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DOSSIER L’ENTRETIEN MOTIVATIONNEL 22 SANTÉ MENTALE | 164 | JANVIER 2012 Émeric LANGUÉRAND Psychologue, psychothérapeute, CH Sainte-Anne, SHU du P r Krebs. Président de l’Association francophone de diffusion de l’entretien motivationnel. Dans le champ de la santé men- tale, les patients sont souvent confron- tés à la question du changement : inté- grer un suivi médical dans son quotidien, faire régulièrement des examens médicaux, prendre un traitement médicamenteux, modifier son alimentation pour éviter de prendre du poids, diminuer ou arrêter sa consommation d’alcool ou de drogues… Une part importante de l’amélioration de la santé de ces patients repose sur la réalisation de ces changements. Dans ce contexte, le rôle du soignant est de favo- riser ces évolutions par un accompagne- ment qui permette un changement durable, une modification qui perdure au-delà de la consultation ou de l’hospitalisation. Quand le patient se retrouve à nouveau dans son quotidien, il doit en effet enga- ger ou poursuivre par lui-même le change- ment évoqué. Le soignant peut alors se trouver dans une position inconfortable, tiraillé entre : – sa conviction que des changements de comportement pourraient être favorables à la santé du patient – son impuissance à le contraindre dura- blement ; – son souhait de ne pas s’engager sur une voie « dirigiste » alors que l’éthique actuelle promeut l’autonomisation plus grande du patient et sa participation active aux soins (cf.l’article de B. Leroy, p. 70). Pour gérer cette tension, deux attitudes peuvent être envisagées : soit assumer une position de témoin et peu intervenir, soit au contraire chercher à prendre en main la situation et conduire d’autorité le patient. Ces deux positions peuvent être nécessaires au cours de certaines prises en charge ou à des moments particuliers du parcours de soins. Une écoute sans intervention reste un soutien précieux pour des patients vivant un événement de vie dramatique. De même, l’hospitalisa- tion sous contrainte est parfois indispen- sable pour protéger le patient et son entourage. Cependant, dans d’autres cas, ces positions ne sont pas satisfaisantes. Difficile de rester spectateur quand la vie du patient est en jeu, difficile égale- ment de maintenir une contrainte perma- nente pour des raisons tant éthiques que pragmatiques. Alors que faire ? Comment accompagner les patients vers un chan- gement de comportement en faveur de leur santé? Comment les aider à mettre en œuvre et à maintenir ce changement ? Les soi- gnants peuvent-ils favoriser ce mouve- ment vers le changement ? UNE AUTRE ATTITUDE C’est à ces questions que William Miller et Stephen Rollnick (2006) ont cherché à répondre en élaborant une méthode de communication centrée sur la personne, l’entretien motivationnel (EM), dont l’en- jeu est d’aider les patients à s’engager dans un changement de comportement favorable à leur santé. C’est dans le domaine de l’al- coologie que l’EM a été inventé et théo- risé dans les années 1980. Les proposi- tions thérapeutiques y étaient limitées et ne reposaient que faiblement sur les trai- tements médicamenteux. Initialement, les auteurs se sont appuyés sur différents concepts issus des approches cognitivo- comportementales, puis, peu à peu, l’EM a reposé sur des notions propres issues des recherches sur son efficacité. L’entretien motivationnel s’inscrit ainsi dans un environnement où l’on retrouve la thé- rapie centrée sur la personne de Carl Rogers (voir l’article de T. Le Merdy p. 42), la balance décisionnelle de Janis et Mann, le sentiment d’efficacité person- nelle de Bandura, ou encore la théorie de la réactance de Brehm (voir définitions p. 29). Cette hérédité a été une source de confusion importante quand Miller et Rollnick ont inclus dans l’un de leurs ouvrages (2002) un chapitre consacré au modèle transthéorique du change- ment (les « stades » du changement) rédigé par Prochaska et DiClemente. Pendant un temps, l’EM a été perçu comme une forme d’entretien visant à accompagner le patient dans le passage de ces « stades », abordés alors comme des étapes identifiables dans un par- cours de changement de comportement. Certains centres de soins ont même défini des modalités de prise en charge en fonc- tion du stade auquel le patient est sup- posé être à son arrivée. Comme l’a souligné William Miller en 2006, l’EM n’est pas une application du modèle transthéorique du changement, ni une forme de thérapie centrée sur la personne. En effet, s’il s’inscrit dans une continuité idéologique, notamment avec l’approche rogérienne, il présente des particularités à la fois dans l’articulation et l’application de certaines théories antérieures, mais aussi dans l’émergence de concepts nouveaux dont il est porteur. Le « discours-changement » (voir plus loin) L’entretien motivationnel propose aux soignants un autre style relationnel, celui qui consiste à favoriser la motivation du patient au changement sans chercher à le convaincre ni à le contraindre. L’entretien motivationnel:

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DOSSIER L’ENTRETIEN MOTIVATIONNEL

22 SANTÉ MENTALE | 164 | JANVIER 2012

Émeric LANGUÉRAND

Psychologue, psychothérapeute, CH Sainte-Anne, SHU du Pr Krebs. Président de l’Association

francophone de diffusion de l’entretien motivationnel.

