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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 1-
Une approche didactique de l’enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté
(Denis Butlen, IUFM de l’Académie de Versailles, Université de Cergy-Pontoise)
INTRODUCTION
Ce cours a pour but de présenter une synthèse de recherches menées notamment par une
équipe de chercheurs regroupés dans le Laboratoire de Didactique André Revuz (Universités
de Cergy-Pontoise et Denis-Diderot) sur l’enseignement des mathématiques à des élèves en
difficulté. La plus grande part de ces recherches porte sur un public d’élèves encore scolarisé
dans le cursus normal de l’école primaire et du début du collège. Certaines ciblent plus
particulièrement les élèves en difficulté scolarisés en ZEP et issus de milieux socialement
défavorisés. D’autres concernent l’enseignement des mathématiques à des élèves présentant
des troubles importants des fonctions cognitives.
Ce cours comporte trois parties complémentaires.
Une première partie concerne des résultats de recherche portant sur l’enseignement des
mathématiques à des élèves en difficulté. Ils ont été établis dans le contexte spécifique de
l’enseignement du calcul mental et de la résolution de problèmes. Une deuxième partie est
centrée sur des recherches portant sur les pratiques de professeurs des écoles enseignant les
mathématiques dans des établissements de ZEP scolarisant des élèves issus de milieux
socialement très défavorisés. Enfin une troisième partie concerne plus spécifiquement le
public de l’ASH et porte notamment sur la question de l’adaptation pour un enseignement à
des élèves présentant des troubles des fonctions cognitives ou du comportement de
situations « robustes » et à « fort potentiel adidactique » conçues initialement pour des élèves
du cursus normal.
Dans la première partie, nous commençons par présenter quelques résultats de recherche
visant à dresser un profil quantitatif et surtout qualitatif d’un élève en difficulté en
mathématiques. Dans un deuxième temps, nous présentons des recherches, menées par Denis
Butlen et Monique Charles-Pézard, centrées sur l’enseignement d’un contenu particulier : le
calcul mental et la résolution de problèmes et portant plus spécifiquement sur les élèves en
difficulté.
Une seconde partie est consacrée à des recherches portant sur les pratiques de professeurs
des écoles enseignant les mathématiques dans des écoles de ZEP scolarisant des publics
socialement très défavorisés. Deux recherches sont abordées. Une première recherche,
s’appuyant sur l’observation plutôt « naturelle » (c’est-à-dire très peu participante) d’une
première cohorte de dix professeurs des écoles (débutants ou expérimentés) pendant deux
années successives, a débouché sur la mise en évidence de contradictions marquant
profondément leurs pratiques. La manière dont les enseignants observés gèrent ces
contradictions et investissent les marges de manœuvre qui leur restent constituent des
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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régularités inter et intra personnelles. Celles-ci peuvent être mises en évidence au niveau
global des grands choix didactiques et pédagogiques, au niveau local de la gestion
quotidienne de la classe à l’aide de routines (terme que nous définirons) ou au niveau plus
micro des gestes et des automatismes.
Format du cours et modalités de travail
Ce cours est divisé en trois parties relativement indépendantes les unes des autres. Il sera
présenté en trois temps. Il comporte deux types de documents :
- des exposés se présentant sous la forme de courts paragraphes introduisant ou
présentant de manière très synthétique les lignes directrices et les principaux résultats
des recherches ;
- des articles ou des extraits d’articles ou d’ouvrages développant plus longuement
certains points des exposés :
o BUTLEN D. (1991), Quelques remarques sur les tests nationaux d'évaluation
en CE2, Grand N n°49, 49-59, IREM de Grenoble, université Joseph Fourier,
Grenoble 1
o BUTLEN D., LE POCHE G. (1997) Deux exemples de situations
d’enseignement de mathématiques s’adressant à des élèves en difficulté. In
Ministère de l’Education Nationale Texte d’accompagnement des programmes,
Paris
o BUTLEN D. PEZARD M., (2007) Conceptualisation en mathématiques et
élèves en difficulté, Grand N, n°71, 7-32, IREM de Grenoble, université
Joseph Fourrier, Grenoble 1
o BUTLEN D., CHARLES-PEZARD M. (2009) Gestes et routines
professionnels : un enjeu pour l’analyse des pratiques des enseignants, EMF
2009 (Espace Mathématique Francophone), Dakar (Sénégal), 02-06 avril 2009
- trois articles supports de l’évaluation
o BUTLEN D. CHARLES-PEZARD M., MASSELOT P. (2008, conférence)
Que nous apprend l’évaluation d’un dispositif de formation de type
accompagnement en mathématiques des professeurs des écoles débutants
nommés en ZEP sur la formation des pratiques ? In Actes du colloque Les
didactiques et leurs rapports à l’enseignement et à la formation. Quels statuts
épistémologiques de leurs modèles et de leurs résultats ? Bordeaux
o BUTLEN D., MASSELOT P. (2011) Que peut apporter l’expérimentation de
situations à « fort potentiel adidactique », en vue d’un enseignement en
direction d’élèves présentant des troubles cognitifs ou du comportement, sur la
viabilité de ces situations ? In actes du colloque ACFAS, Sherbrooke, Canada
o BUTLEN D. Chapitre 3 et 4, Partie II, In Le calcul mental, entre sens et
technique. Des difficultés des élèves aux élèves en difficulté, 101-124 , Presses
universitaires de Franche-Comté, Besançon
Nous conseillons aux étudiants de ne pas se contenter de lire les exposés de synthèse mais de
les compléter et de les illustrer par la lecture des documents du deuxième type ; pour chaque
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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extrait d’article inséré dans le cours, le lecteur pourra aussi consulter sur la plateforme
l’article complet.
Modalités d’évaluation
L’évaluation de l’EC consistera en la rédaction d’une note de lecture portant sur un article à
choisir parmi les trois proposés. L’étudiant pourra consulter la fiche-guide relative à cette note
de lecture.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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PREMIÈRE ÉTAPE
PREMIÈRE PARTIE : DES DIFFICULTÉS DES ÉLÈVES AUX ÉLÈVES EN
DIFFICULTÉ : L’EXEMPLE DU CALCUL MENTAL
Comme nous l’avons indiqué dans l’introduction, nous présentons dans cette première partie
un ensemble de recherches portant sur l’enseignement des mathématiques à des élèves en
difficulté notamment issus de milieux socialement défavorisés. Dans un premier temps, nous
définissons ce que nous appelons élèves en difficulté en mathématiques en adoptant un point
de vue statistique et un point de vue qualitatif. Dans un deuxième temps, nous justifions le
choix du contexte mathématique (le calcul mental). Dans un troisième temps, nous présentons
de premiers résultats relatifs à ce type d’enseignement et à ses effets sur les apprentissages
numériques des élèves (connaissances sur les nombres et les opérations, résolution de
problèmes). Nous développons principalement deux thèmes : d’une part les liens existant
entre maîtrise de techniques opératoires et construction du sens des nombres et des opérations
et d’autre part le paradoxe de l’automatisme dans le cas du calcul mental. Nous terminons en
présentant des cheminements cognitifs spécifiques d’élèves en difficulté issus de milieux
socialement défavorisés leur ayant permis de surmonter au moins en partie les difficultés
rencontrées dans les activités précédemment exposées.
I. Elèves en difficulté en mathématiques : un profil statistique, un profil
qualitatif
I.1. Un profil statistique possible
L’analyse des performances des élèves aux évaluations nationales CE2 et sixième qui ont eu
lieu à partir des années 90 nous a permis de définir un profil statistique d’un élève en
difficulté en mathématiques à l’école primaire. En effet, cette analyse fait apparaître des
régularités fortes dans les performances des élèves qui dépendent grandement des contenus
mathématiques en jeu dans les items proposés.
Dans l’extrait de l’article ci-dessous (Butlen, 1992), nous nous proposons de répondre à la
question suivante : « Quels sont les items qui sont réussis par au moins 80 % de l'échantillon
national d'élèves de CE2 ? Quelles sont les connaissances testées à cette occasion ? À quel(s)
niveau(x) scolaire(s) sont-elles enseignées ? »
L'analyse des items montre que les connaissances en question relèvent du CP ou du début du
CE1. Cela permet de déboucher sur la « définition statistique » suivante d'un élève de CE2 en
difficulté en mathématiques : c'est un élève qui échoue massivement aux items réussis
nationalement par plus de 80 % des élèves de ce niveau.
Nos recherches sur les élèves en difficulté ont montré que ce type de résultats reste vrai pour
les évaluations de sixième. Tout se passe comme s’il existait un décalage de deux années
entre le temps institutionnel des apprentissages (tel que l’on peut le lire dans les programmes
officiels) et le temps réel des apprentissages d’un élève « standard ».
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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Notons que ce résultat débouche sur une application pratique : le recueil, sur plusieurs années,
des items correspondants peut permettre ainsi aux maîtres de se construire un outil fiable
permettant de détecter les élèves manifestant des difficultés importantes et de prévoir les
thèmes des remédiations nécessaires.
QUELQUES REMARQUES SUR LES TESTS NATIONAUX D'ÉVALUATION CE2
DE 1989 ET 1990 (Denis BUTLEN)1
Nous avons été amenés à nous intéresser aux tests d'évaluation CE2 de ces deux dernières
années pour deux raisons :
- d'une part, nous avons utilisé ce test comme premier outil de diagnostic lors d'une
expérience d'enseignement à des élèves en difficulté de CE2 (école Montaigu de Melun, Seine
et Marne), dans le cadre d'une recherche menée à l'IREM de Paris VII.
- D'autre part, nous avons eu à répondre aux questions soulevées par cette évaluation lors des
stages d'instituteurs organisés par l'École Normale sur ce thème.
1. Premier constat issu des résultats des évaluations de CE2 de 1989 et 1990 : essai de
définition statistique de l'élève en difficulté au CE2.
Analysons les résultats de 1989 et 1990, en particulier déterminons les items réussis à plus de
80 % (tableaux 1 et 2). Nous expliquons plus loin les raisons de ce choix.
D'après ces tableaux, nous constatons que les items réussis à plus de 80 % portent sur :
- L'écriture des nombres à trois chiffres en lettres et en chiffres : cependant cette écriture ne
doit pas comporter trop "d'irrégularités", ainsi en 1990, quatre-vingt-sept et neuf cent
soixante-dix sont plus mal réussis que trois cent quarante-deux et six cent sept.
- Le rangement des nombres de deux et trois chiffres par ordre croissant.
- Le placement de nombres sur la droite numérique (représentée conventionnellement sous
forme d'une ligne droite).
- La comparaison des nombres écrits sous formes additives ou soustractives simples (notons
toutefois que les erreurs sont plus importantes quand les écritures sont "trop proches", trop
"semblables").
- Les additions en ligne et sans retenue (87,1 %) ou posées avec (77,4 %, 79,2 %) ou sans
retenue (92,7 %).
- La reconnaissance et la résolution d'un problème additif comportant deux données (par
contre un problème additif comportant trois données n'est réussi qu'à 74,6 % en 1989).
- La comparaison de bandelettes en prenant en compte leur longueur.
1 Article publié dans le n°49 de la revue Grand N, pp. 49-59, 1991-1992
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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- Le tracé de dessins simples et conventionnels sur quadrillage, repérages simples sur
quadrillage. Il s'agit de tracer sur quadrillage une figure translatée ou de compléter par
symétrie une figure (ne comportant pas trop d'obliques, 1989) ou encore de décoder, sur
quadrillage, un chemin.
- La lecture d'un tableau à double entrée.
Tableau 1 : items de l'évaluation nationale d'octobre 1989, réussis à plus de 80 % (d'après le
Ministère de l'Éducation Nationale, Éducation et formations, évaluation CE2-6ème
)
Exercice Objectif Activité item %
1 Transcrire en lettres des
nombres écrits en chiffres
et inversement
Transcrire quatre-vingt-quinze
Transcrire cinq cent vingt-huit
Transcrire 609
Transcrire trois cent quatre
1
2
3
4
86,9 %
89,8 %
86,5 %
91,6 %
2 Ranger des nombres Ranger 78, 89, 56 et 65 du plus petit
au plus grand
Ranger 876, 867, 856 et 865 du plus
petit au plus grand
5
6
95 %
88,8 %
4 Comparer des nombres
écrits sous des formes
diverses
Mettre le signe qui convient :
> < =
500 + 60 + 5 ... 565
572 + 84 ... 572 + 118
28 - 14 ... 38 - 14
8
10
11
94,1 %
87,3 %
84,8 %
7 Savoir faire les trois
opérations (+, -, x) posées
ou en ligne
Effectuer une opération :
. addition en ligne 428 + 231
. 694 + 78 (posée)
15
18
87,1 %
77,4 %
10 Résoudre des situations à
une opération
trouver le nombre d'élèves dans trois
écoles (additif)
27 74,6 %
14 Ranger des longueurs Classer cinq bandes de la plus courte
à la plus longue
34
85,4 %
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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16 Savoir se repérer et se
déplacer sur quadrillage
Tracer, sur un quadrillage, un chemin
en respectant un message codé
36
81,1 %
20 Achever un tracé Compléter une figure en observant le
modèle
42 83,9 %
21 Compléter par symétrie Tracer le symétrique d'une figure par
rapport à une droite
43 81,8 %
30 Lire un tableau à double
entrée
À partir du tableau de présence au
restaurant scolaire, repérer trois
informations :
. information 1
. information 2
. information 3
53
54
55
92,2 %
89,8 %
87,3 %
31 Placer des nombres dans un
tableau
Placer dans un tableau trois distances
séparant des villes
56 83 %
N.B : nous avons retranscrit dans ces tableaux tous les items réussis à plus de 70 %, les items
réussis dans un pourcentage compris entre 70 % et 80 % sont écrits en italique.
Tableau 2 : items de l'évaluation nationale d'octobre 1990, réussis à plus de 80 % (d'après le
Ministère de l'Éducation Nationale, Éducation et formations, évaluation CE2-6ème
)
Exercice Objectif Activité item %
3 Construire ou reproduire
une figure simple sur
quadrillage
Tracer le translaté d'un dessin sur un
quadrillage
3 87,3 %
5 Compléter, par pliage
(symétrie) une figure
dessinée sur quadrillage
Reproduire, de l'autre côté de l'axe de
symétrie, un dessin représenté sur un
quadrillage
5
73,3 %
6 Décrire une figure afin
qu'un camarade puisse la
reproduire
Choisir, parmi trois messages, celui
qui a permis de réaliser un dessin
6
76,7 %
10 Lire l'heure à une heure donnée, associer le bon
cadran parmi trois
12 78,2 %
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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15 Utiliser le calendrier Repérer deux informations dans une
partie du calendrier de 1990 :
. trouver la date correspondant au
dernier mercredi du mois de
septembre
. quel est le jour correspondant au 6
octobre
20
21
73,4 %
78,2 %
18 Effectuer les trois
opérations (+, -, x), posées
Effectuer des opérations posées :
. addition sans retenue : 543 + 32
. addition avec retenue : 283 + 497
26
29
92,7 %
79,2 %
20 Calculer mentalement Effectuer mentalement l'opération
suivante :
. 24 + 7
37
80,6 %
21 Transcrire en lettres des
nombres écrits en chiffres
et inversement
Transcrire en lettres deux nombres
écrits en chiffres :
. 342
. 970
et transcrire en chiffres deux nombres
écrits en lettres :
. six cent sept
. quatre-vingt-sept
41
44
42
43
81,3 %
73,6 %
91 %
74,2 %
22 Ranger des nombres Ranger cinq nombres ayant un, deux,
ou trois chiffres, du plus petit au plus
grand.
Ranger cinq nombres compris entre
400 et 500
45
46
91,2 %
85,3 %
23 Placer des nombres sur la
ligne des nombres
ranger des séries de trois nombres sur
la ligne des nombres présentée "de
façon habituelle"
48
84,6 %
Exercice Objectif Activité item %
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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24 Comparer des nombres
sous formes diverses
Comparer des écritures numériques
présentées sous formes différentes
. 900 + 60 + 16 ... 900 + 70 + 16
. 348 + 57 ... 210 + 348
. 47 - 12 ...37 - 12
49
51
52
76,3 %
76,5 %
79,6 %
26 Lire un tableau à double
entrée
À partir d'un tableau à double entrée,
identifier trois données :
. une case
. une modalité en ligne
. une modalité en colonne
55
56
57
86,2 %
83,8 %
82,2 %
28 Exploiter un document brut Repérer quatre villes à partir des
températures sur une carte
météorologique :
. Donner le nom de la ville où il fait le
plus chaud
. Donner le nom de la ville où il fait le
moins chaud
. Donner le nom des villes où l'on a
relevé 27 (deux réponses)
59
60
61
81,4 %
74,6 %
78,7 %
29 Résoudre un problème à
une opération
Résoudre un problème additif 62 82,5 %
31 Faire un choix raisonné
entre plusieurs réponses à
une même question et
formuler la justification
A partir de l'extrait d'un catalogue de
jouets, additionner mentalement deux
nombres et :
. situer le résultat par rapport à un
nombre donné.
72
90,6 %
Il semble que ces items correspondent aux contenus d'enseignement du CP, voire de début de
CE1 pour la numération et l'addition.
Le fait d'évaluer des élèves sur des contenus enseignés un ou deux ans auparavant tient
compte du temps nécessaire pour que des notions mathématiques soient acquises.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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Ceci pourrait laisser entendre qu'un élève de début CE2 doit seulement avoir acquis les
notions du programme de CP. La réalité est toutefois plus compliquée. La maîtrise des notions
du CP suppose leur réinvestissement dans des contextes plus complexes : la connaissance du
modèle additif par exemple, nécessite la reconnaissance de modèles non additifs ; il en est de
même pour le tri et la sélection de données...
L'analyse des résultats tant nationaux que locaux nous a amenés à formuler la définition
suivante : un élève en difficulté générale en mathématiques, en début de CE2, est un élève qui
n'a pas acquis certaines notions mathématiques importantes de fin CP, début CE1. C'est donc
un élève qui échoue massivement aux items réussis à plus de 80 % nationalement.
I.2. Profil qualitatif d’un élève en difficulté en mathématiques
Nous présentons dans l’article ci-dessous des caractéristiques susceptibles d’être présentées
par un élève en difficulté en mathématiques. Ce dernier ne présente pas forcément toutes ces
caractéristiques mais les recherches menées en ce domaine (Perrin-Glorian, 1992 ; Butlen et
Pézard, 1996) montrent qu’il existe des phénomènes de convergence, de seuil et de cumul qui
concourent souvent à l’accumulation de difficultés. Il s’agit d’un extrait d’un document de la
COPIRELEM rédigé essentiellement par Butlen (1997) qui a été publié par le Ministère de
l’Éducation Nationale sous la rubrique « Texte d’accompagnement des programmes ». Il a été
ensuite repris dans l’ouvrage « Concertum » de la COPIRELEM.
DEUX EXEMPLES DE SITUATIONS D’ENSEIGNEMENT DE MATHÉMATIQUES
S’ADRESSANT À DES ÉLÈVES EN DIFFICULTÉ (D. BUTLEN)
(EXTRAITS)
I) Comment se manifestent les difficultés des élèves de l'école élémentaire ?
Nous nous appuyons sur deux articles : "Réflexions sur le rôle du maître dans les situations
didactiques à partir du cas de l'enseignement à des élèves en difficulté - PME 1992, M.J
Perrin" et "Une expérience d'enseignement des mathématiques à des élèves de 6ème
en
difficulté, Repères-IREM n°3, Topiques-Editions (1991), M.J. Perrin-Glorian et D. Butlen".
Voici plusieurs caractéristiques d'un élève en difficulté en mathématiques qui ne se retrouvent
pas forcément toutes chez le même élève ; cependant, on constate souvent un effet
d'accumulation à long terme.
Difficulté à capitaliser le savoir
Ces élèves ont du mal à retenir le cours, à mémoriser vocabulaire et propriétés.
L'apprentissage par cœur n'apporte pas de solution ; on a pu constater, en sixième par
exemple, que des élèves connaissent parfaitement deux définitions de la médiatrice d'un
segment mais ne savent pas les utiliser pour résoudre un exercice.
Manque de confiance dans les connaissances anciennes
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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L'absence de connaissances antérieures solides auxquelles il convient de se référer contribue
chez ces élèves à un manque d'organisation et d'intégration des savoirs nouveaux : pour
certains enfants, rien n'est sûr, tout peut toujours être remis en question, puisqu'ils ont
l'habitude de se tromper.
Carence dans les représentations mentales et absence de projet implicite de réinvestissement
Il y a souvent, chez les élèves en difficulté, un divorce entre les situations d'action qui
devaient servir à donner du sens aux notions enseignées et l'institutionnalisation(2) qui est
faite ensuite par le maître.
Par exemple, pour introduire la notion de fraction, il est usuel d'amener les élèves à partager,
par pliage ou report, des segments en parties égales ; les élèves en difficulté ne retiennent de
cette séance que l'activité manipulatoire alors que d'autres y voient en plus l'illustration d'une
définition de la fraction. Pour ces derniers, la notion de fraction prend du sens.
Au cours de l'action, dans les premières situations qui permettent d'aborder une notion
nouvelle, on ne voit pas beaucoup de différences entre les élèves "ordinaires" ou ceux qui sont
en difficulté.
En revanche, la différence entre ces deux types d'élèves s'accentue très vite dès qu'ils ont à
réutiliser les connaissances nouvelles dans d'autres situations. Le savoir institutionnalisé par le
maître, même dans le cas où il est mémorisé, semble coupé des situations d'action qui lui ont
donné naissance et ne peut être utilisé pour résoudre de nouveaux problèmes. Les élèves qui
ne rencontrent pas ce type de difficulté ont conscience que dès le début de l'activité, ce qu'ils
vont faire pourra être réutilisé dans d'autres situations, autrement dit dans un autre contexte.
Ils se créent des représentations mentales non seulement pour résoudre le problème posé mais
pour pouvoir en rappeler et réutiliser des éléments à l'occasion d'autres problèmes. Ceci leur
permet de réinvestir partiellement une connaissance, même si elle n'est pas encore totalement
identifiée.
Pour d'autres enfants, ce "transfert" ne se fait pas à l'occasion d'autres problèmes et ne peut se
faire, ne peut pas se faire car ils ne résolvent le problème que dans les termes où il est posé
sans idée de généralisation. Cela empêche la capitalisation et la mémorisation des
connaissances. Ainsi, pour eux, chaque expérience est nouvelle, ou plus exactement, ils ne
reconnaissent que le contexte : "on a plié des bandes de papier, on a découpé des rectangles..."
Absence d'identification de l'enjeu des situations d'enseignement
L'élève en difficulté identifie mal les enjeux d'apprentissage ; il ne résout pas toujours le
même problème que ses pairs, ni le problème que le maître pense avoir posé. L'élève en reste
souvent au niveau de l'action et ne peut faire le lien avec d'autres expériences et d'autres
apprentissages.
Lassitude et manque d'investissement
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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Ce manque d'investissement se fait en particulier sentir dans les contrôles écrits et dans le
travail à la maison où un certain nombre d'élèves n'aborde pas une partie des questions. Ceci
est sans doute à mettre en relation avec un certain manque de méthodes et un défaut de
confiance dans la réussite.
En classe, certains élèves peuvent se lasser très vite d'une situation. Il est de ce fait très
difficile de mener à terme son exploitation et de tirer les bénéfices de la recherche amorcée.
Certaines situations, lorsqu'elles sont perçues par les élèves comme nouvelles, les
"accrochent" particulièrement. Ces situations restent alors plus facilement dans la mémoire
des élèves et peuvent jouer le rôle de situations de référence.
Manque de méthodes
Les élèves ne savent pas comment aborder un problème. Le plus souvent, ils essaient de se
souvenir du cours mais par contre, ils ne savent pas comment l'utiliser. Ils semblent manquer
de situations complexes de référence, ce qui les amène à se précipiter sur la recherche d'une
opération à effectuer ou d'une règle à appliquer. De plus, ils ne prennent souvent en compte
qu'une partie de l'information et ont du mal à l'organiser pour se faire une représentation du
problème.
Le manque de méthodes et d'investissement rend plus difficile le travail à la maison (par
exemple lors de l'apprentissage des tables de multiplication).
Difficulté de socialisation et recherche d'une relation privilégiée avec l'adulte
Le travail de groupe et les phases collectives sont très difficiles à gérer parce que les élèves,
comme ils le reconnaissent eux-mêmes, lors d'entretiens individuels, ont des difficultés pour
communiquer : ils ont du mal à s'exprimer, certains n'en ont pas envie, ils sont incapables
d'écouter leurs camarades et de respecter des règles élémentaires de prise de parole. Ils
recherchent une relation privilégiée avec l'adulte.
Certaines activités permettent toutefois de favoriser le travail en groupe. Par exemple, celles
qui utilisent l'informatique rendent la collaboration entre élèves nécessaire : les conditions
matérielles sont particulières et le professeur n'est plus alors l'interlocuteur privilégié. En
revanche, le travail sur ordinateur rend quasiment impossible les phases collectives car les
élèves acceptent mal de d'interrompre le travail en groupe : la machine joue un rôle
"attracteur" et ils travaillent à des rythmes différents. Le bilan doit donc être fait dans une
séance ultérieure.
Recherche d'algorithmes
Les élèves cherchent à utiliser le plus possible des algorithmes qui constituent des économies
de pensée. Dès le début de l'apprentissage d'une notion, ils se construisent des règles de
fonctionnement qui, souvent, ne prennent en compte qu'une partie de l'information et qui ont
des domaines de validité très restreints, voire nuls. Par exemple, au moment de l'apprentissage
des fractions, dès la première séance, l'écriture fractionnaire a été liée à une action de report
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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de longueur : 1/3 est la mesure de la longueur qui se reporte 3 fois dans l'unité. Les élèves
retiennent le report mais non le rôle de l'unité.
Ainsi, alors qu'il s'agissait d'évaluer des portions de feuille de papier par rapport à la feuille
entière, trois groupes d'élèves qui avaient évalué 2 pièces dont la réunion faisait une demi-
feuille (figure ci-dessous), ont bien évalué le triangle en disant qu'il se reportait 4 fois dans la
demi feuille mais ont estimé à tort que le trapèze valait 1/3 car le triangle se reportait 3 fois
dans le trapèze.
Cela pose le problème de l'équilibre à adopter lors des bilans. S’il n'y a pas
d'institutionnalisation à l'issue d'une phase de recherche, les élèves ne retiennent que le
contexte et une partie de l'action sans réflexion sur celle-ci. Mais, dès qu'il y a
institutionnalisation, une règle, éventuellement erronée s'installe, qui est souvent utilisée sans
référence au sens. Le maître se trouve alors contraint de déstabiliser ces règles aussitôt
qu'elles s'installent, ce qui les fragilise davantage.
Difficultés à changer de point de vue
Une notion abordée dans un contexte est difficile à réutiliser dans un autre contexte. Par
exemple, des élèves capables de résoudre des problèmes de proportionnalité dans un cadre
numérique se retrouvent démunis devant un problème d'agrandissement de figures. Ils sont
souvent incapables de percevoir le caractère commun à ces deux problèmes.
Problème d'expression et de lecture
À l'oral comme à l'écrit, les élèves en difficulté ne réussissent pas à faire des phrases simples
ayant un sens, ni à utiliser correctement le vocabulaire. Leur expression est presque toujours
partielle et imprécise : "la médiatrice, c'est la perpendiculaire" ; pour construire la médiatrice
d'un segment, "on met le compas au milieu". Ils ne se dégagent pas de leurs actions.
En outre, la plupart rencontrent de grandes difficultés pour décoder, seuls, un texte de
problème et prendre en compte la totalité de l'information.
Les problèmes de langage, d'expression et de lecture, sont ainsi à l'origine de difficultés
mathématiques, qui sont au moins de trois ordres différents : la prise d'information, la
conceptualisation, la production.
Les situations du quotidien, parfois considérées comme plus "motivantes"
Ces situations avec lesquelles les élèves ont une certaine familiarité, utilisent souvent des
modes de raisonnement non conformes à ceux que l'on attend dans un cours de
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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mathématiques. Il peut ainsi s'installer un véritable malentendu et une communication absurde
entre le professeur et certains élèves. Par ailleurs, certains élèves refusent l'intrusion de la vie
courante dans le cadre scolaire car cela leur rappelle trop leur vie quotidienne. L'expérience
des élèves dans la vie quotidienne peut être utilisée à condition de poser aux enfants de
véritables problèmes.
Représentation de soi de l'élève
Leur situation d'échec à l'école contribue à donner aux élèves en grande difficulté une image
dévalorisée d'eux-mêmes. Cette image et la représentation qu'ils se font de leur place par
rapport aux autres élèves de la classe ont des répercussions sur toute leur vie scolaire, y
compris la difficulté à accepter certaines formes de travail (en groupes notamment).
II. Des difficultés des élèves aux élèves en difficulté, l’exemple du calcul mental
Nos recherches centrées sur les élèves en difficulté se caractérisent par une démarche
originale : l’étude approfondie des difficultés d’apprentissages des élèves de l’école
élémentaire (du CP au CM2) et du début du collège (6e et 5
e) relatives à un contenu
particulier : le calcul mental.
II.1. Le choix du calcul mental
Pour effectuer mentalement le calcul 32 x 25, un sujet de fin d’école primaire ou de début du
collège peut mettre en œuvre une procédure de calcul proche de l’une décrite ci-dessous :
- Calcul de la multiplication « posée dans la tête »
- Procédure canonique : utilisant la distributivité « simple »
- 32 x 25 = 32 x 20 + 32 x 5 = 640 + 160 = 800
- 32 x 25 = 30 x 25 + 2 x 25 = 750 + 50 = 800
- calcul utilisant la distributivité complexe :
32 x 25 = 30 x 20 + 30 x 5 + 2 x 20 + 2 x 5 = 600 + 150 + 40 + 10 = 800
- calcul utilisant des décompositions multiplicatives :
- 32 x 25 = 8 x 4 x 25 = 8 x 100 = 800
- 32 x 25 = 32 x
x 100 = 8 x 100 = 800
- 32 x 25 = 32 x 100 : 4 = 3200 : 4 = 800
Une comparaison en termes de coût en mémoire et en calcul mais aussi en termes de qualité
des connaissances mobilisées lors du calcul permet de hiérarchiser ces procédures.
La procédure consistant à « poser l’opération dans la tête » est très coûteuse en termes de
calcul et de mémoire mais elle mobilise des connaissances de faible niveau (technique de
l’addition, tables de multiplication inferieures à 5) ; il en est de même de la procédure dite
« de double distributivité » encore plus coûteuse en mémoire. La procédure dite « canonique,
de distributivité simple » nécessite des connaissances sur les décompositions des nombres un
peu plus sophistiquées (décomposition canonique en dizaines et unités) que les deux
précédentes mais par contre se révèle plus économique en termes de calcul et de mémoire.
Enfin, les trois dernières procédures font appel à des connaissances nettement plus complexes
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 15-
ou du moins plus tardivement maîtrisées d’un point de vue scolaire (décompositions
multiplicatives des nombres 32 et/ou 100, fractions simples) ; elles sont spécifiques des
facteurs du produit (et ne sont donc pas toujours possible à mettre en œuvre). Par contre, elles
se révèlent très économiques du point de vue calculatoire et charge en mémoire à court terme.
Chaque procédure peut donc s’interpréter comme le résultat d’un compromis entre la qualité
des connaissances mobilisées, le domaine d’efficacité de la procédure et le coût en calcul et
en charge de mémoire à court terme. Son choix et sa mobilisation par un élève sont donc très
liés à son niveau de connaissances sur les nombres et les propriétés des opérations (et donc au
degré de disponibilité de ces connaissances, cf. Robert 1998), à sa capacité à mettre à distance
des techniques ou des algorithmes sûrs (algorithmes écrits notamment) mais souvent
inadaptés et coûteux quand la résolution est mentale.
L’exemple du produit 32 x 25 est emblématique de l’enjeu d’un enseignement de calcul
mental. Au-delà de l’acquisition d’une certaine maîtrise de calcul nécessaire au futur citoyen,
l’enseignement du calcul mental, s’il amène les élèves à mobiliser les procédures les plus
adaptées aux facteurs et aux opérations en jeu dans le calcul, leurs permettra à fréquenter une
grande diversité de connaissances sur les nombres (en termes de décomposition dans
l’exemple ci-dessus). Cette fréquentation régulière pourra se traduire par une meilleure
maîtrise et une meilleure disponibilité de celles-ci. Cela nécessite toutefois que le professeur
ait pour objectif d’amener les élèves à prendre de la distance par rapport à des techniques plus
usuelles et automatisées comme les algorithmes écrits ou dans le cas du calcul 32 x 25, la
procédure de distributivité simple afin de mobiliser des procédures plus efficaces localement.
Pour devenir un « domaine d’expérience » numérique (au sens de Boéro, 1989), le calcul
mental doit donc avoir pour objectif l’acquisition d’une posture spécifique : la recherche par
l’élève d’une certaine « adaptation » au calcul à effectuer.
Comme nous le montre le chapitre suivant, c’est la gestion de cette recherche de compromis
entre adaptation et mobilisation de techniques de calcul automatisées qui peut expliquer pour
une part l’évolution des programmes de l’école primaire et des pratiques de calcul mental des
enseignants de ce degré scolaire depuis la création de l’école publique.
II.2. L’enseignement du calcul mental et les programmes officiels
L’analyse ci-dessous des programmes de l’école primaire depuis la création de l’école
publique fait apparaître trois grandes périodes.
« La première période est comprise entre 1883 et 1970. La deuxième période (1970-
1980) recouvre les dix années relevant de la réforme dite « des mathématiques modernes ».
Enfin, une troisième période commence avec les programmes de 1980 et se poursuit
actuellement. »
I. ÉVOLUTION DE L’ENSEIGNEMENT DU CALCUL MENTAL À L’ÉCOLE
ÉLÉMENTAIRE (extrait de l’ouvrage « le calcul mental, entre sens et technique »,
Butlen, 2007 pp. 22-35)
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 16-
Dès la création de l’école publique, les programmes et instructions officielles
prescrivent un enseignement spécifique de calcul mental à l’école élémentaire. L’analyse de
ces textes institutionnels comme celle de ressources pédagogiques mises à la disposition des
enseignants fait apparaître trois périodes2.
1. Une première période (1883-1970), mémorisation et automaticité
(…)
Malgré une première explicitation des compétences à acquérir et des démarches à
mettre en œuvre lors des activités de calcul mental dans les programmes et instructions
officielles de 1945, les activités de calcul mental sont vues durant cette période comme des
moments privilégiés de mémorisation de faits numériques (tables essentiellement) et
d’automatisation de procédures de calcul sans que le domaine d’efficacité de ces dernières
soit justifié voire seulement travaillé. Notons toutefois la référence en partie implicite à la
prise en compte de la diversité des procédures mobilisables pour un même calcul.
2. La période des « mathématiques modernes »
(…)
Cette absence de justification et ce défaut de travail d’adaptabilité des procédures ainsi
enseignées vont, selon Letielleux (1992) amener nombre de formateurs ou décideurs à
souligner les dérives d’un tel enseignement. Cette insistance va, d’après le même auteur, se
traduire par une désaffection des maîtres pour les activités de calcul mental. La place accordée
aux activités de calcul mental dans les pratiques effectives des maîtres comme dans les
manuels scolaires est alors réduite.
Les programmes officiels de 1970 consacrés au cours élémentaire comportent
toutefois une indication, certes allusive, au calcul mental. Les programmes du cours moyen ne
font pas explicitement référence à ce type d’activités mais rappellent la nécessité de
mémoriser les tables de multiplication. Par contre, les instructions officielles accompagnant
ces programmes signalent que le calcul mental est un moment de travail des propriétés des
opérations et des nombres. Ces textes rappellent la nécessité d’entraîner les élèves à la
pratique de calcul mental
(…)
L’accent est (…) mis sur la découverte des propriétés des opérations, des procédures
mobilisant ces propriétés, sur la recherche d’ordre de grandeur et sur la justification.
Malgré les précautions prises lors de la rédaction de ces programmes, la désaffection
pour le calcul mental semble réelle. En effet, les programmes de 1980 puis ceux élaborés par
la suite vont s’attacher à redonner aux activités de calcul mental une place plus significative.
