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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté - 1- Une approche didactique de l’enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté (Denis Butlen, IUFM de l’Académie de Versailles, Université de Cergy-Pontoise) INTRODUCTION Ce cours a pour but de présenter une synthèse de recherches menées notamment par une équipe de chercheurs regroupés dans le Laboratoire de Didactique André Revuz (Universités de Cergy-Pontoise et Denis-Diderot) sur l’enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté. La plus grande part de ces recherches porte sur un public d’élèves encore scolarisé dans le cursus normal de l’école primaire et du début du collège. Certaines ciblent plus particulièrement les élèves en difficulté scolarisés en ZEP et issus de milieux socialement défavorisés. D’autres concernent l’enseignement des mathématiques à des élèves présentant des troubles importants des fonctions cognitives. Ce cours comporte trois parties complémentaires. Une première partie concerne des résultats de recherche portant sur l’enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté. Ils ont été établis dans le contexte spécifique de l’enseignement du calcul mental et de la résolution de problèmes. Une deuxième partie est centrée sur des recherches portant sur les pratiques de professeurs des écoles enseignant les mathématiques dans des établissements de ZEP scolarisant des élèves issus de milieux socialement très défavorisés. Enfin une troisième partie concerne plus spécifiquement le public de l’ASH et porte notamment sur la question de l’adaptation pour un enseignement à des élèves présentant des troubles des fonctions cognitives ou du comportement de situations « robustes » et à « fort potentiel adidactique » conçues initialement pour des élèves du cursus normal. Dans la première partie, nous commençons par présenter quelques résultats de recherche visant à dresser un profil quantitatif et surtout qualitatif d’un élève en difficulté en mathématiques. Dans un deuxième temps, nous présentons des recherches, menées par Denis Butlen et Monique Charles-Pézard, centrées sur l’enseignement d’un contenu particulier : le calcul mental et la résolution de problèmes et portant plus spécifiquement sur les élèves en difficulté. Une seconde partie est consacrée à des recherches portant sur les pratiques de professeurs des écoles enseignant les mathématiques dans des écoles de ZEP scolarisant des publics socialement très défavorisés. Deux recherches sont abordées. Une première recherche, s’appuyant sur l’observation plutôt « naturelle » (c’est-à-dire très peu participante) d’une première cohorte de dix professeurs des écoles (débutants ou expérimentés) pendant deux années successives, a débouché sur la mise en évidence de contradictions marquant profondément leurs pratiques. La manière dont les enseignants observés gèrent ces contradictions et investissent les marges de manœuvre qui leur restent constituent des

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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Une approche didactique de l’enseignement des mathématiques à des élèves en difficulté

(Denis Butlen, IUFM de l’Académie de Versailles, Université de Cergy-Pontoise)

INTRODUCTION

Ce cours a pour but de présenter une synthèse de recherches menées notamment par une

équipe de chercheurs regroupés dans le Laboratoire de Didactique André Revuz (Universités

de Cergy-Pontoise et Denis-Diderot) sur l’enseignement des mathématiques à des élèves en

difficulté. La plus grande part de ces recherches porte sur un public d’élèves encore scolarisé

dans le cursus normal de l’école primaire et du début du collège. Certaines ciblent plus

particulièrement les élèves en difficulté scolarisés en ZEP et issus de milieux socialement

défavorisés. D’autres concernent l’enseignement des mathématiques à des élèves présentant

des troubles importants des fonctions cognitives.

Ce cours comporte trois parties complémentaires.

Une première partie concerne des résultats de recherche portant sur l’enseignement des

mathématiques à des élèves en difficulté. Ils ont été établis dans le contexte spécifique de

l’enseignement du calcul mental et de la résolution de problèmes. Une deuxième partie est

centrée sur des recherches portant sur les pratiques de professeurs des écoles enseignant les

mathématiques dans des établissements de ZEP scolarisant des élèves issus de milieux

socialement très défavorisés. Enfin une troisième partie concerne plus spécifiquement le

public de l’ASH et porte notamment sur la question de l’adaptation pour un enseignement à

des élèves présentant des troubles des fonctions cognitives ou du comportement de

situations « robustes » et à « fort potentiel adidactique » conçues initialement pour des élèves

du cursus normal.

Dans la première partie, nous commençons par présenter quelques résultats de recherche

visant à dresser un profil quantitatif et surtout qualitatif d’un élève en difficulté en

mathématiques. Dans un deuxième temps, nous présentons des recherches, menées par Denis

Butlen et Monique Charles-Pézard, centrées sur l’enseignement d’un contenu particulier : le

calcul mental et la résolution de problèmes et portant plus spécifiquement sur les élèves en

difficulté.

Une seconde partie est consacrée à des recherches portant sur les pratiques de professeurs

des écoles enseignant les mathématiques dans des écoles de ZEP scolarisant des publics

socialement très défavorisés. Deux recherches sont abordées. Une première recherche,

s’appuyant sur l’observation plutôt « naturelle » (c’est-à-dire très peu participante) d’une

première cohorte de dix professeurs des écoles (débutants ou expérimentés) pendant deux

années successives, a débouché sur la mise en évidence de contradictions marquant

profondément leurs pratiques. La manière dont les enseignants observés gèrent ces

contradictions et investissent les marges de manœuvre qui leur restent constituent des

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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régularités inter et intra personnelles. Celles-ci peuvent être mises en évidence au niveau

global des grands choix didactiques et pédagogiques, au niveau local de la gestion

quotidienne de la classe à l’aide de routines (terme que nous définirons) ou au niveau plus

micro des gestes et des automatismes.

Format du cours et modalités de travail

Ce cours est divisé en trois parties relativement indépendantes les unes des autres. Il sera

présenté en trois temps. Il comporte deux types de documents :

- des exposés se présentant sous la forme de courts paragraphes introduisant ou

présentant de manière très synthétique les lignes directrices et les principaux résultats

des recherches ;

- des articles ou des extraits d’articles ou d’ouvrages développant plus longuement

certains points des exposés :

o BUTLEN D. (1991), Quelques remarques sur les tests nationaux d'évaluation

en CE2, Grand N n°49, 49-59, IREM de Grenoble, université Joseph Fourier,

Grenoble 1

o BUTLEN D., LE POCHE G. (1997) Deux exemples de situations

d’enseignement de mathématiques s’adressant à des élèves en difficulté. In

Ministère de l’Education Nationale Texte d’accompagnement des programmes,

Paris

o BUTLEN D. PEZARD M., (2007) Conceptualisation en mathématiques et

élèves en difficulté, Grand N, n°71, 7-32, IREM de Grenoble, université

Joseph Fourrier, Grenoble 1

o BUTLEN D., CHARLES-PEZARD M. (2009) Gestes et routines

professionnels : un enjeu pour l’analyse des pratiques des enseignants, EMF

2009 (Espace Mathématique Francophone), Dakar (Sénégal), 02-06 avril 2009

- trois articles supports de l’évaluation

o BUTLEN D. CHARLES-PEZARD M., MASSELOT P. (2008, conférence)

Que nous apprend l’évaluation d’un dispositif de formation de type

accompagnement en mathématiques des professeurs des écoles débutants

nommés en ZEP sur la formation des pratiques ? In Actes du colloque Les

didactiques et leurs rapports à l’enseignement et à la formation. Quels statuts

épistémologiques de leurs modèles et de leurs résultats ? Bordeaux

o BUTLEN D., MASSELOT P. (2011) Que peut apporter l’expérimentation de

situations à « fort potentiel adidactique », en vue d’un enseignement en

direction d’élèves présentant des troubles cognitifs ou du comportement, sur la

viabilité de ces situations ? In actes du colloque ACFAS, Sherbrooke, Canada

o BUTLEN D. Chapitre 3 et 4, Partie II, In Le calcul mental, entre sens et

technique. Des difficultés des élèves aux élèves en difficulté, 101-124 , Presses

universitaires de Franche-Comté, Besançon

Nous conseillons aux étudiants de ne pas se contenter de lire les exposés de synthèse mais de

les compléter et de les illustrer par la lecture des documents du deuxième type ; pour chaque

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extrait d’article inséré dans le cours, le lecteur pourra aussi consulter sur la plateforme

l’article complet.

Modalités d’évaluation

L’évaluation de l’EC consistera en la rédaction d’une note de lecture portant sur un article à

choisir parmi les trois proposés. L’étudiant pourra consulter la fiche-guide relative à cette note

de lecture.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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PREMIÈRE ÉTAPE

PREMIÈRE PARTIE : DES DIFFICULTÉS DES ÉLÈVES AUX ÉLÈVES EN

DIFFICULTÉ : L’EXEMPLE DU CALCUL MENTAL

Comme nous l’avons indiqué dans l’introduction, nous présentons dans cette première partie

un ensemble de recherches portant sur l’enseignement des mathématiques à des élèves en

difficulté notamment issus de milieux socialement défavorisés. Dans un premier temps, nous

définissons ce que nous appelons élèves en difficulté en mathématiques en adoptant un point

de vue statistique et un point de vue qualitatif. Dans un deuxième temps, nous justifions le

choix du contexte mathématique (le calcul mental). Dans un troisième temps, nous présentons

de premiers résultats relatifs à ce type d’enseignement et à ses effets sur les apprentissages

numériques des élèves (connaissances sur les nombres et les opérations, résolution de

problèmes). Nous développons principalement deux thèmes : d’une part les liens existant

entre maîtrise de techniques opératoires et construction du sens des nombres et des opérations

et d’autre part le paradoxe de l’automatisme dans le cas du calcul mental. Nous terminons en

présentant des cheminements cognitifs spécifiques d’élèves en difficulté issus de milieux

socialement défavorisés leur ayant permis de surmonter au moins en partie les difficultés

rencontrées dans les activités précédemment exposées.

I. Elèves en difficulté en mathématiques : un profil statistique, un profil

qualitatif

I.1. Un profil statistique possible

L’analyse des performances des élèves aux évaluations nationales CE2 et sixième qui ont eu

lieu à partir des années 90 nous a permis de définir un profil statistique d’un élève en

difficulté en mathématiques à l’école primaire. En effet, cette analyse fait apparaître des

régularités fortes dans les performances des élèves qui dépendent grandement des contenus

mathématiques en jeu dans les items proposés.

Dans l’extrait de l’article ci-dessous (Butlen, 1992), nous nous proposons de répondre à la

question suivante : « Quels sont les items qui sont réussis par au moins 80 % de l'échantillon

national d'élèves de CE2 ? Quelles sont les connaissances testées à cette occasion ? À quel(s)

niveau(x) scolaire(s) sont-elles enseignées ? »

L'analyse des items montre que les connaissances en question relèvent du CP ou du début du

CE1. Cela permet de déboucher sur la « définition statistique » suivante d'un élève de CE2 en

difficulté en mathématiques : c'est un élève qui échoue massivement aux items réussis

nationalement par plus de 80 % des élèves de ce niveau.

Nos recherches sur les élèves en difficulté ont montré que ce type de résultats reste vrai pour

les évaluations de sixième. Tout se passe comme s’il existait un décalage de deux années

entre le temps institutionnel des apprentissages (tel que l’on peut le lire dans les programmes

officiels) et le temps réel des apprentissages d’un élève « standard ».

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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Notons que ce résultat débouche sur une application pratique : le recueil, sur plusieurs années,

des items correspondants peut permettre ainsi aux maîtres de se construire un outil fiable

permettant de détecter les élèves manifestant des difficultés importantes et de prévoir les

thèmes des remédiations nécessaires.

QUELQUES REMARQUES SUR LES TESTS NATIONAUX D'ÉVALUATION CE2

DE 1989 ET 1990 (Denis BUTLEN)1

Nous avons été amenés à nous intéresser aux tests d'évaluation CE2 de ces deux dernières

années pour deux raisons :

- d'une part, nous avons utilisé ce test comme premier outil de diagnostic lors d'une

expérience d'enseignement à des élèves en difficulté de CE2 (école Montaigu de Melun, Seine

et Marne), dans le cadre d'une recherche menée à l'IREM de Paris VII.

- D'autre part, nous avons eu à répondre aux questions soulevées par cette évaluation lors des

stages d'instituteurs organisés par l'École Normale sur ce thème.

1. Premier constat issu des résultats des évaluations de CE2 de 1989 et 1990 : essai de

définition statistique de l'élève en difficulté au CE2.

Analysons les résultats de 1989 et 1990, en particulier déterminons les items réussis à plus de

80 % (tableaux 1 et 2). Nous expliquons plus loin les raisons de ce choix.

D'après ces tableaux, nous constatons que les items réussis à plus de 80 % portent sur :

- L'écriture des nombres à trois chiffres en lettres et en chiffres : cependant cette écriture ne

doit pas comporter trop "d'irrégularités", ainsi en 1990, quatre-vingt-sept et neuf cent

soixante-dix sont plus mal réussis que trois cent quarante-deux et six cent sept.

- Le rangement des nombres de deux et trois chiffres par ordre croissant.

- Le placement de nombres sur la droite numérique (représentée conventionnellement sous

forme d'une ligne droite).

- La comparaison des nombres écrits sous formes additives ou soustractives simples (notons

toutefois que les erreurs sont plus importantes quand les écritures sont "trop proches", trop

"semblables").

- Les additions en ligne et sans retenue (87,1 %) ou posées avec (77,4 %, 79,2 %) ou sans

retenue (92,7 %).

- La reconnaissance et la résolution d'un problème additif comportant deux données (par

contre un problème additif comportant trois données n'est réussi qu'à 74,6 % en 1989).

- La comparaison de bandelettes en prenant en compte leur longueur.

1 Article publié dans le n°49 de la revue Grand N, pp. 49-59, 1991-1992

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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- Le tracé de dessins simples et conventionnels sur quadrillage, repérages simples sur

quadrillage. Il s'agit de tracer sur quadrillage une figure translatée ou de compléter par

symétrie une figure (ne comportant pas trop d'obliques, 1989) ou encore de décoder, sur

quadrillage, un chemin.

- La lecture d'un tableau à double entrée.

Tableau 1 : items de l'évaluation nationale d'octobre 1989, réussis à plus de 80 % (d'après le

Ministère de l'Éducation Nationale, Éducation et formations, évaluation CE2-6ème

)

Exercice Objectif Activité item %

1 Transcrire en lettres des

nombres écrits en chiffres

et inversement

Transcrire quatre-vingt-quinze

Transcrire cinq cent vingt-huit

Transcrire 609

Transcrire trois cent quatre

1

2

3

4

86,9 %

89,8 %

86,5 %

91,6 %

2 Ranger des nombres Ranger 78, 89, 56 et 65 du plus petit

au plus grand

Ranger 876, 867, 856 et 865 du plus

petit au plus grand

5

6

95 %

88,8 %

4 Comparer des nombres

écrits sous des formes

diverses

Mettre le signe qui convient :

> < =

500 + 60 + 5 ... 565

572 + 84 ... 572 + 118

28 - 14 ... 38 - 14

8

10

11

94,1 %

87,3 %

84,8 %

7 Savoir faire les trois

opérations (+, -, x) posées

ou en ligne

Effectuer une opération :

. addition en ligne 428 + 231

. 694 + 78 (posée)

15

18

87,1 %

77,4 %

10 Résoudre des situations à

une opération

trouver le nombre d'élèves dans trois

écoles (additif)

27 74,6 %

14 Ranger des longueurs Classer cinq bandes de la plus courte

à la plus longue

34

85,4 %

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 7-

16 Savoir se repérer et se

déplacer sur quadrillage

Tracer, sur un quadrillage, un chemin

en respectant un message codé

36

81,1 %

20 Achever un tracé Compléter une figure en observant le

modèle

42 83,9 %

21 Compléter par symétrie Tracer le symétrique d'une figure par

rapport à une droite

43 81,8 %

30 Lire un tableau à double

entrée

À partir du tableau de présence au

restaurant scolaire, repérer trois

informations :

. information 1

. information 2

. information 3

53

54

55

92,2 %

89,8 %

87,3 %

31 Placer des nombres dans un

tableau

Placer dans un tableau trois distances

séparant des villes

56 83 %

N.B : nous avons retranscrit dans ces tableaux tous les items réussis à plus de 70 %, les items

réussis dans un pourcentage compris entre 70 % et 80 % sont écrits en italique.

Tableau 2 : items de l'évaluation nationale d'octobre 1990, réussis à plus de 80 % (d'après le

Ministère de l'Éducation Nationale, Éducation et formations, évaluation CE2-6ème

)

Exercice Objectif Activité item %

3 Construire ou reproduire

une figure simple sur

quadrillage

Tracer le translaté d'un dessin sur un

quadrillage

3 87,3 %

5 Compléter, par pliage

(symétrie) une figure

dessinée sur quadrillage

Reproduire, de l'autre côté de l'axe de

symétrie, un dessin représenté sur un

quadrillage

5

73,3 %

6 Décrire une figure afin

qu'un camarade puisse la

reproduire

Choisir, parmi trois messages, celui

qui a permis de réaliser un dessin

6

76,7 %

10 Lire l'heure à une heure donnée, associer le bon

cadran parmi trois

12 78,2 %

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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15 Utiliser le calendrier Repérer deux informations dans une

partie du calendrier de 1990 :

. trouver la date correspondant au

dernier mercredi du mois de

septembre

. quel est le jour correspondant au 6

octobre

20

21

73,4 %

78,2 %

18 Effectuer les trois

opérations (+, -, x), posées

Effectuer des opérations posées :

. addition sans retenue : 543 + 32

. addition avec retenue : 283 + 497

26

29

92,7 %

79,2 %

20 Calculer mentalement Effectuer mentalement l'opération

suivante :

. 24 + 7

37

80,6 %

21 Transcrire en lettres des

nombres écrits en chiffres

et inversement

Transcrire en lettres deux nombres

écrits en chiffres :

. 342

. 970

et transcrire en chiffres deux nombres

écrits en lettres :

. six cent sept

. quatre-vingt-sept

41

44

42

43

81,3 %

73,6 %

91 %

74,2 %

22 Ranger des nombres Ranger cinq nombres ayant un, deux,

ou trois chiffres, du plus petit au plus

grand.

Ranger cinq nombres compris entre

400 et 500

45

46

91,2 %

85,3 %

23 Placer des nombres sur la

ligne des nombres

ranger des séries de trois nombres sur

la ligne des nombres présentée "de

façon habituelle"

48

84,6 %

Exercice Objectif Activité item %

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24 Comparer des nombres

sous formes diverses

Comparer des écritures numériques

présentées sous formes différentes

. 900 + 60 + 16 ... 900 + 70 + 16

. 348 + 57 ... 210 + 348

. 47 - 12 ...37 - 12

49

51

52

76,3 %

76,5 %

79,6 %

26 Lire un tableau à double

entrée

À partir d'un tableau à double entrée,

identifier trois données :

. une case

. une modalité en ligne

. une modalité en colonne

55

56

57

86,2 %

83,8 %

82,2 %

28 Exploiter un document brut Repérer quatre villes à partir des

températures sur une carte

météorologique :

. Donner le nom de la ville où il fait le

plus chaud

. Donner le nom de la ville où il fait le

moins chaud

. Donner le nom des villes où l'on a

relevé 27 (deux réponses)

59

60

61

81,4 %

74,6 %

78,7 %

29 Résoudre un problème à

une opération

Résoudre un problème additif 62 82,5 %

31 Faire un choix raisonné

entre plusieurs réponses à

une même question et

formuler la justification

A partir de l'extrait d'un catalogue de

jouets, additionner mentalement deux

nombres et :

. situer le résultat par rapport à un

nombre donné.

72

90,6 %

Il semble que ces items correspondent aux contenus d'enseignement du CP, voire de début de

CE1 pour la numération et l'addition.

Le fait d'évaluer des élèves sur des contenus enseignés un ou deux ans auparavant tient

compte du temps nécessaire pour que des notions mathématiques soient acquises.

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Ceci pourrait laisser entendre qu'un élève de début CE2 doit seulement avoir acquis les

notions du programme de CP. La réalité est toutefois plus compliquée. La maîtrise des notions

du CP suppose leur réinvestissement dans des contextes plus complexes : la connaissance du

modèle additif par exemple, nécessite la reconnaissance de modèles non additifs ; il en est de

même pour le tri et la sélection de données...

L'analyse des résultats tant nationaux que locaux nous a amenés à formuler la définition

suivante : un élève en difficulté générale en mathématiques, en début de CE2, est un élève qui

n'a pas acquis certaines notions mathématiques importantes de fin CP, début CE1. C'est donc

un élève qui échoue massivement aux items réussis à plus de 80 % nationalement.

I.2. Profil qualitatif d’un élève en difficulté en mathématiques

Nous présentons dans l’article ci-dessous des caractéristiques susceptibles d’être présentées

par un élève en difficulté en mathématiques. Ce dernier ne présente pas forcément toutes ces

caractéristiques mais les recherches menées en ce domaine (Perrin-Glorian, 1992 ; Butlen et

Pézard, 1996) montrent qu’il existe des phénomènes de convergence, de seuil et de cumul qui

concourent souvent à l’accumulation de difficultés. Il s’agit d’un extrait d’un document de la

COPIRELEM rédigé essentiellement par Butlen (1997) qui a été publié par le Ministère de

l’Éducation Nationale sous la rubrique « Texte d’accompagnement des programmes ». Il a été

ensuite repris dans l’ouvrage « Concertum » de la COPIRELEM.

DEUX EXEMPLES DE SITUATIONS D’ENSEIGNEMENT DE MATHÉMATIQUES

S’ADRESSANT À DES ÉLÈVES EN DIFFICULTÉ (D. BUTLEN)

(EXTRAITS)

I) Comment se manifestent les difficultés des élèves de l'école élémentaire ?

Nous nous appuyons sur deux articles : "Réflexions sur le rôle du maître dans les situations

didactiques à partir du cas de l'enseignement à des élèves en difficulté - PME 1992, M.J

Perrin" et "Une expérience d'enseignement des mathématiques à des élèves de 6ème

en

difficulté, Repères-IREM n°3, Topiques-Editions (1991), M.J. Perrin-Glorian et D. Butlen".

Voici plusieurs caractéristiques d'un élève en difficulté en mathématiques qui ne se retrouvent

pas forcément toutes chez le même élève ; cependant, on constate souvent un effet

d'accumulation à long terme.

Difficulté à capitaliser le savoir

Ces élèves ont du mal à retenir le cours, à mémoriser vocabulaire et propriétés.

L'apprentissage par cœur n'apporte pas de solution ; on a pu constater, en sixième par

exemple, que des élèves connaissent parfaitement deux définitions de la médiatrice d'un

segment mais ne savent pas les utiliser pour résoudre un exercice.

Manque de confiance dans les connaissances anciennes

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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L'absence de connaissances antérieures solides auxquelles il convient de se référer contribue

chez ces élèves à un manque d'organisation et d'intégration des savoirs nouveaux : pour

certains enfants, rien n'est sûr, tout peut toujours être remis en question, puisqu'ils ont

l'habitude de se tromper.

Carence dans les représentations mentales et absence de projet implicite de réinvestissement

Il y a souvent, chez les élèves en difficulté, un divorce entre les situations d'action qui

devaient servir à donner du sens aux notions enseignées et l'institutionnalisation(2) qui est

faite ensuite par le maître.

Par exemple, pour introduire la notion de fraction, il est usuel d'amener les élèves à partager,

par pliage ou report, des segments en parties égales ; les élèves en difficulté ne retiennent de

cette séance que l'activité manipulatoire alors que d'autres y voient en plus l'illustration d'une

définition de la fraction. Pour ces derniers, la notion de fraction prend du sens.

Au cours de l'action, dans les premières situations qui permettent d'aborder une notion

nouvelle, on ne voit pas beaucoup de différences entre les élèves "ordinaires" ou ceux qui sont

en difficulté.

En revanche, la différence entre ces deux types d'élèves s'accentue très vite dès qu'ils ont à

réutiliser les connaissances nouvelles dans d'autres situations. Le savoir institutionnalisé par le

maître, même dans le cas où il est mémorisé, semble coupé des situations d'action qui lui ont

donné naissance et ne peut être utilisé pour résoudre de nouveaux problèmes. Les élèves qui

ne rencontrent pas ce type de difficulté ont conscience que dès le début de l'activité, ce qu'ils

vont faire pourra être réutilisé dans d'autres situations, autrement dit dans un autre contexte.

Ils se créent des représentations mentales non seulement pour résoudre le problème posé mais

pour pouvoir en rappeler et réutiliser des éléments à l'occasion d'autres problèmes. Ceci leur

permet de réinvestir partiellement une connaissance, même si elle n'est pas encore totalement

identifiée.

Pour d'autres enfants, ce "transfert" ne se fait pas à l'occasion d'autres problèmes et ne peut se

faire, ne peut pas se faire car ils ne résolvent le problème que dans les termes où il est posé

sans idée de généralisation. Cela empêche la capitalisation et la mémorisation des

connaissances. Ainsi, pour eux, chaque expérience est nouvelle, ou plus exactement, ils ne

reconnaissent que le contexte : "on a plié des bandes de papier, on a découpé des rectangles..."

Absence d'identification de l'enjeu des situations d'enseignement

L'élève en difficulté identifie mal les enjeux d'apprentissage ; il ne résout pas toujours le

même problème que ses pairs, ni le problème que le maître pense avoir posé. L'élève en reste

souvent au niveau de l'action et ne peut faire le lien avec d'autres expériences et d'autres

apprentissages.

Lassitude et manque d'investissement

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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Ce manque d'investissement se fait en particulier sentir dans les contrôles écrits et dans le

travail à la maison où un certain nombre d'élèves n'aborde pas une partie des questions. Ceci

est sans doute à mettre en relation avec un certain manque de méthodes et un défaut de

confiance dans la réussite.

En classe, certains élèves peuvent se lasser très vite d'une situation. Il est de ce fait très

difficile de mener à terme son exploitation et de tirer les bénéfices de la recherche amorcée.

Certaines situations, lorsqu'elles sont perçues par les élèves comme nouvelles, les

"accrochent" particulièrement. Ces situations restent alors plus facilement dans la mémoire

des élèves et peuvent jouer le rôle de situations de référence.

Manque de méthodes

Les élèves ne savent pas comment aborder un problème. Le plus souvent, ils essaient de se

souvenir du cours mais par contre, ils ne savent pas comment l'utiliser. Ils semblent manquer

de situations complexes de référence, ce qui les amène à se précipiter sur la recherche d'une

opération à effectuer ou d'une règle à appliquer. De plus, ils ne prennent souvent en compte

qu'une partie de l'information et ont du mal à l'organiser pour se faire une représentation du

problème.

Le manque de méthodes et d'investissement rend plus difficile le travail à la maison (par

exemple lors de l'apprentissage des tables de multiplication).

Difficulté de socialisation et recherche d'une relation privilégiée avec l'adulte

Le travail de groupe et les phases collectives sont très difficiles à gérer parce que les élèves,

comme ils le reconnaissent eux-mêmes, lors d'entretiens individuels, ont des difficultés pour

communiquer : ils ont du mal à s'exprimer, certains n'en ont pas envie, ils sont incapables

d'écouter leurs camarades et de respecter des règles élémentaires de prise de parole. Ils

recherchent une relation privilégiée avec l'adulte.

Certaines activités permettent toutefois de favoriser le travail en groupe. Par exemple, celles

qui utilisent l'informatique rendent la collaboration entre élèves nécessaire : les conditions

matérielles sont particulières et le professeur n'est plus alors l'interlocuteur privilégié. En

revanche, le travail sur ordinateur rend quasiment impossible les phases collectives car les

élèves acceptent mal de d'interrompre le travail en groupe : la machine joue un rôle

"attracteur" et ils travaillent à des rythmes différents. Le bilan doit donc être fait dans une

séance ultérieure.

Recherche d'algorithmes

Les élèves cherchent à utiliser le plus possible des algorithmes qui constituent des économies

de pensée. Dès le début de l'apprentissage d'une notion, ils se construisent des règles de

fonctionnement qui, souvent, ne prennent en compte qu'une partie de l'information et qui ont

des domaines de validité très restreints, voire nuls. Par exemple, au moment de l'apprentissage

des fractions, dès la première séance, l'écriture fractionnaire a été liée à une action de report

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 13-

de longueur : 1/3 est la mesure de la longueur qui se reporte 3 fois dans l'unité. Les élèves

retiennent le report mais non le rôle de l'unité.

Ainsi, alors qu'il s'agissait d'évaluer des portions de feuille de papier par rapport à la feuille

entière, trois groupes d'élèves qui avaient évalué 2 pièces dont la réunion faisait une demi-

feuille (figure ci-dessous), ont bien évalué le triangle en disant qu'il se reportait 4 fois dans la

demi feuille mais ont estimé à tort que le trapèze valait 1/3 car le triangle se reportait 3 fois

dans le trapèze.

Cela pose le problème de l'équilibre à adopter lors des bilans. S’il n'y a pas

d'institutionnalisation à l'issue d'une phase de recherche, les élèves ne retiennent que le

contexte et une partie de l'action sans réflexion sur celle-ci. Mais, dès qu'il y a

institutionnalisation, une règle, éventuellement erronée s'installe, qui est souvent utilisée sans

référence au sens. Le maître se trouve alors contraint de déstabiliser ces règles aussitôt

qu'elles s'installent, ce qui les fragilise davantage.

Difficultés à changer de point de vue

Une notion abordée dans un contexte est difficile à réutiliser dans un autre contexte. Par

exemple, des élèves capables de résoudre des problèmes de proportionnalité dans un cadre

numérique se retrouvent démunis devant un problème d'agrandissement de figures. Ils sont

souvent incapables de percevoir le caractère commun à ces deux problèmes.

Problème d'expression et de lecture

À l'oral comme à l'écrit, les élèves en difficulté ne réussissent pas à faire des phrases simples

ayant un sens, ni à utiliser correctement le vocabulaire. Leur expression est presque toujours

partielle et imprécise : "la médiatrice, c'est la perpendiculaire" ; pour construire la médiatrice

d'un segment, "on met le compas au milieu". Ils ne se dégagent pas de leurs actions.

En outre, la plupart rencontrent de grandes difficultés pour décoder, seuls, un texte de

problème et prendre en compte la totalité de l'information.

Les problèmes de langage, d'expression et de lecture, sont ainsi à l'origine de difficultés

mathématiques, qui sont au moins de trois ordres différents : la prise d'information, la

conceptualisation, la production.

Les situations du quotidien, parfois considérées comme plus "motivantes"

Ces situations avec lesquelles les élèves ont une certaine familiarité, utilisent souvent des

modes de raisonnement non conformes à ceux que l'on attend dans un cours de

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 14-

mathématiques. Il peut ainsi s'installer un véritable malentendu et une communication absurde

entre le professeur et certains élèves. Par ailleurs, certains élèves refusent l'intrusion de la vie

courante dans le cadre scolaire car cela leur rappelle trop leur vie quotidienne. L'expérience

des élèves dans la vie quotidienne peut être utilisée à condition de poser aux enfants de

véritables problèmes.

Représentation de soi de l'élève

Leur situation d'échec à l'école contribue à donner aux élèves en grande difficulté une image

dévalorisée d'eux-mêmes. Cette image et la représentation qu'ils se font de leur place par

rapport aux autres élèves de la classe ont des répercussions sur toute leur vie scolaire, y

compris la difficulté à accepter certaines formes de travail (en groupes notamment).

II. Des difficultés des élèves aux élèves en difficulté, l’exemple du calcul mental

Nos recherches centrées sur les élèves en difficulté se caractérisent par une démarche

originale : l’étude approfondie des difficultés d’apprentissages des élèves de l’école

élémentaire (du CP au CM2) et du début du collège (6e et 5

e) relatives à un contenu

particulier : le calcul mental.

II.1. Le choix du calcul mental

Pour effectuer mentalement le calcul 32 x 25, un sujet de fin d’école primaire ou de début du

collège peut mettre en œuvre une procédure de calcul proche de l’une décrite ci-dessous :

- Calcul de la multiplication « posée dans la tête »

- Procédure canonique : utilisant la distributivité « simple »

- 32 x 25 = 32 x 20 + 32 x 5 = 640 + 160 = 800

- 32 x 25 = 30 x 25 + 2 x 25 = 750 + 50 = 800

- calcul utilisant la distributivité complexe :

32 x 25 = 30 x 20 + 30 x 5 + 2 x 20 + 2 x 5 = 600 + 150 + 40 + 10 = 800

- calcul utilisant des décompositions multiplicatives :

- 32 x 25 = 8 x 4 x 25 = 8 x 100 = 800

- 32 x 25 = 32 x

x 100 = 8 x 100 = 800

- 32 x 25 = 32 x 100 : 4 = 3200 : 4 = 800

Une comparaison en termes de coût en mémoire et en calcul mais aussi en termes de qualité

des connaissances mobilisées lors du calcul permet de hiérarchiser ces procédures.

La procédure consistant à « poser l’opération dans la tête » est très coûteuse en termes de

calcul et de mémoire mais elle mobilise des connaissances de faible niveau (technique de

l’addition, tables de multiplication inferieures à 5) ; il en est de même de la procédure dite

« de double distributivité » encore plus coûteuse en mémoire. La procédure dite « canonique,

de distributivité simple » nécessite des connaissances sur les décompositions des nombres un

peu plus sophistiquées (décomposition canonique en dizaines et unités) que les deux

précédentes mais par contre se révèle plus économique en termes de calcul et de mémoire.

Enfin, les trois dernières procédures font appel à des connaissances nettement plus complexes

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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ou du moins plus tardivement maîtrisées d’un point de vue scolaire (décompositions

multiplicatives des nombres 32 et/ou 100, fractions simples) ; elles sont spécifiques des

facteurs du produit (et ne sont donc pas toujours possible à mettre en œuvre). Par contre, elles

se révèlent très économiques du point de vue calculatoire et charge en mémoire à court terme.

Chaque procédure peut donc s’interpréter comme le résultat d’un compromis entre la qualité

des connaissances mobilisées, le domaine d’efficacité de la procédure et le coût en calcul et

en charge de mémoire à court terme. Son choix et sa mobilisation par un élève sont donc très

liés à son niveau de connaissances sur les nombres et les propriétés des opérations (et donc au

degré de disponibilité de ces connaissances, cf. Robert 1998), à sa capacité à mettre à distance

des techniques ou des algorithmes sûrs (algorithmes écrits notamment) mais souvent

inadaptés et coûteux quand la résolution est mentale.

L’exemple du produit 32 x 25 est emblématique de l’enjeu d’un enseignement de calcul

mental. Au-delà de l’acquisition d’une certaine maîtrise de calcul nécessaire au futur citoyen,

l’enseignement du calcul mental, s’il amène les élèves à mobiliser les procédures les plus

adaptées aux facteurs et aux opérations en jeu dans le calcul, leurs permettra à fréquenter une

grande diversité de connaissances sur les nombres (en termes de décomposition dans

l’exemple ci-dessus). Cette fréquentation régulière pourra se traduire par une meilleure

maîtrise et une meilleure disponibilité de celles-ci. Cela nécessite toutefois que le professeur

ait pour objectif d’amener les élèves à prendre de la distance par rapport à des techniques plus

usuelles et automatisées comme les algorithmes écrits ou dans le cas du calcul 32 x 25, la

procédure de distributivité simple afin de mobiliser des procédures plus efficaces localement.

Pour devenir un « domaine d’expérience » numérique (au sens de Boéro, 1989), le calcul

mental doit donc avoir pour objectif l’acquisition d’une posture spécifique : la recherche par

l’élève d’une certaine « adaptation » au calcul à effectuer.

Comme nous le montre le chapitre suivant, c’est la gestion de cette recherche de compromis

entre adaptation et mobilisation de techniques de calcul automatisées qui peut expliquer pour

une part l’évolution des programmes de l’école primaire et des pratiques de calcul mental des

enseignants de ce degré scolaire depuis la création de l’école publique.

II.2. L’enseignement du calcul mental et les programmes officiels

L’analyse ci-dessous des programmes de l’école primaire depuis la création de l’école

publique fait apparaître trois grandes périodes.

« La première période est comprise entre 1883 et 1970. La deuxième période (1970-

1980) recouvre les dix années relevant de la réforme dite « des mathématiques modernes ».

Enfin, une troisième période commence avec les programmes de 1980 et se poursuit

actuellement. »

I. ÉVOLUTION DE L’ENSEIGNEMENT DU CALCUL MENTAL À L’ÉCOLE

ÉLÉMENTAIRE (extrait de l’ouvrage « le calcul mental, entre sens et technique »,

Butlen, 2007 pp. 22-35)

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- 16-

Dès la création de l’école publique, les programmes et instructions officielles

prescrivent un enseignement spécifique de calcul mental à l’école élémentaire. L’analyse de

ces textes institutionnels comme celle de ressources pédagogiques mises à la disposition des

enseignants fait apparaître trois périodes2.

