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1 Etude des nouveaux usages, des communautés de pratiques et des processus d’appropriation symbolique de ces espaces Partie 1 Notions sur l’analyse des représentations et les enquêtes d’opinion Objectifs spécifiques : - Acquisition d’éléments d’analyse des conduites et démarches des différents acteurs sociaux des espaces d’accès public au numérique (EPN). Modalités du travail : - Apports de connaissances et analyses de cas ; Production attendue : - Un guide d’observation des pratiques des différents acteurs sociaux sera élaboré. 1 – Intentions Nous essaierons de comprendre les publics des espaces publics numériques ; ainsi que ceux qui développent des EPN (élus, responsables associatifs,…) Pour ce faire, nous utiliserons des outils et des démarches (c’est-à-dire un ensemble coordonné d’outils) intellectuels, et nous donnerons un contenu aux différents intitulés du cours. Nous adopterons une compréhension fondée sur une « enquête » de terrain, permettant de recueillir des informations, selon différentes modalités (entretiens, observations, analyse de documents,…) Et nous examinerons comment analyser ce matériel.

Etude des nouveaux usages, des communautés de … · Quelle que soit la technique, dans tous les cas, ce sont les nouveaux usages qui crédibilisent une technique . Beaucoup d’usages

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Etude des nouveaux usages, des communautés de pratiques et des processus d’appropriation symbolique de ces espaces

Partie 1

Notions sur l’analyse des représentations et les enquêtes d’opinion

Objectifs spécifiques :

- Acquisition d’éléments d’analyse des conduites et démarches des différents acteurs sociaux des espaces d’accès public au numérique (EPN).

Modalités du travail :

- Apports de connaissances et analyses de cas ; Production attendue :

- Un guide d’observation des pratiques des différents acteurs sociaux sera élaboré. 1 – Intentions

Nous essaierons de comprendre les publics des espaces publics numériques ; ainsi que ceux qui développent des EPN (élus, responsables associatifs,…)

Pour ce faire, nous utiliserons des outils et des démarches (c’est-à-dire un

ensemble coordonné d’outils) intellectuels, et nous donnerons un contenu aux différents intitulés du cours.

Nous adopterons une compréhension

fondée sur une « enquête » de terrain, permettant de recueillir des informations, selon différentes modalités (entretiens, observations, analyse de documents,…)

Et nous examinerons comment analyser ce matériel.

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2a – Usages et pratiques sociales Les prévisions de développement ne se vérifient pas toujours. Ainsi, les autoroutes de l’information annoncées par Al Gore n’ont pas fait florès, mais il existe une multiplicité de « chemins forestiers » (plus ou moins grande diversité technique, grande diversité des appropriations et des acquisitions, diversité des usages,…). Par ex., Arpanet a certes généré de l’échange de données, mais a également favorisé de nouvelles formes de collaboration entre des groupes de chercheurs. On peut parler de nouveaux usages pour la recherche. Quelle que soit la technique, dans tous les cas, ce sont les nouveaux usages qui crédibilisent une technique. Beaucoup d’usages sont inattendus ; on assiste à des « récupérations », à des détournements. Par exemple :

Les Phone freaks. Les Phone freaks étaient des individus qui avaient inventé un ensemble de manières de pirater le téléphone.1

Jeux et injures : les premières observations des pratiques de la micro-

informatique (les années 1980), dans les centres d’adolescents en été, montraient que des jeunes (tout particulièrement des garçons), utilisaient les micro-ordinateurs pour s’adresser des injures – parfois, celles qu’ils auraient inscrites sur un mur, en se cachant. D’autres, modifiaient leurs jeux habituels, afin d’utiliser les micro-ordinateurs (notamment jeux de rôles).

Le minitel « rose » : conçu pour faciliter les relations entre décideurs et

administrateurs, le minitel fut « détourné » à des fins de rencontres, dites érotiques. Quand on passe à la commercialisation (actuellement sur internet), il ne s’agit plus d’usage inattendu.

Les alertes. Les SMS, et plus généralement les téléphones dits portables, ont,

en Chine, rapidement propagé l’idée d’un danger en relation avec le SRAS. Bien entendu, ces usages ne rendent pas compte à eux seuls de l’obligation dans laquelle le gouvernement chinois a du communiquer la réalité de la diffusion du virus, mais ils ont contribué à une certaine démocratisation de l’information.

