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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 597—600 CAS CLINIQUE Efficacité de la dapsone dans deux cas de lupus miliaire disséminé de la face Dapsone efficacy in lupus miliaris disseminatus faciei: Two cases J. El Benaye , S. Oumakhir, M. Ghfir, O. Sedrati Service de dermatologie, hôpital militaire d’instruction Mohammed V, Rabat, Maroc Rec ¸u le 25 octobre 2010 ; accepté le 21 f´ evrier 2011 Disponible sur Internet le 6 mai 2011 MOTS CLÉS Lupus miliaire de la face ; Dapsone ; Ccicatrices Résumé Introduction. — Le lupus miliaire disséminé de la face (LMDF) est une dermatose bénigne assez rare, d’étiologie inconnue et de traitement souvent décevant, qui régresse spontanément au bout de deux à quatre ans au prix d’un préjudice esthétique. Nous en rapportons deux observations qui illustrent l’efficacité possible de la dapsone dans cette affection. Observations. — Le premier cas est celui d’une femme de 46 ans qui présentait depuis six mois une éruption papulopustuleuse du visage évoluant vers des cicatrices déprimées. Les trai- tements par cyclines, métronidazole et crotamiton avaient été inefficaces. La confrontation clinicohistologique permettait de retenir le diagnostic de LMDF. L’introduction de la dapsone, à la posologie de 100mg par jour, était suivie d’une nette amélioration dès la deuxième semaine de traitement. La seconde observation intéresse un jeune homme de 18 ans qui présentait depuis trois mois des lésions érythémato-papulo-pustuleuses du visage, d’évolution cicatri- cielle, résistant aux cyclines et aux rétinoïdes topiques. Cet aspect clinique, conforté par le résultat histologique de la biopsie cutanée, permettait de poser le diagnostic de LMDF. Une amélioration était constatée dès le premier mois de traitement par dapsone à la posologie de 100mg par jour. Discussion. — Chez nos deux patients, la dapsone est apparue efficace dans le traitement du lupus miliaire de la face. De nouvelles études sont souhaitables pour confirmer ces résultats. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J. El Benaye). 0151-9638/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2011.02.019

Efficacité de la dapsone dans deux cas de lupus miliaire disséminé de la face

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Page 1: Efficacité de la dapsone dans deux cas de lupus miliaire disséminé de la face

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2011) 138, 597—600

CAS CLINIQUE

Efficacité de la dapsone dans deux cas de lupusmiliaire disséminé de la face

Dapsone efficacy in lupus miliaris disseminatus faciei: Two cases

J. El Benaye ∗, S. Oumakhir, M. Ghfir, O. Sedrati

Service de dermatologie, hôpital militaire d’instruction Mohammed V, Rabat, Maroc

Recu le 25 octobre 2010 ; accepté le 21 fevrier 2011Disponible sur Internet le 6 mai 2011

MOTS CLÉSLupus miliaire de laface ;Dapsone ;Ccicatrices

RésuméIntroduction. — Le lupus miliaire disséminé de la face (LMDF) est une dermatose bénigne assezrare, d’étiologie inconnue et de traitement souvent décevant, qui régresse spontanémentau bout de deux à quatre ans au prix d’un préjudice esthétique. Nous en rapportons deuxobservations qui illustrent l’efficacité possible de la dapsone dans cette affection.Observations. — Le premier cas est celui d’une femme de 46 ans qui présentait depuis six moisune éruption papulopustuleuse du visage évoluant vers des cicatrices déprimées. Les trai-tements par cyclines, métronidazole et crotamiton avaient été inefficaces. La confrontationclinicohistologique permettait de retenir le diagnostic de LMDF. L’introduction de la dapsone, àla posologie de 100 mg par jour, était suivie d’une nette amélioration dès la deuxième semainede traitement. La seconde observation intéresse un jeune homme de 18 ans qui présentaitdepuis trois mois des lésions érythémato-papulo-pustuleuses du visage, d’évolution cicatri-cielle, résistant aux cyclines et aux rétinoïdes topiques. Cet aspect clinique, conforté par lerésultat histologique de la biopsie cutanée, permettait de poser le diagnostic de LMDF. Uneamélioration était constatée dès le premier mois de traitement par dapsone à la posologie de100 mg par jour.

Discussion. — Chez nos deux patients, la dapsone est apparue efficace dans le traitement dulupus miliaire de la face. De nouvelles études sont souhaitables pour confirmer ces résultats.

Tous droits réservés.

© 2011 Elsevier Masson SAS.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (J. El Benaye).

0151-9638/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.annder.2011.02.019

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598 J. El Benaye et al.

