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E n 1942, Schumpeter, dans une formule lapidaire, écrivait que l’innovation est une «destruction créatrice », formule paradoxale qui traduit expli- citement les deux faces du phénomène. L’innovation est évidemment porteuse de création à travers le change- ment de technique, de produit, voire de relations humaines qu’elle véhicule. L’innovation est ainsi vécue comme vecteur de progrès économique en élargissant les débouchés, en générant des emplois et des qualifica- tions, en permettant de nouvelles pratiques organisation- nelles, en augmentant la productivité, en transformant les modes d’usages et les mentalités, et, de façon ultime, en modifiant les normes ainsi que les référentiels sociaux. Mais l’innovation est aussi destructrice en ce qu’elle induit des phénomènes de substitution : elle fait disparaître des produits existants, anéantit des parts de marchés établies, rend obsolètes certaines compétences, supprime des emplois, et dissout l’ordre établi. Il n’est donc pas étonnant que les sciences sociales aient consacré, depuis une vingtaine d’années, un développe- ment important à l’analyse de l’innovation et de ses conséquences. Pourtant, malgré ces deux faces contra- dictoires, dans l’ensemble, tout au moins dans les domaines de l’économie et du management, nous attri- buons un signe positif à l’innovation. Implicitement, nous admettons que la différence entre ce qui est créé et ce qui est détruit génère un solde positif moteur du pro- INTRODUCTION PAR TUGRUL ATAMER, RODOLPHE DURAND, EMMANUELLE REYNAUD Développer l’innovation

Développer innovation

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Innovation

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  • En 1942, Schumpeter, dans une formule lapidaire,crivait que linnovation est une destructioncratrice, formule paradoxale qui traduit expli-citement les deux faces du phnomne. Linnovation estvidemment porteuse de cration travers le change-ment de technique, de produit, voire de relationshumaines quelle vhicule. Linnovation est ainsi vcuecomme vecteur de progrs conomique en largissantles dbouchs, en gnrant des emplois et des qualifica-tions, en permettant de nouvelles pratiques organisation-nelles, en augmentant la productivit, en transformantles modes dusages et les mentalits, et, de faon ultime,en modifiant les normes ainsi que les rfrentielssociaux. Mais linnovation est aussi destructrice en cequelle induit des phnomnes de substitution : elle faitdisparatre des produits existants, anantit des parts demarchs tablies, rend obsoltes certaines comptences,supprime des emplois, et dissout lordre tabli.Il nest donc pas tonnant que les sciences sociales aientconsacr, depuis une vingtaine dannes, un dveloppe-ment important lanalyse de linnovation et de sesconsquences. Pourtant, malgr ces deux faces contra-dictoires, dans lensemble, tout au moins dans lesdomaines de lconomie et du management, nous attri-buons un signe positif linnovation. Implicitement,nous admettons que la diffrence entre ce qui est cr etce qui est dtruit gnre un solde positif moteur du pro-

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    PAR TUGRUL ATAMER,RODOLPHE DURAND,EMMANUELLE REYNAUD

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  • grs, aussi bien conomique que social.Mme si le pessimisme postmoderne ou lacritique de lidologie de progrs question-nent le bien-fond de cette croyance, leparadigme dominant fait apparatre linno-vation comme un phnomne dsirable ou, tout le moins, ncessaire.

    I. INNOVATION ET MANAGEMENTSTRATGIQUE

    Le jugement de valeur positif accord lin-novation ne fait aucun doute dans le domainedu management stratgique. Linnovation estassocie (trs souvent de faon implicite ilest vrai) au concept central de la stratgie :lavantage concurrentiel. Ce dernier estncessairement le rsultat dun processusdinnovation. Lavantage concurrentiel estfond sur la manire de raliser diffrem-ment une srie dactivits qui apportent unensemble exclusif de valeur. Lacte fonda-teur de cette diffrence est linnovation.Ainsi nous pouvons dire que linnovation, sacration et son dveloppement sont fonda-mentaux la discipline du management stra-tgique. Pourtant, les manuels consacrs audomaine utilisent peu le mot innovation .La communaut acadmique traditionnelledu management stratgique a davantagedvelopp son dispositif thorique sur lesconsquences de linnovation et son exploi-tation, ainsi que sur les conditions organisa-tionnelles de sa cration, plutt que sur lephnomne lui-mme. En fait, comme labien soulign A.C. Martinet (2003), la strat-gie se considre comme innovatrice en soi.Linnovation peut tre considre comme lamodification des conditions de la concur-rence. Il sagit de modifier les rgles exis-tantes pour trouver un positionnementunique, selon le courant positionniste issu de