Cette insistance s’accompagnant d’une redéfinition des activités pratiquées dans ce domaine
et de leurs objectifs.
3. Une troisième période (1980-2004), mémorisation et élaboration de procédures
adaptées
Les programmes de 1980 soulignent l’intérêt des activités de calcul mental dès le
cours préparatoire notamment à propos de la mémorisation de faits numériques additifs (table
d’addition). Si « toutes les situations sont prétexte à calcul mental », les enseignants sont mis
en garde contre « la multiplicité des activités de même type » par les instructions
complémentaires accompagnant les programmes de CP.
2 Notre analyse rejoint les conclusions de Lethielleux (1992).
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 17-
(…)
Les programmes et instructions complémentaires du cycle élémentaire soulignent que
les démarches de calcul écrites doivent être introduites après avoir assuré l’existence de
démarches de calcul mental. L’accent est mis sur la mise en relation de ces activités avec
l’apprentissage des fonctions numériques, le calcul d’ordre de grandeur, des propriétés des
opérations et des nombres.
(…)
Les Instructions officielles relatives au cours moyen consacrent deux pages à des
conseils portant sur les objectifs et la gestion des activités de calcul mental. Cette insistance
est significative d’une volonté de réintroduire le calcul mental dans les pratiques quotidiennes
(cf. ci-dessous). L’accent est mis sur l’adaptabilité comme sur l’explicitation des procédures.
Le texte signale qu’il ne faut pas « associer de façon stéréotypée une méthode donnée à un
type de calcul ». Il précise plus loin que « la discussion des diverses méthodes employées n’a
pas pour but de valoriser l’une d’entre elles : il n’y a pas de bonne méthode pour un exercice
donné… ».
Si des formes de séances sont évoquées (pour la première fois), aucune indication
n’est donnée sur les institutionnalisations à prévoir. L’accent est mis sur le caractère
individuel des procédures mobilisables : « Dans cette phase d’explicitation et de
confrontation, chaque enfant pourra choisir les procédures qui lui paraissent les plus
adaptées pour lui ».
Ces formulations témoignent donc d’une volonté de développer les activités de calcul
mental tout en attirant l’attention des enseignants sur la nécessité de ne pas reproduire les
dérives du passé. La résolution mentale de problèmes simples est à nouveau rappelée.
(…)
Les programmes de 1985 et 1995 vont confirmer cette évolution.
(…)
Les programmes, textes d’application et d’accompagnement de 2002 concrétisent et
développent cette orientation. Un texte d’accompagnement justifiant la place qualifiée de
« primordiale » attribuée au calcul mental, présentant de manière détaillée les objectifs
assignés à ces activités ainsi que des scenarii de séances témoignent des choix institutionnels
arrêtés.
Le calcul mental est souvent évoqué, notamment dans le chapitre consacré (cycle 2) au
traitement de données numériques. Il est particulièrement développé dans le chapitre intitulé
« calcul ».
(…)
Il en est de même pour le cycle 3.
Le texte d’accompagnement s’appuie sur des recherches récentes pour développer une
argumentation visant à favoriser les activités de calcul mental (Boule 1997, Butlen et
Pézard 1996).
Ce texte soulève plusieurs problèmes cruciaux liés à l’enseignement du calcul mental.
Il assigne deux fonctions essentielles aux activités de calcul mental, une fonction
sociale : satisfaire aux « besoins de la vie quotidienne » et une fonction pédagogique : assurer
la compréhension de certaines notions mathématiques relevant du collège (proportionnalité,
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 18-
nombres relatifs, etc.). Il s’agit pour cela de familiariser en situation les élèves avec les
nombres et les propriétés des opérations, assurer la compréhension des techniques écrites de
calcul qui doivent être construites après avoir assuré l’existence de techniques mentales de
calcul.
Ce texte aborde la question de l’automaticité et de la mémorisation.
« Dans ce domaine particulièrement, il convient de distinguer ce qu’il faut
mémoriser ou automatiser (les tables, quelques doubles et moitiés, le calcul
sur les dizaines et les centaines entières, les compléments à la dizaine
supérieure…) et ce qu’il faut être capable de reconstruire (et qui relève du
calcul réfléchi : idée de rendre plus simple un calcul, souvent en procédant
par étapes plus nombreuses, mais en s’appuyant sur ce qui est connu). »
Après avoir souligné que la mémorisation doit s’appuyer sur une « bonne
représentation mentale » des nombres (configuration, droite numérique, etc.), le texte
distingue des conditions nécessaires à cette mémorisation : compréhension des opérations en
jeu, prise de conscience de l’intérêt de posséder un répertoire de faits numériques efficace et
du processus de son élaboration, capacité à l’utiliser pour calculer d’autres résultats et
entraînement mnésique.
La question de l’automaticité amène les auteurs à distinguer entre le calcul automatisé
(qui privilégie un traitement chiffre à chiffre des nombres), le calcul mental qui a contrario
développe « l’intuition des nombres », et l’initiative des élèves, le calcul réfléchi ou raisonné
qui insiste davantage sur la méthode (stratégie, choix de procédures) de calcul que sur la
rapidité associée au calcul rapide.
Si l’accent comme dans les programmes précédents est mis sur la formulation,
l’explicitation des procédures « possibles et efficaces », mobilisées lors des calculs,
l’institutionnalisation de certaines de ces procédures n’est pas abordée.
Nous voyons que ces derniers textes institutionnels abordent plus nettement certaines
questions sensibles liées à l’enseignement du calcul mental et proposent des réponses plus
affirmées. Certains problèmes ne sont pas abordés ou reçoivent des réponses très implicites.
Ainsi si la mémorisation de certains faits numériques doit être un objectif d’enseignement et
fait l’objet d’une programmation assez détaillée, si la formulation des procédures de calcul,
leur confrontation, leur efficacité doivent faire l’objet de débat renouvelé, les auteurs ne
s’engagent pas aussi nettement sur l’automaticité des procédures de calcul mental. Ils restent
prudents sur d’éventuelles institutionnalisations, conscients du domaine de validité restreint
des procédures rencontrées lors de ces activités.
4. Conclusion
Les prescriptions relatives à l’enseignement du calcul mental ont donc évolué.
Privilégiant la mémorisation et la recherche d’une certaine automaticité durant la période
s’écoulant de la création de l’école publique jusqu’à 1970, les programmes officiels, après
avoir implicitement minorisé l’importance de cet enseignement durant quelques années, lui
ont progressivement redonné une place importante, voire primordiale. Cette évolution s’est
accompagnée d’une redéfinition de ces activités qui vise à concilier une nécessaire
mémorisation de faits numériques (et plus implicitement de procédures de calcul) avec
l’élaboration de procédures adaptées aux nombres et aux opérations en jeu dans les calculs.
Cette élaboration qui vise explicitement une appropriation individualisée, s’appuie sur une
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 19-
découverte progressive, sur une accumulation et une généralisation d’expériences, sur des
formulations collectives et sur des confrontations.
Si les derniers programmes et textes institutionnels donnent des indications précisent
en termes de scénario d’activité de calcul mental, en termes de programmation et de
compétences à acquérir, ils restent encore très implicites sur les institutionnalisations à
prévoir et mettre en œuvre voulant sans doute éviter les dérives qui ont accompagné la
première période décrite ci-dessus.
Notons que les articles relatifs au calcul mental figurant dans les documents ressources
publiés suite aux programmes de 2008 (respectivement « Le nombre au cycle deux » et « le
nombre au cycle 3 ») apportent de nouvelles précisions sur ces derniers points.
Nous verrons par la suite que la tension existant entre mémorisation et automaticité d’une part
et recherche d’une certaine adaptabilité d’autre part est un problème crucial de l’enseignement
du calcul mental. Son dépassement étant lié à une bonne évaluation de la part de l’élève des
enjeux d’apprentissage, elle peut devenir une source de différenciation.
Le chapitre qui suit présente un résultat important de la première série de recherches que nous
avons menées sur le calcul mental : le paradoxe de l’automatisme.
II.3. Le paradoxe de l’automatisme
Nous avons repensé dans un article publié dans la revue Grand N n°71 (Butlen, Pézard, 2007)
certains résultats de nos premières recherches menées entre 1985 et 1990 sur le calcul mental
portant notamment sur les performances des élèves en termes de rapport aux automatismes.
Les extraits ci-dessous de cet article montrent que les effets positifs d’un enseignement
régulier de calcul mental dépendent de la capacité des élèves à mettre à distance le recours à
des algorithmes qu’ils jugent sûrs car plutôt automatisés et à adapter leurs techniques de
calcul mental aux propriétés des nombres en jeu. Cette capacité d’adaptation étant étroitement
liée à la disponibilité de leurs connaissances et donc à l’installation de fait numériques
mémorisés et de modules de calcul élémentaires automatisés. Pour échapper à une posture de
recours systématique à des algorithmes automatisés inadaptés, l’élève doit avoir installé
suffisamment d’automatismes rendant disponibles les connaissances nécessaires à cette
nouvelle posture. Autrement dit, « il faut des automatismes pour échapper à l’automatisme ».
Conceptualisation en mathématiques et élèves en difficulté
Le calcul mental, entre sens et technique
(Denis Butlen, Monique Charles-Pézard, IUFM de Créteil, Université Paris 12,
équipe DIDIREM, Université Paris 7-Denis Diderot)
Nous présentons dans cet article un ensemble de résultats concernant le processus de
conceptualisation3 de certaines notions mathématiques. Il s’agit d’une réorganisation de
résultats de recherches précédentes portant sur l’enseignement de techniques de calcul mental
en lien avec la résolution de problèmes.
(…)
3 Processus de conceptualisation : processus d'appropriation d'un ou de plusieurs concepts. Nous renvoyons le
lecteur aux travaux de psychologie cognitive et de didactique des mathématiques, notamment à ceux de G.
Vergnaud pour des définitions de concept, conceptualisation, champ conceptuel.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 20-
Il s’agit d’un travail de synthèse portant sur le processus de conceptualisation en
prenant comme filtre les élèves en difficulté en mathématiques, élèves qui de plus sont issus
de milieux socialement défavorisés (ZEP).
Dans une première partie intitulée Calcul mental : le paradoxe de l’automatisme, nous
rappelons les résultats d’un diagnostic portant sur les performances et procédures des élèves
lors de calculs mentaux de sommes, différences et produits, révélés par une recherche déjà
ancienne (Butlen, Pézard, 1992).
Nous énonçons un paradoxe, source de difficulté pour les élèves, entre adaptabilité et
automatisme.
(…)
I. PARTIE 1 : CALCUL MENTAL, LE PARADOXE DE L’AUTOMATISME
Précisons ce que nous entendons par automatisme et procédure automatisée.
Une procédure est automatisée quand elle est restituée par l'élève pour résoudre un
calcul sans que celui-ci la reconstruise (Fischer 1987, Boule 1997). Nous disposons, grâce
notamment aux travaux des psychologues de différents outils pour la reconnaître. On peut
ainsi avoir accès directement à cette caractéristique en mesurant par exemple le temps de
réponse de l'élève ou indirectement en questionnant l'élève sur sa manière de calculer. Cette
seconde approche souvent utilisée en didactique des mathématiques est plus délicate à mettre
en œuvre car elle relève essentiellement du déclaratif.
Par automatisme, nous entendons selon le contexte soit le recours à un ensemble de
procédures automatisées installées en mémoire et ayant fait l'objet d'un enseignement ou d'une
pratique préalable ; soit un comportement se caractérisant par une mobilisation quasi
systématique de l'élève d'un seul type de procédure quelque soient les données numériques du
calcul à d'effectuer.
(…)
1. Un diagnostic des procédures et performances des élèves en calcul mental
1.1. Des résultats concernant les procédures des élèves
Il s’agit d’une recherche déjà ancienne (Butlen, Pézard, 1992). Nous avons travaillé
pendant deux ans dans plusieurs classes de l’école élémentaire du CP au CM2 afin de
recueillir les procédures des élèves lors d'activités de calcul mental portant notamment sur des
sommes, des différences, des produits et des quotients. L'analyse du corpus de données nous a
permis d'élaborer une typologie des procédures mobilisées du CP au CM2 et d'évaluer leur
disponibilité4.
Nous avons constaté que les élèves, lors de calculs mentaux, mobilisaient surtout des
procédures de calcul automatisées ou des algorithmes écrits. Tout se passe comme si
l’enseignement de techniques5 opératoires écrites ou de techniques de calcul mental standard
et automatisées rentrait en en conflit avec le recours à des procédures de calcul plus primitives
mobilisées précédemment par les élèves.
4 Une procédure est disponible quand elle est mobilisée lors d'un calcul sans appel explicite de la part de
l'enseignant notamment dans le cas où elle constitue un des éléments de la stratégie de calcul mise en œuvre par
l'élève pour réaliser la tâche demandée. 5 Nous entendons par technique un ensemble organisé de procédures. Nous renvoyons à Fayol et Monteil (1994)
et à Boule (1997) pour une synthèse bibliographique des définitions des termes procédure, algorithme, technique,
stratégie etc.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 21-
Donnons un exemple : pour calculer 45 + 17 ; les procédures possibles sont les
suivantes :
- simulation mentale de l’algorithme écrit
- utilisation de la décomposition additive canonique de l’un ou des deux termes :
45 + 17 = 40 + 5 + 10 + 7 = 50 + 12 = 62
45 + 17 = 45 + 10 + 7 = 55 + 7 = 62
- utilisation d’une décomposition additive de l’un des termes s’appuyant sur un
passage à une dizaine supérieure :
45 + 17 = 45 + 5 + 12 ou 45 + 15 + 2 ou 2 + 43 + 17
- utilisation d’une décomposition soustractive de l’un des termes :
45 + 20 – 3, etc.
Les procédures mobilisées par les élèves de fin de cycle 2, n’ayant pas bénéficié d’un
enseignement préalable, sont l’algorithme « posé dans la tête » (procédure majoritaire), les
différentes procédures mobilisant des décompositions canoniques et beaucoup plus rarement
celles mobilisant d’autres décompositions additives ou soustractives. Ces dernières
nécessitent un enseignement préalable.
Les élèves préfèrent utiliser des procédures sûres (qui fonctionnent dans tous les cas et
conduisent, à condition d’être menées à terme, au résultat attendu) mais coûteuses plutôt que
des procédures mieux adaptées au calcul en jeu. Ces dernières nécessitent une prise en compte
de la spécificité des nombres intervenant dans le calcul et de leurs propriétés. De plus, leur
domaine de validité est limité.
Parallèlement à ce constat, nous avons retrouvé un résultat déjà signalé par d’autres
chercheurs (Fischer, 1987-1988, Resnick, 1983) : les élèves de fin de cycle 2 éprouvent de
réelles difficultés à effectuer des calculs simples mais nécessitant un passage à la dizaine
comme : 45 + 7 = 52. Ce constat révèle un défaut de procédures automatisées pouvant
s’expliquer en partie par un manque de pratique.
Nous constatons donc à la fois un défaut d’adaptabilité des élèves et un manque de
faits numériques mémorisés ; ces derniers de ce fait ne sont pas suffisamment disponibles lors
des calculs. De plus, la mise en place de techniques de calcul automatisées (notamment les
algorithmes écrits) semble limiter les possibilités d’adaptation des élèves au calcul du
moment, notamment quand l’enseignement ne le prend pas suffisamment en compte.
1.2. Des résultats concernant les élèves en difficulté
Le précédent diagnostic montre aussi que les élèves en difficulté en mathématiques le
sont en général en calcul mental. De plus, pour ces élèves, on constate un décalage dans le
temps de l’apprentissage : en particulier dans la mobilisation progressive de procédures
adaptées aux calculs proposés.
Cela nous amène à énoncer un paradoxe lié aux rapports qu’entretiennent automatisme
et adaptabilité aux calculs.
1.3. Le paradoxe de l’automatisme
Ces différentes recherches sur le calcul mental montrent à la fois un défaut
d’adaptation dû à l’installation de procédures automatisées mais aussi un défaut de
performances dû à un manque de procédures de calcul automatisées. Ces manques révèlent,
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 22-
selon nous, une connaissance insuffisante des nombres, des opérations et de leurs propriétés.
Tous les élèves sont ici concernés mais ces manques sont particulièrement criants pour les
élèves en difficulté. Ils concernent par exemple la connaissance et la disponibilité des
compléments à dix, à la dizaine ou à la centaine supérieures.
Tout se passe comme si l’apprentissage et la maîtrise de techniques de calcul sûres (les
techniques opératoires écrites ou encore les techniques mobilisant des décompositions
additives canoniques décrites ci-dessus) se faisaient au détriment des autres procédures, voire
les « écrasaient ». Les élèves semblent alors trouver plus économique de mobiliser ces
procédures alors que d’autres, nécessitant une prise en compte très rapide des propriétés
particulières des nombres intervenant dans le calcul, s’avèreraient plus efficaces et moins
coûteuses en mémoire comme en quantité de calcul intermédiaires.
Cette prise en compte insuffisante peut s’expliquer par une familiarisation trop faible
avec les propriétés spécifiques de ces nombres mais aussi par l’absence de procédures
automatisées de traitement associées. En effet, l’élève ne pourra mobiliser rapidement la
décomposition 17 = 20 – 3 (ou 17 = 5 + 12) dans le calcul 45 + 17 que si celles-ci sont
disponibles. Ce qui nécessite un entraînement spécifique. L’élève doit non seulement avoir
appris à décomposer ces nombres mais ces décompositions doivent avoir été automatisées.
La connaissance et la maîtrise d’un nombre insuffisant de procédures automatisées
peuvent donc conduire l’élève à adopter en calcul un comportement automatisé. Pour dépasser
ce comportement, il est nécessaire d’enrichir le panel des procédures automatisées.
Nous pouvons résumer ainsi le paradoxe de l’automatisme : Trop peu d’automatismes
(au sens de trop peu de procédures automatisées) peut renforcer l’automatisme (au sens du
comportement automatisé) ; davantage d’automatismes peut permettre d’échapper à
l’automatisme.
II.4. Les effets d’une stratégie d’aide visant à combler un défaut de prérequis :
avantages et limites
Afin de dépasser ce paradoxe de l’automatisme, nous avons élaboré, expérimenté et évalué un
ensemble d’activités que nous avons dans un premier temps nommées « activités
préparatoires » visant à combler les manques en termes de prérequis. Plusieurs principes sont
pris en compte dans la construction de ces activités :
- installer en mémoire à long terme suffisamment de faits numériques (qui dépassent
les tables d’addition et multiplication).
- Favoriser leur disponibilité en encodant en mémoire à long terme le fait numérique
et les conditions de son rappel dans différents contextes de calcul. Pour cela, nous
proposons de faire fréquenter aux élèves systématiquement le même fait
numérique dans des contextes et avec des points de vue différents ; la consigne de
calcul change. Le professeur fait constater aux élèves la diversité des contextes et
l’unicité du fait numérique convoqué grâce à des institutionnalisations locales et à
d’autres plus globales.
- Installer des modules élémentaires de calcul susceptibles d’être mobilisés ensuite
dans des calculs plus complexes.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 23-
Nous présentons ci-dessous quelques-unes de ces activités (extraits du même article que ci-
dessus). Le lecteur pourra consulter notre ouvrage de synthèse (Butlen, 2007) sur le calcul
mental pour une présentation plus détaillée.
2. Des exemples d’activités de calcul mental
2.1. Forme, contenu et fréquence des activités de calcul mental
Nous avons choisi de présenter sous deux formes différentes les activités de calcul
mental selon l’objectif que nous visons prioritairement.
Chaque jour, pendant 10 à 15 minutes, nous demandons aux élèves d’effectuer
mentalement des calculs (selon le procédé dit de « La Martinière »). Ceux-ci écrivent le
résultat de l’opération sur leur ardoise. L’enseignant valide les calculs et corrige si besoin
rapidement les erreurs. Le but prioritaire est d’entraîner les élèves au calcul, de les confronter
avec des exemples variés, d’accroître leurs performances (rapidité, mémorisation, maîtrise de
techniques).
Une fois par semaine, une séance un peu plus longue (de l’ordre d’une vingtaine de
minutes) est consacrée à l’explicitation, la comparaison des différentes procédures mobilisées
par les élèves (y compris les procédures erronées quand elles révèlent une difficulté
significative). Cette comparaison débouche sur une hiérarchisation dépendant des
connaissances des élèves et des données intervenant dans les calculs. Le professeur s’attache
alors à mettre en regard l’économie de certaines procédures et les propriétés des nombres en
jeu. Il s’agit de capitaliser l’exploration effectuée dans les activités précédentes. Le nombre
des calculs alors demandés aux élèves est nettement moins important que dans les activités
précédentes. Si besoin, le professeur peut introduire ou rappeler certaines procédures jugées
efficaces qui n’auraient pas été énoncées par les élèves.
Nous détaillons quelques activités portant d’une part sur l’addition et la soustraction et
d’autre part sur la multiplication et la division.
2.2. Additions et soustractions
Il s’agit de trois séries d’activités de calcul mental. Une première série d’activités, plus
traditionnelles, revient à explorer, mémoriser et tester les tables d’additions et de
soustractions. Une deuxième série d’activités porte sur la recherche de compléments à dix,
cent, mille, etc. Une troisième concerne davantage les additions et soustractions mentales.
2.2.1. Les tables d’additions et de soustractions
Evoquons deux types d’activités permettant d’explorer et de mémoriser les faits
numériques relevant des tables d’addition et de soustraction.
Le premier type est constitué de jeux de calcul mental utilisant différents supports :
jeux de cartes (bataille, mariages), jeux de dominos, loto, labyrinthe, puzzles, etc. Nous
renvoyons le lecteur à la lecture des différents ouvrages détaillant ces jeux6.
Un second type d’activités a pour objectif la mémorisation des tables, nous pouvons
distinguer :
- La recherche de la somme ou de la différence : 8 + 7 = ? 9 – 3 = ?
- La recherche de l’un des termes de la somme ou de la différence : 9 + ? = 14
8 - ? = 5 ? – 7 = 4
6 C’est le cas en particulier de l’ouvrage ERMEL, éditions Hatier.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 24-
- La recherche des deux termes de la somme ou de la différence : ? + ? = 18
? - ? = 6
2.2.2. Recherche de compléments
Compléter à 10
Le professeur pourra jouer sur la formulation de la consigne :
complète 3 pour faire 10
Combien manque-t-il à 3 pour faire 10 ?
Que faut-il ajouter à 3 pour faire 10 ?
3 pour aller à 10 ?
3 10 ?
Compléter à la dizaine supérieure
14 20 32 40 53 60
Consigne : complète 38 à la dizaine supérieure ou 38 pour aller à la
dizaine supérieure ou 125 pour aller à 130
Compléter à 100 ou la centaine supérieure
30 100 54 100
182 200 327 400
trouver le complément quand il s’agit de 10 ou d’un multiple de 10
32 42 48 78 25 325
2.2.3. Autres activités
Ajouter 10 ou un nombre entier de dizaines à un nombre de deux ou trois
chiffres
Ajouter 10 : 55 + 10 257 + 10
Ajouter un nombre entier de dizaines : 60 + 30 38 + 60
40 + 122
Soustraire 10 ou un nombre entier de dizaines à un nombre de deux ou trois
chiffres :
64 – 10 55 – 30 238 – 40
Ajouter ou soustraire 100 ou un nombre entier de centaines à un nombre de
trois ou quatre chiffres :
325 + 100 1234 + 100
325 – 100 1234 – 100
810 – 200 652 – 400
4500 – 600 1370 - 500
Trouver le plus rapidement possible le résultat d’une addition en ligne
27 + 15 + 4 + 3 + 5
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 25-
Décomposer additivement un nombre en un nombre entier de centaines,
dizaines et unités
34 = 30 + 4 327 = 300 + 20 + 7 1004 = 1000 + 4
exprimer un nombre en faisant intervenir la dizaine, la centaine supérieure,
etc. :
47 = 50 – 3 47 = 100 – 53
Compléter des égalités du type :
Il s’agit d’utiliser la décomposition décimale du second terme
37 + 18 = 47 + ? 54 + 27 = 74 + ?
il s’agit de faire apparaître dans le calcul un multiple de 10 ou 100
27 + 8 = 30 + ? 54 + 27 = 60 + ? 54 + 27 = 80 + ?
128 + 15 = 130 + ? 128 + 15 = 140 + ?
2.3. Multiplications, divisions
Comme pour l’addition, une première série d’activités, plus traditionnelles, a pour but
d’explorer, de mémoriser les tables de multiplications. D’autres activités ont pour but
d’installer des modules automatisés de calcul. Dans ce dernier cas, le calcul n’est pas
obligatoirement totalement mental. Une trace écrite peut être autorisée (par exemple pour les
multiplications par 25), l’important étant que les élèves utilisent une autre procédure que
l’algorithme écrit.
2.3.1. Les tables de multiplication
De même que pour l’addition et la soustraction, cela correspond à deux types
d’activités permettant d’explorer et de mémoriser les faits numériques relevant des tables de
multiplication : les jeux de calcul mental utilisant différents supports d’une part et des
exercices centrés sur la mémorisation des tables d’autre part.
- La recherche du produit : 8 x 7 = ? 9 x 3 = ?
- La recherche de l’un des facteurs : 9 x ? = 63 8 x ? = 72
- La recherche des deux facteurs du produit : ? x ? = 56
2.3.2. Autres activités
Recherches de multiples et diviseurs
Multiples : 48 est-il multiple de 6 ? 54 est-il multiple de 9 ?
Diviseurs : 6 est-il un diviseur de 42 ? 3 divise-t-il 63 ?
Quotients entiers
42 divisé par 6 ?
Quel est le quotient de 42 par 6 ?
42 : 6 56 : 8 49 : 7
Décompositions multiplicatives
Ecris sous la forme d’un produit : 30 48 24 12
Trouver des décompositions multiplicatives d’un nombre égal à une
puissance de 2 : 32 64 128
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 26-
Jeu du télégramme
Les élèves sont regroupés par équipe (de 4 à 6 élèves) ; ils disposent
d’une feuille pré-pliée sur laquelle est inscrit un nombre : par exemple
3248. Le premier élève écrit autrement ce nombre (par exemple
3000 + 248) et cache (en repliant la feuille), l’écriture précédente.
L’élève suivant écrit autrement 3000 + 248 (par exemple
3 x 1000 + 248) et cache la précédente écriture. Chaque élève ne peut
voir que la dernière écriture produite. Quand la feuille est remplie, on la
déplie et on compare les écritures produites. L’équipe gagnante est
l’équipe qui a le plus d’écritures différentes. On peut aussi créditer les
écritures d’un score selon la nature et le nombre de signes opératoires :
pour une écriture exacte : un signe + rapporte 1 point, un signe –
rapporte 2 points, un signe x 3 points, etc. Une erreur pénalise l’équipe
de 1 point.
Multiplications, divisions par 10n, « la règle des zéros »
Multiplier par 10 un nombre de deux ou trois chiffres
27 x 10 10 x 56 321 x 10 10 x 900
À quoi est égal 60 dizaines ? 245 dizaines ? 602 dizaines ?
Calcul de suites géométriques : multiplier le nombre 3 par 10, puis le
résultat par 10 et ainsi de suite…
Multiplier par 100, par 1000 un nombre
45 x 100 650 x 100 1002 x 100 1325 x 1000
Diviser un nombre par 10, 100, 1000, 10n
Diviser le nombre 12 000 par 10, diviser son résultat par 10, etc.
45 millions divisé par 10 ?
1350 : 10
Quotient entier : Quel est le quotient entier de 62 par 10 ? ou bien quel
est le nombre de dizaines de 62 ?
Multiplier par 5, diviser par 5 : 5 x 200 5 x 263 70 : 5
255 : 5 400 : 5
Multiplier, diviser par 50 :
Multiplier par 50 : 3 x 50 18 x 50 50 x 50
Multiplier par 5, 50, 500
Diviser par 50 : 500 : 50 2000 : 50
Quel est le quotient entier (et le reste) de : 165 par 50 2640 par 50
Multiplier et diviser par 25 :
4 x 25 8 x 25 50 x 25 25 x 32
multiplier par 25, 250, 2500
Quotient exact par 25 : 100 : 25 300 : 25 500 :25
1200 : 25
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 27-
Quotient entier par 25 : 165 780 1355
3. Une première conclusion
Ces activités systématiques de calcul mental permettent aux élèves d’acquérir une plus
grande maîtrise et d’explorer un domaine de faits numériques plus vaste. Les techniques
élémentaires de calcul ainsi automatisées peuvent jouer le rôle de modules de calcul pouvant
être mobilisés pour construire des procédures plus complexes. De même, une fréquentation
régulière permet d’accroître le domaine des différentes décompositions additives ou
multiplicatives rencontrées ; leur utilisation et leur mémorisation les rendent davantage
disponibles. Les élèves sont ainsi amenés à les utiliser dans des calculs de sommes ou de
produits. Une dynamique est ainsi initialisée qui permet aux élèves de prendre de la distance
par rapport aux procédures qui auraient pu leur apparaître dans un premier temps plus sûres.
C’est notamment le cas pour les algorithmes écrits.
Toutefois certaines conditions doivent être remplies pour que cette dynamique soit
possible. Les élèves doivent savoir détecter les moments où il faut inventer et ceux où il faut
reproduire, ce qui nécessite de la part du professeur des institutionnalisations « souples ».
Celui-ci doit non seulement faire expliciter les procédures mobilisées mais il doit aussi
les hiérarchiser et, pour certaines, institutionnaliser aussi leur domaine de validité. Une
pratique régulière de calcul mental doit ainsi avoir pour objectif d’amener l’élève non
seulement à mettre en œuvre des procédures économiques mais aussi à en percevoir le
domaine d’efficacité. L’institutionnalisation que nous qualifions de « souple » porte à la fois
sur l’économie de la procédure et sur son domaine d’efficacité. Elle ne doit pas être trop
rapide ni trop « forte » car cela risquerait de se faire au détriment de l’adaptabilité. Elle ne
doit pas être trop « faible » et ni trop « tardive » car alors toutes les procédures pourraient
apparaître comme équivalentes. Elle doit amener les élèves à prendre conscience de l’éventail
et de la hiérarchie des procédures mises en œuvre dans la classe.
Les élèves en difficulté en mathématiques et notamment en difficulté en calcul mental
ne réussissent pas aussi bien que leurs pairs à entrer dans cette dynamique. En effet, ce sont
souvent des élèves qui, au quotidien, ne parviennent pas suffisamment à appréhender les
enjeux des situations d’enseignement qui leurs sont proposées. De plus, ils éprouvent des
difficultés à mettre en relation les nouvelles connaissances avec les connaissances plus
anciennes. De ce fait, ils ne comprennent pas toujours le contenu des institutionnalisations.
Ainsi, toutes les procédures peuvent leur apparaître comme égales ; la pertinence de leur
mobilisation peut ne pas être mise en relation avec les propriétés des nombres intervenant
dans les calculs.
Ces élèves peuvent alors devenir prisonniers d’une dynamique renforçant leurs
difficultés. Leurs connaissances insuffisantes sur les nombres, sur les opérations et leurs
propriétés les conduisent à produire plus souvent que leurs pairs des procédures de calculs
inadaptées. Ne comprenant pas les enjeux des moments d’échanges d’expériences de calculs,
ne prenant pas suffisamment la mesure des hiérarchies effectuées, ils ne peuvent pas
bénéficier des procédures automatisées installées à ces occasions. Ne fréquentant pas assez de
nouvelles décompositions des nombres, leurs connaissances ne s’accroissent pas
suffisamment pour leur permettre d’échapper à l’automatisme. Cela contribue à renforcer les
différences de performances et de connaissances entre les élèves.
Ce constat nous a conduits à préciser d’autres conditions permettant à ces élèves
d’échapper à l’automatisme. C'est l'objet de la seconde partie de cet article.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 28-
Ainsi, nous intéressant plus particulièrement aux effets d’un dispositif d’enseignement visant
à combler certains manques, à intervenir sur les prérequis des élèves en difficulté, nous avons
constaté que ce type d’intervention s’il se traduit pour la majorité des élèves par un progrès en
termes de connaissances numériques et de maîtrise de calcul, ne permet toutefois pas, à lui
seul, aux élèves les plus en difficulté de combler leur retard. Ces derniers semblent rester
« prisonniers » des algorithmes les moins adaptés au calcul mental ; le changement de posture
attendu n’étant pas aussi présent que pour les autres élèves.
II.5. La dialectique de la construction du sens et de la maîtrise des techniques
Dans ce chapitre, nous présentons une recherche qui vise à montrer que construction du sens
des opérations et maîtrise des techniques opératoires se construisent en étroite relation. Que
l’un n’est pas premier par rapport à l’autre et réciproquement mais qu’il s’agit d’un processus
dialectique de construction.
Nous avons déjà montré ci-dessus qu’une habileté calculatoire construite à l’occasion d’une
pratique régulière de calcul mental se traduisait par des connaissances sur les nombres
(notamment sur leurs décompositions) plus riches et que réciproquement ces connaissances
favorisaient une meilleure maîtrise et une plus grande diversité de procédures de calcul. La
recherche relatée ci-dessous (extrait du même article du numéro 71 de grand N) confirme ce
lien entre sens et technique dans le contexte particulier de l’étude des effets d’une pratique
régulière de calcul mental sur les procédures et performances de résolution de problèmes
standards chez des élèves de CM2.
II. PARTIE 2 : CONCEPTUALISATION EN MATHEMATIQUES ET ELEVES EN DIFFICULTE
(…)
Dans un premier temps, nous revenons sur les liens existant entre apprentissages de
connaissances numériques et apprentissages de techniques opératoires en centrant notre
regard sur la résolution de problèmes numériques standards7.
(…)
1. Rapports entre maîtrise de techniques opératoires et résolution de problèmes
standards
Nous avons montré (Butlen, Pézard 2002) qu’une pratique régulière de calcul mental,
en améliorant les habiletés calculatoires des élèves, se traduit pour un certain type de
problèmes standards par une accélération du processus de reconnaissance de l’opération en
jeu. Il s’agit de problèmes relevant de modèles relativement familiers aux élèves mais dont la
reconnaissance n’est pas encore automatisée. Ce sont, par exemple des problèmes additifs
faisant intervenir des compositions de transformations type « le jeu de l’autobus » : Dans un
autobus, il y a 28 voyageurs. À la prochaine station, 15 voyageurs montent et 17 descendent.
Combien y a-t-il de voyageurs dans l’autobus quand il repart ? ou des problèmes
multiplicatifs simples : Pour réaliser un pull, Sylvie achète 18 pelotes de laine à 5 € la pelote.
Calcule le montant de la dépense.
7 Nous appelons problèmes numériques standards des problèmes habituels de l’école élémentaire, ne présentant
pas de difficulté particulière, notamment de vocabulaire et de syntaxe. Leur résolution fait intervenir une ou
plusieurs des 4 opérations. Les données numériques peuvent être toutefois plus ou moins complexes.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 29-
Pour cela, nous avons comparé les performances et procédures d’élèves de CM2
entraînés régulièrement au calcul mental et celles d’élèves de classes équivalentes mais
n’ayant pas suivi un enseignement aussi important dans ce domaine. Les élèves devaient
résoudre un ensemble de 24 problèmes par écrit, mais aussi mentalement (4 problèmes à
chaque fois).
Nous avons donc construit un test de 24 problèmes numériques qui s'inscrivent dans
les apprentissages prévus en dernière année d’école élémentaire et qui portent sur des notions
introduites auparavant. Ce sont des problèmes que nous qualifions de standards. Nous avons
fait ce choix pour limiter le nombre des variables intervenant dans la construction de ces
problèmes. Il s’agit de la nature des opérations arithmétiques (addition, soustraction,
multiplication, division) et du nombre de données numériques (2 données, 3 données, une
donnée inutile). Nous avons aussi défini deux degrés de complexité des problèmes : "simple"
ou "complexe". Pour cette différenciation, nous nous appuyons sur les travaux de G.
Vergnaud (1982, 1983).
Pour l'addition, nous considérons comme problèmes "simples", les problèmes de
composition de mesures (réunion) ou ceux faisant intervenir le calcul d'un état final. Nous
considérons comme problèmes "complexes", les problèmes de calcul d'un état initial ou ceux
faisant intervenir une composition de transformations positives.