Dans le champ de la santé men-tale, les patients sont souvent confron-tés à la question du changement : inté-grer un suivi médical dans son quotidien,faire régulièrement des examens médicaux,prendre un traitement médicamenteux,modifier son alimentation pour éviter deprendre du poids, diminuer ou arrêter saconsommation d’alcool ou de drogues…Une part importante de l’améliorationde la santé de ces patients repose sur laréalisation de ces changements. Dans cecontexte, le rôle du soignant est de favo-riser ces évolutions par un accompagne-ment qui permette un changement durable,une modification qui perdure au-delà dela consultation ou de l’hospitalisation.Quand le patient se retrouve à nouveaudans son quotidien, il doit en effet enga-ger ou poursuivre par lui-même le change-ment évoqué.Le soignant peut alors se trouver dans uneposition inconfortable, tiraillé entre : – sa conviction que des changements decomportement pourraient être favorablesà la santé du patient– son impuissance à le contraindre dura-blement ;– son souhait de ne pas s’engager sur unevoie « dirigiste » alors que l’éthique actuellepromeut l’autonomisation plus grande dupatient et sa participation active aux soins(cf.l’article de B. Leroy, p. 70).

Pour gérer cette tension, deux attitudespeuvent être envisagées : soit assumer uneposition de témoin et peu intervenir, soitau contraire chercher à prendre en mainla situation et conduire d’autorité lepatient. Ces deux positions peuvent êtrenécessaires au cours de certaines prisesen charge ou à des moments particuliersdu parcours de soins. Une écoute sansintervention reste un soutien précieuxpour des patients vivant un événement devie dramatique. De même, l’hospitalisa-tion sous contrainte est parfois indispen-sable pour protéger le patient et sonentourage. Cependant, dans d’autres cas,ces positions ne sont pas satisfaisantes.Difficile de rester spectateur quand lavie du patient est en jeu, difficile égale-ment de maintenir une contrainte perma-nente pour des raisons tant éthiques quepragmatiques. Alors que faire ? Commentaccompagner les patients vers un chan-gement de comportement en faveur de leursanté? Comment les aider à mettre en œuvreet à maintenir ce changement ? Les soi-gnants peuvent-ils favoriser ce mouve-ment vers le changement ?

UNE AUTRE ATTITUDEC’est à ces questions que William Milleret Stephen Rollnick (2006) ont cherchéà répondre en élaborant une méthode decommunication centrée sur la personne,l’entretien motivationnel (EM), dont l’en-jeu est d’aider les patients à s’engager dansun changement de comportement favorableà leur santé. C’est dans le domaine de l’al-coologie que l’EM a été inventé et théo-risé dans les années 1980. Les proposi-tions thérapeutiques y étaient limitées etne reposaient que faiblement sur les trai-tements médicamenteux. Initialement, les

auteurs se sont appuyés sur différentsconcepts issus des approches cognitivo-comportementales, puis, peu à peu, l’EMa reposé sur des notions propres issuesdes recherches sur son efficacité.L’entretien motivationnel s’inscrit ainsi dansun environnement où l’on retrouve la thé-rapie centrée sur la personne de CarlRogers (voir l’article de T. Le Merdyp. 42), la balance décisionnelle de Janiset Mann, le sentiment d’efficacité person-nelle de Bandura, ou encore la théorie dela réactance de Brehm (voir définitionsp. 29). Cette hérédité a été une sourcede confusion importante quand Miller etRollnick ont inclus dans l’un de leursouvrages (2002) un chapitre consacréau modèle transthéorique du change-ment (les « stades » du changement)rédigé par Prochaska et DiClemente.Pendant un temps, l’EM a été perçucomme une forme d’entretien visant àaccompagner le patient dans le passagede ces « stades », abordés alors commedes étapes identifiables dans un par-cours de changement de comportement.Certains centres de soins ont même définides modalités de prise en charge en fonc-tion du stade auquel le patient est sup-posé être à son arrivée.Comme l’a souligné William Miller en2006, l’EM n’est pas une application dumodèle transthéorique du changement,ni une forme de thérapie centrée sur lapersonne. En effet, s’il s’inscrit dans unecontinuité idéologique, notamment avecl’approche rogérienne, il présente desparticularités à la fois dans l’articulationet l’application de certaines théoriesantérieures, mais aussi dans l’émergencede concepts nouveaux dont il est porteur.Le « discours-changement » (voir plus loin)

L’entretien motivationnel propose aux soignants un autre style relationnel, celui quiconsiste à favoriser la motivation du patient au changement sans chercher à leconvaincre ni à le contraindre.

