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Actualités pharmaceutiques Supplément formation au n° 524 1 er trimestre 2013 14 L’éducation thérapeutique à l’épreuve de la schizophrénie formation © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved Mots clés • Éducation thérapeutique du patient • Entretien motivationnel • Insight • Observance • Remédiation cognitive • Schizophrénie • Troubles cognitifs Keywords • Cognitive disorders • Cognitive remediation • Compliance • Insight • Motivational interview • Patient therapeutic education • Schizophrenia © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2012.12.024 L’ éducation thérapeutique du patient (ETP), qui doit être distinguée de l’“éducation à la santé”, vise à l’aider à acquérir ou maintenir les compé- tences dont il a besoin pour gérer sa vie avec une mala- die chronique. Les spécificités des maladies mentales compliquent la prise en charge autonome du traitement par le patient 1 , d’autant plus que cette gestion ne consti- tue pas une fin en soi : elle n’est que l’une des modalités de soutien du patient auquel elle peut offrir une meilleure intelligence du processus thérapeutique à l’œuvre [1]. Le principe éducatif est mis à l’épreuve de la schizo- phrénie [2] : troubles cognitifs, défaut d’habiletés sociales, difficultés à communiquer expliquent qu’elle ne puisse reposer sur une approche simplement centrée sur le conseil, sur la remise de documents d’information, sur des interventions prophylactiques des comorbidités ou autre, comme ce serait le cas avec un patient atteint d’une affection somatique. Il est donc difficile d’ap- pliquer à cette pathologie les étapes de la démarche d’ETP préconisées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), inspirées du modèle de Jean-François D’Ivernois et Rémi Gagnayre (tableau 1) [3] : diagnostic éducatif, définition d’un programme personnalisé, planification et mise en œuvre des séances d’éducation collectives et/ou individuelles, évaluation individuelle. L’éducation doit satisfaire le regard critique de patients qui, soulignant souvent le défaut d’information sur les médicaments et la prescription, s’interrogent sur leur capacité à donner un consentement éclairé. Ils sont surpris de noter que les posologies ne sont pas systéma- tiquement révisées en fonction de l’évolution de leur patho- logie et que la prescription, par sa nature et la iatrogénie qui y est attachée, les marginalise encore plus [1]. Leur questionnement porte avant tout sur les médicaments antipsychotiques en raison de leurs effets secondaires : les patients reconnaissent modifier eux-mêmes le traitement face à l’absence de réponse claire du psychiatre à leurs interrogations. Certains disent être aidés par le pharmacien pour réduire le fardeau de l’ordonnance : ainsi, le rôle pivot du pharmacien est reconnu par les patients, comme par certains infirmiers spécialisés en psychiatrie [1]. Pharmacien : un acteur clé Le pharmacien est un acteur essentiel dans la prise en charge de la maladie mentale en général et de la schizophrénie en particulier. Lorsqu’elle peut avoir lieu, l’approche éducative reposant sur l’alliance thérapeu- tique entre le pharmacien et le patient est très profitable. Éducation thérapeutique et schizophrénie : quelles méthodes ? L’absence ou le peu d’adhésion des patients schizophrènes à leur traitement serait de l’ordre de 53 % : insuffisance de compréhension de la prescription, iatrogénie, défaut d’insight expliquent cette mauvaise observance, à l’origine de rechutes et de souffrance pour le patient. L’éducation thérapeutique revêt une importance particulière car elle constitue un déterminant de l’adhésion du patient schizophrène aux principes thérapeutiques. Encore faut-il qu’elle repose sur une stratégie adaptée, facilitant la communication et l’échange des savoirs avec des patients atteints de troubles cognitifs sévères. L’implication du pharmacien d’officine, si elle est évidemment souhaitable et profitable au patient, reste de mise en œuvre difficile. Therapeutic education and schizophrenia: the methods. The absence or insufficient adherence of schizophrenic patients to their treatment is around 53%: insufficient understanding of the prescription, iatrogeny, lack of insight explain this lack of compliance which leads to relapses and suffering for the patient. Therapeutic education is particularly important as it constitutes a determining factor in the schizophrenic patient’s compliance to the principles of the treatment. It must however be based on an adapted strategy, facilitating communication and the exchange of knowledge with these patients who suffer from serious cognitive disorders. The involvement of the dispensing pharmacist, while obviously preferable and beneficial for the patient, remains difficult to put in place. Isabelle de BEAUCHAMP Diane LÉVY-CHAVAGNAT Christian POUPIN Auteur correspondant Christian POUPIN [email protected]

Éducation thérapeutique et schizophrénie : quelles méthodes ?

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• Supplément formation au n° 524 • 1er trimestre 2013 •14

L’éducation thérapeutique à l’épreuve de la schizophrénie

formation

© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

© 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved

Mots clés• Éducation thérapeutique

du patient

• Entretien motivationnel

• Insight

• Observance

• Remédiation cognitive

• Schizophrénie

• Troubles cognitifs

Keywords• Cognitive disorders

• Cognitive remediation

• Compliance

• Insight

• Motivational interview

• Patient therapeutic

education

• Schizophrenia

© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2012.12.024

L’ éducation thérapeutique du patient (ETP), qui doit être distinguée de l’“éducation à la santé”, vise à l’aider à acquérir ou maintenir les compé-

tences dont il a besoin pour gérer sa vie avec une mala-die chronique. Les spécificités des maladies mentales compliquent la prise en charge autonome du traitement par le patient1, d’autant plus que cette gestion ne consti-tue pas une fin en soi : elle n’est que l’une des modalités de soutien du patient auquel elle peut offrir une meilleure intelligence du processus thérapeutique à l’œuvre [1].Le principe éducatif est mis à l’épreuve de la schizo-phrénie [2] : troubles cognitifs, défaut d’habiletés sociales, difficultés à communiquer expliquent qu’elle ne puisse reposer sur une approche simplement centrée sur le conseil, sur la remise de documents d’information, sur des interventions prophylactiques des comorbidités ou autre, comme ce serait le cas avec un patient atteint d’une affection somatique. Il est donc difficile d’ap-pliquer à cette pathologie les étapes de la démarche d’ETP préconisées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), inspirées du modèle de Jean-François D’Ivernois et Rémi Gagnayre (tableau 1) [3] : diagnostic éducatif, définition d’un programme personnalisé,

planification et mise en œuvre des séances d’éducation collectives et/ou individuelles, évaluation individuelle.L’éducation doit satisfaire le regard critique de patients qui, soulignant souvent le défaut d’information sur les médicaments et la prescription, s’interrogent sur leur capacité à donner un consentement éclairé. Ils sont surpris de noter que les posologies ne sont pas systéma-tiquement révisées en fonction de l’évolution de leur patho-logie et que la prescription, par sa nature et la iatrogénie qui y est attachée, les marginalise encore plus [1]. Leur questionnement porte avant tout sur les médicaments antipsychotiques en raison de leurs effets secondaires : les patients reconnaissent modifier eux-mêmes le traitement face à l’absence de réponse claire du psychiatre à leurs interrogations. Certains disent être aidés par le pharmacien pour réduire le fardeau de l’ordonnance : ainsi, le rôle pivot du pharmacien est reconnu par les patients, comme par certains infirmiers spécialisés en psychiatrie [1].