    lconomie industrielle. La forme la plusradicale de cette modification sera la redfi-nition des frontires des industries. Linnova-tion sera alors cratrice dun champ dacti-vit nouveau. Elle peut concerner galementla redfinition du champ gographique.Une autre forme radicale concerne, au seindu mme espace concurrentiel, la modifica-tion des lments de valeur propose auclient et/ou la re-conception du systme dechane de valeur. La russite de linnovationdpend alors, dans un premier temps, de lavalidit du positionnement cr par cesredfinitions.Le courant des ressources et des comp-tences considre galement implicitementque lavantage concurrentiel provient dunacte innovant fondateur, relevant dunecombinaison originale des ressources et descomptences. Linimitabilit de cet avan-tage est directement lie aux caractris-tiques des ressources et comptences dve-loppes et dployes.Il est vrai que les approches traditionnellesconsidrent les moments de rupture et demodifications radicales des rgles du jeucomme peu frquents. Dans la logiqueschumptrienne, limitation rapide est unfacteur de dissuasion dans linvestissementsur les activits de cration. Seul le mono-pole temporaire permettant de profiterdune rente est incitatif. Dans le langagestratgique le monopole temporaire estfond sur la difficult dimitation de lavan-tage cr. Aussi ingnieux soit-il, lavan-tage issu de linnovation nest pas seul suf-fisant pour durer. Son exploitation doit allerde pair avec lexploration permanente quiconsiste amliorer et enrichir constam-ment lavantage initial pour quil devienneun systme complexe et difficile imiter.Ce processus damlioration constante peut

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  • tre assimil linnovation incrmentale.Lvolution dune firme est donc caractri-se par de longues priodes de progressionincrmentale suivant des rares priodes derupture lies linnovation radicale.Quant aux relations entre innovation incr-mentale et durabilit de lavantage, lap-proche fonde sur les ressources et comp-tences est plus ambigu. Dun ct, lesressources et les comptences sont sujettes dprciation, il faut donc crer et dve-lopper de nouvelles ressources. De lautre,les routines qui caractrisent les capacitsorganisationnelles ne favorisent pas lesinnovations.La littrature managriale quant elleabonde en histoires de rebelles , de ban-dits ou de dviants qui dfient lordreorganisationnel tabli et personnalisent lesprocessus mergents de bouleversementsstratgiques. Aussi la place de linnovationest-elle devenue explicitement centrale, aveclapparition des concepts ou mots de typeinnovation stratgique, rupture stratgique etrvolution stratgique Au-del desnuances et des diffrences de vocabulaireentre les auteurs, leur point commun estdavancer lide que les discontinuits sontplus frquentes que les thories tradition-nelles pourraient le laisser penser et que lesrgles changent de faon quasi permanentes.Face aux rapidits des changements et auximpossibilits de btir des avantagesdurables, la stratgie devient le dveloppe-ment dune srie dinnovations radicales suc-cessives dont le but est davoir linitiative desperturbations et des surprises sur le march.