1. Une première période (1883-1970), mémorisation et automaticité

(…)

Malgré une première explicitation des compétences à acquérir et des démarches à

mettre en œuvre lors des activités de calcul mental dans les programmes et instructions

officielles de 1945, les activités de calcul mental sont vues durant cette période comme des

moments privilégiés de mémorisation de faits numériques (tables essentiellement) et

d’automatisation de procédures de calcul sans que le domaine d’efficacité de ces dernières

soit justifié voire seulement travaillé. Notons toutefois la référence en partie implicite à la

prise en compte de la diversité des procédures mobilisables pour un même calcul.

2. La période des « mathématiques modernes »

(…)

Cette absence de justification et ce défaut de travail d’adaptabilité des procédures ainsi

enseignées vont, selon Letielleux (1992) amener nombre de formateurs ou décideurs à

souligner les dérives d’un tel enseignement. Cette insistance va, d’après le même auteur, se

traduire par une désaffection des maîtres pour les activités de calcul mental. La place accordée

aux activités de calcul mental dans les pratiques effectives des maîtres comme dans les

manuels scolaires est alors réduite.

Les programmes officiels de 1970 consacrés au cours élémentaire comportent

toutefois une indication, certes allusive, au calcul mental. Les programmes du cours moyen ne

font pas explicitement référence à ce type d’activités mais rappellent la nécessité de

mémoriser les tables de multiplication. Par contre, les instructions officielles accompagnant

ces programmes signalent que le calcul mental est un moment de travail des propriétés des

opérations et des nombres. Ces textes rappellent la nécessité d’entraîner les élèves à la

pratique de calcul mental

(…)

L’accent est (…) mis sur la découverte des propriétés des opérations, des procédures

mobilisant ces propriétés, sur la recherche d’ordre de grandeur et sur la justification.

Malgré les précautions prises lors de la rédaction de ces programmes, la désaffection

pour le calcul mental semble réelle. En effet, les programmes de 1980 puis ceux élaborés par

la suite vont s’attacher à redonner aux activités de calcul mental une place plus significative.

Cette insistance s’accompagnant d’une redéfinition des activités pratiquées dans ce domaine

et de leurs objectifs.

3. Une troisième période (1980-2004), mémorisation et élaboration de procédures

adaptées

Les programmes de 1980 soulignent l’intérêt des activités de calcul mental dès le

cours préparatoire notamment à propos de la mémorisation de faits numériques additifs (table

d’addition). Si « toutes les situations sont prétexte à calcul mental », les enseignants sont mis

en garde contre « la multiplicité des activités de même type » par les instructions

complémentaires accompagnant les programmes de CP.

2 Notre analyse rejoint les conclusions de Lethielleux (1992).

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 17-

(…)

Les programmes et instructions complémentaires du cycle élémentaire soulignent que

les démarches de calcul écrites doivent être introduites après avoir assuré l’existence de

démarches de calcul mental. L’accent est mis sur la mise en relation de ces activités avec

l’apprentissage des fonctions numériques, le calcul d’ordre de grandeur, des propriétés des

opérations et des nombres.

(…)

Les Instructions officielles relatives au cours moyen consacrent deux pages à des

conseils portant sur les objectifs et la gestion des activités de calcul mental. Cette insistance

est significative d’une volonté de réintroduire le calcul mental dans les pratiques quotidiennes

(cf. ci-dessous). L’accent est mis sur l’adaptabilité comme sur l’explicitation des procédures.

Le texte signale qu’il ne faut pas « associer de façon stéréotypée une méthode donnée à un

type de calcul ». Il précise plus loin que « la discussion des diverses méthodes employées n’a

pas pour but de valoriser l’une d’entre elles : il n’y a pas de bonne méthode pour un exercice

donné… ».

Si des formes de séances sont évoquées (pour la première fois), aucune indication

n’est donnée sur les institutionnalisations à prévoir. L’accent est mis sur le caractère

individuel des procédures mobilisables : « Dans cette phase d’explicitation et de

confrontation, chaque enfant pourra choisir les procédures qui lui paraissent les plus

adaptées pour lui ».

Ces formulations témoignent donc d’une volonté de développer les activités de calcul

mental tout en attirant l’attention des enseignants sur la nécessité de ne pas reproduire les

dérives du passé. La résolution mentale de problèmes simples est à nouveau rappelée.

(…)

Les programmes de 1985 et 1995 vont confirmer cette évolution.

(…)

Les programmes, textes d’application et d’accompagnement de 2002 concrétisent et

développent cette orientation. Un texte d’accompagnement justifiant la place qualifiée de

« primordiale » attribuée au calcul mental, présentant de manière détaillée les objectifs

assignés à ces activités ainsi que des scenarii de séances témoignent des choix institutionnels

arrêtés.

Le calcul mental est souvent évoqué, notamment dans le chapitre consacré (cycle 2) au

traitement de données numériques. Il est particulièrement développé dans le chapitre intitulé

« calcul ».

(…)

Il en est de même pour le cycle 3.

Le texte d’accompagnement s’appuie sur des recherches récentes pour développer une

argumentation visant à favoriser les activités de calcul mental (Boule 1997, Butlen et

Pézard 1996).

Ce texte soulève plusieurs problèmes cruciaux liés à l’enseignement du calcul mental.

Il assigne deux fonctions essentielles aux activités de calcul mental, une fonction

sociale : satisfaire aux « besoins de la vie quotidienne » et une fonction pédagogique : assurer

la compréhension de certaines notions mathématiques relevant du collège (proportionnalité,

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 18-

nombres relatifs, etc.). Il s’agit pour cela de familiariser en situation les élèves avec les

nombres et les propriétés des opérations, assurer la compréhension des techniques écrites de

calcul qui doivent être construites après avoir assuré l’existence de techniques mentales de

calcul.

Ce texte aborde la question de l’automaticité et de la mémorisation.

« Dans ce domaine particulièrement, il convient de distinguer ce qu’il faut

mémoriser ou automatiser (les tables, quelques doubles et moitiés, le calcul

sur les dizaines et les centaines entières, les compléments à la dizaine

supérieure…) et ce qu’il faut être capable de reconstruire (et qui relève du

calcul réfléchi : idée de rendre plus simple un calcul, souvent en procédant

par étapes plus nombreuses, mais en s’appuyant sur ce qui est connu). »

Après avoir souligné que la mémorisation doit s’appuyer sur une « bonne

représentation mentale » des nombres (configuration, droite numérique, etc.), le texte

distingue des conditions nécessaires à cette mémorisation : compréhension des opérations en

jeu, prise de conscience de l’intérêt de posséder un répertoire de faits numériques efficace et

du processus de son élaboration, capacité à l’utiliser pour calculer d’autres résultats et

entraînement mnésique.

La question de l’automaticité amène les auteurs à distinguer entre le calcul automatisé

(qui privilégie un traitement chiffre à chiffre des nombres), le calcul mental qui a contrario

développe « l’intuition des nombres », et l’initiative des élèves, le calcul réfléchi ou raisonné

qui insiste davantage sur la méthode (stratégie, choix de procédures) de calcul que sur la

rapidité associée au calcul rapide.

Si l’accent comme dans les programmes précédents est mis sur la formulation,

l’explicitation des procédures « possibles et efficaces », mobilisées lors des calculs,

l’institutionnalisation de certaines de ces procédures n’est pas abordée.

Nous voyons que ces derniers textes institutionnels abordent plus nettement certaines

questions sensibles liées à l’enseignement du calcul mental et proposent des réponses plus

affirmées. Certains problèmes ne sont pas abordés ou reçoivent des réponses très implicites.

Ainsi si la mémorisation de certains faits numériques doit être un objectif d’enseignement et

fait l’objet d’une programmation assez détaillée, si la formulation des procédures de calcul,

leur confrontation, leur efficacité doivent faire l’objet de débat renouvelé, les auteurs ne

s’engagent pas aussi nettement sur l’automaticité des procédures de calcul mental. Ils restent

prudents sur d’éventuelles institutionnalisations, conscients du domaine de validité restreint

des procédures rencontrées lors de ces activités.

4. Conclusion

Les prescriptions relatives à l’enseignement du calcul mental ont donc évolué.

Privilégiant la mémorisation et la recherche d’une certaine automaticité durant la période

s’écoulant de la création de l’école publique jusqu’à 1970, les programmes officiels, après

avoir implicitement minorisé l’importance de cet enseignement durant quelques années, lui

ont progressivement redonné une place importante, voire primordiale. Cette évolution s’est

accompagnée d’une redéfinition de ces activités qui vise à concilier une nécessaire

mémorisation de faits numériques (et plus implicitement de procédures de calcul) avec

l’élaboration de procédures adaptées aux nombres et aux opérations en jeu dans les calculs.

Cette élaboration qui vise explicitement une appropriation individualisée, s’appuie sur une

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 19-

découverte progressive, sur une accumulation et une généralisation d’expériences, sur des

formulations collectives et sur des confrontations.

Si les derniers programmes et textes institutionnels donnent des indications précisent

en termes de scénario d’activité de calcul mental, en termes de programmation et de

compétences à acquérir, ils restent encore très implicites sur les institutionnalisations à

prévoir et mettre en œuvre voulant sans doute éviter les dérives qui ont accompagné la

première période décrite ci-dessus.

Notons que les articles relatifs au calcul mental figurant dans les documents ressources

publiés suite aux programmes de 2008 (respectivement « Le nombre au cycle deux » et « le

nombre au cycle 3 ») apportent de nouvelles précisions sur ces derniers points.

Nous verrons par la suite que la tension existant entre mémorisation et automaticité d’une part

et recherche d’une certaine adaptabilité d’autre part est un problème crucial de l’enseignement

du calcul mental. Son dépassement étant lié à une bonne évaluation de la part de l’élève des

enjeux d’apprentissage, elle peut devenir une source de différenciation.

Le chapitre qui suit présente un résultat important de la première série de recherches que nous

avons menées sur le calcul mental : le paradoxe de l’automatisme.

II.3. Le paradoxe de l’automatisme

Nous avons repensé dans un article publié dans la revue Grand N n°71 (Butlen, Pézard, 2007)

certains résultats de nos premières recherches menées entre 1985 et 1990 sur le calcul mental

portant notamment sur les performances des élèves en termes de rapport aux automatismes.

Les extraits ci-dessous de cet article montrent que les effets positifs d’un enseignement

régulier de calcul mental dépendent de la capacité des élèves à mettre à distance le recours à

des algorithmes qu’ils jugent sûrs car plutôt automatisés et à adapter leurs techniques de

calcul mental aux propriétés des nombres en jeu. Cette capacité d’adaptation étant étroitement

liée à la disponibilité de leurs connaissances et donc à l’installation de fait numériques

mémorisés et de modules de calcul élémentaires automatisés. Pour échapper à une posture de

recours systématique à des algorithmes automatisés inadaptés, l’élève doit avoir installé

suffisamment d’automatismes rendant disponibles les connaissances nécessaires à cette

nouvelle posture. Autrement dit, « il faut des automatismes pour échapper à l’automatisme ».

Conceptualisation en mathématiques et élèves en difficulté

Le calcul mental, entre sens et technique

(Denis Butlen, Monique Charles-Pézard, IUFM de Créteil, Université Paris 12,

équipe DIDIREM, Université Paris 7-Denis Diderot)

Nous présentons dans cet article un ensemble de résultats concernant le processus de

conceptualisation3 de certaines notions mathématiques. Il s’agit d’une réorganisation de

résultats de recherches précédentes portant sur l’enseignement de techniques de calcul mental

en lien avec la résolution de problèmes.

(…)

3 Processus de conceptualisation : processus d'appropriation d'un ou de plusieurs concepts. Nous renvoyons le

lecteur aux travaux de psychologie cognitive et de didactique des mathématiques, notamment à ceux de G.

Vergnaud pour des définitions de concept, conceptualisation, champ conceptuel.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 20-

Il s’agit d’un travail de synthèse portant sur le processus de conceptualisation en

prenant comme filtre les élèves en difficulté en mathématiques, élèves qui de plus sont issus

de milieux socialement défavorisés (ZEP).

Dans une première partie intitulée Calcul mental : le paradoxe de l’automatisme, nous

rappelons les résultats d’un diagnostic portant sur les performances et procédures des élèves

lors de calculs mentaux de sommes, différences et produits, révélés par une recherche déjà

ancienne (Butlen, Pézard, 1992).

Nous énonçons un paradoxe, source de difficulté pour les élèves, entre adaptabilité et

automatisme.

(…)

I. PARTIE 1 : CALCUL MENTAL, LE PARADOXE DE L’AUTOMATISME

Précisons ce que nous entendons par automatisme et procédure automatisée.

Une procédure est automatisée quand elle est restituée par l'élève pour résoudre un

calcul sans que celui-ci la reconstruise (Fischer 1987, Boule 1997). Nous disposons, grâce

notamment aux travaux des psychologues de différents outils pour la reconnaître. On peut

ainsi avoir accès directement à cette caractéristique en mesurant par exemple le temps de

réponse de l'élève ou indirectement en questionnant l'élève sur sa manière de calculer. Cette

seconde approche souvent utilisée en didactique des mathématiques est plus délicate à mettre

en œuvre car elle relève essentiellement du déclaratif.

Par automatisme, nous entendons selon le contexte soit le recours à un ensemble de

procédures automatisées installées en mémoire et ayant fait l'objet d'un enseignement ou d'une

pratique préalable ; soit un comportement se caractérisant par une mobilisation quasi

systématique de l'élève d'un seul type de procédure quelque soient les données numériques du

calcul à d'effectuer.

(…)

1. Un diagnostic des procédures et performances des élèves en calcul mental

1.1. Des résultats concernant les procédures des élèves

Il s’agit d’une recherche déjà ancienne (Butlen, Pézard, 1992). Nous avons travaillé

pendant deux ans dans plusieurs classes de l’école élémentaire du CP au CM2 afin de

recueillir les procédures des élèves lors d'activités de calcul mental portant notamment sur des

sommes, des différences, des produits et des quotients. L'analyse du corpus de données nous a

permis d'élaborer une typologie des procédures mobilisées du CP au CM2 et d'évaluer leur

disponibilité4.

Nous avons constaté que les élèves, lors de calculs mentaux, mobilisaient surtout des

procédures de calcul automatisées ou des algorithmes écrits. Tout se passe comme si

l’enseignement de techniques5 opératoires écrites ou de techniques de calcul mental standard

et automatisées rentrait en en conflit avec le recours à des procédures de calcul plus primitives

mobilisées précédemment par les élèves.

4 Une procédure est disponible quand elle est mobilisée lors d'un calcul sans appel explicite de la part de

l'enseignant notamment dans le cas où elle constitue un des éléments de la stratégie de calcul mise en œuvre par

l'élève pour réaliser la tâche demandée. 5 Nous entendons par technique un ensemble organisé de procédures. Nous renvoyons à Fayol et Monteil (1994)

et à Boule (1997) pour une synthèse bibliographique des définitions des termes procédure, algorithme, technique,

stratégie etc.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 21-

Donnons un exemple : pour calculer 45 + 17 ; les procédures possibles sont les

suivantes :

- simulation mentale de l’algorithme écrit

- utilisation de la décomposition additive canonique de l’un ou des deux termes :

45 + 17 = 40 + 5 + 10 + 7 = 50 + 12 = 62

45 + 17 = 45 + 10 + 7 = 55 + 7 = 62

- utilisation d’une décomposition additive de l’un des termes s’appuyant sur un

passage à une dizaine supérieure :

45 + 17 = 45 + 5 + 12 ou 45 + 15 + 2 ou 2 + 43 + 17

- utilisation d’une décomposition soustractive de l’un des termes :

45 + 20 – 3, etc.

Les procédures mobilisées par les élèves de fin de cycle 2, n’ayant pas bénéficié d’un

enseignement préalable, sont l’algorithme « posé dans la tête » (procédure majoritaire), les

différentes procédures mobilisant des décompositions canoniques et beaucoup plus rarement

celles mobilisant d’autres décompositions additives ou soustractives. Ces dernières

nécessitent un enseignement préalable.

Les élèves préfèrent utiliser des procédures sûres (qui fonctionnent dans tous les cas et

conduisent, à condition d’être menées à terme, au résultat attendu) mais coûteuses plutôt que

des procédures mieux adaptées au calcul en jeu. Ces dernières nécessitent une prise en compte

de la spécificité des nombres intervenant dans le calcul et de leurs propriétés. De plus, leur

domaine de validité est limité.

Parallèlement à ce constat, nous avons retrouvé un résultat déjà signalé par d’autres

chercheurs (Fischer, 1987-1988, Resnick, 1983) : les élèves de fin de cycle 2 éprouvent de

réelles difficultés à effectuer des calculs simples mais nécessitant un passage à la dizaine

comme : 45 + 7 = 52. Ce constat révèle un défaut de procédures automatisées pouvant

s’expliquer en partie par un manque de pratique.

Nous constatons donc à la fois un défaut d’adaptabilité des élèves et un manque de

faits numériques mémorisés ; ces derniers de ce fait ne sont pas suffisamment disponibles lors

des calculs. De plus, la mise en place de techniques de calcul automatisées (notamment les

algorithmes écrits) semble limiter les possibilités d’adaptation des élèves au calcul du

moment, notamment quand l’enseignement ne le prend pas suffisamment en compte.

1.2. Des résultats concernant les élèves en difficulté

Le précédent diagnostic montre aussi que les élèves en difficulté en mathématiques le

sont en général en calcul mental. De plus, pour ces élèves, on constate un décalage dans le

temps de l’apprentissage : en particulier dans la mobilisation progressive de procédures

adaptées aux calculs proposés.

Cela nous amène à énoncer un paradoxe lié aux rapports qu’entretiennent automatisme

et adaptabilité aux calculs.

1.3. Le paradoxe de l’automatisme

Ces différentes recherches sur le calcul mental montrent à la fois un défaut

d’adaptation dû à l’installation de procédures automatisées mais aussi un défaut de

performances dû à un manque de procédures de calcul automatisées. Ces manques révèlent,

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 22-

selon nous, une connaissance insuffisante des nombres, des opérations et de leurs propriétés.

Tous les élèves sont ici concernés mais ces manques sont particulièrement criants pour les

élèves en difficulté. Ils concernent par exemple la connaissance et la disponibilité des

compléments à dix, à la dizaine ou à la centaine supérieures.

Tout se passe comme si l’apprentissage et la maîtrise de techniques de calcul sûres (les

techniques opératoires écrites ou encore les techniques mobilisant des décompositions

additives canoniques décrites ci-dessus) se faisaient au détriment des autres procédures, voire

les « écrasaient ». Les élèves semblent alors trouver plus économique de mobiliser ces

procédures alors que d’autres, nécessitant une prise en compte très rapide des propriétés

particulières des nombres intervenant dans le calcul, s’avèreraient plus efficaces et moins

coûteuses en mémoire comme en quantité de calcul intermédiaires.

Cette prise en compte insuffisante peut s’expliquer par une familiarisation trop faible

avec les propriétés spécifiques de ces nombres mais aussi par l’absence de procédures

automatisées de traitement associées. En effet, l’élève ne pourra mobiliser rapidement la

décomposition 17 = 20 – 3 (ou 17 = 5 + 12) dans le calcul 45 + 17 que si celles-ci sont

disponibles. Ce qui nécessite un entraînement spécifique. L’élève doit non seulement avoir

appris à décomposer ces nombres mais ces décompositions doivent avoir été automatisées.

La connaissance et la maîtrise d’un nombre insuffisant de procédures automatisées

peuvent donc conduire l’élève à adopter en calcul un comportement automatisé. Pour dépasser

ce comportement, il est nécessaire d’enrichir le panel des procédures automatisées.

Nous pouvons résumer ainsi le paradoxe de l’automatisme : Trop peu d’automatismes

(au sens de trop peu de procédures automatisées) peut renforcer l’automatisme (au sens du

comportement automatisé) ; davantage d’automatismes peut permettre d’échapper à

l’automatisme.

II.4. Les effets d’une stratégie d’aide visant à combler un défaut de prérequis :

avantages et limites

Afin de dépasser ce paradoxe de l’automatisme, nous avons élaboré, expérimenté et évalué un

ensemble d’activités que nous avons dans un premier temps nommées « activités

préparatoires » visant à combler les manques en termes de prérequis. Plusieurs principes sont

pris en compte dans la construction de ces activités :

- installer en mémoire à long terme suffisamment de faits numériques (qui dépassent

les tables d’addition et multiplication).

- Favoriser leur disponibilité en encodant en mémoire à long terme le fait numérique

et les conditions de son rappel dans différents contextes de calcul. Pour cela, nous

proposons de faire fréquenter aux élèves systématiquement le même fait

numérique dans des contextes et avec des points de vue différents ; la consigne de

calcul change. Le professeur fait constater aux élèves la diversité des contextes et

l’unicité du fait numérique convoqué grâce à des institutionnalisations locales et à

d’autres plus globales.

- Installer des modules élémentaires de calcul susceptibles d’être mobilisés ensuite

dans des calculs plus complexes.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 23-

Nous présentons ci-dessous quelques-unes de ces activités (extraits du même article que ci-

dessus). Le lecteur pourra consulter notre ouvrage de synthèse (Butlen, 2007) sur le calcul

mental pour une présentation plus détaillée.

2. Des exemples d’activités de calcul mental

2.1. Forme, contenu et fréquence des activités de calcul mental

Nous avons choisi de présenter sous deux formes différentes les activités de calcul

mental selon l’objectif que nous visons prioritairement.

Chaque jour, pendant 10 à 15 minutes, nous demandons aux élèves d’effectuer

mentalement des calculs (selon le procédé dit de « La Martinière »). Ceux-ci écrivent le

résultat de l’opération sur leur ardoise. L’enseignant valide les calculs et corrige si besoin

rapidement les erreurs. Le but prioritaire est d’entraîner les élèves au calcul, de les confronter

avec des exemples variés, d’accroître leurs performances (rapidité, mémorisation, maîtrise de

techniques).

Une fois par semaine, une séance un peu plus longue (de l’ordre d’une vingtaine de

minutes) est consacrée à l’explicitation, la comparaison des différentes procédures mobilisées

par les élèves (y compris les procédures erronées quand elles révèlent une difficulté

significative). Cette comparaison débouche sur une hiérarchisation dépendant des

connaissances des élèves et des données intervenant dans les calculs. Le professeur s’attache

alors à mettre en regard l’économie de certaines procédures et les propriétés des nombres en

jeu. Il s’agit de capitaliser l’exploration effectuée dans les activités précédentes. Le nombre

des calculs alors demandés aux élèves est nettement moins important que dans les activités

précédentes. Si besoin, le professeur peut introduire ou rappeler certaines procédures jugées

efficaces qui n’auraient pas été énoncées par les élèves.

Nous détaillons quelques activités portant d’une part sur l’addition et la soustraction et

d’autre part sur la multiplication et la division.

2.2. Additions et soustractions

Il s’agit de trois séries d’activités de calcul mental. Une première série d’activités, plus

traditionnelles, revient à explorer, mémoriser et tester les tables d’additions et de

soustractions. Une deuxième série d’activités porte sur la recherche de compléments à dix,

cent, mille, etc. Une troisième concerne davantage les additions et soustractions mentales.

2.2.1. Les tables d’additions et de soustractions

Evoquons deux types d’activités permettant d’explorer et de mémoriser les faits

numériques relevant des tables d’addition et de soustraction.

Le premier type est constitué de jeux de calcul mental utilisant différents supports :

jeux de cartes (bataille, mariages), jeux de dominos, loto, labyrinthe, puzzles, etc. Nous

renvoyons le lecteur à la lecture des différents ouvrages détaillant ces jeux6.

Un second type d’activités a pour objectif la mémorisation des tables, nous pouvons

distinguer :

- La recherche de la somme ou de la différence : 8 + 7 = ? 9 – 3 = ?

- La recherche de l’un des termes de la somme ou de la différence : 9 + ? = 14

8 - ? = 5 ? – 7 = 4

6 C’est le cas en particulier de l’ouvrage ERMEL, éditions Hatier.

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- 24-

- La recherche des deux termes de la somme ou de la différence : ? + ? = 18

? - ? = 6

2.2.2. Recherche de compléments

Compléter à 10

Le professeur pourra jouer sur la formulation de la consigne :

complète 3 pour faire 10

Combien manque-t-il à 3 pour faire 10 ?

Que faut-il ajouter à 3 pour faire 10 ?

3 pour aller à 10 ?

3 10 ?

Compléter à la dizaine supérieure

14 20 32 40 53 60

Consigne : complète 38 à la dizaine supérieure ou 38 pour aller à la

dizaine supérieure ou 125 pour aller à 130

Compléter à 100 ou la centaine supérieure

30 100 54 100

182 200 327 400

trouver le complément quand il s’agit de 10 ou d’un multiple de 10

32 42 48 78 25 325

2.2.3. Autres activités

Ajouter 10 ou un nombre entier de dizaines à un nombre de deux ou trois

chiffres

Ajouter 10 : 55 + 10 257 + 10

Ajouter un nombre entier de dizaines : 60 + 30 38 + 60

40 + 122

Soustraire 10 ou un nombre entier de dizaines à un nombre de deux ou trois

chiffres :

64 – 10 55 – 30 238 – 40

Ajouter ou soustraire 100 ou un nombre entier de centaines à un nombre de

trois ou quatre chiffres :

325 + 100 1234 + 100

325 – 100 1234 – 100

810 – 200 652 – 400

4500 – 600 1370 - 500

Trouver le plus rapidement possible le résultat d’une addition en ligne

27 + 15 + 4 + 3 + 5

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- 25-

Décomposer additivement un nombre en un nombre entier de centaines,

dizaines et unités

34 = 30 + 4 327 = 300 + 20 + 7 1004 = 1000 + 4

exprimer un nombre en faisant intervenir la dizaine, la centaine supérieure,

etc. :

47 = 50 – 3 47 = 100 – 53

Compléter des égalités du type :

Il s’agit d’utiliser la décomposition décimale du second terme

37 + 18 = 47 + ? 54 + 27 = 74 + ?

il s’agit de faire apparaître dans le calcul un multiple de 10 ou 100

27 + 8 = 30 + ? 54 + 27 = 60 + ? 54 + 27 = 80 + ?

128 + 15 = 130 + ? 128 + 15 = 140 + ?

2.3. Multiplications, divisions

Comme pour l’addition, une première série d’activités, plus traditionnelles, a pour but

d’explorer, de mémoriser les tables de multiplications. D’autres activités ont pour but

d’installer des modules automatisés de calcul. Dans ce dernier cas, le calcul n’est pas

obligatoirement totalement mental. Une trace écrite peut être autorisée (par exemple pour les

multiplications par 25), l’important étant que les élèves utilisent une autre procédure que

l’algorithme écrit.

2.3.1. Les tables de multiplication

De même que pour l’addition et la soustraction, cela correspond à deux types

d’activités permettant d’explorer et de mémoriser les faits numériques relevant des tables de

multiplication : les jeux de calcul mental utilisant différents supports d’une part et des

exercices centrés sur la mémorisation des tables d’autre part.

- La recherche du produit : 8 x 7 = ? 9 x 3 = ?

- La recherche de l’un des facteurs : 9 x ? = 63 8 x ? = 72

- La recherche des deux facteurs du produit : ? x ? = 56

2.3.2. Autres activités

Recherches de multiples et diviseurs

Multiples : 48 est-il multiple de 6 ? 54 est-il multiple de 9 ?

Diviseurs : 6 est-il un diviseur de 42 ? 3 divise-t-il 63 ?

Quotients entiers

42 divisé par 6 ?

Quel est le quotient de 42 par 6 ?

42 : 6 56 : 8 49 : 7

Décompositions multiplicatives

Ecris sous la forme d’un produit : 30 48 24 12

Trouver des décompositions multiplicatives d’un nombre égal à une

puissance de 2 : 32 64 128

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- 26-

Jeu du télégramme

Les élèves sont regroupés par équipe (de 4 à 6 élèves) ; ils disposent

d’une feuille pré-pliée sur laquelle est inscrit un nombre : par exemple

3248. Le premier élève écrit autrement ce nombre (par exemple

3000 + 248) et cache (en repliant la feuille), l’écriture précédente.

L’élève suivant écrit autrement 3000 + 248 (par exemple

3 x 1000 + 248) et cache la précédente écriture. Chaque élève ne peut

voir que la dernière écriture produite. Quand la feuille est remplie, on la

déplie et on compare les écritures produites. L’équipe gagnante est

l’équipe qui a le plus d’écritures différentes. On peut aussi créditer les

écritures d’un score selon la nature et le nombre de signes opératoires :

pour une écriture exacte : un signe + rapporte 1 point, un signe –

rapporte 2 points, un signe x 3 points, etc. Une erreur pénalise l’équipe

de 1 point.

Multiplications, divisions par 10n, « la règle des zéros »

Multiplier par 10 un nombre de deux ou trois chiffres

27 x 10 10 x 56 321 x 10 10 x 900

À quoi est égal 60 dizaines ? 245 dizaines ? 602 dizaines ?

Calcul de suites géométriques : multiplier le nombre 3 par 10, puis le

résultat par 10 et ainsi de suite…

Multiplier par 100, par 1000 un nombre

45 x 100 650 x 100 1002 x 100 1325 x 1000

Diviser un nombre par 10, 100, 1000, 10n

Diviser le nombre 12 000 par 10, diviser son résultat par 10, etc.

45 millions divisé par 10 ?

1350 : 10

Quotient entier : Quel est le quotient entier de 62 par 10 ? ou bien quel

est le nombre de dizaines de 62 ?

Multiplier par 5, diviser par 5 : 5 x 200 5 x 263 70 : 5

255 : 5 400 : 5

Multiplier, diviser par 50 :

Multiplier par 50 : 3 x 50 18 x 50 50 x 50

Multiplier par 5, 50, 500

Diviser par 50 : 500 : 50 2000 : 50

Quel est le quotient entier (et le reste) de : 165 par 50 2640 par 50

Multiplier et diviser par 25 :

4 x 25 8 x 25 50 x 25 25 x 32

multiplier par 25, 250, 2500

Quotient exact par 25 : 100 : 25 300 : 25 500 :25

1200 : 25

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- 27-

Quotient entier par 25 : 165 780 1355

3. Une première conclusion

Ces activités systématiques de calcul mental permettent aux élèves d’acquérir une plus

grande maîtrise et d’explorer un domaine de faits numériques plus vaste. Les techniques

élémentaires de calcul ainsi automatisées peuvent jouer le rôle de modules de calcul pouvant

être mobilisés pour construire des procédures plus complexes. De même, une fréquentation

régulière permet d’accroître le domaine des différentes décompositions additives ou

multiplicatives rencontrées ; leur utilisation et leur mémorisation les rendent davantage

disponibles. Les élèves sont ainsi amenés à les utiliser dans des calculs de sommes ou de

produits. Une dynamique est ainsi initialisée qui permet aux élèves de prendre de la distance

par rapport aux procédures qui auraient pu leur apparaître dans un premier temps plus sûres.

C’est notamment le cas pour les algorithmes écrits.

Toutefois certaines conditions doivent être remplies pour que cette dynamique soit

possible. Les élèves doivent savoir détecter les moments où il faut inventer et ceux où il faut

reproduire, ce qui nécessite de la part du professeur des institutionnalisations « souples ».

Celui-ci doit non seulement faire expliciter les procédures mobilisées mais il doit aussi

les hiérarchiser et, pour certaines, institutionnaliser aussi leur domaine de validité. Une

pratique régulière de calcul mental doit ainsi avoir pour objectif d’amener l’élève non

seulement à mettre en œuvre des procédures économiques mais aussi à en percevoir le

domaine d’efficacité. L’institutionnalisation que nous qualifions de « souple » porte à la fois

sur l’économie de la procédure et sur son domaine d’efficacité. Elle ne doit pas être trop

rapide ni trop « forte » car cela risquerait de se faire au détriment de l’adaptabilité. Elle ne

doit pas être trop « faible » et ni trop « tardive » car alors toutes les procédures pourraient

apparaître comme équivalentes. Elle doit amener les élèves à prendre conscience de l’éventail

et de la hiérarchie des procédures mises en œuvre dans la classe.

Les élèves en difficulté en mathématiques et notamment en difficulté en calcul mental

ne réussissent pas aussi bien que leurs pairs à entrer dans cette dynamique. En effet, ce sont

souvent des élèves qui, au quotidien, ne parviennent pas suffisamment à appréhender les

enjeux des situations d’enseignement qui leurs sont proposées. De plus, ils éprouvent des

difficultés à mettre en relation les nouvelles connaissances avec les connaissances plus

anciennes. De ce fait, ils ne comprennent pas toujours le contenu des institutionnalisations.

Ainsi, toutes les procédures peuvent leur apparaître comme égales ; la pertinence de leur

mobilisation peut ne pas être mise en relation avec les propriétés des nombres intervenant

dans les calculs.

Ces élèves peuvent alors devenir prisonniers d’une dynamique renforçant leurs

difficultés. Leurs connaissances insuffisantes sur les nombres, sur les opérations et leurs

propriétés les conduisent à produire plus souvent que leurs pairs des procédures de calculs

inadaptées. Ne comprenant pas les enjeux des moments d’échanges d’expériences de calculs,

ne prenant pas suffisamment la mesure des hiérarchies effectuées, ils ne peuvent pas

bénéficier des procédures automatisées installées à ces occasions. Ne fréquentant pas assez de

nouvelles décompositions des nombres, leurs connaissances ne s’accroissent pas

suffisamment pour leur permettre d’échapper à l’automatisme. Cela contribue à renforcer les

différences de performances et de connaissances entre les élèves.

Ce constat nous a conduits à préciser d’autres conditions permettant à ces élèves

d’échapper à l’automatisme. C'est l'objet de la seconde partie de cet article.

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- 28-

Ainsi, nous intéressant plus particulièrement aux effets d’un dispositif d’enseignement visant

à combler certains manques, à intervenir sur les prérequis des élèves en difficulté, nous avons

constaté que ce type d’intervention s’il se traduit pour la majorité des élèves par un progrès en

termes de connaissances numériques et de maîtrise de calcul, ne permet toutefois pas, à lui

seul, aux élèves les plus en difficulté de combler leur retard. Ces derniers semblent rester

« prisonniers » des algorithmes les moins adaptés au calcul mental ; le changement de posture

attendu n’étant pas aussi présent que pour les autres élèves.

II.5. La dialectique de la construction du sens et de la maîtrise des techniques

Dans ce chapitre, nous présentons une recherche qui vise à montrer que construction du sens

des opérations et maîtrise des techniques opératoires se construisent en étroite relation. Que

l’un n’est pas premier par rapport à l’autre et réciproquement mais qu’il s’agit d’un processus

dialectique de construction.

Nous avons déjà montré ci-dessus qu’une habileté calculatoire construite à l’occasion d’une

pratique régulière de calcul mental se traduisait par des connaissances sur les nombres

(notamment sur leurs décompositions) plus riches et que réciproquement ces connaissances

favorisaient une meilleure maîtrise et une plus grande diversité de procédures de calcul. La

recherche relatée ci-dessous (extrait du même article du numéro 71 de grand N) confirme ce

lien entre sens et technique dans le contexte particulier de l’étude des effets d’une pratique

régulière de calcul mental sur les procédures et performances de résolution de problèmes

standards chez des élèves de CM2.

II. PARTIE 2 : CONCEPTUALISATION EN MATHEMATIQUES ET ELEVES EN DIFFICULTE

(…)

Dans un premier temps, nous revenons sur les liens existant entre apprentissages de

connaissances numériques et apprentissages de techniques opératoires en centrant notre

regard sur la résolution de problèmes numériques standards7.

(…)

1. Rapports entre maîtrise de techniques opératoires et résolution de problèmes

standards

Nous avons montré (Butlen, Pézard 2002) qu’une pratique régulière de calcul mental,

en améliorant les habiletés calculatoires des élèves, se traduit pour un certain type de

problèmes standards par une accélération du processus de reconnaissance de l’opération en

jeu. Il s’agit de problèmes relevant de modèles relativement familiers aux élèves mais dont la

reconnaissance n’est pas encore automatisée. Ce sont, par exemple des problèmes additifs

faisant intervenir des compositions de transformations type « le jeu de l’autobus » : Dans un

autobus, il y a 28 voyageurs. À la prochaine station, 15 voyageurs montent et 17 descendent.

Combien y a-t-il de voyageurs dans l’autobus quand il repart ? ou des problèmes

multiplicatifs simples : Pour réaliser un pull, Sylvie achète 18 pelotes de laine à 5 € la pelote.

