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© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Gastroenterol Clin Biol 2007;31:175-179 175 POINT DE VUE Donneurs à cœur arrêté : quelle place en transplantation hépatique ? Jérôme DUMORTIER (1), Lionel BADET (2), Olivier BOILLOT (1) (1) Unité de Transplantation Hépatique, Fédération des Spécialités Digestives ; (2) Service d’Urologie et de Chirurgie de Transplantation, Hôpital Édouard Herriot, Lyon. a transplantation hépatique représente le traitement de choix des maladies hépatiques aiguës ou chroniques à un stade irréversible. Malgré une augmentation pro- gressive du nombre de donneurs en France, il existe toujours une pénurie relative de greffons, d’autant que le nombre de candidats augmente lui aussi. Pour faire face à cette pénurie, plusieurs options peuvent être envisagées, en particulier l’utili- sation de greffons dits « marginaux », pour augmenter le nombre de greffons disponibles, et obtenir des résultats accep- tables, même s’ils sont habituellement un peu moins bons que ceux obtenus avec des greffons « standard ». La transplanta- tion hépatique avec greffon prélevé chez un donneur vivant est pratiquée en France par quelques centres experts, avec de bons résultats, mais son développement est limité par le risque vital encouru par le donneur, et par une sélection drastique du donneur. Elle a représenté 9 % des transplantations hépatiques en France en 2005. La bipartition d’un greffon de très bonne qualité pour deux receveurs adultes est une alternative, ne pou- vant concerner que moins de 15 % des greffons, et est logisti- quement complexe [1]. De plus, les résultats obtenus avec un greffon gauche sont encore médiocres. Enfin, l’utilisation de greffons marginaux (foie stéatosique, donneur âgé…) fait déjà partie du quotidien d’une équipe de transplantation hépatique. À titre d’exemple, l’âge médian des donneurs en France est passé de 37,5 ans en 1996 à 47,1 ans en 2004 (données du rapport annuel de l’Agence de la Biomédecine). L’utilisation de greffons prélevés chez un donneur à cœur arrêté est une option actuellement non faisable en France, mais répandue dans le monde depuis de nombreuses années. Une conférence internationale en 1995 à Maastricht a permis d’en poser les bases [2]. Néanmoins, en France, un programme pilote a débuté en transplantation rénale, et, à terme, probablement en transplantation hépatique. Cette modalité de prélèvement est ancienne, puisque la seule possible quand on ne pouvait pas faire le diagnostic de mort encéphalique. Les premières trans- plantations hépatiques réalisées à Pittsburgh par Thomas Starzl l’ont été à partir de ce type de greffons, à la fin des années 1960. C’est ce qui a fait parler à certains de « back to the future ». Cette question suscite un grand intérêt comme en témoigne le succès de la dernière conférence internationale qui s’est tenu à Londres en mai 2006. Cette alternative pose plu- sieurs questions que nous allons aborder. Comment est défini un donneur à cœur arrêté ? Les DCD sont classés en 4 catégories dites « de Maastricht » [3]. Les catégories 1 (malade en arrêt cardiaque à la prise en charge) et 2 (échec de la réanimation) correspondent à des don- neurs « non contrôlés » et les catégories 3 (arrêt cardiaque attendu après arrêt des soins) et 4 (arrêt cardiaque chez un malade en mort encéphalique) à des donneurs « contrôlés ». Les donneurs non contrôlés correspondent à un recrutement de ser- vice d’urgence, de donneurs jeunes, pour lesquels la fenêtre de temps dans laquelle le prélèvement doit être organisé et réalisé est très réduite. Le risque d’ischémie chaude prolongée est majeur dans ces catégories de donneurs. À l’inverse, pour les donneurs de catégorie 3, plus âgés et présentant des comorbidités, le temps d’ischémie chaude peut être contrôlé, et est dans tous les cas par- faitement connu. De façon variable, le temps d’ischémie chaude est défini comme le temps entre l’arrêt cardiaque ou la constata- tion d’une hypotension artérielle (< 35 mmHg) ou d’une hypoxie (saturation < 25 %) et le début du refroidissement des organes [2, 4, 5]. À côté de l’effet délétère de l’ischémie chaude, les orga- nes issus de DCD ne subissent pas, hors catégorie 4, les effets sys- témiques de la mort encéphalique. Par contre les lésions secondaires à l’ischémie froide s’ajoutent à celles de l’ischémie chaude. Cette situation particulière a conduit à l’utilisation de nouvelles stratégies au moment du prélèvement et de la préserva- tion des organes issus de DCD. Comment se déroule le prélèvement ? Les modalités du prélèvement Pour réduire au maximum le temps d’ischémie chaude, la technique du refroidissement in situ a été proposée dans les années 1970 puis peu modifiée [6]. Il existe actuellement plu- sieurs types de cathéters conçus spécifiquement pour cet usage. Dans tous les cas, deux ballonnets, en silicone, radio-opaques, distants de 20 cm environ, ont une contenance maximale de 15 mL, et sont gonflables séparément dans l’aorte abdominale. Le massage cardiaque externe et la ventilation artificielle sont pour- suivis jusqu’à la mise en place du cathéter. La technique requiert un abord chirurgical simple au niveau du triangle de Scarpa, avec dénudation de l’artère fémorale. Cette intervention est réali- sée au lit du malade. Lorsque le cathéter est en place, ce qui peut être vérifié par les repères radio-opaques, les orifices d’irrigation, situés entre les deux ballonnets, sont en regard des artères abdo- minales (rénales ou tronc cœliaque). Après (ou mieux, quand c’est possible, avant) l’arrêt cardiaque, un bolus d’héparine est administré. Le cathéter d’irrigation est introduit par l’orifice d’artériotomie. Le ballonnet abdominal ou inférieur est gonflé en Tirés à part : J. DUMORTIER, Pavillon H, Hôpital Édouard Herriot, 69437 Lyon Cedex 03. E-mail : [email protected] L

