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277 Données nouvelles sur le « Pays de Mari » 1 Lionel Marti CNRS UMR 7192. L'évaluation de l'importance d'un événement historique en fonction des sources à notre dis position et de l'impact que ce dernier a eu pour ses contemporains est une des grandes diffi cultés des études historiques, car l'historien est toujours limité par ses sources. Ainsi un évé nement d'une importance majeure à l'époque peut passer inaperçu aujourd'hui alors qu'une anecdote émergeant dans une période peu documentée risque de prendre une importance qui excède sa portée réelle. Sans aller jusqu'à ces extrêmes, l'appréciation d'un événement est souvent liée à son poids documentaire. Il est notoire que Toutankhamon, pharaon d'une im portance relative, doit sa notoriété mondiale à une tombe exceptionnellement préservée. Ce phénomène est connu en théorie, mais on en tient relativement peu compte dans les faits; dans nos études orientalistes, il devrait pourtant y occuper une place majeure, puisque nous prenons en compte le plus souvent des points d'ancrage documentaires, chronologiques ou géographiques, séparés par de grands vides d'information. Lorsque de nouveaux lots do cumentaires, textuels ou archéologiques, sont découverts, l'histoire d'une période ou d'une région est souvent à réapprécier. Les études de géographie historique sont particulièrement tributaires de ces réappréciations, d'autant plus que l'identification d'un tell tant qu'il n'a pas livré de textes explicites est très souvent affaire de conjecture (et de conjoncture!), ce qui rend aléatoire l'adéquation entre sites et toponymes des textes, surtout qu'il faut prendre en compte les changements de désignations au cours des siècles, des phénomènes d'homonymies et de « toponymie en mi roir », ce qui rend d'autant plus complexe l'entreprise des identifications. Mes remerciements vont à J.M. Durand avec qui j'ai eu de fructueuses discussions sur ce sujet et dont nombreuses suggestions m'ont été précieuses au cours de l'élaboration de cet article; ma gratitu de s'adresse à D. Charpin et N. Ziegler pour leur re lecture attentive et leurs remarques. Il suffit de consulter ce qui était écrit sur la Syrie du 3 e millénaire avant la découverte des archives d'Ebla. Et peut parfois mener à des théorisations hasardeu ses, telle que celle dévelopée par M. Wäfler, Tall al Hamidiya 3, OBO SA 21, Göttingen, 2001. On se reportera aux commentaires sur ce volume par G. Chambon dans cet ouvrage. Voir par exemple la question de l'existence de plu sieurs DûrAddu etc. D. Charpin, « La “Toponymie en miroir” à l'épo que amorrite », RA 97, 2003, p. 334.

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Données nouvelles sur le « Pays de Mari »1

Lionel MartiCNRS UMR 7192.

L'évaluation de l'importance d'un événement historique en fonction des sources à notre dis­position et de l'impact que ce dernier a eu pour ses contemporains est une des grandes diffi­cultés des études historiques, car l'historien est toujours limité par ses sources. Ainsi un évé­nement d'une importance majeure à l'époque peut passer inaperçu aujourd'hui alors qu'uneanecdote émergeant dans une période peu documentée risque de prendre une importancequi excède sa portée réelle. Sans aller jusqu'à ces extrêmes, l'appréciation d'un événement estsouvent liée à son poids documentaire. Il est notoire que Toutankhamon, pharaon d'une im­portance relative, doit sa notoriété mondiale à une tombe exceptionnellement préservée.

Ce phénomène est connu en théorie, mais on en tient relativement peu compte dans lesfaits; dans nos études orientalistes, il devrait pourtant y occuper une place majeure, puisquenous prenons en compte le plus souvent des points d'ancrage documentaires, chronologiquesou géographiques, séparés par de grands vides d'information. Lorsque de nouveaux lots do­cumentaires, textuels ou archéologiques, sont découverts, l'histoire d'une période ou d'unerégion est souvent à ré­apprécier.

Les études de géographie historique sont particulièrement tributaires de ces ré­appréciations,d'autant plus que l'identification d'un tell tant qu'il n'a pas livré de textes explicites est trèssouvent affaire de conjecture (et de conjoncture!), ce qui rend aléatoire l'adéquation entresites et toponymes des textes, surtout qu'il faut prendre en compte les changements dedésignations au cours des siècles, des phénomènes d'homonymies et de « toponymie en mi­roir », ce qui rend d'autant plus complexe l'entreprise des identifications.

Mes remerciements vont à J.­M. Durand avec quij'ai eu de fructueuses discussions sur ce sujet etdont nombreuses suggestions m'ont été précieusesau cours de l'élaboration de cet article; ma gratitu­de s'adresse à D. Charpin et N. Ziegler pour leur re­lecture attentive et leurs remarques.

Il suffit de consulter ce qui était écrit sur la Syrie du3e millénaire avant la découverte des archivesd'Ebla.

Et peut parfois mener à des théorisations hasardeu­ses, telle que celle dévelopée par M. Wäfler, Tall al­Hamidiya 3, OBO SA 21, Göttingen, 2001. On sereportera aux commentaires sur ce volume par G.Chambon dans cet ouvrage.

Voir par exemple la question de l'existence de plu­sieurs Dûr­Addu etc.

D. Charpin, « La “Toponymie en miroir” à l'épo­que amorrite », RA 97, 2003, p. 3­34.

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Dans le cadre de nos études, il m'a paru intéressant d'aborder une illustration de ces pro­blèmes, à savoir la question de la pérennité du souvenir de la « grande Mari sur l'Euphrate »dans le « pays de Mari », que l'on sait désormais se situer autour du site moderne de TellTaban, au sud de la ville d'Hassake.

L'importance des archives de Mari, l'actuel Tell Hariri, est telle pour notre connaissancede l'histoire du Proche­Orient ancien qu'il parait en soi évident qu'une telle ville n'a pu quelaisser un grand souvenir après sa destruction par Hammu­rabi de Babylone. Cette « évi­dence » a très rapidement été confortée par la découverte de documents dans ce sens.

Ainsi l'association, depuis E. Weidner, du Tukultî­Mêr, roi du pays de Hana, avec le Tu­kultî­Mêr, roi du pays de Mari, vaincu par Aššur­bêl­kala, prouverait­elle la survie du topo­nyme.

De même, lorsque les gouverneurs du pays de Suhûm au siècle prenaient le titre dansleurs inscriptions de « gouverneur du pays de Suhûm et de Mari », considérait­on qu'ils'agissait là du souvenir de l'antique « Mari sur l'Euphrate », bien que la réalité géographiqueen ait évolué. Dans le Reallexikon, J.­R. Kupper faisait ainsi l'inventaire naturel des occur­rences « post­mariotes » de Mari.

La publication par S. Maul des textes de Tell Bderi a commencé à compliquer les choses,puisque l'un de ses souverains, Aššur­kettî­lêšer, s'y disait « roi du pays de Mari », une régionsituée à l'évidence autour de sa capitale Ṭâbete. À partir de là, on a donc considéré qu'il avaitexisté deux Mari, l'une dans le nord, l'autre à Tell Hariri, mais à des époques différentes.

Il ne s'agit pas à l'heure actuelle de fournir une solution définitive au problème, mais deprésenter les étapes modernes de sa redécouverte et les réponses successives aux différents ap­ports documentaires. Ainsi, s'agit­il d'abord d'envisager succinctement la possible survivanced'un souvenir de la « Mari de l'Euphrate » dans la conscience proche­orientale, tout en con­frontant l'importance que cette dernière a pour les recherches modernes à ce que les Anciensnous en ont dit. Ensuite, d'étudier les différents moments de la compréhension actuelle decette notion « pays de Mari », en confrontant l'ensemble de ces données et l'image qu'ellesfournissent du royaume de Mari d'époque moyenne.

E. Weidner, « Tukulti­Mêr », AnOr 12, 1935, p.336­338.

G. Frame, The Royal Inscriptions of Mesopotamia. Ba­bylonian Period Volume 2. Rulers of Babylonia fromthe Second Dynasty of Isin to the End of Assyrian Do­mination (1157­612 BC), Toronto, 1995, p. 288­323, par exemple S.0.1002.1: 1, 29, 44 48;S.0.1002.2: 1, ii 22, 31, iii 23, iv 27.

J.­R. Kupper, « Mari A. Philologisch », RLA 7,1989, p. 389­390.

S. M. Maul, Die Inschriften von Tall Bderi, BBVOT2, Berlin, 1992; et S. Maul, « New InformationAbout the Rulers of Tabetu », Al­Rāfidān 20, 1999,p. 49­55. Récemment, les textes de Tell Taban sesont ajoutés à ce corpus (S. Maul, Die Inschriftenvon Tall Ṭābān (Grabungskampagnen 1997­1999).Die Könige von Ṭābītu und das Land Māri in mitte­lassyrischer Zeit, ASJ SS 2, Tokyo, 2005).

Lionel Marti Données nouvelles sur le « pays de Mari »

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1. L'importance de Mari1.1 L'importance documentaire de MariLorsque André Parrot débuta ses fouilles sur le site du Tell Hariri en décembre 1933, il com­prit très rapidement que ce dernier allait avoir une importance considérable pour nos con­naissances sur le Proche­Orient ancien et les fouilles qui s'y poursuivent toujours n'ont pasdémenti cette impression première. La « moisson épigraphique », selon les termes d'A. Par­rot, s'est poursuivie, portant à plus de 20 000 le nombre de documents à notre disposition.Leur caractère exceptionnel vient essentiellement du type d'écrit trouvé, non seulement destextes économiques mais aussi de nombreuses lettres, pour une période relativement courte,ce qui permet une vision, parfois au jour le jour, des événements économiques ou politiques.L'aire géographique documentée par les archives est très vaste, allant de la Méditerranée(Chypre et Crète) à l'Iran (Anšan) et du Golfe Persique (Bahrein = Dilmun) à la Turquie(Hattuša); elles ont donc une place centrale dans la compréhension de l'ensemble de l'époqueamorrite et sont une source d'informations, directes ou indirectes, inégalée jusqu'ici del'« Ouest » au siècle, puisque les capitales de cette partie du Proche­Orient n'ont jus­qu'à présent livré que peu de documents. Outre leur importance pour l'histoire politique,ces archives révèlent dans toute sa complexité un monde qui jusqu'à elles n'avait été quesoupçonné, celui des « Bédouins » et de leurs « monarchies bédouines » amorrites. Le monde

A. Parrot, Mari, une ville perdue, Paris, 1945. Dèsson deuxième rapport de fouille A. Parrot (« Lesfouilles de Mari », Syria 17, 1936, p. 15) précisait:« La découverte de ce palais (…) énorme et extraor­dinairement bien préservé va nous donner une do­cumentation de tout premier ordre ». Il ajoutaitque « les photos de l'Aviation française du Levant(…) laissent entrevoir le développement encoreplus imposant de ce complexe qui fera du palais deMari un des plus grands de l'antiquité », et de con­clure p. 29­30 que « Cela seul en dit long sur la pros­périté et le rayonnement de Mari à la fin du IIImillénaire. Cela explique que la ville ait cru pou­voir tenir tête à Hammu­rabi lui­même ».

Les dernières publications des fouilles de Mari se re­trouvent dans J.­C. Margueron, Mari, métropole del'Euphrate au III et au début du II millénaire av. J.­C., Paris, 2004 et J.­C. Margueron, « Tell Hari­ri/Mari : Archéologie », SDB 14, fascicule 77­78,Paris, 2008, col. 17­212.

Pour une présentation de la documentation mario­te voir D. Charpin, N. Ziegler, Florilegium Maria­num V. Mari et le Proche­Orient à l'époque amorrite.Essai d'histoire politique, Mémoires de N.A.B.U. 6,Paris, 2003, p. 12­18.