    II. DVELOPPER LINNOVATIONForte de la place prpondrante prise parlinnovation dans le champ stratgique, la

    recherche sur linnovation sest partagedepuis une vingtaine danne en trois grandsthmes. Tout dabord, les tudes portent surla diffusion des innovations en fonction deleur type . Sont alors distingues lesinnovations incrmentales ou radicales, deproduits ou de processus, architecturales oumodulaires, et encore centrales (curs)ou priphriques. Dans ces tudes, la finalitest de dterminer quel type dinnovationprocure le meilleur avantage selon les carac-tristiques des entreprises porteuses de lin-novation et la nature de leur environnementconcurrentiel. Ensuite, un deuxime groupedtude centre son attention sur les mca-nismes internes aux entreprises, propres lmergence (crativit) et la slection desnouveauts mises sur le march. Dans cecadre, les aspects de structure de lentre-prise, les dimensions cognitives et psycho-sociologiques des dirigeants, voire lidentitet la culture des membres engags dans leprocessus dinnovation sont convoqus pourvaluer les raisons du succs (ou de lchec)de linnovation. Associs ce deuximegroupe de recherche se trouvent les notionsentre autres de convergence de loffre, din-trapreneuriat, de champions internes, dat-tention, dinertie et de myopie organisation-nelle. Enfin, un dernier bloc dtude seconsacre la rponse innovante des entre-prises face des chocs externes (drgula-tion, globalisation, financiarisation) etinternes (dcision dadopter de nouvellesprocdures dvaluation, de systmes din-formation et de comptabilit modernes,etc.). La capacit dinnovation des entre-prises rsulte ainsi de leur aptitude trans-frer, traduire, et se reprsenter les injonc-tions fortes qui psent sur elles, commeautant de nouveaux critres de slection sus-ceptibles de les liminer du jeu concurren-

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  • tiel. Innover signifie alors adopter de nou-veaux modes de gestion, de nouvellesvaleurs, et de nouveaux processus pouraccompagner lvolution en marche ou aucontraire tenter de la freiner.Notre projet dans ce numro de la Revuefranaise de gestion a cherch se dmar-quer de ces trois chemins dapproche tradi-tionnels de linnovation. Autour du thme dvelopper linnovation nous avonspoursuivi deux objectifs. Dune part, mettreau service de la communaut deschercheurs et surtout des manageurs, unensemble de rsultats pratiques tirs derecherches toutes appliques. Dautre part,envisager les trois volets principaux recou-verts par le terme dvelopper linnova-tion : 1) produire un rsultat observable(performance de linnovation), 2) introduiredes chocs dans lenvironnement (dyna-mique concurrentielle entrane par linno-vation), et 3) faonner les conditionsinternes lentreprise pour permettre larplication du processus (aspect organisa-tionnel de linnovation). Ces trois voletsconstituent donc la structure de prsenta-tion des articles de ce numro.Un regard densemble sur ces articles per-met de livrer le constat suivant.Premirement, le type dindustries abordespar les recherches est vari : industrie bio-technologique, pharmaceutique, cinmato-graphique, des TIC (technologies de lin-formation et de la communication), chimie,tlcom. La diversit concerne galement lestade de dveloppement des entreprisesdans leur contexte concurrentiel : start-up,PME et grandes entreprises sont toutesimpliques par la problmatique du dve-loppement de linnovation. Cette diversitdans les industries et les stades de dvelop-pement tudis est source dune richesse

    des points de vue et conduit envisager lapluralit des dimensions impliques par lanotion de dveloppement des innovations.Deuximement, ces articles sappuient surdes rsultats de recherche antrieurs etcherchent approfondir les relations pluttqu les dmontrer une fois de plus. Parexemple, les articles de O. Bruyaka et J.-P. Muller tudient leffet modrateurdun facteur (les alliances, la rponse desconcurrents) sur la performance dinnova-tion. En cela, ils attestent dun degr dematurit renforc de la recherche franaise.Troisimement, plusieurs articles apportentdes rsultats qui questionnent certainesides reues ou relvent des lmentsoublis par les recherches classiques surlinnovation. Par exemple, F. Lasch, F. Le Royet S. Yami montrent que par comparaisonles caractristiques de lentrepreneur sem-blent moins dterminantes pour la surviedes start-up TIC que des facteurs organisa-tionnels. A. Vas souligne le rle protecteurde la bureaucratie dans la phase pralable la diffusion dune innovation organisa-tionnelle. A.-L Saives, M. Ebrahimi,R. Desmarteau et C. Garnier rappellent lanature profonde des ruptures imposes auxjeunes entreprises pour passer du stadestart-up au stade entrepreneurial puis austade managerial. Ces nouveaux regards surlinnovation engagent les chercheurs surdes voies imparfaitement explores, o semlent dautres dterminants du succs delinnovation, tels que les facteurs nationaux(politiques et institutions) et culturels.Quatrimement, certains articles rappellentles aspects stratgiques de linnovation enen soulignant les dimensions fondamen-tales. Par exemple, R. Dumoulin et . Simonclairent dune lumire crue le problme dela rplication des innovations stratgiques

