, communiquent ou signifient. Et là sans aucundoute réside le talent de l'acteur: un enseignant peut-ilrester indifférent à cet extraordinaire sketch La dictée deJ. Pécheux ?

Les psychosociologues, on le sait, accordent d'avantaged'importance aux aspects non verbaux de lacommunication. Pour ces chercheurs –là l'origine,l'équipe de Palo Alto inspirée par les travaux de Batesonsur l'étiologie familialel– la communication se définitcomme un échange de messages entre partenaires enrelation. Le contenu de la communication –ll'informationl– se transmettrait essentiellement par lebiais du code verbal, par les modalités digitales de lacommunication tandis que les aspects relationnels –lunmessage sur le message et l'indication de comment celui-ci doit être prisl– emprunteraient essentiellement sesmodalités analogiquesl: la posture, la mimique, legestuel, les caractéristiques vocales, etc. Bref, tout ce quiconstituant la manière de dire, détermine le rapportentre les interlocuteurs et concerne au plus près leursimages d'eux-mêmes telles qu'elles se jouent dans cerapport même. Abordée sous cet angle commu-nicationnel, la notion même de relation pédagogiqueprend un sens nouveau. De ce point de vue, le mime dela situation scolaire de dictée induit chez le public duspectacle une réaction de type scolaire. La situationd'énonciation du spectacle cède le pas à celle –lscolairel–qui est jouée et qui porte avec elle son tissu de relationspropres au point d'assujettir le spectateur au rôle d'élève: c'est à cette condition que le spectacle est réussi.

Communication pédagogique et transmission del'information

La communication se fonde, dans son aspect le plusgénéral, sur une mise en commun : ce serait "l'action defaire participer un organisme ou un système situé en unpoint R aux stimuli et aux expériences de

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l'environnement d'un autre individu ou système situé enun autre lieu et une autre époque E, en utilisant les élé-ments de connaissance qu'ils ont en commun" (Moles,1988:25). Ensuite, la communication serait aussi unetransaction au sens où l'action de faire participer l'autreaurait au minimum pour effet de modifier son état deconnaissances10. Mais il est évident que la pratiqueéducative ne saurait se limiter à ces seuls effetscognitifsl: la tripartition dont on connaît la fortune enpédagogie –lsavoir, savoir-faire, savoir-êtrel– suffit à lemontrer.

Cependant, la conception dominante de l'enseignementgénéral et universitaire demeure encore celle de l'exposé,de la transmission de contenus et d'information : "Latradition pédagogique repose sur une réduction del'enseignement au savoir et du savoir à l'informationl: il ya chosification de ce savoir qui devient objet manipulé,programme, marchandise sans que soient garantis lesprocessus de structuration et découverte qui fondent laconnaissance en tant que praxis."11. Et dans ce contexte,la qualité de la communication, réduite à la qualité de latransmission, est souvent considérée comme un facteurimportant, voir exclusif, de celle de l'enseignement seloncette formule pour le moins simplificatricel:"bien enseignerl=lbien communiquerl=lbien transmettre".S'il est vrai que la communication a pu être considéréecomme une "idéologie à risques", la communicationéducative n'a guère pu éviter celui-ci, car par un effet deretour, les difficultés des enseignants sont souvent attri-buées à des dysfonctionnements de la transmission. Laformation des maîtres a d'ailleurs mis l'accent sur cesaptitudes spécifiques et allant parfois jusqu'à développer

10 Cette définition a le mérite de rendre possible l'extension du concept à la

communication homme/machine, pour par exemple, la conmsultation de banquesde données, le téléchargementz, les différents services transactionnelstéléphoniques ou télématiques, etc.

11 Roumette S., A propos de l'audiovisuell: retour à Orléans, in Le françaisd'aujourd'hui, n°17; mars 1972, cité par Jacquinot G. (1977), Image et pédagogie,p.15.

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autour du concept-clé de communication persuasive uneconception de la didactique (Ghuislain 1990).