Pour la soustraction, de la même façon, nous considérons comme problèmes "simples"
soit les problèmes de recherche du complément, soit les problèmes de calcul d'un état final
(sens "enlever"). Nous considérons comme problèmes "complexes" soit les problèmes de
calcul d'un état initial, soit les problèmes de composition de transformations négatives (à noter
que ces derniers se résolvent en fait par une addition).
Pour la multiplication, nous considérons comme "simples", les problèmes d'addition
réitérée ou de calcul du cardinal d’une collection discrète pouvant se représenter par une
« grille rectangulaire ». Nous considérons comme "complexes", les problèmes de
combinatoire (recherche de tous les possibles) et ceux faisant intervenir un calcul d'aire ou de
volume.
Pour la division, nous considérons comme "simples", les problèmes de partage ou de
répartition et comme "complexes," les problèmes faisant intervenir l'inverse d'une
multiplication ou la recherche d'une dimension dans un calcul d'aire ou de volume. Les
problèmes de division avec trois données n'étant pas adaptés, nous proposons à la place des
problèmes de division avec reste.
Nous croisons la variable "type d'opération" avec les variables "données numériques"
et degré de complexité, ce qui conduit à 24 problèmes différents. Le tableau ci-dessous
synthétise les critères qui ont servi à l’élaboration de ces 24 problèmes. Les problèmes situés
en haut à gauche d’une case sont des problèmes « simples », ceux situés en bas à droite sont
des problèmes « complexes ».
Critères de construction des problèmes
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 30-
Données
numériques
Opérations
2 données 3 données une donnée inutile
(di)
Addition
état final
n°4
état initial
n°5
état final
n°12
composée de
transformations
n°16
réunion
n°10
état initial n°3
Soustraction
complément
n°15
état initial
n°19
état final
n°6
composée de
transformations
n°7
Distance
n°11
composée de
transformations
n°21
Multiplication
addition réitérée
n°1
Aire
n°8
addition réitérée
n°20
Volume
n°13
addition réitérée
n°2
Produit
cartésien
n°24
Division
Répartition (reste
nul)
n°17
multiplication
inverse (aire)
n°22
répartition (avec
reste)
n°9
division avec reste
n°14
division (reste nul)
n°23
multiplication
inverse
n°18
D’après nos recherches (Butlen, Pézard 2002), un entraînement au calcul mental, en
allégeant les tâches de calcul, favorise donc une « prise de sens » lors de la résolution de
problèmes et contribue à accélérer l’automatisation de la reconnaissance du modèle
(opération(s) en jeu).
Les automatismes de calcul installés au cours d’une pratique régulière de calcul mental
permettent aux élèves de construire des schémas de problèmes (Julo, 1995). Tout se passe
comme si l’élève avait construit une mémoire des problèmes déjà rencontrés ainsi que des
procédures de résolution associées. Cette mémoire s’organise grâce à une certaine
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 31-
catégorisation et à un recours à des problèmes prototypiques représentatifs de chaque
catégorie. L’élève s’avère alors capable de mobiliser à bon escient le modèle le plus adapté
pour résoudre le problème.
Là encore, l’examen des performances des élèves montre que tous ne profitent pas de
ces enseignements. Tous n’entrent pas dans cette dialectique entre sens et technique, entre
automatisation et adaptation aux conditions particulières de la tâche. Tout se passe comme si
les élèves les plus en difficulté n’en avaient pas les moyens soit en termes de
prérequis (connaissances sur les nombres et les opérations insuffisantes, fréquentation moins
importante des problèmes notamment), soit en termes de temps, soit en termes d’évaluation
des enjeux d’apprentissage des situations qui leur sont proposées
ANNNEXES
Annexe 1 : Enoncés des 24 problèmes du test
Le signe x, -, + ou / indique l’opération. Les nombres 2 ou 3 indiquent le nombre de
données. « di » indique la présence d’une donnée inutile. Les lettres s ou c indique le degré de
difficulté (simple ou complexe).
Problème 1 : (x, 2, s) : Pour réaliser un pull, Sylvie achète 18 pelotes de laine à 20F la
pelote ; calcule le montant de la dépense.
Problème 2 : (x, di, s) : Une famille de 3 personnes séjourne pendant 6 jours à la
résidence "des 3 îles" ; le tarif journalier de la pension est de 200F par personne ; calcule le
montant de la dépense.
Problème 3 : (+, di, c) : Marie fête son anniversaire le 22 septembre : elle a 11 ans.
Elle dit à sa maman : "j'ai exactement 32 ans de moins que toi !"
Quel est l'âge de Maman ?
Problème 4 : (+, 2, s) : Hier, j'ai lu jusqu'à la page 134 de mon livre ; aujourd'hui, j'ai
lu 27 pages ; à quelle page en suis-je maintenant ?
Problème 5 : (+, 2, c) : Pierre a perdu 15 billes à la récréation ; il lui en reste 20 ;
combien avait-il de billes avant ?
Problème 6 : (-, 3, s) : Dans un autobus, il y a 38 personnes ; au premier arrêt, 8
personnes descendent ; au second arrêt, 6 personnes descendent ; combien y a-t-il de
personnes dans l'autobus quand il repart ?
Problème 7 : (-, 3, c) : Au premier arrêt d'un autobus, 12 personnes montent ; au
second arrêt, 4 personnes descendent ; au troisième arrêt, 5 personnes descendent ; y a-t-il
plus ou moins de voyageurs dans l'autobus quand il repart ? Combien en plus ou en moins ?
Problème 8 : (x, 2, c) : Un quadrillage rectangulaire comporte 34 carreaux sur la
longueur et 20 carreaux sur la largeur ; combien ce quadrillage a-t-il de carreaux ?
Problème 9 : (division avec reste, s) : On doit répartir 50 pommes dans des corbeilles
de 8 pommes chacune ; combien peut-on remplir de corbeilles ? Combien reste-t-il de
pommes ?
Problème 10 : (+, di, s) : Dans une ville, il y a 3 écoles ; dans la première, on compte
150 élèves ; dans la seconde, 58 élèves ; dans la troisième, 70 élèves ; combien y a-t-il
d'élèves dans cette ville ?
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 32-
Problème 11 : (-, di, s) : Jean part de Paris, doit passer par Melun et être à
Fontainebleau à 10 heures ; la distance Paris Fontainebleau est de 65 km et il y a 15 km de
Melun à Fontainebleau ; quelle est la distance entre Paris et Melun ?
Problème 12 : (+, 3, s) : Dans un autobus, il y a 36 personnes ; au premier arrêt, 3
personnes montent ; au second arrêt, 12 personnes montent ; combien y a-t-il de personnes
dans l'autobus quand il repart ?
Problème 13 : (x, 3, c) : Dans une boîte, on dispose 5 morceaux de sucre sur la
longueur, 3 morceaux sur la largeur et 4 morceaux sur la hauteur ; combien de morceaux de
sucre y a-t-il dans la boîte ?
Problème 14 : (division avec reste, c) : Avec ses bottes de sept lieux, le petit Poucet se
déplace de ville en ville ; il fait des pas de 8 km ; s'il parcourt 50 km, combien de pas va-t-il
faire ?
Problème 15 : (-, 2, s) : Dans un parking, il y a 100 places ; ce matin, 67 places sont
occupées, combien reste-t-il de places libres ?
Problème 16 : (+,3,c) : Au premier arrêt d'un autobus, 10 personnes montent ; au
second arrêt, 3 personnes montent ; au troisième arrêt, 8 personnes montent ; y-a-t-il des
personnes en plus ou en moins dans l'autobus quand il repart après le troisième arrêt ?
Combien en plus ou en moins ?
Problème 17 : (:, 2, s) : On répartit 126 œufs dans des boîtes de 6 ; combien de boîtes
peut-on remplir ?
Problème 18 : (:, di, c) : Pour Noël, Jean, qui dispose de 250F, a décidé d'offrir le
même livre à ses 4 amis ; il paye 208F ; quel est le prix d'un livre ?
Problème 19 : (-, 2, c) : J'ai maintenant 200F dans ma tirelire ; on vient de me donner
50F en cadeau ; combien avais-je avant ?
Problème 20 : (x, 3, s) : Une famille de 3 personnes part à la montagne pendant 6
jours ; le tarif journalier de la pension est de 200F par personne ; quel est le montant de la
dépense ?
Problème 21 : (-, di, c) : La distance entre chaque arrêt d'un autobus est d'environ
1500m ; au premier arrêt, 10 personnes montent ; au second arrêt, 3 personnes descendent ; au
troisième arrêt, 5 personnes montent ; y a-t-il plus ou moins de voyageurs dans l'autobus
quand il repart après ce troisième arrêt ? Combien en plus ou en moins ?
Problème 22 : (:, 2, c) : Un quadrillage rectangulaire comporte 168 carreaux en tout ;
il y a 4 carreaux sur la largeur ; combien y a-t-il de carreaux sur la longueur ?
Problème 23 : (:, di, s) : Un rallye cycliste comporte 105 km ; le départ est à 7 heures
le matin ; les relais sont distants de 5 km ; chaque participant doit pointer au départ, à chaque
relais, et à l'arrivée ; combien de fois doit-il pointer ?
Problème 24 : (x, di, c) : Un restaurant propose un menu du jour à 70F ; il y a 4 choix
possibles pour l'entrée, 3 choix possibles pour le plat principal et 2 choix possibles pour le
dessert ; combien de menus différents peut-on constituer ?
La mise en évidence des effets limités sur les apprentissages des élèves les plus en difficulté
d’un tel dispositif nous a donc amenés à penser un autre dispositif, plus riche, englobant le
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 33-
précédent mais destiné à traiter les difficultés spécifiques de ces élèves. C’est ce que nous
abordons dans le chapitre suivant.
II.6. Des cheminements cognitifs spécifiques
Nous avons signalé plus haut que les élèves en difficulté en mathématiques appréhendaient
difficilement les enjeux des situations que le professeur leur proposait, qu’ils en restaient
souvent au niveau de l’action et que cela compromettait l’accès au niveau de
conceptualisation visé par l’enseignement.
Les activités de calcul mental sont des moments privilégiés pendant lesquels cette compétence
peut être travaillée. En effet, quand le professeur propose à ses élèves un calcul, ces derniers
n’ont que quelques secondes pour appréhender le but et la qualité de l’activité demandée :
restituer un fait numérique mémorisé ou une technique de calcul automatisée ou en voie
d’automatisation ou bien au contraire mobiliser ce type de connaissances pour produire une
procédure nouvelle ou adapter une procédure plus ancienne afin d’effectuer dans le temps
demandé le calcul en jeu.
Mais si les activités de calcul mental peuvent être l’occasion de développer ce type de
compétence, elles peuvent être a contrario particulièrement difficiles, voire se révéler une
source d’échec, pour les élèves incapables d’appréhender de tels enjeux dans un temps aussi
limité. Reprenant l’idée que le recours à la production d’un écrit collectif s’appuyant sur un
débat entre pairs peut amener ces élèves à dépasser cette difficulté grâce à une prise de
distance par rapport à l’action et par un retour sur les activités pratiquées en termes
d’apprentissage, nous avons élaboré et testé un dispositif d’enseignement visant cet objectif.
L’extrait ci-dessous de l’article précédemment évoqué présente ce dispositif ainsi que ses
effets sur les apprentissages des élèves les plus en difficulté.
II. PARTIE 2 : CONCEPTUALISATION EN MATHEMATIQUES ET ELEVES EN DIFFICULTE
(reprise et suite de l’extrait précédent)
Les élèves en difficulté ne bénéficient donc pas au même titre que les autres d’un
enseignement de calcul mental. L’apprentissage de techniques de calculs élémentaires, la
familiarisation avec diverses décompositions additives ou multiplicatives des nombres, des
institutionnalisations souples ayant pour but de hiérarchiser les procédures rencontrées et de
préciser leur domaine d’efficacité ne suffisent pas. Les tentatives du professeur pour leur faire
utiliser des procédures spécifiques, adaptées au calcul en jeu se révèlent souvent
infructueuses.
Dans cette seconde partie, nous étudions des conditions spécifiques permettant à ces
élèves de surmonter les difficultés explicitées précédemment. L’étude de ces conditions est en
rapport étroit avec l’étude des processus de conceptualisation et de décontextualisation. Ces
deux processus sont liés. Nous admettons que chez les élèves de 11 à 13 ans, la
conceptualisation de certaines notions mathématiques implique et est impliquée par
différentes activités de décontextualisation : généralisation, changement de contexte,
formalisation, etc., qui correspondent à des degrés différents. Notons que la
décontextualisation peut être en partie dévolue aux élèves, par exemple dès qu’il y a
explicitation de leur part de modèles implicites mobilisés dans l’action ou lors de différentes
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 34-
phases de formulation. Ces dernières peuvent par exemple prendre la forme d’un débat
débouchant sur la production collective d’un écrit.
(…)
nous mettons en évidence la nécessité de construire un enseignement offrant des
cheminements cognitifs différents aux élèves en difficulté. Ces cheminements se caractérisent
notamment par l’existence d’étapes originales. En conclusion, nous précisons les limites de ce
type d’enseignement et dégageons des pistes possibles pour les dépasser.
(…)
2. Une nouvelle ingénierie comportant des situations de bilan de savoirs et une
explicitation de méthodes
Notre but est de permettre aux élèves en difficulté de mieux capitaliser leur acquis
dans le domaine du calcul mental en vue d’un éventuel réinvestissement dans la résolution de
problèmes numériques.
Pour cela, nous inspirant des travaux en linguistique sur le rôle de l’écrit (Bautier
1995, Lahire 1993), en sociologie sur la notion de rapport au savoir (Charlot, Bautier,
Rochex, 1992), en didactique des mathématiques sur le rôle du débat (Legrand 1991) et en
psychologie cognitive sur la dialectique entre apprentissage individuel et apprentissage
collectif, nous avons pensé un dispositif d’enseignement plus complet. Il s’organise autour de
trois axes : une pratique régulière de calcul mental, des situations de bilans écrits de savoirs
élaborés collectivement au cours d’un débat entre pairs, une confrontation régulière à
l’explicitation de méthodes de calcul et de résolution de problèmes8.
2.1. Description de l’ingénierie et du public concerné
(…)
Décrivons plus particulièrement les situations de bilan de savoirs. Précisons la tâche
prescrite aux élèves.
En dix lignes maximum, vous rédigez par écrit un texte
résumant tout ce qui a été appris depuis la dernière séance pendant
les activités de calcul mental et de résolution mentale de problèmes ;
vous préciserez si ce que vous avez appris lors de ces activités vous a
été utile dans d’autres activités.
Un texte produit initialement par deux élèves est mis en débat avec l’ensemble de la
classe. Il est éventuellement amélioré collectivement puis adopté. Il est ensuite recopié dans
un classeur (individuel mais aussi collectif) ; chaque élève peut ainsi y avoir accès.
L’ensemble de ces textes constitue une mémoire collective écrite du travail effectué par les
élèves dans le domaine numérique. Ces derniers explicitent à cette occasion ce qu’ils jugent
collectivement important de retenir des activités pratiquées.
Grâce à ces bilans réguliers de savoirs, il est possible d'accéder à ce que les élèves
retiennent des activités de mathématiques, à ce qui est important pour eux. La régularité de
ces séances permet de reconstruire l’histoire de l’appropriation des notions enseignées : il est
ainsi possible de recueillir des indices sur le niveau de disponibilité des connaissances des
élèves et l’évolution de leurs conceptions.
8 Il s’agit de problèmes « classiques » relevant des trois niveaux testés : CM2, sixième, cinquième, dont l’énoncé
et les valeurs numériques sont compatibles avec une résolution mentale.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 35-
Le professeur joue essentiellement un rôle d’animateur lors du débat ; il n'intervient
que pour relancer la discussion, évaluer l’accord de la classe à une proposition de
modification ou demander des compléments d’activités ou des explications supplémentaires,
mais il ne modifie jamais les textes élaborés par les élèves quand bien même il peut lui arriver
de temps à autre de corriger l’orthographe ou de rectifier certaines formulations secondaires
par rapport au sens de telle ou telle proposition. Il peut aussi être demandeur de nouvelles
formulations, et il intervient également chaque fois que les élèves produisent un énoncé
mathématiquement erroné.
En plus de ces bilans collectifs de savoirs, nous avons recueilli, en fin d’année, des
bilans individuels de savoirs auprès des élèves des classes entraînées mais aussi de classes
témoins. La comparaison de ces productions individuelles issues des deux types de classes
nous a permis d’avoir des éléments de mesure de l’impact de notre ingénierie.
Notre ingénierie a été testée dans trois niveaux de classe (CM2, 6e et 5
e) avec des
élèves souvent en difficulté en mathématiques.
L’expérimentation s’est déroulée durant une année scolaire dans la classe de CM2 ;
elle a duré deux ans au collège, les élèves de sixième étant suivis l’année suivante en
cinquième.
2.2. Les résultats
Nous avons mis en évidence des cheminements cognitifs différents selon les élèves :
certains ont besoin de passer par des étapes originales que nous avons interprétées comme des
étapes du processus de conceptualisation de certaines notions mathématiques.
Nous allons développer deux exemples.
2.2.1. Le recours à l’exemple générique
Nous avons caractérisé ces étapes en prenant notamment en compte le degré de
décontextualisation, de dépersonnalisation des textes que pouvaient produire individuellement
ou collectivement les élèves.
Notre objectif était d’amener les élèves, grâce au recours à l’écrit et grâce au débat, à
produire des textes mathématiques davantage décontextualisés. En effet, les élèves dans un
premier temps produisent des textes qui sont surtout des descriptions des tâches prescrites par
l’enseignant ou des exemples isolés sans généralisation.
En voici un exemple (classe de CM2) :
Nous avons fait des multiplications et des divisions avec des
entiers puis avec des décimaux.
Ou bien : (classe de CM2) :
Cette semaine, nous avons joué au compte est bon. On nous
donnait quatre nombres. Il fallait essayer de s’approcher le plus
possible du nombre donné (ou de l’atteindre) en faisant des additions,
des multiplications, des divisions ou des soustractions. Tous les
nombres devaient être utilisés une et une seule fois.
Ex : trouver un nombre (132) avec 6, 16, 4, 32.
6 x 16 = 96
96 + 32 = 128
128 + 4 = 132
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 36-
Nous avons constaté que les élèves ayant bénéficié de notre ingénierie produisaient
souvent des textes intermédiaires entre ces énoncés très contextualisés et des énoncés formels
du type : (classe de CM2)
Pour multiplier un nombre par des puissances de 10, on met
autant de zéros à droite du nombre que l’indique l’exposant.
Ces énoncés intermédiaires comportent l’énoncé de la propriété ou de la règle et un
exemple l’illustrant ou la générant, constituant donc un exemple générique. En voici deux
illustrations :
La règle est formulée à partir d’un exemple : (classe de CM2)
Nous multiplions 42 x 56 ; 42 x 50 = 2100 ; 42 x 6 = 252 ;
2100 + 252 = 2352 ; on a décomposé la multiplication par une
addition avec un nombre exact de dizaines.
La règle est illustrée par un exemple : (classe de CM2)
Cette quinzaine, nous avons fait des multiplications par 25. Il
fallait multiplier par 100 et diviser par 4. Exemple : 22 x 25 = ? On
fait 22 x 100 = 2200 et 2200 / 4 = 550.
Le recours à l’exemple générique peut s’expliquer par un souci de communication
entre pairs. Pour se faire comprendre des autres, l’élève ressent le besoin d’expliciter la règle
à l’aide d’un exemple. Cette explicitation lui est aussi bénéfique dans la mesure où il
s’explique ainsi à nouveau la règle et son contexte. En expliquant aux autres, il s’explique à
lui-même.
Les situations de bilans de savoirs s’appuient ainsi sur une dialectique entre
apprentissage collectif et apprentissage individuel.
Le débat et le recours à l’écrit permettent donc à certains élèves de prendre de la
distance par rapport au contexte de l’apprentissage, d’accéder à un niveau supérieur de
décontextualisation et de généralisation.
Ces énoncés intermédiaires caractérisent une étape, semble-t-il obligatoire pour
certains élèves, dans le processus de conceptualisation. Recourant à l’exemple générique, ils
se situent entre le contextualisé et le général, entre l’exemple isolé et l’énoncé formel.
Ces étapes n’apparaissent pas d’elles-mêmes. Il est nécessaire de prévoir un dispositif
d’enseignement qui en assure l’existence. En effet, nous avons constaté, en demandant de
rédiger des bilans de savoirs à des élèves n’ayant pas bénéficié de notre ingénierie, qu’ils ne
produisaient que très rarement ce type d’énoncés intermédiaires. La majorité des élèves
produisent des énoncés très contextualisés ; quelques élèves essaient de restituer les énoncés
formels issus du cours du professeur.
Ainsi, l’énoncé ci-dessous restitue un exemple mathématique isolé, illustrant une
action ou une consigne :
« Cette dernière semaine, nous avons donné la valeur exacte
du quotient sous forme de fractions et nous l'avons encadré entre deux
nombres entiers naturels puis nous avons précisé en l'encadrant entre
deux nombres décimaux allant jusqu'au centième, millième, 1/10n
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 37-
357 < 357,12 < 2857/8 < 357,13 < 358 ».
Nous avons cité ci-dessus un exemple d’énoncé formel exact ; voici une tentative de
restitution d’un énoncé formel concernant le traitement de la soustraction d’une somme :
Nous avons appris que : -(a+b+c) = + a + b + c
Le débat entre pairs joue un rôle déterminant dans le processus de décontextualisation
des énoncés mathématiques produits comme le montre le tableau ci-dessous. La grande
majorité des éléments d’énoncés rajoutés collectivement lors du débat sont décontextualisés.
CM2 6e 5
e
% d’énoncés mathématiques plutôt
décontextualisés élaborés lors du débat
(par rapport à l’ensemble des énoncés
mathématiques élaborés lors du débat)
93%
75%
91%
% d’énoncés de méthodes plutôt
décontextualisés élaborés lors du débat
(par rapport à l’ensemble des énoncés
de méthodes élaborés lors du débat)
43%
75%
74%
2.2.2. Le recours à des outils heuristiques
Dans les classes où nous avons travaillé, nous observons un changement du statut des
nombres intervenant dans les énoncés de problèmes. Dans les bilans individuels des élèves
recueillis en fin d’année, nous avons trouvé des énoncés du type :
Quand il y a des nombres compliqués, on les simplifie ; après
les avoir simplifiés, on cherche une méthode et lorsque l’on trouve, on
l’applique aux nombres compliqués.
Lors de la recherche d’une solution, des élèves déclarent donc remplacer les données
numériques soit par des nombres plus simples, soit par des lettres. Les données numériques
pouvant varier, l’accès au modèle (la recherche de l’opération arithmétique sous-jacente) est
alors plus aisé.
Cette stratégie relève de l’heuristique dans la mesure où elle accroît les possibilités
d’exploration des relations en jeu dans le problème à résoudre. Cet outil heuristique est
caractéristique selon nous d’une étape intermédiaire entre l’arithmétique et l’algèbre. En effet,
les élèves qui s’autorisent à remplacer les données du problème par des nombres plus simples
et a fortiori par des lettres ne les considèrent plus comme fixes. Cette stratégie de résolution
peut être qualifiée de « pré-algébrique ».
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 38-
Nous avons également constaté que cela va de pair avec une utilisation plus experte du
calcul mental lors de la résolution de problèmes. Les élèves sont plus nombreux à déclarer
calculer des ordres de grandeurs, soit pour chercher l’opération à effectuer, soit pour vérifier
leur résultat. Une plus grande habileté calculatoire se traduit ainsi par une plus grande
capacité à prévoir et contrôler le résultat des calculs. En effet, leurs pairs entraînés au calcul
mental mais n’ayant pas bénéficié des bilans de savoirs déclarent seulement que cette pratique
les rend plus à l’aise dans les calculs.
2.3. Apports et limites de l’ingénierie
Nous avons vu qu’un enseignement comportant des situations ayant pour objectif
d’amener les élèves à prendre de la distance par rapport au contexte permettait à certains
d’entre eux d’accéder à un niveau supérieur de conceptualisation grâce à des étapes prenant
en compte leur difficulté à décontextualiser, à généraliser et donc à réinvestir les
apprentissages effectués dans un contexte donné.
Nous pensons ainsi avoir mis en évidence des situations permettant à certains élèves
en difficulté, notamment scolarisés en ZEP, de parcourir des cheminements cognitifs
originaux.
Toutefois cet apport rencontre certaines limites. Nous avons en effet constaté que les
élèves les plus en difficulté ne profitent pas, comme leurs pairs, de ces étapes.
Nous avons classé les élèves ayant bénéficié de notre ingénierie (il s’agissait de
classes plutôt faibles) en quatre catégories allant des plus performants (A) aux plus faibles (D)
en passant par les élèves moyens (B) et les élèves en difficulté moyenne (C). Nous constatons
que ce sont les élèves des catégories A, B et C qui ont recours à l’exemple générique.
En CM2 et cinquième, les énoncés intermédiaires sont produits essentiellement par les
« bons élèves » (catégorie A) et par les élèves plutôt faibles (catégorie C). En sixième, ce sont
surtout les « bons » élèves (catégories A et B) qui produisent les énoncés intermédiaires.
Les élèves de catégorie A : à tous les niveaux de scolarité étudiés, ils s’avèrent
capables de produire des énoncés de tout degré de décontextualisation. Ainsi, 4 élèves sur 7
en CM2, 2 sur 5 en sixième et 6 sur 8 en cinquième produisent des énoncés intermédiaires.
Nous pouvons interpréter leur production d’énoncés intermédiaires comme un effet de
contrat. Habitués à produire ce type d’énoncés lors des bilans collectifs de savoirs, ils le font
également lors des bilans individuels de fin d’année. Toutefois, comme ils sont capables de
produire des énoncés formels, la production d’énoncés intermédiaires ne constitue pas
forcément, pour eux, un passage obligé. Cela semble davantage être le signe d’une plus
grande capacité à s’adapter aux exigences de la communication.
Les élèves de catégorie B : les élèves moyens de CM2 et cinquième produisent soit des
énoncés contextualisés, soit des énoncés formels. En sixième, leurs productions représentent
tous les types d’énoncés, la moitié d’entre eux produisant uniquement des énoncés
intermédiaires. La production de ce dernier type d’énoncés semble leur être profitable et
nécessaire pendant un temps relativement court. En cinquième en effet, dans leurs bilans
individuels de savoir, ils abandonnent la production de ces énoncés pour des énoncés formels.
Ils sont sans doute moins sensibles aux effets de contrat que leurs pairs de catégorie A.
Les élèves de catégorie C : la moitié des élèves en difficulté moyenne produisent des
énoncés intermédiaires en CM2 et en cinquième. En sixième, ils ne produisent pas d’énoncés
de ce type mais produisent essentiellement des exemples seuls. Cette différence de résultats
entre la sixième et les deux autres classes peut s'expliquer à la fois par la faible participation
des élèves de cette classe au débat, par leur rapport particulier à l’écrit et par des effets de
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 39-
contrat. À ce niveau scolaire, ce sont les élèves les plus performants qui s’autorisent à
produire plus d’énoncés mathématiques ou de méthodes en ayant recours partiellement au
formalisme. Il semble qu'une année soit nécessaire pour que les élèves de collège participent,
à degré égal à celui de l’école élémentaire, à l'élaboration et à l'amélioration collective d'écrits
mathématiques.
Des contraintes institutionnelles spécifiques au collège - le remplacement d’un maître
unique par une équipe de professeurs spécialisés - sont à l’origine de cette réticence. En CM2,
c’est la même personne qui enseigne le français et les mathématiques. Écrire un texte se
présentant comme une « rédaction » surprend moins les élèves de CM2. Ce n’est pas le cas au
collège où les rôles sont plus spécialisés. Enfin, le professeur est le principal producteur
d’écrits mathématiques : les définitions, théorèmes, règles sont en général formulés par le
professeur. La part des élèves dans cette production est souvent faible, particulièrement au
collège. La production par les élèves d’écrits mathématiques, surtout quand ils ont pour but de
synthétiser les apprentissages effectués, ne fait pas partie du contrat. Ce rapport à l’écrit
mathématique confère à un texte « écrit au tableau », même par un pair, un caractère officiel,
qui rend toute modification difficile à envisager. Un temps assez long, supérieur à une année
scolaire, semble nécessaire pour renégocier cet aspect du contrat didactique.
Ces contraintes semblent empêcher provisoirement les élèves en difficulté moyenne de
bénéficier de notre ingénierie, en particulier de la situation de bilan de savoirs. Deux années
seront nécessaires au collège pour permettre à la moitié d’entre eux d’accéder à ce niveau de
décontextualisation.
Les élèves de catégorie D : les élèves en difficulté importante produisent plutôt des
textes qui restituent l’énoncé de la tâche prescrite ou décrivent le contexte de l’apprentissage
en 6e (4 sur 6) ; c’est encore le cas d’un tiers d’entre eux en 5ème
. En CM2, ils produisent soit
des énoncés mathématiques contextualisés (3 élèves sur 5), soit des énoncés formels (3 élèves
sur 5). En 5ème
, la majorité d’entre eux produisent des énoncés très contextualisés. Notons
toutefois que 4 élèves de ce niveau produisent des énoncés formels. Il faut dire que la majorité
de ces élèves très faibles n’ont pas bénéficié du dispositif d’enseignement en 6ème
, ils sont en
effet issus d’autres classes. On dénombre un élève sur les cinq de catégorie D en CM2, 1 sur 6
en sixième et 2 sur 9 en cinquième qui produisent des énoncés intermédiaires.
Un intermédiaire profitable pour les élèves en difficulté moyenne : il semble donc que
notre ingénierie crée des conditions permettant à des élèves faibles (niveau C) de produire des
énoncés intermédiaires. Cet effet, déjà perceptible au CM2, devient plus explicite au bout de
deux années au collège. Cette production d'énoncés intermédiaires s’accompagne, d’après les
évaluations du professeur, de réels progrès en mathématiques. Notre dispositif
d’enseignement permet à ces élèves de produire des énoncés mathématiques plus
décontextualisés mais ancrés dans leur expérience personnelle. Cette production a été
favorisée par les échanges avec leurs pairs et par l’explicitation de méthodes par le professeur.
La mémoire collective de la classe ainsi construite semble constituer pour chacun un
ensemble d’expériences, de connaissances et de savoirs en partie décontextualisés, vécus en
commun avec les autres élèves et avec le maître, partiellement codifiés dans leur mémoire
personnelle ; cela leur permet d’élargir leurs possibilités de formulation mais aussi de
s’approprier, au moins partiellement, certaines notions et méthodes mathématiques.
Le fait que les élèves en grande difficulté ne bénéficient pas de notre ingénierie montre
qu'il semble exister un seuil minimum de connaissances mathématiques pour que les élèves
puissent s'approprier un type de formulation produit collectivement.
Nous pouvons émettre des hypothèses permettant d’expliquer ces limites.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 40-
Le temps semble être un facteur important, surtout en collège. Ainsi, il faut deux
années consécutives de pratique des bilans de savoirs pour obtenir une décontextualisation
significative des énoncés mathématiques produits collectivement ou individuellement.
Il existe sans doute un seuil, définissable en termes de prérequis, nécessaire pour
appréhender les enjeux et les apports des débats réalisés à propos d’un texte écrit. Ceux-ci
peuvent être très locaux ou au contraire plus globaux. Ils peuvent concerner l’apprentissage
d’une notion donnée ou faire référence à l’apprentissage en général. Ainsi le débat peut porter
localement sur des amendements décontextualisant et généralisant un texte daté ou concerner
le réinvestissement différé de la notion convoquée. Pour bénéficier du débat et de ces pas de
côté, l’élève doit pouvoir appréhender les portées de ces deux enjeux.
Cela peut nécessiter également un changement de rapport au savoir, local quand il
s’agit des phénomènes évoqués ci-dessus, ou plus général, voire un changement du rapport à
l’école, quand ce sont les apprentissages scolaires dans leur ensemble qui sont interrogés par
la situation. L’élève doit non seulement pouvoir en termes cognitifs mais aussi accepter (en
termes de posture) d’entrer dans ces différents niveaux d’interrogation et de changement.
3. Conclusion
Nous avons rendu compte dans cet article du processus de conceptualisation de
certaines notions numériques (décompositions additives et multiplicatives des nombres
entiers, techniques de calcul mental, reconnaissance des opérations en jeu dans des problèmes
numériques standard) en centrant notre regard sur les difficultés des élèves, notamment celles
rencontrées par les élèves de milieux populaires : disponibilité des décompositions additives
et multiplicatives des nombres lors de calculs mentaux, reconnaissance des opérations en jeu
dans des problèmes standard, apprentissage d’un certain formalisme.
Nous avons essayé de pointer des sources potentielles de difficultés. L’une d’entre
elles est liée à l’absence éventuelle de prérequis correspondant soit à des manques de
connaissances, soit à une difficulté à prendre en compte les enjeux des situations
d’apprentissage.
Nous avons par exemple mis en évidence le rôle que pouvait jouer la maîtrise de
certaines décompositions des nombres dans l’apprentissage des opérations mais aussi dans la
connaissance des nombres eux-mêmes. Ainsi un déficit dans la disponibilité de
décompositions numériques peut amener certains élèves à ne pas mobiliser les procédures de
calcul mental les mieux adaptées aux nombres en jeu. Ce manque d’adaptabilité se traduit
alors par une exploration plus limitée des nombres et de leurs propriétés ; ce qui entraîne
ensuite une plus faible connaissance de ces nombres et de leurs décompositions, etc… Une
absence de prérequis d’ordre cognitif peut être ainsi à l’origine d’un effet « boule de neige »
tendant à aggraver le retard initial de connaissances mathématiques de ces élèves.
Nous avons vu que cet effet peut être limité par un enseignement adapté. Nous avons
montré comment une pratique régulière de calcul mental pouvait permettre à des élèves de
combler leurs manques de connaissances initiales. Cette pratique doit viser plusieurs
objectifs : d’une part, installer des modules de calculs automatisés et accroître le répertoire de
faits numériques mémorisés des élèves, et d’autre part, développer des capacités
d’adaptabilité en enrichissant et hiérarchisant les procédures de calcul de chacun. Nous avons
pour cela insisté sur la nécessité d’institutionnaliser certaines procédures et leur domaine de
validité.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 41-
Nos recherches ont pointé que les effets bénéfiques d’un tel enseignement pouvaient
être limités, voire annulés si les conditions du dépassement du paradoxe de l’automatisme
n’étaient pas remplies.
Une autre source de difficulté réside dans la capacité des élèves à appréhender les
enjeux des situations, notamment, pour ce qui nous concerne, à reconnaître les moments où ils
doivent reproduire des automatismes et les moments où ils doivent mobiliser ces
automatismes pour produire des procédures spécifiques, voire nouvelles.
Nous avons dégagé les apports et les limites d’un enseignement visant à développer
ces compétences au moyen de la production de bilans de savoirs. Cette recherche a également
montré la nécessité de prévoir un enseignement proposant des cheminements cognitifs
différents (passage par un exemple générique avant l’énoncé formel, utilisation d’outils
heuristiques de type « pré algébriques ») et adaptés aux manques ainsi révélés.
II.7. Du constat des limites de nos ingénieries didactiques centrées sur les élèves à des
recherches sur les pratiques enseignantes en ZEP
La conclusion de l’article ci-dessus expose les effets bénéfiques mais aussi les limites d’une
intervention de type « bilan de savoirs ». Ces effets positifs mais encore limités sont sans
doute dus pour une large part à la stabilité des habitudes de travail installées depuis le début
de la scolarité des élèves. Cette installation ayant à voir avec les pratiques enseignantes, nous
avons été amenés à déplacer notre regard et à centrer nos observations et nos analyses non
plus sur les élèves en difficulté scolarisés en ZEP mais sur les professeurs des écoles
enseignant dans ces établissements. C’est cette question que nous abordons dans la seconde
partie de ce cours (voir étape n°2).
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 42-
DEUXIÈME ÉTAPE
DEUXIÈME PARTIE : DEUX RECHERCHES SUR LES PRATIQUES DES
PROFESSEURS DES ÉCOLES ENSEIGNANT EN ZEP
Dans un premier chapitre, nous présentons rapidement quelques éléments permettant de
définir le champ de recherches de la didactique des mathématiques et essayons de caractériser
le contexte dans lequel se sont développées des recherches sur les pratiques enseignantes et
sur la formation de ces pratiques.