Donneurs à cœur arrêté : quelle place en transplantation hépatique ?

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© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Gastroenterol Clin Biol 2007;31:175-179

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POINTDE VUE

Donneurs à cœur arrêté : quelle place en transplantation hépatique ?

Jérôme DUMORTIER (1), Lionel BADET (2), Olivier BOILLOT (1)

(1) Unité de Transplantation Hépatique, Fédération des Spécialités Digestives ;(2) Service d’Urologie et de Chirurgie de Transplantation, Hôpital Édouard Herriot, Lyon.

a transplantation hépatique représente le traitement dechoix des maladies hépatiques aiguës ou chroniques àun stade irréversible. Malgré une augmentation pro-

gressive du nombre de donneurs en France, il existe toujoursune pénurie relative de greffons, d’autant que le nombre decandidats augmente lui aussi. Pour faire face à cette pénurie,plusieurs options peuvent être envisagées, en particulier l’utili-sation de greffons dits « marginaux », pour augmenter lenombre de greffons disponibles, et obtenir des résultats accep-tables, même s’ils sont habituellement un peu moins bons queceux obtenus avec des greffons « standard ». La transplanta-tion hépatique avec greffon prélevé chez un donneur vivant estpratiquée en France par quelques centres experts, avec debons résultats, mais son développement est limité par le risquevital encouru par le donneur, et par une sélection drastique dudonneur. Elle a représenté 9 % des transplantations hépatiquesen France en 2005. La bipartition d’un greffon de très bonnequalité pour deux receveurs adultes est une alternative, ne pou-vant concerner que moins de 15 % des greffons, et est logisti-quement complexe [1]. De plus, les résultats obtenus avec ungreffon gauche sont encore médiocres. Enfin, l’utilisation degreffons marginaux (foie stéatosique, donneur âgé…) fait déjàpartie du quotidien d’une équipe de transplantation hépatique.À titre d’exemple, l’âge médian des donneurs en France estpassé de 37,5 ans en 1996 à 47,1 ans en 2004 (données durapport annuel de l’Agence de la Biomédecine). L’utilisation degreffons prélevés chez un donneur à cœur arrêté est uneoption actuellement non faisable en France, mais répanduedans le monde depuis de nombreuses années. Une conférenceinternationale en 1995 à Maastricht a permis d’en poser lesbases [2]. Néanmoins, en France, un programme pilote adébuté en transplantation rénale, et, à terme, probablement entransplantation hépatique. Cette modalité de prélèvement estancienne, puisque la seule possible quand on ne pouvait pasfaire le diagnostic de mort encéphalique. Les premières trans-plantations hépatiques réalisées à Pittsburgh par Thomas Starzll’ont été à partir de ce type de greffons, à la fin des années1960. C’est ce qui a fait parler à certains de « back to thefuture ». Cette question suscite un grand intérêt comme entémoigne le succès de la dernière conférence internationale quis’est tenu à Londres en mai 2006. Cette alternative pose plu-sieurs questions que nous allons aborder.