Les usages militants. Actuellement des normes d’usages de la messagerie

électronique font l’objet de négociations entre des organisations syndicales et des directions d’entreprises. Mais, cela a été précédé de nombreux usages inattendus : les routiers s’informant, par la téléphonie mobile, de l’existence de barrages de police aux moments de leur mouvement ; les infirmières diffusant

1 Philip K. Dick, « Si ce Monde vous déplaît… et autres écrits », Ed. L’Eclat, 1998. Il s’agit d’un ensemble de nouvelles, la plupart écrites dans les années 1970. Cet auteur a beaucoup inspiré des cinéastes, par ex. Spielberg (« Minority report »).

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le résultat de leurs coordinations (minitel) ; la propagation de l’information, sur le plan international, relative à l’AMI (accord multilatéral sur l’investissement), grâce à la messagerie électronique, etc.

Ensuite (ou de manière parallèle), on assiste à une phase de conception de produits, et à leur commercialisation. D’où, à nouveau, de nouveaux usages : par exemple, ceux qui, autour des « logiciels libres », veulent mettre en œuvre d’autres formules que les « logiques propriétaires » ; autre exemple : les « creative commons »2. Les élus subventionnent et ils sont parfois très présents, s’inquiétant des usages. Par exemple, les chômeurs fréquentent-ils l’EPN ? Font-ils de la recherche d’emploi ? Ont-ils le matériel nécessaire à disposition, dans quelle quantité, selon quelles modalités ? D’autres élus vont plutôt s’inquiéter de savoir si les jeunes qui « traînent » dans le quartier fréquentent l’EPN, et ce qu’ils y font ? Etc. Les associations sont des médiateurs de la diffusion des usages des espaces publics numériques. Mais, quels sont les présupposés idéologiques et politiques de l’association ? Qui sont les animateurs ? Qui prend les décisions et par rapport à quelles questions ? Au bout du compte, que vont en faire ceux qui fréquentent les EPN ?

2 On commence à voir sur Internet à la place du C cerclé Cc cerclé pour Creative commons, nouveau contrat inspiré des logiciels libres. Creative Commons propose des contrats-type pour la mise à disposition d’œuvres en ligne. Inspirées par les licences libres et le mouvement open source, ces offres facilitent l’utilisation et la réutilisation d’œuvres (textes, photos, musique, sites web…). Au lieu de soumettre tout acte ne relevant pas des exceptions légales à l’autorisation préalable des titulaires de droits d'auteur, les licences Creative Commons permettent d’autoriser à l’avance le public à effectuer certaines utilisations selon les conditions exprimées par l’auteur. http://fr.creativecommons.org/ en français

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2b – Usages et pratiques sociales On retrouve, dans les EPN, des individus dont les pratiques sociales confirment et parfois compensent des invariants sociaux : ceux/celles qui s’y livrent ne sont pas répartis également dans la société. En effet, les usages d’une technologie s’inscrivent dans des manières de faire et des privilèges spécifiques à des « groupes sociaux ». C’est ce que nous pouvons examiner, en partant de questions simples : 1) Les différents publics :

Qui fréquente l’EPN ? Peut-on identifier des groupes sociaux, lesquels ? Comment ont-ils appris l’existence de l’EPN (canaux d’information, privés, publics,…) ?

Comment s’y prennent-ils ? Que font-ils ? Quelles sont leurs demandes auprès

de l’EPN ?

Avec qui ? C’est-à-dire sur quelles bases (animations proposées, affinités, statut social,…) des groupes sont-ils constitués ?

2) Les animateurs :

Qui sont-ils ? Leurs filières de formation et leur statut professionnel (vacataires, CDD, CDI,…) ? Leur expérience ?

Leur contribution aux orientations de l’association ? L’injection de leur

travail dans les décisions de l’association ? 2b – Usages et pratiques sociales Afin de conduire le questionnement ci-dessus, on peut utiliser une démarche et des outils. Commençons par un cadrage social : D’une manière générale, on sait que plus on est homme, blanc, hautement qualifié, urbain, et plus on a d’opportunités d’accéder aux TIC. Ainsi, dans les entreprises françaises, les enquêtes statistiques3 montrent qu’on assiste à une logique de « sélection ». Le type du salarié « informatisé » (ordinateur, imprimante, intranet, internet, télécopie, téléphone, etc.) est :

diplômé habite en zone urbaine, a de l’ancienneté dans l’entreprise, son père était cadre.