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  • pour les entreprises de taille modeste,posant par la mme la question de la dura-bilit de lavantage concurrentiel retir dudveloppement des innovations. Gastaldiassocie lhistoire du couple stratgie-inno-vation au dveloppement daptitudes orga-nisationnelles particulires tandis queC. Ayerbe et L. Mitkova dtaillent la com-ptence de protection et de valorisation desbrevets chez Air Liquide. Ainsi, lexplorationde nouvelles connaissances et applicationssemble-t-elle tre bien indissociablementlie la capacit productive de lentreprise,renvoyant un cho inquitant aux tenantsdune conomie fonde quasi-exclusivementsur le savoir et les services .Cinquimement, au niveau de lindustrie,les comportements face linnovation sta-blissent de manire diffrencie. Dans le casde lindustrie cinmatographique, P. Roymontre comment les leaders de march peu-vent redistribuer les cartes leur avantageen redfinissant les rgles concurrentielles.Bonhomme, Corbel et Sebai illustrent larpartition des taches dexploration et dex-ploitation de la connaissance en fonction dudegr de maturit du secteur et de la proxi-mit des activits de lentreprise avec lescentres de recherche fondamentale.Cest donc une rflexion que nous souhai-tons riche et hors sentiers battus que nousconvions les lecteurs, en signalant nou-veau leffort collectif dploy pour rassem-bler ces contributions autour dune thma-tique porteuse de nouvelles pratiques et defutures recherches.

    III. PRSENTATIONS DES CONTRIBUTIONS

    Les diffrents articles composant cenumro sattachent aux trois volets recou-

    verts par le thme dvelopper lentre-prise , quil sagisse tant de la perfor-mance de linnovation, de la dynamiquesectorielle quelle engendre, que de sonorganisation au sein des entreprises.En matire de performance, Olga Bruyakasintresse aux dterminants de la perfor-mance de la recherche et dveloppementdans le secteur des biotechnologies. Lidephare de larticle est centre sur le choixstratgique entre spcialisation ou diversifi-cation de la recherche conduite et lampleurdes connaissances scientifiques produitespar les entreprises de biotechnologie. Larecherche conduite auprs de 382 socitsfranaises de biotechnologie montre que laproductivit de la recherche est une fonc-tion croissante des comptences dans desdomaines spcialiss de recherche cibls.Mais, lassociation avec une grande entre-prise pharmaceutique ne semble pas indis-pensable laccroissement des connais-sances produites. Ces rsultats sexpliquentvraisemblablement par le contexte indus-triel franais.Larticle de Frank Lasch, Frdric le Roy etSad Yami sattache, pour sa part, aux dter-minants de la survie et de la croissance desstart-up TIC. Il postule que le capitalhumain du crateur, la prparation la cra-tion et les caractristiques de lentrepriseont une influence sur la survie. Larecherche effectue sur un chantillon de498 firmes, 278 survivantes et 220dfaillantes, montre des rsultats contras-ts. Alors que les caractristiques des entre-preneurs et la prparation la cration ontune influence faible sur la survie, les carac-tristiques organisationnelles (capitalinvesti, clientle, et localisation) sont dter-minantes. Au sein de cet chantillon, lessuccs et checs dpendent donc principa-