Calcule le montant de la dépense.

7 Nous appelons problèmes numériques standards des problèmes habituels de l’école élémentaire, ne présentant

pas de difficulté particulière, notamment de vocabulaire et de syntaxe. Leur résolution fait intervenir une ou

plusieurs des 4 opérations. Les données numériques peuvent être toutefois plus ou moins complexes.

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- 29-

Pour cela, nous avons comparé les performances et procédures d’élèves de CM2

entraînés régulièrement au calcul mental et celles d’élèves de classes équivalentes mais

n’ayant pas suivi un enseignement aussi important dans ce domaine. Les élèves devaient

résoudre un ensemble de 24 problèmes par écrit, mais aussi mentalement (4 problèmes à

chaque fois).

Nous avons donc construit un test de 24 problèmes numériques qui s'inscrivent dans

les apprentissages prévus en dernière année d’école élémentaire et qui portent sur des notions

introduites auparavant. Ce sont des problèmes que nous qualifions de standards. Nous avons

fait ce choix pour limiter le nombre des variables intervenant dans la construction de ces

problèmes. Il s’agit de la nature des opérations arithmétiques (addition, soustraction,

multiplication, division) et du nombre de données numériques (2 données, 3 données, une

donnée inutile). Nous avons aussi défini deux degrés de complexité des problèmes : "simple"

ou "complexe". Pour cette différenciation, nous nous appuyons sur les travaux de G.

Vergnaud (1982, 1983).

Pour l'addition, nous considérons comme problèmes "simples", les problèmes de

composition de mesures (réunion) ou ceux faisant intervenir le calcul d'un état final. Nous

considérons comme problèmes "complexes", les problèmes de calcul d'un état initial ou ceux

faisant intervenir une composition de transformations positives.

Pour la soustraction, de la même façon, nous considérons comme problèmes "simples"

soit les problèmes de recherche du complément, soit les problèmes de calcul d'un état final

(sens "enlever"). Nous considérons comme problèmes "complexes" soit les problèmes de

calcul d'un état initial, soit les problèmes de composition de transformations négatives (à noter

que ces derniers se résolvent en fait par une addition).

Pour la multiplication, nous considérons comme "simples", les problèmes d'addition

réitérée ou de calcul du cardinal d’une collection discrète pouvant se représenter par une

« grille rectangulaire ». Nous considérons comme "complexes", les problèmes de

combinatoire (recherche de tous les possibles) et ceux faisant intervenir un calcul d'aire ou de

volume.

Pour la division, nous considérons comme "simples", les problèmes de partage ou de

répartition et comme "complexes," les problèmes faisant intervenir l'inverse d'une

multiplication ou la recherche d'une dimension dans un calcul d'aire ou de volume. Les

problèmes de division avec trois données n'étant pas adaptés, nous proposons à la place des

problèmes de division avec reste.

Nous croisons la variable "type d'opération" avec les variables "données numériques"

et degré de complexité, ce qui conduit à 24 problèmes différents. Le tableau ci-dessous

synthétise les critères qui ont servi à l’élaboration de ces 24 problèmes. Les problèmes situés

en haut à gauche d’une case sont des problèmes « simples », ceux situés en bas à droite sont

des problèmes « complexes ».

Critères de construction des problèmes

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 30-

Données

numériques

Opérations

2 données 3 données une donnée inutile

(di)

Addition

état final

n°4

état initial

n°5

état final

n°12

composée de

transformations

n°16

réunion

n°10

état initial n°3

Soustraction

complément

n°15

état initial

n°19

état final

n°6

composée de

transformations

n°7

Distance

n°11

composée de

transformations

n°21

Multiplication

addition réitérée

n°1

Aire

n°8

addition réitérée

n°20

Volume

n°13

addition réitérée

n°2

Produit

cartésien

n°24

Division

Répartition (reste

nul)

n°17

multiplication

inverse (aire)

n°22

répartition (avec

reste)

n°9

division avec reste

n°14

division (reste nul)

n°23

multiplication

inverse

n°18

D’après nos recherches (Butlen, Pézard 2002), un entraînement au calcul mental, en

allégeant les tâches de calcul, favorise donc une « prise de sens » lors de la résolution de

problèmes et contribue à accélérer l’automatisation de la reconnaissance du modèle

(opération(s) en jeu).

Les automatismes de calcul installés au cours d’une pratique régulière de calcul mental

permettent aux élèves de construire des schémas de problèmes (Julo, 1995). Tout se passe

comme si l’élève avait construit une mémoire des problèmes déjà rencontrés ainsi que des

procédures de résolution associées. Cette mémoire s’organise grâce à une certaine

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 31-

catégorisation et à un recours à des problèmes prototypiques représentatifs de chaque

catégorie. L’élève s’avère alors capable de mobiliser à bon escient le modèle le plus adapté

pour résoudre le problème.

Là encore, l’examen des performances des élèves montre que tous ne profitent pas de

ces enseignements. Tous n’entrent pas dans cette dialectique entre sens et technique, entre

automatisation et adaptation aux conditions particulières de la tâche. Tout se passe comme si

les élèves les plus en difficulté n’en avaient pas les moyens soit en termes de

prérequis (connaissances sur les nombres et les opérations insuffisantes, fréquentation moins

importante des problèmes notamment), soit en termes de temps, soit en termes d’évaluation

des enjeux d’apprentissage des situations qui leur sont proposées

ANNNEXES

Annexe 1 : Enoncés des 24 problèmes du test

Le signe x, -, + ou / indique l’opération. Les nombres 2 ou 3 indiquent le nombre de

données. « di » indique la présence d’une donnée inutile. Les lettres s ou c indique le degré de

difficulté (simple ou complexe).

Problème 1 : (x, 2, s) : Pour réaliser un pull, Sylvie achète 18 pelotes de laine à 20F la

pelote ; calcule le montant de la dépense.

Problème 2 : (x, di, s) : Une famille de 3 personnes séjourne pendant 6 jours à la

résidence "des 3 îles" ; le tarif journalier de la pension est de 200F par personne ; calcule le

montant de la dépense.

Problème 3 : (+, di, c) : Marie fête son anniversaire le 22 septembre : elle a 11 ans.

Elle dit à sa maman : "j'ai exactement 32 ans de moins que toi !"

Quel est l'âge de Maman ?

Problème 4 : (+, 2, s) : Hier, j'ai lu jusqu'à la page 134 de mon livre ; aujourd'hui, j'ai

lu 27 pages ; à quelle page en suis-je maintenant ?

Problème 5 : (+, 2, c) : Pierre a perdu 15 billes à la récréation ; il lui en reste 20 ;

combien avait-il de billes avant ?

Problème 6 : (-, 3, s) : Dans un autobus, il y a 38 personnes ; au premier arrêt, 8

personnes descendent ; au second arrêt, 6 personnes descendent ; combien y a-t-il de

personnes dans l'autobus quand il repart ?

Problème 7 : (-, 3, c) : Au premier arrêt d'un autobus, 12 personnes montent ; au

second arrêt, 4 personnes descendent ; au troisième arrêt, 5 personnes descendent ; y a-t-il

plus ou moins de voyageurs dans l'autobus quand il repart ? Combien en plus ou en moins ?

Problème 8 : (x, 2, c) : Un quadrillage rectangulaire comporte 34 carreaux sur la

longueur et 20 carreaux sur la largeur ; combien ce quadrillage a-t-il de carreaux ?

Problème 9 : (division avec reste, s) : On doit répartir 50 pommes dans des corbeilles

de 8 pommes chacune ; combien peut-on remplir de corbeilles ? Combien reste-t-il de

pommes ?

Problème 10 : (+, di, s) : Dans une ville, il y a 3 écoles ; dans la première, on compte

150 élèves ; dans la seconde, 58 élèves ; dans la troisième, 70 élèves ; combien y a-t-il

d'élèves dans cette ville ?

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- 32-

Problème 11 : (-, di, s) : Jean part de Paris, doit passer par Melun et être à

Fontainebleau à 10 heures ; la distance Paris Fontainebleau est de 65 km et il y a 15 km de

Melun à Fontainebleau ; quelle est la distance entre Paris et Melun ?

Problème 12 : (+, 3, s) : Dans un autobus, il y a 36 personnes ; au premier arrêt, 3

personnes montent ; au second arrêt, 12 personnes montent ; combien y a-t-il de personnes

dans l'autobus quand il repart ?

Problème 13 : (x, 3, c) : Dans une boîte, on dispose 5 morceaux de sucre sur la

longueur, 3 morceaux sur la largeur et 4 morceaux sur la hauteur ; combien de morceaux de

sucre y a-t-il dans la boîte ?

Problème 14 : (division avec reste, c) : Avec ses bottes de sept lieux, le petit Poucet se

déplace de ville en ville ; il fait des pas de 8 km ; s'il parcourt 50 km, combien de pas va-t-il

faire ?

Problème 15 : (-, 2, s) : Dans un parking, il y a 100 places ; ce matin, 67 places sont

occupées, combien reste-t-il de places libres ?

Problème 16 : (+,3,c) : Au premier arrêt d'un autobus, 10 personnes montent ; au

second arrêt, 3 personnes montent ; au troisième arrêt, 8 personnes montent ; y-a-t-il des

personnes en plus ou en moins dans l'autobus quand il repart après le troisième arrêt ?

Combien en plus ou en moins ?

Problème 17 : (:, 2, s) : On répartit 126 œufs dans des boîtes de 6 ; combien de boîtes

peut-on remplir ?

Problème 18 : (:, di, c) : Pour Noël, Jean, qui dispose de 250F, a décidé d'offrir le

même livre à ses 4 amis ; il paye 208F ; quel est le prix d'un livre ?

Problème 19 : (-, 2, c) : J'ai maintenant 200F dans ma tirelire ; on vient de me donner

50F en cadeau ; combien avais-je avant ?

Problème 20 : (x, 3, s) : Une famille de 3 personnes part à la montagne pendant 6

jours ; le tarif journalier de la pension est de 200F par personne ; quel est le montant de la

dépense ?

Problème 21 : (-, di, c) : La distance entre chaque arrêt d'un autobus est d'environ

1500m ; au premier arrêt, 10 personnes montent ; au second arrêt, 3 personnes descendent ; au

troisième arrêt, 5 personnes montent ; y a-t-il plus ou moins de voyageurs dans l'autobus

quand il repart après ce troisième arrêt ? Combien en plus ou en moins ?

Problème 22 : (:, 2, c) : Un quadrillage rectangulaire comporte 168 carreaux en tout ;

il y a 4 carreaux sur la largeur ; combien y a-t-il de carreaux sur la longueur ?

Problème 23 : (:, di, s) : Un rallye cycliste comporte 105 km ; le départ est à 7 heures

le matin ; les relais sont distants de 5 km ; chaque participant doit pointer au départ, à chaque

relais, et à l'arrivée ; combien de fois doit-il pointer ?

Problème 24 : (x, di, c) : Un restaurant propose un menu du jour à 70F ; il y a 4 choix

possibles pour l'entrée, 3 choix possibles pour le plat principal et 2 choix possibles pour le

dessert ; combien de menus différents peut-on constituer ?

La mise en évidence des effets limités sur les apprentissages des élèves les plus en difficulté

d’un tel dispositif nous a donc amenés à penser un autre dispositif, plus riche, englobant le

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 33-

précédent mais destiné à traiter les difficultés spécifiques de ces élèves. C’est ce que nous

abordons dans le chapitre suivant.

II.6. Des cheminements cognitifs spécifiques

Nous avons signalé plus haut que les élèves en difficulté en mathématiques appréhendaient

difficilement les enjeux des situations que le professeur leur proposait, qu’ils en restaient

souvent au niveau de l’action et que cela compromettait l’accès au niveau de

conceptualisation visé par l’enseignement.

Les activités de calcul mental sont des moments privilégiés pendant lesquels cette compétence

peut être travaillée. En effet, quand le professeur propose à ses élèves un calcul, ces derniers

n’ont que quelques secondes pour appréhender le but et la qualité de l’activité demandée :

restituer un fait numérique mémorisé ou une technique de calcul automatisée ou en voie

d’automatisation ou bien au contraire mobiliser ce type de connaissances pour produire une

procédure nouvelle ou adapter une procédure plus ancienne afin d’effectuer dans le temps

demandé le calcul en jeu.

Mais si les activités de calcul mental peuvent être l’occasion de développer ce type de

compétence, elles peuvent être a contrario particulièrement difficiles, voire se révéler une

source d’échec, pour les élèves incapables d’appréhender de tels enjeux dans un temps aussi

limité. Reprenant l’idée que le recours à la production d’un écrit collectif s’appuyant sur un

débat entre pairs peut amener ces élèves à dépasser cette difficulté grâce à une prise de

distance par rapport à l’action et par un retour sur les activités pratiquées en termes

d’apprentissage, nous avons élaboré et testé un dispositif d’enseignement visant cet objectif.

L’extrait ci-dessous de l’article précédemment évoqué présente ce dispositif ainsi que ses

effets sur les apprentissages des élèves les plus en difficulté.

II. PARTIE 2 : CONCEPTUALISATION EN MATHEMATIQUES ET ELEVES EN DIFFICULTE

(reprise et suite de l’extrait précédent)

Les élèves en difficulté ne bénéficient donc pas au même titre que les autres d’un

enseignement de calcul mental. L’apprentissage de techniques de calculs élémentaires, la

familiarisation avec diverses décompositions additives ou multiplicatives des nombres, des

institutionnalisations souples ayant pour but de hiérarchiser les procédures rencontrées et de

préciser leur domaine d’efficacité ne suffisent pas. Les tentatives du professeur pour leur faire

utiliser des procédures spécifiques, adaptées au calcul en jeu se révèlent souvent

infructueuses.

Dans cette seconde partie, nous étudions des conditions spécifiques permettant à ces

élèves de surmonter les difficultés explicitées précédemment. L’étude de ces conditions est en

rapport étroit avec l’étude des processus de conceptualisation et de décontextualisation. Ces

deux processus sont liés. Nous admettons que chez les élèves de 11 à 13 ans, la

conceptualisation de certaines notions mathématiques implique et est impliquée par

différentes activités de décontextualisation : généralisation, changement de contexte,

formalisation, etc., qui correspondent à des degrés différents. Notons que la

décontextualisation peut être en partie dévolue aux élèves, par exemple dès qu’il y a

explicitation de leur part de modèles implicites mobilisés dans l’action ou lors de différentes

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 34-

phases de formulation. Ces dernières peuvent par exemple prendre la forme d’un débat

débouchant sur la production collective d’un écrit.

(…)

nous mettons en évidence la nécessité de construire un enseignement offrant des

cheminements cognitifs différents aux élèves en difficulté. Ces cheminements se caractérisent

notamment par l’existence d’étapes originales. En conclusion, nous précisons les limites de ce

type d’enseignement et dégageons des pistes possibles pour les dépasser.

(…)

2. Une nouvelle ingénierie comportant des situations de bilan de savoirs et une

explicitation de méthodes

Notre but est de permettre aux élèves en difficulté de mieux capitaliser leur acquis

dans le domaine du calcul mental en vue d’un éventuel réinvestissement dans la résolution de

problèmes numériques.

Pour cela, nous inspirant des travaux en linguistique sur le rôle de l’écrit (Bautier

1995, Lahire 1993), en sociologie sur la notion de rapport au savoir (Charlot, Bautier,

Rochex, 1992), en didactique des mathématiques sur le rôle du débat (Legrand 1991) et en

psychologie cognitive sur la dialectique entre apprentissage individuel et apprentissage

collectif, nous avons pensé un dispositif d’enseignement plus complet. Il s’organise autour de

trois axes : une pratique régulière de calcul mental, des situations de bilans écrits de savoirs

élaborés collectivement au cours d’un débat entre pairs, une confrontation régulière à

l’explicitation de méthodes de calcul et de résolution de problèmes8.

2.1. Description de l’ingénierie et du public concerné

(…)

Décrivons plus particulièrement les situations de bilan de savoirs. Précisons la tâche

prescrite aux élèves.

En dix lignes maximum, vous rédigez par écrit un texte

résumant tout ce qui a été appris depuis la dernière séance pendant

les activités de calcul mental et de résolution mentale de problèmes ;

vous préciserez si ce que vous avez appris lors de ces activités vous a

été utile dans d’autres activités.

Un texte produit initialement par deux élèves est mis en débat avec l’ensemble de la

classe. Il est éventuellement amélioré collectivement puis adopté. Il est ensuite recopié dans

un classeur (individuel mais aussi collectif) ; chaque élève peut ainsi y avoir accès.

L’ensemble de ces textes constitue une mémoire collective écrite du travail effectué par les

élèves dans le domaine numérique. Ces derniers explicitent à cette occasion ce qu’ils jugent

collectivement important de retenir des activités pratiquées.

Grâce à ces bilans réguliers de savoirs, il est possible d'accéder à ce que les élèves

retiennent des activités de mathématiques, à ce qui est important pour eux. La régularité de

ces séances permet de reconstruire l’histoire de l’appropriation des notions enseignées : il est

ainsi possible de recueillir des indices sur le niveau de disponibilité des connaissances des

élèves et l’évolution de leurs conceptions.

8 Il s’agit de problèmes « classiques » relevant des trois niveaux testés : CM2, sixième, cinquième, dont l’énoncé

et les valeurs numériques sont compatibles avec une résolution mentale.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 35-

Le professeur joue essentiellement un rôle d’animateur lors du débat ; il n'intervient

que pour relancer la discussion, évaluer l’accord de la classe à une proposition de

modification ou demander des compléments d’activités ou des explications supplémentaires,

mais il ne modifie jamais les textes élaborés par les élèves quand bien même il peut lui arriver

de temps à autre de corriger l’orthographe ou de rectifier certaines formulations secondaires

par rapport au sens de telle ou telle proposition. Il peut aussi être demandeur de nouvelles

formulations, et il intervient également chaque fois que les élèves produisent un énoncé

mathématiquement erroné.

En plus de ces bilans collectifs de savoirs, nous avons recueilli, en fin d’année, des

bilans individuels de savoirs auprès des élèves des classes entraînées mais aussi de classes

témoins. La comparaison de ces productions individuelles issues des deux types de classes

nous a permis d’avoir des éléments de mesure de l’impact de notre ingénierie.

Notre ingénierie a été testée dans trois niveaux de classe (CM2, 6e et 5

e) avec des

élèves souvent en difficulté en mathématiques.

L’expérimentation s’est déroulée durant une année scolaire dans la classe de CM2 ;

elle a duré deux ans au collège, les élèves de sixième étant suivis l’année suivante en

cinquième.

2.2. Les résultats

Nous avons mis en évidence des cheminements cognitifs différents selon les élèves :

certains ont besoin de passer par des étapes originales que nous avons interprétées comme des

étapes du processus de conceptualisation de certaines notions mathématiques.

Nous allons développer deux exemples.

2.2.1. Le recours à l’exemple générique

Nous avons caractérisé ces étapes en prenant notamment en compte le degré de

décontextualisation, de dépersonnalisation des textes que pouvaient produire individuellement

ou collectivement les élèves.

Notre objectif était d’amener les élèves, grâce au recours à l’écrit et grâce au débat, à

produire des textes mathématiques davantage décontextualisés. En effet, les élèves dans un

premier temps produisent des textes qui sont surtout des descriptions des tâches prescrites par

l’enseignant ou des exemples isolés sans généralisation.

En voici un exemple (classe de CM2) :

Nous avons fait des multiplications et des divisions avec des

entiers puis avec des décimaux.

Ou bien : (classe de CM2) :

Cette semaine, nous avons joué au compte est bon. On nous

donnait quatre nombres. Il fallait essayer de s’approcher le plus

possible du nombre donné (ou de l’atteindre) en faisant des additions,

des multiplications, des divisions ou des soustractions. Tous les

nombres devaient être utilisés une et une seule fois.

Ex : trouver un nombre (132) avec 6, 16, 4, 32.

6 x 16 = 96

96 + 32 = 128

128 + 4 = 132

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 36-

Nous avons constaté que les élèves ayant bénéficié de notre ingénierie produisaient

souvent des textes intermédiaires entre ces énoncés très contextualisés et des énoncés formels

du type : (classe de CM2)

Pour multiplier un nombre par des puissances de 10, on met

autant de zéros à droite du nombre que l’indique l’exposant.

Ces énoncés intermédiaires comportent l’énoncé de la propriété ou de la règle et un

exemple l’illustrant ou la générant, constituant donc un exemple générique. En voici deux

illustrations :

La règle est formulée à partir d’un exemple : (classe de CM2)

Nous multiplions 42 x 56 ; 42 x 50 = 2100 ; 42 x 6 = 252 ;

2100 + 252 = 2352 ; on a décomposé la multiplication par une

addition avec un nombre exact de dizaines.

La règle est illustrée par un exemple : (classe de CM2)

Cette quinzaine, nous avons fait des multiplications par 25. Il

fallait multiplier par 100 et diviser par 4. Exemple : 22 x 25 = ? On

fait 22 x 100 = 2200 et 2200 / 4 = 550.

Le recours à l’exemple générique peut s’expliquer par un souci de communication

entre pairs. Pour se faire comprendre des autres, l’élève ressent le besoin d’expliciter la règle

à l’aide d’un exemple. Cette explicitation lui est aussi bénéfique dans la mesure où il

s’explique ainsi à nouveau la règle et son contexte. En expliquant aux autres, il s’explique à

lui-même.

Les situations de bilans de savoirs s’appuient ainsi sur une dialectique entre

apprentissage collectif et apprentissage individuel.

Le débat et le recours à l’écrit permettent donc à certains élèves de prendre de la

distance par rapport au contexte de l’apprentissage, d’accéder à un niveau supérieur de

décontextualisation et de généralisation.

Ces énoncés intermédiaires caractérisent une étape, semble-t-il obligatoire pour

certains élèves, dans le processus de conceptualisation. Recourant à l’exemple générique, ils

se situent entre le contextualisé et le général, entre l’exemple isolé et l’énoncé formel.

Ces étapes n’apparaissent pas d’elles-mêmes. Il est nécessaire de prévoir un dispositif

d’enseignement qui en assure l’existence. En effet, nous avons constaté, en demandant de

rédiger des bilans de savoirs à des élèves n’ayant pas bénéficié de notre ingénierie, qu’ils ne

produisaient que très rarement ce type d’énoncés intermédiaires. La majorité des élèves

produisent des énoncés très contextualisés ; quelques élèves essaient de restituer les énoncés

formels issus du cours du professeur.

Ainsi, l’énoncé ci-dessous restitue un exemple mathématique isolé, illustrant une

action ou une consigne :

« Cette dernière semaine, nous avons donné la valeur exacte

du quotient sous forme de fractions et nous l'avons encadré entre deux

nombres entiers naturels puis nous avons précisé en l'encadrant entre

deux nombres décimaux allant jusqu'au centième, millième, 1/10n

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 37-

357 < 357,12 < 2857/8 < 357,13 < 358 ».

Nous avons cité ci-dessus un exemple d’énoncé formel exact ; voici une tentative de

restitution d’un énoncé formel concernant le traitement de la soustraction d’une somme :

Nous avons appris que : -(a+b+c) = + a + b + c

Le débat entre pairs joue un rôle déterminant dans le processus de décontextualisation

des énoncés mathématiques produits comme le montre le tableau ci-dessous. La grande

majorité des éléments d’énoncés rajoutés collectivement lors du débat sont décontextualisés.

CM2 6e 5

e

% d’énoncés mathématiques plutôt

décontextualisés élaborés lors du débat

(par rapport à l’ensemble des énoncés

mathématiques élaborés lors du débat)

93%

75%

91%

% d’énoncés de méthodes plutôt

décontextualisés élaborés lors du débat

(par rapport à l’ensemble des énoncés

de méthodes élaborés lors du débat)

43%

75%

74%

2.2.2. Le recours à des outils heuristiques

Dans les classes où nous avons travaillé, nous observons un changement du statut des

nombres intervenant dans les énoncés de problèmes. Dans les bilans individuels des élèves

recueillis en fin d’année, nous avons trouvé des énoncés du type :

Quand il y a des nombres compliqués, on les simplifie ; après

les avoir simplifiés, on cherche une méthode et lorsque l’on trouve, on

l’applique aux nombres compliqués.

Lors de la recherche d’une solution, des élèves déclarent donc remplacer les données

numériques soit par des nombres plus simples, soit par des lettres. Les données numériques

pouvant varier, l’accès au modèle (la recherche de l’opération arithmétique sous-jacente) est

alors plus aisé.

Cette stratégie relève de l’heuristique dans la mesure où elle accroît les possibilités

d’exploration des relations en jeu dans le problème à résoudre. Cet outil heuristique est

caractéristique selon nous d’une étape intermédiaire entre l’arithmétique et l’algèbre. En effet,

les élèves qui s’autorisent à remplacer les données du problème par des nombres plus simples

et a fortiori par des lettres ne les considèrent plus comme fixes. Cette stratégie de résolution

peut être qualifiée de « pré-algébrique ».

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 38-

Nous avons également constaté que cela va de pair avec une utilisation plus experte du

calcul mental lors de la résolution de problèmes. Les élèves sont plus nombreux à déclarer

calculer des ordres de grandeurs, soit pour chercher l’opération à effectuer, soit pour vérifier

leur résultat. Une plus grande habileté calculatoire se traduit ainsi par une plus grande

capacité à prévoir et contrôler le résultat des calculs. En effet, leurs pairs entraînés au calcul

mental mais n’ayant pas bénéficié des bilans de savoirs déclarent seulement que cette pratique

les rend plus à l’aise dans les calculs.

2.3. Apports et limites de l’ingénierie

Nous avons vu qu’un enseignement comportant des situations ayant pour objectif

d’amener les élèves à prendre de la distance par rapport au contexte permettait à certains

d’entre eux d’accéder à un niveau supérieur de conceptualisation grâce à des étapes prenant

en compte leur difficulté à décontextualiser, à généraliser et donc à réinvestir les

apprentissages effectués dans un contexte donné.

Nous pensons ainsi avoir mis en évidence des situations permettant à certains élèves

en difficulté, notamment scolarisés en ZEP, de parcourir des cheminements cognitifs

originaux.

Toutefois cet apport rencontre certaines limites. Nous avons en effet constaté que les

élèves les plus en difficulté ne profitent pas, comme leurs pairs, de ces étapes.

Nous avons classé les élèves ayant bénéficié de notre ingénierie (il s’agissait de

classes plutôt faibles) en quatre catégories allant des plus performants (A) aux plus faibles (D)

en passant par les élèves moyens (B) et les élèves en difficulté moyenne (C). Nous constatons

que ce sont les élèves des catégories A, B et C qui ont recours à l’exemple générique.

En CM2 et cinquième, les énoncés intermédiaires sont produits essentiellement par les

« bons élèves » (catégorie A) et par les élèves plutôt faibles (catégorie C). En sixième, ce sont

surtout les « bons » élèves (catégories A et B) qui produisent les énoncés intermédiaires.

Les élèves de catégorie A : à tous les niveaux de scolarité étudiés, ils s’avèrent

capables de produire des énoncés de tout degré de décontextualisation. Ainsi, 4 élèves sur 7

en CM2, 2 sur 5 en sixième et 6 sur 8 en cinquième produisent des énoncés intermédiaires.

Nous pouvons interpréter leur production d’énoncés intermédiaires comme un effet de

contrat. Habitués à produire ce type d’énoncés lors des bilans collectifs de savoirs, ils le font

également lors des bilans individuels de fin d’année. Toutefois, comme ils sont capables de

produire des énoncés formels, la production d’énoncés intermédiaires ne constitue pas

forcément, pour eux, un passage obligé. Cela semble davantage être le signe d’une plus

grande capacité à s’adapter aux exigences de la communication.

Les élèves de catégorie B : les élèves moyens de CM2 et cinquième produisent soit des

énoncés contextualisés, soit des énoncés formels. En sixième, leurs productions représentent

tous les types d’énoncés, la moitié d’entre eux produisant uniquement des énoncés

intermédiaires. La production de ce dernier type d’énoncés semble leur être profitable et

nécessaire pendant un temps relativement court. En cinquième en effet, dans leurs bilans

individuels de savoir, ils abandonnent la production de ces énoncés pour des énoncés formels.

Ils sont sans doute moins sensibles aux effets de contrat que leurs pairs de catégorie A.

Les élèves de catégorie C : la moitié des élèves en difficulté moyenne produisent des

énoncés intermédiaires en CM2 et en cinquième. En sixième, ils ne produisent pas d’énoncés

de ce type mais produisent essentiellement des exemples seuls. Cette différence de résultats

entre la sixième et les deux autres classes peut s'expliquer à la fois par la faible participation

des élèves de cette classe au débat, par leur rapport particulier à l’écrit et par des effets de

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 39-

contrat. À ce niveau scolaire, ce sont les élèves les plus performants qui s’autorisent à

produire plus d’énoncés mathématiques ou de méthodes en ayant recours partiellement au

formalisme. Il semble qu'une année soit nécessaire pour que les élèves de collège participent,

à degré égal à celui de l’école élémentaire, à l'élaboration et à l'amélioration collective d'écrits

mathématiques.

Des contraintes institutionnelles spécifiques au collège - le remplacement d’un maître

unique par une équipe de professeurs spécialisés - sont à l’origine de cette réticence. En CM2,

c’est la même personne qui enseigne le français et les mathématiques. Écrire un texte se

présentant comme une « rédaction » surprend moins les élèves de CM2. Ce n’est pas le cas au

collège où les rôles sont plus spécialisés. Enfin, le professeur est le principal producteur

d’écrits mathématiques : les définitions, théorèmes, règles sont en général formulés par le

professeur. La part des élèves dans cette production est souvent faible, particulièrement au

collège. La production par les élèves d’écrits mathématiques, surtout quand ils ont pour but de

synthétiser les apprentissages effectués, ne fait pas partie du contrat. Ce rapport à l’écrit

mathématique confère à un texte « écrit au tableau », même par un pair, un caractère officiel,

qui rend toute modification difficile à envisager. Un temps assez long, supérieur à une année

scolaire, semble nécessaire pour renégocier cet aspect du contrat didactique.

Ces contraintes semblent empêcher provisoirement les élèves en difficulté moyenne de

bénéficier de notre ingénierie, en particulier de la situation de bilan de savoirs. Deux années

seront nécessaires au collège pour permettre à la moitié d’entre eux d’accéder à ce niveau de

décontextualisation.

Les élèves de catégorie D : les élèves en difficulté importante produisent plutôt des

textes qui restituent l’énoncé de la tâche prescrite ou décrivent le contexte de l’apprentissage

en 6e (4 sur 6) ; c’est encore le cas d’un tiers d’entre eux en 5ème

. En CM2, ils produisent soit

des énoncés mathématiques contextualisés (3 élèves sur 5), soit des énoncés formels (3 élèves

sur 5). En 5ème

, la majorité d’entre eux produisent des énoncés très contextualisés. Notons

toutefois que 4 élèves de ce niveau produisent des énoncés formels. Il faut dire que la majorité

de ces élèves très faibles n’ont pas bénéficié du dispositif d’enseignement en 6ème

, ils sont en

effet issus d’autres classes. On dénombre un élève sur les cinq de catégorie D en CM2, 1 sur 6

en sixième et 2 sur 9 en cinquième qui produisent des énoncés intermédiaires.

Un intermédiaire profitable pour les élèves en difficulté moyenne : il semble donc que

notre ingénierie crée des conditions permettant à des élèves faibles (niveau C) de produire des

énoncés intermédiaires. Cet effet, déjà perceptible au CM2, devient plus explicite au bout de

deux années au collège. Cette production d'énoncés intermédiaires s’accompagne, d’après les

évaluations du professeur, de réels progrès en mathématiques. Notre dispositif

d’enseignement permet à ces élèves de produire des énoncés mathématiques plus

décontextualisés mais ancrés dans leur expérience personnelle. Cette production a été

favorisée par les échanges avec leurs pairs et par l’explicitation de méthodes par le professeur.

La mémoire collective de la classe ainsi construite semble constituer pour chacun un

ensemble d’expériences, de connaissances et de savoirs en partie décontextualisés, vécus en

commun avec les autres élèves et avec le maître, partiellement codifiés dans leur mémoire

personnelle ; cela leur permet d’élargir leurs possibilités de formulation mais aussi de

s’approprier, au moins partiellement, certaines notions et méthodes mathématiques.

Le fait que les élèves en grande difficulté ne bénéficient pas de notre ingénierie montre

qu'il semble exister un seuil minimum de connaissances mathématiques pour que les élèves

puissent s'approprier un type de formulation produit collectivement.

Nous pouvons émettre des hypothèses permettant d’expliquer ces limites.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 40-

Le temps semble être un facteur important, surtout en collège. Ainsi, il faut deux

années consécutives de pratique des bilans de savoirs pour obtenir une décontextualisation

significative des énoncés mathématiques produits collectivement ou individuellement.

Il existe sans doute un seuil, définissable en termes de prérequis, nécessaire pour

appréhender les enjeux et les apports des débats réalisés à propos d’un texte écrit. Ceux-ci

peuvent être très locaux ou au contraire plus globaux. Ils peuvent concerner l’apprentissage

d’une notion donnée ou faire référence à l’apprentissage en général. Ainsi le débat peut porter

localement sur des amendements décontextualisant et généralisant un texte daté ou concerner

le réinvestissement différé de la notion convoquée. Pour bénéficier du débat et de ces pas de

côté, l’élève doit pouvoir appréhender les portées de ces deux enjeux.

Cela peut nécessiter également un changement de rapport au savoir, local quand il

s’agit des phénomènes évoqués ci-dessus, ou plus général, voire un changement du rapport à

l’école, quand ce sont les apprentissages scolaires dans leur ensemble qui sont interrogés par

la situation. L’élève doit non seulement pouvoir en termes cognitifs mais aussi accepter (en

termes de posture) d’entrer dans ces différents niveaux d’interrogation et de changement.

3. Conclusion

Nous avons rendu compte dans cet article du processus de conceptualisation de

certaines notions numériques (décompositions additives et multiplicatives des nombres

entiers, techniques de calcul mental, reconnaissance des opérations en jeu dans des problèmes

numériques standard) en centrant notre regard sur les difficultés des élèves, notamment celles

rencontrées par les élèves de milieux populaires : disponibilité des décompositions additives

et multiplicatives des nombres lors de calculs mentaux, reconnaissance des opérations en jeu

dans des problèmes standard, apprentissage d’un certain formalisme.

Nous avons essayé de pointer des sources potentielles de difficultés. L’une d’entre

elles est liée à l’absence éventuelle de prérequis correspondant soit à des manques de

connaissances, soit à une difficulté à prendre en compte les enjeux des situations

d’apprentissage.

Nous avons par exemple mis en évidence le rôle que pouvait jouer la maîtrise de

certaines décompositions des nombres dans l’apprentissage des opérations mais aussi dans la

connaissance des nombres eux-mêmes. Ainsi un déficit dans la disponibilité de

décompositions numériques peut amener certains élèves à ne pas mobiliser les procédures de

calcul mental les mieux adaptées aux nombres en jeu. Ce manque d’adaptabilité se traduit

alors par une exploration plus limitée des nombres et de leurs propriétés ; ce qui entraîne

ensuite une plus faible connaissance de ces nombres et de leurs décompositions, etc… Une

absence de prérequis d’ordre cognitif peut être ainsi à l’origine d’un effet « boule de neige »

tendant à aggraver le retard initial de connaissances mathématiques de ces élèves.

Nous avons vu que cet effet peut être limité par un enseignement adapté. Nous avons

montré comment une pratique régulière de calcul mental pouvait permettre à des élèves de

combler leurs manques de connaissances initiales. Cette pratique doit viser plusieurs

objectifs : d’une part, installer des modules de calculs automatisés et accroître le répertoire de

faits numériques mémorisés des élèves, et d’autre part, développer des capacités

d’adaptabilité en enrichissant et hiérarchisant les procédures de calcul de chacun. Nous avons

pour cela insisté sur la nécessité d’institutionnaliser certaines procédures et leur domaine de

validité.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 41-

Nos recherches ont pointé que les effets bénéfiques d’un tel enseignement pouvaient

être limités, voire annulés si les conditions du dépassement du paradoxe de l’automatisme

n’étaient pas remplies.

Une autre source de difficulté réside dans la capacité des élèves à appréhender les

enjeux des situations, notamment, pour ce qui nous concerne, à reconnaître les moments où ils

doivent reproduire des automatismes et les moments où ils doivent mobiliser ces

automatismes pour produire des procédures spécifiques, voire nouvelles.