Notons enfin à ce propos, que l'accroissement du pouvoirde diffusion et de circulation de l'information qu'offrentles technologies des télécommunications et de la télé-informatique –lle satellite ou les réseaux télématiquessont des exemples significatifsl– contribuent largementau renforcement, dans le cadre notamment de laformation à distance d'une pédagogie "transport". Cestechnologies au fort potentiel de téléprésencecorrespondent structurellement au modèle diffusionnelde communication défini par Moles (1988) en termes detuyaux et d'arrosoirl: un émetteur central s'adressantmassivement, à travers à un canal de diffusion facile, àun public-cible défini par des caractéristiques communesmais dont la diversité des individus n'est guère prise enconsidération. On comprend que dans cette perspective,ne puissent entrer en ligne de compte ni les conditionsde réception et donc d'exploitation des informationstransmises, ni les caractéristiques et les styles cognitifsdes publics, etc. Bref, toute une série de facteurs dontl'enseignant reconnaît l'importance (Jacquinot, 1992l;Peraya, 1993).

Audio-scripto-visuel, technologies intellectuelles et informatisation des médias

Remarquons ensuite que nous avons considéré –ldésignél– les langages audio-scripto-visuels comme destechnologies intellectuelles, laissant à l'arrière-plancontrairement à l'usage courant, le fait qu'ils sont aussides moyens de communication. Il est vrai que c'est ences derniers termes qu'ils ont d'abord été définis. Qu'ilssoient en même temps des systèmes sémiotiques, doncde modes de représentation et de symbolisation, ne s'estimposé, dans les années 70, qu'après de longs ettumultueux débats théoriques. Longtemps en effet, on acru à la transparence des codes iconiques et l'on a faitcomme si la signification était immanente à la

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représentation. Pour mémoire, l'un des plus significatifsde ces débats eut pour objet le fondement culturel etidéologique de la perspective renaissante et de l'illusionde réalité que produit le cinématographe (Panofsky,Gombrich, Cinéthique, etc.). Quant à la désignation detechnologie intellectuelle, elle s'est développée plusrécemment sous l'impulsion des courants cognitivistes,notamment dans le sillage de l'informatique et del'intelligence artificielle (Lévy, 1987, 1990). C'est cettedernière notion, dont la filiation avec celle de systèmesémiotique est établie, qui prévaut aujourd'hui.

Le concept de technologie intellectuelle s'inspire,notamment, des travaux de l'ethnologue Goody (1979)qui a mis en évidence les effets de l'écriture, puis del'imprimerie, sur les modes de pensée et d'intellection duréel. L'écriture aurait déterminé, en effet, l'émergenced'une forme de rationalité, de logique et d'objectivité. Unetechnologie intellectuelle contribue "à déterminer lemode de perception et d'intellection par quoi nous con-naissons les objets. Ils fournissent des modèlesthéoriques à nos tentatives pour concevoirrationnellement la réalité." (Lévy, 1987:10). Elle n'estdonc rien d'autre qu'un outil cognitif dont on sait qu'ilregroupe "en tant que registre général, les diverssystèmes de représentation et d'expression àfonctionnement sémiotique tels que les systèmestechniques, les diverses langues naturelles et formelles,les systèmes graphiques, les systèmes plastiques de l'art,les systèmes abstraits comme la logique ou les systèmesde classification, et enfin, last but non least, les systèmesde conceptualisation et de savoir, scientifiques ouphilosophiques" Netchine-Grynberg et Grynberg, 1991).Ces différents systèmes ont en commun la capacité et lafonction de représenter l'expérience, de la nommer maisaussi de la constituer comme telle pour la rendreidentifiable, pensable, manipulable et communicablel:"leur fonction est une fonction de médiation par laquellese construit en ses diverses modalités la relation entrel'homme et le monde"(op.cit.) ou encore : "Les systèmesde traitement de l'information effectuent la médiation

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pratique de nos interactions avec l'univers." (Lévy,ibidem)12.