Comment est défini un donneur à cœur arrêté ?

Les DCD sont classés en 4 catégories dites « de Maastricht »[3]. Les catégories 1 (malade en arrêt cardiaque à la prise encharge) et 2 (échec de la réanimation) correspondent à des don-neurs « non contrôlés » et les catégories 3 (arrêt cardiaqueattendu après arrêt des soins) et 4 (arrêt cardiaque chez unmalade en mort encéphalique) à des donneurs « contrôlés ». Lesdonneurs non contrôlés correspondent à un recrutement de ser-vice d’urgence, de donneurs jeunes, pour lesquels la fenêtre detemps dans laquelle le prélèvement doit être organisé et réalisé esttrès réduite. Le risque d’ischémie chaude prolongée est majeurdans ces catégories de donneurs. À l’inverse, pour les donneursde catégorie 3, plus âgés et présentant des comorbidités, le tempsd’ischémie chaude peut être contrôlé, et est dans tous les cas par-faitement connu. De façon variable, le temps d’ischémie chaudeest défini comme le temps entre l’arrêt cardiaque ou la constata-tion d’une hypotension artérielle (< 35 mmHg) ou d’une hypoxie(saturation < 25 %) et le début du refroidissement des organes[2, 4, 5]. À côté de l’effet délétère de l’ischémie chaude, les orga-nes issus de DCD ne subissent pas, hors catégorie 4, les effets sys-témiques de la mort encéphalique. Par contre les lésionssecondaires à l’ischémie froide s’ajoutent à celles de l’ischémiechaude. Cette situation particulière a conduit à l’utilisation denouvelles stratégies au moment du prélèvement et de la préserva-tion des organes issus de DCD.

Comment se déroule le prélèvement ?

Les modalités du prélèvement

Pour réduire au maximum le temps d’ischémie chaude, latechnique du refroidissement in situ a été proposée dans lesannées 1970 puis peu modifiée [6]. Il existe actuellement plu-sieurs types de cathéters conçus spécifiquement pour cet usage.Dans tous les cas, deux ballonnets, en silicone, radio-opaques,distants de 20 cm environ, ont une contenance maximale de15 mL, et sont gonflables séparément dans l’aorte abdominale. Lemassage cardiaque externe et la ventilation artificielle sont pour-suivis jusqu’à la mise en place du cathéter. La technique requiertun abord chirurgical simple au niveau du triangle de Scarpa,avec dénudation de l’artère fémorale. Cette intervention est réali-sée au lit du malade. Lorsque le cathéter est en place, ce qui peutêtre vérifié par les repères radio-opaques, les orifices d’irrigation,situés entre les deux ballonnets, sont en regard des artères abdo-minales (rénales ou tronc cœliaque). Après (ou mieux, quandc’est possible, avant) l’arrêt cardiaque, un bolus d’héparine estadministré. Le cathéter d’irrigation est introduit par l’orificed’artériotomie. Le ballonnet abdominal ou inférieur est gonflé en