Nous avons dégagé les apports et les limites d’un enseignement visant à développer

ces compétences au moyen de la production de bilans de savoirs. Cette recherche a également

montré la nécessité de prévoir un enseignement proposant des cheminements cognitifs

différents (passage par un exemple générique avant l’énoncé formel, utilisation d’outils

heuristiques de type « pré algébriques ») et adaptés aux manques ainsi révélés.

II.7. Du constat des limites de nos ingénieries didactiques centrées sur les élèves à des

recherches sur les pratiques enseignantes en ZEP

La conclusion de l’article ci-dessus expose les effets bénéfiques mais aussi les limites d’une

intervention de type « bilan de savoirs ». Ces effets positifs mais encore limités sont sans

doute dus pour une large part à la stabilité des habitudes de travail installées depuis le début

de la scolarité des élèves. Cette installation ayant à voir avec les pratiques enseignantes, nous

avons été amenés à déplacer notre regard et à centrer nos observations et nos analyses non

plus sur les élèves en difficulté scolarisés en ZEP mais sur les professeurs des écoles

enseignant dans ces établissements. C’est cette question que nous abordons dans la seconde

partie de ce cours (voir étape n°2).

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 42-

DEUXIÈME ÉTAPE

DEUXIÈME PARTIE : DEUX RECHERCHES SUR LES PRATIQUES DES

PROFESSEURS DES ÉCOLES ENSEIGNANT EN ZEP

Dans un premier chapitre, nous présentons rapidement quelques éléments permettant de

définir le champ de recherches de la didactique des mathématiques et essayons de caractériser

le contexte dans lequel se sont développées des recherches sur les pratiques enseignantes et

sur la formation de ces pratiques.

Dans les chapitres suivants, nous présentons deux exemples de recherches menées sur les

pratiques des professeurs des écoles enseignant les mathématiques dans des milieux très

défavorisés (ZEP). La première recherche étant davantage basée sur des observations

« naturelles » alors que la seconde s’appuie sur l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation

des effets d’un dispositif d’accompagnement de professeurs des écoles débutants sur leurs

pratiques.

I. La didactique des mathématiques

La didactique des mathématiques (francophone) s’est constituée en un champ de recherche

relativement récemment. Rappelons brièvement son objet. Elle analyse, à propos d’un

contenu donné, les rapports entre enseignement et apprentissage.

« La didactique des mathématiques est un champ de recherche au confluent de plusieurs

autres champs disciplinaires (mathématiques, psychologie cognitive, psychologie sociale,

sociologie, épistémologie, etc.). Elle se propose d’étudier les rapports existant entre

enseignement et apprentissage dans le contexte spécifique des mathématiques. Ainsi, elle

étudie les processus de transmission et d’acquisition des connaissances relatives au domaine

spécifique de cette discipline ou des sciences voisines avec lesquelles elle interagit. Elle décrit

et analyse les difficultés rencontrées et propose des moyens pour aider les professeurs, les

élèves et les étudiants à les surmonter, et notamment pour faire du savoir enseigné, un savoir

vivant, fonctionnel et opératoire. » (Rapport GRECO DIDAMA T CNRS 1983).

Définition de l’Encyclopédie Universalis : « La didactique des mathématiques étudie les

processus de transmission et d’acquisition des différents contenus de cette science,

particulièrement en situation scolaire ou universitaire. Elle se propose de décrire et

d’expliquer les phénomènes liés aux rapports entre son enseignement et son apprentissage.

Elle ne se réduit pas à chercher une bonne manière d’enseigner une notion fixée. »

La didactique des mathématiques propose une approche systémique des phénomènes

d’enseignement en considérant les relations existant entre le professeur, l’élève et le savoir

sachant qu’ils sont à resituer dans un milieu institutionnel et social. Au départ, l’objet de

recherche privilégié était l’élève (au sens générique du terme), progressivement le regard de

nombreux chercheurs s’est déplacé vers l’enseignant qui jusque-là n’était analysé que

« derrière l’épaule de l’élève ». Les recherches sur la formation sont apparues relativement

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 43-

tardivement (exception faite des recherches concernant le premier degré menées dans le cadre

du laboratoire DIDIREM).

I.1. Quelques hypothèses préalables

Rappelons quelques hypothèses préalables admises par la communauté des didacticiens des

mathématiques.

Il ne suffit pas de connaître les mathématiques pour savoir les enseigner. En particulier, il y a

lieu de tenir compte des sujets apprenants, de leurs possibilités et de leurs diversités

éventuelles pour tenter d’optimiser l’enseignement. Il existe des régularités dans le processus

d’apprentissage scolaire. Du côté élèves, cela impose, pour les mettre en évidence, une unité

de découpage adéquat (champs conceptuels : le champ conceptuel étant « un espace de

problèmes ou de situations problèmes dont le traitement implique des concepts et des

procédures de plusieurs types en étroite connexion »). Les didacticiens s’inscrivent dans une

approche problématique des mathématiques et de leur enseignement. Ils admettent que les

concepts mathématiques sont apparus comme des réponses à des problèmes (souvent des

problèmes mathématiques).

I.2. Hypothèses épistémologiques et cognitives

En amont de leurs recherches, la plupart des didacticiens retiennent un certain nombre de

résultats du champ de la psychologie cognitive notamment, des travaux de Piaget, des

éléments de la théorie des rééquilibrations et le rôle de l’action dans les apprentissages, du

poids de l’anticipation (Bruner), du rôle des interactions entre adulte et pairs (zone proximale

de développement, étayage). Ils reprennent l’idée de conflit sociocognitif ainsi que celle d’une

diversité des cheminements cognitifs des élèves (psychologie différentielle, Lautrey). Enfin la

plupart des didacticiens reprennent la notion d’obstacle épistémologique (Bachelard).

Le contexte des recherches sur la formation et sur les pratiques enseignantes : rencontre

entre des didacticiens à la recherche d’un public et des formateurs à la recherche de

légitimité

Les recherches en formation, qui doivent beaucoup à Robert, qui a encadré dès le début des

thèses sur ce sujet, sont marquées par un contexte français particulier. Ces recherches portent

majoritairement, et au début quasi exclusivement, sur la formation des enseignants du premier

degré en mathématiques. Elles concernent pour une part, mais aussi vont alimenter, le travail

de rationalisation des pratiques de formation des formateurs du premier degré engagé par la

COPIRELEM (commission inter IREM qui a progressivement régulé la réflexion de ces

formateurs). Cette commission qui, au départ, menait un travail de vulgarisation et de

recherche-action sur les apprentissages mathématiques des élèves de l’école primaire a

progressivement élargi son domaine de réflexion à la formation des maîtres du premier degré.

Grâce à la tenue d’un colloque annuel (regroupant près du quart des formateurs du premier

degré en mathématiques intervenant dans les écoles normales puis dans les IUFM) et aux

stages que cette commission animait (notamment en direction des nouveaux formateurs de la

discipline), elle a non seulement participé à la réflexion collective des formateurs mais a

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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contribué de façon déterminante à la diffusion dans ce milieu des résultats des recherche en

didactique des mathématiques.

Cette commission a donc joué un rôle déterminant d’interface entre des chercheurs désirant

diffuser leurs recherches dans le milieu des formateurs (avec probablement, pour certains

d’entre eux, le but d’enrichir à moyen terme les pratiques des professeurs des écoles) et les

formateurs ressentant fortement le besoin d’une légitimité scientifique. Dans le même temps,

les différents textes produits par la commission vont constituer un corpus de données qui vont

alimenter les analyses des chercheurs relatives à la formation.

Parallèlement à ces recherches sur la formation vont être menées des recherches sur les

pratiques des enseignants et notamment sur les pratiques des professeurs des écoles. Les deux

types de recherche vont s’enrichir réciproquement et contribuer à l’élaboration progressive de

savoirs et stratégies de formation dans le cadre du premier degré.

I.3. Les recherches sur l’enseignant

Comme indiqué ci-dessus, l’objet de nombreuses recherches en didactique des mathématiques

s’est progressivement déplacé sans s’y limiter de l’élève et des situations vers le professeur.

Pratiquement tous les courants de recherche en didactique vont être concernés. C’est

notamment le cas de la théorie anthropologique du didactique (TAD) qui va développer une

approche praxéologique autour des travaux de Chevallard et de son équipe et, pour une

moindre part de la théorie des situations didactiques (TSD) avec les travaux de Perrin-

Glorian, Margolinas et Bosch notamment. Le regard davantage porté sur l’enseignant en tant

que tel va également se traduire par la constitution progressive de deux nouveaux édifices

théoriques : l’action conjointe (Mercier, Sensevy, Schubauer-Léoni) d’une part et la double

approche d’autre part (Robert, Rogalski).

La dernière théorie (double approche) s’est construite à la fois sur la base de travaux sur les

pratiques des enseignants « ordinaires » et sur les pratiques de formateurs (du moins pour les

recherches centrées sur le premier degré). Elle se réfère à la théorie de l’activité. Dans une

certaine mesure, la TAD s’alimente aussi de pratiques de formation en même temps qu’elle

débouche sur des exemples de pratiques de formation et des dispositifs de formation.

Les recherches portant sur l’enseignement sont trop nombreuses et les résultats trop riches

pour être exposés de manière exhaustive dans ce cours. Devant faire un choix, nous avons

décidé plutôt que de survoler les différentes recherches engagées de nous centrer sur une

approche particulière : celle développée dans le cadre de la double approche ergonomique et

didactique dans la mesure où justement cette construction théorique permet d’aborder

dialectiquement les recherches sur les pratiques enseignantes et celles sur la formation des

pratiques.

Nous présentons dans la suite de cet exposé une série de travaux qui portent sur l’analyse des

pratiques de professeurs des écoles enseignant les mathématiques en ZEP. Ce chapitre du

cours reprend les textes de deux communications. La première est une conférence faite par D.

Butlen, P. Masselot et M. Pézard au 34e colloque de la COPIRELEM intitulée : « Les

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 45-

pratiques en mathématiques d’un professeur des écoles, entre contraintes et nécessité de

s’adapter à différents types de classes ». Le second texte est celui d’une communication

effectuée par les mêmes auteurs au congrès de l’Espace Mathématique Francophone de

Dakar : « Gestes et routines professionnels : un enjeu pour l’analyse des pratiques des

enseignants ». Ce cours s’inspire également de différents articles et ouvrages rédigés par ces

auteurs.

Il s’agit de travaux qui s’inscrivent dans une réflexion plus globale s’articulant autour de deux

préoccupations motivées par les activités de chercheurs-formateurs habitués à observer et

analyser les pratiques enseignantes. La première préoccupation concerne l’amélioration des

apprentissages des élèves, notamment des élèves en difficulté issus de milieux populaires

(ZEP) : à partir du constat des limites des ingénieries testées auparavant, il s’agit de préciser

les mathématiques fréquentées (données à fréquenter) à certains élèves, dans certaines classes,

en lien avec certaines pratiques. La seconde consiste à poser de manière scientifique des

questions professionnelles relatives à la fois au quotidien des enseignants et au quotidien du

formateur.

II. Une catégorisation des pratiques de professeurs des écoles enseignant les

mathématiques en ZEP particulièrement défavorisées

Cette recherche a été menée en collaboration par une équipe de chercheurs de l’IUFM de

Créteil et de Versailles (D. Butlen, P. Masselot et M. Pézard) et une équipe de Rouen

constituée notamment de M.L. Peltier, B. Ngono et A. Dubut. Dix professeurs des écoles ont

été observés sur un temps long (deux années consécutives). Sept de ces professeurs sont

expérimentés (au moins cinq années d’ancienneté) et trois sont des néo-titulaires affectés dans

des écoles de ZEP à leur sortie de l’IUFM et dès leur première année de titularisation. Tous

les niveaux de l’école élémentaire sont représentés (du CP au CM2). Les écoles dans

lesquelles ils enseignent scolarisent un public issu de milieux très défavorisés ; ce sont des

élèves qui importent souvent dans l’école, des règles de vie issues du quartier. Ils font souvent

preuve de violence ou alors d’une grande inhibition.

II.1. Une recherche qui s’inscrit dans une perspective de formation

Cette recherche comme la suivante s’inscrit clairement dans une perspective de formation

comme le montre l’introduction de la conférence faite à Bombannes en 2008, reproduite ci-

dessous.

Les pratiques en mathématiques d’un professeur des écoles, entre contraintes et

nécessité de s’adapter à différents types de classes

(…)

Après avoir succinctement situé nos travaux actuels par rapport à ceux menés dans le

cadre de nos recherches antérieures concernant l’analyse des pratiques des enseignants ainsi

que l’analyse de celles des formateurs, nous présentons tout d’abord ce que nous avons retenu

de ces recherches pour élaborer une ingénierie de formation. Cette dernière ne sera pas

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 46-

détaillée9 mais à partir de nos premiers résultats, nous apporterons des premiers éléments de

réponse à la question : dans quelle mesure et sous quelles conditions peut-on intervenir sur les

pratiques enseignantes ?

I – Introduction : Nos préoccupations actuelles et leurs rapports avec nos travaux

antérieurs

Les questions que nous considérons actuellement sont essentiellement des questions de

formation des Professeurs des Ecoles. Elles se déclinent autour de deux préoccupations qui

nous ont conduits de par nos activités de chercheurs-formateurs à observer et analyser les

pratiques enseignantes.

La première préoccupation concerne l’amélioration des apprentissages des élèves,

notamment les élèves en difficulté issus de milieux populaires (ZEP) : à partir du constat des

limites des ingénieries testées auparavant, il s’agit de préciser les mathématiques fréquentées

(données à fréquenter) à certains élèves, dans certaines classes, en lien avec certaines

pratiques.

La seconde exige de poser de manière scientifique des questions professionnelles

relatives à la fois au quotidien des enseignants et au quotidien du formateur.

L’idée fédérative est de dépasser et d’enrichir le travail de rationalisation des pratiques

de formation (engagé notamment par la COPIRELEM) pour jeter les bases d’une didactique

professionnelle des enseignants du premier degré en mathématiques.

Sans développer, un rapide regard sur les recherches antérieures sur les pratiques

enseignantes au sein de notre équipe, peut aider à élucider les hypothèses et la démarche qui

nous animent.

On pourrait dire que tout a commencé avec les travaux de Monique Pézard (Pézard,

1985). Dans sa thèse concernant une pratique de formateur en formation initiale, elle a mis en

évidence, en élaborant, expérimentant et évaluant une modalité de formation sur le thème de

la proportionnalité, la nécessité d’une double institutionnalisation : mathématique et

didactique.

Un peu plus tard, dans le cadre de la réflexion sur la mise en place, au cours de la

formation initiale des Professeurs des Ecoles, d’ateliers d’analyse de pratiques

professionnelles, d’abord facultatifs, puis intégrés dans le plan de formation, nous (Butlen,

Masselot, 1997) avons approfondi les notions de stratégies, de situations et de savoirs de

formation. Nous entendons par savoirs de formation, des savoirs transmis en formation qui ne

sont ni directement des savoirs mathématiques (disciplinaires) mais qui sont marqués par les

mathématiques, ni des savoirs psychologiques mais qui sont marqués par la psychologie, etc.

Leur acquisition pourrait être accélérée par le dispositif évoqué ci-dessus. Il s’agit de mettre

en actes dans des classes des projets construits par un groupe constitué de personnes de

différents statuts (stagiaires, maîtres formateurs et formateurs-chercheurs) et ceci dans des

milieux « protégés », hors évaluation. Projets et mises en œuvre sont analysés ; plusieurs

9 Voir le texte paru dans les actes du colloque COPIRELEM de Troyes 2007

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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allers-retours (élaboration de projets, mises en actes de ces projets, retour et régulations…)

sont prévus. Le processus est initialisé par une initiation à l’observation. Ce sont ces stratégies

que nous avons qualifiées de stratégies de compagnonnage et de réflexivité dans une étude

didactique des ateliers professionnels. Ces échanges avec des formateurs de différentes

catégories qui interagissaient également avec les stagiaires nous ont permis d’analyser plus

finement le conseil pédagogique en élargissant à l’analyse des phases d’entretiens

consécutives à l’observation d’une pratique effective (Butlen, Lepoche, Masselot, 1998,

2001). Nous renvoyons le lecteur aux différentes contributions que nous avons rédigées dans

le cadre notamment des documents édités par la COPIRELEM.

Dans ce cadre, nous avons été amenés à identifier et définir un certain nombre de

gestes, organisés en routines professionnelles pour décrire plus précisément les pratiques des

débutants et notamment ce en quoi ils peuvent aider à décrire la cohérence de ces pratiques et

à envisager des « endroits où on peut les faire bouger » (Butlen, Masselot, 2001).

Pascale Masselot (Masselot, 2000) a plus particulièrement travaillé sur les effets de la

formation initiale en s’appuyant sur l’observation et l’analyse de nombreuses séances menées

par des Professeurs des Ecoles débutants (lors de leurs deux premières années d’exercice). La

méthodologie mise en œuvre a permis de préciser des indicateurs relevant de chacune des

cinq composantes définies par A. Robert (Robert, Rogalski, 2001). Un certain nombre de

conditions favorisant l’appropriation de savoirs transmis en formation ont été élucidées.

À un autre niveau, les réflexions que nous avons menées autour de la formation de

formateurs nous ont conduits à une rationalisation des pratiques des Professeurs des Écoles

débutants mais aussi à une rationalisation de certaines pratiques de formation (Butlen, 1991,

2004 ; Masselot, 2000 ; Pézard, 1985, 1991).

Enfin les analyses des pratiques ordinaires des Professeurs des Écoles (débutants ou

plus anciens) enseignant les mathématiques en ZEP particulièrement difficiles menées en

collaboration avec une équipe de Rouen (M-L Peltier, B. N’Gono) ont conduit à des résultats

sur lesquels nous reviendrons dans le paragraphe suivant.

Cet exposé est centré sur les pratiques des Professeurs des Ecoles enseignant les

mathématiques en ZEP que l’on met en perspective avec les questions que nous nous posons à

propos de la formation initiale (stratégies, situations et savoirs de formation d’une part, effets

de la formation d’autre part).

II.2. Le cadre théorique de la recherche

Cette recherche s’inscrit dans une approche socio-didactique des pratiques enseignantes qui

constitue un approfondissement de la double approche développée par Robert et Rogalski

(Robert, Rogalski, 2001). Elle reprend la méthodologie d’analyse des pratiques enseignantes

(afin d’en restituer la complexité) selon cinq composantes. Certains concepts de la théorie des

situations (processus de dévolution, d’institutionnalisation notamment) ont permis de cerner

l’objet de l’étude en précisant les grands moments de l’activité du professeur qui seront plus

particulièrement étudiés. La méthodologie d’analyse reprend des concepts issus de champs

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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théoriques différents : didactique des mathématiques mais aussi ergonomie cognitive,

didactique professionnelle.

L’extrait de la conférence de Bombannes ci-dessous présente ce cadre théorique.

(…)

Une première recherche : analyse « naturelle » des pratiques existantes en ZEP

particulièrement difficiles

Rappelons que cette recherche a été menée en collaboration avec une équipe de Rouen

constituée notamment de M.L. Peltier, B. Ngono et A. Dubut.

II. 1. Le cadre théorique

Cette recherche s’inscrit dans le cadre d’une double approche utilisant des concepts issus

de la didactique des mathématiques (notamment la théorie des situations didactiques) de

l’ergonomie et de la sociologie. Il s’agit plus précisément d’une adaptation du cadre théorique

défini par A. Robert et J. Rogalski (Robert, Rogalski, 2001) mettant davantage l’accent sur les

facteurs sociologiques. Nous pourrions qualifier notre démarche de socio-didactique.

II.1.1. Les apports de la théorie des situations didactiques

La TSD nous sert à analyser les mathématiques proposées à la fréquentation des

élèves. Elle fonctionne comme grille de lecture des pratiques des maîtres, notamment pour

analyser trois grands moments de l’activité du professeur : les processus de dévolution,

régulation et institutionnalisation.

II.1.2. Les apports de la « double approche »

Pour restituer (recomposer) la complexité des pratiques, nous prenons en compte cinq

composantes identifiées par A. Robert et J. Rogalski : une composante cognitive relative à

l’organisation des savoirs, aux scénarios associés, aux itinéraires cognitifs proposés aux

élèves ; une composante médiative relative au discours du professeurs et aux modes

d’interactions ; une composante personnelle relative notamment aux représentation du

professeur sur les mathématiques et leur enseignement, à son épistémologie personnelle ; une

composante institutionnelle et enfin une composante sociale.

II.1.3. Les apports de la didactique professionnelle et de l’ergonomie

Nous retenons notamment de ces différents travaux l’idée que les pratiques sont

complexes, cohésives, stables et cohérentes. Des travaux de P. Pastré (Pastré, 1995, 1996),

nous reprenons l’idée que deux systèmes de pensée interviennent dans les pratiques : l’un lié

au projet d’enseignement (et aux connaissances et représentations mobilisées à cette

occasion), l’autre système de pensée est lié à l’action et fait intervenir des savoirs plus

pragmatiques.

Nous reprenons de manière métaphorique le concept de genre de Yves Clot (Clot,

1999) en l’adaptant à notre objet d’étude notamment en retenant l’idée d’une mémoire

collective des enseignants pouvant être atteinte et décrite par la mise en évidence de

régularités interpersonnelles, par l’étude de la diffusion des informations par un réseau. Cela

conduit évidemment à penser que les pratiques dépassent pour une part les individus.

Notre approche constitue un affinement de la « double approche » dans la mesure où

nous mettons davantage l’accent sur les facteurs sociologiques. Les enseignants sont soumis à

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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des contraintes (institutionnelles et sociales) qui marquent, voire déterminent pour une part

leur pratique, et qui peuvent se traduire ou du moins s’analyser en terme de contradictions.

Les professeurs doivent gérer ces contraintes au quotidien en se construisant des systèmes de

réponses relativement cohérents. Ce sont ces systèmes de réponses que nous analysons en

termes de genre.

Le schéma ci-dessous résume notre manière de décrire le poids de l’aspect social dans la

pratique d’un enseignant de ZEP :

II.3. La méthodologie mise en œuvre

II.3.a. La méthodologie de recueil des données

Rappelons que les observations concernent dix professeurs des écoles enseignant les

mathématiques dans des écoles de ZEP particulièrement défavorisées (élèves souvent très

faibles, issus de milieux très défavorisés socialement, souvent violents ou au contraire

inhibés, important dans l’école les règles de vie de leur quartier, etc.) dont trois débutants

(première nomination) et sept professeurs plus expérimentés (au moins cinq années

d’ancienneté dans le poste). L’observation s’est déroulée sur deux années au moins (certains

professeurs ont été observés durant trois années) ; les enseignants étant observés dans leur

classe plusieurs fois dans l’année (entre 4 et 8 fois au moins). L’observation, notamment des

débutants, peut être qualifiée de plutôt « naturelle » dans la mesure ou les observateurs

intervenaient peu ou pas sur les pratiques des observés. Toutefois, les enseignants d’une des

écoles ont bénéficié d’un stage de formation avec les chercheurs impliqués dans la recherche.

Pour ces enseignants, l’observation est davantage du type « observation participante ».

Passé et devenir des élèves

Contradiction entre socialisation et apprentissages

disciplinaires

Education du citoyen / instruction de l’apprenant

Activité du Professeur des Écoles enseignant les

mathématiques dans une classe de ZEP

Dévolution Régulation Institutionnalisation

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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Les observations de cours ont été croisées avec l’analyse de réponses des professeurs à des

entretiens et avec les résultats d’analyse de productions d’élèves quand cela était possible et

nécessaire.

II.3.b. Méthodologie d’analyse des données

Les analyses concerneront les trois niveaux des pratiques définis par Masselot et Robert

(2004). Le premier niveau (global) est celui des grands choix didactiques et pédagogiques des

enseignants. Ce niveau d’analyse a permis d’identifier des contradictions marquant

profondément les pratiques observées et d’élaborer une première catégorisation de ces

pratiques (voir ci-dessous). Le second niveau d’analyse (local) est plutôt celui de l’exercice au

quotidien de la classe ; notre contribution spécifique à l’étude de ce niveau d’organisation des

pratiques est constituée par ce que nous avons appelé les routines professionnelles. Enfin, le

troisième niveau d’organisation et d’analyse (micro) vise plus particulièrement l’identification

de gestes professionnels.

Des allers retours entre ces trois niveaux d’analyse permettent de préciser l’organisation des

pratiques mais aussi permettent d’en comprendre les logiques, la cohérence et le mode de

fonctionnement.

II.4. Un premier résultat (niveau global d’organisation des pratiques) : des

contradictions marquant les pratiques observées

L’extrait ci-dessous du texte de la conférence déjà évoquée décrit un premier résultat de cette

recherche. Nous avons mis en évidence cinq contradictions10

: une première contradiction,

considérée comme fondamentale est celle existant entre une logique de socialisation des

élèves et une logique d’apprentissages disciplinaires. Les autres contradictions sont celles qui

existent respectivement entre une logique d’apprentissages disciplinaires et une logique de

réussite immédiate, entre collectif et individuel, entre différents temps d’apprentissage (de la

classe, individuelle, collectif) et enfin entre une logique d’apprentissages disciplinaires et une

logique de projet.

Cinq contradictions

Nous avons ainsi mis en évidence cinq contradictions. Nous plaçant dans le cadre de

l'étude des liens entre enseignement et apprentissage de contenus disciplinaires, nous avons

hiérarchisé ces contradictions en prenant en compte a priori leur effet sur les apprentissages

des élèves.

Une d'entre-elles apparaît comme fondamentale et peut déboucher sur une minoration voire

une quasi-disparition des apprentissages scolaires. Son dépassement est un enjeu essentiel de

l’enseignement en ZEP : il s’agit de la contradiction entre logique de socialisation des élèves

et logique des apprentissages disciplinaires.

Les quatre autres contradictions en découlent plus ou moins directement.

Parmi celles-ci, celle qui paraît la plus importante est la contradiction entre logique de la

réussite immédiate et logique des apprentissages. Les enseignants de ZEP ont le souci

constant de créer un climat de confiance dans la classe. Pour cela, ils encouragent leurs

10

Nous employons le terme de contradictions plutôt que celui de tensions en référence d’une part au courant

philosophique de la dialectique et afin d’autre part de mieux décrire le poids qui est ainsi exercé sur les pratiques

des professeurs des écoles concernés. C’est le cas notamment pour la première contradiction, celle que nous

considérons comme fondamentale.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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élèves, les rassurent sur leurs capacités à résoudre les problèmes posés, et les félicitent à la

moindre réussite. Cela amène le plus souvent les professeurs à abaisser leurs exigences, à

algorithmiser les tâches, à aplanir les difficultés. Un cercle vicieux s’instaure entre

simplification des tâches et investissement de moins en moins grand des élèves mettant en

danger, compromettant la construction de connaissances nouvelles. Le souci de bonne entente

(« traiter à égalité », ne pas entretenir ou renforcer des inégalités) dans la classe les amène

aussi à prendre en compte les productions de tous les élèves, qu’elles soient primitives ou

plutôt expertes. Aucun élève ne doit être laissé de côté. Ces productions sont alors présentées

« en vrac », sans hiérarchisation, ce qui est dommageable pour les apprentissages, le repérage

des « bonnes procédures », des procédures à retenir restant à la charge de l’élève. De plus,

nous faisons l'hypothèse que ce manque de repères explicites est source de différenciation.

La contradiction entre le temps de la classe et le temps d’apprentissage semble découler en

grande partie de la contradiction précédente. Les enseignants de ZEP travaillent dans une

logique de réussite à court terme, parfois même dans l’instantané. Pour ne pas « lasser » les

élèves, le savoir est découpé en micro tâches proposées à plusieurs jours d’intervalle sans que

des liens soient clairement établis entre les différentes séances. De plus, les professeurs

cherchent souvent à combler ponctuellement les lacunes des élèves, sans que ces derniers

puissent en comprendre l’enjeu. Ils ont tendance à reculer, différer l’apprentissage de notions

nouvelles, alors que des situations de découverte de nouvelles notions devraient pourtant

permettre de revisiter les anciennes en leur donnant du sens. Notons que le temps effectif

d’apprentissage est souvent réduit dans les classes de ZEP pour permettre soit d’éviter, soit de

gérer les conflits (le professeur peut être contraint d’interrompre une activité pour des

problèmes de discipline). Cet aspect est directement lié à la contradiction fondamentale entre

socialisation et apprentissage.

La contradiction entre individuel, public et collectif semble aussi directement liée à la

contradiction fondamentale. En effet, dans une classe de ZEP, les phases collectives de mise

en commun des productions, de synthèse et d’institutionnalisation sont particulièrement

difficiles à conduire. Les élèves sont souvent peu attentifs ; ils ont une capacité d’écoute

d’attention, de concentration faible. De nombreux rappels à l’ordre sont nécessaires et doivent

être énoncés au "bon moment" (Butlen, 2004). De plus, ils s’expriment difficilement et ont du

mal à écouter leurs pairs. Les professeurs proposent alors des corrections publiques, voire

individuelles, au détriment de la construction de savoirs collectifs de référence dans la classe.

La dernière contradiction entre logique de projet et logique d’apprentissage est aussi

directement liée à la contradiction fondamentale dans la mesure où il s’agit avant tout d'une

injonction institutionnelle visant à socialiser les élèves, à les « motiver » et parfois même à les

réconcilier avec l’école en changeant la représentation qu’ils s’en font.

Le schéma ci-dessous illustre notre tentative de faire apparaître hiérarchisation et

imbrication des différentes contradictions, selon différents degrés dans l’ordre décroissant.

Notons que c’est bien le dépassement des deux premières qui semble essentiel en ZEP pour

assurer les apprentissages scolaires. On a vu que la contradiction entre temps de la classe et

temps d’apprentissage était directement liée à ces deux premières. La contradiction entre

individuel, public et collectif semble moins déterminante. De même, pour la contradiction

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 52-

entre projet et apprentissage : on peut penser que la « course à l’innovation » observée en ZEP

ne remet pas complètement en cause les apprentissages scolaires des élèves et que même,

certains peuvent se réconcilier avec l’école grâce à ces projets.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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Contradiction fondamentale entre socialisation et apprentissage

Contradiction

entre réussite

immédiate et

apprentissage

Contradiction entre

temps de la classe

et temps de

l’apprentissage

Contradiction entre

individuel, public et

collectif

Contradiction

entre projet et

apprentissage

Degré 1

Degré 2

Degré 3

Degré 4

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 54-

II.4. Un second résultat (niveau global d’organisation des pratiques) : une première

catégorisation en termes de genre

Cette catégorisation prend en compte la double mission11

d’instruction et d’éducation du

professeur des écoles. Nous avons désigné par le terme i-genres, les catégories de pratiques

définies quand on centre l’analyse sur la mission instruction du professeur et nous désigné par

le terme e-genres, les catégories définies quand l’analyse est centrée sur la mission

d’éducation de celui-ci.

Suite du texte de la conférence de Bombannes

Une catégorisation des pratiques

Cette catégorisation prend en compte la double mission d’instruction et d’éducation du

Professeur des Ecoles. Nous avons identifié trois i(instruction)-genres et quatre e(éducation)-

genres. Nous n’évoquerons dans cet exposé que les i-genres correspondant à la mission

d’instruction.

II – 3.1. Un genre majoritaire

Cet i-genre peut se caractériser à l’aide des indicateurs suivants :

Indicateurs relevant plutôt de la composante cognitive : Les professeurs mettent en œuvre des

scénarios faisant une part importante à la présentation collective de l’activité proposée. Les

enseignants montrent, expliquent, disent comment faire. Cette phase de présentation joue le

rôle d’une institutionnalisation a priori ou bien d’exemples à reproduire ensuite. Les

scénarios comportent ensuite un temps un temps de résolution individuelle (autonome ou

tutorée) d’exercices d’application et une éventuelle correction individuelle ou publique. Ils se

caractérisent par une quasi-absence de phase de synthèse ou d’institutionnalisation (6 maîtres

sur 7) et une anticipation sur les difficultés des élèves (5 maîtres sur 7) débouchant sur une

baisse des exigences.

Des indicateurs relevant plutôt de la composante médiative : Nous avons relevé un étayage

consistant, relayé éventuellement, pour le cycle 3, par un tutorat organisé ou spontané entre

élèves ; un traitement des comportements plutôt individualisé (5 professeurs sur 7) ; une

recherche et un entretien de la motivation des élèves par le recours à des jeux (3 professeurs

sur 7) ou à des projets périscolaires (6 sur 7).

Des indicateurs relevant plutôt de la composante institutionnelle : La gestion du temps

échappe partiellement, voire totalement, aux maîtres ; elle peut s’éloigner des normes

institutionnelles (5 professeurs sur 7). Les enseignants installent une forme de pédagogie

différenciée qui se caractérise par des groupes de niveaux (4 maîtres), des tâches

individualisées s’appuyant sur l’usage de fiches (7 maîtres), des activités complémentaires (7

maîtres). Les élèves sont quasi systématiquement valorisés et ce individuellement.

II – 3.2. Un genre minoritaire proche du précédent

Cet i-genre se distingue du genre majoritaire par encore moins de collectif, par une

maîtrise apparente de l’avancée du temps didactique grâce à une gestion « rigide » des

comportements mais qui, dans les faits, revient à anticiper et à prévenir la lassitude des élèves

et les échecs en changeant rapidement d’activité et réduisant les exigences.

11

Pour une étude détaillée de cette question, le lecteur pourra consulter le texte de l’Habilitation à Diriger des

Recherches de Butlen (Butlen, 2004).

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 55-

II – 3.2. Un genre très minoritaire

Un professeur des écoles sur les dix observés se distingue des autres. Il semble

emblématique d’un i-genre constituant une alternative viable aux précédents.

Des indicateurs relevant plutôt de la composante cognitive : Les scénarios d’enseignement et

d’apprentissage mis en œuvre sont proches d’une organisation exposée en formation. Ils

comportent une présentation de problèmes parfois complexes, un temps significatif laissé à la

recherche des élèves sans trop de négociation à la baisse, des phases de formulation, de bilan

des stratégies et d’institutionnalisation et enfin des réinvestissements contextualisés puis

décontextualisés.

Des indicateurs relevant plutôt de la composante médiative : Une aide légère est apportée aux

élèves en grande difficulté sans aplanissement excessif des difficultés. On relève un étayage

important lors des phases de formulation, un traitement des comportements sur un mode

plutôt collectif s’appuyant sur de fréquentes références communes au groupe classe.

Des indicateurs relevant plutôt de la composante institutionnelle : Le professeur installe une

valorisation individuelle du travail des élèves s’inscrivant notamment dans le cadre d’un

affichage public de leurs productions. Il entretient la motivation des élèves en les faisant

participer à des projets périscolaires et manifeste un souci de respecter le temps institutionnel.

II.5. Gestes et routines professionnels

Afin de mieux comprendre comment ces enseignants mettent en œuvre au quotidien leurs

grands choix didactiques et pédagogiques, nous avons adopté une approche analytique

permettant de décrire les pratiques aux deux niveaux local et micro. La mise en évidence de

régularités intra mais aussi interpersonnelles nous a amenés, pour les décrire, à définir les

notions de gestes et de routines professionnels.

Les extraits ci-dessous d’une communication intitulée : « Gestes et routines professionnels :

un enjeu pour l’analyse des pratiques des enseignants » effectuée dans le cadre du colloque

EMF 2009 (Espace Mathématique Francophone) à Dakar (Sénégal) précisent ces notions.

Gestes et routines professionnels : un enjeu pour analyser et intervenir sur les pratiques

enseignantes

DENIS BUTLEN, MONIQUE CHARLES-PEZARD, PASCALE MASSELOT

Introduction

Nous présentons un modèle d’analyse des pratiques des professeurs des écoles enseignant les

mathématiques en milieux socialement défavorisés en France (ZEP), synthèse de plusieurs

recherches portant sur les pratiques de ces enseignants. Ce modèle permet à la fois d’analyser

les pratiques de ces enseignants, en dégageant des régularités dans les pratiques d’un même

enseignant ou d’un groupe d’enseignants confrontés à des contextes proches, ainsi que des

spécificités liées à des enseignants ou à des contenus mathématiques, mais aussi de concevoir

des ingénieries de formation pour les enrichir et ce dans le double but d’améliorer les

apprentissages des élèves et d’accroître le confort des enseignants. Il permet notamment de

décrire une organisation des pratiques de ces professeurs.

(…)

2. Méthodologie

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 56-

Nous avons observé sur un temps long (deux années consécutives) une vingtaine

d’enseignants (13 enseignants débutants et 7 confirmés). Pour analyser les pratiques des

professeurs des écoles enseignant les mathématiques en ZEP, nous adoptons une double

approche globale et analytique qui nous permet notamment d’en décrire l’organisation : une

approche globale et une approche analytique.