Le fait de considérer les différentes formes de langageaudio-scripto-visuel comme des technologiesintellectuelles se trouve à la base de l'un des usages deces langages dans la pratique éducative ainsi que descourants de recherches tant expérimentales quethéoriques qui s'y rattachent directement même si, àl'époque, les hypothèses de travail n'étaient pas encoreformulées explicitement en ces termes. Rappelons quel'on peut distinguer parmi tous les usages éducatifs deslangages audio-scripto-visuels quatre tendancesprincipalesl:

1. l'audiovisuel comme moyen de recherches et deformation des enseignantsl: l'observation et l'analysedes comportements pédagogiques, le micro-enseignement et l'autoscopie qui utilisent latechnologie de la vidéo légère et du circuit fermé detélévision (CFTV) constituent les pratiques les plusreprésentatives de cette première tendancel;

2. l'audiovisuel comme outil d'enseignementl: il s'agitd'un champ de pratiques éducatives très diversifiéesallant par exemple, de la simple illustration ou del'imagerie scientifique au laboratoire de langues etaux différentes méthodologies audio-orale etaudiovisuelle d'apprentissage des langues secondesl;

3. les langages audio-scripto-visuels comme objetd'enseignementl: dès le milieu des années '70, lesrecherches sémiologiques se trouvent vulgarisées etadaptées à la pratique pédagogique des enseignants ;les initiations à la sémiologie, à l'analyse des médiasmais aussi à l'expression audiovisuelle et médiatique

12 Le psychologue expérimentaliste Bruner (1966) considérait déjà le langage

comme un outil technologique - un amplificateur culturel - permettant une mise àdistance par rapport au réel et de ce fait, donnant la possibilité d'effectuer desopérations productives et combinatoires en l'absence du réel.

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se multiplient d'autant que les cours d'initiation aulangage de l'image et au monde sonore sont introduitsdans les programmes scolaires. C'est l'époque oùl'alphabétisation audiovisuelle connaît son pleinessor13l;

4. l'audiovisuel comme support spécifiqued'apprentissage: il s'agit de s'appuyer sur la spécificitédes formes de représentation et de traitement del'information des langages audio-scripto-visuels pourfavoriser l'acquisition de compétences et d'aptitudescognitives spécifiques. Autrement dit, on suppose quedes systèmes symboliques différents pourraient déve-lopper des facultés intellectuelles différentes parceque, justement, ils mettent en oeuvre des facultésdifférentes (Olson, 1974l; Olson et Brunner 1974l;Salomon, 1977, 1978, 1981 et 1987)l: il ne s'agit doncplus de faire apprendre un contenu, un savoirdisciplinaire grâce à la médiation d'un audio-scripto-visuel mais bien de favoriser de compétences cogni-tives plus générales et fondamentales.

C'est bien sûr ce dernier courant qui se trouve concernépar la notion de technologie intellectuelle. Parmi cescompétences, citons la supplantation mise en évidence etlonguement analysée par exemple par Salomon, Ausburnet Ausburn (1978), Lynch (1986), Smith (1985), Hart(1984), Donnay (1981). C'est le cas lorsque des systèmessymboliques, utilisés par exemple par le cinéma et latélévision, "sont tels que, au lieu d'exiger une trans- 13 De ce mouvement témoignent les livres de Favrel (1971) de Porcher, Chalon et

Rubenach (1973 et 1976) ou encore la collection Les cahiers de l'audiovisuel dela Ligue française de l'enseignement et de l'éducation permanente (Bergala, 1975et 1977l; Berrard, 1979, Gauthier, 1979 et 1982l; Zimmer, 1979). La différenceentre ces deux types de publications nous paraît intéressante à souligner. Lespremières sont significatives de l'irruption de l'audiovisuel et des médias dans lesenseignements primaire et secondaire: il s'agit de rendre les enseignantsconscients de l'importance du phénomène «médias» et de faire entrer ceux-ci dansl'école par une pratique et par des exercices d'expression «médiatique». Lessecondes, directement inspirées par les travaux et le recherches sémiologiquesproposent des outils d'analyse permettant de rendre compte du fonctionnementlangagier des différents médias et de leur rhétorique.

