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L’évolution psychiatrique 79 (2014) 225–238 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Article original Des « psychoses affectives » aux « caractéristiques psychotiques » : les symptômes psychotiques selon le DSM, discutés à la lumière d’une série de 16 cas de dépression psychotique From “affective psychoses” to “psychotic features”: DSM’s psychotic symptoms discussed in the light of a series of 16 cases of psychotic depression Michael Saraga a,, Martin Preisig b a Service de psychiatrie de liaison, Policlinique Médicale Universitaire, 44, rue du Bugnon, 1011 Lausanne, Suisse b Service de psychiatrie générale, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, site de Cery, 1008 Prilly, Suisse Rec ¸u le 6 ecembre 2012 Résumé Objectifs. Le DSM-5 donne une définition du symptôme psychotique indépendante de tout concept de psychose. Chez les patients dépressifs, la présence d’hallucination ou d’idée délirante, quelle que soit leur forme clinique, conduit en principe à diagnostiquer une dépression psychotique et à prescrire des neurolep- tiques. Les symptômes psychotiques sont subdivisés par le DSM en « congruents » ou « non congruents » à l’humeur. Nous discutons de la pertinence d’une catégorie de symptômes psychotiques « atypiques », peu évocateurs d’une psychose au sens classique du terme. Méthode. Discussion de la définition opérationnelle des symptômes psychotiques du DSM, étude d’une série de 16 patients chez qui un diagnostic de dépression psychotique a été posé. Résultats. Sur les 16 patients, deux seulement présentaient des symptômes psychotiques classiques, évo- cateurs d’une psychose. Chez les autres, le diagnostic reposait sur la présence de symptômes très atypiques, comme des hallucinations visuelles par exemple. Toute référence à cet article doit porter mention : Saraga M, Preisig M. Des « psychoses affectives » aux « caractéristiques psychotiques » : les symptômes psychotiques selon le DSM, discutés à la lumière d’une série de 16 cas de dépression psychotique. Evol Psychiatr XXXX; vol. (n o ): pages (pour la version papier) ou URL [Date de consultation] (pour la version électronique). Auteur correspondant. Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (M. Saraga). 0014-3855/$ see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2013.07.001

Des « psychoses affectives » aux « caractéristiques psychotiques » : les symptômes psychotiques selon le DSM, discutés à la lumière d’une série de 16 cas de dépression

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L’évolution psychiatrique 79 (2014) 225–238

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Article original

Des « psychoses affectives » aux « caractéristiquespsychotiques » : les symptômes psychotiques selon leDSM, discutés à la lumière d’une série de 16 cas de

dépression psychotique�

From “affective psychoses” to “psychotic features”: DSM’s psychoticsymptoms discussed in the light of a series of 16 cases of psychotic

depression

Michael Saraga a,∗, Martin Preisig b

a Service de psychiatrie de liaison, Policlinique Médicale Universitaire, 44, rue du Bugnon, 1011 Lausanne, Suisseb Service de psychiatrie générale, Centre Hospitalier Universitaire Vaudois, site de Cery, 1008 Prilly, Suisse

Recu le 6 decembre 2012

Résumé

Objectifs. – Le DSM-5 donne une définition du symptôme psychotique indépendante de tout concept depsychose. Chez les patients dépressifs, la présence d’hallucination ou d’idée délirante, quelle que soit leurforme clinique, conduit en principe à diagnostiquer une dépression psychotique et à prescrire des neurolep-tiques. Les symptômes psychotiques sont subdivisés par le DSM en « congruents » ou « non congruents » àl’humeur. Nous discutons de la pertinence d’une catégorie de symptômes psychotiques « atypiques », peuévocateurs d’une psychose au sens classique du terme.Méthode. – Discussion de la définition opérationnelle des symptômes psychotiques du DSM, étude d’unesérie de 16 patients chez qui un diagnostic de dépression psychotique a été posé.Résultats. – Sur les 16 patients, deux seulement présentaient des symptômes psychotiques classiques, évo-cateurs d’une psychose. Chez les autres, le diagnostic reposait sur la présence de symptômes très atypiques,comme des hallucinations visuelles par exemple.

� Toute référence à cet article doit porter mention : Saraga M, Preisig M. Des « psychoses affectives » aux« caractéristiques psychotiques » : les symptômes psychotiques selon le DSM, discutés à la lumière d’une série de 16 casde dépression psychotique. Evol Psychiatr XXXX; vol. (no): pages (pour la version papier) ou URL [Date de consultation](pour la version électronique).

∗ Auteur correspondant.Adresses e-mail : [email protected], [email protected] (M. Saraga).

0014-3855/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.http://dx.doi.org/10.1016/j.evopsy.2013.07.001

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Discussion. – Chez la plupart de nos patients, le diagnostic de dépression psychotique reposait sur des symp-tômes atypiques, dont la nature psychotique est discutable. Ces patients étaient tous migrants, originaires depays pauvres, ce qui suggère une variété d’hypothèses expliquant nos résultats.Conclusions. – Une catégorie de symptômes psychotiques atypiques, en complément des types classiques(congruents et non congruents) pourrait être utile pour préciser davantage leurs contours psychopathologiqueset implications thérapeutiques. Le DSM-5 a cependant pris une voie opposée, en consolidant le type noncongruent à l’humeur comme incluant aussi les symptômes les plus atypiques.© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : DSM ; Psychopathologie ; Diagnostic ; Dépression ; Trouble de l’humeur ; Psychose ; Migration ; Nosologie ;Étude rétrospective ; Étude comparative ; Suisse