Une approche globale nous permet d’identifier des contraintes spécifiques auxquelles sont

soumis ces enseignants et des régularités dans la manière dont ils les gèrent (Butlen, Peltier,

Pézard, 2002). Nous avons ainsi identifié cinq grandes contradictions qui marquent

profondément les pratiques de ces maîtres. Elle nous amène également à établir une première

catégorisation de pratiques effectives qui prend en compte la double mission d’enseignement

et d’éducation du professeur des écoles en distinguant les i(instruction)-genres des

e(éducation)-genres.

(…)

Une approche analytique nous permet de mieux comprendre comment ces enseignants

mettent en œuvre au quotidien les grands choix et stratégies identifiés ci-dessus. Pour cela,

nous avons considéré trois grands moments de l’activité du professeur : les processus de

dévolution, régulation et institutionnalisation (Brousseau, 1987). Pour analyser la manière

dont les enseignants observés les mettent en œuvre, nous avons, pour chacun de ces

processus, défini des types de tâches et analysé les gestes et routines professionnels

permettant à ces professeurs des écoles de les réaliser. Dans cette communication, nous nous

centrerons sur les résultats relatifs à cette seconde approche.

3. Gestes et routines professionnels, un essai de définition

Dans un premier temps, nous listons des propriétés caractéristiques permettant de définir les

gestes et routines professionnels comme des schèmes professionnels. Dans un deuxième

temps, nous définissons les routines comme un ensemble constitué de gestes professionnels

permettant aux professeurs de réaliser un ensemble de tâches finalisées par un but commun.

Enfin, dans une troisième partie, nous présentons une classification des routines en trois types

plus ou moins marqués par les contenus mathématiques à enseigner.

3.1. Gestes et routines : des schèmes professionnels permettant de réaliser des types de

tâches

Nous avons adopté une approche analytique pour mieux comprendre les pratiques des

enseignants, pratiques considérées comme des réponses apportées par des enseignants soumis

à des contraintes similaires. Ces pratiques correspondent à des projets d’enseignement

différents et ce sont à la fois les projets et leur mise en actes, avec tous les décalages à gérer

par l’enseignant au quotidien que nous analysons. Pour chaque grand moment de l’activité du

professeur définis ci-dessus, nous avons cerné des types de tâches (Chevallard, 1999) et les

gestes permettant de les réaliser. Si ces gestes peuvent s’analyser en termes de techniques

(Chevallard, 1999), notre approche est toutefois différente car nous centrons notre analyse sur

le sujet enseignant.

Les gestes professionnels et les routines nous permettent de décrire la manière dont un

individu particulier résout un type de tâche, les différentes actions qui lui permettent de le

faire et les différentes connaissances qu’il mobilise à cette occasion. Nous nous sommes plus

particulièrement intéressés à l’organisation de ces actions et de ces connaissances, à leur

articulation. Puis, nous avons repéré des régularités interpersonnelles qui recoupent les

notions précédentes de gestes et routines. Nous n’étudions plus un sujet donné mais un

professionnel, membre d’un groupe social, exerçant un métier dans des conditions données et

soumis à des contraintes. Nous avons ainsi montré que les gestes et routines mobilisés par des

professeurs des écoles enseignant dans des conditions semblables pouvaient différer. Ces

différences correspondent à des genres différents que l’on a identifiés par ailleurs à l’aide

d’autres indicateurs. Les notions de gestes et routines permettent alors de décrire comment un

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 57-

enseignant met en œuvre des stratégies relevant du i-genre caractéristique de ses pratiques. La

notion de genre (emprunt plutôt métaphorique aux travaux de Clot (1999)) nous permet

d’expliquer les différences observées. Cela nous permet aussi de préciser comment ces gestes

et routines sont progressivement maîtrisés ou rejetés par un individu donné. Gestes et routines

présentent des caractéristiques communes qui nous amènent à les considérer comme des

schèmes professionnels : une organisation invariante de l’activité du professeur, une suite

d'actions et de décisions, une mobilisation de connaissances de différents types, une

adaptabilité une grande part d’implicite et enfin des activités élémentaires finalisées par des

buts et des sous-buts.

L’analyse des différentes séances observées ainsi que des entretiens que nous avons menés

avec les professeurs concernés nous ont permis de mettre en évidence des régularités intra

personnelles. Ces dernières se caractérisent par une succession d’actions nécessaires à la

réalisation par le professeur d’un ensemble organisé de tâches ou un type de tâches (étayage

de formulations orales, prise et tri d’informations sur les procédures des élèves, etc.). Tout se

passe comme si les actions produites par le professeur, l’étaient dans un temps très court, suite

à une évaluation très rapide de la situation, sans effort apparent de réflexion. Les différentes

actions semblent s’enchaîner d’elles-mêmes. Le professeur ne ressent pas la nécessité de

réfléchir à leur succession. Les décisions prises ne nécessitent pas une prise d’informations

précise sur le travail des élèves de la part du professeur. Nous retrouvons ici des constats déjà

effectués à propos de l’expertise (Tochon, 1993).

De même, le professeur ne convoque pas consciemment les connaissances en réponse au

problème à résoudre ; elles semblent immédiatement disponibles et ne sont plus interrogées,

ni remises en question. Bien que variées, ces connaissances semblent être pré organisées,

reliées entre elles. La convocation d’une connaissance donnée implique la convocation

d’autres en fonction de la situation et du but finalisant le ou les gestes mis en œuvre. Il peut

s’agir de connaissances mathématiques nécessaires à l’interprétation des productions des

élèves, de connaissances relatives à la communication (entre élèves, entre adulte et élèves). Le

professeur utilise également des connaissances relatives aux représentations qu’il a des élèves

de sa classe ainsi les compétences des élèves, diagnostiquées à différentes occasions, prennent

une part importante dans la conduite des interactions.

Le professeur semble s’adapter aux changements de surface de la situation, changements qui

ne remettent pas suffisamment en cause l’activité des élèves pour en changer la nature (objet,

but, organisation générale). Pour être efficaces, les gestes et routines doivent donc pouvoir

s’adapter à des conditions locales, de surface, non déterminantes pour le fonctionnement du

professeur et des élèves. Nous verrons, dans la suite, que cette adaptabilité témoigne pour une

grande part de la maîtrise des gestes. Elle renforce leur stabilité. Une fois incorporés, ces

gestes et routines deviennent transparents pour le professionnel. Ils demeurent difficiles à

expliciter. Leur transmission aux débutants passe davantage par le mode de la monstration et

du compagnonnage mais sans véritable identification. Il est en effet difficile de pointer un

geste sans réduire la complexité des liens existants entre les différentes activités élémentaires

du maître. Nous retrouvons ici une propriété déjà soulignée par Pastré (1996) à propos des

concepts pragmatiques.

Les caractéristiques précédentes ne suffisent pas à caractériser gestes et routines. Ces activités

constituent des unités finalisées par la réalisation d’un but, éventuellement de sous buts. Ces

buts ont à voir avec l’activité, projetée ou effective, de l’élève. La finalité de l’activité

s’ajoute aux autres caractéristiques précédentes pour définir et distinguer les gestes et les

routines. Ce découpage de l’activité de l’enseignant nous semble le plus pertinent pour décrire

à la fois une suite d’actions finalisées du professeur, les connaissances mobilisées à cette

occasion et pour les mettre en relation avec l’activité correspondante de l’élève. Un

découpage plus fin correspondant par exemple à : "prononcer une phrase" ou bien "interroger

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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un élève" ou encore "écrire une phrase au tableau" ne nous le permettrait pas. Les différentes

propriétés que nous venons de lister sont proches de celles permettant de caractériser un

schème (Vergnaud, 2002). Geste et routine peuvent s’interpréter en ces termes.

3.2. Des gestes organisés en routines

Comme nous le verrons dans les exemples développés ci-dessous, les gestes professionnels,

unités élémentaires que nous identifions, ne sont pas indépendants les uns des autres. Ils

peuvent s’organiser et s’articuler entre eux. Ils constituent alors ce que nous avons appelé des

routines qui permettent au professeur de gérer un ensemble de situations finalisées. Comme

les gestes, une routine n’implique pas rigidité ou sclérose. Ce terme permet de décrire un

ensemble de comportements se répétant régulièrement. En particulier, une routine, pour

perdurer, doit pouvoir prendre en compte des perturbations locales. Les propriétés précédentes

sont communes aux gestes et aux routines. Qu’est-ce qui les différencie ?

La routine est constituée d’activités plus élémentaires qui peuvent être réalisées

indépendamment les unes des autres : les gestes. Chacun correspond à la réalisation d’un type

de tâches particulier et permet la réalisation d’un but. Dans notre analyse, ils apparaissent tous

finalisés par la réalisation d’un même but : celui de la routine. Ce sont donc des gestes

professionnels distincts qui participent de la réalisation d’une même activité. Une routine

nous renseigne sur la stratégie globale du professeur, identifiée éventuellement à l’aide

d’autres indicateurs (Butlen, Pézard, Peltier, 2002). Elle nous semble être l’unité de l’activité

du professeur la plus petite qui nous permet de l’identifier (au moins partiellement). Un geste

isolé ne donne pas assez d’informations pour cela. Il pourrait être mobilisé par un professeur

qui met en œuvre un autre type de stratégie. Il peut aussi être convoqué par d’autres routines.

3.3. Routines et contenus mathématiques à enseigner, un essai de classification

Nous distinguons trois types de routines qui correspondent toutes à l’essai de définition ci-

dessus mais qui ne remplissent pas les mêmes fonctions. S’agissant d’enseignants de l’école

élémentaire, elles sont plus ou moins liées à la discipline enseignée, dans notre cas les

mathématiques.

Nous identifions des routines de type 1, les routines plutôt liées à l’installation et au respect

d’attitudes de travail ou d’attitudes générales (vie, règles et normes de la classe) pouvant

dépasser le cadre des seules mathématiques. L’enseignant peut y faire allusion sans

complètement les expliciter au début de l’année scolaire lorsqu’il évoque « tout ce qu’il y a à

mettre en place » avant de faire faire des mathématiques aux élèves. Elles ont à voir avec le

« climat » dans la classe, les degrés de liberté laissés aux différents partenaires, aux

comportements attendus. Elles participent de la reconnaissance mutuelle entre partenaires, à

l’installation de la légitimité du maître. Elles se manifestent surtout dans les interactions,

notamment dans les rappels à l’ordre (nature, fréquence, effets sur les élèves), dans le choix

des élèves sollicités (révélateur de la place et du rôle attribués aux différents élèves dans la

classe et dans les échanges). Elles s’appuient sur des prises d’informations globales ou locales

sur les élèves. Certaines de ces routines participent à la mise en place du contrat didactique ou

en justifient d’éventuelles négociations. Elles sont davantage liées à la stratégie générale

d’enseignement pluridisciplinaire du professeur mais elles sont appelées et contextualisées

lors d’un enseignement disciplinaire particulier. Elles peuvent être partiellement appelées par

d’autres routines davantage liées aux contenus mathématiques. Nous présentons un exemple

de routines de ce type associé au i-genre 3 lié à l’installation de ce que nous avons désigné par

« la paix scolaire12

».

Les routines de type 2 sont quant à elles plutôt liées à l’utilisation des documents ou supports

pédagogiques, aux matériaux utilisés, aux « décors » mis en place à moyen terme. Leur

12

Nous définirons plus précisément cette notion dans la suite de l’exposé, La paix scolaire est le coupe constitué

de la paix sociale (respect des règles de vie et de travail en classe et à l’école) et de l’adhésion de l’élève au

projet d’enseignement du professeur.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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fonction serait d’installer des habitudes de travail chez les élèves, un environnement, qui

influent sur l’activité de l’enseignant. Elles peuvent, par exemple, alléger son travail lors de la

dévolution des tâches ou faciliter les échanges maître / élèves au cours des différentes phases.

Il s’agit alors d’installer et de développer des répertoires de langage communs, des gestes ou

images mentales pouvant être appelés facilement par l’enseignant et par les élèves. Cet aspect

semble très présent à l’école élémentaire (surtout aux cycles 1 et 2) ; cela est sans doute lié au

fait que les élèves abordent leur « métier d’élève ». Les choix effectués par les auteurs des

manuels scolaires participent à la construction de cet environnement. Ils rejoignent et

complètent les propres choix de l’enseignant. L’installation d’un langage et de références

communs s’avère alors indispensable pour amorcer un travail mathématique.

Ces routines seraient davantage liées à un enseignement de contenus à moyen terme. Le

professeur des écoles installe ces habitudes et les convoque à l’occasion d’un enseignement

particulier. Les habitudes ainsi installées sont susceptibles d’évoluer et de s’enrichir, voire de

disparaître lorsqu’elles ne sont plus nécessaires ; elles sont sans doute alors remplacées par

d’autres du même type. Elles interviennent dans les différentes médiations et peuvent être

repérées à la fois dans le discours de l’élève et dans celui de l’enseignant mais avec

d’éventuels décalages.

Dans cette nouvelle catégorie apparaissent des routines davantage liées à un enseignement de

mathématiques.

Ce sont les routines de type 3. Elles sont révélatrices de la cohérence des pratiques et de la

stratégie du professeur. Elles apparaissent, par exemple, dans la place et le rôle accordés au

contexte de la situation (manipulations au CP : prétexte ou moyen pour trouver la réponse ou

encore activité développée pour valider un résultat), ou bien dans le fait de demander

systématiquement l’explicitation des procédures pour chaque résultat, de l’importance

accordée à cette explicitation en regard de celle accordée au résultat lui-même, ou encore dans

la nature et l’organisation des diverses institutionnalisations, voire des éventuelles

décontextualisations. Pour identifier ces dernières routines, mais aussi pour en déterminer les

fonctions, il faut préciser les mathématiques fréquentées par les élèves. Il est donc nécessaire

de prendre davantage en compte les contenus mathématiques et la nature des activités

proposées (résolution de problèmes consistants, exercices techniques d’application…).

D’autre part, il est indispensable d’étudier assez finement le contenu et la forme des

interactions entre les différents partenaires (place et rôle des élèves au cours des différentes

phases de la séance, types de médiations, nature et contenu du questionnement du professeur,

éléments de validation…). Ces analyses renouvelées sur plusieurs protocoles et croisées avec

d’autres (analyses du projet de l’enseignant à travers les préparations, des documents utilisés

avec d’éventuelles modifications apportées par l’enseignant, de productions d’élèves,

d’entretiens complémentaires) peuvent faire apparaître des éléments de la stratégie générale

de l’enseignant et les régularités au niveau des choix effectués.

4. Un exemple de routines de type 1 : l’installation d’une paix scolaire

Nous définissons la "paix scolaire" comme le couple "paix sociale" et "adhésion au projet

d’enseignement du professeur". Le premier élément du couple peut notamment se caractériser

par la mise en place de règles de fonctionnement de la classe acceptées par les élèves et

indispensables à la relation didactique en instaurant un certain calme dans la classe, une

absence de violence entre les élèves, un respect des personnes, des prises de paroles

contrôlées, etc. L’adhésion des élèves au projet d’enseignement du professeur se manifeste

par un climat de confiance, voire de complicité, entre les élèves et le professeur, par un

enrôlement rapide et sans trop de résistance des élèves dans les tâches. L’installation de la

paix scolaire n’affecte pas seulement la dévolution des tâches mais l’ensemble de l’acte

d’enseignement. Le second élément du couple est particulièrement important dans les classes

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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observées dans la mesure où il résulte d’une négociation "cachée" entre élèves et professeur et

définit pour une part le topos (Chevallard, 1999) de chacun.

Les indicateurs d’installation de la paix scolaire sont ainsi à inclure dans l’ensemble des

autres tâches d’enseignement mais réciproquement les modalités de leur réalisation

contribuent à la paix scolaire. La question posée du lien entre apprentissages des élèves et

confort de l’enseignant est ainsi déclinée de manière plus fine. Il en est de même des relations

à établir entre pédagogique et didactique.

4.1. Des exemples de routines

Les analyses des pratiques de différents professeurs des écoles s’adressant à des publics

présentant des caractéristiques relativement proches nous permettent déjà de relever

différentes modalités d’essai d’installation de la paix scolaire. Nous en avions repérées, dans

notre première recherche (Butlen, Peltier, Pézard, 2002), au moins deux. Sébastien, un

professeur débutant du i-genre 3, sans avoir complètement installé la paix sociale, obtient

l’adhésion des élèves à son projet d’enseignement. Toutefois, son manque d’expérience et le

défaut de reconnaissance institutionnelle qui l’accompagne (de la part des élèves mais aussi

de l’école) rendent souvent fragiles les équilibres qu’il parvient à installer. La négociation

avec les élèves se prolonge tout au long de sa première année d’enseignement. Ainsi, pour

mieux cerner son mode de gestion des comportements (violents ou au contraire très inhibés)

des élèves, nous avons comptabilisé la fréquence et les moments au cours desquels on relève

des "rappels à l’ordre" émis par le professeur lors des séances observées. Nous prenons en

compte les rappels à l’ordre visant à rétablir le calme et ceux visant à établir une posture

d’écoute ou de travail. Ils concernent donc l’écoute des élèves, leur comportement apparent,

le niveau sonore, les déplacements… Ils peuvent s’adresser à des élèves particuliers ou à la

classe dans son ensemble. Lors d’une séance de résolution du problème, nous décomptons

ainsi au moins 65 interventions de ce type qui peuvent être plus ou moins longues (de un mot

à plusieurs phrases).

Une seconde modalité liée au i-genre 1 se caractérise par une paix sociale obtenue grâce au

respect rigoureux d’une certaine "discipline" mais sans être pour autant accompagnée d’une

adhésion des élèves au projet d’enseignement. Si apparemment le maître semble maîtriser

l’avancée du temps didactique, c’est parce qu’il anticipe sur la lassitude des élèves en

réduisant ses exigences ou en réduisant le temps d’activité.

Notre recherche met en évidence des routines auxquelles sont associés un certain nombre de

gestes professionnels susceptibles d’installer des conditions pour l’obtention de la paix

scolaire. Notons que l’équilibre est difficile à trouver et qu’il convient de souligner qu’en

contrepartie, certaines de ces routines comportent des risques relatifs à l’avancée des

apprentissages et nourrissent les deux premières contradictions mises en évidence en ZEP.

Cette routine comporte les gestes professionnels associés aux types de tâches décrites ci-

dessous.

Nous montrons comment certains des professeurs observés mettent en œuvre tout ou une

partie de ces gestes selon leur style personnel (Clot, 1999).

Pour les trois professeurs relevant du i-genre 3, alors que Sébastien et Aurélie (professeurs

débutants) doivent subir une tension importante et constante, Mireille, professeure

expérimentée et reconnue institutionnellement bénéficie d’une légitimité qui lui permet de

s’économiser davantage, voire même de rectifier certaines maladresses dues à un manque de

préparation et à une trop grande improvisation. Aurélie installe la paix scolaire principalement

grâce à une rigueur et un environnement mathématique de qualité alors que Vanessa et

Christine (professeures débutantes dont les pratiques ne relèvent que très partiellement du i-

genre 3) l’obtiennent grâce à un climat de confiance et de communication, voire une

complicité pour la première. Les titres des paragraphes qui suivent annoncent les buts des

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 61-

gestes constituant la routine et correspondant à des types de tâches distincts participant de

l'installation de la paix scolaire.

4.1.1 Maintenir un rythme de travail soutenu

En considérant la variation du nombre de rappels à l’ordre, nous avons montré que les

moments de changement de tâche, souvent liés à des changements de statut de la

connaissance, sont ceux où les élèves résistent le plus. Une façon de contrer cette résistance

est de rétablir l’attention collective et de garder un rythme de travail soutenu de manière à ne

pas laisser trop "d’espace aux élèves". Le tableau ci-dessous montre quand se situent les

interventions de Sébastien, professeur du i-genre 3, interventions qui lui permettent de rétablir

l’attention collective.

Nombre de rappels à l’ordre par épisode, séance de résolution du problème : " les Daltons "

Episode

Sous

épisode

Type d’épisode Nombre

d’interventions

1 Dévolution 1

2 Recherche des élèves 5

3 Retour au calme (au cours de la

recherche)

5

4 4.1 Retour au calme avant la synthèse 9

4.2 Etude d’une production 10

4.3 Etude d’une production 4

4.4 Etude d’une production 4

4.5 Etude d’une production 0

4.6 Etude d’une production 4

5 institutionnalisation 1

6 6.1 Préparation du matériel en vue d’un

réinvestissement

13

6.2 Exercice de réinvestissement n°1 2

6.3 Exercice de réinvestissement n°2 7

Total 65

Ces gestes identifiés au cours des différentes analyses de séances observées dans la classe de

Sébastien se révèlent spécifiques de l’activité de ce professeur en réponse à ce type de tâche.

4.1.2 Maintenir constamment la "pression" sur les élèves

Pour réaliser cette tâche, le professeur peut reprendre très vite la main quand cela s’avère

nécessaire, en orientant pour une part le travail des élèves, tout en essayant de conserver une

certaine "ouverture" de la tâche prescrite. C’est le cas notamment de Mireille alors que

Sébastien maintient cette pression en s’assurant de la compréhension de la tâche à effectuer.

Par exemple, lors de la présentation d’une activité, en six minutes, ce professeur intervient

individuellement auprès de 20 élèves différents (sur 22). Il maintient ainsi une "pression" qui

assure la réalisation au moins partielle de l’activité mathématique visée. Notons que les

décisions à prendre dans ce cadre sont assez délicates puisqu’elles tendent à faire perdre une

certaine part d’adidacticité aux situations.

4.1.3 Maintenir l’adhésion des élèves en ménageant une place à chacun

Ce geste peut nuire à l’avancée du temps didactique et à la mise en texte des savoirs. Le souci

de valoriser tous les élèves, même les plus faibles nourrit la seconde contradiction mise en

évidence en ZEP entre réussite à court terme et apprentissage. En effet, le professeur peut être

amené à considérer avec la même attention toutes les productions des élèves, à les mettre au

même niveau sans les hiérarchiser, c’est le cas de Christine notamment. Or cette

hiérarchisation est indispensable à l’avancée des apprentissages. De même, dans le souci de

dédramatiser l’erreur, il peut être amené à consacrer beaucoup de temps au traitement de

certaines erreurs individuelles. Nous avons déjà souligné que Vanessa obtient cette adhésion

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 62-

en installant dans la classe une certaine complicité qui n’est pas non plus sans risque pour les

apprentissages mathématiques. Ainsi, les personnages fictifs intervenant dans les énoncés des

problèmes qu’elle pose sont souvent personnalisés. Les textes proposés peuvent mettre en

scène des élèves de la classe ou contenir des encouragements très personnalisés comme dans

les extraits ci-dessous :

4.1.4. Garder le contact avec les élèves en restant très proche de leurs formulations

Un autre geste professionnel constitutif de la routine « installer la paix scolaire » consiste à

« rester très proche des formulations des élèves » et ce dans le but de garder le contact avec

ses élèves. Mais cela peut se faire parfois au détriment de la formalisation des savoirs. Le

professeur en se limitant aux formulations des élèves, voire en se situant en deçà de certaines,

risque de limiter les apprentissages et de réguler l’avancée du temps didactique en considérant

les élèves les plus faibles. C’est le cas de Vanessa, comme l’illustrent ces exemples.

Ah. Alors, une frise, c’est des formes qui se suivent, c’est toujours la même règle

(...) On prend ce morceau-là, et on le pose toujours pareil. A chaque fois, une frise, y’a un

motif de base et on suit la règle. (…)

En fait on pourrait dire synonyme, puisque synonyme, ça veut dire la même chose. Sauf que

c’est en mathématiques… Vous essayez avec vos… de faire une frise comme moi j’ai fait au

tableau. Diane, au travail : des synonymes mathématiques, on fait des synonymes

mathématiques.

Pour conclure, signalons un constat lié aux types de savoirs et à la nature des activités

mathématiques. Le professeur peut prendre appui sur certaines activités comme celles qui

relèvent du calcul mental qui se révèlent propices à des comportements ou attitudes qui

contribuent à l’installation d’une paix scolaire et qui peuvent diffuser (se transférer à d’autres

activités). En effet, de par leur caractère rituel et leurs exigences de rapidité, ces dernières

peuvent contribuer à enrôler les élèves et à les installer dans une posture de travail. D’autres

domaines des mathématiques comme la géométrie peuvent aussi, de par la spécificité des

tâches proposées, jouer ce rôle et favoriser ainsi l’adhésion de l’élève au projet

d’enseignement du professeur.

5. Un exemple de routine du troisième type : la gestion du processus

d’institutionnalisation

Sébastien, Aurélie et Mireille, professeurs enseignant en cycle 36 dont les pratiques relèvent

du i-genre 3, mettent en œuvre des routines proches leur permettant de conduire des phases

d’institutionnalisation alors que leurs collègues dont les pratiques relèvent des i-genres 1 et 2

déclarent rencontrer beaucoup de difficultés pour mener ces phases à terme compte tenu du

comportement et des capacités de concentration des élèves. Alors que les routines mises en

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 63-

œuvre par Sébastien et Aurélie (tous les deux débutants) sont très proches, Mireille procède

d’une manière un peu différente. Comparons les gestes associés aux routines mises en œuvre

par les professeurs débutants d’une part et par la professeure expérimentée d’autre part.

5.1. Routine des débutants

Les analyses des nombreuses observations, confirmées par les entretiens qui ont suivi

montrent que l’organisation des phases de synthèse et d’institutionnalisation est très stable.

Nous avons repéré, de manière répétée, trois types d’activités correspondant à des gestes

professionnels différents que nous précisons sur l’exemple choisi. Lors de la phase de

recherche des élèves, le professeur observe et hiérarchise les productions des élèves afin de

décider quels seront les élèves interrogés lors de la phase de mise en commun et dans quel

ordre ils seront amenés à intervenir. Durant cette phase, le professeur étaye, si besoin est, les

formulations des élèves. Enfin, il organise la phase de synthèse qui débouche sur une

institutionnalisation de sa part.

Le premier geste consiste en une observation précise des productions des élèves pendant la

phase de recherche afin de faire un tri des productions et des performances des élèves. Celle-

ci est finalisée par le choix des élèves à interroger. Le professeur évalue l’économie et le

degré d’expertise de chaque procédure. Il fait un choix parmi les erreurs produites, ne retenant

que celles dont une explicitation permet d’améliorer et d’enrichir la compréhension collective.

Enfin, les élèves sollicités devront pouvoir, au moins en partie, formuler oralement et/ou par

écrit les procédures mobilisées.

Au cours de la synthèse, les formulations orales des élèves sont très souvent pauvres et

correspondent à des niveaux de décontextualisation intermédiaires entre le contexte du

problème et le savoir mathématique en jeu. Les interventions sont très courtes (en moyenne

de 3 à 4 mots). Les phrases sont rarement complètes. Le plus souvent les formulations orales

les plus riches sont produites par les élèves ayant mobilisé les procédures les plus expertes.

Le deuxième geste correspond à l’étayage des formulations des élèves pendant la synthèse.

Afin de permettre la compréhension des procédures exposées par les élèves interrogés, le

professeur s’appuie en général sur des écrits même succincts. Les élèves doivent rédiger et

parfois même justifier leur démarche par écrit. Ces productions sont affichées au tableau lors

de la mise en commun. De plus, l’enseignant reformule les dires des élèves. Cet étayage

dépend de la qualité de la formulation de l’élève interrogé. Quand l’élève manifeste de

grandes difficultés pour exprimer oralement sa démarche, le professeur intervient davantage.

Il est amené à compléter les quelques mots prononcés par l’élève afin d’énoncer des phrases

compréhensibles par tous.

Les élèves désignés par le professeur exposent leurs procédures. La synthèse est organisée

selon trois principes. Le professeur ne prend pas en compte les productions trop difficilement

interprétables. L’exposé des procédures est gradué. Il commence par des exemples de non

compréhension du problème sur lesquels l’enseignant ne s’attarde pas. Il se poursuit par

l’explicitation de procédures plus ou moins économiques. Il se termine par l’énoncé de la

procédure la plus experte produite. Enfin, cette synthèse débouche sur l’institutionnalisation

de la procédure experte (prévue par le maître), troisième geste, replacée dans un contexte plus

général et plus décontextualisé. Le professeur n’impose pas, à cette étape, cette procédure

mais des exercices de réinvestissement permettent aux élèves de se l’approprier

progressivement.

Tout se passe comme si ces trois gestes permettaient au professeur de construire une histoire

fictive des productions des élèves, constituant ainsi un ensemble finalisé et cohérent des trois

gestes. Cette histoire se fonde sur un exposé ordonné de nouvelles formulations des actions et

des propositions des élèves obtenues grâce à une maïeutique. Ces nouvelles formulations

restent proches de celles des élèves, mais elles permettent à l’enseignant de conclure par une

institutionnalisation s’adressant à toute la classe. Le professeur peut ainsi transformer les

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 64-

itinéraires particuliers des élèves en un itinéraire générique acceptable par tous. L’histoire des

productions de la classe ainsi reconstruite a pour but de favoriser l’adoption par tous de la

procédure experte. Cette routine s’appuie sur une dialectique entre privé et collectif. Le

professeur observe et choisit les productions privées de certains élèves. Il rend ces démarches

publiques en permettant à leurs auteurs de les formuler oralement ou par écrit (sous forme

d’affiches). Il leur donne un statut collectif en assurant, par un étayage important, la

compréhension de l’ensemble de la classe et en les réorganisant selon leur degré d’expertise.

Chaque élève peut ainsi s’approprier individuellement le savoir institutionnalisé.

5.2. La routine de l’enseignante expérimentée7

La routine mise en œuvre par Mireille se distingue de celle que nous venons de décrire par

certains gestes. Mireille ne prend pas autant d’informations sur les productions effectives des

élèves que les professeurs débutants. Même si elle leur demande d’écrire, elle n’utilise pas ces

traces de l’activité des élèves. Elle ne semble pas en ressentir le besoin, faisant confiance à

son expérience professionnelle qui d’une part, lui donne accès directement au spectre des

productions attendues des élèves et d’autre part, lui permet, si besoin et sans hypothéquer sa

légitimité, de rectifier en cours de route des prévisions trop éloignées des productions

effectives des élèves. Elle ressent la nécessité de construire, elle aussi, l’histoire collective et

fictive des productions des élèves, mais elle procède différemment en déclinant les gestes

suivants :

1) Les élèves donnent oralement leurs résultats qui sont notés au tableau par l’enseignante :

toutes les réponses différentes sont ainsi collectées, mais pas leur fréquence ;

2) Les élèves sont amenés à réfuter en argumentant les résultats erronés (souvent déclarés

aberrants). Une analyse plus fine de certaines erreurs significatives est éventuellement

demandée par l’enseignante ;

3) Les élèves explicitent et justifient des procédures ayant conduit à la solution, l’enseignante

apporte une aide à la formulation, mais en gardant l’idée de départ de l’élève; ce qui ne se

révèle pas toujours aisé car nous avons relevé des interprétations maladroites ou « rapides ».

Terminons cet exposé en signalant qu’une analyse des performances des élèves enregistrées

lors d’activités de réinvestissement montre que cette routine propre aux enseignants du i-

genre 3, se révèle assez efficace au moins à court terme pour un nombre significatif d’élèves.

Ainsi, davantage d’élèves mettent en œuvre dans ces exercices les procédures expertes ou

mobilisent qui s’en rapprochent. L’une des professeurs traduit ces progrès ainsi lors d’un

entretien :

…J’essaie de voir ceux qui ont plutôt raté en premier puis ceux qui ont une méthode qui

fonctionne, mais qui n’est pas la plus rapide ou la plus experte, pour finir par la plus experte.

Et après j’essaie de leur faire voir…des fois, quand je peux, souvent même, que les deux

fonctionnent mais pourquoi y’en a une qui est mieux que l’autre. Alors après, quand y’en a

une qui est mieux que l’autre, ils essaient de réinvestir. Y’en a qui n’avaient pas compris et

qui préfèrent déjà la méthode moyenne, pas l’experte. Ils ne passent pas directement. Ceux

qui sont à la moyenne, y’en a une bonne partie qui essaie une experte...

5.3. L’expérience professionnelle et le style de l’enseignant

Les différences entre les routines mises en œuvre par les enseignants que nous venons de

décrire dans les deux paragraphes précédents n’ont pas les mêmes sources. Si les i-genres

déterminent pour une large part les différences constatées entre les routines mises en œuvre

pour installer et maintenir une paix scolaire dans leur classe, les différences de gestion du

processus d’institutionnalisation relèvent du degré d’expérience professionnelle et du style

des enseignants. Cela confirme notre hypothèse sur le style personnel de l’enseignant. Le

découpage de son activité en routines permet au chercheur de caractériser les grands choix et

stratégies du professeur; ces derniers relevant du i-genre caractérisant les pratiques.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 65-

Conclusion : gestes et routines, un outil pour la formation des professeurs des écoles

La description des pratiques enseignantes en termes de routines et de gestes professionnels

semble constituer un outil efficace à la fois pour analyser les pratiques existantes comme le

montrent nos recherches mais aussi pour la formation. En effet, si la formation se fixe pour

but d’enrichir les pratiques existantes en présentant des alternatives possibles, en élargissant

les marges de manouvres des enseignants, il est nécessaire pour l’atteindre, notamment en

ZEP, que le discours dispensé par le formateur rencontre un écho chez le formé. En effet dans

le cas contraire, compte tenu des conditions difficiles dans lesquelles le professeur exerce, le

risque de déstabilisation est trop important pour un professeur enseignant dans ces écoles ; ce

qui peut le conduire à rejeter l’alternative proposée dans sa totalité. Intervenir au niveau de la

routine permet au contraire au formateur de montrer des changements suffisamment limités

pour ne pas trop déstabiliser les pratiques existantes mais suffisamment importants pour les

interroger en terme d’efficacité tant pour le confort du professeur que pour les apprentissages

des élèves.

II.6. Une première conclusion

Cette recherche ouvre des pistes pour la formation. En effet, elle conduit à s’interroger sur

l’efficacité des pratiques relevant de tel ou tel i-genre au regard des effets sur les

apprentissages des élèves. Les mathématiques potentiellement fréquentées ne sont pas les

mêmes (nature des activités, savoirs de référence, etc.). Elle a fait apparaître des manques en

formation initiale et la nécessité de mieux cerner les niveaux d’intervention en formation.

Notre expérience de formateur nous amène à penser que le plus souvent, au mieux, les

novices identifient et tentent de reproduire des gestes isolés indépendamment des routines et

des genres dans lesquels ils s’inscrivent. De plus on ne peut pas complètement identifier

routine et genre, en effet, les pratiques associées à un genre peuvent se contextualiser par

plusieurs routines différentes relevant du style de l’enseignant.

Dans quelle mesure et sous quelles conditions peut-on intervenir sur les pratiques

enseignantes ?

C’est l’objet de la seconde recherche que nous exposons dans le troisième chapitre de cette

seconde partie. Elle porte sur l’élaboration, l’expérimentation et l’évaluation d’un dispositif

accompagnement sur les pratiques des néo-titulaires enseignant en ZEP difficiles. Nous

évoquons ici succinctement les hypothèses nous ayant conduit à proposer un tel dispositif,

quelques mots de la méthodologie de recueil et d’analyse des données et les résultats.

III. Professeurs des écoles enseignant en ZEP, quelles pratiques, quelle

formation ?

Nous reprenons ici le texte de la conférence de Bombannes pour décrire le dispositif mis en

œuvre et les principes ayant conduit à son élaboration

III – 1 Les hypothèses à la base de l’élaboration du dispositif

III – 1.1 Améliorer le confort et rentrer en résonance

Tout d’abord, nous pensons qu’il est indispensable d’avoir accès et de prendre en

compte la logique des pratiques effectives de chaque enseignant pour pouvoir intervenir sur

ces pratiques. En particulier, nous retenons l’idée que pour avoir un effet, une formation doit

rencontrer la logique de fonctionnement du professeur formé ou bien répondre à des

préoccupations personnelles et professionnelles. Ainsi, nous nous proposons de construire des

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 66-

situations de formation qui permettront d’entrer en résonance, même de manière limitée, avec

les représentations des formés sur les mathématiques, leur enseignement et le public auquel ils

s’adressent. Nous nous appuyons pour cela sur l’idée de l’existence probable de moments

cruciaux pour la formation dans la constitution de l’expérience professionnelle (Robert,

2001).

