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Gaë1 de Guichen 4 Gaë1 de Guichen A été responsable des études pour la conservation de la grotte préhistorique à Lascaux de 1968 à 1969. Depuis lors, il est'assistant scientifique la formation à I'Iccrom, ce qui I'a amené à faire des conférences et des cours dans plus de quinze pays sur les problèmes de détérioration et de conservation du patrimoine. A organisé une expsition itinérante sur la protection contre le climat et la lumière dans les musées. Coordonne un groupe de travail sur les réserves des musées. Lorsqu'on parle du patrimoine culturel, le public et les autorités, fascinés par l'âge, la beauté ou le message des objets ou des monuments qui ont traversé les siècles, en oublient que cette beauté ou ce message sont supportés par un matériau essentiellement périssable. La plupart des créations du passé ont disparu. Malgré tout, notre génération a reçu un certain héritage archéologique, historique, technologique, scientifique ou industriel dont la valeur n'en est que plus grande. Saurons-nous le transmettre aux générations futures ? On peut en douter car la situation, aujourd'hui, n'est pas celle d'il y a une génération. Faisons une comparaison : tout le monde reconnaît que les condi- tions de conservation du patrimoine naturel se sont dramatiquement détério- rées depuis trente ans. I1 en est de même des conditions de conservation du patrimoine culturel. Mais, si partout les mouvements écologiques travaillent pour éviter un désastre qui s'annonce, pour modifier les mentalités et recevoir ainsi un appui du public, rien de semblable ne paraît se dessiner pour la protection du patrimoine culturel. Bien au contraire, on entend dire : (( Ça s'est conservé jusqu'à aujourd'hui, ça va bien se conserver encore autant. )) Souvent le public le pense. I1 a tort. Souvent les autorités le pensent. Elles ont tort. Mais, plus grave encore, les professionnels le pensent parce que chaque spécialiste ne voit que son domaine et qu'il espère que la situation est moins grave dans d'autres secteurs. En trente ans, les conditions qui permettaient une conservation correcte du patrimoine se sont dramatiquement modifiées : Des sites archéologiques sont bouleversés par des travaux de génie civil sans précédents (barrages, routes) et par des labours profonds. L'industrialisation non contrôlée et l'urbanisation non planifiée ont entraîné des dégâts irréversibles et, dans certains cas, un point de non-retour est atteint. La pollution de l'air a permis, en vingt ans, une destruction des pierres calcaires et particulièrement des marbres qui avaient résisté parfaitement durant des siècles.

Défi à la profession

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Gaë1 de Guichen 4

Gaë1 de Guichen

A été responsable des études pour la conservation de la grotte préhistorique à Lascaux de 1968 à 1969. Depuis lors, il est'assistant scientifique la formation à I'Iccrom, ce qui I'a amené à faire des conférences et des cours dans plus de quinze pays sur les problèmes de détérioration et de conservation du patrimoine. A organisé une expsition itinérante sur la protection contre le climat et la lumière dans les musées. Coordonne un groupe de travail sur les réserves des musées.

Lorsqu'on parle du patrimoine culturel, le public et les autorités, fascinés par l'âge, la beauté ou le message des objets ou des monuments qui ont traversé les siècles, en oublient que cette beauté ou ce message sont supportés par un matériau essentiellement périssable.

La plupart des créations du passé ont disparu. Malgré tout, notre génération a reçu un certain héritage archéologique,

historique, technologique, scientifique ou industriel dont la valeur n'en est que plus grande.

Saurons-nous le transmettre aux générations futures ? On peut en douter car la situation, aujourd'hui, n'est pas celle d'il y a une

génération. Faisons une comparaison : tout le monde reconnaît que les condi- tions de conservation du patrimoine naturel se sont dramatiquement détério- rées depuis trente ans. I1 en est de même des conditions de conservation du patrimoine culturel. Mais, si partout les mouvements écologiques travaillent pour éviter un désastre qui s'annonce, pour modifier les mentalités et recevoir ainsi un appui du public, rien de semblable ne paraît se dessiner pour la protection du patrimoine culturel.

