4
E n de’couvrant le sommaire de cet ouvrage, yuelques lecteurs pourront &tre surpris de le voir jigurer dans les lectures d’une revue jerroviaire telle que la RGCF. Or, une approche plus attentive leur permettra de constater que son auteur signe aussi l’un des articles du present numero special : nLa gal-e, pole de cohesion sociale a. ,Julien Damon, puisque c’est de lui qu’il s’agit. s’investit, depuis plusieurs an&es d&a, au sein de la mission solidarite de la SNCF dont il est l’un desprincipaun-responsables de terrain ; plus precise’ment, il s’efiorce de r&oudre les nou- veaux problemes quepose la frequentation desgares par une population assez particuliere : SDF. clochards, marginaux de toutes natures, dont la clientele traditionnelle du chemin de fer n ‘apprecie pas toujours la prtkence. Les phe’nomenes qu’il expose duns son ouvrage, les ques- tions qu’il evoque, les emotions qu’elles suscitent ne nous ayuyant pas lai.ssC indif@ent. nous uvons voulu vous les faire partager en l&ant ce livre. Unefacon de mieux comprendre son action cheminoteet celle de sescollegues de la mission solidarite de la SNCF. Thierry Escolan vous presente 1 buvrage (NDLR). Le point de depart de cet essai est la promulgation des lois municipales interdisant la mendicitt dans certaines de nos villes, (comme par hasard) meridionales. C’est en effet la premiere reflexion de Julien Damon, dont le combat au sein de la mission e Solidarite D de la SNCF prouve que cette demarche est fortement ancrke en lui. La lutte contre le vagabondage et la mendicite existe depuis la nuit des temps (Grecs, &gyptiens, Romains ne furent pas Cpargnes) et, du Moyen Age a la Revolution, des mesures plus ou moins repressives furent invent&es par les gouvernants pour tenter de vaincre ce demon, voisin de la mike et de la pauvrete. Les vagabonds et mendiants ont, de tout temps, Ltt pour- chasses, le point d’orgue Ctant atteint en 1810 avec l’appari- tion de la notion de delit inscrite au Code penal. Cette quali- fication delictueuse y restera, note I’auteur, jusqu’en 1994 ! Son essai sur la justice (ou l’injustice ?) sociale s’articule autour de deux series de trois livres parus a un siecle d’intervalle : K Parts qui mendie )l de Louis Paulian, e Vaga- bondage et mendicite s) de Fernand Chanteau et (1De la repression du vagabondage en France sms 1 Xncien Re,gqime 1’ Des homes en trap* Julien Damon (these de droit) de Christian Paultre, edit& en 1890 et 1906, pour la premiere strie ; s les Metamorphoses de la question sociale n de Robert Castel, 1~ Sous Z’aile protectrice de 1 ‘&tat 3 du hollandais Abram De Swaan et a Metapolis ou l’avenir des villes p de Fransois Ascher, edit&s en 1995, pour la seconde. Julien Damon effectue la synthese de l’histoire juridique du vagabondage et de la mendicite ; il est vrai que l’enumeration des systemes mis en place du Moyen Age a nos jours est impressionnante, riche d’ensei- gnements qui devoilent leur perversite. Ainsi, les Romains, par leur loi w de mendicantibus validis D, classent-ils les mendiants en deux categories : les valides et les non- valides, dont la definition et la repression different. A leur tour, les Cdiles de la religion catholique, au concile de Tours, tentent sans plus de succes de les stdentariser. Puis Jean II le Bon (qui, selon Julien Damon, fut loin de meriter son surnom) prohibe, par une ordonnance de 1350, la mendicite et l’oisivete, ordonne la sortie des mendiants et autres gens valides K sans aveu D de Paris sous trois jours : sinon, c’est l’emprisonnement, puis le pilori, puis le mar- quage au fer rouge, avant le bannissement B la troisitme r&dive ! Ordonnances, arrets du parlement et decrets pour combattre ce e fleau n se succedent ; quelques-uns devien- nent tristement ctlebres : en 1367, le prtvot Hughes Aubriot, dans son ordonnance contre les * jens oiseux D, invente les premiers ateliers de charite ; quelque vingt am plus tot, en Angleterre, fidouard III promulgue le (1 statut des travailleurs n qui tree la mobilitk du travail en rejetant dans une sous-caste les dtmunis d’emploi. Charles VIII, quant a lui, ordonne que les vagabonds soient envoy& aux galeres, lanGant le tout premier concept de repression-assistance par le travail. Avec FranGois Ie’, nous franchissons une &tape suppltmentaire dans l’horreur puisque la punition encourue par les vagabonds et les mendiants est le supplice de la roue. En ce mCme siecle, le nombre des a oyseux m augmente sensi- blement, alimentk par les hommes qui ne connaissent que le metier des armes et ne trouvent plus d’armtes, la fin du siecle ne connaissant pas de grands et longs conflits. * editions de I’Aube. Julien Damon public en mai pro&in un deuxikne ouvlage : Vqhmfage et mendiciM , aw Mitions FIammarion, collection Domino.