Pharmacien : un acteur cléLe pharmacien est un acteur essentiel dans la prise en charge de la maladie mentale en général et de la schizophrénie en particulier. Lorsqu’elle peut avoir lieu, l’approche éducative reposant sur l’alliance thérapeu-tique entre le pharmacien et le patient est très profitable.

Éducation thérapeutique et schizophrénie : quelles méthodes ?L’absence ou le peu d’adhésion des patients schizophrènes à leur traitement serait de

l’ordre de 53 % : insuffisance de compréhension de la prescription, iatrogénie, défaut

d’insight expliquent cette mauvaise observance, à l’origine de rechutes et de souffrance

pour le patient. L’éducation thérapeutique revêt une importance particulière car elle

constitue un déterminant de l’adhésion du patient schizophrène aux principes

thérapeutiques. Encore faut-il qu’elle repose sur une stratégie adaptée, facilitant la

communication et l’échange des savoirs avec des patients atteints de troubles cognitifs

sévères. L’implication du pharmacien d’officine, si elle est évidemment souhaitable et

profitable au patient, reste de mise en œuvre difficile.

Therapeutic education and schizophrenia: the methods. The absence or insufficient adherence of schizophrenic patients to their treatment is around 53%: insufficient understanding of the prescription, iatrogeny, lack of insight explain this lack of compliance which leads to relapses and suffering for the patient. Therapeutic education is particularly important as it constitutes a determining factor in the schizophrenic patient’s compliance to the principles of the treatment. It must however be based on an adapted strategy, facilitating communication and the exchange of knowledge with these patients who suffer from serious cognitive disorders. The involvement of the dispensing pharmacist, while obviously preferable and beneficial for the patient, remains difficult to put in place.

Isabelle de

BEAUCHAMP

Diane

LÉVY-CHAVAGNAT

Christian POUPIN

Auteur correspondantChristian [email protected]

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L’éducation thérapeutique à l’épreuve de la schizophrénie

formation

À l’hôpital comme en offi cineL’ETP implique souvent le pharmacien exerçant dans un établissement spécialisé en santé mentale [4]. L’in-térêt de sa participation est reconnu depuis longtemps : dès les années 1970, des modules d’information et de gestion des traitements médicamenteux ont été mis en place dans certains hôpitaux, incluant même la visite de la pharmacie par les patients et une permanence phar-maceutique téléphonique destinée à répondre à leurs questions. La loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009 a dynamisé ce processus. Avant, les pharmaciens d’officine étaient peu impliqués dans les projets d’ETP. Depuis que cette loi a été étendue à toutes les pathologies chroniques et qu’un décret d’ap-plication concernant les programmes d’ETP a été pro-mulgué [5], ils peuvent trouver leur place aux côtés des médecins et des autres professionnels de santé [6,7] car la pharmacie peut devenir une scène d’apprentissage de compétences pour les patients/clients. Selon l’Ordre national des pharmaciens, plus d’un millier de pharma-ciens seraient partenaires de programmes d’ETP. L’officinal peut être sollicité par le promoteur d’un projet

d’ETP (hôpital, centre de soins de suite et de réadaptation, réseau de santé, médecin, etc.) ; il peut aussi demander à une structure prenant en charge tel de ses clients ou tel type de maladie chronique s’il existe un programme d’ETP auquel il puisse contribuer et s’impliquer, s’agissant de maladie mentale, dans des ateliers d’éducation au médi-cament organisés fréquemment dans les centres médico-psychologiques (CMP, encadré 1).

Au plus près du médicamentLa prescription de médicaments constitue une réponse souvent prioritaire face à la maladie mentale : ainsi, en Australie, 11 % des prescriptions concernent directe-ment des patients souffrant d’une telle affection [8].Le pharmacien est le professionnel de santé le plus accessible, grâce à sa proximité et au fait qu’il est pos-sible de le rencontrer sans rendez-vous : il est donc logique qu’il soit fréquemment consulté pour donner des conseils sur les médicaments psychoactifs [8]. Il peut constituer en cela un référent, à même de repérer les clients présentant des difficultés liées à une pathologie mentale chronique ou passagère, capable de délivrer

Note1 Cette gestion autonome étant entendue comme « le droit et la possibilité pour toute personne recevant des médicaments d’être informée sur les raisons, la pertinence, les effets secondaires et le mode d’utilisation de la médication prescrite ; d’être avertie des alternatives possibles à cette médication et d’être encouragée à les utiliser si nécessaire ; de pouvoir négocier avec le prescripteur le type de médicament, la dose, la fréquence des prises […], de décider de diminuer – voire d’arrêter – toute médication totalement ou partiellement, défi nitivement ou provisoirement, en étant accompagnée dans ce processus par le médecin prescripteur ou adressée à un autre professionnel de la santé capable et désireux de faire cet accompagnement » [1].

Tableau 1. Les quatre étapes de l’éducation du patient, adaptées du modèle de Jean-François D’Ivernois et Rémi Gagnayre [3].

Diagnostic éducatif Compréhension des besoins et des attentes du patient en essayant de comprendre sa vision de la maladie, son parcours de santé, ses habiletés, ses projets, son contexte de vie, etc.

Négociation des objectifs

Hiérarchisation des compétences à acquérir en conservant des buts réalistes que le patient est prêt à accepter ou capable d’atteindre.Ces objectifs thérapeutiques sont liés à des objectifs éducatifs souvent comportementaux ou psychosociaux. Exemple : faire du sport (= objectif éducatif) pour perdre du poids (= objectif thérapeutique).Les objectifs doivent inclure une ou des actions, être évaluables, et être soumis à échéance.Leur formalisation éventuelle constitue un “contrat éducatif”.

Intervention éducative

Mise en jeu de techniques variées et complémentaires, adaptées au type de pathologie mais aussi au profi l propre du patient.