III – 1.2 Une approche holistique

Nous nous plaçons toutefois dans une démarche « holistique » (Robert, 2005) prenant

suffisamment en compte la complexité des pratiques, les différentes recompositions

nécessaires à une interrogation de celles-ci, notamment celles qui sollicitent les dimensions

personnelle, professionnelle, institutionnelle et sociale des professeurs concernés. Cela nous

amène par exemple à penser qu’accroître le confort des enseignants de ZEP contribue à

favoriser l’efficacité de l’enseignement.

Nous nous proposons d’intervenir sur les pratiques en cours de stabilisation des

nouveaux professeurs des écoles dans le but de les enrichir.

III – 1.3 Que veut dire enrichir les pratiques ?

Il s’agit pour nous d’élargir le champ des possibles pour l’enseignant. Notre but est de

diversifier les modalités d’investissement des marges de manœuvre qui lui restent. Il s’agit de

présenter la diversité des stratégies d’enseignement possibles, de préciser les différents types

d’activités à proposer aux élèves et d’enrichir ainsi les contenus mathématiques abordés. Cela

devrait amener le professeur des écoles à adapter des situations d’apprentissage (trop souvent

construites pour un public élève standard) en vue d’un enseignement en ZEP prenant en

compte les difficultés spécifiques de ce public tout en assurant les apprentissages visés par la

scolarité obligatoire.

Il nous paraît indispensable dans ce but de montrer la diversité des réponses apportées

par les enseignants (y compris débutants) aux contraintes auxquelles les professeurs des

écoles sont soumis ; notamment en comparant les stratégies d’enseignement liées aux

différents i-genres et leurs effets. Il nous paraît en particulier important de préciser les gestes

et routines professionnels associés à ces types de pratiques.

Notre but est de contribuer à la recherche des conditions liées aux pratiques

enseignantes permettant à terme à un enseignement de mathématiques de surmonter les

difficultés des élèves. Cela amène en particulier à soulever la question de l’existence

potentielle de solutions à l’intérieur même des pratiques professionnelles existantes. Le

collectif enseignant dans son état actuel possède-t-il déjà ou en germe les réponses aux

difficultés d’apprentissage des élèves ? Ces solutions éventuelles sont-elles généralisables ?

Dans quelle mesure sont-elles liées aux spécificités individuelles (de l’enseignant comme des

élèves) ?

III – 1.4 Les quatre dialectiques

Nous avons élaboré une ingénierie de formation visant à accompagner des professeurs

des écoles débutants, affectés à l’issue de leur formation initiale en ZEP scolarisant une

population particulièrement défavorisée socialement. Les pratiques des professeurs débutants

n’étant encore stabilisées, nous faisons l’hypothèse qu’il sera plus aisé d’intervenir sur ces

pratiques dans le but de les enrichir.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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Cette ingénierie s’organise autour de quatre dialectiques.

La première dialectique concerne les deux stratégies de formation principalement

mises en œuvre : une démarche de compagnonnage et une démarche réflexive. Le

compagnonnage fait intervenir des acteurs de catégories différentes. Le professeur débutant

rentre en relation avec ses pairs (débutants ou plus anciens) mais aussi avec des formateurs de

différentes catégories (professeurs spécialisés dans l’enseignement d’une discipline

particulière, psychologues, professeurs des écoles exerçant comme conseillers pédagogiques).

Il s’agit en même temps de développer une attitude réflexive chez les enseignants débutants.

En situation problématique, comme c’est le cas en ZEP, il y a nécessité de réfléchir sur tous

les éléments qui sont convoqués, souvent de manière imbriquée et implicite dans toute

pratique d’enseignement : identifier la tâche à réaliser par l’élève, le contexte de la réalisation

de cette tâche, les techniques et connaissances mobilisées pour la résoudre, les limites de cette

réalisation, les adaptations possibles dans une nouvelle tâche, etc.

La deuxième dialectique concerne les modalités de formation. Certaines situations

ciblent un professeur particulier et relève d’un accompagnement individuel alors que d’autres

s’adressent à l’ensemble des professeurs concernés par la recherche.

La troisième dialectique vise à mettre en relation les expériences personnelles de

chaque professeur débutant, considérées dans leur contexte particulier, et une expérience

relevant d’un collectif enseignant, reformulé, reconstitué, recomposé par un formateur engagé

dans des recherches sur les pratiques enseignantes et sur les pratiques de formation. Ce jeu sur

les stratégies et les modalités de formation comme sur l’expérience professionnelle acquise

personnellement ou collectivement devrait permettre à l’enseignant de prendre conscience des

marges de manœuvre possibles et d’explorer diverses manières de les investir, de repenser ses

expériences à l’aune de ce que l’on sait sur les contraintes spécifiques aux ZEP, sur les

contradictions à gérer, sur les différents modes de réponses possibles.

La quatrième dialectique joue sur le niveau (local ou global) d’intervention sur les

pratiques. Nous faisons l’hypothèse qu’il est possible d’interroger la logique d’un enseignant

de ZEP et d’initialiser des changements dans sa pratique, pourvu que ces derniers soient

suffisamment locaux et ne remettent pas trop en cause cette logique. Il s’agit d’éviter des

rejets qui pourraient s’avérer violents. Nous appuyons pour cela sur les travaux de Butlen

(2004) portant sur l’organisation des pratiques enseignantes, notamment sur les gestes

professionnels et les routines.

III – 2 Les types de situations et les contenus privilégiés

Cette ingénierie comporte trois types de situations de formation organisées autour des

quatre dialectiques précédentes (SIQ : situation d’information et de questionnement, SC :

situation de compagnonnage, SEM : situation d’échange et de mutualisation des pratiques).

III – 2.1 Situation d’information et de questionnement (S.I.Q.)

Il s’agit d’initialiser un questionnement chez l’enseignant tout en lui apportant des

informations et des ressources. Ce premier type de situation est proposé dans un cadre

collectif et comporte trois entrées.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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Une première entrée concerne l’adaptation de situations d’apprentissage et de

programmations en vue d’un enseignement en ZEP, en prenant en compte un double point de

vue cognitif et médiatif. Il nous semble en effet que ces deux aspects doivent sans cesse être

liés car l’action sur la composante cognitive seule ne suffit pas : il faut aider le futur

enseignant à gérer la mise en actes de son projet et donc prendre en compte la composante

médiative. La question de l’adaptation des scénarios standards à un public de ZEP doit être

particulièrement travaillée, notamment par un jeu sur les variables didactiques. Nous pouvons

définir plusieurs critères susceptibles de guider cette adaptation : le degré de complexité et la

durée des situations ; le découpage de la tâche ; le contexte des situations ; l’ancrage du

nouveau dans l’ancien.

Les scénarios étudiés en formation doivent être facilement réinvestissables par les

enseignants débutants. Cette étude peut se faire à partir de certains contenus qui nous

semblent emblématiques à la fois pour l’apprentissage des élèves et pour l’enseignement des

mathématiques. Pour notre part, nous avons choisi le calcul mental, la géométrie et la

résolution de problèmes classiques.

La seconde entrée est centrée sur les gestes professionnels. À partir de protocoles, de

vidéos témoignant de pratiques effectives « externes » (mises en œuvre par d’autres

professeurs de ZEP que les professeurs accompagnés), il s’agit de s’interroger sur des gestes

et routines professionnels, en liaison avec différents genres de pratiques. Cette information

s’appuie sur un questionnement en direction des formés.

La troisième entrée comporte une information sur les contraintes spécifiques aux ZEP,

sur les contradictions vécues quotidiennement par les professeurs de ces classes. L’accent

peut être mis sur la contradiction entre logique de socialisation et logique d’apprentissage

dont le dépassement est un enjeu décisif pour l’enseignement en ZEP. Cette troisième entrée

vise à enrichir les représentations des enseignants sur les élèves de ZEP ; elle permet

d’apporter une information sur les spécificités des élèves de ces classes en particulier pour

éviter de les identifier systématiquement avec des élèves en difficulté.

III – 2.2 Situation de Compagnonnage (S.C.)

Contrairement à la situation précédente, les interventions sont ici strictement

individuelles et s’adressent à la personne de l’enseignant. La situation de compagnonnage

consiste à observer la classe de l’enseignant accompagné et à répondre individuellement aux

questions effectives qu’il se pose. Pendant cette phase de compagnonnage, le chercheur est

une personne « ressource ». Les réponses apportées sont alors complètement contextualisées

et prennent en compte l’interlocuteur. Par ailleurs, nous essayons de répondre sans être trop

précis, de manière à laisser une marge de manœuvre et un choix au professeur. Par exemple,

pour l’apprentissage de certaines notions, nous donnons des lignes directrices et fournissons

plusieurs exemples de situations d’apprentissage qui nous paraissent suffisamment « riches ».

III – 2.3 Situation d’échanges et de mutualisation des pratiques (S.E.M.)

Cette situation est organisée au sein de groupes restreints. Elle facilite un passage de

l’individuel au collectif. Sur la base de témoignages des enseignants débutants, il s’agit de

mettre en place une pratique réflexive à partir d’échanges entre pairs et avec les chercheurs.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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Ces échanges sur les pratiques effectives, sur leur efficacité et leurs limites, permettent d’une

part aux enseignants de mettre en commun leurs expériences et d’autre part aux chercheurs de

replacer les observations dans la continuité de la classe. Ils amènent les enseignants à passer

d’une simple description de leur pratique à une analyse de leurs projets et de leurs mises en

actes. La mixité entre chercheurs et enseignants permet à ces derniers d’enrichir leur lexique

dans leur discours sur les pratiques. Ce retour réflexif sur sa propre pratique, imposé dans un

premier temps dans le cadre de la formation, se construit par la suite dans la durée, à partir de

nombreuses situations d’échanges sur des sujets variés.

De façon générale, l’ingénierie d’accompagnement doit prendre en compte

l’institution. Les situations du premier type (S.I.C.) sont proposées lors du stage de prise de

fonction des nouveaux professeurs des écoles qui se déroule soit sur trois semaines en début

d’année soit sur trois fois une semaine au cours du premier et du second trimestre. Les

situations de compagnonnage, d’échanges et de mutualisation des pratiques (S.C. et S.E.M.)

supposent des observations de classes et des regroupements réguliers entre enseignants

accompagnés et chercheurs.

III – 3 Quelques éléments sur la méthodologie

III – 3.1 Les conditions des observations

Nous travaillons pendant leurs deux premières années d’exercice, avec dix professeurs

des écoles débutants affectés dans trois écoles très proches géographiquement et socialement.

Ces écoles se situent dans un quartier très défavorisé de Meaux (Seine et Marne). Ces

enseignants volontaires se répartissent entre le cycle 2 et le cycle 3 de l’école primaire.

Les différentes situations de formation du dispositif d’accompagnement sont

systématiquement enregistrées afin de pouvoir en analyser la mise en œuvre a posteriori. Les

séances de mathématiques conduites par les professeurs accompagnés sont observées

(enregistrées et/ou filmées) afin de mesurer l’impact sur les pratiques de la formation

dispensée. Il en est de même des moments d’échanges organisés entre pairs, en présence des

chercheurs. Nous organisons également des entretiens enregistrés en fin d’année scolaire avec

les enseignants débutants répartis en groupes de deux.

III – 3.2 La référence au i-genre 3

La prise en compte des processus de dévolution, régulation et institutionnalisation

nous amène à définir cinq niveaux de dépassement de la contradiction fondamentale. Comme

pour les indicateurs, nous considérons le i-genre trois comme référent pour définir ces

niveaux. Nous les avons désignés par des expressions caractéristiques de chacun : installation

d’une paix scolaire, consistance des problèmes et temps de recherche, explicitation des

procédures, hiérarchisation des procédures et synthèse, institutionnalisation.

Les résultats de cette recherche sont développés dans l’ouvrage collectif édité par Monique

Pézard (2012) Professeurs des écoles débutants enseignant les mathématiques en ZEP :

quelles pratiques ? Quelle formation ?, publié aux éditions La Pensée Sauvage. Nous nous

contenterons ici de présenter ces résultats en les illustrant par les pratiques de quatre des

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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professeurs observés. Il s’agit toujours d’extraits de la conférence effectuée à Bombannes par

les trois auteurs de l’ouvrage ci-dessus.

Depuis cette conférence, nous avons pris le parti de ne plus considérer l’installation de la paix

scolaire comme le premier des cinq niveaux permettant de mesurer les effets de

l’accompagnement sur les pratiques des professeurs des écoles. Nous ne prenons en compte

que les quatre derniers niveaux traitant la question de la « paix scolaire » indépendamment de

ceux-ci.

Nous renvoyons le lecteur à la lecture de cet ouvrage pour une description détaillée de

l’évolution des pratiques des dix professeurs concernés par l’accompagnement. Il pourra ainsi

mesurer l’évolution de la pensée des auteurs sur le sujet.

III – 4. Les résultats

III – 4.1 Un effet de l’accompagnement sur les pratiques de quatre PE : une extension des

marges de manœuvre

Un premier effet concerne l’extension des marges de manœuvre du professeur

débutant : celui–ci acquiert une certaine liberté par rapport à l’utilisation des ressources

existantes et aux contraintes liées au fonctionnement de l’équipe pédagogique.

Nos diverses observations nous amènent à dire que les professeurs débutants peuvent

avoir, au départ, différentes attitudes par rapport au fichier officiellement utilisé en classe de

mathématiques en fonction de ses caractéristiques et de la place qu’ils accordent à l’utilisation

de ressources de ce type. Notons qu’en général ils ressentent le besoin de disposer d’un

manuel (pour leurs élèves), que le choix de celui-ci est déjà fait quand ils arrivent dans l’école

et qu’ils ne peuvent légitimement que s’y conformer dans un premier temps.

Ces attitudes sont à relier d’une part aux attentes des professeurs concernant les

supports (terme générique ici) dont ils souhaitent disposer pour leurs élèves et d’autre part, à

la nature des ressources. Certains considèrent, à juste titre, le fichier comme un carcan (non

adapté, trop formel…), mais ils ont du mal à s’en libérer car il est aussi utilisé par les autres

collègues de l’école. Dans ce cas, notre ingénierie semble avoir contribué à faire disparaître

leurs hésitations puisque des débutants observés ont finalement totalement abandonné le

fichier « officiel » et déclarent bâtir eux-mêmes leurs leçons, à partir de divers documents et

de leur inspiration personnelle. Les documents que nous avons fournis et les réponses à leurs

demandes ont sans doute facilité ce choix. Notons que cette émancipation peut aussi avoir ses

revers si le professeur débutant n’est pas assez « armé » pour construire lui-même ses

progressions. Le fichier constituait un cadre, qui même imparfait, avait le mérite d’exister.

D’autres, lorsque le fichier est plus « ouvert », l’utilisent relativement fidèlement, en suivant

de près la progression, s’appropriant plus ou moins les intentions des auteurs, tout en

s’autorisant quelquefois à sauter certaines situations jugées trop complexes.

Ces deux attitudes face aux ressources présentes dans la classe sont confortées grâce

aux échanges suscités dans notre ingénierie (S.E.M.). Notre accompagnement permet à

certaines ressources d’être reconnues comme riches et d’être utilisées dans ces classes. Il

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 71-

contribue à étendre les marges de manœuvre du professeur et donc à élargir le champ des

possibles dans le domaine du choix des situations.

III – 4.2 Des facteurs « déterminants » dans la formation des pratiques

De façon générale, il y a nécessité de prendre en compte plusieurs facteurs : les

ressources pédagogiques, la maîtrise par le professeur des contenus mathématiques mais

surtout l’existence d’une attitude que nous qualifions de « vigilance scientifique » par rapport

à cette discipline et à son enseignement, le niveau scolaire de la première classe dans laquelle

on enseigne et enfin le contexte social et institutionnel de l’école.

L’impact des ressources utilisées

Il semble que les manuels utilisés en mathématiques lors des deux premières années

d’exercice aient un rôle important dans la construction des pratiques des débutants. Ces

documents peuvent induire un certain type de pratique, en partie à l’insu du professeur.

En effet, dans le cas d’au moins deux professeurs (Christine et Valentin), nous

observons qu’un fichier qui donne une grande place à la résolution de problèmes, qui propose

un certain nombre d’éléments aidant à l’analyse a priori et qui décrit dans le détail les phases

du déroulement des séances peut contribuer à rapprocher un professeur débutant du i-genre 3.

Notons toutefois que l’activité du maître n’y est souvent évoquée que sommairement et reste

assez implicite. À l’inverse, un fichier qui laisse peu d’initiative à l’élève, où celui-ci n’a qu’à

reproduire, avec quelques variantes, l’exemple de départ rapproche le professeur débutant du

i-genre majoritaire. Il y aurait ainsi une sorte de « formatage » des pratiques à partir du

fichier. Mais bien sûr, cela ne suffit pas. Une séance de mathématiques, dont tous les

moments sont précisément décrits (dévolution, recherche des élèves, mise en commun,

institutionnalisation) peut être détournée de ses objectifs initiaux et devenir une leçon où

l’élève n’a plus qu’à appliquer ce que dit le maître. Mais si le type d’activités proposées par le

fichier correspond aux préoccupations et aux choix du professeur et si ce dernier suit assez

fidèlement les indications, sa pratique est en quelque sorte « induite » par le fichier.

En revanche, dans le cas d’un autre professeur (Vanessa), nous observons que la mise

à distance du fichier utilisé officiellement dans la classe s’est accompagnée d’une imprécision

et d’une improvisation mal contrôlée.

Le poids de la « vigilance scientifique »

Nos observations nous ont permis de préciser le rôle joué par la « maîtrise » des

contenus mathématiques à enseigner dans les grands choix effectués par les professeurs. La

maîtrise des contenus, bien qu’indispensable, n’assure pas à elle seule la compétence à

transmettre ces contenus, le professeur pouvant rester soit dans un rapport au savoir de type

élève, soit dans un rapport de type expert. Nous avons souligné l’importance d’une certaine

"vigilance scientifique" de la part du professeur alliant une maîtrise des contenus

mathématiques enseignés à une prise de recul par rapport à ces contenus et aussi à une

perception des enjeux d’apprentissage y compris en terme d’organisation des savoirs en jeu.

Cette dernière légitime les itinéraires cognitifs proposés aux élèves.

L’importance du niveau de la première classe

Le niveau scolaire des classes (cycle 2 ou cycle 3) dans lesquelles le professeur est

affecté en première nomination peut être un déterminant important pour la construction des

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 72-

pratiques. Les moments de synthèse et d’institutionnalisation semblent particulièrement

concernés. En effet, leur qualité et même parfois leur existence dépendent à la fois des savoirs

mathématiques en jeu dans les situations et des activités effectives des élèves. Au cycle 2 et

plus particulièrement au CP, les savoirs sont assez vite naturalisés, ce qui peut conduire les

enseignants à sous-estimer les enjeux des moments collectifs d’institutionnalisation, cette

dernière pouvant souvent être menée sur un mode individuel ou public, c'est-à-dire sous forme

d’une correction classique. Cet effet imputable à la nature des savoirs est renforcé par d’autres

facteurs liés aux difficultés des très jeunes élèves à entrer dans des activités collectives

(centration plus importante sur soi-même, difficultés d’écoute et de formulation).

En revanche, au cycle 3, et plus particulièrement au cours moyen, la naturalisation de

beaucoup de savoirs mathématiques enseignés peut nécessiter plusieurs années voire, pour

certains individus, n’être jamais réalisée. Celle-ci se faisant progressivement lors de

différentes institutionnalisations, le caractère collectif de ces moments est non seulement

justifié mais peut s’avérer indispensable.

Le poids du contexte institutionnel

L’équipe (locale) des enseignants et en particulier la direction de l’école joue sans

doute un rôle non négligeable dans l’impulsion de tel ou tel type de pratique et donc dans la

formation et la stabilisation des pratiques.

Dans le cas de deux des professeurs accompagnés (Christine et Valentin), leur

participation dès le début de l’année au travail de l’équipe de l’école, impulsé d’une manière

volontariste par la directrice, a été difficile. Ce travail était ciblé la première année sur la mise

en œuvre d’une « démarche d’investigation » en sciences et sur l’utilisation en mathématiques

d’un manuel imposé aux classes de cycle 2 (Cap maths). La seconde année, l’utilisation

systématique et pour toutes les classes d’ERMEL a été décidée par l’équipe sur proposition

argumentée de la directrice pour qui ce manuel constitue une « référence » en mathématiques.

Christine et Valentin, surtout la première année, ont dû fournir un travail important pour

réussir à s’intégrer. Ils reconnaissent maintenant que l’équipe les a aidés et se déclarent

finalement satisfaits de cet investissement et de la réflexion qui l’a accompagné. On peut

penser que seuls, ils auraient sans doute construit un autre type de pratique laissant en

particulier moins de place à la résolution de problèmes consistants par les élèves.

III – 4.3 Les cinq niveaux et les modalités de dépassement observées

Pour identifier et mesurer les évolutions dans les pratiques, nous avons été amenés à

définir, en « référence » à l’i-genre 3, cinq « niveaux de dépassement » de la contradiction

fondamentale qui, s’ils sont atteints, devraient garantir les apprentissages mathématiques des

élèves. Il s’agit d’une référence et non d’un modèle, toutes les séances de mathématiques ne

relevant pas forcément d’un même schéma. Ce choix se justifie par plusieurs éléments. D’une

part, un enseignant dont la pratique relève de l’i-genre 3 propose à la fréquentation de ses

élèves des mathématiques potentiellement plus riches et donc davantage vecteurs

d’apprentissage. D’autre part, ces pratiques existent ; elles sont donc viables, même dans des

ZEP très difficiles où des compromis avec les élèves et les institutions restent possibles. De

plus, en tant que formateurs, les enjeux liés à l’i-genre 3 nous semblent accessibles. Notons

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 73-

que la théorie des situations continue à nous servir, en tant que chercheurs, de grille de lecture

de l’existant.

Nous avons désigné ces cinq niveaux par des expressions caractéristiques de chacun :

installation d’une paix scolaire, proposition de problèmes consistants et aménagement de

temps de recherche, explicitation des procédures, hiérarchisation des procédures et synthèse,

institutionnalisation.

Premier niveau : installation d'une paix scolaire

Le premier niveau correspond à l’obtention d’une certaine « paix scolaire ». Nous

définissons la « paix scolaire » comme le couple paix sociale et adhésion au projet

d’enseignement du professeur. Le premier élément du couple peut notamment se caractériser

par l’établissement de règles de fonctionnement de la classe acceptées par les élèves et

indispensables à la relation didactique : calme dans la classe, absence de violence entre les

élèves, respect et écoute des personnes, prises de paroles contrôlées, climat de sécurité etc.

L’adhésion des élèves au projet d’enseignement du professeur se manifeste par un climat de

confiance, voire de complicité, entre les élèves et le professeur, par un enrôlement rapide et

sans trop de résistance des élèves dans les tâches.

L’installation de la paix scolaire participe au processus de dévolution mais relève aussi

de l’ensemble de l’acte d’enseignement. Le second élément du couple définit pour une part le

topos de chacun et il est difficilement explicitable dans la mesure où il résulte d’une

négociation « cachée » entre élèves et professeur.

Un minimum de paix scolaire doit être obtenu pour atteindre et dépasser les autres

niveaux. Les modalités d’installation de la paix scolaire ont donc une influence sur les autres

niveaux mais inversement les modalités de dépassement d’un niveau donné contribuent à la

paix scolaire. La question du lien entre apprentissages des élèves et confort de l’enseignant est

ainsi posée de manière plus fine. Il en est de même des relations entre pédagogique et

didactique.

Nous avions repéré, dans nos recherches précédentes, au moins deux modalités d’essai

de dépassement de ce premier niveau. Un professeur, débutant, de l’i-genre 3, sans avoir

complètement installé la paix sociale obtient l’adhésion des élèves à son projet

d’enseignement. Toutefois, son manque d’expérience et le défaut de reconnaissance

institutionnelle qui l’accompagne rendent souvent fragile les équilibres installés. La

négociation se poursuit avec les élèves tout au long de la première année d’enseignement.

A l’inverse, une seconde modalité liée à l’i-genre 1 se caractérise par une paix sociale

obtenue grâce au respect rigoureux d’une certaine « discipline » sans être pour autant

accompagné d’une adhésion des élèves au projet d’enseignement. Si apparemment le maître

semble maîtriser l’avancée du temps didactique, c’est parce qu’il anticipe sur la lassitude des

élèves en réduisant ses exigences ou en raccourcissant le temps d’activité.

Notre recherche permet de mettre en évidence des gestes professionnels constituant

une routine permettant d’installer des conditions pour l’obtention de la paix scolaire. Notons

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 74-

que certaines de ces routines ne sont pas sans risques pour l’avancée des apprentissages et

nourrissent les deux premières contradictions mises en évidence en ZEP.

Maintenir un rythme de travail soutenu : dans nos recherches précédentes, nous avons montré

que les moments de changement de tâche, souvent liés à des changements de statut de la

connaissance sont ceux au cours desquels les élèves résistent le plus. Une façon de contrer

cette résistance est de garder un rythme de travail soutenu de manière à ne pas laisser

« d’espace » aux élèves.

Maintenir constamment la « pression » sur les élèves en reprenant très vite la main quand cela

s’avère nécessaire, en réorientant pour une part le travail des élèves, tout en essayant de

conserver une certaine « ouverture » de la tâche prescrite. Notons que les décisions à prendre

dans ce cadre par l’enseignant sont assez délicates puisqu’elles tendent à faire perdre une

certaine part d’adidacticité aux situations.

Maintenir l’adhésion des élèves en ménageant une place à chacun, par exemple en les

sollicitant tous, mais cela peut se faire au détriment de l’avancée du temps didactique et de la

mise en texte des savoirs. En effet, le souci de valoriser tous les élèves, même les plus faibles

nourrit la seconde contradiction mise en évidence en ZEP entre réussite à court terme et

apprentissage. Le professeur est amené à considérer avec la même attention toutes les

productions des élèves, à les mettre au même niveau aux yeux des élèves sans les hiérarchiser.

Or cette hiérarchisation qui peut aller jusqu’à la non prise en compte de certaines propositions

est indispensable à l’avancée des apprentissages. De même, dans le souci de dédramatiser

l’erreur, le professeur peut être amené à consacrer beaucoup de temps au traitement de

certaines erreurs individuelles.

Garder le contact avec les élèves en restant très proche de leurs formulations, mais cela peut

se faire au détriment de la formalisation des savoirs : en effet, le professeur en se régulant sur

les élèves les plus faibles en reste à leurs formulations, voire se situe en deçà de certaines.

De plus, le professeur peut prendre appui sur certaines activités comme celles qui

relèvent du calcul mental : en effet, de par leur caractère rituel et les exigences de rapidité

dans leur enchaînement, ces dernières peuvent contribuer à enrôler les élèves et à les installer

dans une posture de travail. D’autres domaines des mathématiques comme la géométrie

peuvent aussi, de par la spécificité des tâches proposées, jouer ce rôle et contribuer à

l’adhésion de l’élève au projet d’enseignement du professeur.

Nos premières observations portent sur quatre professeurs : Aurélie, Christine,

Vanessa, et Valentin.

Parmi ces quatre professeurs, un seul (Valentin) ne réussit pas complètement à

installer la paix scolaire. Une certaine tension perdure dans sa classe due en particulier à des

exigences de discipline peut-être trop grandes qui le contraignent à de nombreux rappels à

l’ordre qui ne nous apparaissent pas toujours « justifiés » ou arrivant à bon escient. Notons

que ces exigences sont peut-être pour lui une façon de garantir sa légitimité. Aurélie installe la

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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paix scolaire grâce à des rappels à l’ordre, beaucoup de rigueur mais surtout un

environnement mathématique de grande qualité. Il en est de même pour Christine qui s’appuie

par ailleurs sur un climat de confiance et de communication dans la classe (communication

entre elle et les élèves mais aussi entre élèves).

Quant à Vanessa il faudrait plutôt parler de complicité, de qualité de communication

davantage liées à une valorisation importante des élèves, à une volonté de rester proches

d’eux (notamment du point de vue des formulations) qu’à la richesse de l’environnement

mathématique proposé. Ainsi, les personnages intervenant dans les problèmes posés par

Vanessa portent souvent le prénom d’enfants de la classe. Ils peuvent même mettre en scène

des évènements de leur vie personnelle ou familiale. Afin de rester proches des formulations

des élèves, le langage du professeur est parfois approximatif, voire en deçà des capacités de

formulations de certains élèves de la classe.

Les autres niveaux concernent en particulier la place laissée à des moments a-

didactiques, à des moments qui renvoient à des actions, à des formulations, à des validations

et à des institutionnalisations. Toutefois, ils ne peuvent s’identifier à ces divers moments.

Deuxième niveau : proposition de problèmes consistants et aménagement de temps de

recherche

Le deuxième niveau se caractérise par l’installation d’un climat de travail

mathématique et éventuellement de communication dans la classe. Le professeur propose aux

élèves fréquemment, voire systématiquement, des problèmes mathématiques consistants, les

engageant dans une recherche effective. Il peut adapter des situations issues de manuels mais

sans remettre en cause les enjeux en termes de savoir et d’apprentissage (contenu

mathématique visé et procédures attendues). Un autre indicateur lié au précédent concerne la

gestion du temps de recherche des élèves : d’une part ce dernier est relativement significatif,

d’autre part les aides éventuelles apportées ne s’accompagnent pas d’une réduction des

exigences.

Sur les quatre professeurs accompagnés, trois dépassent ce second niveau. Notons que

pour l’un d’entre eux (Valentin), nous constatons une évolution importante entre la première

et la seconde année due, en particulier, à l’influence des ressources utilisées.

La quatrième (Vanessa) a une pratique très diversifiée, relevant d’une certaine

improvisation. Elle ne dépasse pas toujours ce second niveau, seulement lorsque les élèves

sont en recherche autonome ce qui se produit assez souvent car la classe est constituée d’un

double niveau.

Troisième niveau : explicitation des procédures

Le troisième niveau concerne la place laissée aux élèves dans les moments de mise en

commun des réponses, de validation de celles-ci et d’explicitation des procédures (menant ou

non à la réussite) mises en œuvre pour les obtenir. Les élèves sont amenés à exposer leurs

procédures. Cette phase de formulation et d’explicitation se fait d’autant plus facilement que

le professeur a instauré un climat de communication dans la classe. Les élèves ont l’habitude

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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d’expliquer leur démarche, de questionner l’enseignant ou leurs pairs sur le travail à produire

ou produit, de s’exprimer par rapport aux erreurs rencontrées, etc.

Ce troisième niveau est atteint par deux des quatre professeurs : Aurélie et Christine.

L’existence de tels moments est liée à la nature des tâches proposées aux élèves. Selon

« l’ouverture » du problème, il y aura lieu d’envisager ou non un retour sur les procédures

plus ou moins variées ayant conduit au résultat et de revenir sur des réponses incorrectes

mais « attendues » pour faire avancer les apprentissages. Pour Vanessa, il n’y a pas toujours

explicitation des procédures, cela dépend de la forme de travail (recherche autonome ou cours

dialogué). Valentin évolue nettement dans ce sens entre la première et la seconde année. Au

cours des premières séances observées, il propose des « exercices » assez « fermés » et qui

donnent lieu à des moments de « correction » sans beaucoup de retour sur les réponses

effectives et sur les erreurs qui ont pu être produites par les élèves. Progressivement, comme

les situations qu’il propose sont plus « riches » mais aussi comme il fait davantage confiance

aux situations et aux élèves, ces phases de mise en commun évoluent. Cependant, il fait le

choix de revenir sur toutes les productions et ne s’autorise pas à « guider » les élèves dans

leur exploration, laissant le tri et le classement des réponses proposées à la charge des élèves,

ce qui rend très difficile la gestion de cette phase et le travail de synthèse qu’il doit effectuer.

Quatrième niveau : hiérarchisation des procédures et synthèse

Nous avons été amenés à distinguer un quatrième niveau, car le troisième peut être

dépassé sans que ce quatrième le soit. Il concerne la hiérarchisation par le professeur des

productions des élèves et l’existence de phases de synthèse contextualisées. Cette

hiérarchisation peut prendre en compte plusieurs facteurs : l’efficacité et la validité de la

procédure, son économie en terme de temps de résolution, la nature et le degré d’expertise des

savoirs mobilisés.

Les dépassements des niveaux quatre et cinq sont nettement plus problématiques.

Seule Aurélie atteint pleinement ce quatrième niveau. Christine ne hiérarchise pas les

productions des élèves : tout est « mis à plat ». Vanessa fait de rares synthèses, pas toujours

en lien avec l’explicitation des procédures. Valentin se contente d’énoncer la réponse en la

replaçant dans le contexte de la situation, c’est-à-dire d’effectuer une sorte de « vérification »

pour convaincre de la validité de la réponse. Nous pouvons donner des éléments d’explication

à ces difficultés, pour une part liés à la composante sociale.

Tout d’abord, comme nous l’avons vu, les enseignants de ZEP sont soumis à une

seconde contradiction entre réussite immédiate et apprentissage. La nécessité de prendre en

compte toutes les productions des élèves, de n’en laisser aucun de côté, de les valoriser tous

ne favorise pas la hiérarchisation des procédures puisque aucun élève ne doit se sentir rejeté.

De plus, le manque de « vigilance scientifique » souvent observé, lié à une mauvaise

perception des enjeux de savoir, ne favorise pas l’identification des variables didactiques en

jeu et l’analyse a priori des situations. Ce défaut de « vigilance scientifique » peut sans doute

expliquer la faiblesse des institutionnalisations dans la mesure où l’enseignant manque de

« ligne directrice » dans la conduite des situations.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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Enfin il ne faut pas nier la difficulté intrinsèque, même pour un expert, à établir une

synthèse « en actes » à partir des productions effectives des élèves qui débouche logiquement

sur une institutionnalisation claire. En effet, les productions ne sont jamais complètement

prévisibles, il n’y a pas forcément d’ordre linéaire permettant de les hiérarchiser. De plus, les

formulations utilisées pour institutionnaliser méritent souvent réflexion de la part du

professeur et cela d’autant plus que les élèves sont jeunes.

Cinquième niveau : institutionnalisation

Le cinquième niveau se caractérise par une institutionnalisation des savoirs ou

méthodes en jeu dans la situation, par une décontextualisation et dépersonnalisation mais

aussi par une réorganisation des savoirs visités, notamment en termes d’ancrage du nouveau

dans l’ancien.

Seule Aurélie atteint pleinement ce cinquième niveau. Christine fait quelques

institutionnalisations que l’on peut qualifier de « molles », Vanessa propose plutôt des

corrigés types. Notons cependant que tous ont le souci de rappeler des savoirs anciens pour

mieux ancrer les nouveaux.

Nous avons caractérisé la pratique d’Aurélie comme relevant de l’i-genre 3. La

pratique de Christine s’en rapproche beaucoup, mais elle n’atteint pleinement que les trois

premiers niveaux. Nous pouvons dire que Christine illustre une certaine dérive du

socioconstructivisme caractérisée par une explicitation des procédures mais sans

hiérarchisation, suivie ou non d’une synthèse puis d’une institutionnalisation faible, voire

inexistante, ne permettant pas de pointer clairement les savoirs mathématiques en jeu.

Les critères qui permettent d’identifier ces différents niveaux ainsi que leur

dépassement ne sont pas de même nature du point de vue du chercheur. Alors qu’il est

relativement aisé de repérer les trois premiers, les deux autres sont davantage marqués par la

nature des problèmes proposés, par l’histoire de la classe, notamment par l’avancée du temps

didactique, voire par des contraintes institutionnelles. L’analyse a posteriori ne peut suffire,

c’est en fait la comparaison entre les choix contextualisés de l’enseignant et le choix qu’aurait

fait le chercheur sur la base d’une analyse a priori et prenant en compte a posteriori le

contexte qui permet de trancher.

Nous utilisons le terme de niveau sans pour autant vouloir construire un modèle

totalement hiérarchisé. En effet, l’analyse des pratiques observées nous montre que certaines

caractéristiques d’un niveau peuvent être présentes sans que le niveau précédent soit

totalement dépassé. C’est notamment le cas du premier niveau qui peut n’être que

partiellement atteint. Ainsi Sébastien, professeur du i-genre 3 repéré dans notre précédente

recherche atteint le niveau 5 alors que la paix scolaire n’est que partiellement installée ou du

moins reste problématique.