Dans les chapitres suivants, nous présentons deux exemples de recherches menées sur les
pratiques des professeurs des écoles enseignant les mathématiques dans des milieux très
défavorisés (ZEP). La première recherche étant davantage basée sur des observations
« naturelles » alors que la seconde s’appuie sur l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation
des effets d’un dispositif d’accompagnement de professeurs des écoles débutants sur leurs
pratiques.
I. La didactique des mathématiques
La didactique des mathématiques (francophone) s’est constituée en un champ de recherche
relativement récemment. Rappelons brièvement son objet. Elle analyse, à propos d’un
contenu donné, les rapports entre enseignement et apprentissage.
« La didactique des mathématiques est un champ de recherche au confluent de plusieurs
autres champs disciplinaires (mathématiques, psychologie cognitive, psychologie sociale,
sociologie, épistémologie, etc.). Elle se propose d’étudier les rapports existant entre
enseignement et apprentissage dans le contexte spécifique des mathématiques. Ainsi, elle
étudie les processus de transmission et d’acquisition des connaissances relatives au domaine
spécifique de cette discipline ou des sciences voisines avec lesquelles elle interagit. Elle décrit
et analyse les difficultés rencontrées et propose des moyens pour aider les professeurs, les
élèves et les étudiants à les surmonter, et notamment pour faire du savoir enseigné, un savoir
vivant, fonctionnel et opératoire. » (Rapport GRECO DIDAMA T CNRS 1983).
Définition de l’Encyclopédie Universalis : « La didactique des mathématiques étudie les
processus de transmission et d’acquisition des différents contenus de cette science,
particulièrement en situation scolaire ou universitaire. Elle se propose de décrire et
d’expliquer les phénomènes liés aux rapports entre son enseignement et son apprentissage.
Elle ne se réduit pas à chercher une bonne manière d’enseigner une notion fixée. »
La didactique des mathématiques propose une approche systémique des phénomènes
d’enseignement en considérant les relations existant entre le professeur, l’élève et le savoir
sachant qu’ils sont à resituer dans un milieu institutionnel et social. Au départ, l’objet de
recherche privilégié était l’élève (au sens générique du terme), progressivement le regard de
nombreux chercheurs s’est déplacé vers l’enseignant qui jusque-là n’était analysé que
« derrière l’épaule de l’élève ». Les recherches sur la formation sont apparues relativement
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 43-
tardivement (exception faite des recherches concernant le premier degré menées dans le cadre
du laboratoire DIDIREM).
I.1. Quelques hypothèses préalables
Rappelons quelques hypothèses préalables admises par la communauté des didacticiens des
mathématiques.
Il ne suffit pas de connaître les mathématiques pour savoir les enseigner. En particulier, il y a
lieu de tenir compte des sujets apprenants, de leurs possibilités et de leurs diversités
éventuelles pour tenter d’optimiser l’enseignement. Il existe des régularités dans le processus
d’apprentissage scolaire. Du côté élèves, cela impose, pour les mettre en évidence, une unité
de découpage adéquat (champs conceptuels : le champ conceptuel étant « un espace de
problèmes ou de situations problèmes dont le traitement implique des concepts et des
procédures de plusieurs types en étroite connexion »). Les didacticiens s’inscrivent dans une
approche problématique des mathématiques et de leur enseignement. Ils admettent que les
concepts mathématiques sont apparus comme des réponses à des problèmes (souvent des
problèmes mathématiques).
I.2. Hypothèses épistémologiques et cognitives
En amont de leurs recherches, la plupart des didacticiens retiennent un certain nombre de
résultats du champ de la psychologie cognitive notamment, des travaux de Piaget, des
éléments de la théorie des rééquilibrations et le rôle de l’action dans les apprentissages, du
poids de l’anticipation (Bruner), du rôle des interactions entre adulte et pairs (zone proximale
de développement, étayage). Ils reprennent l’idée de conflit sociocognitif ainsi que celle d’une
diversité des cheminements cognitifs des élèves (psychologie différentielle, Lautrey). Enfin la
plupart des didacticiens reprennent la notion d’obstacle épistémologique (Bachelard).
Le contexte des recherches sur la formation et sur les pratiques enseignantes : rencontre
entre des didacticiens à la recherche d’un public et des formateurs à la recherche de
légitimité
Les recherches en formation, qui doivent beaucoup à Robert, qui a encadré dès le début des
thèses sur ce sujet, sont marquées par un contexte français particulier. Ces recherches portent
majoritairement, et au début quasi exclusivement, sur la formation des enseignants du premier
degré en mathématiques. Elles concernent pour une part, mais aussi vont alimenter, le travail
de rationalisation des pratiques de formation des formateurs du premier degré engagé par la
COPIRELEM (commission inter IREM qui a progressivement régulé la réflexion de ces
formateurs). Cette commission qui, au départ, menait un travail de vulgarisation et de
recherche-action sur les apprentissages mathématiques des élèves de l’école primaire a
progressivement élargi son domaine de réflexion à la formation des maîtres du premier degré.
Grâce à la tenue d’un colloque annuel (regroupant près du quart des formateurs du premier
degré en mathématiques intervenant dans les écoles normales puis dans les IUFM) et aux
stages que cette commission animait (notamment en direction des nouveaux formateurs de la
discipline), elle a non seulement participé à la réflexion collective des formateurs mais a
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 44-
contribué de façon déterminante à la diffusion dans ce milieu des résultats des recherche en
didactique des mathématiques.
Cette commission a donc joué un rôle déterminant d’interface entre des chercheurs désirant
diffuser leurs recherches dans le milieu des formateurs (avec probablement, pour certains
d’entre eux, le but d’enrichir à moyen terme les pratiques des professeurs des écoles) et les
formateurs ressentant fortement le besoin d’une légitimité scientifique. Dans le même temps,
les différents textes produits par la commission vont constituer un corpus de données qui vont
alimenter les analyses des chercheurs relatives à la formation.
Parallèlement à ces recherches sur la formation vont être menées des recherches sur les
pratiques des enseignants et notamment sur les pratiques des professeurs des écoles. Les deux
types de recherche vont s’enrichir réciproquement et contribuer à l’élaboration progressive de
savoirs et stratégies de formation dans le cadre du premier degré.
I.3. Les recherches sur l’enseignant
Comme indiqué ci-dessus, l’objet de nombreuses recherches en didactique des mathématiques
s’est progressivement déplacé sans s’y limiter de l’élève et des situations vers le professeur.
Pratiquement tous les courants de recherche en didactique vont être concernés. C’est
notamment le cas de la théorie anthropologique du didactique (TAD) qui va développer une
approche praxéologique autour des travaux de Chevallard et de son équipe et, pour une
moindre part de la théorie des situations didactiques (TSD) avec les travaux de Perrin-
Glorian, Margolinas et Bosch notamment. Le regard davantage porté sur l’enseignant en tant
que tel va également se traduire par la constitution progressive de deux nouveaux édifices
théoriques : l’action conjointe (Mercier, Sensevy, Schubauer-Léoni) d’une part et la double
approche d’autre part (Robert, Rogalski).
La dernière théorie (double approche) s’est construite à la fois sur la base de travaux sur les
pratiques des enseignants « ordinaires » et sur les pratiques de formateurs (du moins pour les
recherches centrées sur le premier degré). Elle se réfère à la théorie de l’activité. Dans une
certaine mesure, la TAD s’alimente aussi de pratiques de formation en même temps qu’elle
débouche sur des exemples de pratiques de formation et des dispositifs de formation.
Les recherches portant sur l’enseignement sont trop nombreuses et les résultats trop riches
pour être exposés de manière exhaustive dans ce cours. Devant faire un choix, nous avons
décidé plutôt que de survoler les différentes recherches engagées de nous centrer sur une
approche particulière : celle développée dans le cadre de la double approche ergonomique et
didactique dans la mesure où justement cette construction théorique permet d’aborder
dialectiquement les recherches sur les pratiques enseignantes et celles sur la formation des
pratiques.
Nous présentons dans la suite de cet exposé une série de travaux qui portent sur l’analyse des
pratiques de professeurs des écoles enseignant les mathématiques en ZEP. Ce chapitre du
cours reprend les textes de deux communications. La première est une conférence faite par D.
Butlen, P. Masselot et M. Pézard au 34e colloque de la COPIRELEM intitulée : « Les
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 45-
pratiques en mathématiques d’un professeur des écoles, entre contraintes et nécessité de
s’adapter à différents types de classes ». Le second texte est celui d’une communication
effectuée par les mêmes auteurs au congrès de l’Espace Mathématique Francophone de
Dakar : « Gestes et routines professionnels : un enjeu pour l’analyse des pratiques des
enseignants ». Ce cours s’inspire également de différents articles et ouvrages rédigés par ces
auteurs.
Il s’agit de travaux qui s’inscrivent dans une réflexion plus globale s’articulant autour de deux
préoccupations motivées par les activités de chercheurs-formateurs habitués à observer et
analyser les pratiques enseignantes. La première préoccupation concerne l’amélioration des
apprentissages des élèves, notamment des élèves en difficulté issus de milieux populaires
(ZEP) : à partir du constat des limites des ingénieries testées auparavant, il s’agit de préciser
les mathématiques fréquentées (données à fréquenter) à certains élèves, dans certaines classes,
en lien avec certaines pratiques. La seconde consiste à poser de manière scientifique des
questions professionnelles relatives à la fois au quotidien des enseignants et au quotidien du
formateur.
II. Une catégorisation des pratiques de professeurs des écoles enseignant les
mathématiques en ZEP particulièrement défavorisées
Cette recherche a été menée en collaboration par une équipe de chercheurs de l’IUFM de
Créteil et de Versailles (D. Butlen, P. Masselot et M. Pézard) et une équipe de Rouen
constituée notamment de M.L. Peltier, B. Ngono et A. Dubut. Dix professeurs des écoles ont
été observés sur un temps long (deux années consécutives). Sept de ces professeurs sont
expérimentés (au moins cinq années d’ancienneté) et trois sont des néo-titulaires affectés dans
des écoles de ZEP à leur sortie de l’IUFM et dès leur première année de titularisation. Tous
les niveaux de l’école élémentaire sont représentés (du CP au CM2). Les écoles dans
lesquelles ils enseignent scolarisent un public issu de milieux très défavorisés ; ce sont des
élèves qui importent souvent dans l’école, des règles de vie issues du quartier. Ils font souvent
preuve de violence ou alors d’une grande inhibition.
II.1. Une recherche qui s’inscrit dans une perspective de formation
Cette recherche comme la suivante s’inscrit clairement dans une perspective de formation
comme le montre l’introduction de la conférence faite à Bombannes en 2008, reproduite ci-
dessous.
Les pratiques en mathématiques d’un professeur des écoles, entre contraintes et
nécessité de s’adapter à différents types de classes
(…)
Après avoir succinctement situé nos travaux actuels par rapport à ceux menés dans le
cadre de nos recherches antérieures concernant l’analyse des pratiques des enseignants ainsi
que l’analyse de celles des formateurs, nous présentons tout d’abord ce que nous avons retenu
de ces recherches pour élaborer une ingénierie de formation. Cette dernière ne sera pas
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 46-
détaillée9 mais à partir de nos premiers résultats, nous apporterons des premiers éléments de
réponse à la question : dans quelle mesure et sous quelles conditions peut-on intervenir sur les
pratiques enseignantes ?
I – Introduction : Nos préoccupations actuelles et leurs rapports avec nos travaux
antérieurs
Les questions que nous considérons actuellement sont essentiellement des questions de
formation des Professeurs des Ecoles. Elles se déclinent autour de deux préoccupations qui
nous ont conduits de par nos activités de chercheurs-formateurs à observer et analyser les
pratiques enseignantes.
La première préoccupation concerne l’amélioration des apprentissages des élèves,
notamment les élèves en difficulté issus de milieux populaires (ZEP) : à partir du constat des
limites des ingénieries testées auparavant, il s’agit de préciser les mathématiques fréquentées
(données à fréquenter) à certains élèves, dans certaines classes, en lien avec certaines
pratiques.
La seconde exige de poser de manière scientifique des questions professionnelles
relatives à la fois au quotidien des enseignants et au quotidien du formateur.
L’idée fédérative est de dépasser et d’enrichir le travail de rationalisation des pratiques
de formation (engagé notamment par la COPIRELEM) pour jeter les bases d’une didactique
professionnelle des enseignants du premier degré en mathématiques.
Sans développer, un rapide regard sur les recherches antérieures sur les pratiques
enseignantes au sein de notre équipe, peut aider à élucider les hypothèses et la démarche qui
nous animent.
On pourrait dire que tout a commencé avec les travaux de Monique Pézard (Pézard,
1985). Dans sa thèse concernant une pratique de formateur en formation initiale, elle a mis en
évidence, en élaborant, expérimentant et évaluant une modalité de formation sur le thème de
la proportionnalité, la nécessité d’une double institutionnalisation : mathématique et
didactique.
Un peu plus tard, dans le cadre de la réflexion sur la mise en place, au cours de la
formation initiale des Professeurs des Ecoles, d’ateliers d’analyse de pratiques
professionnelles, d’abord facultatifs, puis intégrés dans le plan de formation, nous (Butlen,
Masselot, 1997) avons approfondi les notions de stratégies, de situations et de savoirs de
formation. Nous entendons par savoirs de formation, des savoirs transmis en formation qui ne
sont ni directement des savoirs mathématiques (disciplinaires) mais qui sont marqués par les
mathématiques, ni des savoirs psychologiques mais qui sont marqués par la psychologie, etc.
Leur acquisition pourrait être accélérée par le dispositif évoqué ci-dessus. Il s’agit de mettre
en actes dans des classes des projets construits par un groupe constitué de personnes de
différents statuts (stagiaires, maîtres formateurs et formateurs-chercheurs) et ceci dans des
milieux « protégés », hors évaluation. Projets et mises en œuvre sont analysés ; plusieurs
9 Voir le texte paru dans les actes du colloque COPIRELEM de Troyes 2007
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 47-
allers-retours (élaboration de projets, mises en actes de ces projets, retour et régulations…)
sont prévus. Le processus est initialisé par une initiation à l’observation. Ce sont ces stratégies
que nous avons qualifiées de stratégies de compagnonnage et de réflexivité dans une étude
didactique des ateliers professionnels. Ces échanges avec des formateurs de différentes
catégories qui interagissaient également avec les stagiaires nous ont permis d’analyser plus
finement le conseil pédagogique en élargissant à l’analyse des phases d’entretiens
consécutives à l’observation d’une pratique effective (Butlen, Lepoche, Masselot, 1998,
2001). Nous renvoyons le lecteur aux différentes contributions que nous avons rédigées dans
le cadre notamment des documents édités par la COPIRELEM.
Dans ce cadre, nous avons été amenés à identifier et définir un certain nombre de
gestes, organisés en routines professionnelles pour décrire plus précisément les pratiques des
débutants et notamment ce en quoi ils peuvent aider à décrire la cohérence de ces pratiques et
à envisager des « endroits où on peut les faire bouger » (Butlen, Masselot, 2001).
Pascale Masselot (Masselot, 2000) a plus particulièrement travaillé sur les effets de la
formation initiale en s’appuyant sur l’observation et l’analyse de nombreuses séances menées
par des Professeurs des Ecoles débutants (lors de leurs deux premières années d’exercice). La
méthodologie mise en œuvre a permis de préciser des indicateurs relevant de chacune des
cinq composantes définies par A. Robert (Robert, Rogalski, 2001). Un certain nombre de
conditions favorisant l’appropriation de savoirs transmis en formation ont été élucidées.
À un autre niveau, les réflexions que nous avons menées autour de la formation de
formateurs nous ont conduits à une rationalisation des pratiques des Professeurs des Écoles
débutants mais aussi à une rationalisation de certaines pratiques de formation (Butlen, 1991,
2004 ; Masselot, 2000 ; Pézard, 1985, 1991).
Enfin les analyses des pratiques ordinaires des Professeurs des Écoles (débutants ou
plus anciens) enseignant les mathématiques en ZEP particulièrement difficiles menées en
collaboration avec une équipe de Rouen (M-L Peltier, B. N’Gono) ont conduit à des résultats
sur lesquels nous reviendrons dans le paragraphe suivant.
Cet exposé est centré sur les pratiques des Professeurs des Ecoles enseignant les
mathématiques en ZEP que l’on met en perspective avec les questions que nous nous posons à
propos de la formation initiale (stratégies, situations et savoirs de formation d’une part, effets
de la formation d’autre part).
II.2. Le cadre théorique de la recherche
Cette recherche s’inscrit dans une approche socio-didactique des pratiques enseignantes qui
constitue un approfondissement de la double approche développée par Robert et Rogalski
(Robert, Rogalski, 2001). Elle reprend la méthodologie d’analyse des pratiques enseignantes
(afin d’en restituer la complexité) selon cinq composantes. Certains concepts de la théorie des
situations (processus de dévolution, d’institutionnalisation notamment) ont permis de cerner
l’objet de l’étude en précisant les grands moments de l’activité du professeur qui seront plus
particulièrement étudiés. La méthodologie d’analyse reprend des concepts issus de champs
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 48-
théoriques différents : didactique des mathématiques mais aussi ergonomie cognitive,
didactique professionnelle.
L’extrait de la conférence de Bombannes ci-dessous présente ce cadre théorique.
(…)
Une première recherche : analyse « naturelle » des pratiques existantes en ZEP
particulièrement difficiles
Rappelons que cette recherche a été menée en collaboration avec une équipe de Rouen
constituée notamment de M.L. Peltier, B. Ngono et A. Dubut.
II. 1. Le cadre théorique
Cette recherche s’inscrit dans le cadre d’une double approche utilisant des concepts issus
de la didactique des mathématiques (notamment la théorie des situations didactiques) de
l’ergonomie et de la sociologie. Il s’agit plus précisément d’une adaptation du cadre théorique
défini par A. Robert et J. Rogalski (Robert, Rogalski, 2001) mettant davantage l’accent sur les
facteurs sociologiques. Nous pourrions qualifier notre démarche de socio-didactique.
II.1.1. Les apports de la théorie des situations didactiques
La TSD nous sert à analyser les mathématiques proposées à la fréquentation des
élèves. Elle fonctionne comme grille de lecture des pratiques des maîtres, notamment pour
analyser trois grands moments de l’activité du professeur : les processus de dévolution,
régulation et institutionnalisation.
II.1.2. Les apports de la « double approche »
Pour restituer (recomposer) la complexité des pratiques, nous prenons en compte cinq
composantes identifiées par A. Robert et J. Rogalski : une composante cognitive relative à
l’organisation des savoirs, aux scénarios associés, aux itinéraires cognitifs proposés aux
élèves ; une composante médiative relative au discours du professeurs et aux modes
d’interactions ; une composante personnelle relative notamment aux représentation du
professeur sur les mathématiques et leur enseignement, à son épistémologie personnelle ; une
composante institutionnelle et enfin une composante sociale.
II.1.3. Les apports de la didactique professionnelle et de l’ergonomie
Nous retenons notamment de ces différents travaux l’idée que les pratiques sont
complexes, cohésives, stables et cohérentes. Des travaux de P. Pastré (Pastré, 1995, 1996),
nous reprenons l’idée que deux systèmes de pensée interviennent dans les pratiques : l’un lié
au projet d’enseignement (et aux connaissances et représentations mobilisées à cette
occasion), l’autre système de pensée est lié à l’action et fait intervenir des savoirs plus
pragmatiques.
Nous reprenons de manière métaphorique le concept de genre de Yves Clot (Clot,
1999) en l’adaptant à notre objet d’étude notamment en retenant l’idée d’une mémoire
collective des enseignants pouvant être atteinte et décrite par la mise en évidence de
régularités interpersonnelles, par l’étude de la diffusion des informations par un réseau. Cela
conduit évidemment à penser que les pratiques dépassent pour une part les individus.
Notre approche constitue un affinement de la « double approche » dans la mesure où
nous mettons davantage l’accent sur les facteurs sociologiques. Les enseignants sont soumis à
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 49-
des contraintes (institutionnelles et sociales) qui marquent, voire déterminent pour une part
leur pratique, et qui peuvent se traduire ou du moins s’analyser en terme de contradictions.
Les professeurs doivent gérer ces contraintes au quotidien en se construisant des systèmes de
réponses relativement cohérents. Ce sont ces systèmes de réponses que nous analysons en
termes de genre.
Le schéma ci-dessous résume notre manière de décrire le poids de l’aspect social dans la
pratique d’un enseignant de ZEP :
II.3. La méthodologie mise en œuvre
II.3.a. La méthodologie de recueil des données
Rappelons que les observations concernent dix professeurs des écoles enseignant les
mathématiques dans des écoles de ZEP particulièrement défavorisées (élèves souvent très
faibles, issus de milieux très défavorisés socialement, souvent violents ou au contraire
inhibés, important dans l’école les règles de vie de leur quartier, etc.) dont trois débutants
(première nomination) et sept professeurs plus expérimentés (au moins cinq années
d’ancienneté dans le poste). L’observation s’est déroulée sur deux années au moins (certains
professeurs ont été observés durant trois années) ; les enseignants étant observés dans leur
classe plusieurs fois dans l’année (entre 4 et 8 fois au moins). L’observation, notamment des
débutants, peut être qualifiée de plutôt « naturelle » dans la mesure ou les observateurs
intervenaient peu ou pas sur les pratiques des observés. Toutefois, les enseignants d’une des
écoles ont bénéficié d’un stage de formation avec les chercheurs impliqués dans la recherche.
Pour ces enseignants, l’observation est davantage du type « observation participante ».
Passé et devenir des élèves
Contradiction entre socialisation et apprentissages
disciplinaires
Education du citoyen / instruction de l’apprenant
Activité du Professeur des Écoles enseignant les
mathématiques dans une classe de ZEP
Dévolution Régulation Institutionnalisation
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 50-
Les observations de cours ont été croisées avec l’analyse de réponses des professeurs à des
entretiens et avec les résultats d’analyse de productions d’élèves quand cela était possible et
nécessaire.
II.3.b. Méthodologie d’analyse des données
Les analyses concerneront les trois niveaux des pratiques définis par Masselot et Robert
(2004). Le premier niveau (global) est celui des grands choix didactiques et pédagogiques des
enseignants. Ce niveau d’analyse a permis d’identifier des contradictions marquant
profondément les pratiques observées et d’élaborer une première catégorisation de ces
pratiques (voir ci-dessous). Le second niveau d’analyse (local) est plutôt celui de l’exercice au
quotidien de la classe ; notre contribution spécifique à l’étude de ce niveau d’organisation des
pratiques est constituée par ce que nous avons appelé les routines professionnelles. Enfin, le
troisième niveau d’organisation et d’analyse (micro) vise plus particulièrement l’identification
de gestes professionnels.
Des allers retours entre ces trois niveaux d’analyse permettent de préciser l’organisation des
pratiques mais aussi permettent d’en comprendre les logiques, la cohérence et le mode de
fonctionnement.
II.4. Un premier résultat (niveau global d’organisation des pratiques) : des
contradictions marquant les pratiques observées
L’extrait ci-dessous du texte de la conférence déjà évoquée décrit un premier résultat de cette
recherche. Nous avons mis en évidence cinq contradictions10
: une première contradiction,
considérée comme fondamentale est celle existant entre une logique de socialisation des
élèves et une logique d’apprentissages disciplinaires. Les autres contradictions sont celles qui
existent respectivement entre une logique d’apprentissages disciplinaires et une logique de
réussite immédiate, entre collectif et individuel, entre différents temps d’apprentissage (de la
classe, individuelle, collectif) et enfin entre une logique d’apprentissages disciplinaires et une
logique de projet.
Cinq contradictions
Nous avons ainsi mis en évidence cinq contradictions. Nous plaçant dans le cadre de
l'étude des liens entre enseignement et apprentissage de contenus disciplinaires, nous avons
hiérarchisé ces contradictions en prenant en compte a priori leur effet sur les apprentissages
des élèves.
Une d'entre-elles apparaît comme fondamentale et peut déboucher sur une minoration voire
une quasi-disparition des apprentissages scolaires. Son dépassement est un enjeu essentiel de
l’enseignement en ZEP : il s’agit de la contradiction entre logique de socialisation des élèves
et logique des apprentissages disciplinaires.
Les quatre autres contradictions en découlent plus ou moins directement.
Parmi celles-ci, celle qui paraît la plus importante est la contradiction entre logique de la
réussite immédiate et logique des apprentissages. Les enseignants de ZEP ont le souci
constant de créer un climat de confiance dans la classe. Pour cela, ils encouragent leurs
10
Nous employons le terme de contradictions plutôt que celui de tensions en référence d’une part au courant
philosophique de la dialectique et afin d’autre part de mieux décrire le poids qui est ainsi exercé sur les pratiques
des professeurs des écoles concernés. C’est le cas notamment pour la première contradiction, celle que nous
considérons comme fondamentale.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 51-
élèves, les rassurent sur leurs capacités à résoudre les problèmes posés, et les félicitent à la
moindre réussite. Cela amène le plus souvent les professeurs à abaisser leurs exigences, à
algorithmiser les tâches, à aplanir les difficultés. Un cercle vicieux s’instaure entre
simplification des tâches et investissement de moins en moins grand des élèves mettant en
danger, compromettant la construction de connaissances nouvelles. Le souci de bonne entente
(« traiter à égalité », ne pas entretenir ou renforcer des inégalités) dans la classe les amène
aussi à prendre en compte les productions de tous les élèves, qu’elles soient primitives ou
plutôt expertes. Aucun élève ne doit être laissé de côté. Ces productions sont alors présentées
« en vrac », sans hiérarchisation, ce qui est dommageable pour les apprentissages, le repérage
des « bonnes procédures », des procédures à retenir restant à la charge de l’élève. De plus,
nous faisons l'hypothèse que ce manque de repères explicites est source de différenciation.
La contradiction entre le temps de la classe et le temps d’apprentissage semble découler en
grande partie de la contradiction précédente. Les enseignants de ZEP travaillent dans une
logique de réussite à court terme, parfois même dans l’instantané. Pour ne pas « lasser » les
élèves, le savoir est découpé en micro tâches proposées à plusieurs jours d’intervalle sans que
des liens soient clairement établis entre les différentes séances. De plus, les professeurs
cherchent souvent à combler ponctuellement les lacunes des élèves, sans que ces derniers
puissent en comprendre l’enjeu. Ils ont tendance à reculer, différer l’apprentissage de notions
nouvelles, alors que des situations de découverte de nouvelles notions devraient pourtant
permettre de revisiter les anciennes en leur donnant du sens. Notons que le temps effectif
d’apprentissage est souvent réduit dans les classes de ZEP pour permettre soit d’éviter, soit de
gérer les conflits (le professeur peut être contraint d’interrompre une activité pour des
problèmes de discipline). Cet aspect est directement lié à la contradiction fondamentale entre
socialisation et apprentissage.
La contradiction entre individuel, public et collectif semble aussi directement liée à la
contradiction fondamentale. En effet, dans une classe de ZEP, les phases collectives de mise
en commun des productions, de synthèse et d’institutionnalisation sont particulièrement
difficiles à conduire. Les élèves sont souvent peu attentifs ; ils ont une capacité d’écoute
d’attention, de concentration faible. De nombreux rappels à l’ordre sont nécessaires et doivent
être énoncés au "bon moment" (Butlen, 2004). De plus, ils s’expriment difficilement et ont du
mal à écouter leurs pairs. Les professeurs proposent alors des corrections publiques, voire
individuelles, au détriment de la construction de savoirs collectifs de référence dans la classe.
La dernière contradiction entre logique de projet et logique d’apprentissage est aussi
directement liée à la contradiction fondamentale dans la mesure où il s’agit avant tout d'une
injonction institutionnelle visant à socialiser les élèves, à les « motiver » et parfois même à les
réconcilier avec l’école en changeant la représentation qu’ils s’en font.
Le schéma ci-dessous illustre notre tentative de faire apparaître hiérarchisation et
imbrication des différentes contradictions, selon différents degrés dans l’ordre décroissant.
Notons que c’est bien le dépassement des deux premières qui semble essentiel en ZEP pour
assurer les apprentissages scolaires. On a vu que la contradiction entre temps de la classe et
temps d’apprentissage était directement liée à ces deux premières. La contradiction entre
individuel, public et collectif semble moins déterminante. De même, pour la contradiction
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 52-
entre projet et apprentissage : on peut penser que la « course à l’innovation » observée en ZEP
ne remet pas complètement en cause les apprentissages scolaires des élèves et que même,
certains peuvent se réconcilier avec l’école grâce à ces projets.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 53-
Contradiction fondamentale entre socialisation et apprentissage
Contradiction
entre réussite
immédiate et
apprentissage
Contradiction entre
temps de la classe
et temps de
l’apprentissage
Contradiction entre
individuel, public et
collectif
Contradiction
entre projet et
apprentissage
Degré 1
Degré 2
Degré 3
Degré 4
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 54-
II.4. Un second résultat (niveau global d’organisation des pratiques) : une première
catégorisation en termes de genre
Cette catégorisation prend en compte la double mission11
d’instruction et d’éducation du
professeur des écoles. Nous avons désigné par le terme i-genres, les catégories de pratiques
définies quand on centre l’analyse sur la mission instruction du professeur et nous désigné par
le terme e-genres, les catégories définies quand l’analyse est centrée sur la mission
d’éducation de celui-ci.
Suite du texte de la conférence de Bombannes
Une catégorisation des pratiques
Cette catégorisation prend en compte la double mission d’instruction et d’éducation du
Professeur des Ecoles. Nous avons identifié trois i(instruction)-genres et quatre e(éducation)-
genres. Nous n’évoquerons dans cet exposé que les i-genres correspondant à la mission
d’instruction.
II – 3.1. Un genre majoritaire
Cet i-genre peut se caractériser à l’aide des indicateurs suivants :
Indicateurs relevant plutôt de la composante cognitive : Les professeurs mettent en œuvre des
scénarios faisant une part importante à la présentation collective de l’activité proposée. Les
enseignants montrent, expliquent, disent comment faire. Cette phase de présentation joue le
rôle d’une institutionnalisation a priori ou bien d’exemples à reproduire ensuite. Les
scénarios comportent ensuite un temps un temps de résolution individuelle (autonome ou
tutorée) d’exercices d’application et une éventuelle correction individuelle ou publique. Ils se
caractérisent par une quasi-absence de phase de synthèse ou d’institutionnalisation (6 maîtres
sur 7) et une anticipation sur les difficultés des élèves (5 maîtres sur 7) débouchant sur une
baisse des exigences.
Des indicateurs relevant plutôt de la composante médiative : Nous avons relevé un étayage
consistant, relayé éventuellement, pour le cycle 3, par un tutorat organisé ou spontané entre
élèves ; un traitement des comportements plutôt individualisé (5 professeurs sur 7) ; une
recherche et un entretien de la motivation des élèves par le recours à des jeux (3 professeurs
sur 7) ou à des projets périscolaires (6 sur 7).
Des indicateurs relevant plutôt de la composante institutionnelle : La gestion du temps
échappe partiellement, voire totalement, aux maîtres ; elle peut s’éloigner des normes
institutionnelles (5 professeurs sur 7). Les enseignants installent une forme de pédagogie
différenciée qui se caractérise par des groupes de niveaux (4 maîtres), des tâches
individualisées s’appuyant sur l’usage de fiches (7 maîtres), des activités complémentaires (7
maîtres). Les élèves sont quasi systématiquement valorisés et ce individuellement.
II – 3.2. Un genre minoritaire proche du précédent
Cet i-genre se distingue du genre majoritaire par encore moins de collectif, par une
maîtrise apparente de l’avancée du temps didactique grâce à une gestion « rigide » des
comportements mais qui, dans les faits, revient à anticiper et à prévenir la lassitude des élèves
et les échecs en changeant rapidement d’activité et réduisant les exigences.
11
Pour une étude détaillée de cette question, le lecteur pourra consulter le texte de l’Habilitation à Diriger des
Recherches de Butlen (Butlen, 2004).
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 55-
II – 3.2. Un genre très minoritaire
Un professeur des écoles sur les dix observés se distingue des autres. Il semble
emblématique d’un i-genre constituant une alternative viable aux précédents.
Des indicateurs relevant plutôt de la composante cognitive : Les scénarios d’enseignement et
d’apprentissage mis en œuvre sont proches d’une organisation exposée en formation. Ils
comportent une présentation de problèmes parfois complexes, un temps significatif laissé à la
recherche des élèves sans trop de négociation à la baisse, des phases de formulation, de bilan
des stratégies et d’institutionnalisation et enfin des réinvestissements contextualisés puis
décontextualisés.
Des indicateurs relevant plutôt de la composante médiative : Une aide légère est apportée aux
élèves en grande difficulté sans aplanissement excessif des difficultés. On relève un étayage
important lors des phases de formulation, un traitement des comportements sur un mode
plutôt collectif s’appuyant sur de fréquentes références communes au groupe classe.
Des indicateurs relevant plutôt de la composante institutionnelle : Le professeur installe une
valorisation individuelle du travail des élèves s’inscrivant notamment dans le cadre d’un
affichage public de leurs productions. Il entretient la motivation des élèves en les faisant
participer à des projets périscolaires et manifeste un souci de respecter le temps institutionnel.
II.5. Gestes et routines professionnels
Afin de mieux comprendre comment ces enseignants mettent en œuvre au quotidien leurs
grands choix didactiques et pédagogiques, nous avons adopté une approche analytique
permettant de décrire les pratiques aux deux niveaux local et micro. La mise en évidence de
régularités intra mais aussi interpersonnelles nous a amenés, pour les décrire, à définir les
notions de gestes et de routines professionnels.
Les extraits ci-dessous d’une communication intitulée : « Gestes et routines professionnels :
un enjeu pour l’analyse des pratiques des enseignants » effectuée dans le cadre du colloque
EMF 2009 (Espace Mathématique Francophone) à Dakar (Sénégal) précisent ces notions.
Gestes et routines professionnels : un enjeu pour analyser et intervenir sur les pratiques
enseignantes
DENIS BUTLEN, MONIQUE CHARLES-PEZARD, PASCALE MASSELOT
Introduction
Nous présentons un modèle d’analyse des pratiques des professeurs des écoles enseignant les
mathématiques en milieux socialement défavorisés en France (ZEP), synthèse de plusieurs
recherches portant sur les pratiques de ces enseignants. Ce modèle permet à la fois d’analyser
les pratiques de ces enseignants, en dégageant des régularités dans les pratiques d’un même
enseignant ou d’un groupe d’enseignants confrontés à des contextes proches, ainsi que des
spécificités liées à des enseignants ou à des contenus mathématiques, mais aussi de concevoir
des ingénieries de formation pour les enrichir et ce dans le double but d’améliorer les
apprentissages des élèves et d’accroître le confort des enseignants. Il permet notamment de
décrire une organisation des pratiques de ces professeurs.
(…)
2. Méthodologie
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 56-
Nous avons observé sur un temps long (deux années consécutives) une vingtaine
d’enseignants (13 enseignants débutants et 7 confirmés). Pour analyser les pratiques des
professeurs des écoles enseignant les mathématiques en ZEP, nous adoptons une double
approche globale et analytique qui nous permet notamment d’en décrire l’organisation : une
approche globale et une approche analytique.
Une approche globale nous permet d’identifier des contraintes spécifiques auxquelles sont
soumis ces enseignants et des régularités dans la manière dont ils les gèrent (Butlen, Peltier,
Pézard, 2002). Nous avons ainsi identifié cinq grandes contradictions qui marquent
profondément les pratiques de ces maîtres. Elle nous amène également à établir une première
catégorisation de pratiques effectives qui prend en compte la double mission d’enseignement
et d’éducation du professeur des écoles en distinguant les i(instruction)-genres des
e(éducation)-genres.
(…)
Une approche analytique nous permet de mieux comprendre comment ces enseignants
mettent en œuvre au quotidien les grands choix et stratégies identifiés ci-dessus. Pour cela,
nous avons considéré trois grands moments de l’activité du professeur : les processus de
dévolution, régulation et institutionnalisation (Brousseau, 1987). Pour analyser la manière
dont les enseignants observés les mettent en œuvre, nous avons, pour chacun de ces
processus, défini des types de tâches et analysé les gestes et routines professionnels
permettant à ces professeurs des écoles de les réaliser. Dans cette communication, nous nous
centrerons sur les résultats relatifs à cette seconde approche.