Évaluation des résultats

Réalisée avec rigueur à l’échéance du processus éducatif.

Encadré 1. CMP : de quoi parle-t-on ?En France, plus de 80 % des patients psychiatriques sont suivis dans des structures extra-hospitalières, les centres médico-psycho logiques (CMP, anciens dispensaires d’hygiène mentale). Ces unités de coordination et d’accueil en milieu ouvert orga-nisent des actions de prévention, de diagnostic, de soins ambu-latoires, d’orientation et d’interventions à domicile. Qu’il soit isolé, situé dans un lieu offrant d’autres dispositifs médicaux ou sociaux, ou inclus dans un centre de santé mentale qui peut comprendre un hôpital de jour ou un centre d’accueil thérapeu-tique à temps partiel (CATTP), le CMP est le premier interlocuteur pour la population (patients, familles, proches) et les acteurs sanitaires et sociaux de la zone géographique concernée dans le domaine de la psychiatrie. Ceci implique que chaque professionnel

de la santé, notamment le pharmacien, ait connaissance de son existence.Le CMP est aussi un lieu de réception des signalements de situa-tions ressenties comme urgentes, critiques ou dangereuses, auxquels il répond en s’associant aux personnes concernées (familles, voisins, centre d’action sociale, maisons de retraites, commissariat…).L’équipe pluridisciplinaire du CMP travaille en suivi avec les autres équipes du secteur psychiatrique. Un CMP peut proposer des thérapies individuelles, familiales ou de groupe, des entretiens individuels ou familiaux, des guidances médicamenteuses, des groupes d’éducation thérapeutique, des suivis avec une assistante sociale, etc.

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L’éducation thérapeutique à l’épreuve de la schizophrénie

formation

un conseil adapté afin qu’ils bénéficient d’une consultation, voire de prévenir les services sociaux ou le psychiatre traitant du patient ainsi que cela se fait en Australie.Les conseils dispensés par le pharmacien peuvent amé-liorer l’observance à la prescription chez le malade men-tal [9] et le commentaire de l’ordonnance contribue souvent à améliorer l’usage du médicament [10]. Encore faut-il que l’interaction entre le pharmacien et le patient favorise l’échange : s’agissant d’un patient schizo-phrène, celle-ci est sûrement plus difficile à étayer.

Motivation, empathie, connaissanceSi le pharmacien rencontre souvent des personnes atteintes de maladie mentale, il ne leur consacre généra-lement pas assez de temps. De plus, n’ayant pas la connaissance de leur parcours thérapeutique que peut avoir le psychiatre ou l’infirmier spécialisé, il se sent moins impliqué dans leur prise en charge [8,11]. Cette carence est parfois ressentie de façon douloureuse par ces patients particulièrement sensibles : des enquêtes témoi-gnent d’une certaine insatisfaction dans la qualité et la quantité des informations qui leur sont délivrées et d’un réel besoin de conseils ; de plus, le professionnalisme du pharmacien peut trouver ses limites dans une certaine stigmatisation et un manque d’empathie [11-13].

Motivation personnelleDes observations canadiennes révèlent que le pharma-cien est moins à l’aise avec un patient malade mental qu’avec un patient atteint d’une pathologie cardio-vasculaire [11,14] ; de même, les pharmaciens finnois sont moins enclins à renseigner sur les médicaments psychotropes que sur huit autres catégories de médica-ments. L’attitude des professionnels de la santé peut constituer une barrière à l’amélioration de la qualité des soins pour les personnes atteintes de maladies mentales. Cette attitude revêt une telle importance que certains malades sont réticents à solliciter de l’aide lorsque des symptômes surgissent [15] : ainsi, aux États-Unis, jusqu’à deux tiers des personnes atteintes d’une maladie mentale ne souhaitent pas être traitées par peur de la stigmatisa-tion [16].

Empathie pour le patientDes croyances tenaces font tenir comme difficile le dia-logue avec les patients malades mentaux car ceux-ci ont des ressentis particuliers et peuvent être sujets à des réactions imprévisibles qui contribuent à accentuer la distanciation sociale – définie comme une relative inca-pacité à s’associer ou à entrer en contact – et la péren-nisation d’une stigmatisation [17]. Le pharmacien, en préalable à toute communication avec un patient schi-zophrène, doit manifester de l’empathie et essayer de comprendre ce qu’il sait, ce qu’il croit, ce qu’il ressent de sa maladie (tableau 2). Il doit reconnaître au patient le droit d’avoir ses pensées et ses émotions, et accepter son point de vue (sans l’approuver systématiquement).Les contacts, lorsqu’ils sont positifs et étayés, contri-buent à diminuer la stigmatisation et à accroître l’empa-thie car une meilleure connaissance du patient et de sa maladie va de pair avec une attitude positive à son égard et avec une amélioration de l’aide apportée [18].Le regard et les préjugés des pharmaciens seniors et des étudiants en pharmacie sont globalement analo-gues [19] : l’enseignement universitaire ne modifie pas la distance sociale si les éventuels contacts avec la réalité clinique et la problématique propre au patient schizophrène n’ont lieu qu’au sein d’institutions. Cette distance est réduite, en revanche, lorsque le contact se fait aussi en officine et ce, d’autant plus que le pharma-cien a été antérieurement sensibilisé à l’approche cli-nique de la maladie mentale, par la fréquentation, par exemple, de structures de soins psychiatriques [20]. Il importe que le pharmacien, pour conseiller utilement le patient et s’investir dans une démarche d’ETP efficace et adaptée, sache reconnaître la valeur de l’expérience sen-sible de la maladie exprimée par la personne et la prenne en compte. Négliger cette dimension se traduit par une inadéquation du conseil, de l’accompagnement et, au final, par une insatisfaction du besoin exprimé par le patient et par une augmentation de la distance sociale (encadré 2).

Connaissance de la maladieLa schizophrénie est une maladie mentale stigmatisante et stigmatisée [16], mais ceci n’est pas reflété dans les

Tableau 2. De l’apathie à l’empathie : le spectre des interactions entre le pharmacien et le patient schizophrène.

Attitude du pharmacien Vécu par le pharmacien de l’émotion du patient

Niveau d’écoute Niveau de compréhension

Niveau d’aide

Apathie Ignorée 0 0 0

Antipathie Combattue, critiquée + 0 0

Sympathie Partagée + + 0

Empathie Comprise + + +

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• Supplément formation au n° 524 • 1er trimestre 2013 • 17

L’éducation thérapeutique à l’épreuve de la schizophrénie

formation

Références[1] Palazzolo J, Midol N, Candau J. Vers une gestion autonome de la médication en psychiatrie ? Ann Médico Psychologiques. 2008;166:717-76.