KEYWORDSLupus miliarisdisseminatum faciei;Dapsone;Scar

SummaryBackground. — Lupus miliaris disseminatum faciei (LMDF) is a rare, chronic and benign facialdermatosis that is regarded as an enigmatic diagnostic and therapeutic entity with spontaneousregression in 2 to 4 years leaving pock-like scars.Case report. — We present two cases of LMDF: the first concerns a 46-year-old woman who 6months earlier presented a papular and pustular eruption on her face leaving small pitted scars.The inefficacy of treatment with cyclines, metronidazole and crotamiton as well as the clinicaland histological examination results allowed a diagnosis of lupus miliaris disseminatus facieito be made. The patient was placed on dapsone 100 mg per day, which led to a remarkableimprovement in the second week, but with depressed scars. The second case concerned an 18-year-old man who for 3 months had been presenting red-brown papules of the face that wereresistant to cyclines and to topical retinoids and caused scarring. This clinical aspect, conso-lidated by the histological result, allowed the diagnosis of LMDF to be made. Administrationof dapsone 100 mg per day resulted in improvement from the first month, although there wereresidual cupuliform scars.Discussion. — Dapsone appears to be effective in the management of this disease, as illustratedin our two case reports. However, further studies are needed to confirm these results.© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

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e lupus miliaire disséminé de la face (LMDF) est une derma-ose inflammatoire chronique d’étiopathogénie incertainet de traitement difficile. Elle se caractérise cliniquementar des papules rouge jaunâtre de localisation médio-facialeprédominance périorbitaire, qui peuvent s’étendre à tout

e visage, à la nuque et aux aisselles. L’affection survienthez l’adulte jeune et régresse spontanément au bout deeux à quatre ans au prix de petites cicatrices dépriméeséquellaires. Nous en rapportons deux observations, inté-essantes pour l’efficacité du traitement proposé.

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ne femme de 46 ans, sans antécédents pathologiques par-iculiers, consultait pour une éruption disséminée du visagevoluant depuis plus de six mois. Les lésions apparaissaientous forme de petites papules rouge brun d’âges diffé-ents, mesurant environ 3 mm de diamètre, dont certainestaient surmontées de pustules. Elles touchaient exclusi-ement le visage. Par ailleurs, il n’y avait ni érythèmei télangiectasie (Fig. 1). L’interrogatoire ne trouvait pas’application préalable de dermocorticoïdes. Un traitementar doxycycline à raison de 200 mg/jour pendant deux mois,ssocié dans un premier temps au métronidazole par voieocale et orale (1 g/j pendant dix jours), et enfin au cro-amiton pendant deux autres mois, n’avait apporté aucunemélioration.

L’examen bactériologique d’une pustule était sté-ile. Une intradermoréaction (IDR) à la tuberculineinsi que la recherche de bacilles de Koch (BK) danses crachats étaient négatives. La radiographie pul-

onaire ne montrait pas d’infiltrat parenchymateux

i d’adénopathie médiastinale. Le bilan phosphocal-ique et le dosage de l’enzyme de conversion de’angiotensine étaient normaux. L’examen histopa-

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igure 1. Éruption papulopustuleuse disséminée de la face.

hologique de la biopsie cutanée montrait un densenfiltrat inflammatoire granulomateux du derme,’organisant en follicules histiocytaires parfois centrésar de la nécrose fibrinoïde. Des cellules épithé-ioïdes étaient associées à des cellules géantes ; il’y mêlait de nombreux lymphoplasmocytes et desolynucléaires neutrophiles érodant parfois les paroisasculaires. Les colorations spéciales à l’acide pério-ique de Schiff (PAS) et de Ziehl n’objectivaient pas deicro-organisme.La confrontation histoclinique permettait de poser le

iagnostic de LMDF. Un traitement par dapsone était alorsébuté à la dose de 100 mg/j. Dès la deuxième semainee traitement, on constatait un assèchement des pus-ules et un affaissement des papules, au prix de petitesicatrices déprimées (Fig. 2). Après six semaines de trai-ement, il n’y avait plus de papule ni d’apparition de

ouvelles lésions. Après trois mois, la dapsone était arrê-ée ; toutes les lésions étaient au stade cicatriciel. Huitois plus tard, la patiente était toujours en rémission

omplète.

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Efficacité de la dapsone dans deux cas de lupus miliaire disséminé de la face 599

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Figure 2. Cicatrices déprimées après un mois de traitement.

Cas no 2

Un jeune homme de 18 ans, n’ayant jusque là aucun anté-cédent particulier, présentait depuis trois mois des lésionsérythémateuses papulo-pustuleuses à évolution cicatricielledéprimée touchant le visage surtout dans la région périor-bitaire (Fig. 3). Après avoir recu des traitements topiques(rétinoïdes et érythromycine, sans notion d’applications dedermocorticoïdes) puis des cyclines par voie orale sans amé-lioration, le patient consultait dans notre clinique, où une

biopsie cutanée objectivait une dermite granulomateuseépithélioïde et giganto-cellulaire. Les colorations spéciales(PAS et Ziehl) ne montraient pas d’agents pathogènes. Par

Figure 3. Papules brunâtres surmontées de pustules.

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igure 4. Cicatrices déprimées « taillées à pic ».

illeurs, une IDR à la tuberculine, le tubage gastrique à laecherche de BK et l’examen bactériologique d’une pustulee révélaient négatifs. La radiographie pulmonaire était nor-ale, de même que le bilan phosphocalcique et le dosagee l’enzyme de conversion de l’angiotensine.