D. Charpin, « Histoire politique du Proche­Orientamorrite (2002­1595) », P. Attinger, W. Sallaber­ger, M. Wäfler (éd.), Mesopotamien. Die altbabylo­nische Zeit. Annäherungen 4, OBO 160/4, Fribourg,Göttingen, 2004, p. 29­56.

Voir en dernier lieu L. Marti, « Le Proche­Orientoccidental à l'heure de Mari », dans l'article « TellHariri », SDB 14, fascicule 77­78, Paris, 2008, col.274­284.

Voir notamment J.­M. Durand, Documents épisto­laires du palais de Mari, LAPO 17, Paris, 1998, p.417­511, J.­M. Durand, « Peuplement et sociétés àl'époque amorrite (I) Les clans bensim'alites », C.Nicolle. (éd.), Nomades et sédentaires dans le Proche­Orient ancien. Compte rendu de la XLVI RencontreAssyriologique Internationale (Paris, 10­13 juillet2000), Amurru 3, Paris, 2004, p. 111­197. Voir endernier lieu, pour l'organisation du pouvoir et lesdifférentes population du royaume, D. Charpin,« L'Organisation du royaume de Mari et l'exercicedu pouvoir » dans l'article « Tell Hariri », SDB 14,fascicule 77­78, Paris, 2008, col. 256­274; J.­M.Durand, « Les Nomades », ibid., col. 298­323 etH. Reculeau, « Les Sédentaires », ibid., col. 324­356.

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proche­oriental d'époque amorrite n'apparaît plus centré sur Babylone entourée de zonespériphériques, mais plutôt comme un grand ensemble aux traditions diverses qui, réagissantl'une sur l'autre et évoluant, ont donné petit à petit naissance à une koinè amorrite.

La place irremplaçable de Mari pour notre connaissance de l'histoire du Proche­Orient aparfois pu entraîner à une appréciation exagérée de son importance.

1.2 L'influence de l'importance documentaire de Mari sur notre approche de son histoire1.2.1 Le palais de Mari, une merveille archéologique admise par les textes?Le palais de Mari, une fois redécouvert, a suscité l'admiration de ses fouilleurs. Aussi, en1938, dans ce contexte, parut­il évident d'interpréter un passage (pourtant peu explicite)d'une lettre retrouvée à Mari comme le désir de la part du roi d'Ugarit de venir admirer lepalais de Zimrî­Lîm, merveille de l'Orient, ce qui serait un cas unique dans la documenta­tion du Proche­Orient ancien, mais une rencontre parfaite entre l'opinion des chercheursmodernes et ce que pensaient les contemporains du palais de Mari. Cependant, une lectureplus attentive du texte montre qu'il a été surinterprété à sa publication et qu'il ne faitqu'exprimer la banale demande du roi d'Ugarit que son ambassadeur arrive sans encombrejusqu'à Zimrî­Lîm.

Nous savons, en outre, que Zimrî­Lîm n'a pas continuellement habité le palais de Mari aucours de son règne. En effet, l'étude des archives administratives du palais montre une rup­ture entre la première moitié du règne et les trois dernières années, ce qui a été interprété parJ.­M. Durand comme un indice que la famille royale n'y a plus habité. Ce bâtiment appa­raît dans notre documentation en rénovation constante, voire – à certains moments de sonhistoire – quelque peu délabré. Un texte mentionne même, à la fin du règne, l'effondrementdu mur sud de la cour 131, la cour majeure de l'ensemble.

J.­M. Durand, « Unité et diversité au Proche Orientà l'époque amorrite », D. Charpin et F. Joannès, LaCirculation des biens, des personnes et des idées dans leProche­Orient ancien. Actes de la XXXVIII RAI, Pa­ris, 8­10 juillet 1991, 1992, p. 97­128.

On pourra se reporter aux commentaires de A. Par­rot, Mari, une ville perdue, Paris, 1945 et J.­C. Mar­gueron, Mari, métropole de l'Euphrate au III et audébut du II millénaire av. J.­C., Paris, 2004.

Cette lettre a été publiée par G. Dossin, dans l'articlede A. Parrot, « Les Fouilles de Mari », Syria 18, 1937,p. 74­75, et par G. Dossin, dans C. Shaeffer, Ugari­tica I, 1939, p. 16­17. Cette vision est encore donnéedans J.­C. Margueron, Mari, métropole de l'Euphrateau III et au début du II millénaire av. J.­C., Paris,2004, p. 473. La traduction du document donnéepar G. Dossin était la suivante: « A Zimrilim dis ceci:ainsi parle Hammurapi, ton frère. Le roi d'Ugaritvient de m'écrire ce qui suit: “La demeure de Zimri­

lim indique­la moi; je désire (la) voir". Maintenant,par ce même courrier, je te dépêche son jeunehomme ».

On se reportera à la réédition du document et àson commentaire par J.­M. Durand, Documentsépistolaires du palais de Mari, Tome III, LAPO 18,Paris, 2000, p. 510, texte 1272.

J.­M. Durand, Documents épistolaires du palais deMari, Tome I, LAPO 16, Paris, 1997, p. 36; N.Ziegler, Florilegium marianum IV. Le harem de Zimrî­Lîm, Mémoires de N.A.B.U. 5, Paris, 1999, p. 18­19et J.­M. Durand, « Assyriologie », Cours et travauxdu Collège de France, Résumés 2004­2005, 2005, p.835.

J.­M. Durand, « Assyriologie », op. cit., 2005, p.832­833.

J.­M. Durand, op. cit., LAPO 16, Paris, 1997, p.59­60.

Lionel Marti Données nouvelles sur le « pays de Mari »

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1.2.2 L'époque de Zimrî­Lîm, apogée du royaume?La période couvrant le règne de Zimrî­Lîm est celle qui a livré le plus de textes; elle a donctrès vite été considérée comme une période faste, voire d'apogée de la puissance mariote. Leroi Zimrî­Lîm était présenté comme un souverain puissant, gouvernant un royaume prospèreet densément peuplé, résidant dans une capitale qui était un des grands centres de pouvoirproche­orientaux, au sein d'un vaste palais, plein de richesses. Actuellement, les historiensauraient plutôt envie, tout en reconnaissant la puissance indéniable de ce roi, à nuancer leurappréciation. Le règne de Zimrî­Lîm, surtout à son début, semble loin d'avoir été une péri­ode d'opulence.

M. Guichard dans son étude sur la vaisselle de luxe des rois de Mari montre bien que,contrairement à une impression première, laquelle tient au grand nombre des textes traitantdu sujet, et surtout avant leur mise en ordre, la vaisselle de luxe, loin de représenter des ton­nes d'or et d'argent, formait un ensemble plutôt réduit dont des inventaires tatillons etrépétés nous énumèrent sans cesse le même compte. Le stock de matière première est doncbien plus limité qu'on ne le croyait et l'on voit les administrateurs pratiquer constamment latechnique du réemploi.

La démographie du royaume est également un sujet à repenser. Trop longtemps, la ville deMari et le royaume alentour ont été considérés comme très peuplés, car la politique de grandtravaux que semblait révéler le site le nécessitait. Or, plusieurs faits (rôles de l'armée et im­portance des garnisons, listes de recensement, compte des terroirs, aveu des textes sur le défi­cit en personnel humain, etc.) apportent une vision beaucoup plus nuancée. Le royaume deMari manquait d'hommes et n'avait pas les mêmes moyens que les grands États de l'Est.

On se reportera pour l'évolution de l'approche del'importance des différentes périodes du site de Mariaux remarques de J.­C. Margueron, « Cinquante ansaprès… Le point de vue de l'archéologue », MARI4, 1985, p. 3­6, dans lequel l'auteur remarque trèsjustement que « (…) les premières découvertes peu­vent pour une assez longue période dominer lapensée et masquer une réalité qui ne se livre pas tou­jours facilement ».

Voir par exemple la problématique développée parH. Limet, « Bijouterie et orfèvrerie de Mari », MARI4, Paris, 1985, p. 509­510, qui indique que les textessemblent montrer l'usage de grandes quantités demétaux précieux. Or, comme il l'indique lui­même,citant J.­M. Durand, l'usage de la récupération demétal et du recyclage d'objet était monnaie courante.

Voir par exemple N. Ziegler, Florilegium MarianumIV. Le Harem de Zimrî­Lîm, Mémoires de N.A.B.U.5, Paris, 1999, p. 128, commentant un récapitulatif

de distribution de ration d'huile datant du débutdu règne, dans lequel une grande partie des rationssont moitié moindre que le chiffre attendu, indiced'une période de faiblesse économique. On se re­portera de même aux remarques de F. Lerouxel,« Les Échanges de présents entre souverains amorri­tes au XVIII siècle av.n.è d'après les Archives roya­les de Mari », J.­M. Durand, D. Charpin (éd.),Florilegium Marianum VI, recueil d'études à la mé­moire d'André Parrot, Mémoires de N.A.B.U. 7, Pa­ris, 2002, p. 459­461; qui commente notammentle faible montant de la terhatum de Šibtu.

M. Guichard, La Vaisselle de luxe des rois de Mari.Matériaux pour le Dictionnaire de Babylonien de Pa­ris Tome II, ARM 31, Paris, 2005, p. 70­89.

Voir la mise au point d'H. Reculeau, « Les Séden­taires », dans l'article « Tell Hariri », SDB 14, fasci­cule 77­78, Paris, 2008, col. 348.

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1.2.3 Les archives épistolaires éclairent­elles l'ensemble du Proche­Orient        sous un même jour?Outre des archives « mortes », le palais de Mari a livré un abondante quantité de lettresdatant du règne de son dernier souverain et donnant, par delà l'extrême abondance d'infor­mations sur l'horizon diplomatique de Mari, l'impression qu'on y retrouverait de quoi écriretoute l'histoire dont Mari a été contemporaine. Or, une fois encore, cette vision est à nuan­cer. Nous savons aujourd'hui que la correspondance de Zimrî­Lîm a été triée par Hammu­rabiaprès la prise de la ville, et que la partie qu'il jugeait à ses yeux la plus importante est partie àBabylone. Si la correspondance entre le souverain de Mari et les rois du Nord, qui pournous est irremplaçable, n'avait pas été pour Hammu­rabi sans intérêt, nous ne l'aurions pasgardée.

Ces quelques exemples montrent l'impact de présupposés liés à des considérations moder­nes plaqués sur notre documentation.

Il faut donc nous poser maintenant la question de savoir si la documentation du reste duProche­Oriental nous permet, de son côté, de mieux comprendre quelle importance réellepouvait avoir à ses yeux Mari.

1.3 Réévaluation de la place de Mari par la documentation cunéiformeEstimer la place qu'occupait Mari dans l'histoire proche­orientale est délicate. Une des façonsest d'en étudier les attestations dans les textes extérieurs à la ville, dont nous sommes certainsqu'ils traitent de la « Mari sur l'Euphrate ».

1.3.1 La liste royale sumérienneLa tradition proche­orientale montre en effet que la ville de Mari avait une place privilégiéedans l'histoire mésopotamienne, puisqu'elle fait partie des villes qui d'après la « liste royalesumérienne » se sont partagé la royauté après la création de l'institution. Néanmoins, quellequ'ait été la fonction de cette liste, elle remonte en l'occurrence à une période fort ancienne,à laquelle les souverains de Mari d'époque amorrite ne semblent pas se rattacher, et dont lesrois paraissent fort oubliés sur les bords de l'Euphrate, même si un exemplaire de cette listeprovient de Tell Leilan et montre que le texte était connu en Syrie à l'époque de Mari.

Sur ces archives voir la mise au point de D. Char­pin, N. Ziegler, FM V, op. cit., Paris, 2003, p. 13.

D. Charpin, « La Fin des archives dans le palais deMari », RA 89, 1995, p. 29­40.

Voir en dernier lieu J. J. Glassner, MesopotamianChronicles, SBL 19, Atlanta, 2004, p. 117­126.