[2] De Beauchamp I, Lévy-Chavagnat D, Chavagnat JJ. Education thérapeutique et schizophrénie : quels buts ? Actualités pharmaceutiques. 2013;524(Suppl1):8-13.

[3] Gagnayre R, D’Ivernois JF. Apprendre à éduquer le patient. Approche pédagogique. Paris: Vigot; 1995.

[4] De Beauchamp I, Favré P, Bolton M, Palazzolo J. Information sur le médicament en psychiatrie. Quel rôle pour le pharmacien hospitalier ? Perspectives psychiatriques. 2000;39(1):14-9.

[5] Ivey MF. The pharmacist in the care of ambulatory mental health patients. Amer J Hosp Pharm. 1973;30:599-602.

[6] Décret n° 2010-904 du 2 août 2010 relatif aux conditions d’autorisation des programmes d’éducation thérapeutique du patient. Legifrance, 02/08/2010. http://www.legifrance.gouv.fr/affi chTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000022664533&dateTexte=&categorieLien=id

[7] Article L 1161-1 et suivants du Code de santé publique. Legifrance. http://www.legifrance.gouv.fr/affi chCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072665&idArticle=LEGIARTI000020891758&dateTexte=&categorieLien=cid

[8] O’Reilly CL, Bell S, Chen TF. Pharmacists’beliefs about treatments and outcomes of mental disorders: a mental health literacy survey. Austr NZ J Psy. 2010;44:1089-96.

[9] Finley PR, Rens HR, Pont JT et al. Impact of a collaborative pharmacy practice model on the treatment of depression in primary care. Am J Health Syst Pharm. 2002;59:1518-26.

enquêtes menées auprès des pharmaciens : ils tiennent fréquemment les maladies mentales comme équiva-lentes, ce qui traduit une connaissance insuffisante de leur symptomatologie et de leurs conséquences [19].Le pharmacien devrait bénéficier d’une meilleure connaissance des spécificités des maladies mentales en général et de la schizophrénie en particulier, au tra-vers de l’enseignement universitaire, de stages effec-tués dans des services cliniques, mais aussi de la formation continue. La psychiatrie gagnerait à être mieux enseignée dans les facultés de pharmacie où, souvent, le discours professoral est limité au médicament psychotrope sans que soient abordés le vécu subjectif de la maladie mentale ou la perception qu’un patient peut avoir de son traitement [19]. L’enseignement de la phar-macie est moins pragmatique en France que dans les pays anglo-saxons où l’étudiant bénéficie d’un entraîne-ment à la communication verbale, en plus de connais-sances cliniques ; cet enseignement, toutefois, ne comprend pas nécessairement de module spécifique-ment adapté au patient atteint d’une maladie mentale [19].L’insuffisance des connaissances en psychologie médi-cale peut expliquer la “barrière” entre le pharmacien et le client malade mental, de la même façon que pour d’autres professionnels de la santé impliqués dans les soins aux malades mentaux [21].

Une communication adaptéeS’il réduit la symptomatologie et la fréquence des rechutes, le traitement antipsychotique ne suffit pas à permettre au patient schizophrène de bénéficier d’une insertion sociale suffisante : il est donc indispensable de lui permettre de développer des compétences psycho-sociales supplémentaires. Le pharmacien est impliqué dans l’acquisition de celles qui permettent de mieux comprendre la prescription médicamenteuse et d’y adhérer. Mais il doit avant tout attacher une attention particulière à la communication (encadrés 3 et 4).Le pharmacien veillera à la qualité de la communication non-verbale, chargée en messages émotionnels ou affectifs : mimiques, regards, gestuelle comptent pour le patient schizophrène. Cette communication doit être cohérente avec le discours verbal (éviter d’évoquer un traitement antipsychotique injectable en faisant des gestes évocateurs d’une coercition ou d’une violence).Comme vis-à-vis de tout patient, l’écoute du pharma-cien doit être active et réflexive. Il importe de regarder le patient lorsqu’il parle, de se montrer concerné en posant des questions de clarification, d’opiner de la tête en signe de bonne compréhension et de suivi du discours, de souligner l’émotion qu’il cherche à traduire (par exemple : « Vous semblez triste quand vous me dites que… », « Je crois que vous êtes en colère car… », « J’imagine que vous avez peur que… »). Il est bon d’uti-liser un ton rassurant, convaincant, clair, adapté (dis-cours émaillé d’exemples concrets) et de faire de brèves synthèses : redire en d’autres termes (synonymes), d’une manière concise (éviter les périphrases) ou plus explicite ce que le client exprime pour souligner la volonté de le comprendre et de l’aider à se faire comprendre (par exemple, « Si je vous comprends, vous êtes ennuyé car vous êtes constipé depuis quatre jours… »). Il est conseillé de reprendre le propos sans se l’approprier et sans interpréter le sentiment du client, son ressenti, pour éviter toute éventuelle hostilité ou méfiance. Les phrases doivent être commencées par des formules

Encadré 2. Pharmacien-patient schizophrène : un rapport collaboratifPour être constructif et collaboratif, le rapport entre le pharma-cien et le patient schizophrène doit être :• empathique : savoir se mettre à la place du client ;• authentique : être à l’aise avec le malaise du client ;• chaleureux : avoir réellement envie d’aider le client ;• professionnel : avoir des compétences suffisantes et actua-

lisées.

Encadré 3. Accueillir le patient schizophrène, quelques conseilsBien qu’ils ne soient évidemment pas spécifiques au patient schizo phrène, certains conseils revêtent une importance particu-lière dans cette situation car ce client est sensible à des détails dans l’attitude et dans l’accueil qui restent négligés par les autres.

F Le prendre en considération dès son entrée dans l’officine, en lui adressant un regard, un sourire, un salut bienveillant.

F Aller à sa rencontre s’il reste dans l’entrée. F Personnaliser le “bonjour” si le patient est connu

(par exemple : « Bonjour madame Dupont, comment allez-vous ? »), et lui serrer la main en le regardant.

F Dégager une attitude authentique, empathique, attentive, humaine.

F Accepter d’éventuelles “bizarreries” (attitude, vêtements, etc.) sans évaluer et sans juger.

F Être disponible pour une écoute inconditionnelle et une atti-tude corporelle propice à l’échange.

F Ne pas oublier qu’un objectif de “rentabilité” ne trouve

évidemment pas sa place dans l’accueil d’un patient schizophrène.