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  • lement de facteurs dconnects de la per-sonne de lentrepreneur.Enfin, Jean-Philippe Muller se penche sur lesconsquences du comportement des concur-rents sur la performance des nouveaux pro-duits. Selon cet article, la raction desconcurrents joue un rle mdiateur entre lastratgie dinnovation et la performance deslancements raliss. Lauteur propose unmodle causal de la performance dun nou-veau produit. Ce modle est test grce uneenqute postale auprs de 161 entreprises.Les rsultats montrent limpact de la ractiondu principal concurrent sur la performancedu nouveau produit. Mais cet impact est par-fois contre-intuitif. Certes, conformmentaux enseignements de la littrature, plus ledlai de raction du concurrent augmente etplus la performance en bnficie : linnova-teur jouissant, pour un temps, dune situationde quasi-monopole. Mais, et cest l plustonnant, plus il est agressif, plus la perfor-mance samliore. Ce principal concurrentjouerait-il leffet de faire-valoir? La publi-cit quil fait sur le produit imit bnficie-rait-elle au premier entrant? Autant de ques-tions ouvertes par cet article.Le deuxime groupe darticle sattache la dynamique sectorielle en matire din-novation.Rgis Dumoulin et ric Simon tudient lapossibilit de rplication des stratgies derupture pour les PME. Si la rupture dans unsecteur est apprcie par la modification desfacteurs-cls de succs sous laction dunconcurrent, cette rupture peut tre initiepar une entreprise quelle que soit sa taille.Le cas de Mextract illustre ce phnomne.Cette entreprise dextraction a propos uneinnovation de rupture grce un nouveaumode dextraction des matires premires.

    La mise en place de cette innovation chez leclient ncessite un investissement spci-fique, les ruptures ne peuvent donc tre suc-cessives sous peine dtre coteuses. Aussi,le nouveau modle daffaire doit tre pro-tg, enfermant les entreprises de taillemodeste dans un rle dfensif pendant denombreuses annes.A contrario, Pierre Roy se proccupe desgrands groupes. Il montre que la perturba-tion des rgles du jeu par le leader peut luipermettre de conforter sa position. Alorsque le registre de lagression parat rservaux challengers, ltude du march dessalles de cinma multiplexes souligne lerle majeur jou par un acteur dominant,Path, rachet en 1990 par le groupe Char-geurs. Le regard neuf port par son diri-geant, non issu du milieu cinmatogra-phique, a permis lmergence de solutionsinnovantes. Le concept des multiplexessest rapidement diffus du fait de la natureoligopolistique du secteur, ni UGC, ni Gau-mont ne voulant demeurer la trane. Dslors, ils ont revitalis le secteur en dclin audbut des annes quatre-vingt-dix : la tailledes quipements permettant daccueillirune population plus importantes tandis quela qualit des nouveaux quipements (faci-lit de parking, confort des salles) attirait denouveaux consommateurs. Des effets sesont fait sentir sur la dynamique concurren-tielle avec une bipolarisation du secteur :dun ct, les multiplexes diffusant lesgrandes productions ; de lautre, les petitessalles ddies aux films dauteurs. Toujoursen matire de dynamique concurrentielle,entre multiplexes la concurrence sestdplace du contenu (identique partout) aucontenant (la salle, sa localisation, les prix,les facilits de parking, etc.). Les leaders

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  • ont ainsi consolid leur position dans lafilire en imposant un modle conomiquequi leur est plus favorable.Enfin, dans lindustrie pharmaceutique,Yves Bonhomme, Pascal Corbel et JihaneSebai examinent les diffrences entre lesgrands laboratoires pharmaceutiques et lesstart-up spcialises dans les nouvellestechnologies, afin dapprhender les com-plmentarits si souvent voques dans lalittrature. Sagit-il de diffrences de struc-ture ou bien de nature des savoirs produits ?Pour rpondre cette interrogation, lesauteurs tudient les citations des brevetsdposs par les entreprises traditionnelles etles entreprises de biotechnologie. En effet,chaque brevet comprend un ensemble decitations refltant ltat de lart au momentde sa publication. Les citations des brevetsreprsentent donc une variable approchedes technologies environnant linnovationactuelle. Ltude des brevets dposs en2003 aux tats-Unis par quatre big phar-mas et trois biotechs montre des dif-frences relatives leur activit originelle etaux liens entretenus avec la recherche fon-damentale. Tout dabord, les rfrences auxbrevets de lindustrie chimique sont plusfrquentes pour les laboratoires tradition-nels. Ces derniers restent donc partielle-ment lis leurs comptences originellesalors que les start-up sen loignent par lin-troduction des biotechnologies. Ensuite, lescitations duniversitaires sont plus impor-tantes pour les starts-up do une ouvertureplus forte sur les processus de rechercheexterne. Cette recherche laisse donc sugg-rer que les entreprises de biotechnologieont un rle proche de celui de la recherchefondamentale et en tous cas en amont deslaboratoires traditionnels. Les start-upseraient alors le lieu de production des ides