Abstract

Aims. – DSM-5 defines psychotic symptoms independently of any concept of psychosis. Theoretically, indepressed patients, any hallucination or delusion, whatever their clinical aspect, implies a diagnosis ofpsychotic depression and the prescription of antipsychotic drugs. The DSMs categorize psychotic symptomsin mood-congruent and mood-incongruent features. We discuss the opportunity of a category for “atypical”psychotic symptoms, not suggestive of the presence of psychosis in the classical sense.Methods. – Discussion of DSM-5’s definition of psychotic symptoms with presentation of a series of16 patients who were diagnosed with psychotic depression.Results. – Among the 16 patients, only two presented with typical psychotic symptoms, suggestive of apsychosis in the classical sense. In the other patients, diagnosis was based on the presence of very atypicalsymptoms, such as visual hallucinations.Discussion. – In most of our patients, the diagnosis of psychotic depression was based on atypical symptoms,the psychotic nature of which is debatable. All these patients were migrants, originating from poor countries,which suggests various hypothetical explanations for our results.Conclusions. – A category for atypical psychotic symptoms, complementing the classical types (mood-congruent and mood-incongruent) would be useful to further delineate their psychopathological andtherapeutic significance. DSM-5 has taken an opposite path, strengthening the mood-incongruent type asincluding the most atypical symptoms.© 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: DSM; Psychopathology; Depression; Mood disorder; Psychosis; Migration; Nosology; Retrospective study;Comparative study; Switzerland.

1. Introduction

1.1. Le DSM et la psychose

Le DSM-5 a introduit assez peu de changements dans la catégorie de la dépression unipo-laire [1]. Le plus discuté est la suppression du deuil comme critère d’exclusion du diagnostic[2]. On trouve sinon trois changements apparemment mineurs qui concernent la présence decaractéristiques psychotiques. D’abord, l’exigence de sévérité disparaît : on pourra ainsi poser undiagnostic d’épisode dépressif léger avec caractéristiques psychotiques, alors que dans le DSM-IVune dépression psychotique est nécessairement sévère. Ensuite, les exemples de symptômes psy-chotiques non congruents à l’humeur figurant dans le DSM-IV disparaissent eux aussi. Enfin, encas de présence simultanée de symptômes congruents et non congruents, c’est la non congruence

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qui l’emporte1. Ces changements obéissent à la logique opérationnelle qui organise le manueldepuis sa troisième édition [3] et clarifient quelques ambiguïtés qui persistaient dans la quatrièmeédition, des embarras liés aux relations entre le DSM et la psychiatrie classique, en particulierpour ce qui concerne la notion de psychose.

Car si, comme cela a été largement commenté à l’époque de sa parution [4–9], le DSM-III aréglé son compte à la névrose, on a moins relevé que les éditions suivantes en ont fait de mêmeavec la psychose, par étapes : la « psychose atypique » (DSM-III) devient le « trouble psychotiquenon spécifié » (DSM-III-R et IV) et la « psychose réactionnelle brève » (DSM-III) est désormaisun « trouble psychotique bref » dans les DSM-IV et -5, où le terme psychose n’apparaît plus dutout – seul figure encore psychotique. L’adjectif est conservé, mais pas le nom et il sera ainsi définisans aucune référence au nom dont il est dérivé.

C’est l’approche opérationnelle adoptée par le DSM-III [3] qui le conduit à évacuer les conceptset donc la psychose, et à préférer définir des opérations de mesure, qui déterminent la présenceet le degré de symptômes observables : donc définir le terme « psychotique » indépendammentde toute référence à un concept de psychose. Dans un dictionnaire de langue [10], la hiérarchieest inverse : « psychotique » est défini comme « relatif aux psychoses, atteint d’une psychose », lapsychose étant une « maladie mentale affectant de manière essentielle le comportement, et dont lemalade ne reconnaît pas le caractère morbide (à la différence de la névrose) » : c’est-à-dire qu’ilfaut savoir ce qu’est une psychose pour comprendre ce que psychotique veut dire.

Le DSM-II parlait de psychoses non attribuables à un problème physique (les psychosesnon organiques, dans la terminologie clinique inspirée de Karl Jaspers). Le chapitre incluait laschizophrénie avec ses différents sous-types, y compris le type schizo-affectif pour les patientsprésentant des symptômes schizophréniques et affectifs ; les psychoses affectives, qui compre-naient la mélancolie d’involution (un diagnostic d’exclusion) et la maladie maniaco-dépressive(avec ses symptômes psychotiques « attribuables à l’humeur dominante ») et enfin les états para-noïaques et la psychose réactionnelle [11]. En pratique, les psychoses formaient un groupe demaladies dont les représentantes principales étaient la schizophrénie, la maniaco-dépression et laparanoïa, qui avaient en commun d’être justement des psychoses, c’est-à-dire qu’elles renvoyaientà un corpus théorique issu de la psychiatrie classique (par exemple, chez Jaspers, le concept deprocessus morbide [12]). Or c’est bien ce que l’approche opérationnelle cherche à éviter : desdéfinitions renvoyant à une théorie, plutôt qu’à une opération de mesure. Ainsi, « psychotique »,à partir du DSM-III, ne peut en aucun cas se définir comme « qui manifeste la présence d’unepsychose » :

« [. . .] le terme psychotique ne concerne que les idées délirantes ou des hallucinationsmarquées, en l’absence de prise de conscience de leur caractère pathologique. Une définitionun peu moins restrictive inclurait aussi les phénomènes hallucinatoires marqués que le sujetqualifie d’expériences hallucinatoires. Plus large encore est la définition qui englobe aussid’autres symptômes de la schizophrénie (i.e., un discours désorganisé, un comportementcatatonique ou grossièrement désorganisé) [. . .] » ([13], p. 897)2.

1 En présence des deux types de symptômes, on posera un diagnostic de « dépression avec caractéristiques psychotiquesnon congruentes à l’humeur » ; c’est sans doute déjà l’usage clinique le plus répandu, mais le point n’est pas explicitedans le DSM-IV.