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L’éducation thérapeutique à l’épreuve de la schizophrénie

formation

[10] Gisev N, Bell JS, O’Reilly C, Rosen A, Chen T. An expert panel assessment of comprehensive medication reviews for clients of community mental health teams. Soc Psychiatry Psychiatr Epidemiol. 2010;45(11):1071-9.

[11] Phokeo V, Sproule B, Raman-Wilms L. Community pharmacists’ attitudes toward and professional interactions with users of psychiatric medication. Psychiatr Serv. 2004;55;1434-36.

[12] Bordenave-Gabriel C, Giraud-Baro E, de Beauchamp de I, Bougerol T, Calop J. Peut-on établir un lien entre information, connaissance et observance médicamenteuse chez les patients souffrant de troubles psychotiques? J Pharm Clin. 2002;21:123-29.

[13] Bordenave-Gabriel C, Giraud-Baro E, de Beauchamp I, Bougerol T, Calop J. Conception et mise en place d’une pratique d’éducation thérapeutique pour les patients psychotiques sous traitement neuroleptique : le programme Pharmation. Education du Patient et Enjeux de santé. 2002;21(3):77-84.

[14] Bell SS, McLachlan AJ, Aslani P, Whitehead P, Chen TF. Community pharmacy services to optimise the use of medications for mental illness: a systematic review. Aus NZ Health Policy. 2005;2:29.

[15] Hocking B. Reducing mental illness stigma and discrimination – everybody’s business. Med J Aust. 2003;178:S47-8.

[16] Mental health: a report of the surgeon general. United States Department of Health and Human Services. Surgeon General, 1999. http://profi les.nlm.nih.gov/ps/retrieve/ResourceMetadata/NNBBHS

[17] Holmes EP, Corrigan PW, Williams P. Changing attitudes about schizophrenia. Schizophr Bull. 1999;25:447-56.

Références

de type : « Si j’ai bien compris, vous me dites que… », « Vous voulez donc me signaler que… ». La reprise de ce qui vient d’être dit sous forme d’une interrogation ou d’une affirmation interrogative, ou la relance de l’un des mots énoncés en l’accentuant encourage le patient à poursuivre son discours. La compréhension des mes-sages doit être vérifiée en invitant le client à les reformu-ler. Il faut accepter et utiliser les silences, laisser le patient réfléchir, et, finalement, reformuler l’essentiel des questions et des réponses en guise de conclusion. Par exemple : « Vous m’avez dit que le traitement rend vos yeux secs et douloureux. Je vous ai expliqué que ceci n’est pas rare avec le médicament que vous prenez. Je peux vous proposer une réponse : l’usage de ces gouttes qui vont humidifier vos yeux. Elles réduiront ainsi l’inconfort dont vous vous plaignez ». Cette démarche a été théorisée : c’est la règle des “4R” (encadré 5).

Éducation thérapeutique du patient schizophrènePartant de l’observation que la personne schizophrène présente un défaut de capacités d’apprentissage ou un

déficit en habiletés sociales, l’impact de situations de la vie quotidienne auxquelles le patient ne sait pas faire face sera limité, une fois la maladie stabilisée, par l’ac-quisition d’habiletés lui permettant d’accroître le réper-toire de ses compétences. Par exemple, les interventions sociothérapiques ont pour objectif la mise en place d’un réseau d’amis et de connaissances efficace et l’acqui-sition de compétences dans la gestion de l’argent, la recherche d’un emploi, etc., alors que les modules de résolution de problèmes permettent d’apprendre à affronter des situations inhabituelles dans la vie, parti-culièrement stressantes chez le sujet schizophrène en raison de son handicap cognitif.Ces thérapies dites “de soutien” assistent donc le patient dans ses difficultés : qu’elles soient focalisées sur les habiletés sociales, sur l’insertion sociétale ou sur la résolution de problèmes, elles le confrontent à des expériences nouvelles qui stimulent sa capacité à réagir et à se (re)mettre en jeu, ce qui contribue à améliorer sa qualité de vie et limite les réhospitalisations pour rechute [22]. Plusieurs techniques sont mises en œuvre, dont la remédiation cognitive et l’entretien motivationnel.

Encadré 4. Communiquer avec le patient schizophrèneL’attitude générale importe beaucoup, d’autant que le patient schizophrène peut tenir comme preuve d’agressivité ou pour le moins d’indifférence une attitude vécue en général comme neutre.

F Attitude nuisant à la communication : vouloir diriger, commander ; menacer, même indirectement ; être sarcastique, ironique, insinuer ; évaluer le patient, le critiquer, le blâmer, le juger ; interpréter sa demande ou son discours ; être évitant par rapport à la demande, sembler distrait ou se laisser distraire.

F Attitude favorisant la communication : être amical dans l’expression du visage et des gestes – mettre en œuvre un langage corporel propice à l’échange et à la communication – ; faire preuve d’empathie en manifestant une capacité à se mettre à la place de l’autre – « Cela doit être effectivement difficile à vivre pour vous » – ; être précis et clair dans le propos – apporter une information à la fois dans une phrase – ; formuler une seule demande à la fois dans une question.

Encadré 5. Respecter la règle des 4RLa conversation avec un patient atteint de schizophrénie doit toujours rester simple. Elle doit, comme pour d’autres patients et face à d’autres attentes, respecter autant que possible les prin-cipes formulés par un médecin spécialiste, Charly Cungi1 :• recontextualiser : replacer les éléments du discours du patient

dans leur contexte ;• reformuler : répéter en utilisant les propres mots du patient ;• résumer : résumer le propos du patient ;• renforcer : reconnaître et souligner la problématique exprimée

par le patient.Un point mérite d’être souligné : le patient schizophrène, notam-ment s’il a déjà bénéficié de programmes de psychoéducation institutionnels, aime à utiliser des termes médicaux pour décrire ses symptômes. Ces termes sont fréquemment détournés de leur sens ou appliqués à des situations inadaptées. Il est donc

nécessaire de l’inviter à reformuler, à l’aide de périphrases ou d’autres termes, les symptômes, de façon à vérifier qu’ils corres-pondent à la réalité et à réellement comprendre son propos.Exemple de conversation :• le client : « En venant à la pharmacie, j’ai juste rencontré ma

cousine. Elle déménagera le mois prochain car elle a trouvé un emploi près de Paris… » ;

• le pharmacien : « Si j’ai bien compris, vous venez donc de croiser votre cousine près d’ici. C’est cela ? Vous dites qu’elle vous a annoncé son déménagement. Ce déménagement est lié au fait qu’elle a trouvé un travail près de Paris ? Ai-je bien compris ce que vous m’avez dit ? Vous semblez ennuyé en me disant cela… pourquoi ? »

1 Cungi C. L’alliance thérapeutique. Paris: Retz; 2006.

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Actualités pharmaceutiques

• Supplément formation au n° 524 • 1er trimestre 2013 • 19

L’éducation thérapeutique à l’épreuve de la schizophrénie

formation

[18] Corrigan PW, Green A, Lundin RK, Kubiak MA, Penn DL. Familiarity with and social distance from people who have serious mental illness. Psychiatr Serv. 2001;52:953-8.