IV – 4.3 Conclusion

À cette étape de notre recherche, nous pouvons dire que grâce au dispositif

d’accompagnement, les professeurs ont acquis certains « mots pour le dire » pour parler de

leurs pratiques et les analyser. Nos premiers résultats confirment certaines de nos hypothèses,

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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notamment la nécessité d’identifier la logique de chaque enseignant pour intervenir au plus

près de celle-ci en tentant d’évaluer la « prise de risque » que l’enseignant est prêt à consentir

sans trop le déstabiliser. Par ailleurs, ils montrent qu’un accompagnement durant les deux

premières années d’exercice permet d’élargir les marges de manœuvre des enseignants, de les

aider à prendre confiance, et donc d’enrichir leurs pratiques.

Nos recherches sur les pratiques enseignantes nous amènent à penser la formation

initiale et continue davantage en termes d’adaptation pour prendre en compte les différentes

contraintes, notamment sociales en ZEP, tout en préservant les apprentissages des élèves.

Devant des publics difficiles, les professeurs sont contraints de s’adapter pour dépasser la

contradiction fondamentale. Ces adaptations peuvent concerner plusieurs domaines : la paix

scolaire mais aussi, entre autres, les situations à proposer aux élèves, l’organisation de la

classe et la structure des déroulements, la place de la formulation, la place de l’écrit…

Nous avons vu que la paix scolaire, définie comme le couple (paix sociale, adhésion

au projet de l’enseignant) est une condition en partie nécessaire à l’apprentissage des élèves et

nous avons mis en évidence certaines routines visant à l’installer. L’obtention de la paix

scolaire est liée à la prise de risque mathématique que s’autorise l’enseignant dans sa classe à

différents moments de son enseignement. En effet, on peut penser que si ce premier niveau est

atteint, le professeur aura davantage confiance dans la consistance de la situation qu’il

propose, dans sa capacité à la gérer, mais aussi dans le travail des élèves, dans ce qu’ils sont

capables de produire pour faire avancer les apprentissages. Si on considère l’incertitude

générale que l’enseignant doit gérer quand il fait classe, on peut penser que la réduction de

celle-ci concernant les comportements des élèves va lui permettre, par une sorte de

compensation d’en accepter davantage du point de vue mathématique et donc de prendre plus

de risque dans ce domaine. Il pourra alors proposer à ses élèves des problèmes non triviaux

liés à une gestion de classe plus complexe, les laisser chercher sans réduire ses exigences,

s’appuyer sur leurs différentes productions pour tenter une synthèse.

Notre accompagnement a permis par ailleurs de dégager plusieurs idées pour adapter

des situations « riches » issues de ERMEL ou d’autres ressources à des élèves de ZEP en

jouant notamment sur le choix des variables didactiques permettant « d’alléger » la situation

sans en perdre le sens (choix des nombres, des supports, du matériel…) mais aussi sur le

nombre et l’ordre des situations constituant une progression sur un thème donné.

Concernant la place de la formulation, le professeur en ZEP est amené à étayer à l’oral

les formulations souvent pauvres des élèves, à les reprendre, à les compléter. Cela explique

d’ailleurs en partie la difficulté à conduire des phases collectives. La place de l’écrit, souvent

importante dans les ressources, doit être minorée pour tenir compte de la spécificité du

contexte ZEP : par exemple, le professeur peut se contenter d’une explicitation orale plutôt

qu’écrite des procédures, d’échanges oraux entre les élèves plutôt que s’appuyant sur un écrit.

Rappelons aussi l’importance, notamment avec des élèves en difficulté, de l’ancrage

des connaissances nouvelles dans les connaissances anciennes. Les quatre enseignants

observés se révèlent d’ailleurs très vigilants dans ce domaine.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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Nous avons vu que les effets de l’accompagnement concernent davantage le processus

de dévolution que celui de régulation et surtout celui d’institutionnalisation. En effet, les

enseignants débutants proposent à leurs élèves des problèmes plutôt consistants, aidés en cela

par les différentes situations de formation du dispositif d’accompagnement mais aussi par des

ressources « riches ». Ils laissent un temps de recherche significatif (individuel ou par

groupes) pendant lequel leurs interventions ne débouchent pas sur une réduction de leurs

exigences. Ils essaient le plus souvent d’ancrer le savoir nouveau dans l’ancien.

Par contre, ils ne sont pas forcément aptes à reconnaître et à hiérarchiser les variables

didactiques en jeu dans les problèmes. Ceci apparaît par exemple dans le fait qu’ils peuvent

les adapter de façon maladroite d’un point de vue mathématique. De plus, même s’ils

prennent en compte (parfois de façon caricaturale) les productions effectives des élèves, les

professeurs débutants sont particulièrement démunis dans les phases de synthèse et

d’institutionnalisation.

En mettant nos résultats en perspective avec la formation initiale, nous voyons que s’il

est possible de « gagner » sur le processus de dévolution, cela est beaucoup plus difficile pour

les processus de régulation et surtout d’institutionnalisation pour lesquels beaucoup de

résistances subsistent. Cela doit nous alerter en tant que formateurs car ne pas prendre en

compte en formation ces difficultés justifie par avance des attaques contre le constructivisme

et les méthodes d’enseignement qui s’en inspirent. Par ailleurs, pour initialiser une réflexion

en formation sur l’adaptation, il nous semble indispensable de ne pas dissocier les contraintes

liées à l’exercice du métier et celles liées aux apprentissages des élèves.

IV. De l’analyse des pratiques à la définition de grandes questions de la

profession, des dimensions organisatrices des pratiques

Cette cohérence entre les niveaux globaux (i-genres), locaux (routines) et micro (gestes) ne

pouvait être suffisamment décrite par les genres et gestes associés. Nous avons ressenti le

besoin d’expliciter davantage le pourquoi de ces pratiques en identifiant certaines raisons de

cette organisation. Cela nous a amenés à rechercher des organisateurs des pratiques (Masselot,

Robert, 2007).

Elles sont présentées dans les extraits du cours dispensé dans le cadre de la 16e école d’été de

didactique des mathématiques (Butlen, Robert, 2011) que nous relatons ci-dessous.

De l’identification de grandes questions à la mise en évidence de dimensions

organisatrices des pratiques

Ainsi, la résistance à l'accompagnement manifestée par la majorité des professeurs des écoles

ayant bénéficié de cette formation nous a permis de mieux comprendre l'origine supposée de

certains choix.

Nous avons ainsi identifié et isolé plusieurs grandes questions qui se posent à l'ensemble des

professeurs des écoles et dont les réponses nous semblent organiser leurs pratiques. Une autre

manière de le dire serait de considérer les modes de réponses à ces questions comme des

dimensions organisatrices des pratiques.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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Nous allons présenter trois de ces questions et les mettre en relation avec les tensions et i-

genres décrits précédemment.

Lors de nos observations, nous avions du mal à identifier ce qui pilotait les pratiques des

professeurs observés quand ils enseignaient les mathématiques. Si on peut analyser les

activités professeur du i-genre trois comme pilotées prioritairement par les mathématiques et

la manière de concevoir les apprentissages (Charles-Pézard, 2010), cela ne semblait pas être

systématiquement le cas pour les autres professeurs. D’autres contraintes semblaient

s’imposer au détriment de la qualité des mathématiques proposées à la fréquentation des

élèves.

La paix scolaire

Beaucoup d’élèves de ZEP ont un rapport à l’école plutôt négatif (et cela dès l’école primaire)

qui se traduit fréquemment par un comportement difficile, parfois violent, par une grande

résistance aux apprentissages scolaires et une faible autonomie.

Une des premières questions à régler pour un professeur enseignant à ce public est donc

d’installer les conditions suffisantes à son enseignement dans le cadre collectif défini par la

classe et l’établissement. Nous avons appelé paix scolaire l’installation de ces conditions.

La paix scolaire est un couple constitué d’une part de la paix sociale (respect des règles de

fonctionnement en classe et à l’école, indispensables à la relation didactique) et d’autre part

de l’adhésion de l’élève au projet d’enseignement du professeur, adhésion globale mais

réinitialisée au niveau local dans le quotidien de la classe.

L’installation de la paix scolaire participe du processus de dévolution mais relève aussi de

l’ensemble de l’acte d’enseignement.

Différents modes d’installation de cette paix scolaire seront présentés dans l’atelier animé par

Butlen, Masselot et Pézard qui accompagne cette partie du cours. Ces modes d’installation

concernent l’ensemble des disciplines scolaires et plus largement participe de la gestion de la

classe mais marquent et sont fortement marqués par la qualité des mathématiques proposées à

la fréquentation des élèves. Ainsi, un professeur très proche du i-genre trois l’installe

principalement grâce à un environnement mathématique de qualité (selon les critères du

chercheur) alors qu’une autre plus éloignée de ce type de pratiques l’installe grâce à une

certaine complicité avec les élèves, complicité qui l’amène souvent à négocier à la baisse le

niveau d’exigence mathématique.

Si l’installation d’une certaine paix scolaire est nécessaire pour enseigner, la manière de

l’installer conditionne ou peut conditionner les contenus de cet enseignement. Inversement, la

qualité des mathématiques proposées conditionne dans une certaine mesure, le mode

d’installation de la paix scolaire.

C’est cette dialectique entre installation de la paix scolaire et qualité des mathématiques

enseignées qui nous amène à penser que l’on peut considérer le mode de réponse à cette

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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question cruciale (surtout en ZEP mais plus généralement dans toutes les classes pour un

enseignant débutant) comme une des dimensions organisatrices des pratiques.

La vigilance didactique

C’est à la fois une question de formateurs et de chercheurs. Il nous fallait contribuer à mieux

comprendre comment et pourquoi, certaines pratiques se révélaient très éloignées de celles

privilégiées en formation. Nous avons pour une part répondu au comment en décrivant

finement les i-genres. Le pourquoi nous semble principalement lié à l’exercice de ce que nous

avons appelé une certaine vigilance didactique.

La vigilance didactique traduit une manière de prendre en compte la place du savoir

mathématique dans nos analyses de l’activité du professeur des écoles (Charles-Pézard,

2010). De manière générale, on peut considérer que le travail de l’enseignant comporte au

moins deux éléments principaux largement dépendants : préparer sa classe et gérer les

déroulements en classe. La notion de vigilance didactique est aussi une manière de rendre

compte et de cerner le rôle joué par la maîtrise des contenus mathématiques à enseigner dans

les grands choix effectués par celui-ci, mais aussi d’en préciser certaines limites.

La maîtrise des contenus est nécessaire mais ne suffit pas. D’autres connaissances en

particulier de type didactique sont nécessaires à l’enseignement des mathématiques. Cela a

amené Pézard à définir (Charles-Pézard, 2010) la vigilance didactique « comme une sorte

d’ajustement permanent de la part du professeur faisant appel aux composantes cognitive et

médiative des pratiques et s’exerçant dans les trois niveaux global, local et micro »

« Exercer une certaine vigilance didactique met en jeu des connaissances mathématiques et

didactiques nécessaires pour enseigner. Les connaissances mathématiques ne sont pas

seulement académiques, elles doivent être finalisées pour l’enseignement. Les connaissances

didactiques contribuent à une bonne perception des enjeux d’apprentissage des situations et

de leur organisation en vue de l’enseignement de savoirs mathématiques. Elles peuvent être

de plusieurs types. Il y a d’abord des résultats ou faits didactiques, mis en évidence par la

recherche et qui ne sont plus contestés, des sortes de ‘petits théorèmes de didactique’, par

exemple les incidences de conceptions erronées des nombres décimaux sur la mise en ordre

de tels nombres. Il y a ensuite des outils permettant de lire le réel, issus de la didactique des

mathématiques mais transformés en vue de l’action d’enseigner. Ces outils consistent par

exemple, en amont de la classe, en la mise en œuvre d’un minimum d’analyse a priori pour

identifier le savoir mathématique en jeu dans la situation, les variables didactiques et leur

incidence sur les procédures et les résultats des élèves. Pendant la classe, ces outils

permettent le repérage des procédures, le fait de savoir identifier parmi la diversité des

productions des élèves celles sur lesquelles on va pouvoir s’appuyer pour les conduire à une

procédure de réussite. Ils permettent aussi une meilleure exploitation des procédures, leur

hiérarchisation, la mise en œuvre d’une institutionnalisation s’appuyant sur le travail des

élèves. Ces connaissances, finalisées par l’action d’enseigner sont liées aux grandes étapes

du cheminement cognitif des élèves. Elles fonctionnent en actes pendant la séance, leur

absence pouvant se révéler source de différenciation. Elles peuvent être de statut différent

selon qu’elles sont liées à l’action, à la formulation, à la validation ou à la preuve.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 82-

Ces différentes connaissances mathématiques et didactiques s’opérationnalisent dans l’action

du professeur pour réaliser des tâches. La vigilance didactique est liée aux différentes tâches

d’enseignement de contenus mathématiques situées en amont de l’action en classe, pendant

l’action en classe ou après la classe ainsi qu’aux différentes manières de les réaliser.»

Ces différentes manières relèvent de la composante médiative et des niveaux local et micro

des pratiques. Elles concernent en particulier les routines. Ce sont des routines de type 3 selon

la classification que nous avions établie avec Masselot (Butlen, Masselot, 2001) car elles sont

en relation avec les contenus mathématiques enseignés.

Nous avons montré, grâce à une méthodologie adaptée, que la vigilance didactique joue à

plusieurs niveaux, dans la détermination des situations à proposer aux élèves, dans la

dévolution de celles-ci et notamment dans la définition du topos de chacun des partenaires de

la relation didactique mais aussi dans la capitalisation des connaissances mobilisées par les

élèves et l'institutionnalisation des savoirs.

L’exercice de la vigilance didactique structure donc les pratiques et détermine les

mathématiques proposées à la fréquentation des élèves. Elle entretient évidemment des liens

avec la première dimension évoquée (la paix scolaire) dans la mesure notamment où elle joue

un rôle important dans l’adhésion des élèves au projet d’enseignement. Une vigilance

didactique insuffisante peut laisser penser à l'enseignant (mais aussi à l'institution) que

l’important est de négocier la paix sociale y compris au détriment des mathématiques

enseignées. La compréhension des enjeux didactiques est ici très déterminante.

La gestion du couple dévolution/institutionnalisation.

Nous terminerons cette première partie d'exposé en abordant une troisième question de la

profession : la posture prise relativement à la gestion du couple

dévolution/institutionnalisation.

Nous avons précisé ci-dessus qu’une différence importante existant entre les pratiques de l'i-

genre majoritaire et celle de l’i-genre minoritaire résidait dans l’existence de moments

d’institutionnalisation. Les professeurs des i-genres majoritaires réduisent voire font

disparaître ces phases. Cette quasi-disparition s’accompagne et peut s'expliquer par une

individualisation non contrôlée de l'enseignement. Toutefois l’individualisation excessive,

souvent due à une trop grande prise en compte de certaines injonctions institutionnelles,

n’explique pas à elle seule le phénomène. Une explication en termes de vigilance didactique

ne suffit pas non plus.

Un résultat important de notre recherche portant sur les effets d’un accompagnement réside

dans la mise en évidence d’une résistance des pratiques des professeurs des écoles à

l’institutionnalisation. Si les pratiques des débutants se sont notoirement enrichies du point de

vue du choix des situations, de la dévolution des problèmes (gestion des phases de recherche,

nature des aides apportées) et de la manière dont ces derniers font expliciter, formuler les

procédures et les connaissances mobilisées par les élèves, seule une professeure sur les dix

met en œuvre systématiquement (quand c’est nécessaire et de manière efficace au moins à

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 83-

court terme) des phases d’institutionnalisation. Pour les autres, hormis parfois des tentatives

de mises en relations entre les procédures mises en œuvre ou parfois encore des moments de

rappels (mais qui restent souvent au niveau du contexte ou de l’habillage des situations), rien

n’est explicitement mis en valeur au niveau des connaissances mathématiques mobilisées

dans le cadre de la résolution du problème qui seraient à « retenir », à réinvestir...

Si une bonne maîtrise des contenus, une habitude à lire les procédures et les connaissances

mobilisées par les élèves, à les hiérarchiser et à prévoir des traitements adéquats en fonction

des savoirs visés lors de l’institutionnalisation, une maîtrise des enjeux d’apprentissage sont

nécessaires à la préparation (en amont et pendant la classe) et à la gestion du processus

d’institutionnalisation. Cette gestion nécessite aussi de la part du professeur un changement

d’activité qui s’accompagne d’un changement de ‘posture’ (au sens courant du terme) qui n’a

pas été suffisamment traité en termes de recherche comme (et par la même aussi) en termes de

formation.

Lors du processus de dévolution, ‘faisant confiance à la situation’ le professeur doit (au moins

apparemment et selon le milieu installé) se mettre en retrait dans la relation didactique, il doit

‘s’effacer’ suffisamment pour permettre aux élèves de construire ou de mobiliser les

connaissances nécessaires. En revanche, la mise en œuvre du processus d’institutionnalisation

nécessite qu’il reprenne la main, qu’il ’dévoile’ l’objet de son enseignement au niveau des

élèves et en tenant compte de ce qui s’est passé, qu’il assure explicitement la fonction de

détenteur du savoir. Ces postures sont différentes, le passage de l’une à l’autre n’est pas aisé

et cette difficulté est rarement pointée au cours de la formation. Ce passage a été très peu

travaillé y compris dans le cadre de la théorie des situations. Son origine s’explique par

l’histoire même de la théorie qui au début ne pouvait prendre en compte, compte tenu des

pratiques en vigueur à l’époque dans le premier degré, le fait que les enseignants pouvaient

abandonner cette partie de leur travail.

Le succès même du constructivisme et la diffusion, au moins dans le milieu des formateurs du

premier degré, de certains aspects de la théorie des situations, et ce en dépit des précautions

prises, voire des mises en garde des chercheurs, ont contribué en formation à mettre

davantage l’accent sur le choix des situations et la dévolution plutôt que sur

l’institutionnalisation. Le plus souvent les formateurs ont traité de façon indépendante au

moins de manière différente les deux processus.

Conclusion

L'évolution de nos recherches nous a amené à identifier trois grandes questions posées à

l’ensemble de la profession, à identifier des modes de réponses qui se sont structurées autour

de deux dimensions : l’installation d’une paix scolaire et l’exercice d’une vigilance

didactique. La manière dont sont les enseignants répondent à ces questions permet de de

mieux comprendre l’existence des trois i-genres préalablement mis en évidence.

Ces éléments contribuent à répondre au comment et au pourquoi des pratiques observées en

ZEP. Cette réponse est évidemment partielle et porte sur un public restreint et particulier. Le

modèle d’analyse et d’organisation des pratiques ainsi construit demande à être testé dans le

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 84-

cadre d’un public en difficulté différent. C’est l’objet de nos recherches actuelles. Nous

décrivons dans la troisième étape quelques résultats issus de l’une de celles-ci.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 85-

TROISIÈME ÉTAPE

TROISIÈME PARTIE : L’ADAPTATION DE SITUATIONS « ROBUSTES » EN VUE

D’UN ENSEIGNEMENT À DES ÉLÈVES DE L’ÉDUCATION SPÉCIALISÉE

RELEVANT DE L’OPTION D

Dans cette dernière partie, nous abordons la question de l’enseignement à des élèves

présentant d’importants troubles cognitifs ou du comportement. La question traitée est celle

de l’adaptation de situations dites « robustes » ou encore à « fort potentiel adidactique »

construit pour un enseignement à des élèves standards en vue d’un enseignement à ce type

particulier d’élèves. Nous inscrivons cette recherche dans le cadre de celles menées sur les

pratiques enseignantes et les élèves en difficulté dans la mesure où le recours à des situations

construites pour un public d’élèves standard reste une pratique courante chez les professeurs

de l’enseignement spécialisé. Or, peu de travaux en didactique des mathématiques renseignent

la question de l’adaptation de ces situations aux contraintes de l’enseignement spécialisé.

Cette partie du cours nécessite une certaine connaissance de concepts de la didactique des

mathématiques et notamment de la théorie des situations didactiques. Le but n’est pas ici de

faire un cours sur ces éléments de théorie mais de les voir fonctionner dans le cadre d’une

recherche spécifique.

Pour aider le lecteur, nous proposons des extraits d’un glossaire présentant succinctement les

principaux termes utilisés dans l’article ci-dessous. Il s’agit du texte d’une contribution

effectuée lors du colloque de l’ACFAS de 2011 qui s’est déroulé à Sherbrooke au Canada

(Québec).

GLOSSAIRE

(Extrait de l’ouvrage « Le calcul mental, entre sens et techniques, Butlen, 2007)

Ce glossaire a pour but de préciser certains termes de didactique es mathématiques

utilisés dans cet ouvrage. Il ne s’agit pas de définitions exhaustives qui demanderaient un

développement beaucoup plus important mais d’indications permettant au lecteur de se

repérer dans un ensemble de notions souvent utilisés en recherche comme en formation.

Didactique des mathématiques

La didactique des mathématiques est un champ de recherche au confluent de plusieurs

autres champs disciplinaires (mathématiques, psychologie cognitive, psychologie sociale,

sociologie, épistémologie, etc.). Elle se propose d’étudier les rapports existant entre

enseignement et apprentissage dans le contexte spécifique des mathématiques. Ainsi, elle

étudie13

les processus de transmission et d’acquisition des connaissances relatives au domaine

spécifique de cette discipline ou des sciences voisines avec lesquelles elle interagit. Elle décrit

et analyse les difficultés rencontrées et propose des moyens pour aider les professeurs, les

élèves et les étudiants à les surmonter, et notamment pour faire du savoir enseigné, un savoir

vivant, fonctionnel et opératoire.

13

Rapport GRECO DIDAMA T CNRS 1983)

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 86-

Situation

Le terme de situation décrit les conditions dans lesquelles un individu ou un groupe

évolue, les relations que ces personnes entretiennent entre elles mais aussi avec leur

environnement, leur milieu, les éléments caractéristiques de leur action et de son évolution à

un moment donné.

Situation d’action

G. Brousseau14

a mis en évidence trois dialectiques intervenant dans les rapports entre

enseignement et apprentissage : les dialectiques d’action, de formulation et de validation.

La dialectique de l’action consiste à placer l’élève devant une situation (d’action) lui

posant un problème dont la meilleure solution, dans les conditions proposées, est la

connaissance à enseigner. Il doit pouvoir agir sur la situation et se créer un modèle implicite

guidant cette action. La situation en lui renvoyant de l’information doit lui permettre de juger

le résultat de son action et d'ajuster cette dernière.

Information

Action

Sanctions

Institutionnalisation

Le processus d’institutionnalisation a pour but de donner aux connaissances

éventuellement mobilisées par les élèves un statut de savoir culturel et social.

G. Brousseau15

précise que l'institutionnalisation porte aussi bien sur une situation

d'action, que sur une situation de formulation ou de preuve. Les maîtres doivent prendre acte

de ce que les élèves ont fait, décrire ce qui s'est passé et qui a un rapport avec la connaissance

visée, donner un statut aux événements de la classe comme résultat des élèves et comme

résultat de l'enseignant, assumer un objet d'enseignement, l'identifier, rapprocher ces

productions des connaissances des autres (culturelles ou du programme), indiquer qu'elles

peuvent resservir.

R. Douady et M.J. Perrin16

situe le processus d’institutionnalisation par rapport aux

aspects outil et objet d’un concept. Dans l'information traitée, l'enseignant choisit et expose,

avec les conventions en usage, ce qui est nouveau à retenir. Il fait le "cours". Ainsi,

l'enseignant a la charge de donner un statut aux concepts qui, jusque-là, sont intervenus

comme outils. Il constitue alors un savoir de classe auquel chacun pourra se référer.

Dévolution

Le processus de dévolution décrit l’ensemble de l’activité du professeur qui consiste à

amener l’élève à s’approprier le problème à résoudre, à mobiliser les connaissances

nécessaires et à assumer la responsabilité de la résolution. La dévolution17

est un élément

important du contrat didactique. Il ne suffit pas de "communiquer" un problème à un élève

14

Brousseau 1981, Problèmes de didactique des décimaux, Recherche en Didactique des mathématiques, vol 2.1. 15

Brousseau 1987 Angers 16

Douady, Perrin 1989 Educationnal Studies of mathematics Vol n°20 17

Brousseau 1987 Angers

Situation Sujet

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 87-

pour que ce problème devienne son problème et qu'il se sente seul responsable de le résoudre.

Il ne suffit pas, non plus, que l'élève accepte cette responsabilité pour que le problème qu'il

résout soit un problème "universel" dégagé de présupposés subjectifs. La dévolution ne porte

pas sur l'objet de l’enseignement mais sur les situations qui le caractérisent. C’est un

processus qui porte sur toutes les situations.

Le contrat didactique

Brousseau18

définit le contrat didactique comme le résultat de la négociation des

rapports établis explicitement et/ou implicitement entre un élève ou un groupe d'élèves, un

certain milieu et un système éducatif, aux fins de faire approprier aux élèves un savoir

constitué ou en voie de constitution.

Il précise cette définition en signalant un paradoxe : le contrat didactique est en fait

souvent intenable. Il met le professeur devant une véritable injonction paradoxale : tout ce

qu'il fait pour faire produire, par les élèves, les comportements qu'il attend, tend à priver ces

derniers des conditions nécessaires à la compréhension et à l'apprentissage de la notion visée :

si le maître dit ce qu'il veut, il ne peut plus l'obtenir.

Mais l'élève est lui aussi devant une injonction paradoxale : s'il accepte que, selon le

contrat, le maître lui enseigne les résultats, il ne les établit pas lui-même, et donc il n'apprend

pas les mathématiques, il ne se les approprie pas. Apprendre, implique pour lui de refuser le

contrat mais aussi d'accepter la prise en charge.

Donc l'apprentissage va reposer, non pas sur le bon fonctionnement du contrat, mais

sur ses ruptures.

Ingénierie didactique

Une ingénierie didactique se caractérise par un ensemble organisé de situations

d’enseignement qui vise non seulement l’apprentissage d’une notion mais l’étude des

conditions de cet apprentissage. Le chercheur l’a construit pour analyser comment les élèves,

en situation scolaire, apprennent la ou les notions visées par la recherche.

Variables de commande, variables didactiques

Une variable de commande est un élément de la situation qui peut être modifié par le

maître, cette variable est didactique quand un changement de valeur affecte la hiérarchie des

stratégies de solutions (par le coût, la validité, la complexité).

Les exemples sont divers :

- le matériel utilisé (ex: papier quadrillé, papier blanc en géométrie)

- le type de tâche (ex: tâche de constat ou de fabrication dans la comparaison de

collection d’objets au C.P.)

- la répartition des tâches (entre enfants, dans le temps, etc.)

- les contraintes de la tâche (ce qui est autorisé)

- la forme du travail (individuel, par groupes)

- la gestion du temps (le temps laissé aux élèves pour résoudre un problème permet

d'éliminer des procédures trop coûteuses en temps)

- la taille des nombres

Saut informationnel

18

Brousseau 1986 Recherche en Didactique des mathématiques vol 7.2.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 88-

Le saut informationnel désigne une augmentation importante de la valeur d’une

variable de commande nécessitant un traitement de l’information différent et entraînant un

éventuel changement de procédures et de performance.

Dialectique outil-objet

Concept outil/concept objet : R. Douady définit un concept mathématique comme ayant une

double nature d’outil et d’objet. Un concept est outil19

lorsque l'intérêt est focalisé sur l'usage

qui en est fait pour résoudre un problème ou poser des questions. Un concept est objet

lorsqu'il est considéré d'un point de vue culturel, qu'il a une place dans l'édifice structuré des

connaissances d'un moment reconnues socialement.

Dialectique outil/objet : R. Douady20

a construit des ingénieries didactiques basées sur une

dialectique faisant intervenir la double nature des concepts mathématiques visés par

l’enseignement. Il s’agit d’un processus cyclique organisant les rôles respectifs de l'enseignant

et des élèves, au cours duquel les concepts mathématiques jouent alternativement le rôle

d'outil pour résoudre un problème et d'objet prenant place dans la construction d'un savoir

organisé.

Un travail où interviennent de façon alternée et interactive les aspects outil et objet des

concepts doit permettre leur adaptation et leur réinvestissement dans des situations différentes

de celles qui les ont produits.

La théorie de la dialectique outil–objet est associée aux notions de cadres,

changements et jeux de cadres.

Cadre : un cadre est constitué des objets d'une branche des mathématiques, des relations entre

les objets, de leurs formulations éventuellement diverses et des images mentales que le sujet

associe à un moment donné à ces objets et à ces relations.

Changement de cadres : un changement de cadres est un moyen d'obtenir des formulations

différentes d'un problème qui, sans être nécessairement tout à fait équivalentes, permettent un

nouvel accès aux difficultés rencontrées et la mise en œuvre d'outils et de techniques qui ne

s'imposaient pas dans la première formulation.

Jeux de cadres21

: les jeux de cadres sont des changements de cadres provoqués à l'initiative

de l'enseignant, à l'occasion de problèmes convenablement choisis, pour faire avancer les

phases de recherche et évoluer les conceptions des élèves.

La dialectique outil-objet est créatrice de sens. Les jeux de cadres sont source de

déséquilibre ; la ré équilibration participe à l'apprentissage. Les jeux de cadres jouent un rôle

moteur dans l'une des phases de la dialectique.

Décontextualisation / Contextualisation

Il s’agit du processus visant à aller du particulier au général. En didactique des

mathématiques, ce terme est notamment utilisé pour désigner le processus qui vise à

généraliser le domaine de fonctionnement ou d’application d’une notion, à l’extraire du ou

des contextes particuliers dans lequel ou dans lesquels, elle a été rencontré pour lui donner un

statut plus général. La notion ne dépend plus du problème spécifique qu’elle permet de

résoudre mais prend place dans l’organisation des savoirs mathématiques. Inversement le

19

Douady, Perrin 1989 Educationnal Studies of mathematics Vol n°20 20

Douady, 1986, Recherche en Didactiques des Mathématiques Vol 7-2 21

Douady, 1986, Recherche en Didactiques des Mathématiques Vol 7-2

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 89-

processus de contextualisation revient à énoncer ou préciser un ou plusieurs problèmes

(contexte) que la notion permet de résoudre.

Le travail du professeur de mathématiques consiste dans un premier temps à

contextualiser le savoir visé par l’enseignement, par exemple en choisissant un problème qu’il

permet de résoudre puis dans un deuxième temps à généraliser le domaine de fonctionnement

de ce savoir en élargissant le domaine des problèmes qu’il permet de résoudre et en

décontextualisant progressivement le savoir en question.

Concept

G. Vergnaud22

définit ainsi le concept comme un triplet : un ensemble de situations,

qui donnent sens au concept ; un ensemble d'invariants opératoires, sur lesquels s'appuie

l'organisation de l'activité ; un ensemble de formes symboliques et langagières, qui permettent

de représenter les concepts et leurs relations avec l'action.

Champ conceptuel

G. Vergnaud23

définit un champ conceptuel comme un espace de problèmes ou de

situations-problèmes dont le traitement implique des concepts et des procédures de plusieurs

types en étroite connexion.

Schème

G. Vergnaud24

définit le schème comme une totalité dynamique fonctionnelle qui

organise le déroulement dans le temps et dans l'espace des gestes instrumentaux (...). Plus

précisément, c'est une organisation invariante de l'activité pour une classe de situations

définie. L'invariance caractérise l'organisation et non l'activité ; le schème n'est pas un

stéréotype ; il permet au contraire de traiter la contingence et la nouveauté, ce qui ne serait pas

le cas s'il s'agissait d'un stéréotype. S'adressant à une classe de situations, c'est un universel.

Pour étudier l'activité des individus (…), il est donc nécessaire d'identifier les différentes

catégories de situations auxquelles ils sont confrontés - même si les limites de ces catégories

ne sont pas hermétiques, ni rigoureusement définies.

Un schème comprend nécessairement quatre composantes : un but (ou plusieurs), des

sous-buts et des anticipations ; des règles d'action, de prise d'information et de contrôle, qui

s'avèrent décisives pour sélectionner l'information pertinente et générer les actions au fur et à

mesure ; des invariants opératoires, c'est-à-dire des théorèmes-en-actes (propositions tenues

pour vraies sur le réel) et des concepts-en-actes (concepts pertinents pour la construction de

ces théorèmes-en-acte) ; des possibilités d'inférence.

Que peut apporter l’expérimentation de situations à « fort potentiel adidactique » en vue

d’un enseignement en direction d’élèves présentant des troubles cognitifs ou du

comportement sur la viabilité de ces situations ?

(D. Butlen, P. Masselot)

22

Vergnaud 2002, La conceptualisation, clef de voute des rapports entre pratique et théorie, In Analyse des

pratiques et professionnalité des enseignants, Formation continue-Publications-Eduscol 23

Vergnaud 1981 24

Vergnaud 2002, La conceptualisation, clef de voute des rapports entre pratique et théorie, In Analyse des

pratiques et professionnalité des enseignants, Formation continue-Publications-Eduscol

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 90-

Cette contribution porte sur l'étude des conditions de mise en œuvre d'une situation à fort

potentiel adidactique dans le cadre d'un enseignement à des élèves (adolescents) présentant

d’importants troubles cognitifs et du comportement (en situation de handicap).

Nous inscrivons cette recherche dans le cadre de la double approche développée par Robert et

Rogalski (2002) reprenant notamment une démarche méthodologique prenant en compte

simultanément des éléments globaux (le projet de l’enseignant), locaux (les choix et

compromis quotidiens) et « micro » (les automatismes, routines et gestes professionnels).

Ainsi, pour analyser le déroulement de la séance, la gestion mise en œuvre par les

enseignants, nous croisons des éléments de la théorie des situations (Brousseau, 1987) avec

des résultats issus de nos précédentes recherches comme les notions de gestes et routines

professionnels (Butlen, 2004).

1. Gestes professionnels et routines

Nos recherches (Charles-Pézard, Butlen et Masselot 2012) portant sur les professeurs des

écoles enseignant en milieu difficile ou sur la formation des pratiques de professeurs des

écoles novices nous ont amenés à montrer que les gestes et routines correspondent à des

régularités inter personnelles partagées par un groupe de professionnels. Des niveaux

d’organisation de l’activité du professeur (finalisés par des buts et correspondant à des

tâches), permettant d’aborder la question du rapport existant entre routine et schème

(Vergnaud, 1990), sont ainsi mis en évidence. Les gestes professionnels (comme par exemple

écrire au tableau ou bien prendre de l’information à un moment donné sur un élève donné)

sont des techniques permettant au professeur de résoudre des types de tâches. Les routines

sont des ensembles de gestes finalisés par la résolution d’une tâche plus importante comme

par exemple la mise en œuvre d’une synthèse et/ou d’une institutionnalisation. Si plusieurs

gestes professionnels peuvent être mobilisés par des professeurs d’i-genres différents (voir ci-

dessous), les routines, elles, sont associées à un i-genre.

Un emprunt au cadre théorique de l’ergonomie cognitive (Clot, 1998, 1999) nous permet de

mettre en relation gestes et routines avec des genres de pratiques25

que nous avons par ailleurs

identifiés lors de l’observation sur un temps long d’une dizaine de professeurs des écoles

enseignant en ZEP26

. Ceci permet de montrer comment la cohérence des pratiques de

l’enseignant se révèle dans l’organisation de son activité au quotidien.

Les notions de geste et routine aident à préciser sur quelle part de l’activité de l’élève porte

l’activité du professeur. Des effets possibles sur les apprentissages des élèves peuvent ainsi

être mieux cernés.

2. Problématique particulière

Nous reprenons le terme de situation « robuste » pour désigner des situations à fort potentiel

adidactique, testées le plus souvent avec des élèves de classe « standard » et reproductibles

par un professeur relativement expérimenté. Afin de tester les conditions d’adaptation d’une

situation de ce type lorsque le public élèves change (ici un public relevant de l’éducation

spécialisée), nous étudions les gestes et routines particuliers associés notamment au processus

de dévolution27

mis en œuvre par des enseignants dans ce contexte nouveau. En effet dans ce

25

cf. chapitre 2.2 de ce collectif 26

Zone d’Education Prioritaire 27

« Le processus de dévolution décrit l’ensemble de l’activité du professeur qui consiste à amener l’élève à

s’approprier le problème à résoudre, à mobiliser les connaissances nécessaires et à assumer la responsabilité de

la résolution. La dévolution est un élément important du contrat didactique. Il ne suffit pas de "communiquer" un

problème à un élève pour que ce problème devienne son problème et qu'il se sente seul responsable de le

résoudre. Il ne suffit pas, non plus, que l'élève accepte cette responsabilité pour que le problème qu'il résout soit

un problème "universel" dégagé de présupposés subjectifs. La dévolution ne porte pas sur l'objet de

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 91-

dernier contexte, ce qui pourrait être considéré comme des bruits dans le cas d’un

enseignement à un public standard peut constituer des éléments décisifs pour la réalisation de

l’enjeu de la situation.