3 enquetecoi.com

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En entreprise, les femmes accèdent nettement moins aux TIC que les hommes. Cette distribution inégale est réalisée par le biais de l’organisation4

hiérarchie des emplois et des décisions, contact plus ou moins fréquent avec l’interne et avec l’externe (détention d’un

réseau de communications), niveau de qualification (technique + savoir), accès à la formation, etc.

L’usage des TIC donne le sentiment aux salariés qu’ils sont du « bon côté » de la main-d’œuvre, parce que concerne les salariés les plus qualifiés et les mieux insérés. Il peut y avoir, dans certaines entreprises, une intention délibérée de réduire les écarts, d’où les opérations « Internet pour tous »5, autorisées par la loi de finances de 2000. 3a – Dispositions et trajectoires Mais dans la vie locale,

1) Qu’est-ce qui va jouer le rôle médiateur de l’organisation (entre les individus et les TIC) ?

2) Comment la sélection va-t-elle s’opérer ? En réponse au premier point, on évoquera le rôle des pouvoirs politiques locaux, des associations, dont l’une des intentions est de réduire les effets de sélection. Ce qui « marche » plus ou moins, parce que les politiques développées se heurtent à des dispositions bien ancrées. Les dispositions ce sont ces manières

de hiérarchiser, notamment à partir du genre, de faire des choix pour les petites choses de la vie comme pour les plus

grandes, de penser que telle action est bonne ou mauvaise, de privilégier telle relation, etc.

Les dispositions, que chacun d’entre nous doit à son origine sociale, orientent les conduites.

4 Les études réalisées sur la diffusion des usages du téléphone dans les années 1960, 1970, ont montré la même distribution sélective. 5 Michèle Descolonges, « L’IPT (Internet pour tous) nouveau est arrivé », Terminal, N° 87, 2002.

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On ne peut pas réduire les conduites des individus à l’action intentionnelle. Les conduites ne sont pas mécaniques ; elles peuvent être rationnelles et pourtant elles ne sont pas le résultat d’un calcul conscient ou d’un dessein raisonné. En effet, les dispositions sont incorporées, c’est-à-dire inconscientes (ce qui ne veut pas dire irrationnelles), et chacun pense que les normes et les valeurs ainsi acquises sont « naturelles ». 3b – Dispositions et trajectoires Les principes, les normes et les valeurs incorporés guident l’action, que ce soit celle d’individus ou de groupes. Mais pour expliquer l’adoption de telle ou telle orientation, il faut également considérer que l’action se déploie dans un « univers » donné ; on peut parler d’un univers des possibles. Or, cet « univers » n’est pas le fruit de ma volonté, mais des conditions sociales et politiques dans lesquelles je suis inscrit(e). Par ex., un quartier où les élus ont choisi d’aider à la création d’un EPN + l’accès aux informations nécessaires (ce qui est en soi tout un programme6), etc. Les choix, les décisions sont réalisés au sein de cet univers et des enjeux qui le traversent. Certes, il est difficile de cerner l’univers, ou les univers, dont relèvent les « espaces d’accès public au numérique » en lien avec le « développement local ». Aussi faut-il travailler sur les enjeux des différents acteurs concernés. Parmi ces enjeux, toutes les questions relatives à l’ouverture de l’EPN : l’association et les élus ont-ils choisi de donner un accès prioritaire à certaines catégories de la population ? Sont-ils unanimes dans ces choix ? Les animateurs relaient-ils, ont-ils leurs propres critères ?… La trajectoire d’individus concrets est cette manière de relier des possibles, dans un (ou des) univers donné(s) – parmi ceux-ci : les EPN,… -, et d’y donner un sens. 3c – Dispositions et trajectoires La sélection, dont nous avons parlé, s’opère par le biais des dispositions et des trajectoires. C’est ainsi que :

le genre, la région d’origine et de vie, la qualification (et celle des parents)

dans quoi notre origine sociale nous a inscrits, et l’âge

dressent des frontières invisibles ; et rendent compte de l’accès différencié aux TIC.

6 Par exemple, si je suis « demandeur d’emploi », quelles institutions dois-je fréquenter pour connaître l’existence d’un libre accès aux sites ?

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Ce qui a des conséquences :

1) La démocratisation (c’est-à-dire l’accès de toutes et de tous) n’est pas spontanée. Et l’enjeu est bien de savoir si les problématiques locales et publiques conduisent à un déplacement des frontières habituelles en matière d’usages des techniques.