[19] Bell SS, Johns R, Chen TF. Pharmacy students’ and graduates’attitudes towards people with schizophrenia and severe depression. Am J Pharmaceutical Education. 2006;70(4):article 77.

[20] Mino Y, Yasuda N, Tsuda T, Shimodera S. Effects of a one hour educational program on medical students’ attitudes to mental illness. Psychiatr Clin Neurosci. 2001;55:501-7.

[21] World Health Organization (WHO), Wonca. Integrating mental health into primary care: a global perspective. WHO Genève, 2008. www.who.int/publications/en/

[22] Beauchamp (de) I, Giraud-Baro E, Bougerol T, Calop J, Allenet B. Education thérapeutique des patients psychotiques: impact sur la ré-hospitalisation. Educ Ther Patient/Ther Patient Educ. 2010;2(2):S125-31.

[23] Favrod J, Barrelet L. Effi cacité de l’entraînement des habiletés sociales avec les personnes atteintes de schizophrénie. Thérapie comportementale et cognitive. 1993;3(3):84-94.

[24] Réseau PIC (Pharmacien, Informer, Comprendre). www.reseau-pic.info

[25] Fabre C. L’atelier du médicament: information et éducation des patients. Perspectives Psy. 2000;39(1):20-3.

[26] Sablier J, Stip E, Franck N. Remédiation cognitive et assistants cognitifs numériques dans la schizophrénie. L’Encéphale. 2009;35(2):160-7.

Références

Remédiation cognitiveLa remédiation cognitive vise à restaurer une fonction cognitive défaillante et/ou à favoriser son développe-ment (mémoire, attention, fonctions exécutives, etc.). Elle améliore le handicap du patient schizophrène en compensant la carence cognitive et les déficits dans les processus de traitement de l’information en stimulant la

cognition, en apprenant à utiliser des capacités alternatives (par exemple, utiliser la mémoire visuelle si la mémoire verbale est insuffisante) et en favorisant l’apprentissage.Certains programmes sont particulièrement adaptés au patient schizophrène stabilisé : l’IPT (Integrated Psycho-logical Treatment) consacré à la remédiation cognitive et aux compétences sociales ; le Reha-Com, programme assisté par ordinateur, stimulant l’attention, la mémoire, le raisonnement logique, l’attention spatiale et les capa-cités de réaction ; le Reco(S), développé à partir de la Cognitive Remediation Therapy ; le Pracs, aidant à trouver des solutions aux problèmes quotidiens ; soléduc, etc.

Entretien motivationnelLe patient psychotique ne croyant pas être malade, il faut le motiver pour qu’il accepte de suivre avec assiduité la prescription (encadré 6). De plus, si toute maladie chro-nique entraîne une démotivation du patient confronté à son caractère “indéfini”, la perte de motivation est plus impor-tante chez le patient schizophrène en raison de la dégra-dation cognitive. Il importe donc de réaliser une “guidance”, c’est-à-dire de lui faciliter la tâche, de stimuler sa motivation et de lui permettre de réitérer, seul, le processus.

Un choix d’outils validésMalgré ses troubles attentionnels et mnésiques, malgré ses difficultés à anticiper et à gérer des inférences logiques, le patient schizophrène peut apprendre des habiletés nouvelles et les généraliser [23]. Il importe de lui proposer des outils éducatifs améliorant ou créant des habiletés spécifiques à un domaine essentiel, inté-ressant directement le pharmacien : le traitement médi-camenteux. C’est l’équipe de Robert P. Liberman

Un guide pour répondre aux attentes du patient malade mental

L’Ordre des pharmaciens australiens (Australian Pharmacy Council, APC) a regroupé les éléments requis pour que le phar-macien fasse écho aux demandes du patient malade mental, réponde à ses questions et comprenne les qualités spécifique-ment attendues dans ce domaine – différent de celui des affec-tions somatiques1. Inventoriant les connaissances incontour-nables, ce document permet de les appliquer concrètement auprès du patient, notamment schizophrène. Allant plus loin que l’enseignement universitaire, il fait du pharmacien officinal une personne-ressource dans des domaines variés, balayant un champ interdisciplinaire. Il pointe aussi la nécessité de savoir écouter des personnes en souffrance mentale, leur parler et gérer l’accueil du patient en crise. La synthèse met l’accent sur la spécificité des maladies mentales (des aspects plus généraux font l’objet d’autres documents mis en ligne par l’APC). On y trouve :

• les connaissances minimales permettant de promouvoir un usage optimal des médicaments ;

• le bilan des compétences faisant du pharmacien un acteur dans la prise de décision thérapeutique, capable de repérer les modifications dans le comportement du patient méritant d’être transmises aux infirmiers spécialisés ou au psychiatre traitant ;

• le bilan des compétences permettant au pharmacien de s’im-pliquer dans la surveillance des traitements et l’automédica-tion (repérage des abus médicamenteux, etc.) ;

• le bilan des compétences permettant au pharmacien de s’impliquer dans le suivi de la iatrogénie induite par le traite-ment (troubles glycémiques, prise de poids, interactions, etc.).

1 Australian Pharmacy Council. Application of the “Competency Standards

for Pharmacists in 2003” in the provision of Mental Health Care: Statement

of Mental Health Care capabilities. 2009. http://www.pharmacycouncil.

org.au/PDF/Pharmacists%20Capability%20Statement%20%20June%20

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Le pharmacien attachera, face à un patient schizophrène, une importance particulière à la qualité de la communication non-verbale, chargée en messages émotionnels ou affectifs.