Des hommes en trop: Julien Damon

Embed Size (px)

Citation preview

E n de’couvrant le sommaire de cet ouvrage, yuelques lecteurs pourront &tre surpris de le voir jigurer dans les lectures d’une revue jerroviaire telle que la RGCF.

Or, une approche plus attentive leur permettra de constater que son auteur signe aussi l’un des articles du present numero special : n La gal-e, pole de cohesion sociale a. ,Julien Damon, puisque c’est de lui qu’il s’agit. s’investit, depuis plusieurs an&es d&a, au sein de la mission solidarite de la SNCF dont il est l’un des principaun- responsables de terrain ; plus precise’ment, il s’efiorce de r&oudre les nou- veaux problemes que pose la frequentation des gares par une population assez particuliere : SDF. clochards, marginaux de toutes natures, dont la clientele traditionnelle du chemin de fer n ‘apprecie pas toujours la prtkence. Les phe’nomenes qu’il expose duns son ouvrage, les ques- tions qu’il evoque, les emotions qu’elles suscitent ne nous ayuyant pas lai.ssC indif@ent. nous uvons voulu vous les faire partager en l&ant ce livre. Une facon de mieux comprendre son action cheminote et celle de ses collegues de la mission solidarite de la SNCF. Thierry Escolan vous presente 1 buvrage (NDLR).

Le point de depart de cet essai est la promulgation des lois municipales interdisant la mendicitt dans certaines de nos villes, (comme par hasard) meridionales. C’est en effet la premiere reflexion de Julien Damon, dont le combat au sein de la mission e Solidarite D de la SNCF prouve que cette demarche est fortement ancrke en lui. La lutte contre le vagabondage et la mendicite existe depuis la nuit des temps (Grecs, &gyptiens, Romains ne furent pas Cpargnes) et, du Moyen Age a la Revolution, des mesures plus ou moins repressives furent invent&es par les gouvernants pour tenter de vaincre ce demon, voisin de la mike et de la pauvrete. Les vagabonds et mendiants ont, de tout temps, Ltt pour- chasses, le point d’orgue Ctant atteint en 1810 avec l’appari- tion de la notion de delit inscrite au Code penal. Cette quali- fication delictueuse y restera, note I’auteur, jusqu’en 1994 ! Son essai sur la justice (ou l’injustice ?) sociale s’articule autour de deux series de trois livres parus a un siecle d’intervalle : K Parts qui mendie )l de Louis Paulian, e Vaga- bondage et mendicite s) de Fernand Chanteau et (1 De la repression du vagabondage en France sms 1 Xncien Re,gqime 1’

Des homes en trap*

Julien Damon

(these de droit) de Christian Paultre, edit& en 1890 et 1906, pour la premiere strie ; s les Metamorphoses de la question sociale n de Robert Castel, 1~ Sous Z’aile protectrice de 1 ‘&tat 3 du hollandais Abram De Swaan et a Metapolis ou l’avenir des villes p de Fransois Ascher, edit&s en 1995, pour la seconde. Julien Damon effectue la synthese de l’histoire juridique du vagabondage et de la mendicite ; il est vrai que l’enumeration des systemes mis en place du Moyen Age a nos jours est impressionnante, riche d’ensei- gnements qui devoilent leur perversite. Ainsi, les Romains, par leur loi w de mendicantibus validis D, classent-ils les mendiants en deux categories : les valides et les non- valides, dont la definition et la repression different. A leur tour, les Cdiles de la religion catholique, au concile de Tours, tentent sans plus de succes de les stdentariser. Puis Jean II le Bon (qui, selon Julien Damon, fut loin de meriter son surnom) prohibe, par une ordonnance de 1350, la mendicite et l’oisivete, ordonne la sortie des mendiants et autres gens valides K sans aveu D de Paris sous trois jours : sinon, c’est l’emprisonnement, puis le pilori, puis le mar- quage au fer rouge, avant le bannissement B la troisitme r&dive ! Ordonnances, arrets du parlement et decrets pour combattre ce e fleau n se succedent ; quelques-uns devien- nent tristement ctlebres : en 1367, le prtvot Hughes Aubriot, dans son ordonnance contre les * jens oiseux D, invente les premiers ateliers de charite ; quelque vingt am