Comme le montre le fragment d'époque d'Ur IIIpublié par P. Steinkeller, « An Ur III Manuscript of

the Sumerian King List », W. Sallaberger, K. Volk,A. Zgoll (éd.), Literatur, Politik und Recht in Meso­potamien. Feschrift für Claus Wilcke, Wiesbaden,2003, p. 267­292.

Voir C. Vincente, « Tell Leilan Recension of theSumerian King List », NABU 1990/11; C. Vincen­te, « The Tall Leilân Recension of the SumerianKing List », ZA 85, 1995, p. 234­270.

Lionel Marti Données nouvelles sur le « pays de Mari »

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1.3.2 Mari, capitale des bords de l'Euphrate?Compte tenu de son prestige supposé, il paraît normal que la grande capitale du millénaire, à chaque changement de dynastie, ait été choisie comme siège de la royauté duMoyen­Euphrate.

Yagid­Lîm, le prédécesseur de Yahdun­Lîm et dont ce dernier se dit le fils, ne semble pascependant avoir régné à Mari, mais à Ṣuprum, et c'est à Dêr que la dynastie bensim'aliteavait dû fonder son premier établissement dans l'alvéole, puisqu'elle y revenait célébrer sonculte dynastique. Le transfert de la capitale de Ṣuprum à Mari semble avoir été le fait de Yah­dun­Lîm, à un certain moment de son règne. Nous avons cependant encore l'écho des hé­sitations à s'installer à Mari ou bien à Šehrum, donc de réintégrer la ville antique ou de fon­der une nouvelle capitale. La tombe de Yahdun­Lîm pouvait d'ailleurs se trouver à Terqa. SiYahdun­Lîm se qualifie néanmoins lui­même de « roi de Mari et du pays bédouin », ou de« roi de Mari, de Tuttul et du pays bédouin », il n'en faut pas moins penser que « roi deMari » peut n'être que l'héritage d'un titre local, non l'affirmation que Mari devait être le siè­ge réel du pouvoir. De la même façon, du côté du Tigre, on se dit toujours « roi d'Aššur »,même quand le siège du gouvernement se trouve depuis longtemps ailleurs, à Kalhu ou à Ni­nive. En tout cas, c'est à Dûr Yahdun­Lîm que Yahdun­Lîm avait fait faire de grands travauxet on soupçonne qu'il aurait pu y installer le siège de son gouvernement, si le temps lui enavait été laissé.

Son vainqueur, Samsî­Addu ne semble pas avoir considéré Mari comme la capitale normalede la région conquise. Il indique bien qu'Itûr­Mêr, la divinité poliade de Mari, lui adonné « le pays de Mari, les Bords de l'Euphrate et son royaume ». Mais dans son inscriptiondu temple d'Enlil à d'Aššur, il se présente comme « celui qui a attaché ensemble le pays entrele Tigre et l'Euphrate », pas comme le conquérant du royaume de Mari. Il semblerait parailleurs qu'il ait installé dans un premier temps son fils Yasmah­Addu à Dûr Yahdun­Lîm

Voir les commentaires et la bibliographie dans D.Charpin, N. Ziegler, FM V, op. cit., Paris, 2003, p.33.

J.­M. Durand, « La Situation historique des Sakka­nakku: nouvelle approche », J.­M. Durand, J. Mar­gueron (éd.), Mari 4. A propos d'un cinquantenaire:Mari, bilan et perspective. Colloque international,n°620 du CNRS, Strasbourg 1983, MARI 4, Paris,1985, p. 166­168.

D. Charpin, N. Ziegler, FM V, op. cit., Paris, 2003,p. 36.

D. R. Frayne, The Royal Inscriptions of MesopotamiaEarly Periods Volume 4: Old Babylonian Period(2003­1595 BC), Toronto, 1990, E4.6.8.2: 19 etE4.6.8.1: 3­5.

D. Charpin, N. Ziegler, FM V, op. cit., Paris, 2003,p. 79­80.

J.­M. Durand, « La Religion amorrite en Syrie àl'époque des archives de Mari », G. Del Olmo Lete(éd.), Mythologie et Religion des Sémites Occiden­taux. Volume I Ebla, Mari, OLA 162, Louvain,2008, p. 189­194.

D. Charpin, « Inscriptions votives d'époque assy­rienne », MARI 3, Paris, 1984, p. 42, n°1.

Voir le commentaire et la bibliographie réunie parN. Ziegler, « Le royaume d'Ekallâtum et son hori­zon géopolitique », J.­M. Durand, D. Charpin (éd.),Florilegium marianum VI, Mémoires de N.A.B.U. 7,Paris, 2002, p. 221.

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(devenu Dûr Yasmah­Addu) pour y être roi et non à Mari. Ce n'est que par la suite que cedernier d'y installa.

Mari à l'époque amorrite est donc dans une situation paradoxale. Elle semble à chaquefois remise en cause comme capitale, lors des débuts de règnes, ou au moins de dynasties,tout en finissant par affirmer sa légitimité. Ainsi, la vision habituelle que l'on a de la nécessitéqu'elle soit le centre politique incontournable est à nuancer: on voit sa prépondérance êtresouvent remise en cause, même si elle finit chaque fois par s'imposer. D'un certain côté, celane peut qu'affirmer avec force qu'elle devait avoir un indéniable « prestige » et il faudra unjour en chercher la cause, peut­être dans le domaine du religieux. On peut toutefois se de­mander si Mari n'a pas été en fait, après le millénaire, simplement un « centre politiqueen survie »: sa disparition totale après l'attaque de Hammu­rabi s'explique peut­être simple­ment par le fait qu'il n'y a plus eu localement d'effort pour la maintenir comme lieu royal;les survivants à la catastrophe n'ont fait en somme qu'entériner un fait inéluctable, qui devaitun jour ou l'autre arriver.

1.3.3 La destruction de Mari par Hammu­rabi, un épisode marquant de l'histoire?L'écho de la chute de Mari, si on devait l'écrire à partir des documents paléobabyloniens re­trouvés en Babylonie, se limiterait à une partie (épisodique) de deux noms d'années de Ham­mu­rabi, à une inscription historique (qui parle en fait de tout autre chose que de la prise el­le­même de Mari), ainsi qu'à une allusion dans la partie finale de son fameux Code de lois;le nom même de Zimrî­Lîm, ni d'aucun autre de ses rois, n'apparaîtrait pas. Le seul fait ex­ceptionnel dans cette prise de Mari par Hammu­rabi est sa destruction, cas de traitement deville vaincue rarissime à l'époque amorrite.

D'autre part, le souvenir de la prise de Mari n'est mentionné dans aucun omen d'ordre« historique ». De la même façon, la documentation extérieure à Mari n'a jusqu'ici livré au­cun renseignement sur cet événement, comme si la chute d'un des principaux royaumes del'époque n'avait suscité nul écho. La situation est, il est vrai, la même pour les autres con­quêtes de Hammu­rabi, celles de Larsa ou d'Ešnunna, ou la lutte contre l'Élam. Rares sontcelles qui sont mentionnées dans la documentation mésopotamienne postérieure. S'il y a

J.­M. Durand, op. cit., LAPO 16, Paris, 1997, p.120.

D. Charpin, N. Ziegler, FM V, op. cit., Paris, 2003,p. 80­81.

E. Sollberger, Ch. Walker, « Hammu­Rāpī à Mari et àSippar », J.­M. Durand, J.­R. Kupper (éd.), Miscella­nea Babylonica, mélanges offerts à Maurice Birot, Pa­ris, 1985, p. 257­264. Voir la republication par D.R. Frayne, RIME 4, Toronto, 1990, E4.3.6.11.

Les tentatives de retrouver Hammu­rabi dans la Bi­ble à propos de l'épisode d'Arriuk souvent répétéesreprésentent quelque chose de contesté historique­

ment. Cf. J.­M. Durand, « De l'Époque amorrite àla Bible: le cas d'Arriyuk », Memoriae Igor M. Dia­konoff, Babel und Bibel 2, 2005, p. 59­70.

Une question oraculaire provenant de Nimrud livrele souvenir d'une campagne de Hammu­rabi contreKazallu (W. G. Lambert, Babylonian Oracle Ques­tions, Winona Lake, 2007, p. 25); il est par ailleursfait mention d'un « oracle d'Hammu­rabi » dansles multâbiltu, dans un contexte très cassé (U. S.Koch, Secrets of Extispicy. The Chapter Multâbiltu ofthe Babylonian Extispicy Series and Niṣirti bârûtiTexts mainly from Aššurbanipal's Library, AOAT326, Münster, 2005, p. 265, l C r6'.

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eu survie du souvenir de Mari, cela n'a donc pu l'être que localement, dans des sources péri­phériques dont on espère la parution.

Le souvenir de Hammu­rabi, lui­même, alors que son Code de lois est entré dans la tra­dition scribale, reste évanescent au premier millénaire, n'était­ce son scapulaire que conser­vait Assarhaddon; il faut néanmoins remarquer que c'est dans le soi­disant musée duHauptburg de Babylone que l'on a retrouvé les statues des šakkanakku de Mari, vraisembla­blement emportées comme butin après la chute de la ville.

Tout cela pose le problème général de la conscience que les Mésopotamiens eux­mêmespouvaient avoir en général de leurs Antiquités.

1.3.4 Une survivance de Mari après sa destruction par Hammu­rabi?Une des raisons qui a poussé de nombreux commentateurs à voir une survivance de la Maride l'Euphrate à l'époque moyenne vient du fait que l'on constate l'existence d'un « pays deHana » postérieurement au règne de Zimrî­Lîm, alors que la notion de « Hana » est intime­ment relié à la Mari amorrite.

De fait, les souverains du royaume de Hana, d'époques paléobabylonienne tardive et médio­babylonienne, semblent bien conserver un souvenir vivace de l'époque paléobabylonienne,au moins dans leur onomastique, quoique seul l'un d'entre eux fasse référence dans sa titula­ture à « Mari ».

Il existe toutefois des changements fondamentaux. Comme l'a fait remarquer D. Charpin,lorsque Zimrî­Lîm se dit « roi du pays de Mari et du pays de Hana », le terme « Hana » nedésigne pas un territoire mais un groupe humain. Que représentait à l'époque médiobaby­lonienne le « kur ha­na » par rapport à celui de l'époque paléobabylonienne? A­t­on donné,

Sur ce point voir D. Charpin, Hammu­rabi de Baby­lone, Paris, 2003, p. 271­275 et V. A. Hurowitz,« Hammurabi in Mesopotamian Tradition », Y. Sefatiet al. (éd.), “An experienced scribe who neglectsnothing”: ancient Near Eastern studies in honor of Ja­cob Klein, Bethesda, 2005, p. 497­532. Sur le faitque la stèle était encore visible à l'époque achéméni­de voir D. Charpin « Les soldats d'Assurbanipal ont­ils détruit le Code d'Hammu­rabi lors du sac deSuse », NABU 2003/77 et M. H. Feldman, « Dari­us I and the Heroes of Akkad », J. Cheng, M. H.Feldman (éd.), Ancient Near Eastern Art in Context.Studies in Honor of Irene J. Winter by her Students,CHANE 26, Leyde, 2007, p. 275­277.

On remarquera que Ninurta­kudurrî­uṣur, gouver­neur du Suhûm, se dit un très lointain descendantde Hammu­rabi de Babylone (G. Frame, The RoyalInscriptions of Mesopotamia. Babylonian Period Volu­me 2. Rulers of Babylonia from the Second Dynasty ofIsin to the End of Assyrian Domination (1157­612BC), Toronto, 1995, S.0.1002.2: i 3­4).

Pour ces pratiques de « collection », voir J. Reade,« The Assyrians as Collectors: From Accumulationto Synthesis », G. Frame (éd.), From the Upper Seato the Lower Sea. Studies on History of Assyria andBabylonia in Honor of A. K. Grayson, PIHANS 101,Leyde, 2004, p. 255­268.