Bien au contraire, on entend dire : (( Ça s'est conservé jusqu'à aujourd'hui, ça va bien se conserver encore autant. ))

Souvent le public le pense. I1 a tort. Souvent les autorités le pensent. Elles ont tort. Mais, plus grave encore, les professionnels le pensent parce que chaque

spécialiste ne voit que son domaine et qu'il espère que la situation est moins grave dans d'autres secteurs.

En trente ans, les conditions qui permettaient une conservation correcte du patrimoine se sont dramatiquement modifiées : Des sites archéologiques sont bouleversés par des travaux de génie civil sans

précédents (barrages, routes) et par des labours profonds. L'industrialisation non contrôlée et l'urbanisation non planifiée ont entraîné

des dégâts irréversibles et, dans certains cas, un point de non-retour est atteint.

La pollution de l'air a permis, en vingt ans, une destruction des pierres calcaires et particulièrement des marbres qui avaient résisté parfaitement durant des siècles.

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Défi à la profession 5

L'usage de matériaux nouveaux considérés un moment comme produits mira- cles (ciments, résines plastiques, etc.) a produit des réactions secondaires et une accélération des phénomènes de détérioration.

Le patrimoine est devenu un atout dans les mains des hommes &État qui, pour faire une politique c culturelle o, obligent à exposer ou, mieux, à exhiber des œuvres à tout prix en refusant de tenir compte des risques encourus par celles-ci.

Des œuvres dispersées ont été regroupées dans des G réserves o insalubres ou techniquement non étudiées. En cas de vol, incendie, inondation ou attaque biologique, des collections entières disparaissent.

Le climat auquel des œuvres s'étaient habituées est modifié fondamentalement par le chauffage central, par l'air conditionné ou par un transport dans un autre lieu.

Des objets, en particulier des tissus, qui étaient restés en permanence à l'obscu- rité ou présentés exceptionnellement, sont exposés huit heures par jour sous un éclairage néfaste, artificiel ou naturel.

Certains architectes et (( designers )) ne voient dans le musée qu'un faire-valoir. Leur création, parfois esthétique, ne tient aucun compte de la nécessité de protéger les collections.

Devant cette montée des dangers, les responsables du patrimoine - archéolo- gues, architectes, archivistes, bibliothécaires, conservateurs, hommes de laboratoire, muséologues, restaurateurs, etc. - sont-ils préparés ? A l'excep- tion de quelques cas, la réponse est non. I1 n'y a d'ailleurs qu'à comparer les programmes de formation et de concours de ces spécialistes il y a trente ans et aujourd'hui. On voit que la conservation fait rarement partie inté- grante du programme et que, lorsqu'elle le fait, elle laisse souvent le pas à la restauration.

I1 faut un profond changement de mentalité pour espérer encore sauver ce qui peut être sauvé. Ce changement de mentalité doit partir des professionnels.

I1 faudra travailler sur différents plans et les mesures suivantes peuvent être suggérées : Prise de conscience par les professionnels de l'augmentation considérable de la

vitesse de détérioration du patrimoine. Établissement d'un front commun entre les différentes disciplines car le fond

du problème de la conservation du patrimoine mobilier et immobilier est identique.

Recyclage des professionnels. Formation adaptée des futurs responsables. Renforcements et adoptions de mesures administratives et juridiques. Adoption de mesures techniques comme par exemple le lancement de recher-

ches conjointes avec l'université et l'industrie. Adoption d'une politique de choix du patrimoine à transmettre car à vouloir

tout conserver on ne transmettra rien. Sensibilisation du public pour qui ce travail est réalisé (si le public comprend

ce qu'il peut apprendre du passé, il n'y aura aucune difficulté à lui demander de supporter les actions entreprises pour sauver le patrimoine. La conserva- tion doit se faire avec et non contre le public).

Si nous, les professionnels, ne réagissons pas et si nous continuons à oublier que nous avons le devoir de conserver le patrimoine culturel qui, à la différence du patrimoine naturel, ne se régénère pas, la génération suivante sera en droit de nous accuser de n'avoir pas assumé nos responsabilités face au passé et face au futur.

C'est notre devoir car comme le disait un poète fransais : c Les pays qui n'ont pas de légende sont condamnés à mourir de froid. )) Ne faisons pas mourir de froid les générations suivantes.