    tandis que les laboratoires traditionnelsdvelopperaient les molcules grandechelle grce leurs connaissances en chi-mie. Cet article ouvre aussi la voie dautres travaux partir de la mthode ori-ginale de citation des brevets.Le dernier groupe darticles fait le point surlorganisation interne aux entreprises,ncessaire pour supporter linnovation.Ainsi, toute innovation demande une accep-tation des diffrents protagonistes, cestpourquoi Alain Vas explore la vitesse depropagation interne dun changement. Iltente didentifier les leviers sur lesquels lesmanagers pourraient jouer pour acclrer lerythme de propagation aux diffrentsniveaux de lentreprise. Ltude du casdune entreprise europenne de tlcommu-nication confronte la fin de son mono-pole a permis dapprhender les freins et lesleviers du changement. Le climat et la cul-ture jouent un rle majeur. Ainsi, durant lapriode de pr-adoption du changement, lecontexte bureaucratique a scuris lesacteurs impliqus et fut donc un facilitateur.Le corollaire rside dans la faible implica-tion des acteurs (deux tiers des personnesinterroges ne souhaitent pas sinvestir dansle changement), les organisations syndi-cales deviennent donc le filtre organisation-nel incontournable. Par ailleurs, les rela-tions suprieurs-subordonns sontimportantes. Ainsi, ce sont les leaders detype coach (orients relations et tches)qui permettent la meilleure propagation duchangement. De mme, les rseaux inter-personnels sont un dispositif dassistanceinformel durant la priode post-change-ment. Des variables plus videntes commela propension au changement ou luti-lit perue sont elles-aussi importantes ;autant de rsultats permettant aux managers

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  • dactionner les leviers et de grer les freinspour acclrer la vitesse de changement.Dans larticle suivant Anne-Laure Saives,Mehran Ebrahimi, Robert Desmarteau etCatherine Garnier sattachent comprendrele cycle de dveloppement dentreprisesessentiellement tournes vers la recherche savoir les entreprises de biotechnologie.Compte tenu des moyens financiers dontelles ont besoin, puisque dpendant pourbeaucoup du capital risque, ce type dentre-prise se doit de considrer le savoir commeun produit financier et ceci ne va pas sansposer problme. Lanalyse des donnesissues du codage du contenu de 110 entre-tiens permet didentifier trois modes dedveloppement pour les entreprises de bio-technologie canadiennes. Dans le premiercas, un chercheur, souvent un universitaire,est porteur dun projet scientifique. Lappli-cabilit nest pas ncessairement recher-che. Le chercheur tant fortement li sacommunaut, lvaluation de la cration desavoir est acadmique : publications et bre-vets. Dans le second cas, le chercheurdevient entrepreneur, il est porteur dunprojet technologique. Lapplicabilitdevient un objectif. Lautonomie aussi maiselle est conditionne par les apporteurs decapitaux. Lvaluation de la cration devaleur est dlicate, les instruments tradi-tionnels sont inadapts aux actifs intan-gibles et des instruments plus spcifiquesfont dfaut. Le troisime cas est manag-rial. Lentreprise est gre pour les action-naires, les scientifiques ont peu peu tcarts des prises de dcisions. Un porte-feuille de brevets est gr. Lvaluation dela cration de valeur, via la cration desavoir, est systmatise mme si elle seheurte aux insuffisances des instrumentsdisponibles. Le passage dun mode de ges-