L’entretien motivationnel:

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est, par exemple, une notion fondamen-tale propre à cette forme d’entretien etau cœur même de sa pratique.L’EM marque également sa différencepar son accessibilité élargie à l’ensembledes professions de santé, incluant notam-ment les aspects sociaux et les profes-sionnels qui y sont rattachés. Il ne s’agitpas d’une forme de psychothérapie maisd’une méthode de communication, uneattitude relationnelle entre patients etsoignants. Il peut être utilisé par l’ensembledes intervenants d’une institution, del’aide-soignant au psychiatre.L’EM est avant tout une pratique qui s’ins-crit dans l’evidence-based medecine(médecine factuelle ou médecine fondéesur les preuves [1]). Sa théorisation partde l’observation clinique avec l’objectif demieux en comprendre les composantesefficaces pour enrichir la pratique en retour.

AVANT TOUT, UNE PRATIQUEWilliam R. Miller et Stephen Rollnickdéfinissent l’EM comme une « méthodede communication, à la fois directive etcentrée sur la personne, qui vise l’aug-mentation de la motivation (intrinsèque)au changement par l’exploration et larésolution de l’ambivalence » (Miller,Rollnick, 2002). L’enjeu est de favoriserla motivation du patient à modifier soncomportement plutôt que d’essayer dele convaincre, voire de le contraindre àle faire. Cette approche stipule que chaquepatient porte en lui la motivation à chan-ger de comportement et que le soignantpeut, par son attitude, favoriser ou noncette aptitude.Pour cela, la pratique de l’EM suit quatreprincipes structurants, les quatre « E », quianiment la conduite des entretiens.– L’intervenant va Éviter le réflexe correc-teur en s’abstenant de corriger le patientdans sa manière d’aborder sa santé, enévitant de lui expliquer quel changementil devrait mettre en œuvre et en ne cher-chant pas à le convaincre sur la façon dontil devrait l’engager.– Il va plutôt s’inscrire dans une démarchecollaborative en Explorant et comprenantles motivations propres du patient.– Pour cela, le soignant va notamment Écou-ter avec empathie le discours du patient,en cherchant à ressentir au plus près levécu du patient comme s’il le partageait,sans pour autant devoir adhérer au pointde vue exprimé.– Enfin, l’intervenant s’attache à Encou-rager l’espoir et l’optimisme chez le sujet,

en le renforçant dans ses capacités às’engager et à mener le ou les change-ments de comportement favorables à sasanté.« Cela implique que l’on guide plus qu’onne dirige, que l’on danse plus qu’on nelutte, que l’on écoute plus que l’on neparle. » (Rollnick, Miller, Butler, 2009).Avec l’EM, un autre style relationnel estproposé aux soignants : guider. Il s’agitd’une troisième voie, entre diriger(contraindre ou décider à la place dupatient) et suivre (écouter sans chercherà intervenir).

GUIDER, DIRIGER OU SUIVRECes trois styles utilisent des compétencesrelationnelles a priori identiques maisemployées très différemment d’un styleà l’autre. Interroger, écouter et informersont trois savoir-faire utilisés dans unentretien avec un patient (voir figure 1,ci-contre).Dans le style « diriger », la délivrance d’in-formation est prépondérante devant, res-pectivement, l’interrogation et l’écoute.Dans le style « suivre », l’écoute est aupremier plan, suivi par le questionne-ment puis l’information.Dans le style « guider » de l’EM, l’inter-rogation, l’écoute et l’information ont lamême importance et reposent sur unepratique différente des autres styles. L’in-terrogation y recourt à des questionsouvertes dont l’objectif est de faire émer-ger un discours en faveur du change-ment plutôt que de recueillir les élé-ments factuels qui permettront de délivrerdes informations et des conseils (atti-tude propre au style diriger). L’écouteest réflective, c’est-à-dire que l’on ren-voie au patient une partie de ce qui a étéécouté, entendu et compris de son dis-cours. Régulièrement, des résumés vien-nent synthétiser les éléments clés de sonpropos. Cette attitude, par le choix desreflets, favorise l’expression par le patientdes éléments du changement et l’aide àrésoudre son ambivalence face à celui-ci. Enfin, l’intervenant évite de délivrerl’information, il s’appuie au préalablesur les connaissances et les demandes dupatient qu’il aura fait émerger par l’in-terrogation et l’écoute, et auxquelles ilrépond en fournissant, le cas échéant, descompléments d’information. Le soignant va donc aider le patient àdécider par lui-même du changement etde la manière de le conduire. Il intervientpour accompagner ce patient sur le chemin