2 Nous citons le glossaire du DSM-IV, dans lequel cette question est traitée de la facon la plus explicite ; leDSM-III procédait de facon similaire, mais sa définition de « psychotique » était un peu plus complexe (« altérationimportante de l’expérience de la réalité », applicable à un comportement, ou un trouble mental au cours duquel on

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L’idée délirante est ensuite définie comme une « croyance erronée fondée sur une déductionincorrecte concernant la réalité extérieure [. . .] » et l’hallucination comme une « perception sen-sorielle qui procure la même sensation immédiate de réalité qu’une perception réelle en l’absencede stimulation externe de l’organe sensoriel intéressé [. . .] ». On le voit bien : il n’y a aucuneréférence explicite à la notion de psychose : ces définitions permettent de qualifier, sur la base desa description, un phénomène de psychotique ou non psychotique sans se prononcer, en rien,sur la présence d’une maladie psychiatrique. On pourra ensuite chercher si d’autres critèresde tel ou tel trouble sont présents pour poser finalement un diagnostic. Si un phénomène estjugé psychotique sans qu’on trouve d’autre symptôme, on n’en conclut donc pas à la présenced’une pathologie mentale ; mais le symptôme reste « psychotique ». On peut ainsi répertorierdes symptômes psychotiques dans la population dite « normale » [14,15], ou dans le cadre detableaux psychopathologiques très éloignés des psychoses classiques (comme l’état de stresspost-traumatique avec caractéristiques psychotiques, concept parfois défendu dans la littérature[16]).

1.2. Symptômes psychotique et dépression

L’idée que l’on trouve des symptômes psychotiques chez des sujets normaux implique, pourles chercheurs qui y adhèrent, que la psychose est alors une dimension, un continuum [14,15].Cette perspective a des implications thérapeutiques (certains cliniciens utilisent ces résultats pour« normaliser » les hallucinations dont souffrent les patients schizophrènes) et peut aider à luttercontre la stigmatisation des maladies mentales (« ca peut arriver à tout le monde »). D’un point devue clinique en revanche, il n’est à première vue pas très important qu’il puisse y avoir des symp-tômes qualifiés de « psychotiques » chez des personnes sans pathologie psychiatrique, puisqu’enprincipe ces derniers ne consultent pas. Mais c’est autre chose pour la présence de symptômes« psychotiques » chez des sujets souffrant par ailleurs d’un trouble psychique, car ils peuventvenir modifier le diagnostic et éventuellement la prise en charge. C’est le cas pour la dépression,qui peut être spécifiée comme ayant des caractéristiques psychotiques, ces spécifications ayanten principe d’importantes conséquences thérapeutiques et pronostiques.

À partir du DSM-III, une dépression est dite « avec caractéristiques psychotiques » si elles’accompagne d’idées délirantes ou d’hallucinations. Toute idée délirante ou hallucination suffit,il n’y a pas de critères de quantité, de durée, d’exclusion, de répercussion, et aucun critère quant àla forme clinique de l’idée délirante ou de l’hallucination. À ce stade, en bonne logique opération-nelle, il n’y a aucune référence au concept de psychose. Mais le DSM n’était pas tout à fait indemnede son héritage, et la psychiatrie classique faisait retour lorsque le texte proposait de distinguerentre congruence et non-congruence à l’humeur. Les « caractéristiques psychotiques » étaient dites« congruentes » lorsque « le contenu des idées délirantes ou des hallucinations concorde avec lesthèmes dépressifs typiques de dévalorisation, de culpabilité, de maladie de mort, de nihilisme oude punition méritée »3.

attend « obligatoirement » une telle altération, et dont la « preuve indiscutable » est « la présence d’idées délirantes oud’hallucinations non reconnues par le patient comme pathologiques ») ; quant au DSM-5, il ne définit plus « psychotique »seul, mais seulement des « caractéristiques psychotiques », sommairement définies comme « caractérisées par des idéesdélirantes, des hallucinations et des troubles formels de la pensée ».

3 Nous citons toujours la version francaise du DSM-IV, dont les formulations sont plus claires, mais la logique est lamême dès le DSM-III ; le DSM-5 a repris ces définitions telles quelles.

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Notez le typique, qui renvoyait au tableau classique de la mélancolie délirante (c’est-à-dire àla polarité dépressive de la maladie maniaco-dépressive dans le DSM-II). Les « caractéristiquespsychotiques » étaient dites « non congruentes » lorsque « le contenu des idées délirantes ou deshallucinations ne comporte pas les thèmes dépressifs typiques de dévalorisation, de culpabilité,de maladie de mort, de nihilisme ou de punition méritée ». Jusque là, la logique opérationnelletournait à plein régime, le clinicien était doté d’une opération relativement simple pour déciderde la congruence. Le DSM-5 s’arrête ici pour ce qui est de symptômes non congruents ; maisles DSM-III et -IV ajoutaient : « on retrouve des symptômes tels que des idées délirantes de per-sécution (non liées directement à des thèmes dépressifs), de pensée imposée, de diffusion de lapensée ou des idées délirantes d’influence. » Ici, ils se trahissaient : l’idée de « caractéristiquespsychotiques non congruentes à l’humeur » était en fait celle de « caractéristiques schizophré-niques » ou « d’allure schizophrénique » et renvoyait au trouble schizo-affectif de type dépressifdu DSM-II. La schizophrénie n’était cependant pas mentionnée comme référence psychopa-thologique de la non congruence. Et la locution tels que introduisait un flou quant au statutde caractéristiques psychotiques non congruentes à l’humeur qui ne seraient pas telles queces exemples. Les auteurs semblaient espérer que le plus souvent, les caractéristiques noncongruentes seraient telles qu’illustrées ; mais sur le plan opérationnel, celles qui n’étaient pas« telles que » devaient bien être considérées comme telles (elles sont psychotiques et ne sontpas congruentes). En somme, ce à quoi le DSM-IV se référait encore – implicitement – lorsqu’iltraitait de la « dépression avec caractéristiques psychotiques », c’était bien aux psychoses dépres-sives de la psychopathologie classique : la mélancolie délirante d’une part, et des tableaux voisinsde la schizophrénie, auparavant considérés comme schizo-affectifs, d’autre part. D’ailleurs, iln’admettait que des dépressions sévères avec caractéristiques psychotiques, c’est-à-dire qu’ils’agissait bien de troubles graves, de dépressions « si sévères que ca en devient de la psy-chose ». Et le DSM-IV signalait que les symptômes psychotiques non congruents à l’humeurétaient de plus mauvais pronostic, toujours en référence au trouble schizo-affectif du DSM-II.Mais cela restait implicite, pour éviter de se référer à un concept théorique de la psychose.Ces ambiguïtés ont disparu dans le DSM-5, qui, en supprimant les exemples et l’idée de sévé-rité, se coupe définitivement de l’héritage psychopathologique d’une dépression accompagnéede manifestations suggérant une psychose schizophrénique. Cela ne fait l’objet d’aucun com-mentaire dans le texte, et n’a guère été discuté ; ce qui peut se comprendre, puisque sur leplan de l’algorithme diagnostique, la suppression de ces exemples non contraignants ne changerien.