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premier avec de l’eau stérile, puis le ballonnet thoracique. Lecathéter est alors raccordé au système de perfusion et l’irrigationpar le soluté de conservation froid est débutée. Il faut assurer éga-lement un retour veineux, pour éviter toute hyperpression, soit parun cathéter de grand calibre, soit par une sonde de Foley, mis enplace dans la veine fémorale. Les solutés de conservation cou-ramment utilisés sont la solution de l’Université du Wisconsin etses évolutions ; il doit s’agir de soluté le moins visqueux possible.La perfusion se fait à un débit de 250 mL/min durant 30 minutes,puis de 100 mL/min.

Sélection du donneur

Le prélèvement chez un DCD pose nombre de questions éthi-ques, différentes du donneur en état de mort encéphalique. Il y a làun conflit d’intérêt potentiel entre les soins du malade qui n’est pasencore un donneur, et la mise en condition d’un malade quidevient un donneur potentiel. Ainsi, des règles absolues ont étédictées par l’Institute of Medicine aux USA [7]. Le prélèvement doitêtre réalisé chez un donneur décédé (le décès est, dans cette situa-tion, défini par l’arrêt cardiaque). Le temps entre la mort et ledébut du prélèvement peut varier selon les pays, de 2 à10 minutes. La conférence de Maastricht a recommandé d’atten-dre 10 minutes au moins [2]. Aux USA, une période de 5 minutesest recommandée. La reprise d’une fonction cardiaque est raris-sime après 2 minutes. Les soins d’un malade vivant ne doivent pasêtre compromis en faveur d’un éventuel don d’organe. L’interpré-tation de cette règle varie selon les pays. Par exemple, la mise enplace du cathéter de perfusion, le traitement anticoagulant… peu-vent-ils être débutés avant l’arrêt cardiaque ? L’obtention du con-sentement doit précéder le prélèvement. Ceci ne diffère pas desdonneurs à cœur battant, mais est particulièrement difficile dans lecas des donneurs non contrôlés. Dans ce dernier cas, le condition-nement du malade (futur donneur) pour le prélèvement pourraitêtre initié avant d’avoir un consentement (mise en place du cathé-ter et perfusion des organes), et donc éventuellement interrompu.

En cas d’arrêt des soins (catégorie 3), l’arrêt cardiaque nesurvient pas immédiatement, et ceci peut conduire à un tempsprolongé d’hypoxie et d’hypotension. Il a été proposé de ne pasprélever le foie chez un donneur dont l’arrêt cardiaque est sur-venu plus de 1 heure après arrêt des soins [4, 8].

Une question majeure concerne le potentiel représenté par leprélèvement d’organe chez des DCD. Il est supérieur pour lescatégories 1 et 2 par rapport aux catégories 3 et surtout 4. Dansles centres actifs, il a été rapporté une part comprise entre 4 et10 % pour le foie [4, 5, 8].

Quels sont les résultats en transplantation rénale ?

L’expérience en transplantation rénale est considérablementplus importante qu’en transplantation hépatique, et permet detirer quelques résultats qui peuvent être utiles pour évaluer cetype particulier de greffon en transplantation hépatique. Récem-ment, il a été rapporté que la survie du greffon et sa fonctionpouvaient être similaires en comparaison des greffons prélevéschez un donneur à cœur battant [9-12]. Les résultats du registreaméricain (UNOS) ont été analysés, concluant à une incidenceaccrue de prise fonction retardée (et donc de recours à la dia-lyse) et de non-fonction primaire [9]. Par contre, la fonction et lasurvie à 1 an du greffon étaient identiques. Dans une autreétude, Casavilla et al. [13] ont rapporté une survie à 1 an dugreffon de 86 % pour des donneurs contrôlés, et de 82 % pourdes donneurs non contrôlés. De même, une autre étude a montrédes résultats également similaires, bien que comportant unemajorité de donneurs non-contrôlés, expliquant 84 % de reprise

de fonction retardée sans effet délétère à long terme [10]. L’utili-sation d’une machine à perfuser pourrait améliorer les résultats,surtout pour les donneurs non contrôlés, même si ce n’est pas lecas dans toutes des études, en permettant de tester la viabilité dugreffon par la mesure d’activités enzymatiques et la résistancevasculaire.