3. Gestes et routines professionnels, un essai de définition
Dans un premier temps, nous listons des propriétés caractéristiques permettant de définir les
gestes et routines professionnels comme des schèmes professionnels. Dans un deuxième
temps, nous définissons les routines comme un ensemble constitué de gestes professionnels
permettant aux professeurs de réaliser un ensemble de tâches finalisées par un but commun.
Enfin, dans une troisième partie, nous présentons une classification des routines en trois types
plus ou moins marqués par les contenus mathématiques à enseigner.
3.1. Gestes et routines : des schèmes professionnels permettant de réaliser des types de
tâches
Nous avons adopté une approche analytique pour mieux comprendre les pratiques des
enseignants, pratiques considérées comme des réponses apportées par des enseignants soumis
à des contraintes similaires. Ces pratiques correspondent à des projets d’enseignement
différents et ce sont à la fois les projets et leur mise en actes, avec tous les décalages à gérer
par l’enseignant au quotidien que nous analysons. Pour chaque grand moment de l’activité du
professeur définis ci-dessus, nous avons cerné des types de tâches (Chevallard, 1999) et les
gestes permettant de les réaliser. Si ces gestes peuvent s’analyser en termes de techniques
(Chevallard, 1999), notre approche est toutefois différente car nous centrons notre analyse sur
le sujet enseignant.
Les gestes professionnels et les routines nous permettent de décrire la manière dont un
individu particulier résout un type de tâche, les différentes actions qui lui permettent de le
faire et les différentes connaissances qu’il mobilise à cette occasion. Nous nous sommes plus
particulièrement intéressés à l’organisation de ces actions et de ces connaissances, à leur
articulation. Puis, nous avons repéré des régularités interpersonnelles qui recoupent les
notions précédentes de gestes et routines. Nous n’étudions plus un sujet donné mais un
professionnel, membre d’un groupe social, exerçant un métier dans des conditions données et
soumis à des contraintes. Nous avons ainsi montré que les gestes et routines mobilisés par des
professeurs des écoles enseignant dans des conditions semblables pouvaient différer. Ces
différences correspondent à des genres différents que l’on a identifiés par ailleurs à l’aide
d’autres indicateurs. Les notions de gestes et routines permettent alors de décrire comment un
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 57-
enseignant met en œuvre des stratégies relevant du i-genre caractéristique de ses pratiques. La
notion de genre (emprunt plutôt métaphorique aux travaux de Clot (1999)) nous permet
d’expliquer les différences observées. Cela nous permet aussi de préciser comment ces gestes
et routines sont progressivement maîtrisés ou rejetés par un individu donné. Gestes et routines
présentent des caractéristiques communes qui nous amènent à les considérer comme des
schèmes professionnels : une organisation invariante de l’activité du professeur, une suite
d'actions et de décisions, une mobilisation de connaissances de différents types, une
adaptabilité une grande part d’implicite et enfin des activités élémentaires finalisées par des
buts et des sous-buts.
L’analyse des différentes séances observées ainsi que des entretiens que nous avons menés
avec les professeurs concernés nous ont permis de mettre en évidence des régularités intra
personnelles. Ces dernières se caractérisent par une succession d’actions nécessaires à la
réalisation par le professeur d’un ensemble organisé de tâches ou un type de tâches (étayage
de formulations orales, prise et tri d’informations sur les procédures des élèves, etc.). Tout se
passe comme si les actions produites par le professeur, l’étaient dans un temps très court, suite
à une évaluation très rapide de la situation, sans effort apparent de réflexion. Les différentes
actions semblent s’enchaîner d’elles-mêmes. Le professeur ne ressent pas la nécessité de
réfléchir à leur succession. Les décisions prises ne nécessitent pas une prise d’informations
précise sur le travail des élèves de la part du professeur. Nous retrouvons ici des constats déjà
effectués à propos de l’expertise (Tochon, 1993).
De même, le professeur ne convoque pas consciemment les connaissances en réponse au
problème à résoudre ; elles semblent immédiatement disponibles et ne sont plus interrogées,
ni remises en question. Bien que variées, ces connaissances semblent être pré organisées,
reliées entre elles. La convocation d’une connaissance donnée implique la convocation
d’autres en fonction de la situation et du but finalisant le ou les gestes mis en œuvre. Il peut
s’agir de connaissances mathématiques nécessaires à l’interprétation des productions des
élèves, de connaissances relatives à la communication (entre élèves, entre adulte et élèves). Le
professeur utilise également des connaissances relatives aux représentations qu’il a des élèves
de sa classe ainsi les compétences des élèves, diagnostiquées à différentes occasions, prennent
une part importante dans la conduite des interactions.
Le professeur semble s’adapter aux changements de surface de la situation, changements qui
ne remettent pas suffisamment en cause l’activité des élèves pour en changer la nature (objet,
but, organisation générale). Pour être efficaces, les gestes et routines doivent donc pouvoir
s’adapter à des conditions locales, de surface, non déterminantes pour le fonctionnement du
professeur et des élèves. Nous verrons, dans la suite, que cette adaptabilité témoigne pour une
grande part de la maîtrise des gestes. Elle renforce leur stabilité. Une fois incorporés, ces
gestes et routines deviennent transparents pour le professionnel. Ils demeurent difficiles à
expliciter. Leur transmission aux débutants passe davantage par le mode de la monstration et
du compagnonnage mais sans véritable identification. Il est en effet difficile de pointer un
geste sans réduire la complexité des liens existants entre les différentes activités élémentaires
du maître. Nous retrouvons ici une propriété déjà soulignée par Pastré (1996) à propos des
concepts pragmatiques.
Les caractéristiques précédentes ne suffisent pas à caractériser gestes et routines. Ces activités
constituent des unités finalisées par la réalisation d’un but, éventuellement de sous buts. Ces
buts ont à voir avec l’activité, projetée ou effective, de l’élève. La finalité de l’activité
s’ajoute aux autres caractéristiques précédentes pour définir et distinguer les gestes et les
routines. Ce découpage de l’activité de l’enseignant nous semble le plus pertinent pour décrire
à la fois une suite d’actions finalisées du professeur, les connaissances mobilisées à cette
occasion et pour les mettre en relation avec l’activité correspondante de l’élève. Un
découpage plus fin correspondant par exemple à : "prononcer une phrase" ou bien "interroger
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 58-
un élève" ou encore "écrire une phrase au tableau" ne nous le permettrait pas. Les différentes
propriétés que nous venons de lister sont proches de celles permettant de caractériser un
schème (Vergnaud, 2002). Geste et routine peuvent s’interpréter en ces termes.
3.2. Des gestes organisés en routines
Comme nous le verrons dans les exemples développés ci-dessous, les gestes professionnels,
unités élémentaires que nous identifions, ne sont pas indépendants les uns des autres. Ils
peuvent s’organiser et s’articuler entre eux. Ils constituent alors ce que nous avons appelé des
routines qui permettent au professeur de gérer un ensemble de situations finalisées. Comme
les gestes, une routine n’implique pas rigidité ou sclérose. Ce terme permet de décrire un
ensemble de comportements se répétant régulièrement. En particulier, une routine, pour
perdurer, doit pouvoir prendre en compte des perturbations locales. Les propriétés précédentes
sont communes aux gestes et aux routines. Qu’est-ce qui les différencie ?
La routine est constituée d’activités plus élémentaires qui peuvent être réalisées
indépendamment les unes des autres : les gestes. Chacun correspond à la réalisation d’un type
de tâches particulier et permet la réalisation d’un but. Dans notre analyse, ils apparaissent tous
finalisés par la réalisation d’un même but : celui de la routine. Ce sont donc des gestes
professionnels distincts qui participent de la réalisation d’une même activité. Une routine
nous renseigne sur la stratégie globale du professeur, identifiée éventuellement à l’aide
d’autres indicateurs (Butlen, Pézard, Peltier, 2002). Elle nous semble être l’unité de l’activité
du professeur la plus petite qui nous permet de l’identifier (au moins partiellement). Un geste
isolé ne donne pas assez d’informations pour cela. Il pourrait être mobilisé par un professeur
qui met en œuvre un autre type de stratégie. Il peut aussi être convoqué par d’autres routines.
3.3. Routines et contenus mathématiques à enseigner, un essai de classification
Nous distinguons trois types de routines qui correspondent toutes à l’essai de définition ci-
dessus mais qui ne remplissent pas les mêmes fonctions. S’agissant d’enseignants de l’école
élémentaire, elles sont plus ou moins liées à la discipline enseignée, dans notre cas les
mathématiques.
Nous identifions des routines de type 1, les routines plutôt liées à l’installation et au respect
d’attitudes de travail ou d’attitudes générales (vie, règles et normes de la classe) pouvant
dépasser le cadre des seules mathématiques. L’enseignant peut y faire allusion sans
complètement les expliciter au début de l’année scolaire lorsqu’il évoque « tout ce qu’il y a à
mettre en place » avant de faire faire des mathématiques aux élèves. Elles ont à voir avec le
« climat » dans la classe, les degrés de liberté laissés aux différents partenaires, aux
comportements attendus. Elles participent de la reconnaissance mutuelle entre partenaires, à
l’installation de la légitimité du maître. Elles se manifestent surtout dans les interactions,
notamment dans les rappels à l’ordre (nature, fréquence, effets sur les élèves), dans le choix
des élèves sollicités (révélateur de la place et du rôle attribués aux différents élèves dans la
classe et dans les échanges). Elles s’appuient sur des prises d’informations globales ou locales
sur les élèves. Certaines de ces routines participent à la mise en place du contrat didactique ou
en justifient d’éventuelles négociations. Elles sont davantage liées à la stratégie générale
d’enseignement pluridisciplinaire du professeur mais elles sont appelées et contextualisées
lors d’un enseignement disciplinaire particulier. Elles peuvent être partiellement appelées par
d’autres routines davantage liées aux contenus mathématiques. Nous présentons un exemple
de routines de ce type associé au i-genre 3 lié à l’installation de ce que nous avons désigné par
« la paix scolaire12
».
Les routines de type 2 sont quant à elles plutôt liées à l’utilisation des documents ou supports
pédagogiques, aux matériaux utilisés, aux « décors » mis en place à moyen terme. Leur
12
Nous définirons plus précisément cette notion dans la suite de l’exposé, La paix scolaire est le coupe constitué
de la paix sociale (respect des règles de vie et de travail en classe et à l’école) et de l’adhésion de l’élève au
projet d’enseignement du professeur.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 59-
fonction serait d’installer des habitudes de travail chez les élèves, un environnement, qui
influent sur l’activité de l’enseignant. Elles peuvent, par exemple, alléger son travail lors de la
dévolution des tâches ou faciliter les échanges maître / élèves au cours des différentes phases.
Il s’agit alors d’installer et de développer des répertoires de langage communs, des gestes ou
images mentales pouvant être appelés facilement par l’enseignant et par les élèves. Cet aspect
semble très présent à l’école élémentaire (surtout aux cycles 1 et 2) ; cela est sans doute lié au
fait que les élèves abordent leur « métier d’élève ». Les choix effectués par les auteurs des
manuels scolaires participent à la construction de cet environnement. Ils rejoignent et
complètent les propres choix de l’enseignant. L’installation d’un langage et de références
communs s’avère alors indispensable pour amorcer un travail mathématique.
Ces routines seraient davantage liées à un enseignement de contenus à moyen terme. Le
professeur des écoles installe ces habitudes et les convoque à l’occasion d’un enseignement
particulier. Les habitudes ainsi installées sont susceptibles d’évoluer et de s’enrichir, voire de
disparaître lorsqu’elles ne sont plus nécessaires ; elles sont sans doute alors remplacées par
d’autres du même type. Elles interviennent dans les différentes médiations et peuvent être
repérées à la fois dans le discours de l’élève et dans celui de l’enseignant mais avec
d’éventuels décalages.
Dans cette nouvelle catégorie apparaissent des routines davantage liées à un enseignement de
mathématiques.
Ce sont les routines de type 3. Elles sont révélatrices de la cohérence des pratiques et de la
stratégie du professeur. Elles apparaissent, par exemple, dans la place et le rôle accordés au
contexte de la situation (manipulations au CP : prétexte ou moyen pour trouver la réponse ou
encore activité développée pour valider un résultat), ou bien dans le fait de demander
systématiquement l’explicitation des procédures pour chaque résultat, de l’importance
accordée à cette explicitation en regard de celle accordée au résultat lui-même, ou encore dans
la nature et l’organisation des diverses institutionnalisations, voire des éventuelles
décontextualisations. Pour identifier ces dernières routines, mais aussi pour en déterminer les
fonctions, il faut préciser les mathématiques fréquentées par les élèves. Il est donc nécessaire
de prendre davantage en compte les contenus mathématiques et la nature des activités
proposées (résolution de problèmes consistants, exercices techniques d’application…).
D’autre part, il est indispensable d’étudier assez finement le contenu et la forme des
interactions entre les différents partenaires (place et rôle des élèves au cours des différentes
phases de la séance, types de médiations, nature et contenu du questionnement du professeur,
éléments de validation…). Ces analyses renouvelées sur plusieurs protocoles et croisées avec
d’autres (analyses du projet de l’enseignant à travers les préparations, des documents utilisés
avec d’éventuelles modifications apportées par l’enseignant, de productions d’élèves,
d’entretiens complémentaires) peuvent faire apparaître des éléments de la stratégie générale
de l’enseignant et les régularités au niveau des choix effectués.
4. Un exemple de routines de type 1 : l’installation d’une paix scolaire
Nous définissons la "paix scolaire" comme le couple "paix sociale" et "adhésion au projet
d’enseignement du professeur". Le premier élément du couple peut notamment se caractériser
par la mise en place de règles de fonctionnement de la classe acceptées par les élèves et
indispensables à la relation didactique en instaurant un certain calme dans la classe, une
absence de violence entre les élèves, un respect des personnes, des prises de paroles
contrôlées, etc. L’adhésion des élèves au projet d’enseignement du professeur se manifeste
par un climat de confiance, voire de complicité, entre les élèves et le professeur, par un
enrôlement rapide et sans trop de résistance des élèves dans les tâches. L’installation de la
paix scolaire n’affecte pas seulement la dévolution des tâches mais l’ensemble de l’acte
d’enseignement. Le second élément du couple est particulièrement important dans les classes
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 60-
observées dans la mesure où il résulte d’une négociation "cachée" entre élèves et professeur et
définit pour une part le topos (Chevallard, 1999) de chacun.
Les indicateurs d’installation de la paix scolaire sont ainsi à inclure dans l’ensemble des
autres tâches d’enseignement mais réciproquement les modalités de leur réalisation
contribuent à la paix scolaire. La question posée du lien entre apprentissages des élèves et
confort de l’enseignant est ainsi déclinée de manière plus fine. Il en est de même des relations
à établir entre pédagogique et didactique.
4.1. Des exemples de routines
Les analyses des pratiques de différents professeurs des écoles s’adressant à des publics
présentant des caractéristiques relativement proches nous permettent déjà de relever
différentes modalités d’essai d’installation de la paix scolaire. Nous en avions repérées, dans
notre première recherche (Butlen, Peltier, Pézard, 2002), au moins deux. Sébastien, un
professeur débutant du i-genre 3, sans avoir complètement installé la paix sociale, obtient
l’adhésion des élèves à son projet d’enseignement. Toutefois, son manque d’expérience et le
défaut de reconnaissance institutionnelle qui l’accompagne (de la part des élèves mais aussi
de l’école) rendent souvent fragiles les équilibres qu’il parvient à installer. La négociation
avec les élèves se prolonge tout au long de sa première année d’enseignement. Ainsi, pour
mieux cerner son mode de gestion des comportements (violents ou au contraire très inhibés)
des élèves, nous avons comptabilisé la fréquence et les moments au cours desquels on relève
des "rappels à l’ordre" émis par le professeur lors des séances observées. Nous prenons en
compte les rappels à l’ordre visant à rétablir le calme et ceux visant à établir une posture
d’écoute ou de travail. Ils concernent donc l’écoute des élèves, leur comportement apparent,
le niveau sonore, les déplacements… Ils peuvent s’adresser à des élèves particuliers ou à la
classe dans son ensemble. Lors d’une séance de résolution du problème, nous décomptons
ainsi au moins 65 interventions de ce type qui peuvent être plus ou moins longues (de un mot
à plusieurs phrases).
Une seconde modalité liée au i-genre 1 se caractérise par une paix sociale obtenue grâce au
respect rigoureux d’une certaine "discipline" mais sans être pour autant accompagnée d’une
adhésion des élèves au projet d’enseignement. Si apparemment le maître semble maîtriser
l’avancée du temps didactique, c’est parce qu’il anticipe sur la lassitude des élèves en
réduisant ses exigences ou en réduisant le temps d’activité.
Notre recherche met en évidence des routines auxquelles sont associés un certain nombre de
gestes professionnels susceptibles d’installer des conditions pour l’obtention de la paix
scolaire. Notons que l’équilibre est difficile à trouver et qu’il convient de souligner qu’en
contrepartie, certaines de ces routines comportent des risques relatifs à l’avancée des
apprentissages et nourrissent les deux premières contradictions mises en évidence en ZEP.
Cette routine comporte les gestes professionnels associés aux types de tâches décrites ci-
dessous.
Nous montrons comment certains des professeurs observés mettent en œuvre tout ou une
partie de ces gestes selon leur style personnel (Clot, 1999).
Pour les trois professeurs relevant du i-genre 3, alors que Sébastien et Aurélie (professeurs
débutants) doivent subir une tension importante et constante, Mireille, professeure
expérimentée et reconnue institutionnellement bénéficie d’une légitimité qui lui permet de
s’économiser davantage, voire même de rectifier certaines maladresses dues à un manque de
préparation et à une trop grande improvisation. Aurélie installe la paix scolaire principalement
grâce à une rigueur et un environnement mathématique de qualité alors que Vanessa et
Christine (professeures débutantes dont les pratiques ne relèvent que très partiellement du i-
genre 3) l’obtiennent grâce à un climat de confiance et de communication, voire une
complicité pour la première. Les titres des paragraphes qui suivent annoncent les buts des
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 61-
gestes constituant la routine et correspondant à des types de tâches distincts participant de
l'installation de la paix scolaire.
4.1.1 Maintenir un rythme de travail soutenu
En considérant la variation du nombre de rappels à l’ordre, nous avons montré que les
moments de changement de tâche, souvent liés à des changements de statut de la
connaissance, sont ceux où les élèves résistent le plus. Une façon de contrer cette résistance
est de rétablir l’attention collective et de garder un rythme de travail soutenu de manière à ne
pas laisser trop "d’espace aux élèves". Le tableau ci-dessous montre quand se situent les
interventions de Sébastien, professeur du i-genre 3, interventions qui lui permettent de rétablir
l’attention collective.
Nombre de rappels à l’ordre par épisode, séance de résolution du problème : " les Daltons "
Episode
Sous
épisode
Type d’épisode Nombre
d’interventions
1 Dévolution 1
2 Recherche des élèves 5
3 Retour au calme (au cours de la
recherche)
5
4 4.1 Retour au calme avant la synthèse 9
4.2 Etude d’une production 10
4.3 Etude d’une production 4
4.4 Etude d’une production 4
4.5 Etude d’une production 0
4.6 Etude d’une production 4
5 institutionnalisation 1
6 6.1 Préparation du matériel en vue d’un
réinvestissement
13
6.2 Exercice de réinvestissement n°1 2
6.3 Exercice de réinvestissement n°2 7
Total 65
Ces gestes identifiés au cours des différentes analyses de séances observées dans la classe de
Sébastien se révèlent spécifiques de l’activité de ce professeur en réponse à ce type de tâche.
4.1.2 Maintenir constamment la "pression" sur les élèves
Pour réaliser cette tâche, le professeur peut reprendre très vite la main quand cela s’avère
nécessaire, en orientant pour une part le travail des élèves, tout en essayant de conserver une
certaine "ouverture" de la tâche prescrite. C’est le cas notamment de Mireille alors que
Sébastien maintient cette pression en s’assurant de la compréhension de la tâche à effectuer.
Par exemple, lors de la présentation d’une activité, en six minutes, ce professeur intervient
individuellement auprès de 20 élèves différents (sur 22). Il maintient ainsi une "pression" qui
assure la réalisation au moins partielle de l’activité mathématique visée. Notons que les
décisions à prendre dans ce cadre sont assez délicates puisqu’elles tendent à faire perdre une
certaine part d’adidacticité aux situations.
4.1.3 Maintenir l’adhésion des élèves en ménageant une place à chacun
Ce geste peut nuire à l’avancée du temps didactique et à la mise en texte des savoirs. Le souci
de valoriser tous les élèves, même les plus faibles nourrit la seconde contradiction mise en
évidence en ZEP entre réussite à court terme et apprentissage. En effet, le professeur peut être
amené à considérer avec la même attention toutes les productions des élèves, à les mettre au
même niveau sans les hiérarchiser, c’est le cas de Christine notamment. Or cette
hiérarchisation est indispensable à l’avancée des apprentissages. De même, dans le souci de
dédramatiser l’erreur, il peut être amené à consacrer beaucoup de temps au traitement de
certaines erreurs individuelles. Nous avons déjà souligné que Vanessa obtient cette adhésion
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 62-
en installant dans la classe une certaine complicité qui n’est pas non plus sans risque pour les
apprentissages mathématiques. Ainsi, les personnages fictifs intervenant dans les énoncés des
problèmes qu’elle pose sont souvent personnalisés. Les textes proposés peuvent mettre en
scène des élèves de la classe ou contenir des encouragements très personnalisés comme dans
les extraits ci-dessous :
4.1.4. Garder le contact avec les élèves en restant très proche de leurs formulations
Un autre geste professionnel constitutif de la routine « installer la paix scolaire » consiste à
« rester très proche des formulations des élèves » et ce dans le but de garder le contact avec
ses élèves. Mais cela peut se faire parfois au détriment de la formalisation des savoirs. Le
professeur en se limitant aux formulations des élèves, voire en se situant en deçà de certaines,
risque de limiter les apprentissages et de réguler l’avancée du temps didactique en considérant
les élèves les plus faibles. C’est le cas de Vanessa, comme l’illustrent ces exemples.
Ah. Alors, une frise, c’est des formes qui se suivent, c’est toujours la même règle
(...) On prend ce morceau-là, et on le pose toujours pareil. A chaque fois, une frise, y’a un
motif de base et on suit la règle. (…)
En fait on pourrait dire synonyme, puisque synonyme, ça veut dire la même chose. Sauf que
c’est en mathématiques… Vous essayez avec vos… de faire une frise comme moi j’ai fait au
tableau. Diane, au travail : des synonymes mathématiques, on fait des synonymes
mathématiques.
Pour conclure, signalons un constat lié aux types de savoirs et à la nature des activités
mathématiques. Le professeur peut prendre appui sur certaines activités comme celles qui
relèvent du calcul mental qui se révèlent propices à des comportements ou attitudes qui
contribuent à l’installation d’une paix scolaire et qui peuvent diffuser (se transférer à d’autres
activités). En effet, de par leur caractère rituel et leurs exigences de rapidité, ces dernières
peuvent contribuer à enrôler les élèves et à les installer dans une posture de travail. D’autres
domaines des mathématiques comme la géométrie peuvent aussi, de par la spécificité des
tâches proposées, jouer ce rôle et favoriser ainsi l’adhésion de l’élève au projet
d’enseignement du professeur.
5. Un exemple de routine du troisième type : la gestion du processus
d’institutionnalisation
Sébastien, Aurélie et Mireille, professeurs enseignant en cycle 36 dont les pratiques relèvent
du i-genre 3, mettent en œuvre des routines proches leur permettant de conduire des phases
d’institutionnalisation alors que leurs collègues dont les pratiques relèvent des i-genres 1 et 2
déclarent rencontrer beaucoup de difficultés pour mener ces phases à terme compte tenu du
comportement et des capacités de concentration des élèves. Alors que les routines mises en
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 63-
œuvre par Sébastien et Aurélie (tous les deux débutants) sont très proches, Mireille procède
d’une manière un peu différente. Comparons les gestes associés aux routines mises en œuvre
par les professeurs débutants d’une part et par la professeure expérimentée d’autre part.
5.1. Routine des débutants
Les analyses des nombreuses observations, confirmées par les entretiens qui ont suivi
montrent que l’organisation des phases de synthèse et d’institutionnalisation est très stable.
Nous avons repéré, de manière répétée, trois types d’activités correspondant à des gestes
professionnels différents que nous précisons sur l’exemple choisi. Lors de la phase de
recherche des élèves, le professeur observe et hiérarchise les productions des élèves afin de
décider quels seront les élèves interrogés lors de la phase de mise en commun et dans quel
ordre ils seront amenés à intervenir. Durant cette phase, le professeur étaye, si besoin est, les
formulations des élèves. Enfin, il organise la phase de synthèse qui débouche sur une
institutionnalisation de sa part.
Le premier geste consiste en une observation précise des productions des élèves pendant la
phase de recherche afin de faire un tri des productions et des performances des élèves. Celle-
ci est finalisée par le choix des élèves à interroger. Le professeur évalue l’économie et le
degré d’expertise de chaque procédure. Il fait un choix parmi les erreurs produites, ne retenant
que celles dont une explicitation permet d’améliorer et d’enrichir la compréhension collective.
Enfin, les élèves sollicités devront pouvoir, au moins en partie, formuler oralement et/ou par
écrit les procédures mobilisées.
Au cours de la synthèse, les formulations orales des élèves sont très souvent pauvres et
correspondent à des niveaux de décontextualisation intermédiaires entre le contexte du
problème et le savoir mathématique en jeu. Les interventions sont très courtes (en moyenne
de 3 à 4 mots). Les phrases sont rarement complètes. Le plus souvent les formulations orales
les plus riches sont produites par les élèves ayant mobilisé les procédures les plus expertes.
Le deuxième geste correspond à l’étayage des formulations des élèves pendant la synthèse.
Afin de permettre la compréhension des procédures exposées par les élèves interrogés, le
professeur s’appuie en général sur des écrits même succincts. Les élèves doivent rédiger et
parfois même justifier leur démarche par écrit. Ces productions sont affichées au tableau lors
de la mise en commun. De plus, l’enseignant reformule les dires des élèves. Cet étayage
dépend de la qualité de la formulation de l’élève interrogé. Quand l’élève manifeste de
grandes difficultés pour exprimer oralement sa démarche, le professeur intervient davantage.
Il est amené à compléter les quelques mots prononcés par l’élève afin d’énoncer des phrases
compréhensibles par tous.
Les élèves désignés par le professeur exposent leurs procédures. La synthèse est organisée
selon trois principes. Le professeur ne prend pas en compte les productions trop difficilement
interprétables. L’exposé des procédures est gradué. Il commence par des exemples de non
compréhension du problème sur lesquels l’enseignant ne s’attarde pas. Il se poursuit par
l’explicitation de procédures plus ou moins économiques. Il se termine par l’énoncé de la
procédure la plus experte produite. Enfin, cette synthèse débouche sur l’institutionnalisation
de la procédure experte (prévue par le maître), troisième geste, replacée dans un contexte plus
général et plus décontextualisé. Le professeur n’impose pas, à cette étape, cette procédure
mais des exercices de réinvestissement permettent aux élèves de se l’approprier
progressivement.
Tout se passe comme si ces trois gestes permettaient au professeur de construire une histoire
fictive des productions des élèves, constituant ainsi un ensemble finalisé et cohérent des trois
gestes. Cette histoire se fonde sur un exposé ordonné de nouvelles formulations des actions et
des propositions des élèves obtenues grâce à une maïeutique. Ces nouvelles formulations
restent proches de celles des élèves, mais elles permettent à l’enseignant de conclure par une
institutionnalisation s’adressant à toute la classe. Le professeur peut ainsi transformer les
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 64-
itinéraires particuliers des élèves en un itinéraire générique acceptable par tous. L’histoire des
productions de la classe ainsi reconstruite a pour but de favoriser l’adoption par tous de la
procédure experte. Cette routine s’appuie sur une dialectique entre privé et collectif. Le
professeur observe et choisit les productions privées de certains élèves. Il rend ces démarches
publiques en permettant à leurs auteurs de les formuler oralement ou par écrit (sous forme
d’affiches). Il leur donne un statut collectif en assurant, par un étayage important, la
compréhension de l’ensemble de la classe et en les réorganisant selon leur degré d’expertise.
Chaque élève peut ainsi s’approprier individuellement le savoir institutionnalisé.
5.2. La routine de l’enseignante expérimentée7
La routine mise en œuvre par Mireille se distingue de celle que nous venons de décrire par
certains gestes. Mireille ne prend pas autant d’informations sur les productions effectives des
élèves que les professeurs débutants. Même si elle leur demande d’écrire, elle n’utilise pas ces
traces de l’activité des élèves. Elle ne semble pas en ressentir le besoin, faisant confiance à
son expérience professionnelle qui d’une part, lui donne accès directement au spectre des
productions attendues des élèves et d’autre part, lui permet, si besoin et sans hypothéquer sa
légitimité, de rectifier en cours de route des prévisions trop éloignées des productions
effectives des élèves. Elle ressent la nécessité de construire, elle aussi, l’histoire collective et
fictive des productions des élèves, mais elle procède différemment en déclinant les gestes
suivants :
1) Les élèves donnent oralement leurs résultats qui sont notés au tableau par l’enseignante :
toutes les réponses différentes sont ainsi collectées, mais pas leur fréquence ;
2) Les élèves sont amenés à réfuter en argumentant les résultats erronés (souvent déclarés
aberrants). Une analyse plus fine de certaines erreurs significatives est éventuellement
demandée par l’enseignante ;
3) Les élèves explicitent et justifient des procédures ayant conduit à la solution, l’enseignante
apporte une aide à la formulation, mais en gardant l’idée de départ de l’élève; ce qui ne se
révèle pas toujours aisé car nous avons relevé des interprétations maladroites ou « rapides ».
Terminons cet exposé en signalant qu’une analyse des performances des élèves enregistrées
lors d’activités de réinvestissement montre que cette routine propre aux enseignants du i-
genre 3, se révèle assez efficace au moins à court terme pour un nombre significatif d’élèves.
Ainsi, davantage d’élèves mettent en œuvre dans ces exercices les procédures expertes ou
mobilisent qui s’en rapprochent. L’une des professeurs traduit ces progrès ainsi lors d’un
entretien :
…J’essaie de voir ceux qui ont plutôt raté en premier puis ceux qui ont une méthode qui
fonctionne, mais qui n’est pas la plus rapide ou la plus experte, pour finir par la plus experte.
Et après j’essaie de leur faire voir…des fois, quand je peux, souvent même, que les deux
fonctionnent mais pourquoi y’en a une qui est mieux que l’autre. Alors après, quand y’en a
une qui est mieux que l’autre, ils essaient de réinvestir. Y’en a qui n’avaient pas compris et
qui préfèrent déjà la méthode moyenne, pas l’experte. Ils ne passent pas directement. Ceux
qui sont à la moyenne, y’en a une bonne partie qui essaie une experte...
5.3. L’expérience professionnelle et le style de l’enseignant
Les différences entre les routines mises en œuvre par les enseignants que nous venons de
décrire dans les deux paragraphes précédents n’ont pas les mêmes sources. Si les i-genres
déterminent pour une large part les différences constatées entre les routines mises en œuvre
pour installer et maintenir une paix scolaire dans leur classe, les différences de gestion du
processus d’institutionnalisation relèvent du degré d’expérience professionnelle et du style
des enseignants. Cela confirme notre hypothèse sur le style personnel de l’enseignant. Le
découpage de son activité en routines permet au chercheur de caractériser les grands choix et
stratégies du professeur; ces derniers relevant du i-genre caractérisant les pratiques.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 65-
Conclusion : gestes et routines, un outil pour la formation des professeurs des écoles
La description des pratiques enseignantes en termes de routines et de gestes professionnels
semble constituer un outil efficace à la fois pour analyser les pratiques existantes comme le
montrent nos recherches mais aussi pour la formation. En effet, si la formation se fixe pour
but d’enrichir les pratiques existantes en présentant des alternatives possibles, en élargissant
les marges de manouvres des enseignants, il est nécessaire pour l’atteindre, notamment en
ZEP, que le discours dispensé par le formateur rencontre un écho chez le formé. En effet dans
le cas contraire, compte tenu des conditions difficiles dans lesquelles le professeur exerce, le
risque de déstabilisation est trop important pour un professeur enseignant dans ces écoles ; ce
qui peut le conduire à rejeter l’alternative proposée dans sa totalité. Intervenir au niveau de la
routine permet au contraire au formateur de montrer des changements suffisamment limités
pour ne pas trop déstabiliser les pratiques existantes mais suffisamment importants pour les
interroger en terme d’efficacité tant pour le confort du professeur que pour les apprentissages
des élèves.
II.6. Une première conclusion
Cette recherche ouvre des pistes pour la formation. En effet, elle conduit à s’interroger sur
l’efficacité des pratiques relevant de tel ou tel i-genre au regard des effets sur les
apprentissages des élèves. Les mathématiques potentiellement fréquentées ne sont pas les
mêmes (nature des activités, savoirs de référence, etc.). Elle a fait apparaître des manques en
formation initiale et la nécessité de mieux cerner les niveaux d’intervention en formation.
Notre expérience de formateur nous amène à penser que le plus souvent, au mieux, les
novices identifient et tentent de reproduire des gestes isolés indépendamment des routines et
des genres dans lesquels ils s’inscrivent. De plus on ne peut pas complètement identifier
routine et genre, en effet, les pratiques associées à un genre peuvent se contextualiser par
plusieurs routines différentes relevant du style de l’enseignant.
Dans quelle mesure et sous quelles conditions peut-on intervenir sur les pratiques
enseignantes ?
C’est l’objet de la seconde recherche que nous exposons dans le troisième chapitre de cette
seconde partie. Elle porte sur l’élaboration, l’expérimentation et l’évaluation d’un dispositif
accompagnement sur les pratiques des néo-titulaires enseignant en ZEP difficiles. Nous
évoquons ici succinctement les hypothèses nous ayant conduit à proposer un tel dispositif,
quelques mots de la méthodologie de recueil et d’analyse des données et les résultats.
III. Professeurs des écoles enseignant en ZEP, quelles pratiques, quelle
formation ?
Nous reprenons ici le texte de la conférence de Bombannes pour décrire le dispositif mis en
œuvre et les principes ayant conduit à son élaboration
III – 1 Les hypothèses à la base de l’élaboration du dispositif
III – 1.1 Améliorer le confort et rentrer en résonance
Tout d’abord, nous pensons qu’il est indispensable d’avoir accès et de prendre en
compte la logique des pratiques effectives de chaque enseignant pour pouvoir intervenir sur
ces pratiques. En particulier, nous retenons l’idée que pour avoir un effet, une formation doit
rencontrer la logique de fonctionnement du professeur formé ou bien répondre à des
préoccupations personnelles et professionnelles. Ainsi, nous nous proposons de construire des
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 66-
situations de formation qui permettront d’entrer en résonance, même de manière limitée, avec
les représentations des formés sur les mathématiques, leur enseignement et le public auquel ils
s’adressent. Nous nous appuyons pour cela sur l’idée de l’existence probable de moments
cruciaux pour la formation dans la constitution de l’expérience professionnelle (Robert,
2001).
III – 1.2 Une approche holistique
Nous nous plaçons toutefois dans une démarche « holistique » (Robert, 2005) prenant
suffisamment en compte la complexité des pratiques, les différentes recompositions
nécessaires à une interrogation de celles-ci, notamment celles qui sollicitent les dimensions
personnelle, professionnelle, institutionnelle et sociale des professeurs concernés. Cela nous
amène par exemple à penser qu’accroître le confort des enseignants de ZEP contribue à
favoriser l’efficacité de l’enseignement.
Nous nous proposons d’intervenir sur les pratiques en cours de stabilisation des
nouveaux professeurs des écoles dans le but de les enrichir.
III – 1.3 Que veut dire enrichir les pratiques ?
Il s’agit pour nous d’élargir le champ des possibles pour l’enseignant. Notre but est de
diversifier les modalités d’investissement des marges de manœuvre qui lui restent. Il s’agit de
présenter la diversité des stratégies d’enseignement possibles, de préciser les différents types
d’activités à proposer aux élèves et d’enrichir ainsi les contenus mathématiques abordés. Cela
devrait amener le professeur des écoles à adapter des situations d’apprentissage (trop souvent
construites pour un public élève standard) en vue d’un enseignement en ZEP prenant en
compte les difficultés spécifiques de ce public tout en assurant les apprentissages visés par la
scolarité obligatoire.