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formation (comme lorsque deux points de vue sontjuxtaposés et doivent être coordonnés), ils en réalisentau moins une partie pour le spectateur. Ainsi, le zoommodèle ou supplante14 l'opération que l'on doit effectuerintérieurement quand on passe d'un gros plan à un plangénéral. De même, le mouvement de la caméra autourd'un objet supplante le processus de coordination despoint de vues." (Salomon, 1981:86). La supplantationintervient donc au moment où l'apprenant intériorise unmode de traitement de l'information externe, réalisé parcertaines caractéristiques techniques, syntaxiques, etc.du langage audio-scripto-visuel. Pourtant, si la nécessitéd'"apprendre des15 médias" (Jacquinot, 1981) n'a cesséd'être proclamée l'orientation la plus prometteuse, elledemeure encore en grande partie un voeux pieux: lesrésultats peu convaincants des nombreuses recherchesempiriques et l'échec de l'audiovisuel scolaire sont làpour nous le rappeler.

Il est cependant intéressant de voir l'informatiqueconsidérée à son tour comme la technologie intellectuellepar excellence et de constater que cette classificationrelative aux langages audio-scripto-visuels est repriseaujourd'hui pour présenter exactement dans les mêmestermes les usages scolaires de l'informatique (Duchateau,1992). Même s'il est vrai que la perception de l'infor-matique et des nouvelles technologies par lesenseignants comme par la communauté éducative paraîtplus favorable à leur développement dans un contextescolaire, il n'est pas certain que l'informatique scolaire neconnaisse pas, à terme, la même situation difficile quecelle qu'a connu l'audiovisuel.

Cet a priori favorable de l'informatique s'explique aumoins par ces deux raisons que nous rappelleronsbrièvement. Premièrement, l'audiovisuel a été associé àune activité de divertissement, de loisir et ce d'autantplus fortement que la télévision est rapidement apparue 14 En italiques dans le texte.15 Nous soulignons.

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comme le média pédagogique par excellence: enracinéedans une culture populaire, une culture de masse, elle aété considérée comme une forme de sous-cultureopposée à la culture classique, donc scolaire. En 1973,Tardy avait d'ailleurs cette très belle expression pourdésigner l'attitude des enseignants face à la télévision:"des citoyens-soldats qui veillent aux frontières del'empire menacé"16. L'informatique au contraire estapparue dans le champ de la culture scientifique etconstitue de plein droit une discipline scientifique. A cetitre, elle bénéficie de tout le crédit et du sérieux de lascience et de la technique. Deuxièmement, l'informatiques'est imposée comme un instrument professionnellargement répandu: bureautique, gestion et comptabilité,logiciels de conception assistée, contrôle et régulationdes systèmes, robotique, etc. Quasiment toutes lesprofessions ont été touchées par l'informatique, maisl'ordinateur, en tant qu'outil de travail, fait en plus l'objetd'un processus d'appropriation personnelle. Or, cela n'ajamais été le cas pour l'audiovisuel classique: sonutilisation reste limitée à un nombre restreint d'activités(presse, information et vulgarisation, industrie desloisirs, publicité) et sa pratique demeure l'apanage deprofessionnels (réalisateur, cameraman, cadreur,preneur de sons, éclairagiste, etc.) tandis que toutetentative d'appropriation des techniques audiovisuellespar le grand public, quelle que soit la qualité du matérielproposé, ne se développe que dans la sphère des activitésprivées, et donc de loisir. Autrement dit, l'audiovisuel nes'est jamais imposé comme outil de travail que pour lesseuls professionnels de l'audiovisuel.

Ces quelques remarques à propos du destin des médiasclassiques et informatiques, nous montrent bien quetoutes les formes de communication à vocation éducative 16 Le professeur et les images, Paris, Presses Universitaires de France. Il semble

cependant que cette méfiance se soit plus ou moins effacée comme le montre uneenquête récente La vie des enseignants de Collège, (Université de Montpellier II,1991)l: la plupart d'entre eux regardent souvent la télévision et l'indice d'écouteest en corrélation avec le nombre d'enfants au foyer.(cité in Bourrissoux J.L. etPelpel P., Enseigner avec l'audiovisuel, Paris, Les éditions d'organisation, 1992).

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n'ont pas le même poids, la même valeur pour user de lamétaphore économique (Bourdieu, 1981)l: elles nerelèvent pas des mêmes jeux institutionnels, des mêmesjeux de langages (Wittgenstein, 1961l; Lyotard,1979). Ilfaut donc substituer à la notion de communicationéducative celle de discours qui seule peut rendre comptede cette diversité.