C’est pourtant bien à partir de cette référence aux psychoses classiques que les recomman-dations cliniques ont été élaborées : gravité de la dépression avec caractéristiques psychotiques,prescription de neuroleptiques, éventuellement hospitalisation et électrothérapie [17].

Le problème qui se pose est de savoir dans quelle mesure l’approche du DSM conduitles cliniciens à poser un diagnostic de dépression avec caractéristiques psychotiques devantdes symptômes correspondant à la définition générale du DSM (hallucinations ou idées déli-rantes) mais peu suggestifs de la présence d’une psychose au sens classique, c’est-à-diredifférents des exemples typiques donnés par les DSM-III et-IV. Et dans un second temps, des’interroger sur les conséquences thérapeutiques d’un tel diagnostic. Nous présentons donc unesérie de patients dépressifs, chez qui un diagnostic de dépression avec caractéristiques psy-chotiques a été posé, à un moment ou un autre de leur prise en charge. Nous décrivons letype de symptômes psychotiques répertoriés (en relation avec la trajectoire de migration, pourdes raisons qui seront bientôt évidentes), ainsi que les prescriptions éventuelles de neurolep-tiques.

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2. Méthode

Dans le cadre d’un programme de systématisation du recueil de données cliniques des patientssuivis dans l’unité des troubles de l’humeur du Département de Psychiatrie de l’Hôpital Univer-sitaire de Lausanne, les dossiers de tous les patients inclus dans la base de données (en principe,tous les patients suivis dans l’unité) ont été révisés pour établir un « diagnostic dossier ». Ils’agissait de relever de facon exhaustive les diagnostics ayant été posés dans le passé. Entre le1er octobre 2007 et le 30 septembre 2009, nous avons identifié, parmi les 228 patients inclus dansla base de données (qui constituent la grande majorité de la cohorte de l’unité, compte tenu del’aspect systématique de l’évaluation), 16 patients chez qui, à un moment ou l’autre de leur priseen charge, un diagnostic de dépression unipolaire (récurrente ou non) avec caractéristiques psy-chotiques avait été posé, en moyenne environ trois ans auparavant. On peut estimer que l’âgemoyen de cette petite série de cas était de 43 ans au moment du diagnostic. Nous n’avons pascherché à réévaluer les diagnostics sur la base des dossiers, mais bien à identifier les patientsconsidérés par les cliniciens comme souffrant d’une dépression psychotique (c’est à la pratiqueclinique habituelle que nous nous intéressons, telle qu’on peut s’en faire une idée sur la base dudossier médical).

Nous avons ensuite examiné ces dossiers en détail pour relever tous les symptômes psycho-tiques mentionnés par les cliniciens (nous citons in extenso les éventuels exemples illustratifstrouvés dans les dossiers). Pour déterminer dans quelle mesure le diagnostic de dépressionpsychotique conduisait à des décisions thérapeutiques, nous avons documenté les traitements neu-roleptiques éventuellement prescrits. Nos données incluaient des variables socio-démographiquesdiverses, dont notamment le pays de naissance, que nous rapportons également, en raison de sonimportance.

3. Résultats

Pour la majorité des 16 patients, les symptômes décrits étaient atypiques, c’est-à-dire qu’ilsn’étaient pas tels que les exemples de caractéristiques psychotiques congruentes ou noncongruentes à l’humeur donnés dans les DSM-III et IV (Annexe A). Chez seulement deux d’entreeux (15 et 16), les cliniciens ont clairement décrit un tableau psychotique classique, cohérent,suggérant une schizophrénie ou une mélancolie. Les symptômes des patients 10 à 14 sont plusdifficiles à classer, notamment parce qu’ils sont pauvrement décrits. Les hallucinations audi-tives accompagnées d’idées délirantes de persécution peuvent correspondre à des symptômesnon congruents à l’humeur classiques, proches de symptômes schizophréniques (même si leDSM, dans ses exemples, ne mentionne pas d’hallucinations ; on peut cependant penser que, si leconcept est celui d’un tableau d’allure schizophrénique, les exemples typiques devraient incluredes hallucinations acoustico-verbales). Il paraît cependant peu probable que tous ces patients aienteffectivement souffert d’un syndrome d’allure schizophrénique (d’autant qu’en principe ce typede syndrome est plutôt plus rare que le tableau mélancolique).

Parmi les neuf patients restants, la plupart (1–7) décrivent des hallucinations visuelles (leshallucinations visuelles ne figurent pas parmi les exemples typiques, et sont classiquement consi-dérées comme évocatrices d’une pathologie organique et donc plutôt atypique dans une dépressionpsychotique). Le patient 6 rapporte une idée délirante d’allure schizophrénique (« une force quile pousse à être agressif ») mais aussi une hallucination visuelle et cénesthésique (?) très aty-pique (« un homme noir dans son salon avec qui il se bat physiquement »). Le patient 8 rapporte

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des hallucinations auditives atypiques et une idée délirante également atypique, le patient 9 deshallucinations auditives atypiques.

Ainsi, chez au moins neuf patients sur 16, les cliniciens rapportent des symptômes atypiques,non congruents à l’humeur – ce nombre aurait probablement été plus élevé si le dossier contenaitune description plus détaillée des patients 10 à 14.