Le diagnostic de LMDF était posé et un traitement parapsone débuté à la dose de 100 mg/j. Après deux mois deraitement, la régression des lésions était totale au prix deicatrices déprimées. Six mois plus tard, aucune nouvelleésion n’était apparue (Fig. 4).

iscussion

e LMDF est une entité énigmatique, toujours contro-ersée même si elle est largement reconnue. Certainsa considèrent comme une entité à part entière dont’étiopathogénie reste à élucider, alors que d’autresa rattachent à d’autres affections comme la tubercu-ose, la sarcoïdose, la rosacée granulomateuse ou encore’acné. . . De nombreux termes sont utilisés pour désignerette dermatose faciale : tuberculides papulonécrotiques,uberculides rosacéiformes, lupoïde miliaire, acnitis, acnégminata, facial idiopathic granulomas with regressive evo-ution (FIGURE) ; mais le plus approprié, selon la plupart desuteurs, reste celui de lupus miliaire disséminé de la face1—3].

L’étiopathogénie de cette affection est mal connue.’hypothèse initiale d’une origine tuberculeuse a été écar-ée devant l’absence de bacille de Koch dans les lésions (à’examen direct, en culture ou par technique d’amplificationénique (PCR), l’intradermoréaction négative et l’absence’amélioration sous antibacillaires. La tendance actuelle este considérer le LMDF comme une réaction granulomateusedes agents non encore définis, constituant une entité à

art. [4].Cliniquement, le LMDF touche des adultes jeunes des

eux sexes. Il se manifeste par des papules rouges deà 3 mm de diamètre, qui deviennent parfois pustuleuses.

ne ombilication centrale est fréquemment observée. Les

ésions sont symétriques, centrofaciales, de localisation pré-érentiellement périorbitaire et péribuccale mais pouvant

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tre disséminées sur tout le visage, touchant parfois le tronct les aisselles. Elles évoluent par poussées, expliquant laoexistence d’éléments d’âges différents. L’évolution se faiters la régression spontanée au bout de deux à quatre ans,aissant des cicatrices atrophiques « taillées à pic » [2,3,5].

Histologiquement, la lésion commence par un infiltratnflammatoire lymphohistiocytaire associé à quelques poly-ucléaires neutrophiles périvasculaires, avec atteinte de laaroi vasculaire et parfois extravasation de globules rouges.a présence de granulomes faits d’histiocytes épithélioïdes,e cellules géantes multinucléées et de lymphocytes entou-ant une nécrose caséeuse est caractéristique. D’aprèslusieurs publications, ces granulomes seraient en rapportvec la rupture de follicules pilosébacés. Ultérieurement,es granulomes tuberculoïdes peuvent suppurer et unebrose hyaline peut être observée autour des folliculesileux [1,6,7].

Seule la confrontation anatomoclinique, et parfois’évolution, permettent d’asseoir le diagnostic de LMDF2,3,8,9]. Devant toute éruption papulopustuleuse duisage d’aspect histologique granulomateux, il convient’envisager d’abord d’autres affections plus fréquentes oulus sévères. Ainsi, l’hypothèse d’une rosacée granulo-ateuse peut être écartée devant l’absence de bouffée

asomotrice (flush) et de télangiectasies. Le caractère « bienessiné » du granulome et l’absence de nécrose centraleermettent de différencier la sarcoïdose du LMDF. La der-ite péri-orale granulomateuse, fréquemment confondue

vec le LMDF, touche plus volontiers les enfants à peau noire,’est jamais nécrotique et guérit sans séquelles. L’IDR àa tuberculine, la bactériologie, l’histologie et l’échec duraitement antibacillaire permettent d’éliminer une tuber-ulose. Enfin le diagnostic d’acné doit être mis en questionevant l’absence d’hyperséborrhée et de comédons ainsiue la non amélioration sous cyclines et rétinoïdes.

Le traitement du LMDF reste non codifié. Plusieurs traite-ents ont été utilisés avec des résultats décevants comme

es tétracyclines, l’isotrétinoïne, la corticothérapie géné-ale ou le tacrolimus [2]. Un succès thérapeutique du laseriode 1450 nm a été rapporté dans un cas [10]. L’utilisatione la dapsone comme traitement du LMDF est connue et

apportée dans la littérature. Il a été démontré que la dap-one prévenait l’apparition de nouvelles lésions et diminuaita durée de l’évolution de la maladie [2,3,5,7,11], ce queonfirment nos observations. Cependant, il n’y a pas de

[

J. El Benaye et al.

onsensus concernant la posologie et la durée de ce traite-ent. Chez nos patients, la dapsone a été utilisée à la dosee 100 mg/j pendant trois mois avec début d’améliorationès la deuxième semaine, disparition de toutes les lésions auout de six à huit semaines et rémission complète maintenueprès six à huit mois d’arrêt du traitement.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

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