Il nous paraît indispensable dans ce but de montrer la diversité des réponses apportées
par les enseignants (y compris débutants) aux contraintes auxquelles les professeurs des
écoles sont soumis ; notamment en comparant les stratégies d’enseignement liées aux
différents i-genres et leurs effets. Il nous paraît en particulier important de préciser les gestes
et routines professionnels associés à ces types de pratiques.
Notre but est de contribuer à la recherche des conditions liées aux pratiques
enseignantes permettant à terme à un enseignement de mathématiques de surmonter les
difficultés des élèves. Cela amène en particulier à soulever la question de l’existence
potentielle de solutions à l’intérieur même des pratiques professionnelles existantes. Le
collectif enseignant dans son état actuel possède-t-il déjà ou en germe les réponses aux
difficultés d’apprentissage des élèves ? Ces solutions éventuelles sont-elles généralisables ?
Dans quelle mesure sont-elles liées aux spécificités individuelles (de l’enseignant comme des
élèves) ?
III – 1.4 Les quatre dialectiques
Nous avons élaboré une ingénierie de formation visant à accompagner des professeurs
des écoles débutants, affectés à l’issue de leur formation initiale en ZEP scolarisant une
population particulièrement défavorisée socialement. Les pratiques des professeurs débutants
n’étant encore stabilisées, nous faisons l’hypothèse qu’il sera plus aisé d’intervenir sur ces
pratiques dans le but de les enrichir.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 67-
Cette ingénierie s’organise autour de quatre dialectiques.
La première dialectique concerne les deux stratégies de formation principalement
mises en œuvre : une démarche de compagnonnage et une démarche réflexive. Le
compagnonnage fait intervenir des acteurs de catégories différentes. Le professeur débutant
rentre en relation avec ses pairs (débutants ou plus anciens) mais aussi avec des formateurs de
différentes catégories (professeurs spécialisés dans l’enseignement d’une discipline
particulière, psychologues, professeurs des écoles exerçant comme conseillers pédagogiques).
Il s’agit en même temps de développer une attitude réflexive chez les enseignants débutants.
En situation problématique, comme c’est le cas en ZEP, il y a nécessité de réfléchir sur tous
les éléments qui sont convoqués, souvent de manière imbriquée et implicite dans toute
pratique d’enseignement : identifier la tâche à réaliser par l’élève, le contexte de la réalisation
de cette tâche, les techniques et connaissances mobilisées pour la résoudre, les limites de cette
réalisation, les adaptations possibles dans une nouvelle tâche, etc.
La deuxième dialectique concerne les modalités de formation. Certaines situations
ciblent un professeur particulier et relève d’un accompagnement individuel alors que d’autres
s’adressent à l’ensemble des professeurs concernés par la recherche.
La troisième dialectique vise à mettre en relation les expériences personnelles de
chaque professeur débutant, considérées dans leur contexte particulier, et une expérience
relevant d’un collectif enseignant, reformulé, reconstitué, recomposé par un formateur engagé
dans des recherches sur les pratiques enseignantes et sur les pratiques de formation. Ce jeu sur
les stratégies et les modalités de formation comme sur l’expérience professionnelle acquise
personnellement ou collectivement devrait permettre à l’enseignant de prendre conscience des
marges de manœuvre possibles et d’explorer diverses manières de les investir, de repenser ses
expériences à l’aune de ce que l’on sait sur les contraintes spécifiques aux ZEP, sur les
contradictions à gérer, sur les différents modes de réponses possibles.
La quatrième dialectique joue sur le niveau (local ou global) d’intervention sur les
pratiques. Nous faisons l’hypothèse qu’il est possible d’interroger la logique d’un enseignant
de ZEP et d’initialiser des changements dans sa pratique, pourvu que ces derniers soient
suffisamment locaux et ne remettent pas trop en cause cette logique. Il s’agit d’éviter des
rejets qui pourraient s’avérer violents. Nous appuyons pour cela sur les travaux de Butlen
(2004) portant sur l’organisation des pratiques enseignantes, notamment sur les gestes
professionnels et les routines.
III – 2 Les types de situations et les contenus privilégiés
Cette ingénierie comporte trois types de situations de formation organisées autour des
quatre dialectiques précédentes (SIQ : situation d’information et de questionnement, SC :
situation de compagnonnage, SEM : situation d’échange et de mutualisation des pratiques).
III – 2.1 Situation d’information et de questionnement (S.I.Q.)
Il s’agit d’initialiser un questionnement chez l’enseignant tout en lui apportant des
informations et des ressources. Ce premier type de situation est proposé dans un cadre
collectif et comporte trois entrées.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 68-
Une première entrée concerne l’adaptation de situations d’apprentissage et de
programmations en vue d’un enseignement en ZEP, en prenant en compte un double point de
vue cognitif et médiatif. Il nous semble en effet que ces deux aspects doivent sans cesse être
liés car l’action sur la composante cognitive seule ne suffit pas : il faut aider le futur
enseignant à gérer la mise en actes de son projet et donc prendre en compte la composante
médiative. La question de l’adaptation des scénarios standards à un public de ZEP doit être
particulièrement travaillée, notamment par un jeu sur les variables didactiques. Nous pouvons
définir plusieurs critères susceptibles de guider cette adaptation : le degré de complexité et la
durée des situations ; le découpage de la tâche ; le contexte des situations ; l’ancrage du
nouveau dans l’ancien.
Les scénarios étudiés en formation doivent être facilement réinvestissables par les
enseignants débutants. Cette étude peut se faire à partir de certains contenus qui nous
semblent emblématiques à la fois pour l’apprentissage des élèves et pour l’enseignement des
mathématiques. Pour notre part, nous avons choisi le calcul mental, la géométrie et la
résolution de problèmes classiques.
La seconde entrée est centrée sur les gestes professionnels. À partir de protocoles, de
vidéos témoignant de pratiques effectives « externes » (mises en œuvre par d’autres
professeurs de ZEP que les professeurs accompagnés), il s’agit de s’interroger sur des gestes
et routines professionnels, en liaison avec différents genres de pratiques. Cette information
s’appuie sur un questionnement en direction des formés.
La troisième entrée comporte une information sur les contraintes spécifiques aux ZEP,
sur les contradictions vécues quotidiennement par les professeurs de ces classes. L’accent
peut être mis sur la contradiction entre logique de socialisation et logique d’apprentissage
dont le dépassement est un enjeu décisif pour l’enseignement en ZEP. Cette troisième entrée
vise à enrichir les représentations des enseignants sur les élèves de ZEP ; elle permet
d’apporter une information sur les spécificités des élèves de ces classes en particulier pour
éviter de les identifier systématiquement avec des élèves en difficulté.
III – 2.2 Situation de Compagnonnage (S.C.)
Contrairement à la situation précédente, les interventions sont ici strictement
individuelles et s’adressent à la personne de l’enseignant. La situation de compagnonnage
consiste à observer la classe de l’enseignant accompagné et à répondre individuellement aux
questions effectives qu’il se pose. Pendant cette phase de compagnonnage, le chercheur est
une personne « ressource ». Les réponses apportées sont alors complètement contextualisées
et prennent en compte l’interlocuteur. Par ailleurs, nous essayons de répondre sans être trop
précis, de manière à laisser une marge de manœuvre et un choix au professeur. Par exemple,
pour l’apprentissage de certaines notions, nous donnons des lignes directrices et fournissons
plusieurs exemples de situations d’apprentissage qui nous paraissent suffisamment « riches ».
III – 2.3 Situation d’échanges et de mutualisation des pratiques (S.E.M.)
Cette situation est organisée au sein de groupes restreints. Elle facilite un passage de
l’individuel au collectif. Sur la base de témoignages des enseignants débutants, il s’agit de
mettre en place une pratique réflexive à partir d’échanges entre pairs et avec les chercheurs.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 69-
Ces échanges sur les pratiques effectives, sur leur efficacité et leurs limites, permettent d’une
part aux enseignants de mettre en commun leurs expériences et d’autre part aux chercheurs de
replacer les observations dans la continuité de la classe. Ils amènent les enseignants à passer
d’une simple description de leur pratique à une analyse de leurs projets et de leurs mises en
actes. La mixité entre chercheurs et enseignants permet à ces derniers d’enrichir leur lexique
dans leur discours sur les pratiques. Ce retour réflexif sur sa propre pratique, imposé dans un
premier temps dans le cadre de la formation, se construit par la suite dans la durée, à partir de
nombreuses situations d’échanges sur des sujets variés.
De façon générale, l’ingénierie d’accompagnement doit prendre en compte
l’institution. Les situations du premier type (S.I.C.) sont proposées lors du stage de prise de
fonction des nouveaux professeurs des écoles qui se déroule soit sur trois semaines en début
d’année soit sur trois fois une semaine au cours du premier et du second trimestre. Les
situations de compagnonnage, d’échanges et de mutualisation des pratiques (S.C. et S.E.M.)
supposent des observations de classes et des regroupements réguliers entre enseignants
accompagnés et chercheurs.
III – 3 Quelques éléments sur la méthodologie
III – 3.1 Les conditions des observations
Nous travaillons pendant leurs deux premières années d’exercice, avec dix professeurs
des écoles débutants affectés dans trois écoles très proches géographiquement et socialement.
Ces écoles se situent dans un quartier très défavorisé de Meaux (Seine et Marne). Ces
enseignants volontaires se répartissent entre le cycle 2 et le cycle 3 de l’école primaire.
Les différentes situations de formation du dispositif d’accompagnement sont
systématiquement enregistrées afin de pouvoir en analyser la mise en œuvre a posteriori. Les
séances de mathématiques conduites par les professeurs accompagnés sont observées
(enregistrées et/ou filmées) afin de mesurer l’impact sur les pratiques de la formation
dispensée. Il en est de même des moments d’échanges organisés entre pairs, en présence des
chercheurs. Nous organisons également des entretiens enregistrés en fin d’année scolaire avec
les enseignants débutants répartis en groupes de deux.
III – 3.2 La référence au i-genre 3
La prise en compte des processus de dévolution, régulation et institutionnalisation
nous amène à définir cinq niveaux de dépassement de la contradiction fondamentale. Comme
pour les indicateurs, nous considérons le i-genre trois comme référent pour définir ces
niveaux. Nous les avons désignés par des expressions caractéristiques de chacun : installation
d’une paix scolaire, consistance des problèmes et temps de recherche, explicitation des
procédures, hiérarchisation des procédures et synthèse, institutionnalisation.
Les résultats de cette recherche sont développés dans l’ouvrage collectif édité par Monique
Pézard (2012) Professeurs des écoles débutants enseignant les mathématiques en ZEP :
quelles pratiques ? Quelle formation ?, publié aux éditions La Pensée Sauvage. Nous nous
contenterons ici de présenter ces résultats en les illustrant par les pratiques de quatre des
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 70-
professeurs observés. Il s’agit toujours d’extraits de la conférence effectuée à Bombannes par
les trois auteurs de l’ouvrage ci-dessus.
Depuis cette conférence, nous avons pris le parti de ne plus considérer l’installation de la paix
scolaire comme le premier des cinq niveaux permettant de mesurer les effets de
l’accompagnement sur les pratiques des professeurs des écoles. Nous ne prenons en compte
que les quatre derniers niveaux traitant la question de la « paix scolaire » indépendamment de
ceux-ci.
Nous renvoyons le lecteur à la lecture de cet ouvrage pour une description détaillée de
l’évolution des pratiques des dix professeurs concernés par l’accompagnement. Il pourra ainsi
mesurer l’évolution de la pensée des auteurs sur le sujet.
III – 4. Les résultats
III – 4.1 Un effet de l’accompagnement sur les pratiques de quatre PE : une extension des
marges de manœuvre
Un premier effet concerne l’extension des marges de manœuvre du professeur
débutant : celui–ci acquiert une certaine liberté par rapport à l’utilisation des ressources
existantes et aux contraintes liées au fonctionnement de l’équipe pédagogique.
Nos diverses observations nous amènent à dire que les professeurs débutants peuvent
avoir, au départ, différentes attitudes par rapport au fichier officiellement utilisé en classe de
mathématiques en fonction de ses caractéristiques et de la place qu’ils accordent à l’utilisation
de ressources de ce type. Notons qu’en général ils ressentent le besoin de disposer d’un
manuel (pour leurs élèves), que le choix de celui-ci est déjà fait quand ils arrivent dans l’école
et qu’ils ne peuvent légitimement que s’y conformer dans un premier temps.
Ces attitudes sont à relier d’une part aux attentes des professeurs concernant les
supports (terme générique ici) dont ils souhaitent disposer pour leurs élèves et d’autre part, à
la nature des ressources. Certains considèrent, à juste titre, le fichier comme un carcan (non
adapté, trop formel…), mais ils ont du mal à s’en libérer car il est aussi utilisé par les autres
collègues de l’école. Dans ce cas, notre ingénierie semble avoir contribué à faire disparaître
leurs hésitations puisque des débutants observés ont finalement totalement abandonné le
fichier « officiel » et déclarent bâtir eux-mêmes leurs leçons, à partir de divers documents et
de leur inspiration personnelle. Les documents que nous avons fournis et les réponses à leurs
demandes ont sans doute facilité ce choix. Notons que cette émancipation peut aussi avoir ses
revers si le professeur débutant n’est pas assez « armé » pour construire lui-même ses
progressions. Le fichier constituait un cadre, qui même imparfait, avait le mérite d’exister.
D’autres, lorsque le fichier est plus « ouvert », l’utilisent relativement fidèlement, en suivant
de près la progression, s’appropriant plus ou moins les intentions des auteurs, tout en
s’autorisant quelquefois à sauter certaines situations jugées trop complexes.
Ces deux attitudes face aux ressources présentes dans la classe sont confortées grâce
aux échanges suscités dans notre ingénierie (S.E.M.). Notre accompagnement permet à
certaines ressources d’être reconnues comme riches et d’être utilisées dans ces classes. Il
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 71-
contribue à étendre les marges de manœuvre du professeur et donc à élargir le champ des
possibles dans le domaine du choix des situations.
III – 4.2 Des facteurs « déterminants » dans la formation des pratiques
De façon générale, il y a nécessité de prendre en compte plusieurs facteurs : les
ressources pédagogiques, la maîtrise par le professeur des contenus mathématiques mais
surtout l’existence d’une attitude que nous qualifions de « vigilance scientifique » par rapport
à cette discipline et à son enseignement, le niveau scolaire de la première classe dans laquelle
on enseigne et enfin le contexte social et institutionnel de l’école.
L’impact des ressources utilisées
Il semble que les manuels utilisés en mathématiques lors des deux premières années
d’exercice aient un rôle important dans la construction des pratiques des débutants. Ces
documents peuvent induire un certain type de pratique, en partie à l’insu du professeur.
En effet, dans le cas d’au moins deux professeurs (Christine et Valentin), nous
observons qu’un fichier qui donne une grande place à la résolution de problèmes, qui propose
un certain nombre d’éléments aidant à l’analyse a priori et qui décrit dans le détail les phases
du déroulement des séances peut contribuer à rapprocher un professeur débutant du i-genre 3.
Notons toutefois que l’activité du maître n’y est souvent évoquée que sommairement et reste
assez implicite. À l’inverse, un fichier qui laisse peu d’initiative à l’élève, où celui-ci n’a qu’à
reproduire, avec quelques variantes, l’exemple de départ rapproche le professeur débutant du
i-genre majoritaire. Il y aurait ainsi une sorte de « formatage » des pratiques à partir du
fichier. Mais bien sûr, cela ne suffit pas. Une séance de mathématiques, dont tous les
moments sont précisément décrits (dévolution, recherche des élèves, mise en commun,
institutionnalisation) peut être détournée de ses objectifs initiaux et devenir une leçon où
l’élève n’a plus qu’à appliquer ce que dit le maître. Mais si le type d’activités proposées par le
fichier correspond aux préoccupations et aux choix du professeur et si ce dernier suit assez
fidèlement les indications, sa pratique est en quelque sorte « induite » par le fichier.
En revanche, dans le cas d’un autre professeur (Vanessa), nous observons que la mise
à distance du fichier utilisé officiellement dans la classe s’est accompagnée d’une imprécision
et d’une improvisation mal contrôlée.
Le poids de la « vigilance scientifique »
Nos observations nous ont permis de préciser le rôle joué par la « maîtrise » des
contenus mathématiques à enseigner dans les grands choix effectués par les professeurs. La
maîtrise des contenus, bien qu’indispensable, n’assure pas à elle seule la compétence à
transmettre ces contenus, le professeur pouvant rester soit dans un rapport au savoir de type
élève, soit dans un rapport de type expert. Nous avons souligné l’importance d’une certaine
"vigilance scientifique" de la part du professeur alliant une maîtrise des contenus
mathématiques enseignés à une prise de recul par rapport à ces contenus et aussi à une
perception des enjeux d’apprentissage y compris en terme d’organisation des savoirs en jeu.
Cette dernière légitime les itinéraires cognitifs proposés aux élèves.
L’importance du niveau de la première classe
Le niveau scolaire des classes (cycle 2 ou cycle 3) dans lesquelles le professeur est
affecté en première nomination peut être un déterminant important pour la construction des
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 72-
pratiques. Les moments de synthèse et d’institutionnalisation semblent particulièrement
concernés. En effet, leur qualité et même parfois leur existence dépendent à la fois des savoirs
mathématiques en jeu dans les situations et des activités effectives des élèves. Au cycle 2 et
plus particulièrement au CP, les savoirs sont assez vite naturalisés, ce qui peut conduire les
enseignants à sous-estimer les enjeux des moments collectifs d’institutionnalisation, cette
dernière pouvant souvent être menée sur un mode individuel ou public, c'est-à-dire sous forme
d’une correction classique. Cet effet imputable à la nature des savoirs est renforcé par d’autres
facteurs liés aux difficultés des très jeunes élèves à entrer dans des activités collectives
(centration plus importante sur soi-même, difficultés d’écoute et de formulation).
En revanche, au cycle 3, et plus particulièrement au cours moyen, la naturalisation de
beaucoup de savoirs mathématiques enseignés peut nécessiter plusieurs années voire, pour
certains individus, n’être jamais réalisée. Celle-ci se faisant progressivement lors de
différentes institutionnalisations, le caractère collectif de ces moments est non seulement
justifié mais peut s’avérer indispensable.
Le poids du contexte institutionnel
L’équipe (locale) des enseignants et en particulier la direction de l’école joue sans
doute un rôle non négligeable dans l’impulsion de tel ou tel type de pratique et donc dans la
formation et la stabilisation des pratiques.
Dans le cas de deux des professeurs accompagnés (Christine et Valentin), leur
participation dès le début de l’année au travail de l’équipe de l’école, impulsé d’une manière
volontariste par la directrice, a été difficile. Ce travail était ciblé la première année sur la mise
en œuvre d’une « démarche d’investigation » en sciences et sur l’utilisation en mathématiques
d’un manuel imposé aux classes de cycle 2 (Cap maths). La seconde année, l’utilisation
systématique et pour toutes les classes d’ERMEL a été décidée par l’équipe sur proposition
argumentée de la directrice pour qui ce manuel constitue une « référence » en mathématiques.
Christine et Valentin, surtout la première année, ont dû fournir un travail important pour
réussir à s’intégrer. Ils reconnaissent maintenant que l’équipe les a aidés et se déclarent
finalement satisfaits de cet investissement et de la réflexion qui l’a accompagné. On peut
penser que seuls, ils auraient sans doute construit un autre type de pratique laissant en
particulier moins de place à la résolution de problèmes consistants par les élèves.
III – 4.3 Les cinq niveaux et les modalités de dépassement observées
Pour identifier et mesurer les évolutions dans les pratiques, nous avons été amenés à
définir, en « référence » à l’i-genre 3, cinq « niveaux de dépassement » de la contradiction
fondamentale qui, s’ils sont atteints, devraient garantir les apprentissages mathématiques des
élèves. Il s’agit d’une référence et non d’un modèle, toutes les séances de mathématiques ne
relevant pas forcément d’un même schéma. Ce choix se justifie par plusieurs éléments. D’une
part, un enseignant dont la pratique relève de l’i-genre 3 propose à la fréquentation de ses
élèves des mathématiques potentiellement plus riches et donc davantage vecteurs
d’apprentissage. D’autre part, ces pratiques existent ; elles sont donc viables, même dans des
ZEP très difficiles où des compromis avec les élèves et les institutions restent possibles. De
plus, en tant que formateurs, les enjeux liés à l’i-genre 3 nous semblent accessibles. Notons
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 73-
que la théorie des situations continue à nous servir, en tant que chercheurs, de grille de lecture
de l’existant.
Nous avons désigné ces cinq niveaux par des expressions caractéristiques de chacun :
installation d’une paix scolaire, proposition de problèmes consistants et aménagement de
temps de recherche, explicitation des procédures, hiérarchisation des procédures et synthèse,
institutionnalisation.
Premier niveau : installation d'une paix scolaire
Le premier niveau correspond à l’obtention d’une certaine « paix scolaire ». Nous
définissons la « paix scolaire » comme le couple paix sociale et adhésion au projet
d’enseignement du professeur. Le premier élément du couple peut notamment se caractériser
par l’établissement de règles de fonctionnement de la classe acceptées par les élèves et
indispensables à la relation didactique : calme dans la classe, absence de violence entre les
élèves, respect et écoute des personnes, prises de paroles contrôlées, climat de sécurité etc.
L’adhésion des élèves au projet d’enseignement du professeur se manifeste par un climat de
confiance, voire de complicité, entre les élèves et le professeur, par un enrôlement rapide et
sans trop de résistance des élèves dans les tâches.
L’installation de la paix scolaire participe au processus de dévolution mais relève aussi
de l’ensemble de l’acte d’enseignement. Le second élément du couple définit pour une part le
topos de chacun et il est difficilement explicitable dans la mesure où il résulte d’une
négociation « cachée » entre élèves et professeur.
Un minimum de paix scolaire doit être obtenu pour atteindre et dépasser les autres
niveaux. Les modalités d’installation de la paix scolaire ont donc une influence sur les autres
niveaux mais inversement les modalités de dépassement d’un niveau donné contribuent à la
paix scolaire. La question du lien entre apprentissages des élèves et confort de l’enseignant est
ainsi posée de manière plus fine. Il en est de même des relations entre pédagogique et
didactique.
Nous avions repéré, dans nos recherches précédentes, au moins deux modalités d’essai
de dépassement de ce premier niveau. Un professeur, débutant, de l’i-genre 3, sans avoir
complètement installé la paix sociale obtient l’adhésion des élèves à son projet
d’enseignement. Toutefois, son manque d’expérience et le défaut de reconnaissance
institutionnelle qui l’accompagne rendent souvent fragile les équilibres installés. La
négociation se poursuit avec les élèves tout au long de la première année d’enseignement.
A l’inverse, une seconde modalité liée à l’i-genre 1 se caractérise par une paix sociale
obtenue grâce au respect rigoureux d’une certaine « discipline » sans être pour autant
accompagné d’une adhésion des élèves au projet d’enseignement. Si apparemment le maître
semble maîtriser l’avancée du temps didactique, c’est parce qu’il anticipe sur la lassitude des
élèves en réduisant ses exigences ou en raccourcissant le temps d’activité.
Notre recherche permet de mettre en évidence des gestes professionnels constituant
une routine permettant d’installer des conditions pour l’obtention de la paix scolaire. Notons
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 74-
que certaines de ces routines ne sont pas sans risques pour l’avancée des apprentissages et
nourrissent les deux premières contradictions mises en évidence en ZEP.
Maintenir un rythme de travail soutenu : dans nos recherches précédentes, nous avons montré
que les moments de changement de tâche, souvent liés à des changements de statut de la
connaissance sont ceux au cours desquels les élèves résistent le plus. Une façon de contrer
cette résistance est de garder un rythme de travail soutenu de manière à ne pas laisser
« d’espace » aux élèves.
Maintenir constamment la « pression » sur les élèves en reprenant très vite la main quand cela
s’avère nécessaire, en réorientant pour une part le travail des élèves, tout en essayant de
conserver une certaine « ouverture » de la tâche prescrite. Notons que les décisions à prendre
dans ce cadre par l’enseignant sont assez délicates puisqu’elles tendent à faire perdre une
certaine part d’adidacticité aux situations.
Maintenir l’adhésion des élèves en ménageant une place à chacun, par exemple en les
sollicitant tous, mais cela peut se faire au détriment de l’avancée du temps didactique et de la
mise en texte des savoirs. En effet, le souci de valoriser tous les élèves, même les plus faibles
nourrit la seconde contradiction mise en évidence en ZEP entre réussite à court terme et
apprentissage. Le professeur est amené à considérer avec la même attention toutes les
productions des élèves, à les mettre au même niveau aux yeux des élèves sans les hiérarchiser.
Or cette hiérarchisation qui peut aller jusqu’à la non prise en compte de certaines propositions
est indispensable à l’avancée des apprentissages. De même, dans le souci de dédramatiser
l’erreur, le professeur peut être amené à consacrer beaucoup de temps au traitement de
certaines erreurs individuelles.
Garder le contact avec les élèves en restant très proche de leurs formulations, mais cela peut
se faire au détriment de la formalisation des savoirs : en effet, le professeur en se régulant sur
les élèves les plus faibles en reste à leurs formulations, voire se situe en deçà de certaines.
De plus, le professeur peut prendre appui sur certaines activités comme celles qui
relèvent du calcul mental : en effet, de par leur caractère rituel et les exigences de rapidité
dans leur enchaînement, ces dernières peuvent contribuer à enrôler les élèves et à les installer
dans une posture de travail. D’autres domaines des mathématiques comme la géométrie
peuvent aussi, de par la spécificité des tâches proposées, jouer ce rôle et contribuer à
l’adhésion de l’élève au projet d’enseignement du professeur.
Nos premières observations portent sur quatre professeurs : Aurélie, Christine,
Vanessa, et Valentin.
Parmi ces quatre professeurs, un seul (Valentin) ne réussit pas complètement à
installer la paix scolaire. Une certaine tension perdure dans sa classe due en particulier à des
exigences de discipline peut-être trop grandes qui le contraignent à de nombreux rappels à
l’ordre qui ne nous apparaissent pas toujours « justifiés » ou arrivant à bon escient. Notons
que ces exigences sont peut-être pour lui une façon de garantir sa légitimité. Aurélie installe la
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 75-
paix scolaire grâce à des rappels à l’ordre, beaucoup de rigueur mais surtout un
environnement mathématique de grande qualité. Il en est de même pour Christine qui s’appuie
par ailleurs sur un climat de confiance et de communication dans la classe (communication
entre elle et les élèves mais aussi entre élèves).
Quant à Vanessa il faudrait plutôt parler de complicité, de qualité de communication
davantage liées à une valorisation importante des élèves, à une volonté de rester proches
d’eux (notamment du point de vue des formulations) qu’à la richesse de l’environnement
mathématique proposé. Ainsi, les personnages intervenant dans les problèmes posés par
Vanessa portent souvent le prénom d’enfants de la classe. Ils peuvent même mettre en scène
des évènements de leur vie personnelle ou familiale. Afin de rester proches des formulations
des élèves, le langage du professeur est parfois approximatif, voire en deçà des capacités de
formulations de certains élèves de la classe.
Les autres niveaux concernent en particulier la place laissée à des moments a-
didactiques, à des moments qui renvoient à des actions, à des formulations, à des validations
et à des institutionnalisations. Toutefois, ils ne peuvent s’identifier à ces divers moments.
Deuxième niveau : proposition de problèmes consistants et aménagement de temps de
recherche
Le deuxième niveau se caractérise par l’installation d’un climat de travail
mathématique et éventuellement de communication dans la classe. Le professeur propose aux
élèves fréquemment, voire systématiquement, des problèmes mathématiques consistants, les
engageant dans une recherche effective. Il peut adapter des situations issues de manuels mais
sans remettre en cause les enjeux en termes de savoir et d’apprentissage (contenu
mathématique visé et procédures attendues). Un autre indicateur lié au précédent concerne la
gestion du temps de recherche des élèves : d’une part ce dernier est relativement significatif,
d’autre part les aides éventuelles apportées ne s’accompagnent pas d’une réduction des
exigences.
Sur les quatre professeurs accompagnés, trois dépassent ce second niveau. Notons que
pour l’un d’entre eux (Valentin), nous constatons une évolution importante entre la première
et la seconde année due, en particulier, à l’influence des ressources utilisées.
La quatrième (Vanessa) a une pratique très diversifiée, relevant d’une certaine
improvisation. Elle ne dépasse pas toujours ce second niveau, seulement lorsque les élèves
sont en recherche autonome ce qui se produit assez souvent car la classe est constituée d’un
double niveau.
Troisième niveau : explicitation des procédures
Le troisième niveau concerne la place laissée aux élèves dans les moments de mise en
commun des réponses, de validation de celles-ci et d’explicitation des procédures (menant ou
non à la réussite) mises en œuvre pour les obtenir. Les élèves sont amenés à exposer leurs
procédures. Cette phase de formulation et d’explicitation se fait d’autant plus facilement que
le professeur a instauré un climat de communication dans la classe. Les élèves ont l’habitude
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 76-
d’expliquer leur démarche, de questionner l’enseignant ou leurs pairs sur le travail à produire
ou produit, de s’exprimer par rapport aux erreurs rencontrées, etc.
Ce troisième niveau est atteint par deux des quatre professeurs : Aurélie et Christine.
L’existence de tels moments est liée à la nature des tâches proposées aux élèves. Selon
« l’ouverture » du problème, il y aura lieu d’envisager ou non un retour sur les procédures
plus ou moins variées ayant conduit au résultat et de revenir sur des réponses incorrectes
mais « attendues » pour faire avancer les apprentissages. Pour Vanessa, il n’y a pas toujours
explicitation des procédures, cela dépend de la forme de travail (recherche autonome ou cours
dialogué). Valentin évolue nettement dans ce sens entre la première et la seconde année. Au
cours des premières séances observées, il propose des « exercices » assez « fermés » et qui
donnent lieu à des moments de « correction » sans beaucoup de retour sur les réponses
effectives et sur les erreurs qui ont pu être produites par les élèves. Progressivement, comme
les situations qu’il propose sont plus « riches » mais aussi comme il fait davantage confiance
aux situations et aux élèves, ces phases de mise en commun évoluent. Cependant, il fait le
choix de revenir sur toutes les productions et ne s’autorise pas à « guider » les élèves dans
leur exploration, laissant le tri et le classement des réponses proposées à la charge des élèves,
ce qui rend très difficile la gestion de cette phase et le travail de synthèse qu’il doit effectuer.
Quatrième niveau : hiérarchisation des procédures et synthèse
Nous avons été amenés à distinguer un quatrième niveau, car le troisième peut être
dépassé sans que ce quatrième le soit. Il concerne la hiérarchisation par le professeur des
productions des élèves et l’existence de phases de synthèse contextualisées. Cette
hiérarchisation peut prendre en compte plusieurs facteurs : l’efficacité et la validité de la
procédure, son économie en terme de temps de résolution, la nature et le degré d’expertise des
savoirs mobilisés.
Les dépassements des niveaux quatre et cinq sont nettement plus problématiques.
Seule Aurélie atteint pleinement ce quatrième niveau. Christine ne hiérarchise pas les
productions des élèves : tout est « mis à plat ». Vanessa fait de rares synthèses, pas toujours
en lien avec l’explicitation des procédures. Valentin se contente d’énoncer la réponse en la
replaçant dans le contexte de la situation, c’est-à-dire d’effectuer une sorte de « vérification »
pour convaincre de la validité de la réponse. Nous pouvons donner des éléments d’explication
à ces difficultés, pour une part liés à la composante sociale.
Tout d’abord, comme nous l’avons vu, les enseignants de ZEP sont soumis à une
seconde contradiction entre réussite immédiate et apprentissage. La nécessité de prendre en
compte toutes les productions des élèves, de n’en laisser aucun de côté, de les valoriser tous
ne favorise pas la hiérarchisation des procédures puisque aucun élève ne doit se sentir rejeté.
De plus, le manque de « vigilance scientifique » souvent observé, lié à une mauvaise
perception des enjeux de savoir, ne favorise pas l’identification des variables didactiques en
jeu et l’analyse a priori des situations. Ce défaut de « vigilance scientifique » peut sans doute
expliquer la faiblesse des institutionnalisations dans la mesure où l’enseignant manque de
« ligne directrice » dans la conduite des situations.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 77-
Enfin il ne faut pas nier la difficulté intrinsèque, même pour un expert, à établir une
synthèse « en actes » à partir des productions effectives des élèves qui débouche logiquement
sur une institutionnalisation claire. En effet, les productions ne sont jamais complètement
prévisibles, il n’y a pas forcément d’ordre linéaire permettant de les hiérarchiser. De plus, les
formulations utilisées pour institutionnaliser méritent souvent réflexion de la part du
professeur et cela d’autant plus que les élèves sont jeunes.
Cinquième niveau : institutionnalisation
Le cinquième niveau se caractérise par une institutionnalisation des savoirs ou
méthodes en jeu dans la situation, par une décontextualisation et dépersonnalisation mais
aussi par une réorganisation des savoirs visités, notamment en termes d’ancrage du nouveau
dans l’ancien.
Seule Aurélie atteint pleinement ce cinquième niveau. Christine fait quelques
institutionnalisations que l’on peut qualifier de « molles », Vanessa propose plutôt des
corrigés types. Notons cependant que tous ont le souci de rappeler des savoirs anciens pour
mieux ancrer les nouveaux.
Nous avons caractérisé la pratique d’Aurélie comme relevant de l’i-genre 3. La
pratique de Christine s’en rapproche beaucoup, mais elle n’atteint pleinement que les trois
premiers niveaux. Nous pouvons dire que Christine illustre une certaine dérive du
socioconstructivisme caractérisée par une explicitation des procédures mais sans
hiérarchisation, suivie ou non d’une synthèse puis d’une institutionnalisation faible, voire
inexistante, ne permettant pas de pointer clairement les savoirs mathématiques en jeu.
Les critères qui permettent d’identifier ces différents niveaux ainsi que leur
dépassement ne sont pas de même nature du point de vue du chercheur. Alors qu’il est
relativement aisé de repérer les trois premiers, les deux autres sont davantage marqués par la
nature des problèmes proposés, par l’histoire de la classe, notamment par l’avancée du temps
didactique, voire par des contraintes institutionnelles. L’analyse a posteriori ne peut suffire,
c’est en fait la comparaison entre les choix contextualisés de l’enseignant et le choix qu’aurait
fait le chercheur sur la base d’une analyse a priori et prenant en compte a posteriori le
contexte qui permet de trancher.
Nous utilisons le terme de niveau sans pour autant vouloir construire un modèle
totalement hiérarchisé. En effet, l’analyse des pratiques observées nous montre que certaines
caractéristiques d’un niveau peuvent être présentes sans que le niveau précédent soit
totalement dépassé. C’est notamment le cas du premier niveau qui peut n’être que
partiellement atteint. Ainsi Sébastien, professeur du i-genre 3 repéré dans notre précédente
recherche atteint le niveau 5 alors que la paix scolaire n’est que partiellement installée ou du
moins reste problématique.
IV – 4.3 Conclusion
À cette étape de notre recherche, nous pouvons dire que grâce au dispositif
d’accompagnement, les professeurs ont acquis certains « mots pour le dire » pour parler de
leurs pratiques et les analyser. Nos premiers résultats confirment certaines de nos hypothèses,
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 78-
notamment la nécessité d’identifier la logique de chaque enseignant pour intervenir au plus
près de celle-ci en tentant d’évaluer la « prise de risque » que l’enseignant est prêt à consentir
sans trop le déstabiliser. Par ailleurs, ils montrent qu’un accompagnement durant les deux
premières années d’exercice permet d’élargir les marges de manœuvre des enseignants, de les
aider à prendre confiance, et donc d’enrichir leurs pratiques.
Nos recherches sur les pratiques enseignantes nous amènent à penser la formation
initiale et continue davantage en termes d’adaptation pour prendre en compte les différentes
contraintes, notamment sociales en ZEP, tout en préservant les apprentissages des élèves.