L’artiste : Pierre AlbasserPierre Albasser est né le 23 décembre 1936 à Mulhouse. Après des études demathématiques, il intègre une écoled’ingénieurs. C’est un griffoneur permanentdans son activité professionnelle. En 1992, poussé vers la retraite par la crisedu bâtiment, et encouragé par son épouseet inspiratrice Gudrun, il se met alorsdessiner pour de bon.C’est un nouveau départ. Autodidacte,Pierre Albasser commence un travail de création postale, avant d’aborder trèsvite d’autres supports. Refusant d’acheterdu matériel et de se laisser enfermer dans les formats d’usage, rectangulaire ou carré, il choisit d’utiliser des emballagesdes produits domestiques de la viequotidienne. Pour dessiner, il se sert decartouches d’encre, de crayons feutres et de stylos bille usagés qu’il récupère ici etlà, auprès de commerçants ou d’amis.Aucun acte marchand ne doit contraindrecelui de créer. Le choix des supports induitdifférents formats, initialement petits, quiévoluent progressivement vers des grandesdimensions. Jouant avec leurs perforationsinsolites et leurs découpes, il dessine desstries et des hachures plus ou moins densesqui produisent des formes humaines,animales et végétales. Ses œuvres,essentiellement monochromes à sesdébuts, se colorent au fil du temps, trèslentement mais en continu, prenant desteintes de plus en plus vives et diversifiées.Pierre Albasser se sent proche de l’artsingulier mais explique que « le plaisir defaire et faire plaisir à mon entourage sontles seuls buts de ma productionquotidienne. » Nos lecteurs ont déjàrencontré cette œuvre originale dans notrenuméro sur l’empathie (n° 158, mai 2011).Nous retrouvons avec bonheur ses drôles de créatures, décalées, espiègles, étranges,si vivantes qu’elles paraissent inciter au dialogue…

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du changement, en guidant l’entretienet non le patient lui-même.Favoriser l’autonomie et reconnaître son librearbitre à l’égard du changement ne signi-fie pas pour autant que l’entretien reste sansobjectif. Dans l’EM, l’intervenant a un oudes objectifs de modification du compor-tement du sujet pour sa santé. Il ne va pasles imposer mais va plutôt rechercher à faireémerger chez la personne le développe-ment de facteurs motivationnels propicesà ce changement en le guidant dans saréflexion sur son propre objectif et lesmoyens de l’atteindre. Pour cela, il va êtreattentif aux modes d’expression du patientqui vont le guider dans son intervention.

AMBIVALENCE ET CHANGEMENTFace à un changement, les sujets sont sou-vent ambivalents, même si ce dernierest bénéfique pour leur santé. Noussavons tous qu’une activité physiquerégulière et une alimentation équilibréejouent un rôle important pour notre santé.Pourtant, peu s’y tiennent. Car changer,c’est modifier des habitudes et gérer lesaspects gênants de ce changement : sedéplacer régulièrement pour consulter,prendre un traitement médicamenteuxauquel sont associés des effets secondaires,faire des analyses biologiques régulièrespour surveiller l’impact du traitement…Cette ambivalence apparaît dans le discours

des patients qui exposent aux soignantsdes arguments soulignant la difficultédu changement, voire prônant le statu quo :« Je n’aime pas prendre des médica-ments », « Je ne veux pas être dépendantdes traitements pour aller mieux », « L’hos-pitalisation ne me réussit pas, je m’en-nuie trop », « Je préfère retourner à la facplutôt que d’aller à l’hôpital de jour »…À l’opposé de ce discours-maintien, ilexiste un discours favorable au change-ment : « Avec les médicaments, je n’aiplus d’hallucinations », « Je sais que sij’arrête le traitement, je risque de meretrouver à nouveau hospitalisé et je nele veux pas », « Le cannabis me fait déli-rer, il ne faut pas que j’en prenne »…

LE DISCOURS-CHANGEMENTDans l’EM, ce discours-changement faitl’objet de toute l’attention du soignant.Il cherche à l’identifier dans les motsdu patient et à en favoriser l’expression.La raison en est simple : plus le patientverbalise des éléments de discours-chan-gement, plus grande sera la probabilitéqu’il s’engage dans un processus de chan-gement. Le clinicien va donc être atten-tif à l’expression du désir de changer dela personne, de son besoin de le faire, desraisons qui l’animent mais également deses capacités à réaliser ce changement.Tous ces éléments vont favoriser un dis-cours d’engagement vers le changement,voire des premiers pas qui sont autant depépites que va récolter l’intervenant-cher-cheur d’or pour les redonner au patient.(voir figure 2 ci-contre).Dans leur ouvrage Pratique de l’entre-tien motivationnel, Rollnick, Miller et But-ler (2009) comparent le discours dupatient à une prairie dans laquelle pous-sent des fleurs sauvages au milieu d’uneherbe verte. Des « mauvaises herbes »sont présentes par endroits. L’enjeu dela conduite de l’entretien consiste àrepérer dans le discours du patient lesfleurs sauvages afin de les rassembleren bouquets qui lui seront présentés. Cesfleurs sont les expressions de discours-changement, les « mauvaises herbes »celles du discours-maintien et l’herbe vertele fond du discours. Avec cette métaphore,on mesure combien l’EM n’est pas unetentative pour manipuler le patient enlui faisant dire ce que l’on voudrait qu’ildise, mais, plutôt, un travail subtil pouridentifier les éléments de changementprésents dans son discours, pour lesrassembler afin de construire avec lui une

Figure 1. Place prise par les différentes compétences dans les styles relationnels

Figure 2. Articulation des différentes formes de discours-changement

In Rollnick S., Miller W. et Butler C., Pratique de l’entretien motivationnel, Dunod-InterÉditions, 2009, p. 37.