plus tot, en Angleterre, fidouard III promulgue le (1 statut des travailleurs n qui tree la mobilitk du travail en rejetant dans une sous-caste les dtmunis d’emploi. Charles VIII, quant a lui, ordonne que les vagabonds soient envoy& aux galeres, lanGant le tout premier concept de repression-assistance par le travail. Avec FranGois Ie’, nous franchissons une &tape suppltmentaire dans l’horreur puisque la punition encourue par les vagabonds et les mendiants est le supplice de la roue. En ce mCme siecle, le nombre des a oyseux m augmente sensi- blement, alimentk par les hommes qui ne connaissent que le metier des armes et ne trouvent plus d’armtes, la fin du siecle ne connaissant pas de grands et longs conflits.

* editions de I’Aube. Julien Damon public en mai pro&in un deuxikne ouvlage : Vqhmfage et mendiciM , aw Mitions FIammarion, collection Domino.

Au XVIP siecle, la repression aveugle s’intensifie : Louis XIII, puis Louis XIV construisent des a hopitaux enfermes n oti le travail est obligatoire. Pis encore, nous signale l’auteur, a Le 25 juillet 1700, une declaration sur 1 ‘obligation pour les mendiants bien portants d’aller travailler a la cam- pagne enjoint a toutes les personnes valides de travailler pres de leur domicile ; defend awz mendiants de circuler et de demander l’aumone ; defend a to&e personne de donner 1 ‘aumone ; enjoint aux mendiants de se rendre a!ans 1e.s hopi- taz~ n. Quant a l’ordonnance du 3 aotit 1764 (dernier texte juridique de 1’Ancien Regime consacre a ce probleme), elle d&nit les vagabonds comme ceux qui, depuis six mois, ne se sont livres a aucun travail et qui, n’ayant aucun moyen de subsister, ne peuvent justifier de leurs bonnes mozurs. C’est la Revolution de 1789 qui apportera la notion a d’assis- tance par le travail N traduite en ces termes par le Comite de me&cite : a G&i qui existe a le droit de dire a la so&W : faites-moi vivre. La sock% a egalement le droit de lui repondre : donne-moi ton travail B. Julien Damon, s’appuyant sur les &its de Chanteau, nous d&voile les multiples mesures qui s’ensuivent jusqu’a ce que Napoleon interdise la mendicite sur tous les territoires de 1’Empire. Les mendiants a.r&tes sont conduits dans des depots de charm? de plus en plus nom- breux. L’auteur poursuit la remontee dans le temps dans un paragraphe intitule e De la promulgation du Code penal a 1994 x : ce Code, edicte le 22 fevrier 1810, considere le vaga- bondage et la mendiciti comme des delits ; l’auteur s’appuie de nouveau sur Chanteau pour en evoquer un point fondamen- tal : a En droit naturel, il est hors de dome que le vagabondage et la mendicite ne sont ni des d&s, ni des contraventions. On ne saurait denier a celui qui a jaim le droit de tendre la main et d’implorer un secours, et il est &range d’interdire a celui qui n’a ni les moyens d’exister ni metier, la f~ulte de chercher ?I travers le territoire national le coin qui lui sera le plus hospita- lier n. Les depots de mendiciti, faute de proposer un simple travail, se transforment rapidement en prison. I.e XXe siecle se desinteressera completement de la question qui, c( naturelle- ment B, ne sera plus a l’ordre du jour avec la Premiere Guerre mondiale. Damon revient sur une p&ode de la lutte contre a l’errance et la manche n, entre 1880 et 1914, qui con&t la plus formidable repression du vagabondage de l’histoire. C’est l’occasion, pour lui, de s’exprimer sur deux livres @piques de cette periode ; celui de Louis Paulian qui pen- sait que e pour aider les malheureux, il fallait d’abord com- mencer par leur faire la guerre v, celui de Fernand Chanteau, un juriste, qui propose des reformes legislatives qui tirent dams le meme sens que les desirs de Paulian. L’auteur tient quand meme a rendre hommage a ce dernier, qui ira jus- qu’au bout de son experience puisque, a l’instar dun Jack London ou un Georges Orwell, il exercera, pendant une disaine d’annees, la =profession de mendiant m ; cette etude comparative des deux livres permet de s’apercevoir que, sur des sujets aussi vastes que l’organisation des ceuvres carita- tives, la surveillance de la condition sociale reelle du que- mandeur ou les conditions d’hebergement, les dispositions legislatives etaient bien souvent concomitantes. 11 rappelle aussi qu’un apport important de SDF est dii a l’industriali- sation, laquelle rameute vers les villes une quantite de pas-