A. H. Podany, The Land of Hana. Kings, Chronology,and Scribal Tradition, Bethesda, 2002, p. 4­13.

D. Charpin, « Chroniques du Moyen­Euphrate, 1.Le “royaume de Hana”: textes et histoire », RA 96,2002, p. 67 et D. Charpin, « A Propos des rois deHana », NABU 1995/23. Pour la traduction deHana par (pays) bédouin, voir J.­M. Durand, LA­PO 18, Paris, 2000, p. 417­420 et idem, « Peuple­ment et sociétés à l'époque amorrite: (1) les clansbensim'alites », Amurru 3, Paris, 2004, p. 116.

Le terme hana existe aussi dans les documents assy­riens pour désigner une montagne, dans la régiondes Lullumû, d'après les Annales d'Aššur­bêl­kala(A. K. Grayson, RIMA 1, Toronto, 1987, A.0.89.7

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lors de la création du royaume de Terqa, après la Mari amorrite, une valeur ethno­géographi­que au terme de « Hana »? La question demeure. On remarquera néanmoins qu'à cette épo­que moyenne les rois de Hana ne se disent pas « rois du pays de Mari », mais que nous nedisposons d'aucune information concernant les rois de l'époque paléobabylonienne tardive.

Notre approche de l'importance de Mari et de sa possible survivance dans la mémoireparaît en fait très sensiblement liée à l'historiographie de ses études. C'est pourquoi, lorsquedes attestations de « Mari » ou du « Pays de Mari » apparaissaient dans la documentationpostérieure, les interprétations ont­elles varié en fonction de ce que l'on savait de l'histoire dela « grande Mari ». Il est possible de répartir ces interprétations en deux phases: la première,alors que seule la « Mari de l'Euphrate » était connue et la seconde, tout récemment, à partirde la découverte des textes de Tell Bderi et de Tell Taban, où se trouve attesté un « Pays deMari ».

Nous présenterons donc les mentions du pays de Mari et leur interprétation, avant la dé­couverte des textes d'époque moyenne localisant un nouveau pays de Mari, puis le change­ment de problématique qui en découle.

2. Entre Habur et Euphrate, la localisation du Pays de Mari2.1 Une évidente survivance de Mari dans la tradition?Les mentions du « pays de Mari » ou de la ville de Mari se trouvent couvrir une large périodechronologique et géographique.

2.2.1 Un Mariote à UgaritUn texte d'Ugarit, RS 34.142, trouvé lors de la campagne de 1973 et publié par S. Lacken­bacher, mentionnerait très clairement un Mariote, puisqu'il y est fait mention des « grandsdieux du pays de Mari ».

Le document retrouvé à Ugarit a comme motivation essentielle d'approvisionner le « paysde Mari » en chevaux de luxe. Cela n'est pas pour étonner les spécialistes de la grande Mari,car l'on constate depuis l'époque amorrite que les gens des Bords­de­l'Euphrate vont cher­

iv 17­18: kur ha­a­na, šid­di kur lu­lu­me­e). Sen­nacherib mentionne aussi une montagne hanu lorsde la description de la construction du canal appro­visionnant Arbèles (F. Safar, Sumer 2, 1946, p. 51et bibliographie dans E. Frahm, Einleitung in dieSanherib­Inschriften, AfO Beih. 26, Vienne, 1997,p. 159).

S. Lackenbacher, « Nouveaux documents d'Ugarit­II­ Une lettre de Mari? », MARI 3, 1984, p. 185­189 et S. Lackenbacher, « Lettres et fragments », P.Bordreuil (éd.), Une Bibliothèque au sud de la ville,Ras Shamra­Ougarit VII, Paris, 1991, p. 101­104.

Le texte est commenté par W. G. E. Watson & N.Wyatt, Handbook of Ugaritic Studies, HdO 39, Ley­de, 1999, p. 657. Ils indiquent que cette lettre esttrès difficile d'interprétation, mais ils ne remettentpas en question l'identification « Mari = Tell Hari­ri » et p. 666 n. 200 ces auteurs indiquent une pos­sible provenance de la région de l'Euphrate (doncde Tell Hariri).

S. Lackenbacher, op. cit., MARI 3, 1984, p. 185­186: (…) da­gan ù ú?­tár?­mi­ri dingir­meš gal­tu₄ ša kur ma­ri.

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cher les « chevaux blancs », apparemment une sorte d'équidés de très grand luxe, à l'Ouest,mais plus particulièrement dans la région de Qaṭna. On en a un exemple pendant le règne deSamsî­Addu, selon une lettre célèbre, mais il est à noter que Zimrî­Lîm lui­même enpossédait au tout début de son règne, venus également de Qaṭnâ. Il semblerait donc,d'après le texte d'Ugarit, que la tradition de l'élève de chevaux de luxe ait été perpétuée dansl'Ouest jusqu'à l'époque moyenne. Cependant, la lecture du document d'Ugarit montre quel'expéditeur de la lettre, un certain Hellu, veut ces animaux « pour le roi » et cela ne peutfaire allusion qu'au « souverain du pays de Mari ». Manifestement il présente son maîtrecomme à la tête d'un royaume important, doté d'une charrerie conséquente, puisqu'il envisaged'en faire défiler les chars devant lui. Cette situation ne convient absolument pas à ce que nouspouvons imaginer du Tell Hariri à l'époque moyenne. Il faudrait imaginer que par « pays deMari » on entende la ville de Terqa, donc le royaume de Hana. Cependant, s'il s'agissait de laville de Terqa, on ne s'attendrait pas à ce que ce soit le dieu Addu qui arrive en premier. Or,la divinité Addu a beaucoup plus sa place dans la région de Ṭâbatum, parce qu'il s'agissait dudieu majeur du Nord, celui dont pratiquaient le culte à l'époque amorrite les Bédouins ben­sim'alites et qui était manifestement l'époux de la grande « Dame de Nagar ».

Lorsque la ville de Ṭâbatum est subordonnée à la ville de Terqa, ce qui lui arrive à plu­sieurs moments de son histoire, il est normal que Dagan soit alors mentionné en premier entant que dieu de la capitale du Hana. Mais, lorsque Ṭâbatum se trouve être indépendante, onpeut s'attendre à ce que ce soit Addu qui ait le pas. Aussi, plutôt que d'attribuer ce texte àTerqa – ce qui devrait entraîner d'ailleurs l'appellation « royaume de Hana » –, je préfère en­visager la région de Ṭâbete, à une époque d'autonomie.

Le texte mentionnerait, en outre, Itûr­Mêr, que l'on attendrait aussi dans les textes de Ter­qa. L'éditrice remarque néanmoins que « la lecture de ce nom divin, qui est l'un des intérêtsdu texte, pose problème (…) mais, aux côtés de Adad et Dagan, qualifiés de “grands dieuxdu pays de Mari”, on attend une divinité mariote de premier plan, et la finale ­mi­ri évoqueirrésistiblement Itur­Mer. » La seule raison à cette lecture Itûr­Mêr est donc bien l'associati­on avec le pays de Mari, Tell Hariri. Si l'on s'en tient à la graphie du texte, il serait écrit, ce­pendant, plutôt sukkal šu­mi­ri. Tant à Ugarit qu'à Dûr­Katlimmu, le signe sukkal est déjàécrit de la façon qui sera courante à l'époque assyrienne.

D'autre part, des dieux, « rois de Mari », sont connus par une liste tardive qui donne,l. 15, la­ga­ma­al lugal ša má­rí ki, et l.20 ma­lik lugal ša má­rí ki. Pour un spécialiste deMari amorrite ces deux affirmations sont néanmoins étonnantes car Lagamal est de sexe fé­

Cf. ARM V 20 = LAPO 16 256.

Cf. ARM X 147 = LAPO 18 1110.

Cf. J.­M. Durand, Florilegium Marianum VIII. LeCulte des pierres et les monuments commémoratifs enSyrie amorrite, Mémoires de N.A.B.U. 9, Paris, 2005,p. 40, texte 3 l. 14.

Le texte T06­04 (S. Yamada, « A Preliminary Re­port on the Old Babylonian Texts from the Excava­tion of Tell Taban in 2005 and 2006 Seasons: The

Middle Euphrates and Habur Areas in the Post­Hammurabi Period », Al­Rāfidān 29, 2008, p. 47­62), montre bien que lorsque Ṭâbatum est sous ladomination de Terqa, c'est Dagan qui est men­tionné en premier, suivi du dieu local important,Addu de Mahanum.

S. Lackenbacher, « Nouveaux documents d'Ugarit­II­ Une lettre de Mari? », MARI 3, 1984, p. 185.

II R 60.

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minin à l'époque et Malik, attesté surtout dans des nos propres, n'est pas tant une divinitéque la désignation de princes qui reçoivent des offrandes après leur mort.W. G. Lambert aproposé d'expliquer ces données par une tradition postérieure à la Mari amorrite.

En fait, on peut aller plus loin: Lagamal et Malik sont considérés par les listes récentescomme deux figures de Nergal: on peut dès lors se demander si cette tradition récente nereflète pas – plutôt que la paléobabylonienne ou l'évolution de cette dernière – la traditiond'une autre Mari. Dans la région de Ṭâbatum justement, on se trouve dans un domaine deNergal comme l'a proposé J.­M. Durand. L'importance de Nergal dans la région deQaṭṭunân (dont dépendait Ṭâbatum) avait d'ailleurs déjà été observée pour l'époque amorritepar M. Birot, qui indiquait la popularité dont y jouissait le dieu Nergal (localement, Âmûm).

Dès lors, on pourrait se demander dans quelle mesure ce « Sukkal šumeri » ne serait pasau moins dans un texte en provenance d'Ugarit, une façon non encore explicable de désignerun dieu infernal des bords du Habur (lui même un fleuve infernal).

Comme la lecture sukkal šu­mi­ri est cependant sans parallèle, on pourrait penser à uneautre explication. La graphie sukkal de l'époque se présente comme une séquence /u­gur/dans laquelle, à l'époque moyenne, on s'accorde à reconnaître la figure de Nergal, le « dieu aupoignard ». On est donc tenté de proposer que le premier ú qui précède la séquence /u­gur/représente une glose de lecture et que la bonne transcription serait úu­gur? Le /mi­ri/ qui lesuit pourrait n'être que l'avatar d'un théonyme /u­gur­gír/, « Nergal au poignard », notésous la forme /u­gur­mé­ri/ car dans la région de l'Euphrate moyen c'est effectivement sousune forme emesal qu'apparaissent les emprunts faits au sumérien.

Un autre texte d'Ugarit atteste la grande « Eštar de Mari », alors que nous ne connais­sons pas une telle divinité à Tell Hariri. Cependant, pour l'époque moyenne, nous savonsqu'Annunîtum, une des figures féminines majeures du Moyen­Euphrate, recevait un culteimportant à Ṭâbatum. Là encore, il est possible que la divinité dont nous parle Ugarit soit,en fait, en relation avec Ṭâbete, non avec Tell Hariri.

L'examen de ces divinités­rois/reines tardives montre ainsi que le « Pays de Mari » indiqueṬâbete plutôt que Mari = Tell Hariri.

J.­M. Durand, « La Religion amorrite en Syrie àl'époque des archives de Mari », G. Del Olmo Lete(éd.), Mythologie et Religion des Sémites Occidentaux.Volume I Ebla, Mari, OLA 162, Louvain, 2008, p.651.

Voir A. Jacquet, « lugal­meš et malikum. Nouvelexamen du kispum à Mari », FM VI, Paris, 2002, p.51­68.

W. G. Lambert, « The Pantheon of Mari », MARI4, 1985, p. 533.

W. G. Lambert, op. cit., MARI 4, 1985, p. 533 n.16.

Cf. la communication de J.­M. Durand dans ce vo­

lume, et J.­M. Durand, op. cit., OLA 162, Lou­vain, 2008, p. 307.