In Rollnick S., Miller W. et Butler C., Pratique de l’entretien motivationnel, Dunod-Interéditions, 2009, p. 63.

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Est-il possible de définir la motivation en quelques mots ? Dans cedomaine comme dans beaucoup d’autres, il n’existe pas une, maisplusieurs définitions, voici celle que je propose.La motivation désigne une hypothétique force intra-individuelleprotéiforme, qui peut avoir des déterminants internes et/ou externesmultiples, et qui permet d’expliquer la direction, le déclenchement, lapersistance et l’intensité du comportement ou de l’action.Le niveau explicatif de la motivation est celui de l’individu.Appréhender la motivation d’un groupe veut donc dire, comprendrela, ou les forces, qui animent chaque membre du groupe et doncessentiellement celle(s) de l’individu en groupe.Il est nécessaire de distinguer la motivation qui reste unhypothétique phénomène interne, de ses déterminants quipeuvent également être internes mais aussi externes. Parexemple si la menace d’une sanction (déterminant externe) peutexpliquer le changement de comportement d’un élève, elle necaractérise pas la nature de la force (ou motivation) qui modifiele comportement. Cette sanction doit avoir un relais interne parexemple en termes de peur, de honte ou d’anxiété pour expliquerla nature de la force (ou motivation) qui entraîne le changementde comportement.Il n’existe pas une seule forme de motivation. La motivation est avanttout un terme générique, généralement utilisé à défaut d’unespécification plus précise sur la nature exacte de la force qui produit uncomportement ou une action. En fonction du contexte, d’autrestermes peuvent être utilisés pour définir plus précisément la nature decette force. Les notions telles que « but », « besoin », « émotion »,« intérêt », « désir », « envie », et bien d’autres encore, peuvent êtreutilisées pour une description plus précise.Les conceptions théoriques qui permettent d’expliquer la motivationde l’individu sont multiples (au moins une centaine) et pourbeaucoup multifactorielles. Les variables qui permettent decomprendre l’origine de la motivation sont, elles aussi, nonseulement innombrables mais peuvent aussi être internes (commeles attributions ou les traitements automatiques de certainesinformations) ou externes (comme une récompense). Les effets decette force interne qu’est la motivation sont nombreux et variés.

DirectionLa motivation est une force qui oriente l’individu vers certainesfinalités. Le comportement motivé a un sens qui peut êtreinterprété ou analysé en fonction du ou des résultats produits.Sans la prise en compte de la finalité du comportement, il peut êtredifficile d’interpréter et de comprendre la motivation qui le sous-tend. Par exemple, en vertu du sens qu’elle a pour l’individu,l’inaction peut être motivée. De même, certains comportementspeuvent paraître inadaptés ou liés à des dysfonctionnementscognitifs (notamment ceux liés aux conduites d’échec) tout en étantclairement motivés.

DéclenchementUn des effets les plus visibles de la motivation est lié à la modificationdu comportement. Par exemple, la motivation va expliquer pourquoil’individu passe du repos à l’activité.

Cependant, les modifications comportementales peuvent s’expliquerpar des mécanismes cognitifs sans qu’il soit nécessaire d’invoquer unemotivation. Par exemple, l’individu peut comprendre que les moyensqu’il met en œuvre sont inadaptés pour produire le résultat recherchéet donc décider en conséquence de modifier son comportement. Dansce cas, le déclenchement de ce nouveau comportement est attribuableà la cognition, non à la motivation.Si le déclenchement est, bien entendu, une modification ducomportement, il marque également le début de quelque chose etconfère à ce titre un sens au comportement. Le déclenchement n’estdonc pas lié à un simple ajustement comportemental, mais révèle laprésence d’une nouvelle motivation.

PersistanceAdopter un comportement sur la durée peut s’expliquer d’un point devue motivationnel à partir du moment où son maintien nécessitel’exercice volontaire d’une certaine force (les théories volitionnelles sebasent sur le concept de volonté pour expliquer la persistance del’action ; la théorie de l’autodétermination estime que le self chercheà satisfaire ses besoins fondamentaux).Expliquer la persistance consiste donc à comprendre la nature de cettevolonté à faire perdurer l’action ou le comportement.