2) Sur un plan méthodologique, on va dresser les typologies des publics accédant aux

espaces publics numériques. Et, c’est bien souvent à ce niveau que les élus – chargés, par ailleurs, de bien d’autres questions – vont attendre des informations. Mais, si on veut travailler un peu plus finement, on fera état des choix (fondés sur les dispositions) et des trajectoires (des possibles dans l’espace social) qui sont les leurs7.

4a - Comment s’y prennent-ils ? Les activités et ce qu’en pensent les individus concernés Continuons à discuter les principes méthodologiques Tout comme, précédemment, nous avons vu que l’accès aux espaces publics du numérique est le fruit d’une histoire (les effets des « dispositions » se croisant avec les « possibles »), nous considérons que le développement des activités est, lui aussi, relatif à cette histoire – ce qui apparaît de manière criante quand on évoque la qualification des individus considérés. Pour connaître les activités développées par des individus ou un groupe d’individus, nous avons à en passer par ce qu’ils disent eux-mêmes de ce qu’ils font, et à écouter ce qu’ils en pensent. Et donc, toute analyse qualitative tient compte de cette histoire et de la manière dont elle est « racontée ». Ainsi, ni les activités, ni les opinions ne sont données une fois pour toutes. 4b - Comment s’y prennent-ils ? Ce qu’en pensent les individus concernés : les enquêtes d’opinion Quels outils utiliser ? Les enquêtes d’opinion Définition : « l’expression d’une opinion est la formule nuancée qui, sur une question déterminée, à un moment donné, reçoit l’achésion sans réserve d’un sujet »8.

l’opinion est un accord avec une formule nuancée, sur une question déterminée, à un moment donné

7 Par exemple, une fois qu’on a vu que l’EPN est fréquenté par des « demandeurs d’emploi », ou par des « retraités », ou par…, on peut chercher à comprendre desquels il s’agit (cursus préalable, etc.). Et cela permet notamment de répondre à la question de savoir si l’EPN participe à la réduction des inégalités d’accès. 8 Jean Stoetzel, Théorie des opinions

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si la question déterminée est changée dans sa formulation ou dans son contexte social, l’individu à qui la question est posée n’y répondra pas exactement de la même façon

contexte social, par ex. dans un club, au domicile, au sein d’un groupe

la question posée fait référence à un contexte, à une situation historique ; par définition, ces situations changent, et il est normal de changer d’opinion

la réponse donnée s’inscrit dans un ensemble de références qui lui donnent un

sens

références au contexte social (dans lequel s’inscrit l’histoire des individus), par ex. un individu globaleent favorable et un individu globalement défavorable à la politique municipale auront des points de vue différents sur les activités du club

Ce qui nous pose deux questions d’interprétation et d’organisation :

1) opinions individuelles et opinions collectives 2) l’organisation des réponses fournies

Opinions individuelles et opinions collectives : on peut cumuler des opinions individuelles, mais elles ne sont pas toujours représentatives des opinions collectives Si on obtient des réponses identiques

si une même question reçoit une réponse identique chez des individus pris au hasard, il s’agit tout simplement d’un hasard

mais si, dans un groupe donné (ceux qui fréquentent un club par exemple) les

réponses des individus interrogés sont identiques, on peut estimer que l’opinion est collective, car elle est commune à l’ensemble des membres du groupe

si la même question est posée à des individus qui ne font pas partie du même

groupe, mais qui présentent des proximités sociales (par exemple : des femmes, étudiantes, utilisatrices des TIC, vivant en Afrique), on peut estimer que l’opinion est représentative d’une catégorie d’individus.

L’analyse des résultats obtenus à un questionnaire, nous conduit à organiser des catégories significatives : hommes/femmes, localisation, niveau d’études, formation, profession (ou celle des parents), etc.

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4c - Comment s’y prennent-ils ? Ce qu’en pensent les individus concernés Différentes techniques peuvent être utilisées pour recueillir les opinions :

le questionnaire l’entretien

dans lesquels les individus s’expriment en paroles

Différentes techniques peuvent être utilisées pour recueillir les activités :

l’analyse de documents l’observation

dans lesquels les individus s’expriment en actes On dressera un tableau des principaux avantages et des limites, de chacune des techniques, en examinant

leur utilité par rapport aux terrains des étudiants, en quoi l’expression des individus peut être respectée

On envisagera leur combinaison (il peut y avoir des différences entre ce que disent les individus et ce qu’ils font).