    tion un autre est lorigine de deux typesde ruptures : une rupture tlologique ,cest--dire sur la finalit, le chercheurdevant acqurir une orientation commer-ciale ; une crise de crativit lie labureaucratisation du processus dinnova-tion. On arrive rapidement un paradoxe, lesavoir est peru comme un investissementimmatriel cest pourquoi lon systmatisesa gestion mais la routinisation est lori-gine de sa destruction. Le savoir ne pouvanttre gr comme une marchandise, dautresmodes de gestion restent inventer.Dans la mme optique, Lise Gastaldi etChristophe Midler se penchent sur le pilo-tage des activits de recherche industrielle.Une articulation doit soprer entre la stra-tgie, dune part, qui demande un raccour-cissement des cycles dinnovation et laconstruction de comptences de recherche,dautre part, qui na de sens que sur le longterme. Ltude du cas dune entreprise dechimie fine, grce une quarantaine den-tretiens a permis de retracer les volutionshistoriques des modes de pilotage de larecherche. Trois priodes sont mises en vi-dence. La premire de 1960 1975 est dli-brment conduite par la recherche, lesrequtes du march ny ont que peu deplace. La seconde de 1975 1995 est carac-trise par un contexte conomique dfavo-rable, la crise ptrolire tant loriginedune augmentation du prix des matirespremires. Peu peu les budgets derecherche se tarissent et les innovationsventuelles sont dictes par le march.Paralllement, lobjectif de rsolution desproblmes prend le pas sur la crationdides originales, dtruisant peu peu lepotentiel dinnovations radicales. Du faitdes limites prsentes par le modle derecherche prcdent, une troisime priode

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  • apparat partir de 1995. La recherchedevient affecte chaque business unit maisau lieu de rpondre un problme prcis,des fonctionnalits sont dessines. Lappli-cabilit de linnovation est toujours mainte-nue mais une latitude est laisse auchercheur pour lui permettre dinnover. Cenouveau mode de coordination est particu-lirement intressant dans la mesure o ilsouligne la possibilit mais aussi la nces-sit dinterdpendance entre recherche etstratgie, chacune devant tenir compte descontraintes de lautre.Pour finir, larticle de Ccile Ayerbe etLiliana Mitkova sattache un processus degestion intgr des brevets grce ltudedu cas dAir Liquide. Il sagit de la descrip-tion dun cas exemplaire dans un domaineo le management est gnralement juri-dique. Ici, grer les brevets ne concerne pasuniquement leur dpt mais aussi le choixdes modalits de valorisation et dexploita-tion. Le cas dAir Liquide est en ce sensintressant dans la mesure o le manage-ment des brevets a t systmatis au tra-vers de la mise en place dun nouveau sys-tme dinformation. Afin daugmenter lenombre de dclaration dinvention, lori-gine dun brevet, un comit interdiscipli-naire a t constitu. Les ingnieurs brevetsincitent les chercheurs procder desdclarations en les soutenant dans la rdac-tion du formulaire, laide prochainementdune dclaration en ligne. Les marketers,pour leur part, offrent des informationsconcernant les applications potentielles dubrevet. Par ailleurs, le passage en ligne faci-lite laccs linformation et le partage desdonnes. La traabilit effective de lutili-sation des brevets peut enfin, tre un outilde motivation des chercheurs mme devrifier laboutissement de leur travail.

    Au total, cest un large panorama dtudesqui est propos dans ce numro, autour duthme fdrateur dvelopper linnova-tion , tudi non seulement sous langlede laccroissement du potentiel concurren-tiel de lentreprise (performance sur lemarch), mais aussi en tant que modifica-tion de la structure de lindustrie, et enfin,que constitution interne de lentrepriselamenant renouveler ou non ses res-sources et comptences.Soulignons enfin, en guise douverture deprochains travaux, que mme si de nom-breuses pistes de recherche sont dessinespar lensemble de ces articles, il nendemeure pas moins que des voies compl-mentaires restent approfondir. Notam-ment, la dimension internationale du dve-loppement de linnovation demeure engrande partie absente des articles soumis la confrence et par consquent ne seretrouve pas dans cette slection. Or, cetteabsence est dautant plus criante que denombreux papiers incitent penser que lecontexte national est dterminant dans lex-plication de certains rsultats (par exempleBruyaka, Roy, Saives et al.). En outre, lesaspects liant les dterminants organisation-nels de la performance (structure, aptitudeset comptences associes) et le dveloppe-ment de linnovation font limpasse sur ladimension de la crativit organisation-nelle, champ de recherche qui reste explo-rer. Enfin, une dernire facette envisagerconcerne lassociation entre innovation(quelle soit de produit ou quelle porte surle modle stratgique plus gnral) et lesvaleurs et ides relatives la responsabilitsociale des entreprises par le truchementdu dveloppement durable, de la protectionenvironnement, ou de laide aux commu-nauts en marge des socits dveloppes.

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