IntensitéL’intensité est sans doute l’effet motivationnel le moins ambigu. Laproduction d’un effort s’explique nécessairement par la présenced’une force. Cette absence d’ambiguïté peut, dans certains cas,entretenir une certaine confusion. Un individu peut produire uneffort avec pour objectif de paraître motivé en vue d’obtenir certainsavantages octroyés par un observateur. Dans ce cas la finalité estd’apparaître motivé, et ce, indépendamment de la finalité del’activité considérée.Avec l’introduction des modèles volitionnels (Heckhausen, 1986 ;Achtziger & Gollwitzer, 2008 ; Gollwitzer, 1999 ; Kuhl, 1987), unchangement paradigmatique s’installe, la motivation ne cherche nonplus seulement à expliquer le comportement mais aussi la persistancede l’action.L’impact de la motivation ne peut donc être restreint au seulcomportement, mais doit être étendu à l’action. Cette dernière peutêtre envisagée comme une succession de comportements.Dans cette perspective, une action ne peut persister que si elle estentretenue et entretient en retour la motivation.

Fabien FENOUILLET,Professeur de psychologie cognitive,

Université Paris-Ouest Nanterre La Défense.

• Définition extraite du site de l’auteur : www.lesmotivations.net

• Pour aller plus loin : La motivation, F. Fenouillet, Dunod, 2003 (voirrubrique Classique du soin, page 20). Traité de psychologie de la motivation, P. Carré et F. Fenouillet, dir.Dunod, 2009

La motivation, un concept puzzle

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autre perspective de sa situation. Par-fois, les fleurs sauvages sont rares, maiselles existent toujours. L’interventionvise à aider le patient à les apercevoir età soutenir son élaboration autour d’elles.Ces fleurs sont les siennes et non cellesapportées de l’extérieur par le soignant.Pour cette raison, l’entretien va permettrede renforcer la motivation intrinsèque dupatient. Il ne s’agit pas de le convaincre,mais de l’aider à découvrir les clés du chan-gement qu’il porte en lui.

DE L’ALCOOL AU RISQUE SUICIDAIREDans la pratique clinique, l’EM est beau-coup utilisé dans le champ des addictions,et plus particulièrement en alcoologiedont il est issu (voir l’article de D. Lécal-lier p 60). Son efficacité a été évaluéepar de nombreuses études cliniques ran-domisées et contrôlées (Carruzzo, 2009).À partir de l’addictologie, sa pratiques’est diffusée vers des domaines prochescomme celui des troubles du comporte-ment alimentaires ou de la question descomorbidités associant un trouble psychia-trique et l’usage de substance psychoac-tives. Une pratique de l’EM a égalementémergé auprès d’autres publics. Ainsi,chez les adolescents consommateurs desubstances, les interventions basées surl’entretien motivationnel permettent d’ob-server une diminution des problèmes etdes conséquences négatives liés à l’usagede substances psychoactives. (O’LearyTevyaw et Monti, 2004). Cet impact estparticulièrement important chez les sujetsprésentant des niveaux de consomma-tion élevés ou avec une motivation initialeplus faible pour modifier leurs usages.Des recherches et travaux cliniques ontégalement été entrepris pour adapter lapratique de l’entretien motivationnelauprès de personnes souffrant de schi-zophrénie ou de trouble psychotique. Ilsont permis de délimiter les aspects par-ticuliers de la maladie sur lesquels l’uti-lisation de l’approche motivationnellepourrait avoir un intérêt. (Bellack, 2006 ;Corrigan, 2001 ; Kemp, 1998).Ces travaux ont notamment montré quel’entretien motivationnel favorisait l’al-liance thérapeutique et l’observance médi-camenteuse (voir l’article de A. Gut-Fayand,p. 52). Une amélioration du score surl’échelle d’évaluation globale de fonction-nement (EGF) a également été retrouvée.Chez des patients adultes présentant unecomorbidité schizophrénie avec abus de sub-stances (voir l’article de J. Favrod, p. 46),

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Une association pour diffuser l’entretien motivationnelCrée en 2003, l’Association francophone de diffusion de l’entretien motivationnel (Afdem)regroupe des professionnels désireux de diffuser les concepts et la pratique de l’entretienmotivationnel (EM) dans le monde francophone.Elle développe des formations à l’EM qui s’adressent à différents publics travaillant dans le soin, la prévention, l’action sociale ou éducative, dans un souci d’adaptation aux situationsspécifiques rencontrées par chacun. Le réseau des formateurs de l’Afdem se réunitrégulièrement pour garantir la qualité et l’homogénéité des contenus et de la méthodologiede formation.L’Afdem promeut également l’échange et la réflexion autour des champs d’application de l’EMet diffuse une Lettre d’information. Enfin, l’association soutient et participe à des projetsfrancophones de recherche sur l’entretien motivationnel.L’Afdem est en lien avec le réseau international de diffusion et de promotion de l’entretienmotivationnel (MINT, Motivational Interviewing Network of Trainers) initié par Miller et Rollnick.

• En savoir plus sur le site de l’association : www.entretienmotivationnel.org

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l’utilisation de l’entretien motivationnelpermet d’observer une réduction de laconsommation d’alcool et de droguesavec, par exemple, une augmentation dunombre de jours d’abstinence sur 12 mois(Barrowclough, 2001).