M. Birot, Correspondance des gouverneurs deQaṭṭunân, ARM XXVII, Paris, 1993, p. 13. Le tex­te T06­04, l. 31, op. cit., mentionne d'ailleurs unNP en Âmûm.

Cf. J.­M. Durand, op. cit., OLA 162, 2008, p. 679.

RS 24.272, l.

M. Guichard, « Divinité des salines mentionnée àTerqa », NABU 2003/8; D. Charpin, « Chroniquesdu Moyen­Euphrate, 1. Le “royaume de Hana”:textes et histoire », RA 96, 2002, p. 68.

Lionel Marti Données nouvelles sur le « pays de Mari »

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2.2.1 Tukultî­MêrNous avons déjà observé que le « pays de Mari » apparaît très tôt dans l'histoire assyriologi­que et que l'association de son souverain Tukultî­Mêr par E. Weidner au Tukultî­Mêr, roidu pays de Hana, permettait de supposer que le « pays de Mari » devait soit équivaloir au« pays de Hana » soit en être très proche. Avec la découverte des textes de Mari exposant lesliens entre « Hana » et « Mari », cette opinion s'en trouvait confortée.

2.2.2 Le cas du SuhûmLes liens entre le Suhûm et la Mari d'époque amorrite furent une autre des bases d'inter­prétation de la survie du toponyme Mari dans les textes plus récents.

Le pays de Mari apparaît dans un texte de Dûr­Kurigalzu, où Zikir­ili­šu, un Cassite,mentionne notamment des déplacements de troupes, datant selon B. Faist du règne de Sal­manazar I.

« [Dis à] mon seigneur: les guerriers de Hiranu, une moitié se trouve dans le pays deSubartu, dans les villes que le roi d'Assyrie avait prises, et l'autre moitié se trouve [devantmon seigneur] dans les pays de Suhû et de Mari. (…) Je ne l'ai pas écrit à mon seigneur. »

Dans ce texte, la seule raison de considérer que Mari désigne Tell Hariri serait son associa­tion avec le Suhûm, en fonction d'un schéma amorrite préétabli, le Suhûm étant partie duroyaume de Zimrî­Lîm, par exemple, mais avant lui de celui de Yasmah­Addu.

L'opinion s'en trouvait confortée depuis la découverte des inscriptions des gouverneurs duSuhûm du premier millénaire. Le « pays de Mari » réapparaissait donc au VIIIe siècle – épo­que de ces « gouverneurs » du Suhûm qui se proclament « gouverneurs du pays de Suhûmet du pays de Mari », – avec une relative indépendance du pouvoir assyrien. Cette titula­ture, principalement le titre de « gouverneur du “pays de Mari” », est considérée comme unrappel historique de l'ancienne association qui existait entre le Suhûm et la Mari des rois duIIe millénaire. Le fait que ces gouverneurs ne contrôlaient pas Tell Hariri est cependantmontré par leurs inscriptions. En effet, Ninurta­kudurrî­uṣur, lors d'une de ses campagnes,vint en aide à Adad­da''ânu, gouverneur du pays de Laqû, région où justement se trouve leTell Hariri qui contient les restes de l'antique Mari.

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E. Weidner, « Tukulti­Mêr », AnOr 12, 1935, p.336­338.

Cf. le commentaire de B. Faist, Der Fernhandel desassyrischen Reichs zwischen dem 14. und 11. Jh. v.Chr., AOAT 265, Münster, 2001, p. 210.

Pour ce groupe araméen, voir la bibliographie réuniepar B. Faist, op. cit, Münster, 2001, p. 236, n. 155,à compléter par celle réunie par K. Radner, Das Mit­telassyrische Tontafelarchiv von Giricano/ Dunnu­ša­uzibi, Subartu XIV, Bruxelles, 2004, p. 84, n. l. 6,où se trouve une référence à une uruhi­ra­ni.

O. R. Gurney, « Texts from Dur­Kurigalzu », Iraq

11, 1949, pl. 47, n°10, l. 21­29 repris par B. Faist,op. cit., Münster, 2001, p. 234­235.

Pour l'histoire du Suhûm au premier millénaire,voir P. Clancier, « Le Moyen­Euphrate de l'implan­tation des Araméens à la période romaine », C. Ke­pinski & al. (éd.), Studia Euphratica. Le Moyen­Eu­phrate iraquien révélé par les fouilles préventives deHaditha, Paris, 2006, p. 251­257.

G. Frame, RIMB 2, Toronto, 1995, p. 275.

A. Cavigneaux et B. K. Ismail, « Die Statthaltervon Suhu und Mari in 8 Jh. v. Chr. », BaM 21,1990, p. 327.

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2.2.3 Les attestations assyriennes sans contexteLe pays de Mari apparaît dans d'autres inscriptions assyriennes sans autre contexte géogra­phique précis ce qui a entraîné à diverses interprétations, allant d'une localisation sur l'Eu­phrate à une situation plus au nord, sans autre précision.

Le « pays de Mari » apparaissait dans un contexte difficile à bien appréhender, dans unechronique où il était question d'une rébellion dont l'instigateur n'est pas connu et quientraîna un changement à la tête du « pays de Mari ». Cette chronique relate des événementscouvrant le règne d'Adad­šuma­uṣur jusqu'à celui d'Adad­apla­iddina; elle comble le videentre les chroniques dites 22 et 24.

« [NP] fit une attaque et déposa le roi de Mari au moyen d'une rébellion et […] il contrôlaMari ».

L'éditeur du texte ne fait que mettre en relation le pays de Mari avec les autres attestationsassyriennes du toponyme, notamment l'inscription de Tukulti­Ninurta I qui fut celle donton discuta le plus.

Cette dernière, tardive dans son règne, postérieure à sa victoire sur Kaštiliaš IV, mention­ne parmi la liste des terres contrôlées par le roi d'Aššur: Mari, Hana, Rapiqu. Des commenta­teurs ont remarqué très justement que, puisque dans ce genre de textes les toponymes sontdonnés dans un ordre géographique, Mari ne peut­être Tell Hariri, mais devrait se trouver aunord du pays de Hana.

Pour d'autres, Mari ne pourrait désigner dans cette inscription que Tell Hariri car les Assy­riens contrôlaient le triangle et la vallée du Habur. S'il est vrai que des textes découverts ré­cemment à Tell Taban contiennent des éponymes datant de Salmanazar I, c'est bien évi­demment un indice pour conclure à sa domination sur cette région. Il est remarquablequ'aucune des ses inscriptions royales n'en mentionnent la conquête. Cela est d'autant plusétonnant que certains de ces textes ont été rédigés sous des éponymes connus à Ṭâbete.Ainsi, son entrée dans la zone d'influence assyrienne aurait­elle été relativement ancienne. Lefait que le pays de Mari n'apparaisse que dans les inscriptions de son successeur Tukultî­

Ch. Walker, « A Chronicle of the Kassite and IsinII Dynasties », G. Van Driel, T. J. H. Krispijn, M.Stol, K. R. Veenhof (éd.), Zikir šumim. Assyriologi­cal Studies Presented to F. R. Kraus on the Occasion ofhis Seventieth Birthday, Leyde, 1982, p. 398­417.

Ch. Walker, op. cit., Leyde, 1982, p. 398. Pour leschroniques 22 et 24 voir en dernier lieu J.­J. Glassner,Mesopotamian Chronicles, SBL 19, Leyde, 2004,n45 et 47.

Ch. Walker, op. cit., Leyde, 1982, p. 400: […]gu₄­ud­ma šàr kurmá­rí ki ina hi­gar id­ke­e­ma,[…] kurmá­rí ú­ma­a­a­er.

A. K. Grayson, RIMA 1, 1987, A.0.78.23: kurma­a­ri kurha­na kurra­pi­qu (…).

S. Maul, Die Inschriften von Tall Bderi, BBVOT 2,

Berlin, 1992, p. 53.

A. Tenu, « Le Moyen­Euphrate à l'époque médio­assyrienne », C. Kepinski & al. (éd.), Studia Eu­phratica. Le Moyen­Euphrate iraquien révélé par lesfouilles préventives de Haditha, Paris, 2006, p. 230.

Ils apparaissent dans de nombreux textes ne con­tenant pas de partie « historique » (A. K. Grayson,RIMA 1, 1987, A.0.77.2, A.0.77.8 datés d'Aššur­dammiq, A.0.77.3; A.0.77.5 datés de Aššur­nâdin­šumê, etc, mais aussi dans son inscritpion compor­tant des parties historiques, A. K. Grayson, RIMA1, 1987, A.0.77.1, p. 186: li­mu aš­šur­sum­mu­meš; qui apparaît dans TabT05A­033 et TabT05A­151 (D. Shibata, op. cit., Al­Rāfidān 29, 2008, p.171).

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Ninurta I pourrait paraître étonnant. En fait, l'inscription n'est qu'un récapitulatif des ter­ritoires soumis au souverain. Le pays de Mari n'apparaît pas dans un contexte de conquête.Par ailleurs, la publication des textes médio­assyriens de Tell Taban nous permettra de savoirs'il n'y a pas eu entre Salmanazar I et Tukultî­Ninurta I une révolte de la région de Ṭâbete.

Le pays de Mari apparaît deux fois dans les Annales d'Aššur­bêl­kala, dans des contextestrès abîmés.

Dans le premier, il est fait mention de Tukultî­Mêr, roi du « pays de Mari », d'une campa­gne du roi contre ce pays, et de la déportation de la population.

La seconde mention du pays de Mari l'associe très clairement avec la ville de Qaṭni:« Une seconde fois, [je marchai] contre le pays de Mari… Les rois de Qaṭni … ».Le texte met clairement en rapport les rois de Qaṭni avec cette attaque de Mari. Plusieurs

scénarios peuvent être reconstitués, selon la rhétorique assyrienne, néanmoins, nous voyonsque ce pays de Mari n'a définitivement rien à voir avec le Tell Hariri.

2.2.4 Un cas d'espèce. L'existence d'une ville de Mari au premier millénaireLa stèle de Saba'a décrit le territoire donné par Adad­nârârî III au gouverneur Pâlil­êreš.D'autres inscriptions du souverain le décrivent, mais celle de la stèle de Saba'a fait appa­raître le toponyme Marê.

« Pâlil­êreš, gouverneur des villes de Nêmed­Ištar, Apku, Marê, des pays de Raṣappa, Qat­nu, des villes de Dûr­aduklimmu, Kâr­Aššurnaṣirpal, Sirqu, des pays de Laqê, Hindânu, de laville d'Ânat, du pays de Suhû, et de la ville de Aššur­aṣbat. »

L'identification du toponyme Marê dans ce texte présente un cas d'espèce. En effet,pour l'éditeur du texte il s'agissait certainement de la capitale du pays de Mari dont la locali­sation était inconnue.

Pour E. Forrer, il ne pouvait pas s'agir de la Mari de l'Euphrate, pour des raisons de logi­que géographique, mais aussi parce que le site de Mari et ses textes n'avaient pas encore étédécouverts.

Pour S. Dalley, le toponyme Marê aurait pu être identifié à la Mari d'époque paléo­baby­lonienne car le site de Mari révélait des traces d'occupations néo­assyriennes selon A. Parrot,

A. K. Grayson, RIMA 2, Toronto, 1991, A.0.89.1:14'­18'. Le contexte de l'assaut est difficile à com­prendre, le rôle même de Tukultî­Mêr est inconnu.

A. K. Grayson, RIMA 2, 1991, A.0.89.2: [ (…) ša­nu­te­ia a­na kur má­r[i…] [(…)] lugal­meš uruqat­na­a­iameš…

Pour cette lecture Pâlil­êreš plutôt que Nergal­êrešvoir, H. D. Baker (éd.), PNA 3/I, Helsinki, 2002,p. 981.

Voir leur réédition dans A. K. Grayson, RIMA 3,1996, A.0.104.7: 13­20; A.0.104.9 : f. 4­ r. 21.