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Actualités pharmaceutiques

• Supplément formation au n° 524 • 1er trimestre 2013 •20

L’éducation thérapeutique à l’épreuve de la schizophrénie

formation

(tableau 3) qui, la première, développa à Los Angeles un module dédié à l’“éducation au traitement neurolep-tique” au milieu des années 1980 : son efficacité a été montrée en France en prenant comme indicateurs le niveau de fonctionnement social et l’évolution de la symptomatologie de jeunes psychotiques [23].L’abord de ce champ d’habiletés est réalisé grâce à des programmes (encadré 7) qui peuvent intéresser direc-tement et uniquement le traitement médicamenteux (par exemple, l’atelier du médicament ou le programme Pharmation®) ou l’intéresser d’une façon plus indirecte (par exemple, le programme Insight®). Ces programmes, parfois supportés par l’industrie pharmaceutique mais

alors conçus par des soignants en toute impartialité et hors conflits d’intérêts, sont destinés à un usage insti-tutionnel : il n’existe pas (encore) de programmes spé-cifiquement conçus, dans ce champ de la thérapeutique, pour la pratique officinale.Au-delà des informations factuelles qu’ils apportent (sur la maladie et son traitement, les droits des patients, les types de prise en charge, les lieux d’accueil, la ges-tion de la vie quotidienne, etc.), ces programmes, conduits en petits groupes, contribuent à l’instauration d’un climat de confiance favorable à l’alliance thérapeu-tique, apaisent les relations conflictuelles et, globale-ment, renforcent l’auto-efficacité du patient vis-à-vis de

Encadré 6. Entretien motivationnel : la pratique en un motIl existe de nombreuses techniques d’augmentation de la motiva-tion. Il faut au préalable susciter la demande du patient (en termes de compréhension du traitement), anticiper les désaccords possi-bles et les négocier en respectant toujours son point de vue. Ainsi, par exemple, à la question « Je devrais me changer les idées en allant voir un bon spectacle mais je ne sais pas si je vais oser aller au cinéma… », voici quelques options de réponses : • réponse A, « Je suis sûr que vous pouvez ! C’est de plus un film

excellent ! », non réflexive, sans reformulation de la parole du patient, visant à le rassurer sans efficacité ;

• réponse B, « Vous dites qu’aller au cinéma vous ferait du bien. Vous n’osez pas y aller. Mais pourquoi cette crainte ? », excel-lente, réflexive et empathique ;

• réponse C, « Alors, n’y allez pas ! Ce serait bête de vous stres-ser pour aller au cinéma ! », mauvaise car le patient n’attend pas un conseil incluant un jugement sur son hésitation (le rôle du stress).

Encadré 7. Exemples de programmes destinés aux patients schizophrènes et à leurs prochesIl est évidemment impossible de donner ici une liste exhaustive des programmes existants, mais plusieurs types d’interventions qui, directement ou non, concourent à améliorer la compréhension et l’observance du traitement du patient schizophrène peuvent être distingués :• programmes d’éducation à la santé et au traitement ;• développement de compétences psychosociales ;• accompagnement des familles ;• réflexion sur la maladie.Parmi les programmes institutionnels utilisés en France, citons (liste non exhaustive) quatre approches différentes :• Psychose – Aider – Comprendre – Traiter (PACT®), un pro-

gramme audiovisuel produit par Janssen-Cilag, destiné à aider l’équipe soignante à informer patients et familles sur la schizo-phrénie, et comportant trois modules1 ;

• Schiz’ose dire® (Institut Lilly) qui permet, grâce à un travail conduit avec un soignant, de comprendre la schizophrénie et de fixer des repères clairs sur la maladie, son évolution, sa clinique, ses traite-ments, afin de mieux la gérer au quotidien. Associé, un site internet2 s’inscrit dans une approche globale de sensibilisation d’un large public sur la schizophrénie et sa prise en charge ;

• Équilibre® (Institut Lilly), programme qui vise à prévenir et à gérer les variations pondérales chez les patients psychia-triques traités par psychotropes. Mis en place en hôpital de jour et en centre médico-psychologique (CMP), il est géré par des soignants volontaires, spécialement formés, et s’articule autour de six ateliers de 1,5 heures s’adressant chacun à 6-8 patients3 ;

• Insight® (Institut Lilly) qui favorise l’alliance thérapeutique et l’adhésion aux soins4 et se décline en six ateliers (film, jeux, etc.) d’une heure explorant les dimensions de l’insight (conscience du trouble mental, des symptômes positifs et négatifs, de la désorganisation, des conséquences psycho-sociales de la schizophrénie et des effets du traitement).

1 Salomé F, Lagathu C, Demant JC et al. Un programme d’information sur

la maladie et ses traitements destiné aux patients atteints de schizophrénie :

PACT®. Annales Médico Psychologiques. 2002;160:416-20.2 www.schizosedire.com3 Massé G. Le programme Équilibre : prévenir et gérer les variations pon-

dérales chez les patients souffrant de maladies psychiatriques. Nervure.

2006;19(2):16-7.4 Misdrahi D, Chéreau I, Petit M, Llorca PM. Développement d’un programme

psycho-éducatif ciblé sur l’insight pour les patients souffrant de schizophrénie.

L’Information Psychiatrique. 2008;84:937-9.

Pour en savoir plus• Amador X, Hodé Y, Klotz P. Comment faire accepter son traitement au malade : schizophrénie et trouble bipolaire. Paris: Retz; 2007.

• Assal JP, Lacroix A. L’éducation thérapeutique du patient - Nouvelles approches de la maladie chronique. 3e édition. Paris: Maloine; 2011.

• Association australienne d’aide aux patients atteints de maladies mentales et à leurs proches, proposant un large choix de documents sous diverses formes (livres, Dvd, etc.) : www.sane.org

• Bellack AS, Mueser KT, Gingerich S, Agresta J. Social skills training for schizophrenia: a step-by-step guide. 2nd edition. New York: Guilford Publication; 2004.

• Communauté mondiale pour la schizophrénie et les troubles apparentés : www.world-schizophrenia.org

• Fnap-Psy (Fédération nationale des associations de patients et ex-patients en psychiatrie) : www.fnappsy.org

• Foucaud J. Education thérapeutique du patient : modèle, pratiques et évaluation. Paris: Inpes; 2010.

• Guide familial sur la schizophrénie. www.mentalhealth.com/book/p40-sc01.html

• Laboratoire Janssen. www.schizophrenia24x7.com

• Laboratoire Lilly. www.schizosedire.com

• Le Bohec. L’éducation thérapeutique du patient. Soins Psychiatrie. 2011;273:11-34.

• Lecomte T, Leclerc C. Manuel de réadaptation psychiatrique. 2e édition. Montréal: Presses Univer-sitaires du Québec; 2012.

• Liberman RP, DeRisi WJ, Mueser KT. Manuel d’entraî-nement aux habiletés sociales pour les patients psychiatriques. Paris: Retz; 2005.