Quels sont les résultats en transplantation hépatique ?

Survie du greffon et du receveur

La principale différence entre transplantation hépatique ettransplantation rénale, tient aux conséquences de la non-fonc-tion primaire, et dans une moindre mesure de la reprise de fonc-tion retardée chez le receveur d’un greffon hépatique. Lasélection du donneur est donc la pierre angulaire de la trans-plantation hépatique à partir d’un DCD. Tout doit ensuite être misen œuvre pour réduire le temps d’ischémie chaude et le tempsd’ischémie froide. En effet, il n’existe pas de moyen de mesurefiable de la viabilité d’un greffon hépatique. Seul un examenattentif, par un opérateur expérimenté, peut mettre en évidencedes anomalies de couleur et/ou de texture du foie au moment duprélèvement [8, 13]. Un examen histologique peut parfois aider,pour évaluer par exemple le degré de stéatose. Un organe peutêtre finalement non utilisé jusque dans 40 % des cas [5].

Dans l’interprétation des résultats, il faut tenir compte destypes de donneur utilisé dans les différents centres : catégories 1et 2 en Espagne, catégorie 3 surtout aux USA et au Royaume-Uni, catégorie 4 au Japon. Les résultats disponibles sont résu-més dans le tableau I.

Les résultats initiaux de la période « moderne », dans lesannées 1990, de la transplantation hépatique à partir de foie deDCD, étaient extrêmement décevants, en comparaison des résul-tats habituels, en raison d’un taux élevé de non-fonction pri-maire. Une non-fonction primaire était plus souvent observéedans les cas de donneurs non contrôlés : 50 % chez les6 receveurs de Casavilla et al., à Pittsburgh [13] et par voie deconséquence une survie du greffon faible (17 % à 1 an danscette série). En Espagne, avec cette même catégorie de donneurs,les résultats étaient un peu meilleurs, mais médiocres, avec 25 %de non-fonction primaire et 55 % de survie à 2 ans [14]. Lemême groupe a ensuite rapporté une série de receveurs de foieprélevé avec une réanimation cardio-respiratoire, mécanique oupar dérivation cardio-vasculaire. Pour les 10 foies prélevés sousréanimation mécanique (compression-décompression) il existaitun taux faible de non-fonction primaire de 10 %, et une survie de80 % à 2 ans [15]. Les auteurs soulignaient que la mise en placed’une dérivation cardio-vasculaire allonge le temps de prélève-ment, ce qui représente un inconvénient de la technique à cotéde son intérêt potentiel. Dans ces conditions, sur 14 malades, lesrésultats étaient moins favorables, avec 28 % de non-fonctionprimaire et une survie du greffon de 43 % à 2 ans [16].

Une analyse du registre de l’UNOS en 2004, portant sur lesmalades transplantés entre 1993 et 2001, a montré des résultatsnon différents selon la catégorie des DCD favorables en utilisantdes DCD contrôlés ou non contrôlés, sur 144 receveurs [17]. Deplus, les résultats ont été comparés aux résultats habituels lorsquele greffon est prélevé chez un donneur en état de mort encéphali-que, montrant une survie du greffon à 1 an et à 3 ans significati-vement inférieure, de 10 % environ : 70,2 % vs 80,4 % et 63,3 %vs 72,1 %, mais une survie des malades identique : 79,7 % vs85 % et 72,1 % vs 77,4 %. Ces résultats étaient en accord avecl’expérience initiale de l’Université de Wisconsin, rapportant en2000 un taux de non-fonction primaire accru chez les DCD(10,5 % vs 1,3 %) et une survie du greffon inférieure à 3 ans