A. K. Grayson, RIMA 3, 1996, A.0.104.6: 23­25.

Voir la bibliographie regroupée dans A. K. Gray­son, RIMA 3, 1996, p. 208. Pour le contexte histo­rique de cette inscription voir en dernier lieu S.Hasegawa, « Adad­nirari III's Fifth year in the Sa­ba'a Stela Historiographical Background », RA102, 2008.

E. Unger, Reliefstele Adadniraris III. aus Saba'a undSemiramis, PKOM II, Constantinople, 1916, p.23.

Pour E. Forrer, Die Provinzeinteilung des assyrischenReiches, Leipzig, 1920, p. 14, il n'y avait aucunrapport entre cette ville et la Mari sur l'Euphrate.

BBVO – Band 20

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et d'autre part, la richesse documentaire du site commençait à rendre le site incontourna­ble.

M. Liverani, commentant ce passage indique que la ville de Marê doit se trouver entreNêmed­Ištar et Dûr­Katlimmu, et ne peut donc en aucun cas être identifiée avec le Tell Hari­ri. Lors de la rédaction de son article M. Liverani n'avait pas connaissance de la publicationde S. Maul, ce qui n'était plus le cas de F.­M. Fales, qui, reprenant les arguments de M.Liverani, proposait que cette ville de Marê soit mise en relation avec le « Pays de Mari ».

La découverte de textes à Tell Bderi et surtout récemment à Tell Taban, mentionnant loca­lement un « pays de Mari » entraîne un changement de problématique. Devait­on rattachertous les exemples postérieurs à la destruction de Mari à ce nouveau royaume découvert dansle nord, ou conserver l'idée d'une survivance de Mari sur l'Euphrate?

2.3 La question du toponymeLa question que pose le toponyme « pays de Mari » est bien évidemment son lien potentielavec la métropole de l'Euphrate. S'agit­il d'un phénomène de toponymie en miroir ou d'unedénomination qui n'a rien à voir avec la Mari euphratique?

Pour considérer que la dénomination « pays de Mari » est un lointain souvenir de lapuissance de la Mari sur l'Euphrate, il convient d'étudier les liens existant entre ces deuxlieux.

La ville de Ṭâbatum apparaît sous Zimrî­Lîm comme appartenant à la sphère d'influencede Mari. Après la destruction de Mari par Hammu­rabi, un nouveau royaume se reforme, ce­lui de Hana, et l'une de ses villes, Terqa, a livré de nombreux documents. Certains des roisde l'époque ancienne, ceux pour lesquels nous ne disposons pas de titulature, malheureuse­ment, par manque d'inscriptions de leur part, comme Yadîh­Abum, ont ainsi pu contrôlerun territoire correspondant au pays de Hana (Terqa) et de Mari (Ṭâbete). Car, comme le faitremarquer D. Charpin, un texte permet de supposer que le royaume de Hana sous Yadîh­Abum s'étendait jusqu'à Ṭâbatum. Le royaume s'étendait par ailleurs au sud jusqu'auSuhûm. Les tablettes de l'époque du royaume de Hana découvertes à Tell Taban permettentd'aller plus loin dans ces conclusions, montrant une intégration très forte de la région dans leroyaume. Un texte mentionne explicitement Iṣi­sûmu­abum, qui n'est autre qu'un des sou­

S. Page, « A Stela of Adad­nirari III and Nergal­erešfrom Tell al Rimah », Iraq 30, 1968, p. 150.

M. Liverani, « Raṣappu and Hatallu », SAAB 6,1992, p. 37­40.

F.­M. Fales, « Mari: an Additional Note on “Raṣap­pu and Hatallu” », SAAB 6, 1992, p. 105­107.

Après la chute de Mari, il est communément admisque le nouveau royaume de Hana s'organise autourde Terqa comme nouvelle capitale. Pour l'époque

ancienne, les arguments sont minces. Cf. D. Char­pin, « Chroniques du Moyen­Euphrate, 1. Le“royaume de Hana”: textes et histoire », RA 96,2002, p. 67 et sa mise au point pour le fait queTerqa soit capitale à l'époque moyenne et récentep. 74­76.

D. Charpin, op. cit., RA 96, 2002, p 68 et M.Guichard, « Divinité des salines mentionnée à Ter­qa », NABU 2003/8.

Lionel Marti Données nouvelles sur le « pays de Mari »

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verains du royaume de Hana d'époque ancienne. La présence d'Adad de Mahanum dans cecontrat montre bien une continuité avec l'époque précédente.

Enfin, les textes de Ṭâbatum montrent une très grande similarité entre leurs noms de moiset ceux connus pour Mari. L'affirmation d'une affinité culturelle paraît évidente même sinous ne connaissons pas encore la nature des textes retrouvés. De même, si le royaume deHana est dans la continuité de Mari, une ville sous sa domination devrait montrer au moinspour certains documents une uniformité de calendrier.

Les textes de l'époque du royaume de Hana montrent bien l'influence des « Bords de l'Eu­phrate » dans le nord, sans qu'un quelconque « pays de Mari » ne soit mentionné. Or ce titreréapparait brusquement à époque récente, avec Tukultî­Mêr, dont on ne sait pratiquementrien, si ce n'est qu'il était le fils d'Ilî­iqîša.

A. H. Podany indique que ces toponymes ne font probablement pas référence à leur loca­lisation originale, mais renseignent sur l'extension territoriale de leurs rois.

Quels indices sont à notre disposition pour étudier une possible continuité culturelle àcette époque?

Le calendrier de Ṭâbete révélé par les textes d'époque moyenne, qui comportent par ail­leurs des éponymes assyriens, paraît différent de celui de l'époque précédente et du calendrierassyrien. Même si le nom de certains mois semble pouvoir être rattaché à certains connusà Mari, leur forme est telle qu'il ne peut s'agir que de lointains avatars. Ce calendriermontre qu'une tradition locale s'est développée, qui n'a pas été gommée par la conquêteassyrienne, quoique ses racines en soient plutôt obscures.

Il est difficile de conclure quoi que ce soit pour le moment en se fondant sur l'onomasti­que que documentent les textes. Les souverains portent des noms assyriens, ce qui n'induiten aucun cas leur appartenance à l'ethnie assyrienne puisque nos sources documentent descas d'onomastique doubles portés par des fonctionnaires ou des souverains.

Si la « grande Mari », celle du Moyen­Euphrate, n'a pas de rapport direct avec le « pays deMari » de l'époque moyenne, comment considérer la survie d'une telle appellation? Est­ce

S. Yamada, op. cit., Al­Rāfidān 29, 2008, p. 156­157.

Voir en dernier lieu, J.­M. Durand, op. cit., OLA162, Louvain, 2008, p. 273, 287, 310, 320; et J.­M. Durand, op. cit., Amurru 3, Paris, 2004, p. 139­145.

S. Yamada, op. cit., Al­Rāfidān 29, 2008, p. 164­165.

Cela permet à A. Podany de remarquer, d'une part,que « it is interesting to note that the toponyms Ma­ri and Hana were still in some way seen as synony­mous seven centuries after Zimri­Lim », mais que,d'autre part, la tradition scribale de cette époque estcomplètement différente de la précédente (A. H. Po­

dany, op. cit., Bethesda, 2002, p. 74).

A. K. Grayson, RIMA 2, 1991, A.0.89.2001: 3.

A. H. Podany, op. cit., Bethesda, 2002, p. 12 avecbibliographie. À l'inverse, M. Luciani pense que lepays de Hana mentionné dans les textes médio­as­syriens ne correspond pas à celui des ­siècles et que le pays de Mari de l'époque doitplutôt être sur le Moyen­Habur (M. Luciani, « OnAssyrian Frontiers and the Middle Euphrates »,SAAB 13, 1999­2001, p. 97).

D. Shibata, op. cit., Al­Rāfidān 29, 2008, p. 173­175.

D. Shibata, op. cit., Al­Rāfidān 29, 2008, p. 174­175.

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l'un des nombreux phénomènes dits « en miroir », ou l'appellation d'époque récente a­t­elle une motivation par elle­même?

S. Maul a interprété à la lettre la notation du toponyme dans ses textes au moyen de « A »ou de « A­ri » comme le fait qu'il s'agissait de la « province du fils » (Mât mâri). Ce seraitainsi la dénomination d'un apanage.

Mais, on pourrait, en fait, voir là un de ces jeux graphiques typiques de l'époque récente.Ṭâbatum faisait clairement allusion aux salines de l'endroit, connues de nous depuis l'époqueamorrite. Dans ce sens, un « mât mâri » pourrait désigner le « pays de l'eau saumâtre » etêtre tenu pour une redénomination de Ṭâbete. Il devrait être compris de la même façon quela Mārāh de la Bible, nom donné à un puits d'eau saumâtre du désert que rencontrèrent lesHébreux en Arabie à leur sortie d'Égypte.

La forme ma­a­ri pour noter cette réalité géographique est en conformité avec une notationA­ri où le recours à l'idéogramme du « fils » permet de noter une prononciation /mâri / enakkadien. Cette forme mâru pourrait indiquer la même loi phonétique que celle del'araméen qui veut une simplification du /r/ géminé intervocalique, analogue à celle de l'hé­breu. Néanmoins, une indication allant dans ce sens, à savoir la graphie occasionnelle du to­ponyme mar­ri ki, semble, selon des renseignements oraux, être fausse. Cette étymologiereste donc à prouver.

Pourquoi est­on passé de Ṭâbete à « Mari »? Ce pourrait être l'illustration d'un phénomènetypique de la culture araméenne et mainte fois documenté à son propos: les Araméens prati­quaient, en effet, à un haut niveau le procédé du changement toponymique.

Il n'est cependant pas exclu, non plus, que le nom même de Mari (quelque fois écrit avecla mimation, ma­ri­im, ce qui prouve bien qu'il s'agit d'une forme nominale) ait signifié

Pour ce phénomène voir D. Charpin, « La “Topo­nymie en miroir” à l'époque amorrite », RA 97,2003, p. 3­34.

S. Maul, Die Inschriften von Tall Ṭābān (Grabungs­kampagnen 1997­1999). Die Könige von Ṭābītuund das Land Måri in mittelassyrischer Zeit, ASJ SS2, Tokyo 2005, p. 14. Il faut néanmoins se garderd'imaginer qu'il s'agisse de l'apanage du fils héri­tier car, si « fils héritier » peut être noté par l'idéo­gramme A, sa monnaie phonétique est cependantaplu.

Voir J.­M. Durand, « Villes fantômes de Syrie etautres lieux », MARI 5, 1987, p. 204 n. 20 et M.Guichard, « Le sel à Mari (III). Les lieux du sel »,FM III, Paris, 1997, p. 185­188.

Cf. Ex xv 23; Num xxxiii 8.

Cf. S. Maul, op. cit., ASJ SS 2, Tokyo, 2005, n°67:1.

Ce phénomène est bien connu des inscriptionsroyales assyriennes: voir par exemple: H. Sader, Les

États araméens de Syrie depuis leur fondation jus­qu'à leur transformation en provinces assyriennes,1984, p. 281. L'auteur donne l'exemple de « Ana­Aššur­utîr­aṣbat (Je l'ai rendu à Aššur en la pre­nant) que les Araméens appellent Pitru » (voir A.K. Grayson, RIMA 3, 1996, A.0.102.2, p. 19, l.35b­36) (pour cette ville voir en dernier lieu A.M. Bagg, RGTC 7/1, Wiesbaden, 2007, p. 16), demême Tell Ahmar, ville dénommée par les HittitesMazuwati (J. D. Hawkins, « The Hittite Nameof Til Barsip: Evidence from New HieroglyphicFragment from Tell Ahmar », AnSt 33, 1983, p.136), est appelée Til­Barsip par les Araméens etfinalement baptisée Kâr­Salmanazar (« Fort Sal­manazar ») lors de sa prise par Salmanazar III(voir par exemple A. K. Grayson, RIMA 3,A.0.102.2 l. 34­35). Le passage mentionne aussila redénomination de trois autres villes. Cesphénomènes du I millénaire sont observables dèsle début de l'installation des Araméens en Haute­Djéziré.