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Actualités pharmaceutiques

• Supplément formation au n° 524 • 1er trimestre 2013 • 21

L’éducation thérapeutique à l’épreuve de la schizophrénie

formation

son traitement ; bien tolérés au plan émotionnel, ils sont appréciés par une grande majorité de patients.

Atelier du médicament®Créé en 1995 au centre hospitalier Gérard Marchand (Toulouse) par deux pharmaciens du réseau Pharmacien, Informer, Comprendre (PIC) [24], l’Atelier du médicament® fonctionne en CMP, centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP), hôpital de jour ou en unité d’hos-pitalisation complète. Il s’agit d’un groupe de paroles dédié aux médicaments permettant à un pharmacien hospitalier, assisté d’un ou de deux infirmiers, de répondre avec empathie aux interrogations de 8 à 10 patients généralement psychotiques [25]. Les patients auxquels le psychiatre prescrit la participation à l’atelier, capables de se concentrer environ une heure, insuffisam-ment adhérents à la prescription, expriment leurs attentes et leurs craintes, et témoignent du quotidien de leur trai-tement. Le pharmacien fait écho à leurs interrogations ou narrations et répond objectivement aux questions, contri-buant à dédramatiser le traitement et à éviter les fausses croyances. L’Atelier permet aux patients de connaître les effets indésirables, de les anticiper, d’y réagir, de distin-guer iatrogénie et pathologie. Il leur permet d’apprendre à gérer un pilulier, à prendre correctement les médica-ments, à respecter les horaires d’administration, à connaître les possibles interactions avec d’autres médi-caments, avec l’alcool, le tabac ou le cannabis. Cette formation est soutenue par l’Institut Lilly depuis 2002.

Programme Pharmation®Basé sur des connaissances cliniques, pharmacolo-giques et psychosociales, Pharmation® intègre des méthodes pédagogiques interactives adaptées au patient psychotique qui a ses propres convictions (par-fois délirantes…) et ses propres difficultés à gérer au quotidien son traitement [13]. Il est destiné à des groupes de 6 à 8 patients, réunis pour 15 séances d’en-viron 2 heures autour d’un pharmacien et de deux infir-miers. Les thèmes permettent d’améliorer : la prise de conscience de l’intérêt du traitement antipsychotique et

de ses effets indésirables ; l’implication active du patient dans la gestion quotidienne de son traitement, ainsi que dans la surveillance des complications du traitement et dans l’évolution de sa maladie ; la confiance et l’impli-cation du patient dans sa relation avec son médecin ; une utilisation adéquate des structures de soins ; les croyances négatives sur le traitement médicamenteux ; le vécu du regard d’autrui sur le traitement psychoactif.Le travail débute par des échanges interactifs libres que stimulent des messages éducatifs : les animateurs pren-nent connaissance de la “culture” de chaque participant et cernent ses attentes. Des supports éducatifs variés renforcent la lisibilité des messages et en facilitent la mémorisation. Des jeux de rôle permettent une appro-priation des concepts par le patient et une amélioration de son habileté à la conversation. Des activités de réso-lution de problèmes sont développées. Des tâches à réaliser à domicile ou au foyer sont proposées entre les séances pour favoriser la continuité du travail cognitif.

Orthèses cognitives une piste ?Des assistants technologiques pour la cognition (ATC) peuvent constituer des outils de remédiation cognitive susceptibles d’améliorer l’autonomie et l’adhésion au traitement [26]. Deux ATC sont développés dans ce domaine. Mobus®, un logiciel installé dans un smart-phone, offre un rappel des activités de la vie quotidienne et permet à l’utilisateur d’exprimer et d’enregistrer son vécu quotidien (symptômes, émotions...). DoPill®, un pilulier “intelligent”, avertit l’utilisateur lorsqu’il faut prendre un médicament prescrit, des capteurs détectant alors la prise. Les informations sur la réalisation des activités quotidiennes, le vécu des patients et l’adhésion au traitement sont accessibles aux aidants à distance via internet. Les études montrent que Mobus® peut amé-liorer les capacités de planification des patients et DoPill®, l’adhésion au traitement. Ces dispositifs ne doivent toutefois pas isoler le patient dans un environne-ment technologique impersonnel, mais simplement participer à son accompagnement au quotidien. w

Déclaration d’intérêts :

les auteurs déclarent ne pas

avoir de confl its d’intérêts en

relation avec cet article.

Les auteursIsabelle de BEAUCHAMPPraticien hospitalier,

pharmacien, Centre hospitalier

Alpes-Isère, 3 rue de la Gare,

38521 St-Égrève, France

Diane LÉVY-CHAVAGNATPraticien hospitalier, psychiatre,

Centre hospitalier Henri-

Laborit, 370 avenue Jacques-

Cœur, 86021 Poitiers, France

Christian POUPINCadre supérieur, Centre

hospitalier Henri-Laborit,

370 avenue Jacques-Cœur,

86021 Poitiers, France

[email protected]

Tableau 3. Module historique de Robert P. Liberman adapté [23].

Domaines successifs de l’éducation au traitement neuroleptique

Types d’entraînement

Premier domaine Entraînement du patient à questionner l’équipe soignante sur les effets bénéfi ques et indésirables du traitement.

Deuxième domaine Entraînement à la prise du traitement.

Troisième domaine Entraînement à l’identifi cation des effets secondaires et de leur degré de sévérité.

Quatrième domaine Entraînement à la négociation des problèmes avec les professionnels de santé, à la description des effets indésirables, etc.

• Liberman RP. Module Education au traitement neuroleptique : manuel du thérapeute. Socrate-Réhabilitation. Marchienne-le-Pont (Belgique): Hôpital Vincent Van Gogh; 1992.

• Liberman RP. Réhabilitation psychiatrique des malades mentaux chroniques. Paris: Masson; 1991.

• Markova IS. L’insight en psychiatrie. Paris: Doin; 2009.

• Monestès JL. La schizophrénie. Mieux comprendre la maladie et mieux aider la personne. Paris: Odile Jacob; 2008.

• Monestès JL. Vivre avec la schizophrénie. In : André C. Guide pratique de psychologie pour la vie quotidienne. Paris: Odile Jacob; 2008.

• Palazzolo J. Informer le patient en psychiatrie. Paris: Masson; 2003.

• Schizo ?… oui ! www.schizo-oui.com

• Site de référence américain : www.schizophrenia.com

• Unafam (Union nationale des amis et familles de malades psychiques) : www.unafam.org

Pour en savoir plus