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(53,8 % vs 80,9 %), avec un effet apprentissage [4]. Dans l’étudede l’UNOS, les taux de non-fonction primaire (11,8 vs 6,4 % pourles greffons « standard ») et de retransplantation étaient significa-tivement supérieurs (13,9 % vs 8,3 %). Le temps d’ischémie froideétait corrélé à la perte de greffon, avec une limite de 8 heures. Deplus, 25 % des 12 greffons prélevés chez un donneur de plus de60 ont fait une non-fonction primaire. Dans l’expérience deMiami, les résultats n’étaient pas influencés par l’âge inférieur ousupérieur à 55 ans des donneurs contrôlés dans tous les cas [5].

Récemment, Muiesan et al. [18] ont rapporté les résultats de32 transplantations hépatiques à partir de foie de DCD contrôlés,avec moins de 30 minutes d’ischémie chaude (5 minutes d’attenteaprès arrêt cardiaque). Seulement 33 organes prélevés sur60 ont été utilisés, soit 55 %. La survie des greffons et des mala-des étaient de 87 % et 84 %, après un suivi médian de 15 mois.Cette même équipe a rapporté la faisabilité de partager ce typede greffons pour la transplantation hépatique d’enfants [19]. Lesdonnées de l’UNOS ont été de nouveau analysées très récem-ment, uniquement pour les 367 malades transplantés entre 1996et 2003 [20]. Les receveurs ont été classés selon leur âge, leurétat clinique le jour de la transplantation hépatique, une indica-tion de retransplantation, le recours à une dialyse et leur fonctionrénale, en receveur « à risque » ou non. La survie des foies deDCD était inférieure à la survie des foies prélevés chez un don-neur en mort encéphalique, comme noté sur la période initiale :71 % à 1 an et 60 % à 3 ans vs 80 % et 72 %, mais cette diffé-rence disparaissait si on considérait seulement les receveurs non« à risque » (survie de 81 % à 1 an et 67 % à 3 ans), soulignantencore la nécessité d’appariement entre le greffon et le receveur.

Complications

Les résultats à moyen et long terme de la transplantationhépatique à partir de foie de DCD sont grevés par des complica-tions spécifiques liées le plus souvent à l’ischémie chaude etfroide, telles que sténoses artérielles [13], cholestase précoce [8],cholangite ischémique [21], et rejet [8]. Ceci doit donc conduire àun appariement adapté entre le greffon et le receveur, c’est-à-direne pas allouer un greffon marginal à un receveur à risque. Abtet al. [21] ont rapporté des résultats de survie identiques entreDCD et donneurs « standard », mais avec un taux de sténosesbiliaires ischémiques plus élevé (33,3 % vs 9,5 %).

Quels progrès peut-on attendre ?

De nombreux travaux expérimentaux, chez l’animal surtout,sont en cours, et pourront déboucher sur l’amélioration de la qua-lité des organes prélevés chez un DCD.

Lorsqu’un traitement peut être administré avant l’arrêt cardia-que, surtout pour des donneurs de catégorie 3, il ne doit pasavoir d’effet délétère sur le donneur et pouvoir améliorer la qua-lité du greffon. Les plus fréquemment utilisés sont l’héparine et laphentolamine [4, 22]. L’intérêt d’un traitement fibrinolytique a étédémontré pour le prélèvement de reins chez l’homme [23]. Onpeut également administrer chez le donneur ou le receveur desproduits tels que prostaglandine E1 [24], vitamine E, N-acétylcys-téine [25], milrinone [26], pentoxyphylline [27].

Avant le prélèvement, une oxygénation des organes abdomi-naux peut être maintenue. Ceci peut être réalisé par l’intermé-diaire d’un massage cardiaque externe avec ventilationmécanique [10], ou par une dérivation cardio-pulmonaire, ennormo- ou hypothermie [28, 29]. Une étude chez l’homme a étérapportée, portant sur des donneurs non-contrôlés, avec un tauxde non-fonction primaire de 28 % [14]. L’intérêt de cette techni-que a été suggéré dans des études précliniques chez le porc [30].