Ces analyses permettent d’autre part de mieux identifier la manière dont ces élèves restituent

et mobilisent des connaissances acquises précédemment et dans une situation différente. Nous

nous intéressons notamment aux connaissances qui, pour un public standard, sont considérées

comme disponibles (c’est-à-dire mobilisables sans « appel » explicite) plutôt que mobilisables

(avec appel explicite) (Robert, 1998).

C’est aussi l’occasion pour nous de préciser ce qu’un enseignant d’éducation spécialisée

considère comme légitime de demander à un élève et ainsi de mesurer les prises de risque (par

rapport aux mathématiques) qu’il accepte pour lui et aussi pour ses élèves.

3. Le contexte de la séance étudiée

3.1. Le contexte général de l'observation

Cette observation se déroule dans le cadre d'une action de formation continue destinée à des

professeurs des écoles enseignant en ASH, option D28

. Il s'agissait de travailler avec un

groupe de 6 à 8 professeurs se proposant de se présenter au CAPA-SH29

en candidat libre (en

attente d'une éventuelle inscription à la préparation mise en place par le rectorat de l’académie

de Créteil30

) et désireux de travailler plus particulièrement sur les mathématiques. Ces

professeurs des écoles volontaires s'engageaient à travailler dans leur classe en co-

intervention avec les animateurs du groupe sur les séances de mathématiques ou sur des sujets

qu’ils auraient eux-mêmes choisis. Le dispositif comporte deux types de situations. Des

apports des formateurs sur des progressions à mettre en œuvre suivis de débats et des

moments de compagnonnage individualisés basés sur la mise en œuvre et l’analyse de

situations avec les élèves de la classe du professeur concerné. La situation que nous analysons

dans cette contribution se place dans ce second type de situation de formation.

Une professeure du groupe exerçant en hôpital de jour (élèves présentant des troubles graves

du comportement nécessitant une hospitalisation dans un service psychiatrique) a demandé à

assister au déroulement d'une séance de résolution de problèmes basée sur un jeu. Son but

était d'observer ses élèves en train de résoudre un problème s’appuyant sur un jeu de stratégie.

En effet, cette enseignante hésitait à mettre en œuvre ce type d’activité et a donc demandé aux

formateurs encadrant le groupe d’animer la séance. Le jeu « qui dira 20 ? » a été choisi. En

sus d’un objectif de formation, notre objectif était de tester la résistance de ce type de

situation et les conditions de sa reproduction dans cet environnement scolaire particulier. Ici

deux éléments diffèrent par rapport aux conditions initiales d’expérimentation (Brousseau,

1987) : le nombre d’élèves (4 au lieu d'une vingtaine) et le public élève. Dans quelle mesure

ces élèves confrontés aux mêmes tâches et aux prescriptions mobilisent-ils des stratégies et

des connaissances identiques à celles mobilisées par un public standard ? Notamment, à

quelles conditions et jusqu’où ces élèves adoptent-ils une posture de joueurs ? Nous n'avons

pas pu tester l'ensemble de la situation mais seulement le début de celle-ci (familiarisation

avec le jeu, premiers éléments de stratégie).

l’enseignement mais sur les situations qui le caractérisent. C’est un processus qui porte sur toutes les

situations. » Brousseau 1987, Briand 1991. 28

L’option D regroupe dans le système français de l’éducation spécialisée les élèves présentant des troubles du

comportement et des troubles cognitifs. 29

Le CAPA-SH est l’examen qui, en France, est nécessaire pour enseigner dans l’éducation spécialisée, il faut

pour le présenter être auparavant professeur des écoles titulaire. 30

Préparation assurée par des formateurs de l’IUFM.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 92-

3.2. Le contexte particulier

3.2.a. La situation et la séance

La séance s'est déroulée en deux temps. Dans un premier temps, les élèves pendant environ

une demi-heure ont fait du calcul mental : compter/décompter, calcul de sommes, produits et

différences, jeu du loto numérique. Le but de ces activités de calcul mental est double, d’une

part revisiter certaines notions portant sur la numération des nombres entiers et sur différentes

écritures de ceux-ci, d’autre part enrôler les élèves dans une suite d’activités à caractère

mathématique dont la dernière a pour support un jeu de stratégie (cf. ci-dessous).

Un second temps a été consacré au jeu « qui dira 20 ? Nous ne présentons pas ici le détail du

jeu et la situation « qui dira 20 ? » élaborée par Brousseau. Il s'agit d'un jeu de Nym (jeu de

Marienbad) mettant en compétition deux joueurs A et B. Rappelons brièvement la règle du

jeu : « A dit 1 ou 2, B ajoute 1 ou 2 au nombre dit par A, il peut donc dire (2 ou 3 si A a dit 1

et 3 ou 4 si A a dit 2), puis A ajoute à son tour 1 ou 2 au nombre dit par B, etc. Le joueur qui

dit 20 a gagné. »

La stratégie gagnante relève de la division euclidienne. Pour la cible « 20 », elle consiste à

dire, à partir d’un moment donné, une suite de nombres du type 3k + 2 avec 0 < k < 6. En

particulier, pour être certain de gagner, le joueur doit avoir dit 17.

Toutefois la division euclidienne reste « cachée » dans la mesure où, pour une cible

relativement faible, une stratégie de type « soustractions successives » (ou décomptage de 3

en 3) s'avère pertinente.

Cette situation est ce que l'on peut appeler une situation « robuste » à fort potentiel

adidactique, au sens où son déroulement est fortement prévisible et aisément reproductible.

C'est notamment le cas de la situation adidactique à partir de laquelle la situation didactique

s'organise.

Rappelons seulement une de ses caractéristiques : le joueur perdant est susceptible

d'apprendre autant et voire plus que le joueur « gagnant » en termes de stratégie.

3.2.b. Les élèves

Quatre élèves psychotiques participent à l'ensemble de la séance :

• Alex, considéré par la professeure comme le meilleur élément du groupe du point de

vue des apprentissages.

• Yol, un élève un peu plus âgé que les autres mais qui présente de grandes difficultés

pour s'exprimer et communiquer avec ses pairs.

• Yvan et Mano, deux élèves qui se situent, d’un point de vue scolaire, à des niveaux

intermédiaires entre les deux élèves précédents.

Lors de la première partie de la séance, consacrée au calcul mental, tous les élèves peu à peu

entrent dans l'activité, notamment Yol qui participe et réussit bien mieux que prévu lors du jeu

de loto numérique. Ce constat confirme nos fréquentes observations sur les possibilités

d'enrôlement plus grandes de ces élèves dans des activités de calcul mental. Nous renvoyons

le lecteur à d'autres articles sur ce thème (Butlen 2007).

3.2.c. Le(s) professeur(s)

D'un commun accord, le chercheur et formateur (CF) qui assure principalement le rôle de

professeur, présente le jeu et conduit sa mise en œuvre. Toutefois, les autres collègues, la

professeure de la classe (P) et la conseillère pédagogique de la circonscription (CP), peuvent

intervenir quand elles le jugent nécessaire pour éclairer, compléter ou étayer les interventions

du principal intervenant.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 93-

4. Analyse du déroulement de la séance

4.1. L'objet de l'analyse

Nous analyserons cette séance selon trois points de vue : le point de vue des fonctions

d’étayage et des conditions de l’activité, celui de la situation, robustesse, conditions de

fonctionnement spécifiques, conditions d'apprentissage, et celui de l'activité du professeur

(CF), gestes et routines mis en œuvre notamment.

Ces points de vue sont complémentaires car ils apportent des regards différents sur les

rapports enseignement/apprentissage dans ce contexte particulier.

Si on adopte le point de vue des fonctions d’étayage et des conditions de l’activité, on peut

par exemple s'intéresser à la spécificité du public et notamment au risque de voir à tout

moment survenir une « crise » dans la mesure où des élèves psychotiques sont amenés à

rentrer en compétition puis à dépasser celle-ci en vue d'un apprentissage méthodologique :

élaborer, tester et valider une stratégie gagnante. La gestion de ces éventuelles crises nécessite

d'en repérer les éléments déclencheurs.

Nous nous centrons dans cette contribution sur l'analyse de la situation, des variables en jeu,

des conditions de gestion propres au public élève concerné et des gestes et routines du

professeur mis en évidence à cette occasion, notamment ceux permettant l’enrôlement des

élèves et la dévolution de la situation.

4.2. Les analyses

4.2.a. La mise en place du jeu « Qui dira 20 ? »

La règle du jeu est expliquée aux élèves oralement et grâce à une double simulation. Dans un

premier temps, CF et CP ébauchent un début de jeu. Dans un second temps, Mano et Yol, à la

demande de CF, finissent la partie.

Les élèves vont ensuite jouer deux par deux quatre parties (cinq en cas d'égalité), les deux

gagnants se rencontreront ensuite ainsi que les deux perdants.

4.2.b. Le binôme Yvan-Alex

Nous nous intéressons plus particulièrement à deux élèves Yvan et Alex. Notre expérience de

ce public en tant que formateur nous amène à penser que la différence de niveaux cognitifs de

ces deux élèves et leur rapport aux interactions entre pairs sont très emblématiques de ce type

d’élèves.

Yvan gagne les deux premières parties. Voici ce que les deux élèves ont respectivement

proposé :

L'analyse des deux premiers jeux

Le premier jeu31

Yvan Alex

1 2

3 4

6 8

10 12

14 16

31

Nous avons signalé les nombres du noyau du jeu formulés dans chaque partie en caractère gras

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17 18

20

• Le deuxième jeu

Alex Yvan

2 4

6 8

10 12

13 14

16 17

18 20

Nous voyons que, dans les deux cas, Yvan joue les deux derniers termes du noyau gagnant du

jeu (17 et 20). S’il est difficile de statuer sur la proposition du nombre 14 qui pourrait être le

résultat d’une toute autre stratégie (stratégie qui consisterait à ajouter 2, ou à énoncer un

nombre pair, voire relever du hasard), plusieurs indices laissent penser qu'il n'en est pas de

même pour 17 qui a été repéré (au moins au second jeu) comme gagnant. En effet, dans les

deux premiers jeux, il semble s'apercevoir qu'il ne pourra pas dire 17 mais 18 et exprime son

mécontentement « Oh non pas deux ! ».

La professeure (P) qui suit plus particulièrement ce binôme rappelle à Yvan qu'il peut jouer

1 :

P : Ben tu peux en ajouter que un si tu veux

CF : Tu peux rajouter un si tu veux !

Cette intervention du professeur rappelant la règle du jeu permet à Yvan de jouer 17, nombre

qui doit lui assurer la victoire. Nous pouvons penser que Yvan hésite en effet entre une

stratégie consistant à ajouter le plus systématiquement possible 2 et celle qui consiste à

énoncer le nombre 17 quand c’est possible. Notons que l’intervention de la professeure est ici

importante car elle autorise Yvan à privilégier la seconde stratégie. Il n’est pas certain qu’il

l’aurait fait sans cela. On peut interpréter cette intervention comme une aide relevant de ce

que Bruner dénommait le maintien de l’orientation (Bruner 1983).

Les deux victoires successives d’Yvan amènent Alex, élève occupant régulièrement la

position de leader cognitif, à manifester sa déception.

Alex manifeste sa déception : Alex : Ah non, je déteste jouer sur du papier, c’est nul !

P : Ah ça y est …c’est (inaudible) si Alex perd c’est que c’est forcément nul !

CF : ah bon là c’est toi qui avais gagné

P : Non c’est Yvan

CF : et ici c’était Alex

P : non c’est Yvan aussi

CF : Ah ! Ben dis donc

P : Attention Alex, il faut que tu réfléchisses.

CF : Attention Alex

Alex manifeste une gestuelle spécifique, marque de sa mauvaise humeur.

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P : … il ne faut pas que tu mettes n’importe quel nombre

CF : Tu peux commencer Alex. C’est ton tour.

P : Allez c’est parti !

Mano : C’est un jeu

P : Oui c’est un jeu

CF : Ah oui c’est un jeu. C’est un jeu où il faut savoir jouer…

Al : oh non c’est pas un jeu c’est un ragnagna

P : Oui parce qu’Alex quand il perd, le jeu doit être forcément nul…

Rires P : C’est un mauvais perdant

Alex: Non !

P : Si

Alex: non !

La professeure s'assure donc que les deux élèves restent dans le jeu en rappelant des règles de

convivialité.

• Le troisième jeu

Alex gagne :

Alex Yvan

1 2

3 4

5 6

8 10

12 14

16 18

20

Lors de cette partie, Yvan ne semble pas réinvestir le constat vraisemblablement fait à la

partie 2. Il énonce 18 à la suite de l’énonciation du 16 au lieu de 17. Plusieurs interprétations

sont possibles. Yvan peut avoir été pris par une stratégie d'ajout systématique de 2 au nombre

précédemment énoncé (6-8-10-12-14-16-18) et peut ne pas s'être autorisé à rompre cette suite

car la professeure n'intervient plus pour le lui permettre comme elle l’a fait au jeu précédent.

Il peut aussi ne pas avoir réinvesti le constat précédent, ne capitalisant pas l'acquis d'un jeu sur

l'autre. Enfin, il peut tout aussi bien avoir été distrait ou bien encore vouloir laisser gagner son

partenaire.

Nous n'avons pas à ce stade assez d'information pour conclure.

• Le quatrième jeu

Yvan Alex

1 2

4 6

8 10

12 14

16 17

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- 96-

18 20

Yvan : C’est moi qui commence

Alex : Ben si tu gagnes encore un jeu tu gagnes. Mais si je gagne encore un jeu on

sera à égalité

CF : Ben on fera une dernière partie pour savoir qui gagne.

P : Allez concentre-toi bien, Yvan

CF : Allez !

Alex et Yvan, tour à tour, inscrivent les nombres. CF : Ah non, (s’adressant à Yvan), tu as rajouté combien là ?

Yvan : trois

CF : ah non ! Tu ne peux rajouter que un ou deux

Les élèves continuent. Alex écrit 17 sur la feuille. Yvan : Non !!!

Changement de mimique… Yvan s’adresse à P du regard puis il manifeste son

mécontentement : Yvan : Parce qu’on préfère faire un + un …

P : Ben oui ben c’est comme ça

Alors qu’Yvan est visiblement mécontent Alex termine.

Le déroulement de ce jeu montre bien qu’Yvan a compris qu'il ne fallait pas laisser

l'adversaire dire 17. De même, Alex a fait le même constat à la partie précédente. Cela nous

amène à penser autrement l'échec précédent d’Yvan et le succès d'Alex.

Le succès d'Alex

Il semble qu'Alex ait profité pleinement de sa position de joueur perdant lors des deux

premières parties. S'il continue à jouer (comme Yvan) en privilégiant un peu un ajout de 2 au

nombre précédemment énoncé, il a repéré en observant le jeu de Yvan que 17 est un passage

assurant la victoire. La situation fonctionne avec cet élève (et dans une certaine mesure avec

le binôme Yvan/Alex) comme avec un public « ordinaire » d'élèves.

Les remarques précédentes montrent que Yvan a, dès la fin du premier jeu, perçu le rôle de

17. En termes de stratégie, les deux élèves semblent donc très proches. Ils privilégient un peu

l'ajout de 2 au nombre précédemment énoncé tout en préférant le plus souvent les nombres

pairs et s'adaptent si possible au jeu pour pouvoir à l'avant-dernier coup dire 17 :

1-2-3-4-6-8-10-12-14-16-17-18-20

2-4-6-8-10-12-13-14-16-17-18-20

1-2-3-4-5-6-8-10-12-14-16-18-20

1-2-4-6-8-10-12-14-16-17-18-20

L'échec d’Yvan :

Cet échec peut alors s'expliquer autrement. Certaines phrases prononcées par la suite (voir

plus loin) nous laissent penser qu'il a pu laisser gagner Alex au troisième jeu, sans doute parce

qu'il reconnaît en celui-ci un sujet meilleur élève que lui-même. Il est également possible qu'il

se soit désintéressé ponctuellement du jeu ou bien encore qu'il pense que c'est au tour d'Alex

de gagner.

Dans tous les cas, pour des raisons sociales (respect d'une hiérarchie cognitive ou convivialité

ou désinvestissement passager), Yvan rompt avec une logique de joueur qui cherche à gagner

(indispensable pour le fonctionnement de la situation adidactique). Cette rupture est passagère

car, comme nous le verrons plus loin, il attend en retour au quatrième jeu la même attitude de

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la part d'Alex ; ce qui n'est pas le cas car ce dernier a profité de ce « cadeau » pour apprendre

à jouer, c’est-à-dire repérer le statut du 17 et le réinvestir efficacement dans le quatrième jeu.

Cette rupture dans la logique des joueurs et la non réciprocité du geste d’Yvan par Alex crée

une situation de crise chez Yvan qui va manifester son désarroi et sa douleur.

Yvan tape sur la table… se manifeste de plus en plus et se met à pleurer. CF : (s’adresse à M et Yol) Vous pouvez en faire une autre en attendant qu’ils aient

fini.

P : Tu ne vas pas nous faire ton cinéma hein

Yvan continue à se manifester, se donne des tapes sur la joue. Visiblement

malheureux.

Les professeurs ont des réponses très différentes à cette étape du jeu pour limiter la crise.

CF, chercheur, restant neutre par rapport au jeu et ne voulant pas intervenir sur l'évolution des

stratégies des élèves, essaie d'arrêter la crise de larmes en disant que ce sera le cinquième jeu

qui fera la différence entre les deux joueurs. Ce qui ne semble pas suffire.

P, professeure de la classe, habituée à ce type de manifestations de la part d’Yvan, intervient

sur un tout autre plan en lui disant d'arrêter « son cinéma ». Il semble effectivement que la

crise d’Yvan ne soit qu'en grande partie superficielle (ce qui reste toutefois à vérifier).

CP prend la décision de faire constater à Yvan les raisons du succès d'Alex. Ce dont Yvan est

d'ailleurs conscient :

CP : (s’adressant à Yvan) Qu’est-ce que tu aurais pu faire là ? Pour éviter ça ! Au

lieu de mettre seize il aurait fallu que tu mettes combien ? Regarde !

Yvan : lui pas dix-sept

CP : Oui. Lui, il a fait attention. Mais toi avant tu aurais pu faire attention à quoi ?…

Au lieu de mettre seize ?

Alex : Mais Yvan arrête de chouiner… t’es pas un bébé !

CP : Tiens regarde. Lui il a mis quatorze...

Yvan : pas contre Alex !

CP : Mais regarde, vous êtes ex aequo. Avec Alex, vous êtes ex aequo. Vous allez en

faire un troisième pour pouvoir gagner. Alors justement, réfléchis…

Ce retour au déroulement du jeu amène d'ailleurs Yvan à donner la raison de son désarroi :

Yvan : Il me laisse pas gagner

CP : On ne te laisse pas gagner. Parce que toi tu l’as laissé gagner ?

Yvan : Une fois

CP : Ben oui mais tu n’aurais pas dû !

Yvan : à cause du…

(…)

CP : Yvan, est-ce que tu veux que je t’aide pour que tu essaies de comprendre

pourquoi tu as perdu ?

Yvan : Parce que il...(sanglot).... pas laissé gagner

CP : Oui mais. Avant tu aurais pu faire quelque chose. (Elle reprend la feuille de jeu)

Regarde. Là il y avait douze et deux quatorze. Toi tu aurais pu mettre combien à la

place…

Yvan : inaudible

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 98-

CP : Non tu aurais pu mettre autre chose : quatorze, tu aurais pu mettre quinze.

Après avoir formulé ces éléments d'explication, CP demande aux deux élèves de jouer le

cinquième jeu :

CP : Allez on fait la finale là... tous les deux, Yvan et Alex.

Yvan : Je veux pas commencer

CP : Tu ne veux pas commencer. D’accord. Allez c’est Alex... c’est parti. C’est Alex

qui commence.

La professeure (P) à cette occasion revient sur l'attitude d’Yvan :

P : Allez tu arrêtes Yvan. Tu sèches tes larmes.

Yvan chouinant toujours mais se remettant au jeu néanmoins. P : Dis donc, ça fait combien de temps que tu ne m’as pas fait ça en classe là ?

Yvan : Il faut pas n’importe quoi

Tout au long du jeu, les professeurs essaient chacun à leur tour d'amener les élèves,

notamment Yvan, à reprendre une posture de joueur :

CP : Oui mais là tu es déconcentré

CF : Attention…

CP : Concentre-toi

(...)

Alex :

Yvan : inaudible

CP : réfléchis

Yvan : faut faire attention hein

CP : Oui faut faire attention.

P : Bien attention.

• Le cinquième jeu

Alex Yvan

1 2

4 6

8 10

11 12

14 15

17 18

20

On peut penser qu’Yvan et Alex essaient d'adapter leurs stratégies pour pouvoir dire 17.

Toutefois, Alex abandonne plus vite que Yvan l'ajout de 2 et le recours à un nombre pair, ce

qui l'amène dès le troisième coup, à citer la suite des nombres « noyau du jeu » 8-11-14-17-

20, sans doute implicitement au moins pour 8 et 11. Ce qui lui assure la victoire.

On peut donc dire que Yvan et Alex bénéficient tous les deux mais inégalement de

l'expérience des jeux précédents et des interactions. L'intervention de CP ci-dessus semble

donc relativement efficace mais insuffisante pour amener Yvan à combler son retard par

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

- 99-

rapport à Alex. Cette intervention est trop ponctuelle pour dénouer la tension que subit Yvan.

En revanche, elle fonctionne bien pour Alex qui n'était pas directement visé.

Alors qu'Alex manifeste son contentement, Yvan va à nouveau connaître un moment de

désarroi et regretter encore sa bienveillance dans les jeux précédents :

P : Bien attention

Alex marque un nombre (17 ?) et sourit à la maîtresse. P : Là Alex a été très malin.

Yvan bougonne... inaudible P : Fallait pas laisser gagner Alex une fois.

Yvan pleure à nouveau P : Ben oui c’était gentil

Alex (se lève, visiblement satisfait) : Yes !

(…)

P : (à Yvan qui pleure) Bon arrête s’il te plaît !

CF : Yvan tu vas jouer contre Yol. Et Alex va jouer contre Mano. Ce n’est pas fini !

Yvan ne se calme pas.

CP : Ce n’est pas fini. Tu vas voir. Tu vas pouvoir te rattraper.

Yvan ne se calme toujours pas. P : Bon ben tu vas sortir.

Yvan : Non !

P continue, essaie de le calmer en lui parlant en aparté. Gestuelle enveloppante (elle

l'entoure de ses bras, au niveau de l’épaule) P : Ben tu vas jouer contre Yol

P : Bon tu laisses tomber. Tu sors.

Yvan : Non…

P : Bon tu vas t’assoir à côté de Yol. Et tu ne le laisses pas gagner.

Alex : Allez, sèche tes larmes. Sèche tes larmes … tu as encore une chance Yvan

Pour arrêter la crise, CF propose à Yvan de jouer contre lui, CP renchérit en proposant de

s'associer contre CF. Yvan refuse ces alternatives mais ne veut pas quitter la partie et accepte

de jouer contre le perdant du second binôme.

Pour ce binôme, tout s'est bien déroulé contrairement aux craintes manifestées en amont par

l'enseignante. En effet, celle-ci était davantage préoccupée par l'attitude éventuelle de Yol que

par celle d’Yvan. Yol a manifesté un grand investissement pour le jeu, abandonnant son

attitude habituelle qui consiste à se tenir plutôt en retrait et à craindre les interactions avec ses

pairs.

Le règlement de la crise

C'est P qui va improviser et trouver les mots et les gestes nécessaires pour dénouer la crise et

faire revenir Yvan dans la partie. Elle mobilise divers outils. Elle va s'adresser en particulier à

Yvan en travaillant sur la stratégie du jeu, en la reformulant à sa place et en étayant son jeu

(durant le premier jeu de la partie contre Yol). Elle l'amène aussi à revenir sur son jeu après

coup, à le repenser en étayant ses formulations, voire en formulant à sa place mais sans

apporter d'éléments nouveaux. De plus, durant le jeu, elle l'encourage et s’assure de sa

concentration. Parallèlement à cela, elle va adopter une attitude sécurisante déjà amorcée plus

haut, en mettant en œuvre une gestuelle « enveloppante » : elle tient Yvan par l'épaule, lui

parle doucement, le sécurise.

P s’accroupît auprès de Yvan : Bon et tu arrêtes de pleurer parce que sinon tu ne vas

pas gagner hein.

Yvan : des erreurs

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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100-

P : Ce ne sont pas des erreurs Yvan. C’est un jeu ; écoute.

P : Tu es capable de supporter ça hein !

P : ça ne peut pas marcher à tous les coups

P : Un ou deux tu choisis. Voilà ! Concentre-toi !

Alex : Et voilà ! (Alex vient de remporter la première partie contre Ma)

P : Tu vois il n’y a pas que toi qui perd contre Al.

(...)

CF : Attention ! Concentre-toi bien ; il a mis quinze (pointant sur la feuille de jeu le

nombre que vient de marquer Yol :.) Qu’est-ce qu’il faut faire pour être sûr de

gagner ?

Yvan marque seize

(...)

P : regarde ce que tu aurais pu faire là. Tu as écrit seize. Tu aurais mis dix-sept. C’est

toi qui prenais la main. Concentre-toi et réfléchis. Là tu n’es plus dans ton…

(...)

P : Allez. Qui a commencé tout à l’heure ?

Yol : moi

P : C’est toi qui as commencé, donc à Yvan de commencer.

(...)

P : Concentre-toi. Allez. Tu perds, tu perds… forcément si tu ne fais pas attention.

(...)

P : Ce n’est pas magique, hein !

(...)

Yvan : mais pas dix-sept

P : C’est celui qui met dix-sept qui gagne.

Yvan : Il a perdu…

(...)

P : Est-ce que tu as remarqué qu’à chaque fois que tu joues, c’est celui qui écrit le 17

qui gagne ? Pourquoi ? Parce que

Yvan : dix-huit

P : Parce que... dix-huit et tu as perdu. Et dix-neuf aussi … parce que qu’on mette dix-

huit ou qu’on mette dix-neuf c’est forcément... ce qu’il faut c’est que tu essaies de... là

regarde. Yol a écrit « 14 » toi tu as écrit

Yvan : quinze

P : Quinze. … ben non on ne peut pas mettre dix-huit ou dix-neuf... Allez on ressaye !

La suite de la partie montre que cet ensemble de décisions prises à chaud et les gestes qui

accompagnent leur mise en œuvre s'avèrent efficaces. En effet, Yol et Yvan vont s'investir à

nouveau dans la partie, affiner leur stratégie et terminer à égalité. Alex restera le vainqueur car

il gagnera contre Ma.

5. Discussion

Rappelons les trois points de vue adoptés pour conduire notre analyse de la séance : celui de la

situation (robustesse), celui de l’activité du professeur : gestes et routines de gestion

notamment et celui lié aux fonctions d’étayage. Ces points de vue sont complémentaires et

étroitement liés. Il est en effet difficile d’étudier l’activité des élèves et notamment le

fonctionnement de leurs connaissances sans prendre en compte les conditions de ce

fonctionnement et donc sans considérer la situation ou de l’activité du professeur.

5.1. La situation

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

-

101-

L'analyse précédente nous renseigne sur le fonctionnement de ce type de situation. Elle

montre qu’une telle situation (du moins le tout début de celle-ci) peut fonctionner

collectivement avec le public relevant de l'ASH, option D, mais ne fonctionne pas

systématiquement pour chaque élève. Nous avons pointé des raisons possibles de

dysfonctionnements. Elles trouvent leur source dans une tension qui marque profondément

l’enseignement à ce type d’élèves et plus largement l’enseignement dans le secteur de

l’éducation spécialisée. Le professeur doit en effet faire se rencontrer l’itinéraire cognitif

collectif proposé aux élèves et les parcours et cheminements cognitifs personnels de chaque

élève. Cette rencontre passe notamment par des enrôlements et des négociations locales.

Les connaissances mobilisées dans ce début de mise en œuvre de la situation sont très

contextualisées. A ce stade, la stratégie gagnante consiste pour le joueur à jouer dans le noyau

du jeu (constitué des nombres n tels que n= 3k +2 avec k < 6) ; il lui suffit d’ailleurs

seulement de jouer 17 pour s’assurer de la victoire. Cette stratégie est très liée à l’action, elle

peut rester implicite. Pour acquérir une certaine pérennité, elle doit devenir explicite. Si elle

reste implicite, elle risque de ne pas être distinguée d’autres stratégies. C’est le cas notamment

de celle consistant à ajouter systématiquement deux au nombre précédemment dit. De plus, le

risque existe de la voir s’effacer devant d’autres contraintes notamment sociales comme cela a

été le cas pour Yvan. La prise de conscience du caractère nécessaire de la stratégie nécessite

donc une formulation. Ainsi, Yvan, abandonnant une posture de joueur, ne peut ensuite

bénéficier de l'expérience des jeux précédents, ne réinvestit pas les constats effectués et se

retrouve en situation de « décrochage » (local). Non seulement, il ne finalise pas pour lui-

même, les apprentissages amorcés mais il peut contribuer à une désaffection collective. On

peut penser qu’Yvan ne perçoit plus la situation comme une situation dont le but est

l’apprentissage d’une stratégie mais la vit (du moins pendant le troisième jeu) comme une

situation réglée par des contraintes essentiellement sociales (respect d’une certaine hiérarchie

entre élèves).

Dans le scénario initial élaboré par Brousseau, cette explicitation est assurée par la situation de

formulation. Elle s’organise notamment autour de plusieurs moments : formulations plutôt

spontanées (s’étalant sur plusieurs jours) par des élèves lors de la situation d’action d’éléments

de la stratégie (notamment liés au nombre 17), diffusion de ces derniers lors d’un jeu par

équipe et enfin production d’énoncés lors d’un « concours des propositions ». Ce déroulement

nécessite un enrôlement dans la durée des élèves et un temps beaucoup plus long. Ces

conditions ne peuvent être réalisées lors de notre mise en œuvre car dès le troisième jeu, Yvan

et Alex rendent improbable un tel déroulement. Le professeur doit alors organiser autrement

l’explicitation.

Dans l’action, trois solutions sont envisagées pour mettre en place une situation de

formulation. La première, proposée par CF, consiste à rester dans le cadre la situation

adidactique. Il parie sur une explicitation, résultat d’une prise de conscience par le joueur

(Yvan) de la stratégie gagnante mobilisée par un joueur performant (CF lui-même). Pour cela,

il lui propose de jouer contre lui. La deuxième stratégie rapidement amorcée par CP consiste à

provoquer l’explicitation en proposant à Yvan de s’associer avec lui pour jouer contre un

« bon joueur » (CF). Ces deux premières alternatives sont immédiatement rejetées par Yvan.

La dernière alternative, si on exclut un abandon momentané de la situation, consiste pour le

professeur à prendre en charge une partie de l’explicitation. Nous l’avons décrite ci-dessus,

c’est la solution retenue par la professeure P.

5.2. L’activité du professeur, la mise en œuvre de fonctions d’étayage

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102-

La professeure mobilise à cette occasion des connaissances issues de son expérience

professionnelle et de sa connaissance32

des élèves. Elle met en œuvre un ensemble de gestes

professionnels qui lui permet non seulement de résoudre la crise provoquée par Yvan mais

aussi d’assurer la poursuite du travail en cours, et de maintenir l’enrôlement de tous les élèves.

Nous pouvons interpréter cette initiative comme un « incident critique » (Roditi, 2005),

révélateur d’une tension entre ce que la professeure juge légitime d’exiger de ses élèves (point

de vue éthique) et ce que son expérience professionnelle et l’évaluation des compétences de

ces élèves pourraient lui permettre d’exiger. En effet comme nous l’avons déjà signalé ci-

dessus, prenant en compte les troubles de comportement manifestés par ses élèves, P hésite à

les engager dans une situation de compétition entre pairs. En revanche, certains de ses propos

montrent qu’elle estime Yvan susceptible de surmonter ces difficultés et ce grâce à la routine

d’étayage décrite ci-dessus :

P : Ce ne sont pas des erreurs Yvan. C’est un jeu ; écoute.

P : Tu es capable de supporter ça hein !

P : ça ne peut pas marcher à tous les coups

P : Un ou deux tu choisis. Voilà ! Concentre-toi !

Cet incident nous semble critique car non seulement il nous renseigne sur la viabilité de ce

type de situations mais aussi sur les possibilités de développement professionnel de la

professeure. Ainsi, une prise conscience de cette tension pourrait lui permettre de dépasser

cette tension.

D’autres analyses restent toutefois nécessaires pour confirmer cette hypothèse, notamment

celles portant sur l'identification des gestes et routines professionnels mis en œuvre lors de la

gestion de la situation et des éventuelles crises qui peuvent survenir.

Nous avons vu que la professeure de la classe (et pour une moindre part, la conseillère

pédagogique) ont construit des routines qui dépassent largement le cadre des seules

mathématiques ; en effet, leur mise en œuvre nécessite des savoirs sur les élèves, sur leur

pathologie ou leur handicap, sur le groupe d’élèves et sur leurs compétences en termes

d'interactions.

Un geste important semble être celui qui vise une des fonctions d’étayage : le maintien de

l’orientation. P intervient plusieurs fois dans ce sens, sans doute insuffisamment lors de la

partie entre Yvan et Alex, mais efficacement lors de celle entre Yvan et Yol.

De même, P se révèle la plus efficace des trois adultes animant la séance pour gérer la crise

provoquée par Yvan. Elle met en œuvre une routine alliant plusieurs gestes : discours dirigé

prioritairement à Yvan, formulation et explicitation d’éléments de la stratégie gagnante, voire

d’institutionnalisation locale, maintien de l’orientation, gestuelle sécurisante. Elle décide

même de ne faire disputer qu’un nombre pair de parties entre les « perdants » afin de clore le

jeu en attribuant une place de troisième à chacun.

Toutefois, cette routine reste marquée par les mathématiques et les contenus travaillés comme

le montrent les limites (hésitations) des interventions de l'enseignante de la classe. Ainsi, elle

semble rencontrer des difficultés pour identifier les éléments de la stratégie des joueurs,

notamment pour optimiser cette stratégie et adapter son intervention en fonction. Toutefois,

nous pensons que ce ne sont pas l’acquisition des gestes et routines nécessaires à la gestion de

la crise décrite ci-dessus qui interdisent à l’enseignante (P) de mettre en œuvre des jeux de

stratégies mais plutôt des conceptions éthiques très générales.

Ainsi, P n’osait pas mettre en œuvre de telles situations pour essentiellement deux raisons

liées à une prise de risque. Prise de risque pour les élèves d’une part qui renvoie à une certaine

32

Connaissance que ne possèdent pas CF et CP.

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Enseigner les mathématiques à des élèves en difficulté

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éthique : elle s’interroge sur le droit du professeur à enclencher des crises comme celle décrite

ci-dessus. Prise de risque pour le professeur qui n'est pas certain de savoir gérer les crises

éventuellement provoquées par ce type d’activité. La prise de conscience de l’existence de ces

routines grâce à leur identification et leur explicitation par le chercheur peut permettre à cette

enseignante d’interroger les choix qui ont été les siens. Cela peut notamment contribuer à une

meilleure évaluation des risques accompagnant la mise en place et la gestion de ce type de

situations et ainsi élargir les marges de manœuvre de l’enseignant.

Notons à ce propos qu'entrer par la nature des troubles (psychotiques, autisme ou trisomie…)

ne peut suffire. Il est indispensable de s'appuyer aussi sur une analyse didactique des

conditions de l'apprentissage : dévolution et enrôlement, variables assurant ou non le

fonctionnement de la situation adidactique, etc.

Conclusion

Ainsi, lors d'une formation, il nous semble important d’adopter une approche holistique

mettant en relation divers points de vue. Ainsi il peut s'avérer profitable de prendre en compte

les pratiques adaptatives des éducateurs/enseignants dans les structures spécialisées, de leur

faire expliciter ce qu’ils perçoivent afin de faire émerger des conceptualisations-en-acte

(Vergnaud, 1996) de manière à enrichir les catégories de lecture fournies par des

nosographies médico psychologiques.

En étroite relation avec une analyse didactique fine de la situation, on peut également se livrer

à une analyse du profil des différents élèves en jeu, de ce qui se joue pour eux dans la séance.

Des études de cas comme ceux d’Yvan ou de Alex seraient particulièrement intéressantes

pour anticiper sur la gestion de la séance étudiée ici.

Enfin, pour être efficace, il nous semble important d’exemplifier ces études par des exemples

d’incidents critiques du type de celui que nous venons de présenter, incidents vécues par le

professeur ou par l’un de ses pairs.

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