Devant des publics difficiles, les professeurs sont contraints de s’adapter pour dépasser la
contradiction fondamentale. Ces adaptations peuvent concerner plusieurs domaines : la paix
scolaire mais aussi, entre autres, les situations à proposer aux élèves, l’organisation de la
classe et la structure des déroulements, la place de la formulation, la place de l’écrit…
Nous avons vu que la paix scolaire, définie comme le couple (paix sociale, adhésion
au projet de l’enseignant) est une condition en partie nécessaire à l’apprentissage des élèves et
nous avons mis en évidence certaines routines visant à l’installer. L’obtention de la paix
scolaire est liée à la prise de risque mathématique que s’autorise l’enseignant dans sa classe à
différents moments de son enseignement. En effet, on peut penser que si ce premier niveau est
atteint, le professeur aura davantage confiance dans la consistance de la situation qu’il
propose, dans sa capacité à la gérer, mais aussi dans le travail des élèves, dans ce qu’ils sont
capables de produire pour faire avancer les apprentissages. Si on considère l’incertitude
générale que l’enseignant doit gérer quand il fait classe, on peut penser que la réduction de
celle-ci concernant les comportements des élèves va lui permettre, par une sorte de
compensation d’en accepter davantage du point de vue mathématique et donc de prendre plus
de risque dans ce domaine. Il pourra alors proposer à ses élèves des problèmes non triviaux
liés à une gestion de classe plus complexe, les laisser chercher sans réduire ses exigences,
s’appuyer sur leurs différentes productions pour tenter une synthèse.
Notre accompagnement a permis par ailleurs de dégager plusieurs idées pour adapter
des situations « riches » issues de ERMEL ou d’autres ressources à des élèves de ZEP en
jouant notamment sur le choix des variables didactiques permettant « d’alléger » la situation
sans en perdre le sens (choix des nombres, des supports, du matériel…) mais aussi sur le
nombre et l’ordre des situations constituant une progression sur un thème donné.
Concernant la place de la formulation, le professeur en ZEP est amené à étayer à l’oral
les formulations souvent pauvres des élèves, à les reprendre, à les compléter. Cela explique
d’ailleurs en partie la difficulté à conduire des phases collectives. La place de l’écrit, souvent
importante dans les ressources, doit être minorée pour tenir compte de la spécificité du
contexte ZEP : par exemple, le professeur peut se contenter d’une explicitation orale plutôt
qu’écrite des procédures, d’échanges oraux entre les élèves plutôt que s’appuyant sur un écrit.
Rappelons aussi l’importance, notamment avec des élèves en difficulté, de l’ancrage
des connaissances nouvelles dans les connaissances anciennes. Les quatre enseignants
observés se révèlent d’ailleurs très vigilants dans ce domaine.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 79-
Nous avons vu que les effets de l’accompagnement concernent davantage le processus
de dévolution que celui de régulation et surtout celui d’institutionnalisation. En effet, les
enseignants débutants proposent à leurs élèves des problèmes plutôt consistants, aidés en cela
par les différentes situations de formation du dispositif d’accompagnement mais aussi par des
ressources « riches ». Ils laissent un temps de recherche significatif (individuel ou par
groupes) pendant lequel leurs interventions ne débouchent pas sur une réduction de leurs
exigences. Ils essaient le plus souvent d’ancrer le savoir nouveau dans l’ancien.
Par contre, ils ne sont pas forcément aptes à reconnaître et à hiérarchiser les variables
didactiques en jeu dans les problèmes. Ceci apparaît par exemple dans le fait qu’ils peuvent
les adapter de façon maladroite d’un point de vue mathématique. De plus, même s’ils
prennent en compte (parfois de façon caricaturale) les productions effectives des élèves, les
professeurs débutants sont particulièrement démunis dans les phases de synthèse et
d’institutionnalisation.
En mettant nos résultats en perspective avec la formation initiale, nous voyons que s’il
est possible de « gagner » sur le processus de dévolution, cela est beaucoup plus difficile pour
les processus de régulation et surtout d’institutionnalisation pour lesquels beaucoup de
résistances subsistent. Cela doit nous alerter en tant que formateurs car ne pas prendre en
compte en formation ces difficultés justifie par avance des attaques contre le constructivisme
et les méthodes d’enseignement qui s’en inspirent. Par ailleurs, pour initialiser une réflexion
en formation sur l’adaptation, il nous semble indispensable de ne pas dissocier les contraintes
liées à l’exercice du métier et celles liées aux apprentissages des élèves.
IV. De l’analyse des pratiques à la définition de grandes questions de la
profession, des dimensions organisatrices des pratiques
Cette cohérence entre les niveaux globaux (i-genres), locaux (routines) et micro (gestes) ne
pouvait être suffisamment décrite par les genres et gestes associés. Nous avons ressenti le
besoin d’expliciter davantage le pourquoi de ces pratiques en identifiant certaines raisons de
cette organisation. Cela nous a amenés à rechercher des organisateurs des pratiques (Masselot,
Robert, 2007).
Elles sont présentées dans les extraits du cours dispensé dans le cadre de la 16e école d’été de
didactique des mathématiques (Butlen, Robert, 2011) que nous relatons ci-dessous.
De l’identification de grandes questions à la mise en évidence de dimensions
organisatrices des pratiques
Ainsi, la résistance à l'accompagnement manifestée par la majorité des professeurs des écoles
ayant bénéficié de cette formation nous a permis de mieux comprendre l'origine supposée de
certains choix.
Nous avons ainsi identifié et isolé plusieurs grandes questions qui se posent à l'ensemble des
professeurs des écoles et dont les réponses nous semblent organiser leurs pratiques. Une autre
manière de le dire serait de considérer les modes de réponses à ces questions comme des
dimensions organisatrices des pratiques.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 80-
Nous allons présenter trois de ces questions et les mettre en relation avec les tensions et i-
genres décrits précédemment.
Lors de nos observations, nous avions du mal à identifier ce qui pilotait les pratiques des
professeurs observés quand ils enseignaient les mathématiques. Si on peut analyser les
activités professeur du i-genre trois comme pilotées prioritairement par les mathématiques et
la manière de concevoir les apprentissages (Charles-Pézard, 2010), cela ne semblait pas être
systématiquement le cas pour les autres professeurs. D’autres contraintes semblaient
s’imposer au détriment de la qualité des mathématiques proposées à la fréquentation des
élèves.
La paix scolaire
Beaucoup d’élèves de ZEP ont un rapport à l’école plutôt négatif (et cela dès l’école primaire)
qui se traduit fréquemment par un comportement difficile, parfois violent, par une grande
résistance aux apprentissages scolaires et une faible autonomie.
Une des premières questions à régler pour un professeur enseignant à ce public est donc
d’installer les conditions suffisantes à son enseignement dans le cadre collectif défini par la
classe et l’établissement. Nous avons appelé paix scolaire l’installation de ces conditions.
La paix scolaire est un couple constitué d’une part de la paix sociale (respect des règles de
fonctionnement en classe et à l’école, indispensables à la relation didactique) et d’autre part
de l’adhésion de l’élève au projet d’enseignement du professeur, adhésion globale mais
réinitialisée au niveau local dans le quotidien de la classe.
L’installation de la paix scolaire participe du processus de dévolution mais relève aussi de
l’ensemble de l’acte d’enseignement.
Différents modes d’installation de cette paix scolaire seront présentés dans l’atelier animé par
Butlen, Masselot et Pézard qui accompagne cette partie du cours. Ces modes d’installation
concernent l’ensemble des disciplines scolaires et plus largement participe de la gestion de la
classe mais marquent et sont fortement marqués par la qualité des mathématiques proposées à
la fréquentation des élèves. Ainsi, un professeur très proche du i-genre trois l’installe
principalement grâce à un environnement mathématique de qualité (selon les critères du
chercheur) alors qu’une autre plus éloignée de ce type de pratiques l’installe grâce à une
certaine complicité avec les élèves, complicité qui l’amène souvent à négocier à la baisse le
niveau d’exigence mathématique.
Si l’installation d’une certaine paix scolaire est nécessaire pour enseigner, la manière de
l’installer conditionne ou peut conditionner les contenus de cet enseignement. Inversement, la
qualité des mathématiques proposées conditionne dans une certaine mesure, le mode
d’installation de la paix scolaire.
C’est cette dialectique entre installation de la paix scolaire et qualité des mathématiques
enseignées qui nous amène à penser que l’on peut considérer le mode de réponse à cette
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 81-
question cruciale (surtout en ZEP mais plus généralement dans toutes les classes pour un
enseignant débutant) comme une des dimensions organisatrices des pratiques.
La vigilance didactique
C’est à la fois une question de formateurs et de chercheurs. Il nous fallait contribuer à mieux
comprendre comment et pourquoi, certaines pratiques se révélaient très éloignées de celles
privilégiées en formation. Nous avons pour une part répondu au comment en décrivant
finement les i-genres. Le pourquoi nous semble principalement lié à l’exercice de ce que nous
avons appelé une certaine vigilance didactique.
La vigilance didactique traduit une manière de prendre en compte la place du savoir
mathématique dans nos analyses de l’activité du professeur des écoles (Charles-Pézard,
2010). De manière générale, on peut considérer que le travail de l’enseignant comporte au
moins deux éléments principaux largement dépendants : préparer sa classe et gérer les
déroulements en classe. La notion de vigilance didactique est aussi une manière de rendre
compte et de cerner le rôle joué par la maîtrise des contenus mathématiques à enseigner dans
les grands choix effectués par celui-ci, mais aussi d’en préciser certaines limites.
La maîtrise des contenus est nécessaire mais ne suffit pas. D’autres connaissances en
particulier de type didactique sont nécessaires à l’enseignement des mathématiques. Cela a
amené Pézard à définir (Charles-Pézard, 2010) la vigilance didactique « comme une sorte
d’ajustement permanent de la part du professeur faisant appel aux composantes cognitive et
médiative des pratiques et s’exerçant dans les trois niveaux global, local et micro »
« Exercer une certaine vigilance didactique met en jeu des connaissances mathématiques et
didactiques nécessaires pour enseigner. Les connaissances mathématiques ne sont pas
seulement académiques, elles doivent être finalisées pour l’enseignement. Les connaissances
didactiques contribuent à une bonne perception des enjeux d’apprentissage des situations et
de leur organisation en vue de l’enseignement de savoirs mathématiques. Elles peuvent être
de plusieurs types. Il y a d’abord des résultats ou faits didactiques, mis en évidence par la
recherche et qui ne sont plus contestés, des sortes de ‘petits théorèmes de didactique’, par
exemple les incidences de conceptions erronées des nombres décimaux sur la mise en ordre
de tels nombres. Il y a ensuite des outils permettant de lire le réel, issus de la didactique des
mathématiques mais transformés en vue de l’action d’enseigner. Ces outils consistent par
exemple, en amont de la classe, en la mise en œuvre d’un minimum d’analyse a priori pour
identifier le savoir mathématique en jeu dans la situation, les variables didactiques et leur
incidence sur les procédures et les résultats des élèves. Pendant la classe, ces outils
permettent le repérage des procédures, le fait de savoir identifier parmi la diversité des
productions des élèves celles sur lesquelles on va pouvoir s’appuyer pour les conduire à une
procédure de réussite. Ils permettent aussi une meilleure exploitation des procédures, leur
hiérarchisation, la mise en œuvre d’une institutionnalisation s’appuyant sur le travail des
élèves. Ces connaissances, finalisées par l’action d’enseigner sont liées aux grandes étapes
du cheminement cognitif des élèves. Elles fonctionnent en actes pendant la séance, leur
absence pouvant se révéler source de différenciation. Elles peuvent être de statut différent
selon qu’elles sont liées à l’action, à la formulation, à la validation ou à la preuve.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 82-
Ces différentes connaissances mathématiques et didactiques s’opérationnalisent dans l’action
du professeur pour réaliser des tâches. La vigilance didactique est liée aux différentes tâches
d’enseignement de contenus mathématiques situées en amont de l’action en classe, pendant
l’action en classe ou après la classe ainsi qu’aux différentes manières de les réaliser.»
Ces différentes manières relèvent de la composante médiative et des niveaux local et micro
des pratiques. Elles concernent en particulier les routines. Ce sont des routines de type 3 selon
la classification que nous avions établie avec Masselot (Butlen, Masselot, 2001) car elles sont
en relation avec les contenus mathématiques enseignés.
Nous avons montré, grâce à une méthodologie adaptée, que la vigilance didactique joue à
plusieurs niveaux, dans la détermination des situations à proposer aux élèves, dans la
dévolution de celles-ci et notamment dans la définition du topos de chacun des partenaires de
la relation didactique mais aussi dans la capitalisation des connaissances mobilisées par les
élèves et l'institutionnalisation des savoirs.
L’exercice de la vigilance didactique structure donc les pratiques et détermine les
mathématiques proposées à la fréquentation des élèves. Elle entretient évidemment des liens
avec la première dimension évoquée (la paix scolaire) dans la mesure notamment où elle joue
un rôle important dans l’adhésion des élèves au projet d’enseignement. Une vigilance
didactique insuffisante peut laisser penser à l'enseignant (mais aussi à l'institution) que
l’important est de négocier la paix sociale y compris au détriment des mathématiques
enseignées. La compréhension des enjeux didactiques est ici très déterminante.
La gestion du couple dévolution/institutionnalisation.
Nous terminerons cette première partie d'exposé en abordant une troisième question de la
profession : la posture prise relativement à la gestion du couple
dévolution/institutionnalisation.
Nous avons précisé ci-dessus qu’une différence importante existant entre les pratiques de l'i-
genre majoritaire et celle de l’i-genre minoritaire résidait dans l’existence de moments
d’institutionnalisation. Les professeurs des i-genres majoritaires réduisent voire font
disparaître ces phases. Cette quasi-disparition s’accompagne et peut s'expliquer par une
individualisation non contrôlée de l'enseignement. Toutefois l’individualisation excessive,
souvent due à une trop grande prise en compte de certaines injonctions institutionnelles,
n’explique pas à elle seule le phénomène. Une explication en termes de vigilance didactique
ne suffit pas non plus.
Un résultat important de notre recherche portant sur les effets d’un accompagnement réside
dans la mise en évidence d’une résistance des pratiques des professeurs des écoles à
l’institutionnalisation. Si les pratiques des débutants se sont notoirement enrichies du point de
vue du choix des situations, de la dévolution des problèmes (gestion des phases de recherche,
nature des aides apportées) et de la manière dont ces derniers font expliciter, formuler les
procédures et les connaissances mobilisées par les élèves, seule une professeure sur les dix
met en œuvre systématiquement (quand c’est nécessaire et de manière efficace au moins à
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 83-
court terme) des phases d’institutionnalisation. Pour les autres, hormis parfois des tentatives
de mises en relations entre les procédures mises en œuvre ou parfois encore des moments de
rappels (mais qui restent souvent au niveau du contexte ou de l’habillage des situations), rien
n’est explicitement mis en valeur au niveau des connaissances mathématiques mobilisées
dans le cadre de la résolution du problème qui seraient à « retenir », à réinvestir...
Si une bonne maîtrise des contenus, une habitude à lire les procédures et les connaissances
mobilisées par les élèves, à les hiérarchiser et à prévoir des traitements adéquats en fonction
des savoirs visés lors de l’institutionnalisation, une maîtrise des enjeux d’apprentissage sont
nécessaires à la préparation (en amont et pendant la classe) et à la gestion du processus
d’institutionnalisation. Cette gestion nécessite aussi de la part du professeur un changement
d’activité qui s’accompagne d’un changement de ‘posture’ (au sens courant du terme) qui n’a
pas été suffisamment traité en termes de recherche comme (et par la même aussi) en termes de
formation.
Lors du processus de dévolution, ‘faisant confiance à la situation’ le professeur doit (au moins
apparemment et selon le milieu installé) se mettre en retrait dans la relation didactique, il doit
‘s’effacer’ suffisamment pour permettre aux élèves de construire ou de mobiliser les
connaissances nécessaires. En revanche, la mise en œuvre du processus d’institutionnalisation
nécessite qu’il reprenne la main, qu’il ’dévoile’ l’objet de son enseignement au niveau des
élèves et en tenant compte de ce qui s’est passé, qu’il assure explicitement la fonction de
détenteur du savoir. Ces postures sont différentes, le passage de l’une à l’autre n’est pas aisé
et cette difficulté est rarement pointée au cours de la formation. Ce passage a été très peu
travaillé y compris dans le cadre de la théorie des situations. Son origine s’explique par
l’histoire même de la théorie qui au début ne pouvait prendre en compte, compte tenu des
pratiques en vigueur à l’époque dans le premier degré, le fait que les enseignants pouvaient
abandonner cette partie de leur travail.
Le succès même du constructivisme et la diffusion, au moins dans le milieu des formateurs du
premier degré, de certains aspects de la théorie des situations, et ce en dépit des précautions
prises, voire des mises en garde des chercheurs, ont contribué en formation à mettre
davantage l’accent sur le choix des situations et la dévolution plutôt que sur
l’institutionnalisation. Le plus souvent les formateurs ont traité de façon indépendante au
moins de manière différente les deux processus.
Conclusion
L'évolution de nos recherches nous a amené à identifier trois grandes questions posées à
l’ensemble de la profession, à identifier des modes de réponses qui se sont structurées autour
de deux dimensions : l’installation d’une paix scolaire et l’exercice d’une vigilance
didactique. La manière dont sont les enseignants répondent à ces questions permet de de
mieux comprendre l’existence des trois i-genres préalablement mis en évidence.
Ces éléments contribuent à répondre au comment et au pourquoi des pratiques observées en
ZEP. Cette réponse est évidemment partielle et porte sur un public restreint et particulier. Le
modèle d’analyse et d’organisation des pratiques ainsi construit demande à être testé dans le
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 84-
cadre d’un public en difficulté différent. C’est l’objet de nos recherches actuelles. Nous
décrivons dans la troisième étape quelques résultats issus de l’une de celles-ci.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 85-
TROISIÈME ÉTAPE
TROISIÈME PARTIE : L’ADAPTATION DE SITUATIONS « ROBUSTES » EN VUE
D’UN ENSEIGNEMENT À DES ÉLÈVES DE L’ÉDUCATION SPÉCIALISÉE
RELEVANT DE L’OPTION D
Dans cette dernière partie, nous abordons la question de l’enseignement à des élèves
présentant d’importants troubles cognitifs ou du comportement. La question traitée est celle
de l’adaptation de situations dites « robustes » ou encore à « fort potentiel adidactique »
construit pour un enseignement à des élèves standards en vue d’un enseignement à ce type
particulier d’élèves. Nous inscrivons cette recherche dans le cadre de celles menées sur les
pratiques enseignantes et les élèves en difficulté dans la mesure où le recours à des situations
construites pour un public d’élèves standard reste une pratique courante chez les professeurs
de l’enseignement spécialisé. Or, peu de travaux en didactique des mathématiques renseignent
la question de l’adaptation de ces situations aux contraintes de l’enseignement spécialisé.
Cette partie du cours nécessite une certaine connaissance de concepts de la didactique des
mathématiques et notamment de la théorie des situations didactiques. Le but n’est pas ici de
faire un cours sur ces éléments de théorie mais de les voir fonctionner dans le cadre d’une
recherche spécifique.
Pour aider le lecteur, nous proposons des extraits d’un glossaire présentant succinctement les
principaux termes utilisés dans l’article ci-dessous. Il s’agit du texte d’une contribution
effectuée lors du colloque de l’ACFAS de 2011 qui s’est déroulé à Sherbrooke au Canada
(Québec).
GLOSSAIRE
(Extrait de l’ouvrage « Le calcul mental, entre sens et techniques, Butlen, 2007)
Ce glossaire a pour but de préciser certains termes de didactique es mathématiques
utilisés dans cet ouvrage. Il ne s’agit pas de définitions exhaustives qui demanderaient un
développement beaucoup plus important mais d’indications permettant au lecteur de se
repérer dans un ensemble de notions souvent utilisés en recherche comme en formation.
Didactique des mathématiques
La didactique des mathématiques est un champ de recherche au confluent de plusieurs
autres champs disciplinaires (mathématiques, psychologie cognitive, psychologie sociale,
sociologie, épistémologie, etc.). Elle se propose d’étudier les rapports existant entre
enseignement et apprentissage dans le contexte spécifique des mathématiques. Ainsi, elle
étudie13
les processus de transmission et d’acquisition des connaissances relatives au domaine
spécifique de cette discipline ou des sciences voisines avec lesquelles elle interagit. Elle décrit
et analyse les difficultés rencontrées et propose des moyens pour aider les professeurs, les
élèves et les étudiants à les surmonter, et notamment pour faire du savoir enseigné, un savoir
vivant, fonctionnel et opératoire.
13
Rapport GRECO DIDAMA T CNRS 1983)
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 86-
Situation
Le terme de situation décrit les conditions dans lesquelles un individu ou un groupe
évolue, les relations que ces personnes entretiennent entre elles mais aussi avec leur
environnement, leur milieu, les éléments caractéristiques de leur action et de son évolution à
un moment donné.
Situation d’action
G. Brousseau14
a mis en évidence trois dialectiques intervenant dans les rapports entre
enseignement et apprentissage : les dialectiques d’action, de formulation et de validation.
La dialectique de l’action consiste à placer l’élève devant une situation (d’action) lui
posant un problème dont la meilleure solution, dans les conditions proposées, est la
connaissance à enseigner. Il doit pouvoir agir sur la situation et se créer un modèle implicite
guidant cette action. La situation en lui renvoyant de l’information doit lui permettre de juger
le résultat de son action et d'ajuster cette dernière.
Information
Action
Sanctions
Institutionnalisation
Le processus d’institutionnalisation a pour but de donner aux connaissances
éventuellement mobilisées par les élèves un statut de savoir culturel et social.
G. Brousseau15
précise que l'institutionnalisation porte aussi bien sur une situation
d'action, que sur une situation de formulation ou de preuve. Les maîtres doivent prendre acte
de ce que les élèves ont fait, décrire ce qui s'est passé et qui a un rapport avec la connaissance
visée, donner un statut aux événements de la classe comme résultat des élèves et comme
résultat de l'enseignant, assumer un objet d'enseignement, l'identifier, rapprocher ces
productions des connaissances des autres (culturelles ou du programme), indiquer qu'elles
peuvent resservir.
R. Douady et M.J. Perrin16
situe le processus d’institutionnalisation par rapport aux
aspects outil et objet d’un concept. Dans l'information traitée, l'enseignant choisit et expose,
avec les conventions en usage, ce qui est nouveau à retenir. Il fait le "cours". Ainsi,
l'enseignant a la charge de donner un statut aux concepts qui, jusque-là, sont intervenus
comme outils. Il constitue alors un savoir de classe auquel chacun pourra se référer.
Dévolution
Le processus de dévolution décrit l’ensemble de l’activité du professeur qui consiste à
amener l’élève à s’approprier le problème à résoudre, à mobiliser les connaissances
nécessaires et à assumer la responsabilité de la résolution. La dévolution17
est un élément
important du contrat didactique. Il ne suffit pas de "communiquer" un problème à un élève
14
Brousseau 1981, Problèmes de didactique des décimaux, Recherche en Didactique des mathématiques, vol 2.1. 15
Brousseau 1987 Angers 16
Douady, Perrin 1989 Educationnal Studies of mathematics Vol n°20 17
Brousseau 1987 Angers
Situation Sujet
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 87-
pour que ce problème devienne son problème et qu'il se sente seul responsable de le résoudre.
Il ne suffit pas, non plus, que l'élève accepte cette responsabilité pour que le problème qu'il
résout soit un problème "universel" dégagé de présupposés subjectifs. La dévolution ne porte
pas sur l'objet de l’enseignement mais sur les situations qui le caractérisent. C’est un
processus qui porte sur toutes les situations.
Le contrat didactique
Brousseau18
définit le contrat didactique comme le résultat de la négociation des
rapports établis explicitement et/ou implicitement entre un élève ou un groupe d'élèves, un
certain milieu et un système éducatif, aux fins de faire approprier aux élèves un savoir
constitué ou en voie de constitution.
Il précise cette définition en signalant un paradoxe : le contrat didactique est en fait
souvent intenable. Il met le professeur devant une véritable injonction paradoxale : tout ce
qu'il fait pour faire produire, par les élèves, les comportements qu'il attend, tend à priver ces
derniers des conditions nécessaires à la compréhension et à l'apprentissage de la notion visée :
si le maître dit ce qu'il veut, il ne peut plus l'obtenir.
Mais l'élève est lui aussi devant une injonction paradoxale : s'il accepte que, selon le
contrat, le maître lui enseigne les résultats, il ne les établit pas lui-même, et donc il n'apprend
pas les mathématiques, il ne se les approprie pas. Apprendre, implique pour lui de refuser le
contrat mais aussi d'accepter la prise en charge.
Donc l'apprentissage va reposer, non pas sur le bon fonctionnement du contrat, mais
sur ses ruptures.
Ingénierie didactique
Une ingénierie didactique se caractérise par un ensemble organisé de situations
d’enseignement qui vise non seulement l’apprentissage d’une notion mais l’étude des
conditions de cet apprentissage. Le chercheur l’a construit pour analyser comment les élèves,
en situation scolaire, apprennent la ou les notions visées par la recherche.
Variables de commande, variables didactiques
Une variable de commande est un élément de la situation qui peut être modifié par le
maître, cette variable est didactique quand un changement de valeur affecte la hiérarchie des
stratégies de solutions (par le coût, la validité, la complexité).
Les exemples sont divers :
- le matériel utilisé (ex: papier quadrillé, papier blanc en géométrie)
- le type de tâche (ex: tâche de constat ou de fabrication dans la comparaison de
collection d’objets au C.P.)
- la répartition des tâches (entre enfants, dans le temps, etc.)
- les contraintes de la tâche (ce qui est autorisé)
- la forme du travail (individuel, par groupes)
- la gestion du temps (le temps laissé aux élèves pour résoudre un problème permet
d'éliminer des procédures trop coûteuses en temps)
- la taille des nombres
Saut informationnel
18
Brousseau 1986 Recherche en Didactique des mathématiques vol 7.2.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 88-
Le saut informationnel désigne une augmentation importante de la valeur d’une
variable de commande nécessitant un traitement de l’information différent et entraînant un
éventuel changement de procédures et de performance.
Dialectique outil-objet
Concept outil/concept objet : R. Douady définit un concept mathématique comme ayant une
double nature d’outil et d’objet. Un concept est outil19
lorsque l'intérêt est focalisé sur l'usage
qui en est fait pour résoudre un problème ou poser des questions. Un concept est objet
lorsqu'il est considéré d'un point de vue culturel, qu'il a une place dans l'édifice structuré des
connaissances d'un moment reconnues socialement.
Dialectique outil/objet : R. Douady20
a construit des ingénieries didactiques basées sur une
dialectique faisant intervenir la double nature des concepts mathématiques visés par
l’enseignement. Il s’agit d’un processus cyclique organisant les rôles respectifs de l'enseignant
et des élèves, au cours duquel les concepts mathématiques jouent alternativement le rôle
d'outil pour résoudre un problème et d'objet prenant place dans la construction d'un savoir
organisé.
Un travail où interviennent de façon alternée et interactive les aspects outil et objet des
concepts doit permettre leur adaptation et leur réinvestissement dans des situations différentes
de celles qui les ont produits.
La théorie de la dialectique outil–objet est associée aux notions de cadres,
changements et jeux de cadres.
Cadre : un cadre est constitué des objets d'une branche des mathématiques, des relations entre
les objets, de leurs formulations éventuellement diverses et des images mentales que le sujet
associe à un moment donné à ces objets et à ces relations.
Changement de cadres : un changement de cadres est un moyen d'obtenir des formulations
différentes d'un problème qui, sans être nécessairement tout à fait équivalentes, permettent un
nouvel accès aux difficultés rencontrées et la mise en œuvre d'outils et de techniques qui ne
s'imposaient pas dans la première formulation.
Jeux de cadres21
: les jeux de cadres sont des changements de cadres provoqués à l'initiative
de l'enseignant, à l'occasion de problèmes convenablement choisis, pour faire avancer les
phases de recherche et évoluer les conceptions des élèves.
La dialectique outil-objet est créatrice de sens. Les jeux de cadres sont source de
déséquilibre ; la ré équilibration participe à l'apprentissage. Les jeux de cadres jouent un rôle
moteur dans l'une des phases de la dialectique.
Décontextualisation / Contextualisation
Il s’agit du processus visant à aller du particulier au général. En didactique des
mathématiques, ce terme est notamment utilisé pour désigner le processus qui vise à
généraliser le domaine de fonctionnement ou d’application d’une notion, à l’extraire du ou
des contextes particuliers dans lequel ou dans lesquels, elle a été rencontré pour lui donner un
statut plus général. La notion ne dépend plus du problème spécifique qu’elle permet de
résoudre mais prend place dans l’organisation des savoirs mathématiques. Inversement le
19
Douady, Perrin 1989 Educationnal Studies of mathematics Vol n°20 20
Douady, 1986, Recherche en Didactiques des Mathématiques Vol 7-2 21
Douady, 1986, Recherche en Didactiques des Mathématiques Vol 7-2
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 89-
processus de contextualisation revient à énoncer ou préciser un ou plusieurs problèmes
(contexte) que la notion permet de résoudre.
Le travail du professeur de mathématiques consiste dans un premier temps à
contextualiser le savoir visé par l’enseignement, par exemple en choisissant un problème qu’il
permet de résoudre puis dans un deuxième temps à généraliser le domaine de fonctionnement
de ce savoir en élargissant le domaine des problèmes qu’il permet de résoudre et en
décontextualisant progressivement le savoir en question.
Concept
G. Vergnaud22
définit ainsi le concept comme un triplet : un ensemble de situations,
qui donnent sens au concept ; un ensemble d'invariants opératoires, sur lesquels s'appuie
l'organisation de l'activité ; un ensemble de formes symboliques et langagières, qui permettent
de représenter les concepts et leurs relations avec l'action.
Champ conceptuel
G. Vergnaud23
définit un champ conceptuel comme un espace de problèmes ou de
situations-problèmes dont le traitement implique des concepts et des procédures de plusieurs
types en étroite connexion.
Schème
G. Vergnaud24
définit le schème comme une totalité dynamique fonctionnelle qui
organise le déroulement dans le temps et dans l'espace des gestes instrumentaux (...). Plus
précisément, c'est une organisation invariante de l'activité pour une classe de situations
définie. L'invariance caractérise l'organisation et non l'activité ; le schème n'est pas un
stéréotype ; il permet au contraire de traiter la contingence et la nouveauté, ce qui ne serait pas
le cas s'il s'agissait d'un stéréotype. S'adressant à une classe de situations, c'est un universel.
Pour étudier l'activité des individus (…), il est donc nécessaire d'identifier les différentes
catégories de situations auxquelles ils sont confrontés - même si les limites de ces catégories
ne sont pas hermétiques, ni rigoureusement définies.
Un schème comprend nécessairement quatre composantes : un but (ou plusieurs), des
sous-buts et des anticipations ; des règles d'action, de prise d'information et de contrôle, qui
s'avèrent décisives pour sélectionner l'information pertinente et générer les actions au fur et à
mesure ; des invariants opératoires, c'est-à-dire des théorèmes-en-actes (propositions tenues
pour vraies sur le réel) et des concepts-en-actes (concepts pertinents pour la construction de
ces théorèmes-en-acte) ; des possibilités d'inférence.
Que peut apporter l’expérimentation de situations à « fort potentiel adidactique » en vue
d’un enseignement en direction d’élèves présentant des troubles cognitifs ou du
comportement sur la viabilité de ces situations ?
(D. Butlen, P. Masselot)
22
Vergnaud 2002, La conceptualisation, clef de voute des rapports entre pratique et théorie, In Analyse des
pratiques et professionnalité des enseignants, Formation continue-Publications-Eduscol 23
Vergnaud 1981 24
Vergnaud 2002, La conceptualisation, clef de voute des rapports entre pratique et théorie, In Analyse des
pratiques et professionnalité des enseignants, Formation continue-Publications-Eduscol
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 90-
Cette contribution porte sur l'étude des conditions de mise en œuvre d'une situation à fort
potentiel adidactique dans le cadre d'un enseignement à des élèves (adolescents) présentant
d’importants troubles cognitifs et du comportement (en situation de handicap).
Nous inscrivons cette recherche dans le cadre de la double approche développée par Robert et
Rogalski (2002) reprenant notamment une démarche méthodologique prenant en compte
simultanément des éléments globaux (le projet de l’enseignant), locaux (les choix et
compromis quotidiens) et « micro » (les automatismes, routines et gestes professionnels).
Ainsi, pour analyser le déroulement de la séance, la gestion mise en œuvre par les
enseignants, nous croisons des éléments de la théorie des situations (Brousseau, 1987) avec
des résultats issus de nos précédentes recherches comme les notions de gestes et routines
professionnels (Butlen, 2004).
1. Gestes professionnels et routines
Nos recherches (Charles-Pézard, Butlen et Masselot 2012) portant sur les professeurs des
écoles enseignant en milieu difficile ou sur la formation des pratiques de professeurs des
écoles novices nous ont amenés à montrer que les gestes et routines correspondent à des
régularités inter personnelles partagées par un groupe de professionnels. Des niveaux
d’organisation de l’activité du professeur (finalisés par des buts et correspondant à des
tâches), permettant d’aborder la question du rapport existant entre routine et schème
(Vergnaud, 1990), sont ainsi mis en évidence. Les gestes professionnels (comme par exemple
écrire au tableau ou bien prendre de l’information à un moment donné sur un élève donné)
sont des techniques permettant au professeur de résoudre des types de tâches. Les routines
sont des ensembles de gestes finalisés par la résolution d’une tâche plus importante comme
par exemple la mise en œuvre d’une synthèse et/ou d’une institutionnalisation. Si plusieurs
gestes professionnels peuvent être mobilisés par des professeurs d’i-genres différents (voir ci-
dessous), les routines, elles, sont associées à un i-genre.
Un emprunt au cadre théorique de l’ergonomie cognitive (Clot, 1998, 1999) nous permet de
mettre en relation gestes et routines avec des genres de pratiques25
que nous avons par ailleurs
identifiés lors de l’observation sur un temps long d’une dizaine de professeurs des écoles
enseignant en ZEP26
. Ceci permet de montrer comment la cohérence des pratiques de
l’enseignant se révèle dans l’organisation de son activité au quotidien.
Les notions de geste et routine aident à préciser sur quelle part de l’activité de l’élève porte
l’activité du professeur. Des effets possibles sur les apprentissages des élèves peuvent ainsi
être mieux cernés.
2. Problématique particulière
Nous reprenons le terme de situation « robuste » pour désigner des situations à fort potentiel
adidactique, testées le plus souvent avec des élèves de classe « standard » et reproductibles
par un professeur relativement expérimenté. Afin de tester les conditions d’adaptation d’une
situation de ce type lorsque le public élèves change (ici un public relevant de l’éducation
spécialisée), nous étudions les gestes et routines particuliers associés notamment au processus
de dévolution27
mis en œuvre par des enseignants dans ce contexte nouveau. En effet dans ce
25
cf. chapitre 2.2 de ce collectif 26
Zone d’Education Prioritaire 27
« Le processus de dévolution décrit l’ensemble de l’activité du professeur qui consiste à amener l’élève à
s’approprier le problème à résoudre, à mobiliser les connaissances nécessaires et à assumer la responsabilité de
la résolution. La dévolution est un élément important du contrat didactique. Il ne suffit pas de "communiquer" un
problème à un élève pour que ce problème devienne son problème et qu'il se sente seul responsable de le
résoudre. Il ne suffit pas, non plus, que l'élève accepte cette responsabilité pour que le problème qu'il résout soit
un problème "universel" dégagé de présupposés subjectifs. La dévolution ne porte pas sur l'objet de
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 91-
dernier contexte, ce qui pourrait être considéré comme des bruits dans le cas d’un
enseignement à un public standard peut constituer des éléments décisifs pour la réalisation de
l’enjeu de la situation.
Ces analyses permettent d’autre part de mieux identifier la manière dont ces élèves restituent
et mobilisent des connaissances acquises précédemment et dans une situation différente. Nous
nous intéressons notamment aux connaissances qui, pour un public standard, sont considérées
comme disponibles (c’est-à-dire mobilisables sans « appel » explicite) plutôt que mobilisables
(avec appel explicite) (Robert, 1998).