Le liquide de perfusion utilisé doit être le faible viscosité [31]et le plus fréquemment utilisé a été la solution de l’université deWisconsin, mais récemment, d’autres solutés, tels que le Celsior,ont donné des résultats prometteurs [32]. Le liquide conservationpeut être modifié, avec adjonction par exemple de glucagon [33]ou d’antagonistes de l’endothéline et du PAF [34].

Une fois l’organe prélevé, plusieurs techniques ont été propo-sées pour en améliorer la préservation [35]. La majorité des résul-tats concerne, dans ce domaine également les reins, mais peut, oupourrait, être étendue au foie. La technique d’insufflation d’oxy-gène par les veines sus-hépatiques en adjonction du liquide deconservation [36] a été testée chez le porc, permettant d’améliorerla viabilité des foies prélevés. Les organes peuvent être placésdans une machine permettant une perfusion en hypothermie ou ennormothermie. Cette perfusion peut être réalisée avec du liquidede conservation ou du sang. La perfusion normothermique estréalisée à l’aide d’un circuit identique à une dérivation cardio-pul-

Tableau I. – Résultats de la transplantation hépatique à partir de donneurs à cœur arrêté.Results of liver transplantation from donors after cardiac death.

Centre[Réf.]

Année Malades (N)

Type de donneurs

Non-fonction primaire

(%)

Suivi(mois)

Survie greffons

(%)

Surviemalades

(%)

Pittsburgh [13] 1995 66

DCD-CDCD-NC

050

1212

5017

5067

Philadelphie [8] 2000 8 DCD-C 0 18 100 100

Wisconsin [4] 2000 19 DCD-C 10,5 36 53,8 72,6

Miami [5] 2003 25 DCD-C NR 12 72 76

Philadelphie [21] 2003 15 DCD-C 6,7 36 79 79

La Corogne [14] 2003 20 DCD-NC 25 24 55 80

UNOS [17] 2004 144 DCD-CDCD-NC

11,8 1236

70,263.3

79,772,1

Londres [18] 2005 33 DCD-C 3 15 84 87

UNOS [20] 2006 367 DCD-C et -NC — 1236

7160

——

C = contrôlé ; NC = non-contrôlé

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monaire [37, 38]. Si le foie prélevé est ainsi artificiellement per-fusé, la production de bile ou des activités enzymatiques sontmesurables et peuvent être le témoin de la qualité fonctionnelle del’organe. Une étude chez le porc a montré la supériorité de cettetechnique par rapport à une perfusion en hypothermie ou unepréservation standard [37]. La perfusion en hypothermie a seule-ment été évaluée dans un modèle de foie de rat [39].

Conclusion

L’activité de transplantation hépatique à partir de foie issu deDCD reste restreinte à des centres experts dans le monde. Lesrésultats sont encourageants, s’améliorent progressivement, etrapidement si l’on considère le faible nombre de transplantationshépatiques réalisées ces 10 dernières années. Les résultats sontmoins bons lorsqu’on utilise des donneurs non contrôlés, etlorsqu’on compare DCD et greffons « standard », mais ces diffé-rences se réduisent progressivement. Des grands progrès doiventêtre faits dans la sélection du donneur, mais aussi du receveur,qui doit être informé de ce type particulier de greffon, et avoirdonné son accord au préalable, et surtout dans la préservationdu greffon. Par ailleurs, un effort d’information doit être fait dansla population générale pour obtenir l’accord du plus grand nom-bre, dans une situation dramatique, mais probablement moinsque la mort encéphalique si l’on considère les donneurs de caté-gories 1 et 2 comme ce devrait être le cas initialement en France,car la mort par arrêt cardiaque est certainement mieux appré-hendée que le concept de mort encéphalique.

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