tulants bien plus elevee que le nombre d’emplois offerts. Le constat est impitoyable : les mendiants du XIXe siecle ont et6 plus maltraites et meprises que ceux du Moyen Age ! 11 nous d&it ensuite les caracteristiques, invariables depuis le XVI’ siecle, utilisees par les gouvernants pour tenter de resoudre le probleme. Ainsi, de tout temps, on a cherche a compter et classifier cette population afin de l’inclure darts des methodes statistiques : un veritable casse-tete depuis Francois Ier ! Nous apprenons aussi que l’actuelle appella- tion de e sans domicile fme m existe deja au milieu du XIX’ siecle ; les differents noms qui leur ont et& don&s (clo- chard, maraux, indesirable, ruffian, hobo, saris-logis, ou saris-abri...) visaient surtout a empecher sc de voir la variete des adaptations a l’espace, 1 ‘heterogeneite des conditions et la diversite des modes de vie n akin d’opposer les bons et les mauvais pauvres - methode experimentee des 382 ?I Constantinople. Damon cite Abram De Swaan qui d&gage trois criteres classificateurs : l’incapaciti (employabilite), la proximiti (zone de responsabilite de la prise en charge des pauvres), la docilite (degre de passivite ou d’activite), ce qui creait un singulier paradoxe : CA 1 ‘aube des Temps moder- nes, ecrit De Swaan, on trouvait, en Europe. a un extreme des pauvres passifs, residents et invalides, qui avaient droit a 1 ‘assistance selon les trois criteres, et a l’autre extreme les pauvres actifs, errants et valides, qu’il fallait combattre pour ces trois raisons Q. A ce sujet, Damon rappelle qu’aujour- d’hui le ma1 reste le meme : c On peut legitimement faire l’hypothese que les difficult& et les echecs de l’action publique a resoudre la question des SDF s’evliquent, duns une grande mesure, par la permanence de ce schema cognitif qui &pare les s mauvais pauvres u des a bon-s pauvres s, les SDF a inserables s, des SDF * non inserables * ce qui nous ramene aux notions de * faux chomeur m ou de * vrai ere- miste >I. Autre sujet sensible abord6 ici, la c condition de domicile w qui d&nit la zone de responsabilite sociale d’une collectivite locale constituant la condition pour etre secouru ou non, d’oti l’importance de l’adresse, veritable sesame pour l’accession aux aides et aux secours. L’auteur rappelle que, tres tot, dans l’occident chretien, la domiciliation s’impose comme une condition privilegiee de la prise en charge des indigents. Ainsi, au XIV siecle, l’exclusion des &rangers se faisait deja par l’intemtediaire de lois * munici- pales n, suivies aux siecles suivants par les a grands renfer- mements D. 11 glisse une petite phrase d’actualite : a Depuis toujours, l’accession a la citoyennete passe par la territoria- lit& et la fixite n. Les travaux de De Swaan portent aussi stir le processus de collectivisation ayant entrain6 l’apparition de ” l’Etat-providence w contemporain, createur de systemes collectifs pour repondre a des difficult& individuelles Dans les domaines de la Sante, de l’education et de l’assistance, il a analyse le developpement, sur un demi-millenaire, de plu- sieurs institutions de cinq pays differents (Allemagne, Pays- Bas, Grande-Bretagne, Stats-Unis et France). Les chapitres intitules respectivement u Dilemme du prisonnier pour les collectivites locales n, = L’assistance par le travail : l’atelier de charite n, x Le vagabondage et le phenomene SDF * consti- tuent une source d’interrogations, pour chacun d’entre nous, sur les formes de traitement de l’accueil individuel et collectif de chaque personne en grande precarite. La lecon