EM ET PATHOLOGIES CHRONIQUESAujourd’hui, la diffusion de l’EM se pour-suit vers la prise en charge de patients pré-sentant des pathologies chroniques soma-tiques, diabète et hypertension notamment.Dans ce contexte, l’EM permet d’accom-pagner le patient dans l’intégration de lanécessité d’un suivi médical dès l’appa-rition des troubles, puis ensuite il l’aideà modifier certains de ses comportementsen faveur de sa santé (alimentation, acti-vité physique, surveillance médicale,usage de substances psychoactives…)Cet élargissement aux pathologies chro-niques et aux comportements de santé vasans doute s’accélérer. L’apparition denouveaux traitements médicamenteux seralentit et leur efficacité repose en grandepartie sur le comportement du patient, seulà pouvoir décider de les prendre ou non.Dans de nombreuses pathologies, les com-portements jouent par ailleurs un rôleprépondérant dans l’évolution et le pro-nostic.Dans le champ de la santé mentale, denombreuses pistes s’ouvrent égalementau-delà de celles déjà évoquées (Arko-witz, 2008). Des équipes s’intéressentpar exemple à l’EM pour la prise en chargedes personnes présentant un risque sui-cidaire important. Une question complexemobilisant fortement les soignants qui,face à l’incertitude de l’évaluation durisque et des conséquences dramatiquesde certains gestes, sont parfois particuliè-rement démunis pour définir une conduiteà tenir. C’est pour tenter d’apporter unéclairage sur cette question qu’une équipeaméricaine s’est intéressée au rôle de lamotivation intrinsèque dans la réduc-tion de la suicidalité (Britton, 2008).

En s’appuyant sur l’EM, elle propose uneintervention qui cherche à soutenir l’au-tonomie du patient, à le renforcer dansses capacités à gérer les moments diffi-ciles et à favoriser une version appro-priée à la crise suicidaire du discours-chan-gement : le discours-vie.

UNE VISION COLLABORATIVEL’EM modifie la relation soignant-soignéen proposant aux intervenants d’enrichirleur pratique avec un autre style rela-tionnel. En psychiatrie, où les styles« suivre » et « diriger » sont utilisésdepuis longtemps, l’EM ouvre de nou-velles perspectives dans l’accompagne-ment et le suivi des patients. Pour les soi-gnants, il représente une aide dans l’aborddes questions d’observance thérapeu-tique, enjeu majeur des prises en chargeambulatoires. Il s’inscrit également dansle développement des projets d’éducationthérapeutique du patient (ETP) dont lerôle est de favoriser la participation despatients au parcours de soin et de leurpermettre d’en être acteurs. Cette visioncollaborative de la relation thérapeutiquedessine les contours d’une nouvelleapproche de la psychiatrie.

1– Depuis une décennie, l’evidence based medecine (méde-

cine basée sur des preuves ou des niveaux de preuve)

« s’impose » aux professionnels de santé. Ce mouvement

d’origine principalement nord-américaine prône qu’à chaque

action de soin doivent correspondre des données probantes,

issues de résultats de recherche d’un type précisément

défini, et indiquant que l’action produira les effets désirés

et bénéfiques pour le plus grand nombre.

Résumé : Comment accompagner les patients vers un changement de comportement en faveur de leur santé ? William Miller et Stephen Rollnickont élaboré une méthode de communication centrée sur la personne, l’entretien motivationnel (EM). Il ne s’agit pas d’une forme de psychothérapie, maisd’une méthode de communication, une attitude relationnelle dans le lien entre les soignants et les patients. L’EM peut être utilisé par l’ensemble des inter-venants d’une institution de l’aide-soignant au psychiatre. L’objectif est de favoriser la motivation personnelle du patient à modifier son comportement plu-tôt que d’essayer de le convaincre, voire de le contraindre à le faire. Cette approche suppose que chaque patient porte en lui la capacité à être motivé àchanger de comportement et que le soignant peut, par son attitude, favoriser ou non le développement de cette aptitude au changement.

Mots-clés : Accompagnement – Changement – Comportement de santé – Éducation pour la santé – Entretien motivationnel– Motivation – Outil de communication – Relation soignant-soigné – Soin psychiatrique.

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La réactanceLa réactance psychologique a été présentée par Jack Brehm en1966. Cette théorie suppose que les personnes ont besoin de sesentir libre dans leurs comportements, que cette liberté soit réelleou non. Lorsque ce sentiment de libre arbitre est menacé, le sujetva réagir afin de s’opposer à cette menace et retrouver sa liberté.Cette réactance peut conduire le sujet à défendre un point de vuepour affirmer sa liberté et non par adhésion à celui-ci. Dans uneconsultation, cette posture peut amener un patient à s’opposer àun conseil ou à une prescription donnée pourtant bénéfique pourlui, simplement parce que l’intervention du soignant est perçucomme venant entraver son libre arbitre.• Brehm, J. W. (1966). A theory of psychological reactance.Academic Press.