Lionel Marti Données nouvelles sur le « pays de Mari »

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« l'Endroit aux eaux salées ». Ce serait, dès lors, un simple phénomène de convergence dedénomination. C'est cela même d'ailleurs sans doute qui explique pourquoi le tell s'appelletoujours Ṭābān, alors que toutes les autres anciennes dénominations géographiques de la ré­gion ont disparu: l'appellation s'est maintenue, non pas parce que la tradition antique enétait vivace (on ne voit pas pourquoi), mais certainement suite à une motivation sémantiquelocale.

On connaît aussi une ville de Mariatum à l'époque amorrite, apparemment pas très loinde Kahat, donc de l'autre côté du Kawkab par rapport à Ṭâbatum, à en juger par ARM XXVI357, ce qui montre que le terme était employé dans la toponymie, Mariatum se présentantcomme une forme féminine de Mari. A.863 mentionne aussi ce toponyme. Ce textemontre que Mariatum se trouvait entre Kahat et Tillâ et la mise en rapport avec le pays deMari de l'époque moyenne et la ville de Marê d'époque récente est très tentante. Il paraîtdifficile d'envisager une dénomination Mariatum suite à un souvenir de la grande Mari puis­qu'elles sont contemporaines. Cela renforcerait l'idée d'une dénomination toponymique liéeà des caractéristiques géographiques (présence de sel), plutôt qu'à des raisons historiques.C'est effectivement une région où le sel ne manque pas.

3. L'histoire mouvementée du « Pays de Mari » à l'époque moyenneLes textes découverts récemment dans la région renseignent directement sur l'histoire de cepetit royaume qui n'apparaissait dans nos sources principalement que par sa mention dansles inscriptions de Tukulti­Ninurta I qui en avait pris le contrôle. Pour les époquesantérieures, nous ne disposons d'aucune information, dans les inscriptions royales, mais lestextes récemment découverts attestent des éponymes datant de Salmanazar I.

3.1 Le « pays de Mari », province assyrienneL'intégration du « pays de Mari » dans la zone d'influence assyrienne paraît assez ancienne.En effet, si les inscriptions découvertes à Tell Taban et à Tell Bderi indiquent que le pays estcontrôlé au plus tard au moment de la conquête de Babylone par Tukultî­Ninurta, les tablet­tes retrouvées sur place portent les indications de limmu datant de Salmanazar I. Le nombreactuel de limmu (10) montre que le pays connaissait déjà une longue période d'influence as­

Texte publié par D. Charpin, dans ARM XXVI/2,Paris, 1988, p. 131­133.

Le passage mentionnant Mariatum est cité par G.Bardet, dans ARM XXIII, Paris, 1984, p. 68­69.Voir le commentaire de D. Charpin, « A Contribu­tion to the Geography and History of the King­dom of Kahat », M. Wäfler et al. (éd.), Tall al­Hamīdīya 2, Fribourg 1990, p. 75­76 n. 29 et p.82.

D. Charpin, que je remercie vivement, m'a indi­qué ce texte et m'a fait part de ses remarques surles liens existant entre la Mariatum d'époque paléo­babylonienne et la Marê d'époque néo­assyrienne.

Voir ici même 2.2.4.

S. Maul, op. cit., ASJ SS 2, Tokyo 2005, p. 53­54.

D. Shibata, op. cit., Al­Rāfidān 29, 2008, p. 171­172.

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syrienne. S. Maul avait déjà proposé qu'une nouvelle dynastie y ait été installée par les As­syriens et qu'elle soit issue d'une des branches de la famille royale assyrienne, en mettant enrelation le Adad­bêl­gabbe connu localement avec celui connu dans les archives médio­assyri­ennes comme éponyme­lîmu et prince (mâr šarri), frère ou fils de Tukultî­Ninurta 1. Cettepratique de placer un membre de la famille royale assyrienne à la tête d'un royaume est bienconnue, notamment par l'exemple d'Ibašši­ili, frère de Salmanazar I, placé sur le trône duHanigalbat et dont la descendance devait monter sur le trône d'Aššur à la quatrième généra­tion. Ces derniers pouvaient être qualifiés à la fois de sukkal gal et de šar Hanigalbat. Lesnouveaux textes permettent de voir que cet Adad­bêl­gabbe semble être le fils d'un Aššur­ket­ta­lešir, qui aurait pu être mis en place par Salmanazar I, et dans ce cas être le même per­sonnage que celui mentionné dans le texte DeZ 3281. Succèderait à Aššur­bêl­gabbe sonfils, Rîš­Nergal, qui est suivi par une période sans documentation.

3.2 Une attaque du Suhûm contre « Mari »Ce royaume de Mari qui semble n'avoir d'existence que sur le Habur, entre Hana et Assyri­ens, est cependant susceptible d'entrer dans une histoire politique beaucoup plus large.

Un texte d'Émar, dû à un certain Šinenzuru, rapporte en effet un coup de main lancédu Suhûm vers le « pays de Mari ».

« En outre, voici que 2 Araméens sont venus depuis le Suhûm; tel est le récit qu'ils font:“Le prince du Suhûm avec ses chars, ses soldats vient d'agresser le ‘pays de Mari’ avec vi­gueur.” En outre, postérieurement à ces propos, tout le butin qu'ils ont pillé je l'écrirai chezmon seigneur. »

Comment associer le « royaume de Mari », territoire du Moyen­Habur supérieur, contrôlépar l'Assyrie, et le Suhûm, réalité du bas Moyen­Euphrate et de culture plutôt cassite?

Cette lettre permet de poser en fait la question de l'existence d'une route transversale reli­ant Ṭâbatum / Ṭâbete à la région de Hît.

L'absence de mention de sa conquête par Salmana­zar I peut indiquer que ce royaume était soit sousinfluence assyrienne sous son prédécesseur Adad­nârârî I, soit qu'il s'est soumis de lui­même à Sal­manazar I.

E. Cancik­Kirschbaum, « Nebenlinien des assyri­schen Königshauses in der 2. Hälfte des 2. Jts. v.Chr. », AoF 26, 1999, p. 210­222.

Texte publié par W. Röllig, « Aspects of the Histo­rical Geography of Northern Syria from the MiddleAssyrian to Neo­assyrian Times », S. Parpola, R.M. Whiting (éd.), Assyria 95, Proceedings in the10th Anniversary Symposium of the Neo­assyrianText Corpus Project. Helsinki september 7­10 1995,Helsinki, 1997, p. 283­284 et les commentaires de

D. Shibata, op. cit., Al­Rāfidān 29, 2008, p. 172­173.

D. Arnaud, Recherches au pays d'Aštata VI/3 n°263. Voir les collations et le commentaire de J.­M. Durand et L. Marti, « Chronique du Moyen­Euphrate 5. Une attaque de Qaṭna par le Suhûmet la question du “Pays de Mari” », RA 99, 2005,p. 123­132.

ù e­nu­ma 2 lú ah­la­mu­ú iš­tu kur sú­ú­hiit­tal­ku­ni [a]­kán­na i­dáb­bu­bu ma­a lúsà°­kin kur sú­ú­hi qa­du giš­gigir­meš­šú erin₄­meš­šú kur ma!*­rí*ki* dan°­níš ih­ta­ba­at­°[m]i ù egir­ki a­ma­ti [an­ni]­ti mi­nu­me­[ešal­l]a­tu’ ša iš­[lu]­lu­ni a­na [muh­hi] en­iaa­šap­par.

Lionel Marti Données nouvelles sur le « pays de Mari »

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L'attaque menée par le Suhûm a effectivement certainement suivi une route déjà connue àl'époque de la Mari amorrite, telle qu'elle nous est documentée par une lettre d'Ašmad,autorité bédouine bensim'alite, demandant à Zimrî­Lîm l'autorisation de piller les trou­peaux d'Išme­Dagan du Suhûm, en utilisant la route de la steppe passant par le Murdî, endescendant le Habur jusqu'à Qaṭṭunân et, de là, en suivant la route de la steppe jusqu'à Yab­liya.

De fait, le désert au sud du Sindjar était sillonné de routes dont J.­M. Durand a déjàdonné un exemple, d'Ašihum jusqu'à Saggâratum. Les inscriptions de Ninurta­kudurrî­uṣur au début du premier millénaire montrent encore cette région traversée par des bandesde nomades. Ṭâbatum / Ṭâbete était en fait un nœud majeur de communication; c'est cequi explique son histoire mouvementée.

3.3 Une conquête éphémère du pays de Mari.Dans ce cadre, la « chronique 25 » permet un approfondissement de l'histoire de ce royau­me. En voici le contexte, suivant l'édition de C. Walker:[Tukultî­Ninurta (I) roi du pays d'Aššur], avait pris [Babylone et Sip]par et contrôlé le

pays de Karduniaš. [Adad­šuma­uṣur …] restaura […]. Il reconstruisit la muraille de Nip­pur. Il établit fermement … Enlil­kudurrî­uṣur, roi du pays d'Aššur, [… ; Adad­šuma­uṣurrassemb]la [ses troupes], l'attaqua et le vainquit. […Les fonctionnaires du pays d'Aššur] sai­sirent [Enlil­kudu]rrî­uṣur, leur seigneur et (le) livrèrent à Adad­šuma­uṣur. […les ge]ns dupays de Karduniaš qui avaient fui au pays d'Aššur [également, ils] livrèrent [à Adad­šum]a­uṣur. Adad­šuma­uṣur [marcha] pour conquérir la ville (de Babylone); [sur le trône de Ba­bylone se trouvait alors] quelqu'un, fils de personne, dont le nom n'est pas mentionné. Par de

Voir J.­M. Durand, Florilegium Marianum VIII.Le Culte des pierres et les monuments commémoratifsen Syrie amorrite, Mémoires de N.A.B.U. 9, Paris,2005, texte 43 [A.2470+M.6664], p. 150­153.

Pour ce personnage, on se reportera à la bibliogra­phie réunie par J.­M. Durand et M. Guichard,« Les rituels de Mari », FM III, Paris, 1997, p. 33n. 80 ainsi qu'à J.­M. Durand, op. cit., Amurru 3,Paris, 2004, p. 117 et p. 156.

Pour cette route voir les commentaires de J.­M.Durand, op. cit., Amurru 3, Paris, 2004, p. 141­142ainsi que J.­M. Durand, op. cit., FM VIII, Paris,2005, p. 153 n. e). On se reportera pour les routesà l'époque de Mari à F. Joannès, « Routes et voiesde communication dans les archives de Mari »,dans J.­M. Durand (éd.), Mari, Ébla et les Hourri­tes, dix ans de travaux, Amurru 1, Paris, 1996, p.340­341. L'existence de routes et de déplacementsau sud du Sindjar expliquerait en partie les forteres­ses assyriennes construites sur la route reliant Aššur

à Dûr­Katlimmu (voir H. Kühne, « Dûr­Katlimmuand the Middle­Assyrian Empire », dans O. Rou­ault, M. Wäfler (éd.), La Djéziré et l'Euphrate syri­ens de la protohistoire à la fin du II millénaire av.J.­C. Tendances dans l'interprétation historique desdonnées nouvelles, Subartu VII, Turnhout, 2000, p.273).

A. Cavigneaux et B. K. Ismail, « Die Statthaltervon Suhu und Mari in 8 Jh. v. Chr. », BaM 21,1990, p. 321­456, repris par G. Frame, RIMB 2,Toronto, 1995, p. 288­323. Y ajouter les remar­ques de N. Na'aman, « Three Notes on the SuhuInscriptions », NABU 2003/86.

On se reportera aux commentaires de M. Livera­ni, « Raṣappu and Hatallu », SAAB 6/2, 1992, p.35­40 et de J.­M. Durand, op. cit., Amurru 3,Paris, 2004, p. 194­195.