L’aspect atypique tient aussi à la structure des symptômes. Six patients (1–3, 9, 11–12) sontdécrits comme présentant des hallucinations sans idées délirantes. Il n’y a jamais d’interprétationdélirante de l’expérience hallucinatoire, les idées délirantes décrites sont sans rapport avec leshallucinations, ne sont jamais bizarres. Elles relèvent en général d’idées de persécution peusystématisées avec un fort sentiment de préjudice (souvent lié à des conflits assécurologiques àpropos d’une invalidité non reconnue). D’une facon générale, ces symptômes sont peu structurés,peu cohérents, peu investis, peu dynamiques.

Le contraste est fort avec les deux derniers patients, qui rapportent une expérience psycho-tique intense, dynamique, structurée, angoissante, occupant une place majeure dans le tableaupsychopathologique.

Selon les DSM-III, -IV et -5, ces tableaux atypiques sont classés comme dépression avec carac-téristiques psychotiques non congruentes à l’humeur, c’est-à-dire comme des tableaux dépressifsextrêmement sévères et nécessitant un traitement neuroleptique. Les cliniciens retiennentd’ailleurs un diagnostic de dépression avec symptômes psychotiques (le plus souvent sans préci-ser la congruence à l’humeur) et prescrivent des neuroleptiques : tous les patients en ont recus, leplus souvent à des doses élevées et sur plusieurs années, sans beaucoup d’efficacité à en croireles dossiers.

Le lien avec la migration est évidemment très frappant : tous les patients chez qui ces symptômesatypiques sont décrits sont originaires de pays méditerranéens, alors que les tableaux classiquessont rapportés chez des patients suisses. Compte tenu de la patientèle de notre policlinique, cespays d’origine suggèrent une trajectoire migratoire difficile (pauvreté et/ou violence subie dansle pays d’origine, difficultés d’intégration en Suisse, etc.).

4. Discussion

Dans notre cohorte, qu’on peut qualifier de naturaliste et clinique (il s’agit des patients habi-tuels d’une policlinique tertiaire spécialisée dans les troubles de l’humeur), les diagnostics dedépression psychotique se basent le plus souvent sur la présence de symptômes atypiques, ne cor-respondant pas aux types classiques (mélancolie délirante ou dépression allure schizophrénique)qui servaient de références aux exemples donnés par le DSM-IV. D’un point de vue clinique, onpeut évidemment discuter de la pertinence de considérer ces symptômes comme psychotiques.Nous suggérons plus bas quelques autres explications. Néanmoins, ce qui importe ici, c’est sur-tout ce que les dossiers illustrent de la pratique clinique : les cliniciens ont retenu le diagnostic dedépression psychotique et ont prescrit des neuroleptiques. Ce phénomène pourrait être spécifiqueà notre centre, dont les cliniciens auraient alors tendance à considérer trop facilement certainssymptômes comme psychotiques. Les diagnostics y sont posés sur la base d’entretiens cliniquesnon standardisés par exemple, et on peut penser qu’en utilisant une procédure plus stricte, ily aurait moins de ce qu’on considérerait alors comme des erreurs dans la procédure diagnos-tique. Cela nous semble cependant peu probable. Parmi les 228 patients de la base de données,133 avaient un diagnostic de trouble unipolaire ; et parmi ces 133, 16 un diagnostic de dépressionpsychotique. Cette proportion (16/133 = 12 %) est plutôt plus basse que celle qu’on trouve dansdes études basées sur l’utilisation d’entretiens structurés ou semi-structurés. Par exemple, Ohayon

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et Shatzberg ont trouvé des symptômes psychotiques chez 18,5 % des sujets avec un diagnosticde dépression, dans un échantillon non clinique [18] (notre cohorte, clinique et suivie dans uncentre tertiaire devrait plutôt comprendre davantage de dépressions psychotiques). Plus récem-ment, 12,2 % de 524 patients remplissant les critères DSM-IV et CIM-10 de dépression unipolairerapportaient des symptômes psychotiques (un chiffre conservateur, puisque les auteurs ont exclules symptômes non congruents à l’humeur) [19]. Ces comparaisons ne suggèrent donc pas unetendance au surdiagnostic des symptômes psychotiques dans notre cohorte. La pratique cliniqueque nous décrivons ici (poser un diagnostic de dépression psychotique sur la base de symptômesatypiques) est ainsi sans doute assez largement répandue. La question peut se poser de savoirdans quelle mesure il s’agit ici des effets directs du DSM-III sur la pratique diagnostique ouplus simplement d’un manque de compétence clinique sans rapport avec le DSM-III, un manquede compétence qui serait alors très largement répandu, puisque encore une fois, les clinicienslausannois ne semblent pas surdiagnostiquer la dépression psychotique lorsqu’on compare nosrésultats avec ceux de la littérature internationale, au contraire. C’est une possibilité. Néanmoins,on peut penser que cette incapacité à référer un symptôme psychotique à un concept de psychosen’est pas sans lien avec l’approche opérationnelle du DSM. Les études déjà citées rapportantune prévalence élevée de symptômes psychotiques dans une population par ailleurs considéréecomme saine illustrent bien à quel point « psychotique » s’est détaché de « psychose », et il noussemble vraisemblable que les cliniciens ne soient pas indemnes de ce changement de paradigme[20].

Il reste cependant à rendre compte de ces phénomènes atypiques (s’ils ne sont pas psychotiques,que sont-ils ?), ainsi que de l’association avec la migration. Nous ne pouvons ici que proposerquelques hypothèses, en précisant d’emblée que, selon nous, toute manifestation psychique n’apas nécessairement à trouver sa place dans une classification, et que la clinique autorise à admettrecertains symptômes sans leur trouver une explication pathologique. C’est chose tout à fait couranteen médecine somatique.

4.1. Une psychopathologie « culturelle » (I)

Certains phénomènes cliniques sont considérés comme « culturels » [21–25] et on peut ainsipenser que les symptômes décrits relèvent de manifestations non pathologiques dans le contexteculturel des patients en question. L’aspect souvent mystique des hallucinations est peut-êtreun argument en ce sens. Le DSM-IV indique que les « expériences culturelles » doivent êtredistinguées de « véritables hallucinations et idées délirantes » mais ne dit rien de la manièred’opérer cette distinction. Dans notre échantillon, le diagnostic retenu était celui de dépressionavec caractéristiques psychotiques, et non de dépression avec expériences culturelles.