est explicite (stir-tout avec les arretes municipaux de 1995) : chaque ville est p&e a deplacer ses gueux, misereux et autres SDF a.. la ville voisine ! Le ping-pang de la misere est toujours a l’ordre du jour : on detruit des HLM pour en reconstruire de plus luxueuses, dorm plus cheres ; les gens, incapables de supporter cette augmentation de loyer, rejoi- gnent, dans une ville voisine, les autres menages en diffr- cult& ; ainsi naissent les ghettos des grandes cites-dortoirs Pour illustrer ce type de gestion, l’auteur prend l’exemple d’un sujet qu’il connan par cceur (cf. le compte rendu du troisieme seminaire c< Actions solidarite s RGCF no 6, juin 1997) : la gestion de la population SDF dans les gares de la SNCF. Cette boucle historico-sociale se refer-me avec un retour sur les arretes precitis qui auront eu, comme seul avantage, de relancer les debats publics sur le sujet : il les detaille (pour memoire, il y cut, entre autres, les villes de Montpellier, Carcassonne, Cannes, Perpignan, Avignon, Toulouse, La Rochelle) - si nombreux qu’il a fallu une circulaire ministe- rielle pour preciser les limites juridiques de leur application, II s’interesse maintenant a la personnahte du SDF dans un article etonnant = L,a mendicite, un &ment de la carriere du SDF a : il est surprenant de l’entendre parler de carriere a propos d’un exclu ! meme s’il precise que, suivant de recentes recherches en la matiere, il apparatt que les per- sonnes qui font la manche vivent cette experience comme un veritable metier, organise dans le temps et l’espace. 11 cite, une nouvelle fois, Paulian qui s’interesse a g l’entree dams la carrier-e B des mendiants ; Chanteau en lutte contre 11 les misereux qui spsculent sur la charite publique n ; Orwell defendant ardemment cette population grace a un plaidoyer bouleversant. Dans l’univers de la deviance, le tra- vail est aussi le colportage. Au debut du siecle se vendaient lacets, cravates et fleurs, alors que, maintenant, ce sent plu- tot les journaux des rues qui sont le plus souvent proposes ; dans cette categoric des petits boulots de la rue, l’auteur ajoute les vendeurs de grains de riz sur lesquels on inscrit un prenom, les artistes les plus divers croises dans les cou- loirs des metros, les vrendeurs de ballons gonfles. Analyser les revenus de la manche consiste a reconntitre, en premier lieu, qu’elle est fond&e sur deux motifs principaux : apitoyer ou effrayer. Dans un second temps, l’auteur evoque les stra- tagemes utilises pour inspirer la pitie de sorte que, toujours, les mendiants ont fait l’objet d’attaques, car leur recours a toutes sortes de procedes les rendaient suspects. Un peu plus loin, il &r-it : s Ces simulations, tricheries et dissimula- tions sent des techniques du travail des mendiants. En rester au constat de ces stratagemes c*est oublier que la mendicite? quoi que puissent penser Paulian, Chanteau ou une par-tie de la population fianGaise contemporaine, est toujours un der- nier recours. Et ce dernier recours n’est pas a comprendre comme un choix de la part des personnes, mais bien comme un mode d’adaptation a l’indigence. Les stratagemes de la mendicite ne doivent pas etre regard& comme des superche- ries, mais comme des adaptations u. La sociologue Pascale Pichon cite et explique quatre procedes utilises par les SDF : la s priante N, le a tape-cul m, ” a la volee n et cs a la rencontre n. Quant aux revenus inherents, ils ont fait l’objet de d&bats, mythes (le clochard millionnaire) et idees recues. Damon