Publiée par C. B. F. Walker, op. cit., Mél. Kraus,Leyde, 1982, p. 399­417.

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bonnes nouvelles [à son encontre, Adad­šuma­uṣu]r fomenta une révolte; la protection divineéternelle s'étendit sur lui, et […] il devint dirigeant [du pays] et s'établit sur son trône royal.

­­­­­­­­­­[…] ils le tuèrent.­­­­­­­­­[…] attaqua et écarta le roi du pays de Mari grâce à une rébellion. Il contrôla le pays

de Mari.­­­­­­­­­­[…la pe]ur de l'Élam lui tomba dessus. […] il construisit une ville sur les bords de

l'Euphrate et [la population] de Sumer et d'Akkad, il y fit entrer à l'intérieur. […] futcoupé et la population démunie et affamé s'appauvrit encore. […] Ils le tuèrent lors d'unerébellion.

(…)

S. Maul met les événements décrits l. 12­13 en relation avec la conquête du « pays de Mari »par Tukultî­Ninurta I, ce qui paraît peu vraisemblable:

d'une part, l'épisode se produit après la mention du roi d'Aššur Enlil­kudurrî­uṣur, doncaprès la mort de Tukultî­Ninurta I.

D'autre part, dans un texte de chronique, chaque trait de séparation correspond à un règne.Cette action contre le « pays de Mari » aurait donc eu lieu sous un successeur d'Adad­šuma­uṣur et pourrait bien avoir été, de plus, le fait d'un roi de Babylone.

L'événement pourrait ainsi être la cause de l'absence d'inscriptions à Ṭâbete, dans la périodeentre Rîš­Nergal et Etel­pî­Adad, ce qui correspond aux règnes de Ninurta­apil­ekur etd'Aššur­dan I.

La révolte du « pays de Mari » n'est certainement pas le fait d'un roi assyrien, puisque cesderniers dominaient déjà le pays.

Le premier paragraphe de la chronique traite du règne d'Adad­šuma­uṣur, soit de la fin durègne de Tukultî­Ninurta I à celui d'Enlil­kudurrî­uṣur. Les lignes 14­18 mentionnantl'Élam font allusion à la fin de la dynastie cassite, soit les règnes de Zababa­šuma­iddina etd'Enlil­nâdin­ahi. Ainsi les deux règnes des lignes 11 et 12­13 correspondent respectivementà MelišiPAK et à Marduk­apla­iddina. La mention du « pays de Mari » daterait donc de cesouverain. Du côté assyrien, cette période correspondrait au règne d'Aššur­dan 1, qui parailleurs est très mal connu. Ses inscriptions très fragmentaires concordent néanmoins avec

Ce roi, fils d'Ilî­padâ, issu d'une branche cadettede la famille assyrienne, s'est réfugié quelquesannées à Babylone avant de monter sur le trôned'Assyrie; K. Radner (éd.), PNA 2/1, Kelsinki,2000, p. 547 et E. Cancik­Kirschbaum, op. cit.,AoF 26, 1999, p. 210­222.

Cf. Ch. Walker, op. cit., Mél. Kraus, Leyde, 1982,p. 410, donnant la référence d'un texte poétique,datant de Nabu­kudurrî­uṣur relatant la fin de la

dynastie cassite. Pour ce K. 2660, voir G. Frame,RIMB 2, Toronto, 1995, B.2.4.5 et B. Foster, Be­fore the Muses, Bethesda, 2005, p. 381­383.

Voir en ce sens les remarques de Ch. Walker op.cit., Mél. Kraus, Leyde, 1982, p. 409 et p. 416­417.

La liste royale assyrienne lui attribue 46 années derègne; cf. A. K. Grayson, « Königlisten und Chro­niken », RlA 6, 1980, p. 111.

Lionel Marti Données nouvelles sur le « pays de Mari »

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la chronique dite « synchrone » qui mentionne l'attaque du roi assyrien contre Babylone,lors du règne de Zababa­šuma­iddina.

La perte du « pays de Mari » par les Assyriens a dû dater du règne de Marduk­apla­iddina.Aššur­dan a certainement repris le pays. De plus, un des rois du « pays de Mari », Mannu­lû­jâ'u, fils d'Etel­pî­Adad, est connu par un texte économique daté de 1133, soit du succes­seur d'Aššur­dan 1, Ninurta­tukultî­Aššur; il paraît vraisemblable de dater la reprise enmain du royaume par les Assyriens de l'époque du règne d'Aššur­dan 1.

Tableau chronologique récapitulatif:

J.­J. Glassner, op. cit., Atlanta, 2004, p. 178­179.

A. K. Grayson, RIMA 1, 1987, A.0.83.1001: 8'mentionne, tout comme la Chronique synchrone, le

pays d'Irriya. Ce texte indique de même une ac­tion contre le Suhûm.

S. Maul, op. cit., Tokyo, 2005, p. 12.

Chronique 25 Pays de Mari Assyrie Babylonie

§ 1: l. 1­10 Contrôle assyrien Tukultî­Ninurta I,

Enlil­kuddurî­uṣur

Adad­šuma­uṣur

§ 2: l.11 Contrôle assyrien Ninurta­apil­ekur MelišiPAK

§ 3: l. 12­13 Perte du contrôle

assyrien

Ninurta­apil­ekur,

Aššur­dan I

Marduk­apla­iddina

§ 4: l. 14­18 Contrôle assyrien Aššur­dan I Zababa­šuma­iddina

3.4 La fin de la dynastie de ṬâbeteA partir d'Aššur­dan 1 jusqu'au règne de Tiglath­phalazar I, le « royaume de Mari » sem­ble avoir été sous domination assyrienne. Néanmoins, le contrôle assyrien sur cette région adû être, à partir de la moitié du règne de Tiglath­phalazar I, moins fort puisque le souver­ain, Aššur­kettî­lêšir, a pu lancer des raids sur les territoires alentour et même créer uneforteresse à son nom, acte dénotant une certaine indépendance, peut­être envers le pouvoirimpérial assyrien, puisque cette forteresse protège son nord. La création de cette citadellepourrait marquer les limites de la réalité géographique de son royaume.

Les fouilles de Tell Bderi ont révélé des niveaux de destruction importants qui seraientpostérieurs à Aššur­kettî­lêšer, quoiqu'ils puissent marquer la fin de son époque; ils ont été eneffet interprétés comme la riposte assyrienne aux velléités d'autonomie du « royaume de Mari ».

La capitale elle­même a dû être épargnée car selon S. Maul, Aššur­kettî­lêšer aurait eudeux successeurs. La dynastie du « pays de Mari » serait documentée jusqu'à la fin du règne de

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Comme le fait remarquer E. Cancik­Kirschbaum,OLZ 92, 1997, p. 501 n. 20, la lecture m[á se trou­ve dans un texte très cassé. On s'attendrait à lirekur h[a!­na], ce que la copie n'engage cependantpas à faire.

RIMA A.0.89.1: Igištukul­ti­me­er man kurm[á­ri…] x gal­e e­r[u­ub] i­na qí­b[it] a­šur

[bêlî­ia…] al­lik kur má­r[i] […] x x […]­šu­nuas­su­[ha].

On rappellera que Dez 3281 (W. Röllig, « Aspectsof the Historical Geography of Northeastern Syriafrom the Middle Assyrian to Neo­Assyrian Times», S. Parpola, R. M. Whiting (éd.), Assyria 1995,Helsinki, 1997, p. 283), mentionne pour le siècle un Aššur­kettî­lêšir et un Tukultî­Mêr.

Tiglath­phalazar I, ou postérieurement, ce qui correspondrait bien à la dernière attestationque nous avons du « pays de Mari », dans les campagnes d'Aššur­bêl­kala.

Nous ne disposons malheureusement pas du nom des successeurs d'Aššur­kettî­lêšer. Noussavons, en revanche, que l'un des successeurs de Tigalth­phalazar I, Aššur­bêl­kala s'est di­rigé vers le « pays de Mari », où se trouvait un certain Tukultî­Mêr.

« Tukultî­Mêr, roi du pays de M[ari…], était entré dans le grand …. […] Au comman­dement d'Aššur, [mon seigneur], j'allai […]. Le pays de Mari […] je les déportai […](…). »

Nous ne savons pas si Tukultî­Mêr appartenait à la dynastie d'Adad­bêl­gabbe, ni mêmesi la campagne du roi d'Assyrie était dirigée contre lui. Le fait que son père soit qualifié de« roi du pays de Hana » pourrait laisser supposer qu'il n'était pas de la famille de Mari, qu'il aoccupé le trône par conquête et qu'il a mis fin à la dynastie d'Aššur­bêl­gabbe.

Après une seconde campagne dirigée vers le « pays de Mari », cette région disparaît de nossources. L'Assyrie se replie lentement sur elle­même. La disparition du toponyme « pays deMari » dans le monde assyrien vient certainement de sa reprise en mains par les Assyriensaprès sa révolte, qui l'auraient alors complètement intégré à l'empire.

ConclusionQuelle perception avons­nous de l'histoire de la Mésopotamiens? Le cas du « pays de Mari »est intéressant de ce point de vue. En effet, avant la découverte de l'existence d'un pays deMari autour de Ṭâbete, il paraissait évident que cela ne pouvait désigner que l'antique TellHariri. Cette évidence n'était pas le fait de la documentation ancienne, mais une simple con­statation de modernes: le site de Mari a livré un riche matériel tant archéologiquementqu'épigraphiquement; il était donc impensable qu'après sa destruction par Hammu­rabi, iln'ait pas laissé un souvenir impérissable dans la culture locale. Ainsi, les attestations du topo­nyme Mari étaient soit rattachées au Tell Hariri, avec comme problème que le site n'a pas li­vré une occupation postérieure à Zimrî­Lîm très importante, ou à une réalité géographiquedifférente mais qui serait le fruit du souvenir de la grande Mari de l'Euphrate.

Les documents découverts à Tell Bderi et à Tell Taban firent évoluer cette problématiquepuisqu'ils documentent dans le nord un « royaume de Mari ». Ainsi, une partie des mentionsdu « pays de Mari » font clairement référence à ce royaume du Nord. Par ailleurs, cette régionapparaît comme un nœud de communications important, ce qui explique son histoire mou­

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vementée, tour à tour indépendant, sous domination assyrienne, convoité par des voisins.La situation est compliquée par l'appartenance de la ville de Ṭâbatum au royaume de Hana,

formé après la destruction de Mari par Hammu­rabi, héritier (puisque successeur) du royau­me des « Bords de l'Euphrate », sans qu'il soit jamais qualifié, dans les sources à notre dispo­sition, de « pays de Mari ». Or, quelques siècles plus tard, apparaît dans le nord un « royaumede Mari », ce qui a fait dire à certains qu'il était lui­même héritier de l'antique métropole eu­phratique. Mais sa tradition locale, notamment son calendrier, ne montre que de très lointai­nes traces de l'époque précédente bien ancrée dans une tradition locale. Les graphies de sonnom notamment kur A­ri, laissent présager une réinterprétation étymologique.

La réapparition au premier millénaire d'une ville de « Marê » montre que le toponyme n'apas été oublié dans le nord. Néanmoins, la mention d'un « pays de Mari » dans la titulaturedes gouverneurs du Suhûm du siècle, n'est pas définitivement explicable faute de docu­mentation. Mais cela pourrait être un indice que le Suhûm envisageait le développement deson territoire depuis Hît/Rapiqu jusqu'à la région de Ṭâbete sur le Habur, avec comme axe laroute qui traversait le désert au sud du Sindjar, du sud­est au nord­ouest.

La situation complexe de ces toponymes au cours du temps et la motivation de ses déno­minations nous échappent encore pour une bonne part, mais l'étude de leurs évolutions estindispensable pour appréhender la vision que les cultures proche­orientales avaient d'elles­mêmes et de leur histoire.

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