4.2. Les difficultés de compréhension

Les aspects sociaux (nos patients migrants, en particulier, ont souvent été très peu scolarisés)et culturels ainsi que les difficultés de langue peuvent brouiller la compréhension entre clinicien etpatient. On peut aussi supposer que pour un patient parlant mal la langue, les questions obtiennentplus facilement une réponse positive (ces patients vont mal, le clinicien cherche à évaluer leurmal, et ainsi répondre oui est aussi une facon de signifier la détresse lorsque la question est malcomprise) ; à l’inverse, lorsque le clinicien comprend mal la réponse, il a sans doute tendance àla considérer, dans le doute, comme positive. En médecine, il est en général plus grave de raterun diagnostic que de poser un diagnostic erroné ; il peut sembler plus sûr, si le patient décrit

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un symptôme semblant correspondre à la définition formelle d’un symptôme psychotique, dele considérer comme tel plutôt que de prendre la décision de l’écarter. Les phénomènes décritsseraient ainsi à rapporter à la relation plutôt qu’à la psychopathologie du patient.

4.3. La dissociation

Les patients migrants de notre collectif ont souvent été confrontés à la violence dans leur paysd’origine, avec de possibles séquelles traumatiques. Des phénomènes dissociatifs peuvent êtredécrits, et considérés par le clinicien, comme psychotiques, ce d’autant plus que la définitionque donnent les DSM-III et suivants des flash-backs peut conduire à les considérer commedes symptômes psychotiques (surtout s’il est difficile d’apprécier dans quelle mesure le patientest conscient du caractère « hallucinatoire » du flash-black). On a décrit une association entresymptômes psychotiques et traumatisme, dans des collectifs cliniques [26,27] ou non [28].La question d’introduire un sous-type d’état de stress post-traumatique « avec caractéristiquespsychotiques » est d’ailleurs régulièrement discutée dans la littérature [15]. Une discussion surla nature, psychotique ou non, de ces manifestations post-traumatiques nécessiterait de se référerà un concept de psychose et n’est donc pas possible dans le cadre épistémologique donné par lesDSM-III et suivants.

4.4. Une psychopathologie « culturelle » (II)

La psychopathologie classique s’est développée dans les pays germanophones au tournant duxxe siècle. Il se peut que la mélancolie et la schizophrénie, telles que décrites dans ce contexte,aient des expressions très différentes en d’autres temps et lieux. Ainsi, l’expression de symp-tômes mélancoliques ou schizophréniques dépendrait du contexte socioculturel (qui moduleraitle processus psychopathologique). Dans cette perspective, les symptômes atypiques décrits dansnos dossiers seraient en fait classiques dans d’autres contextes socioculturels. Mais il resteraità prouver que ces symptômes sont effectivement équivalents, d’un point de vue psychopatho-logique, aux symptômes classiques (au moins, qu’ils marquent une gravité psychopathologiqueet nécessitent une médication neuroleptique). Selon nos observations, les tableaux décrits sontcaractérisés par une mauvaise réponse au traitement, un début tardif (après 35 ans), une évolutionchronique, non récurrente, une mauvaise corrélation entre sévérité de la dépression et présencede symptômes psychotiques, une haute comorbidité avec des troubles anxieux, somatoformes etpost-traumatiques, et apparaissent ainsi assez distinct des dépressions psychotiques classiques[37].

Ce dernier point appelle un commentaire plus général sur la question de la dépression, psycho-tique ou non, dans cette population marquée par l’exil. Avec ou sans symptômes psychotiques,le tableau présenté par les patients migrants de notre cohorte (ils sont 85 sur les 119 patients nonbipolaires suivis dans notre policlinique) présente une série de caractéristiques qui paraît le distin-guer de la dépression classique : évolution chronique, peu de réponse au traitement antidépresseur,nombreux symptômes anxieux et douloureux associés, absence de récurrence. De fait, ce tableausemble déborder largement une clinique purement dépressive, et le diagnostic de dépression estici peut-être malheureux – mais on ne trouve guère d’alternative dans les classifications, qu’ellessoient contemporaines ou plus classiques. L’impression que donnent ces patients est celle d’unerage impuissante, avec un mode d’attribution plutôt externe, assez loin finalement des modèlesclassiques de la dépression, qu’ils soient psychanalytique, cognitivo-comportemental ou mêmephénoménologique. La relative monotonie de ce tableau clinique, atypique dans le cadre de nos

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classifications, mais tout à fait typique dans la succession des rencontres, appelle sans doute unethéorisation qui dépasse le propos de cet article. Tout au plus pouvons-nous suggérer ici quecette clinique nous paraît se cristalliser dans la rencontre avec le système de soin plutôt que dansun cadre culturel ou symbolique donné. C’est ce qui expliquerait, justement, la monotonie de laclinique alors que les parcours migratoires et les cultures d’origine diffèrent. Ce que ces patientsont en commun, c’est bien l’expérience de l’exil, et les difficultés qu’ils rencontrent dans la tâchede se trouver une place dans le pays d’accueil. F. Benslama parle d’un lieu où exister et met en liencette difficulté avec la question de la langue [29]. Il nous semble que le problème est en decà dela langue et relève plutôt d’une parole qui peine à se dire et à être entendue. En lieu et place d’unpartage de l’expérience existentielle douloureuse de l’exil vient se précipiter ce tableau cliniquemarqué par la douleur et le sentiment d’échec, qui se révèle rebelle aux stratégies habituelles deprise en charge. Une parole qui peine à être entendue, c’est dire que la responsabilité de cetterencontre qui se fait mal n’est pas seulement du côté du patient (L. Kirmayer a développé uneréflexion allant dans ce sens, notamment en opposant ce qu’il nomme evidence-based practice etcultural competence [30,31]).