prefere que l’on parle de gains moyens : a Sur quelques periodes, on peut envisager que ces revenus soient plus importants comme c’est le cas pour les travailleurs saison- niers. Mais rien n’autorise a dire que la mendicite, sous toutes ses formes, soit preferable a un saiaire minimum m ; il concede meme qu’elle puisse etre une ressource d’appoint au meme titre que le travail au noir. Apres celui qui recoit, il s’interesse a celui qui donne ; sollicite de toutes parts (prin- cipalement dans les transports en commun ferroviaires), le g&&reux donateur a trois attitudes de rsponse differentes : le don systematique, l’occasionnei et le refus systematique fort bien analyses dans le livre. 11 faut ensuite classer (et ce n’est pas une mince affaire) cette population heterogene de SDF, car il existe presque autant de categorisations que d’etudes en la mat&e. Julien Damon cite les exemples les plus significatifs ou les plus x parlants n, mais il apparait que tout tourne autour de leur temps de presence dans la rue ; il analyse les recherches typologiques sur le monde des clo- chards, entreprises dans les annees cinquante, par Alexandre Vexhard; dont l’un des fondements principaux est l’instabilite sociale du vagabond. La carriere du SDF passe par trois phases distinctes : la fragilisation, l’habitude et la &dentarisation. Le sixieme chapitre, c Lrn miroir des difi- cult& de l’action publique 2, analyse le fonctionnement poli- tico-administratif qu’engendre un nombre de plus en plus eleve de personnes en position de vulnerabilite sociale. Depuis le debut des annees quatre-vingt, l’fitat mobilise les collectivites locales, les organismes publics et prives, le SAMU social pour off& des abris hivernaux aux sans-logis, fonctionnant au coup par coup (parfois mediatique) - parfois en se ConcurrenGant, ce qui en amoindrit l’efficacite. Reviennent alors les fameux am%% municipaux de 1995 qui divisent, une fois de plus, les pauvres a m&itants n (les habi- tues, les clochards), et les pauvres dangereux (les punks, les jeunes en errance, les zonards). L’auteur pose la lkgitime question du car-act&e retrograde de telles mesures, veritable reiteration de la * chasse aux mendiants n, meme s’il nuance sa prise de position quand il hesite entre le rejet du retour a la criminalisation du vagabondage et de la mendicite et la necessaire prise en compte du probleme par les maires. 11 pourfend le flou des definitions = b force de parler d’exclu- sion et d’exclus, on ne comprend plus grand chose * et l’inde- cision des pouvoirs publics. 11 cite le concept de la soci&2 duaIe invent& par Ascher (des habitants integres vivent dans des municipalit& tranquilles, les exclus socialement disqua- lifies t?voluant en zone peripherique), a laquelle il convien- drait d’ajouter une structure temaire : la masse grandissante des x vuln&ables ap ; ainsi Asher c&e-t-i1 ses = Metapoles l> objet du livre cite en reference. Qui sont ces citoyens dechus de leurs droits ? D’abord les K mauvais citoyens a qui ont perdu, par voie juridique, leur droit de vote ; ensuite les * citoyens irresponsables m, comme ces ali&% prives de leur droit civique au vu de leur &at mental ; enfin, les a non-citoyens n qui ne peuvent, de droit, participer aux affair-es de la ville, c’est-&dire les &rangers. L’auteur remarque que la citoyennete des plus demunis n’est pas evoquee.. . ainsi, le SDF n’est done, juridiquement, pas exclu, sauf si sa condition de delinquant ou d’immigre l’a rattrape, Son analyse de la citoyennete (qu’elle soit

locale, nationale ou supranationale) est tres intiressante, illus- trke bar un exernple caracteristique : a On peut consid&er que les SDF roumains ou yougoslaws qui font la manche dans les villes j?anGaises sont, en quelque son& parmi les premi&es personnes d vivre une certaine citogennetg europbenne. Compatissant sur leur sort lorsqu’elles sont mazsacrks dans rwtre poste de t&vision, nous sommes agac& de les uoir nous solliciter dans la tranquillit& de nos espaces publics n. Les grandes villes, gerees comme autant d’entreprises, sont plus accueillantes pour les capitaux intemationaux que pour les indigents : l’auteur rejoint ici la pensee de Robert Caste1 qui se dernandait si les responsables locaux pouvaient jouer, 2. la fois, la carte de la reussite economique et celle de la prise en compte des defavorises. Il analyse le role de cg l&at-providence n dans sa mediation lors de l’affaire des arretes, sa politique de logement des personnes defavorisees et sa politique de la ville, qu’il juge insuffisantes et vell&3ires.

Grke a ce livre, chacun d’entre nous peut se remettre en question face aux plus demunis, ceuvrer, chacun dans son coin mais tous ensemble, pour mener une veritable poli- tique de prise en charge de l’indigence ; a defaut de benefi- tier d’un veritable poids dans la lutte contre le chomage et l’urbanisation imbecile (sujet non evoque dans l’ouvrage), chaque citoyen doit lutter en vue d’annihiler le mal. Xavier Emmanuelli, fondateur du SAME social et secretaire d&at a 1’Action humanitaire d’urgence, dans sa preface, parle de generosite, de pitie et de compassion, l’objectif final t%ant la fraternite entre les hommes Ce livre, moins partisan que ne le laisse croire le titre, est une formidable legon d’humanisme, ecrit par un cheminot que la SNCF peut etre f&e de compter dans ses rangs pour mener sa mission a Solidarite >I.

Thierry FWZOLAN