C’est aussi l’occasion pour nous de préciser ce qu’un enseignant d’éducation spécialisée
considère comme légitime de demander à un élève et ainsi de mesurer les prises de risque (par
rapport aux mathématiques) qu’il accepte pour lui et aussi pour ses élèves.
3. Le contexte de la séance étudiée
3.1. Le contexte général de l'observation
Cette observation se déroule dans le cadre d'une action de formation continue destinée à des
professeurs des écoles enseignant en ASH, option D28
. Il s'agissait de travailler avec un
groupe de 6 à 8 professeurs se proposant de se présenter au CAPA-SH29
en candidat libre (en
attente d'une éventuelle inscription à la préparation mise en place par le rectorat de l’académie
de Créteil30
) et désireux de travailler plus particulièrement sur les mathématiques. Ces
professeurs des écoles volontaires s'engageaient à travailler dans leur classe en co-
intervention avec les animateurs du groupe sur les séances de mathématiques ou sur des sujets
qu’ils auraient eux-mêmes choisis. Le dispositif comporte deux types de situations. Des
apports des formateurs sur des progressions à mettre en œuvre suivis de débats et des
moments de compagnonnage individualisés basés sur la mise en œuvre et l’analyse de
situations avec les élèves de la classe du professeur concerné. La situation que nous analysons
dans cette contribution se place dans ce second type de situation de formation.
Une professeure du groupe exerçant en hôpital de jour (élèves présentant des troubles graves
du comportement nécessitant une hospitalisation dans un service psychiatrique) a demandé à
assister au déroulement d'une séance de résolution de problèmes basée sur un jeu. Son but
était d'observer ses élèves en train de résoudre un problème s’appuyant sur un jeu de stratégie.
En effet, cette enseignante hésitait à mettre en œuvre ce type d’activité et a donc demandé aux
formateurs encadrant le groupe d’animer la séance. Le jeu « qui dira 20 ? » a été choisi. En
sus d’un objectif de formation, notre objectif était de tester la résistance de ce type de
situation et les conditions de sa reproduction dans cet environnement scolaire particulier. Ici
deux éléments diffèrent par rapport aux conditions initiales d’expérimentation (Brousseau,
1987) : le nombre d’élèves (4 au lieu d'une vingtaine) et le public élève. Dans quelle mesure
ces élèves confrontés aux mêmes tâches et aux prescriptions mobilisent-ils des stratégies et
des connaissances identiques à celles mobilisées par un public standard ? Notamment, à
quelles conditions et jusqu’où ces élèves adoptent-ils une posture de joueurs ? Nous n'avons
pas pu tester l'ensemble de la situation mais seulement le début de celle-ci (familiarisation
avec le jeu, premiers éléments de stratégie).
l’enseignement mais sur les situations qui le caractérisent. C’est un processus qui porte sur toutes les
situations. » Brousseau 1987, Briand 1991. 28
L’option D regroupe dans le système français de l’éducation spécialisée les élèves présentant des troubles du
comportement et des troubles cognitifs. 29
Le CAPA-SH est l’examen qui, en France, est nécessaire pour enseigner dans l’éducation spécialisée, il faut
pour le présenter être auparavant professeur des écoles titulaire. 30
Préparation assurée par des formateurs de l’IUFM.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 92-
3.2. Le contexte particulier
3.2.a. La situation et la séance
La séance s'est déroulée en deux temps. Dans un premier temps, les élèves pendant environ
une demi-heure ont fait du calcul mental : compter/décompter, calcul de sommes, produits et
différences, jeu du loto numérique. Le but de ces activités de calcul mental est double, d’une
part revisiter certaines notions portant sur la numération des nombres entiers et sur différentes
écritures de ceux-ci, d’autre part enrôler les élèves dans une suite d’activités à caractère
mathématique dont la dernière a pour support un jeu de stratégie (cf. ci-dessous).
Un second temps a été consacré au jeu « qui dira 20 ? Nous ne présentons pas ici le détail du
jeu et la situation « qui dira 20 ? » élaborée par Brousseau. Il s'agit d'un jeu de Nym (jeu de
Marienbad) mettant en compétition deux joueurs A et B. Rappelons brièvement la règle du
jeu : « A dit 1 ou 2, B ajoute 1 ou 2 au nombre dit par A, il peut donc dire (2 ou 3 si A a dit 1
et 3 ou 4 si A a dit 2), puis A ajoute à son tour 1 ou 2 au nombre dit par B, etc. Le joueur qui
dit 20 a gagné. »
La stratégie gagnante relève de la division euclidienne. Pour la cible « 20 », elle consiste à
dire, à partir d’un moment donné, une suite de nombres du type 3k + 2 avec 0 < k < 6. En
particulier, pour être certain de gagner, le joueur doit avoir dit 17.
Toutefois la division euclidienne reste « cachée » dans la mesure où, pour une cible
relativement faible, une stratégie de type « soustractions successives » (ou décomptage de 3
en 3) s'avère pertinente.
Cette situation est ce que l'on peut appeler une situation « robuste » à fort potentiel
adidactique, au sens où son déroulement est fortement prévisible et aisément reproductible.
C'est notamment le cas de la situation adidactique à partir de laquelle la situation didactique
s'organise.
Rappelons seulement une de ses caractéristiques : le joueur perdant est susceptible
d'apprendre autant et voire plus que le joueur « gagnant » en termes de stratégie.
3.2.b. Les élèves
Quatre élèves psychotiques participent à l'ensemble de la séance :
• Alex, considéré par la professeure comme le meilleur élément du groupe du point de
vue des apprentissages.
• Yol, un élève un peu plus âgé que les autres mais qui présente de grandes difficultés
pour s'exprimer et communiquer avec ses pairs.
• Yvan et Mano, deux élèves qui se situent, d’un point de vue scolaire, à des niveaux
intermédiaires entre les deux élèves précédents.
Lors de la première partie de la séance, consacrée au calcul mental, tous les élèves peu à peu
entrent dans l'activité, notamment Yol qui participe et réussit bien mieux que prévu lors du jeu
de loto numérique. Ce constat confirme nos fréquentes observations sur les possibilités
d'enrôlement plus grandes de ces élèves dans des activités de calcul mental. Nous renvoyons
le lecteur à d'autres articles sur ce thème (Butlen 2007).
3.2.c. Le(s) professeur(s)
D'un commun accord, le chercheur et formateur (CF) qui assure principalement le rôle de
professeur, présente le jeu et conduit sa mise en œuvre. Toutefois, les autres collègues, la
professeure de la classe (P) et la conseillère pédagogique de la circonscription (CP), peuvent
intervenir quand elles le jugent nécessaire pour éclairer, compléter ou étayer les interventions
du principal intervenant.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 93-
4. Analyse du déroulement de la séance
4.1. L'objet de l'analyse
Nous analyserons cette séance selon trois points de vue : le point de vue des fonctions
d’étayage et des conditions de l’activité, celui de la situation, robustesse, conditions de
fonctionnement spécifiques, conditions d'apprentissage, et celui de l'activité du professeur
(CF), gestes et routines mis en œuvre notamment.
Ces points de vue sont complémentaires car ils apportent des regards différents sur les
rapports enseignement/apprentissage dans ce contexte particulier.
Si on adopte le point de vue des fonctions d’étayage et des conditions de l’activité, on peut
par exemple s'intéresser à la spécificité du public et notamment au risque de voir à tout
moment survenir une « crise » dans la mesure où des élèves psychotiques sont amenés à
rentrer en compétition puis à dépasser celle-ci en vue d'un apprentissage méthodologique :
élaborer, tester et valider une stratégie gagnante. La gestion de ces éventuelles crises nécessite
d'en repérer les éléments déclencheurs.
Nous nous centrons dans cette contribution sur l'analyse de la situation, des variables en jeu,
des conditions de gestion propres au public élève concerné et des gestes et routines du
professeur mis en évidence à cette occasion, notamment ceux permettant l’enrôlement des
élèves et la dévolution de la situation.
4.2. Les analyses
4.2.a. La mise en place du jeu « Qui dira 20 ? »
La règle du jeu est expliquée aux élèves oralement et grâce à une double simulation. Dans un
premier temps, CF et CP ébauchent un début de jeu. Dans un second temps, Mano et Yol, à la
demande de CF, finissent la partie.
Les élèves vont ensuite jouer deux par deux quatre parties (cinq en cas d'égalité), les deux
gagnants se rencontreront ensuite ainsi que les deux perdants.
4.2.b. Le binôme Yvan-Alex
Nous nous intéressons plus particulièrement à deux élèves Yvan et Alex. Notre expérience de
ce public en tant que formateur nous amène à penser que la différence de niveaux cognitifs de
ces deux élèves et leur rapport aux interactions entre pairs sont très emblématiques de ce type
d’élèves.
Yvan gagne les deux premières parties. Voici ce que les deux élèves ont respectivement
proposé :
L'analyse des deux premiers jeux
Le premier jeu31
Yvan Alex
1 2
3 4
6 8
10 12
14 16
31
Nous avons signalé les nombres du noyau du jeu formulés dans chaque partie en caractère gras
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 94-
17 18
20
• Le deuxième jeu
Alex Yvan
2 4
6 8
10 12
13 14
16 17
18 20
Nous voyons que, dans les deux cas, Yvan joue les deux derniers termes du noyau gagnant du
jeu (17 et 20). S’il est difficile de statuer sur la proposition du nombre 14 qui pourrait être le
résultat d’une toute autre stratégie (stratégie qui consisterait à ajouter 2, ou à énoncer un
nombre pair, voire relever du hasard), plusieurs indices laissent penser qu'il n'en est pas de
même pour 17 qui a été repéré (au moins au second jeu) comme gagnant. En effet, dans les
deux premiers jeux, il semble s'apercevoir qu'il ne pourra pas dire 17 mais 18 et exprime son
mécontentement « Oh non pas deux ! ».
La professeure (P) qui suit plus particulièrement ce binôme rappelle à Yvan qu'il peut jouer
1 :
P : Ben tu peux en ajouter que un si tu veux
CF : Tu peux rajouter un si tu veux !
Cette intervention du professeur rappelant la règle du jeu permet à Yvan de jouer 17, nombre
qui doit lui assurer la victoire. Nous pouvons penser que Yvan hésite en effet entre une
stratégie consistant à ajouter le plus systématiquement possible 2 et celle qui consiste à
énoncer le nombre 17 quand c’est possible. Notons que l’intervention de la professeure est ici
importante car elle autorise Yvan à privilégier la seconde stratégie. Il n’est pas certain qu’il
l’aurait fait sans cela. On peut interpréter cette intervention comme une aide relevant de ce
que Bruner dénommait le maintien de l’orientation (Bruner 1983).
Les deux victoires successives d’Yvan amènent Alex, élève occupant régulièrement la
position de leader cognitif, à manifester sa déception.
Alex manifeste sa déception : Alex : Ah non, je déteste jouer sur du papier, c’est nul !
P : Ah ça y est …c’est (inaudible) si Alex perd c’est que c’est forcément nul !
CF : ah bon là c’est toi qui avais gagné
P : Non c’est Yvan
CF : et ici c’était Alex
P : non c’est Yvan aussi
CF : Ah ! Ben dis donc
P : Attention Alex, il faut que tu réfléchisses.
CF : Attention Alex
Alex manifeste une gestuelle spécifique, marque de sa mauvaise humeur.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 95-
P : … il ne faut pas que tu mettes n’importe quel nombre
CF : Tu peux commencer Alex. C’est ton tour.
P : Allez c’est parti !
Mano : C’est un jeu
P : Oui c’est un jeu
CF : Ah oui c’est un jeu. C’est un jeu où il faut savoir jouer…
Al : oh non c’est pas un jeu c’est un ragnagna
P : Oui parce qu’Alex quand il perd, le jeu doit être forcément nul…
Rires P : C’est un mauvais perdant
Alex: Non !
P : Si
Alex: non !
La professeure s'assure donc que les deux élèves restent dans le jeu en rappelant des règles de
convivialité.
• Le troisième jeu
Alex gagne :
Alex Yvan
1 2
3 4
5 6
8 10
12 14
16 18
20
Lors de cette partie, Yvan ne semble pas réinvestir le constat vraisemblablement fait à la
partie 2. Il énonce 18 à la suite de l’énonciation du 16 au lieu de 17. Plusieurs interprétations
sont possibles. Yvan peut avoir été pris par une stratégie d'ajout systématique de 2 au nombre
précédemment énoncé (6-8-10-12-14-16-18) et peut ne pas s'être autorisé à rompre cette suite
car la professeure n'intervient plus pour le lui permettre comme elle l’a fait au jeu précédent.
Il peut aussi ne pas avoir réinvesti le constat précédent, ne capitalisant pas l'acquis d'un jeu sur
l'autre. Enfin, il peut tout aussi bien avoir été distrait ou bien encore vouloir laisser gagner son
partenaire.
Nous n'avons pas à ce stade assez d'information pour conclure.
• Le quatrième jeu
Yvan Alex
1 2
4 6
8 10
12 14
16 17
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 96-
18 20
Yvan : C’est moi qui commence
Alex : Ben si tu gagnes encore un jeu tu gagnes. Mais si je gagne encore un jeu on
sera à égalité
CF : Ben on fera une dernière partie pour savoir qui gagne.
P : Allez concentre-toi bien, Yvan
CF : Allez !
Alex et Yvan, tour à tour, inscrivent les nombres. CF : Ah non, (s’adressant à Yvan), tu as rajouté combien là ?
Yvan : trois
CF : ah non ! Tu ne peux rajouter que un ou deux
Les élèves continuent. Alex écrit 17 sur la feuille. Yvan : Non !!!
Changement de mimique… Yvan s’adresse à P du regard puis il manifeste son
mécontentement : Yvan : Parce qu’on préfère faire un + un …
P : Ben oui ben c’est comme ça
Alors qu’Yvan est visiblement mécontent Alex termine.
Le déroulement de ce jeu montre bien qu’Yvan a compris qu'il ne fallait pas laisser
l'adversaire dire 17. De même, Alex a fait le même constat à la partie précédente. Cela nous
amène à penser autrement l'échec précédent d’Yvan et le succès d'Alex.
Le succès d'Alex
Il semble qu'Alex ait profité pleinement de sa position de joueur perdant lors des deux
premières parties. S'il continue à jouer (comme Yvan) en privilégiant un peu un ajout de 2 au
nombre précédemment énoncé, il a repéré en observant le jeu de Yvan que 17 est un passage
assurant la victoire. La situation fonctionne avec cet élève (et dans une certaine mesure avec
le binôme Yvan/Alex) comme avec un public « ordinaire » d'élèves.
Les remarques précédentes montrent que Yvan a, dès la fin du premier jeu, perçu le rôle de
17. En termes de stratégie, les deux élèves semblent donc très proches. Ils privilégient un peu
l'ajout de 2 au nombre précédemment énoncé tout en préférant le plus souvent les nombres
pairs et s'adaptent si possible au jeu pour pouvoir à l'avant-dernier coup dire 17 :
1-2-3-4-6-8-10-12-14-16-17-18-20
2-4-6-8-10-12-13-14-16-17-18-20
1-2-3-4-5-6-8-10-12-14-16-18-20
1-2-4-6-8-10-12-14-16-17-18-20
L'échec d’Yvan :
Cet échec peut alors s'expliquer autrement. Certaines phrases prononcées par la suite (voir
plus loin) nous laissent penser qu'il a pu laisser gagner Alex au troisième jeu, sans doute parce
qu'il reconnaît en celui-ci un sujet meilleur élève que lui-même. Il est également possible qu'il
se soit désintéressé ponctuellement du jeu ou bien encore qu'il pense que c'est au tour d'Alex
de gagner.
Dans tous les cas, pour des raisons sociales (respect d'une hiérarchie cognitive ou convivialité
ou désinvestissement passager), Yvan rompt avec une logique de joueur qui cherche à gagner
(indispensable pour le fonctionnement de la situation adidactique). Cette rupture est passagère
car, comme nous le verrons plus loin, il attend en retour au quatrième jeu la même attitude de
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 97-
la part d'Alex ; ce qui n'est pas le cas car ce dernier a profité de ce « cadeau » pour apprendre
à jouer, c’est-à-dire repérer le statut du 17 et le réinvestir efficacement dans le quatrième jeu.
Cette rupture dans la logique des joueurs et la non réciprocité du geste d’Yvan par Alex crée
une situation de crise chez Yvan qui va manifester son désarroi et sa douleur.
Yvan tape sur la table… se manifeste de plus en plus et se met à pleurer. CF : (s’adresse à M et Yol) Vous pouvez en faire une autre en attendant qu’ils aient
fini.
P : Tu ne vas pas nous faire ton cinéma hein
Yvan continue à se manifester, se donne des tapes sur la joue. Visiblement
malheureux.
Les professeurs ont des réponses très différentes à cette étape du jeu pour limiter la crise.
CF, chercheur, restant neutre par rapport au jeu et ne voulant pas intervenir sur l'évolution des
stratégies des élèves, essaie d'arrêter la crise de larmes en disant que ce sera le cinquième jeu
qui fera la différence entre les deux joueurs. Ce qui ne semble pas suffire.
P, professeure de la classe, habituée à ce type de manifestations de la part d’Yvan, intervient
sur un tout autre plan en lui disant d'arrêter « son cinéma ». Il semble effectivement que la
crise d’Yvan ne soit qu'en grande partie superficielle (ce qui reste toutefois à vérifier).
CP prend la décision de faire constater à Yvan les raisons du succès d'Alex. Ce dont Yvan est
d'ailleurs conscient :
CP : (s’adressant à Yvan) Qu’est-ce que tu aurais pu faire là ? Pour éviter ça ! Au
lieu de mettre seize il aurait fallu que tu mettes combien ? Regarde !
Yvan : lui pas dix-sept
CP : Oui. Lui, il a fait attention. Mais toi avant tu aurais pu faire attention à quoi ?…
Au lieu de mettre seize ?
Alex : Mais Yvan arrête de chouiner… t’es pas un bébé !
CP : Tiens regarde. Lui il a mis quatorze...
Yvan : pas contre Alex !
CP : Mais regarde, vous êtes ex aequo. Avec Alex, vous êtes ex aequo. Vous allez en
faire un troisième pour pouvoir gagner. Alors justement, réfléchis…
Ce retour au déroulement du jeu amène d'ailleurs Yvan à donner la raison de son désarroi :
Yvan : Il me laisse pas gagner
CP : On ne te laisse pas gagner. Parce que toi tu l’as laissé gagner ?
Yvan : Une fois
CP : Ben oui mais tu n’aurais pas dû !
Yvan : à cause du…
(…)
CP : Yvan, est-ce que tu veux que je t’aide pour que tu essaies de comprendre
pourquoi tu as perdu ?
Yvan : Parce que il...(sanglot).... pas laissé gagner
CP : Oui mais. Avant tu aurais pu faire quelque chose. (Elle reprend la feuille de jeu)
Regarde. Là il y avait douze et deux quatorze. Toi tu aurais pu mettre combien à la
place…
Yvan : inaudible
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 98-
CP : Non tu aurais pu mettre autre chose : quatorze, tu aurais pu mettre quinze.
Après avoir formulé ces éléments d'explication, CP demande aux deux élèves de jouer le
cinquième jeu :
CP : Allez on fait la finale là... tous les deux, Yvan et Alex.
Yvan : Je veux pas commencer
CP : Tu ne veux pas commencer. D’accord. Allez c’est Alex... c’est parti. C’est Alex
qui commence.
La professeure (P) à cette occasion revient sur l'attitude d’Yvan :
P : Allez tu arrêtes Yvan. Tu sèches tes larmes.
Yvan chouinant toujours mais se remettant au jeu néanmoins. P : Dis donc, ça fait combien de temps que tu ne m’as pas fait ça en classe là ?
Yvan : Il faut pas n’importe quoi
Tout au long du jeu, les professeurs essaient chacun à leur tour d'amener les élèves,
notamment Yvan, à reprendre une posture de joueur :
CP : Oui mais là tu es déconcentré
CF : Attention…
CP : Concentre-toi
(...)
Alex :
Yvan : inaudible
CP : réfléchis
Yvan : faut faire attention hein
CP : Oui faut faire attention.
P : Bien attention.
• Le cinquième jeu
Alex Yvan
1 2
4 6
8 10
11 12
14 15
17 18
20
On peut penser qu’Yvan et Alex essaient d'adapter leurs stratégies pour pouvoir dire 17.
Toutefois, Alex abandonne plus vite que Yvan l'ajout de 2 et le recours à un nombre pair, ce
qui l'amène dès le troisième coup, à citer la suite des nombres « noyau du jeu » 8-11-14-17-
20, sans doute implicitement au moins pour 8 et 11. Ce qui lui assure la victoire.
On peut donc dire que Yvan et Alex bénéficient tous les deux mais inégalement de
l'expérience des jeux précédents et des interactions. L'intervention de CP ci-dessus semble
donc relativement efficace mais insuffisante pour amener Yvan à combler son retard par
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
- 99-
rapport à Alex. Cette intervention est trop ponctuelle pour dénouer la tension que subit Yvan.
En revanche, elle fonctionne bien pour Alex qui n'était pas directement visé.
Alors qu'Alex manifeste son contentement, Yvan va à nouveau connaître un moment de
désarroi et regretter encore sa bienveillance dans les jeux précédents :
P : Bien attention
Alex marque un nombre (17 ?) et sourit à la maîtresse. P : Là Alex a été très malin.
Yvan bougonne... inaudible P : Fallait pas laisser gagner Alex une fois.
Yvan pleure à nouveau P : Ben oui c’était gentil
Alex (se lève, visiblement satisfait) : Yes !
(…)
P : (à Yvan qui pleure) Bon arrête s’il te plaît !
CF : Yvan tu vas jouer contre Yol. Et Alex va jouer contre Mano. Ce n’est pas fini !
Yvan ne se calme pas.
CP : Ce n’est pas fini. Tu vas voir. Tu vas pouvoir te rattraper.
Yvan ne se calme toujours pas. P : Bon ben tu vas sortir.
Yvan : Non !
P continue, essaie de le calmer en lui parlant en aparté. Gestuelle enveloppante (elle
l'entoure de ses bras, au niveau de l’épaule) P : Ben tu vas jouer contre Yol
P : Bon tu laisses tomber. Tu sors.
Yvan : Non…
P : Bon tu vas t’assoir à côté de Yol. Et tu ne le laisses pas gagner.
Alex : Allez, sèche tes larmes. Sèche tes larmes … tu as encore une chance Yvan
Pour arrêter la crise, CF propose à Yvan de jouer contre lui, CP renchérit en proposant de
s'associer contre CF. Yvan refuse ces alternatives mais ne veut pas quitter la partie et accepte
de jouer contre le perdant du second binôme.
Pour ce binôme, tout s'est bien déroulé contrairement aux craintes manifestées en amont par
l'enseignante. En effet, celle-ci était davantage préoccupée par l'attitude éventuelle de Yol que
par celle d’Yvan. Yol a manifesté un grand investissement pour le jeu, abandonnant son
attitude habituelle qui consiste à se tenir plutôt en retrait et à craindre les interactions avec ses
pairs.
Le règlement de la crise
C'est P qui va improviser et trouver les mots et les gestes nécessaires pour dénouer la crise et
faire revenir Yvan dans la partie. Elle mobilise divers outils. Elle va s'adresser en particulier à
Yvan en travaillant sur la stratégie du jeu, en la reformulant à sa place et en étayant son jeu
(durant le premier jeu de la partie contre Yol). Elle l'amène aussi à revenir sur son jeu après
coup, à le repenser en étayant ses formulations, voire en formulant à sa place mais sans
apporter d'éléments nouveaux. De plus, durant le jeu, elle l'encourage et s’assure de sa
concentration. Parallèlement à cela, elle va adopter une attitude sécurisante déjà amorcée plus
haut, en mettant en œuvre une gestuelle « enveloppante » : elle tient Yvan par l'épaule, lui
parle doucement, le sécurise.
P s’accroupît auprès de Yvan : Bon et tu arrêtes de pleurer parce que sinon tu ne vas
pas gagner hein.
Yvan : des erreurs
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100-
P : Ce ne sont pas des erreurs Yvan. C’est un jeu ; écoute.
P : Tu es capable de supporter ça hein !
P : ça ne peut pas marcher à tous les coups
P : Un ou deux tu choisis. Voilà ! Concentre-toi !
Alex : Et voilà ! (Alex vient de remporter la première partie contre Ma)
P : Tu vois il n’y a pas que toi qui perd contre Al.
(...)
CF : Attention ! Concentre-toi bien ; il a mis quinze (pointant sur la feuille de jeu le
nombre que vient de marquer Yol :.) Qu’est-ce qu’il faut faire pour être sûr de
gagner ?
Yvan marque seize
(...)
P : regarde ce que tu aurais pu faire là. Tu as écrit seize. Tu aurais mis dix-sept. C’est
toi qui prenais la main. Concentre-toi et réfléchis. Là tu n’es plus dans ton…
(...)
P : Allez. Qui a commencé tout à l’heure ?
Yol : moi
P : C’est toi qui as commencé, donc à Yvan de commencer.
(...)
P : Concentre-toi. Allez. Tu perds, tu perds… forcément si tu ne fais pas attention.
(...)
P : Ce n’est pas magique, hein !
(...)
Yvan : mais pas dix-sept
P : C’est celui qui met dix-sept qui gagne.
Yvan : Il a perdu…
(...)
P : Est-ce que tu as remarqué qu’à chaque fois que tu joues, c’est celui qui écrit le 17
qui gagne ? Pourquoi ? Parce que
Yvan : dix-huit
P : Parce que... dix-huit et tu as perdu. Et dix-neuf aussi … parce que qu’on mette dix-
huit ou qu’on mette dix-neuf c’est forcément... ce qu’il faut c’est que tu essaies de... là
regarde. Yol a écrit « 14 » toi tu as écrit
Yvan : quinze
P : Quinze. … ben non on ne peut pas mettre dix-huit ou dix-neuf... Allez on ressaye !
La suite de la partie montre que cet ensemble de décisions prises à chaud et les gestes qui
accompagnent leur mise en œuvre s'avèrent efficaces. En effet, Yol et Yvan vont s'investir à
nouveau dans la partie, affiner leur stratégie et terminer à égalité. Alex restera le vainqueur car
il gagnera contre Ma.
5. Discussion
Rappelons les trois points de vue adoptés pour conduire notre analyse de la séance : celui de la
situation (robustesse), celui de l’activité du professeur : gestes et routines de gestion
notamment et celui lié aux fonctions d’étayage. Ces points de vue sont complémentaires et
étroitement liés. Il est en effet difficile d’étudier l’activité des élèves et notamment le
fonctionnement de leurs connaissances sans prendre en compte les conditions de ce
fonctionnement et donc sans considérer la situation ou de l’activité du professeur.
5.1. La situation
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101-
L'analyse précédente nous renseigne sur le fonctionnement de ce type de situation. Elle
montre qu’une telle situation (du moins le tout début de celle-ci) peut fonctionner
collectivement avec le public relevant de l'ASH, option D, mais ne fonctionne pas
systématiquement pour chaque élève. Nous avons pointé des raisons possibles de
dysfonctionnements. Elles trouvent leur source dans une tension qui marque profondément
l’enseignement à ce type d’élèves et plus largement l’enseignement dans le secteur de
l’éducation spécialisée. Le professeur doit en effet faire se rencontrer l’itinéraire cognitif
collectif proposé aux élèves et les parcours et cheminements cognitifs personnels de chaque
élève. Cette rencontre passe notamment par des enrôlements et des négociations locales.
Les connaissances mobilisées dans ce début de mise en œuvre de la situation sont très
contextualisées. A ce stade, la stratégie gagnante consiste pour le joueur à jouer dans le noyau
du jeu (constitué des nombres n tels que n= 3k +2 avec k < 6) ; il lui suffit d’ailleurs
seulement de jouer 17 pour s’assurer de la victoire. Cette stratégie est très liée à l’action, elle
peut rester implicite. Pour acquérir une certaine pérennité, elle doit devenir explicite. Si elle
reste implicite, elle risque de ne pas être distinguée d’autres stratégies. C’est le cas notamment
de celle consistant à ajouter systématiquement deux au nombre précédemment dit. De plus, le
risque existe de la voir s’effacer devant d’autres contraintes notamment sociales comme cela a
été le cas pour Yvan. La prise de conscience du caractère nécessaire de la stratégie nécessite
donc une formulation. Ainsi, Yvan, abandonnant une posture de joueur, ne peut ensuite
bénéficier de l'expérience des jeux précédents, ne réinvestit pas les constats effectués et se
retrouve en situation de « décrochage » (local). Non seulement, il ne finalise pas pour lui-
même, les apprentissages amorcés mais il peut contribuer à une désaffection collective. On
peut penser qu’Yvan ne perçoit plus la situation comme une situation dont le but est
l’apprentissage d’une stratégie mais la vit (du moins pendant le troisième jeu) comme une
situation réglée par des contraintes essentiellement sociales (respect d’une certaine hiérarchie
entre élèves).
Dans le scénario initial élaboré par Brousseau, cette explicitation est assurée par la situation de
formulation. Elle s’organise notamment autour de plusieurs moments : formulations plutôt
spontanées (s’étalant sur plusieurs jours) par des élèves lors de la situation d’action d’éléments
de la stratégie (notamment liés au nombre 17), diffusion de ces derniers lors d’un jeu par
équipe et enfin production d’énoncés lors d’un « concours des propositions ». Ce déroulement
nécessite un enrôlement dans la durée des élèves et un temps beaucoup plus long. Ces
conditions ne peuvent être réalisées lors de notre mise en œuvre car dès le troisième jeu, Yvan
et Alex rendent improbable un tel déroulement. Le professeur doit alors organiser autrement
l’explicitation.
Dans l’action, trois solutions sont envisagées pour mettre en place une situation de
formulation. La première, proposée par CF, consiste à rester dans le cadre la situation
adidactique. Il parie sur une explicitation, résultat d’une prise de conscience par le joueur
(Yvan) de la stratégie gagnante mobilisée par un joueur performant (CF lui-même). Pour cela,
il lui propose de jouer contre lui. La deuxième stratégie rapidement amorcée par CP consiste à
provoquer l’explicitation en proposant à Yvan de s’associer avec lui pour jouer contre un
« bon joueur » (CF). Ces deux premières alternatives sont immédiatement rejetées par Yvan.
La dernière alternative, si on exclut un abandon momentané de la situation, consiste pour le
professeur à prendre en charge une partie de l’explicitation. Nous l’avons décrite ci-dessus,
c’est la solution retenue par la professeure P.
5.2. L’activité du professeur, la mise en œuvre de fonctions d’étayage
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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102-
La professeure mobilise à cette occasion des connaissances issues de son expérience
professionnelle et de sa connaissance32
des élèves. Elle met en œuvre un ensemble de gestes
professionnels qui lui permet non seulement de résoudre la crise provoquée par Yvan mais
aussi d’assurer la poursuite du travail en cours, et de maintenir l’enrôlement de tous les élèves.
Nous pouvons interpréter cette initiative comme un « incident critique » (Roditi, 2005),
révélateur d’une tension entre ce que la professeure juge légitime d’exiger de ses élèves (point
de vue éthique) et ce que son expérience professionnelle et l’évaluation des compétences de
ces élèves pourraient lui permettre d’exiger. En effet comme nous l’avons déjà signalé ci-
dessus, prenant en compte les troubles de comportement manifestés par ses élèves, P hésite à
les engager dans une situation de compétition entre pairs. En revanche, certains de ses propos
montrent qu’elle estime Yvan susceptible de surmonter ces difficultés et ce grâce à la routine
d’étayage décrite ci-dessus :
P : Ce ne sont pas des erreurs Yvan. C’est un jeu ; écoute.
P : Tu es capable de supporter ça hein !
P : ça ne peut pas marcher à tous les coups
P : Un ou deux tu choisis. Voilà ! Concentre-toi !
Cet incident nous semble critique car non seulement il nous renseigne sur la viabilité de ce
type de situations mais aussi sur les possibilités de développement professionnel de la
professeure. Ainsi, une prise conscience de cette tension pourrait lui permettre de dépasser
cette tension.
D’autres analyses restent toutefois nécessaires pour confirmer cette hypothèse, notamment
celles portant sur l'identification des gestes et routines professionnels mis en œuvre lors de la
gestion de la situation et des éventuelles crises qui peuvent survenir.
Nous avons vu que la professeure de la classe (et pour une moindre part, la conseillère
pédagogique) ont construit des routines qui dépassent largement le cadre des seules
mathématiques ; en effet, leur mise en œuvre nécessite des savoirs sur les élèves, sur leur
pathologie ou leur handicap, sur le groupe d’élèves et sur leurs compétences en termes
d'interactions.
Un geste important semble être celui qui vise une des fonctions d’étayage : le maintien de
l’orientation. P intervient plusieurs fois dans ce sens, sans doute insuffisamment lors de la
partie entre Yvan et Alex, mais efficacement lors de celle entre Yvan et Yol.
De même, P se révèle la plus efficace des trois adultes animant la séance pour gérer la crise
provoquée par Yvan. Elle met en œuvre une routine alliant plusieurs gestes : discours dirigé
prioritairement à Yvan, formulation et explicitation d’éléments de la stratégie gagnante, voire
d’institutionnalisation locale, maintien de l’orientation, gestuelle sécurisante. Elle décide
même de ne faire disputer qu’un nombre pair de parties entre les « perdants » afin de clore le
jeu en attribuant une place de troisième à chacun.
Toutefois, cette routine reste marquée par les mathématiques et les contenus travaillés comme
le montrent les limites (hésitations) des interventions de l'enseignante de la classe. Ainsi, elle
semble rencontrer des difficultés pour identifier les éléments de la stratégie des joueurs,
notamment pour optimiser cette stratégie et adapter son intervention en fonction. Toutefois,
nous pensons que ce ne sont pas l’acquisition des gestes et routines nécessaires à la gestion de
la crise décrite ci-dessus qui interdisent à l’enseignante (P) de mettre en œuvre des jeux de
stratégies mais plutôt des conceptions éthiques très générales.
Ainsi, P n’osait pas mettre en œuvre de telles situations pour essentiellement deux raisons
liées à une prise de risque. Prise de risque pour les élèves d’une part qui renvoie à une certaine
32
Connaissance que ne possèdent pas CF et CP.
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103-
éthique : elle s’interroge sur le droit du professeur à enclencher des crises comme celle décrite
ci-dessus. Prise de risque pour le professeur qui n'est pas certain de savoir gérer les crises
éventuellement provoquées par ce type d’activité. La prise de conscience de l’existence de ces
routines grâce à leur identification et leur explicitation par le chercheur peut permettre à cette
enseignante d’interroger les choix qui ont été les siens. Cela peut notamment contribuer à une
meilleure évaluation des risques accompagnant la mise en place et la gestion de ce type de
situations et ainsi élargir les marges de manœuvre de l’enseignant.
Notons à ce propos qu'entrer par la nature des troubles (psychotiques, autisme ou trisomie…)
ne peut suffire. Il est indispensable de s'appuyer aussi sur une analyse didactique des
conditions de l'apprentissage : dévolution et enrôlement, variables assurant ou non le
fonctionnement de la situation adidactique, etc.
Conclusion
Ainsi, lors d'une formation, il nous semble important d’adopter une approche holistique
mettant en relation divers points de vue. Ainsi il peut s'avérer profitable de prendre en compte
les pratiques adaptatives des éducateurs/enseignants dans les structures spécialisées, de leur
faire expliciter ce qu’ils perçoivent afin de faire émerger des conceptualisations-en-acte
(Vergnaud, 1996) de manière à enrichir les catégories de lecture fournies par des
nosographies médico psychologiques.
En étroite relation avec une analyse didactique fine de la situation, on peut également se livrer
à une analyse du profil des différents élèves en jeu, de ce qui se joue pour eux dans la séance.
Des études de cas comme ceux d’Yvan ou de Alex seraient particulièrement intéressantes
pour anticiper sur la gestion de la séance étudiée ici.
Enfin, pour être efficace, il nous semble important d’exemplifier ces études par des exemples
d’incidents critiques du type de celui que nous venons de présenter, incidents vécues par le
professeur ou par l’un de ses pairs.
Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté
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