Pour conclure sur les symptômes psychotiques atypiques qui sont plus précisément notre objet,notre impression est que leur statut psychopathologique et leurs implications thérapeutiques sontd’un tout autre ordre que ceux des symptômes mélancoliques ou schizophréniques. C’est là unehypothèse qui n’engage que nous ; mais on peut sans doute nous reconnaître que cette questionmérite d’être posée, plutôt que d’assumer, parce qu’elles partagent ce qualificatif devenu videde « psychotique », qu’il s’agit de manifestations similaires. Des manifestations qui, par ailleurs,ne sont certainement pas limitées aux patients migrants ; c’est bien ce que montrent les étudesqui rapportent une haute prévalence de symptômes dits psychotiques dans la population ditenormale. Mais il est probable, pour les raisons évoquées ci-dessus, que ces symptômes soient plusfréquemment mis en évidence lorsque le patient est migrant. En suivant le DSM, le diagnosticest alors un trouble dépressif avec caractéristiques psychotiques non congruentes à l’humeur, etle traitement inclut systématiquement un neuroleptique. C’est-à-dire que même si les tableaux icidécrits étaient très différents d’une dépression qui aurait un aspect schizophrénique, les patientsont été considérés et traités comme souffrant de ce que le DSM-II appelait un trouble schizo-affectif, sur le plan pharmacologique : neuroleptiques à hautes doses, sur des années, avec, à lalecture des dossiers, peu d’efficacité sur les symptômes psychotiques. Ce profil évolutif est unargument de plus pour distinguer ces tableaux atypiques des dépressions psychotiques classiques :on attendrait tout de même quelques rémissions dans ce groupe suivi pendant plusieurs années.

Nous relevons encore que, parmi les patients atypiques, aucun n’a a été traité par électrothéra-pie (alors que c’est une indication classique) et que les hospitalisations ont été plutôt rares (alorsque les deux patients présentant une dépression psychotique classique ont été rapidement hospita-lisés). Ainsi, les cliniciens, tout en posant le diagnostic et en prescrivant le neuroleptique, étaientsans doute relativement peu inquiets, et réticents à mettre en place des stratégies thérapeutiquescoûteuses.

5. Conclusion

Nos résultats mettent en évidence la présence fréquente, chez les patients migrants suivis pourun trouble dépressif, de manifestations correspondant à la définition de « psychotique » selonle DSM, et néanmoins atypiques et peu évocatrices d’une dépression psychotique au sens clas-sique du terme. Il nous semble que le DSM-5 aurait dû prévoir une troisième qualification pourles caractéristiques psychotiques, distinctes des caractéristiques mélancoliques (« congruentes »)

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et schizophréniques (« non congruentes »), qu’on pourrait appeler « atypiques ». Ces symptômesatypiques ne paraissent pas signaler la présence d’une psychose, i.e. n’évoquent ni une mélancolieni une schizophrénie. Une telle catégorie permettrait d’étudier ce type de dépression et de déter-miner dans quelle mesure les antipsychotiques sont véritablement utiles chez ces patients. Mais leDSM-5 a pris la direction opposée. En supprimant le lien sévérité–symptômes psychotiques et lesexemples (« tels que ») de symptômes non congruents typiquement schizophréniques, le DSM-5 se coupe davantage encore de son héritage classique et fait disparaître la dernière trace d’unconcept de psychose. La logique opérationnelle fonctionnera mieux : on saura comment classerune dépression « légère » accompagnée de manifestations « psychotiques », et il n’y aura plus àhésiter devant des symptômes atypiques, qui seront plus facilement jugés comme psychotiqueset non congruents. Mais la pertinence clinique du diagnostic de dépression psychotique en sera ànotre avis d’autant amoindrie.

Nos résultats, évidemment modestes, ne sont pas de nature à modifier le cours de l’évolutionde la nosologie psychiatrique, dont le train opérationnel lancé en 1980 ne paraît pas près des’arrêter, quand bien même l’échec du projet du DSM-III quant à ses objectifs les plus ambitieux(fonder une nosologie empirique et donc scientifique qui devait permettre d’importants progrèsdans la compréhension physiopathologique des maladies mentales et donc le développement dethérapeutiques novatrices) est de plus en plus évident. Il s’agit sans doute plutôt de rappeler, assezsimplement, que même Spitzer insistait sur l’expérience clinique et la connaissance psychopa-thologique « considérables » nécessaires à l’utilisation appropriée des critères du DSM-III [32] ;c’est dire qu’il ne devait pas être le support essentiel de l’enseignement de la psychopathologiequ’il est devenu [33]. C’est dès lors une psychopathologie de surface à laquelle nous avons affaire,et qui tend ainsi à guider notre clinique. Notre étude de cas s’inscrit ainsi dans un débat plus largesur les fondements épistémologiques du DSM-III, qui dépasse cependant le cadre que nous noussommes donné pour cet article, et renvoie à une littérature abondante, passionnante mais tropsouvent partisane (voir par exemple Maleval [34] ou, en anglais et moins passionné, Schwartz etWiggins [35]). Même si, à titre personnel, nous sommes sensibles aux arguments d’une psycho-pathologie structurale comme celle d’E. Minkowski4, nous avons préféré partir du DSM-III et dela pratique psychiatrique contemporaine tels qu’ils se donnent à voir pour mettre en lumière unproblème clinique spécifique, qui a certes des enjeux épistémologiques majeurs (puisqu’il est bienlié à l’éviction de la notion de psychose, rendue nécessaire par l’approche opérationnelle) maissurtout des implications diagnostiques et thérapeutiques. Le DSM-5 aurait pu inclure une caté-gorie de symptômes psychotiques atypiques, en resserrant la définition que donnait le DSM-IVdes symptômes psychotiques typiques, sans trop remettre en question l’ensemble de son projet.Notre étude nous semble montrer qu’une telle catégorie serait utile. Mais de fait, le DSM-5 a