La balance décisionnelleChanger de comportement implique de faire un choix entre le statuquo (situation actuelle) et le changement. Irving L. Janis et LeonMann (1977) ont montré qu’avant de faire un choix, le sujetprocède naturellement à une évaluation des avantages et desinconvénients. Dans leur conceptualisation graphique, Janis etMann illustrent le conflit engendré par cette ambivalence avec lamétaphore de la « balance décisionnelle » en montrant la richessedes facteurs intervenant dans tout mouvement de prise dedécision. Ainsi, le changement est évalué par le sujet en termes degains (bénéfices) et de pertes (coûts) dans huit directions : lesgains et les pertes pour soi-même, les gains et les pertes pour lesproches importants, l’approbation des proches importants, leurdésapprobation, l’auto-approbation, l’auto-désapprobation. Lesujet oscille donc entre les aspects utilitaires (gains et pertes pourlui-même, pour les autres) et des considérations morales, socialeset d’estime personnelle (approbation, désapprobation des autres,de lui-même).• Janis I., Mann L. (1977). Decision Making : A PsychologicalAnalysis of Conflict, Choice and Commitment. Free Press. p. 512

Le sentiment d’efficacité personnellePour Albert Bandura (1977), le changement comportemental estinfluencé par l’efficacité personnelle perçue par le sujet (sentimentd’auto-efficacité). Cette perception peut être résumée en deuxquestions : « Suis-je ou non capable de réaliser tel ou telchangement ? » et « Quel résultat puis-je attendre de cechangement ? » La première évoque les attentes d’efficacité du sujetà l’égard de lui-même et de ses capacités à agir. La seconde portesur la possibilité d’obtenir un résultat par une action conduite parlui-même. Les réponses à ces deux questions ont une valeurprédictive des chances d’engagement dans le changement, voire deréussite. Si une personne pense qu’elle n’est pas capable de menerun changement, les chances sont faibles qu’elles se donnent cetobjectif de modification comportementale, même si elle estconvaincue du bénéfice qu’elle pourrait en retirer. De même, si elle

se sent capable de réaliser le changement, mais qu’elle pense qu’iln’aura aucun effet, les chances seront également minces qu’elle s’yengage. L’engagement et la poursuite du changement supposentdonc que le sujet se sente capable d’agir et qu’il perçoive cetteaction comme susceptible de produire un effet bénéfique pour lui.• Bandura A. (1977). Self-efficacy : Toward a Unifying Theory ofBehavioral Change. Psychological Review, 84 (2). p. 191-215

Les stades du changementLes stades du changement de James Prochaska et Carlo DiClemente(1982) sont une approche différente de l’entretien motivationnel quipeut être utile pour les soignants dans leur compréhension desdifférents états traversés par les patients dans un parcours dechangement comportemental. C’est un modèle transthéorique del’intention de changer qui suppose que les changementscomportementaux se déroulent selon un processus avançant parétapes, chaque stade impliquant la réalisation de tâches spécifiqueset variées. Six phases sont ainsi définies par les auteurs :– La pré-contemplation correspond au moment où le sujetconsidère que son comportement n’est pas problématique. Il peuten mesurer les aspects négatifs, mais ceux-ci sont largementcompensés par les effets positifs. – Au stade de la contemplation, le sujet est plongé dans un étatd’ambivalence prononcé vis-à-vis de son comportement. Ilreconnaît qu’il a un problème et commence à penser sérieusementà le résoudre. Si le patient sait quel est l’objectif et parfois ce qu’ildoit accomplir pour l’atteindre, il ne se sent pas forcément prêt às’engager dans le changement. – Le stade de décision est un stade théorique qui correspond à laprise de décision de changer de comportement. – À l’action correspond le changement de comportement, c’est unstade particulièrement intense où le sujet met en place lesstratégies élaborées précédemment. – Dans le stade du maintien, le sujet doit consolider les gainsobtenus grâce au changement de comportement tout en seprémunissant de la rechute.Ces stades sont avant tout un outil de réflexion pour approcher etcomprendre la complexité de la mise en œuvre d’un changementde comportement chez un sujet. Ce modèle permet notamment dedédramatiser la rechute et de comprendre sa place dans unparcours de changement. Il ne faut donc pas le percevoir commeun programme figé et linéaire, ni en déduire un moded’intervention compartimentée, stade par stade. Toutcomportement peut être subdivisé en plusieurs comportements.Une même personne peut évoluer dans des « stades » différentspour chacun de ces « sous-comportements ». Toute« globalisation » prend alors le risque d’invisibiliser certains effortset mouvements du sujet en faveur du changement.

• Prochaska J., DiClemente C. (1982). Transtheoretical therapy :toward a more integrative model of change. Psychotherapy :Theory, Research and Practice, 19. p. 276-288.

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