4 Minkowski discute à plusieurs reprises au fil de son œuvre la question du rapport du symptôme à la structure psycho-pathologique ; par exemple : « Il est évident qu’entre les idées de grandeur d’un paralytique général, d’un schizophrène oud’un paranoïaque il y a une telle différence de nature qu’ils n’ont au fond de commun que le terme qui les désigne ; de sortequ’il n’est guère satisfaisant de les ramener à un même trouble du jugement, tant les fonds mentaux qui les sous-tendentsont différents les uns des autres. De même, comme nous le savons, les hallucinations auditives et les hallucinationsvisuelles sont loin d’avoir la même signification tant pour ce qui est du diagnostic que du pronostic. De sorte que là denouveau se pose la question de savoir si, en suivant la psychophysiologie, nous n’avons pas rangé dans le même chapitrede troubles de la perception, en les différenciant seulement d’après les divers sens, des phénomènes nettement distinctsquant à leur portée vitale. Ces différences s’orientent non pas tant vers les divers sens et les organes réceptifs qu’ilscomportent, comme le veut la psychophysiologie, que sur une analyse des mondes auditif et visuel dans leur spécificité,toujours sur le même plan vital » ([36], p. 154).

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plutôt poussé à son terme logique la démarche opérationnelle débutée par ses prédécesseurs etainsi définitement vidé le terme « psychotique » de toute véritable signification clinique.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Annexe A. Résumé des symptômes.

Origine Hallucinations Idées délirantes Médicationneuroleptique

1 F58 Italienne Elle voit « de grands yeux dans lachambre, dame blanche, une femmeblanche (la Vierge) au pied du lit, deshommes proches décédés qui parlentdans la cuisine » ; elle entend « unevoix menacante et dénigrante » ; ellesent « une odeur nauséabonde »

Pas d’idéedélirante

Olanzapine10 mga > 4 ans

2 F46 Ex-Yougoslavie Elle voit « son père, sa sœur, desmorts » ; elle les entend « l’appelerpour qu’elle les rejoigne »

Pas d’idéedélirante

Quétiapine12,5 mg puisrispéridone1,5 mg, stoppéaprès 2 mois

3 H58 Portugaise Il voit « des couteaux », des « flashesoù il se voit commettre des actesviolents » ; il entend « des bruitsbizarres », une voix lui dire de sedéfénestrer ; il sent une « impressionagréable de lévitation » quand il estdans son lit, une brûlure sur la tempedroite. Pas d’idée délirante

Pas d’idéedélirante

Olanzapine 10 mg,quétiapine150 mg, ariprazole5 mg, sertindole4 mg – tousstoppés aprèsquelques semaines

4 F42 Portugaise Voit « des objets bizarres, des gens lesoir », elle entend une voix qui dit« arrête », « tais-toi » et « c’est ta faute »

Idée délirante : lesgens la regardentquand elle sort

Olanzapine20 mg > 3 ans

5 H36 Ex-Yougoslavie Il voit « une ombre dans la chambre,son épouse changer de taille » ; il nereconnaît plus les visages familiers(interprété comme une hallucinationnégative ?) ; il entend « un enfant quicrie », on l’appelle dans la rue ; il sentqu’une « ombre pénètre son corps,qu’il est dévoré »

Idée délirante : onl’espionne dans larue, on lui veut dumal, on se moquede lui

Olanzapine5–10 mg > 6 ans

6 H47 Turque Il voit « un homme noir dans sonsalon » avec qui il se bat physiquement

Idée délirante :une force le« pousse à êtreagressif »

Olanzapine 15 mgpour 1 an puisquétiapine1800 mg > 2 ans

7 H54 Pays Arabes Il voit « des personnes, des scènes deguerre, le visage de Dieu » ; il entend« les voix de petits enfants demandantde l’aide, les voix de victimesd’injustice, la voix de Dieu luipromettant justice »

Idée délirante :persécution

Rispéridone 4 mgpour 2 ans puisquétiapine200 mg > 3 ans

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Origine Hallucinations Idées délirantes Médicationneuroleptique

8 F44 Portugaise Elle entend « des choses qui tombent,des bruits dans les murs, un ami mortqui dit son nom, des pleurs d’enfants,des pas »

Idée délirante :elle « sent laprésence de sonpère dans lamaison »

Quétiapine700 mg > 7 ans

9 F42 Turque Elle entend son fils qui l’appelle(« Maman »), la clé tourner dans laserrure, un homme l’appeler par sonnom

Pas d’idéedélirante

Rispéridone1 mg > 3 ans (4 mgpour 6 mois)

10 F39 Portugaise Elle entend « la voix d’un hommeinconnu, qui lui fait peur »

Idée délirante : lesgens dans la ruelui veulent du mal,pourraient la tuer

Rispéridone puisaripiprazole15 mg < 1 ans

11 F45 Ex-Yougoslavie Hallucinations acoustico-verbales nonprécisées

Pas d’idéedélirante

Olanzapine10–15 mg > 1 an

12 H43 Pays Arabes Hallucinations auditives non précisées,« sensation bizarre »

Idée délirante :persécutiondiffuse

Olanzapine5 mg < 1 ans

13 F46 Portugaise Pas d’hallucination Idée délirante : sesent jugée,persécutée

Rispéridone1 mg < 1 an

14 H43 Pays Arabes Hallucinations auditives non précisées Pas d’idéedélirante

Olanzapine5 mg < 1 an

15 H39 Suisse « Hallucinations visuelles » nonprécisées ; hallucinationsacoustico-verbales. Idées délirantes :écho de la pensée, idées deconcernement dynamiques (ne regardeplus la télévision), persécution,méfiance

Trouble du coursformel de lapensée

Amisulpride400 mg < 2 ans

16 F59 Suisse Odeurs toxiques, goût toxique dans labouche

Idées délirantes :hypocondrie,pourrissement desorganes, dedégager une odeurpestilentielle

Amisulpride1200 mg,rispéridone 5 mg,clozapine 50 mg,olanzapine 15 mg,aripiprazole10 mg < 2 ans

a Dosage quotidien.

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