Partie 2 Modes de coopération

Travaux individuels, travaux en groupe « Communautés de pratique »

1a – A quelles conditions les humains coopèrent-ils ? Travailler ensemble n’a rien d’évident, de spontanément donné, de définitif :

Cela suppose une certaine conception de soi-même et des autres, conduisant à des manières de se lier ; c’est donc relatif aux mœurs d’une époque.

La question du lien est très profonde L’individu est intrinsèquement

membre de la société : je, tu, il, elle, nous sommes des individus sociaux9…

9 Norbert Elias, « La société des individus », Fayard, 1987.

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… y compris lorsqu’on parle de « perte du lien social » ou « d’exclusion ». Dans ces cas, on évoque notamment des transformations des liens entre l’Etat et les individus,

et cela peut être lié à la manière dont des groupes sociaux acquièrent ou

perdent leurs références sociales 10 . Un exemple parmi d’autres : à quels groupes sociaux se réfèrent les jeunes qui travaillent chez Mac Donald ?

Et cela va affecter l’expérience du travail, à partir de l’entreprise, à

partir de la relation de service, à partir du chômage … quels collectifs ? Dans quelle mesure, les expériences professionnelles vont-elles

modéliser le « travail » au sein de l’EPN et les possibilités de former des groupes ?

1 – A quelles conditions les humains coopèrent-ils ?

Cela change selon les temps et les espaces concernés :

o en fonction de l’histoire politique du pays, qui privilégie certains modèles

modèle démocratique 11 de la Grèce ancienne, qui donne

naissance aux sociétés d’égaux, modèle des Romains : société d’ordre, qui donne naissance à

l’organisation, à la hiérarchie, au compagnonnage, o en fonction des civilisations, qui privilégient certains registres de la

vie12

le travail : nécessité vitale de la production (pour manger), d’où l’importance des sociétés de travailleurs promues dans les sociétés industrielles,

l’œuvre : la prééminence contemporaine de l’innovation et le

libéralisme : « rien ne doit entraver la création, car on ne sait pas de quoi est fait l’avenir » (> rupture avec les règles sociales),

10 Beaud et Pialoux, « Retour sur la condition ouvrière », Fayard, . 11 De démos : « part de territoire appartenant à une communauté » ; se rattache à une racine da : partager. Du grec démokratia : « gouvernement du peuple ». 12 Cf. Hannah Arendt.

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l’action : l’exercice de la vie politique et la participation des citoyens

1 – A quelles conditions les humains coopèrent-ils ?

Cela change selon la production et l’organisation : o en fonction du type d’entreprise et du type de production :

artisanat > sur mesure industrie > standardisation

« high tech » > ajustement mutuel (navettes spatiales, par ex.)

numérique > combinaison ou superposition du sur mesure +

standardisation + ajustement mutuel exploitation agricole familiale > liens interpersonnels …

o en fonction des visées du type de direction ou (plus récemment) du « management »

l’Organisation scientifique du travail (OST) prônée par F.W.

Taylor 13 cherchait notamment à développer une coopération harmonieuse, susceptible de remplacer des intérêts antagonistes entre les travailleurs et la direction ;

le management promeut une coopération devenue une ressource productive, susceptible de répondre aux aléas de la production et à la relation toujours instable avec les clients ; cette promotion tend aussi à disqualifier les conflits, dans la mesure où ceux-ci s’opposeraient à la marche du navire qu’est l’équipe de travail ;

2 – Des formes de solidarité

13 F.W. Taylor, Principles of Scientific Management, Norton, 1911.

12

Comment se fait-il que, tout en devenant plus autonome, l’individu dépende plus étroitement de la société14 ? Comment peut-il être à la fois plus personnel et plus solidaire ? C’est parce qu’il y a une transformation de la solidarité sociale, due au développement de la division du travail.

1) La solidarité mécanique

Elle est celle des similitudes, des ressemblances. Elle est dans le registre de l’indistinction, il n’y a pas de différence entre la perception de soi-même et celle de l’autre : ce qui lèse l’un, lèse l’autre, ce qui lui est bénéfique l’est à l’autre. Tous les citoyens sont soumis aux mêmes règles, parce qu’ils occupent tous la même position. Les règles sont avant tout répressives (visant à ne pas sortir du groupe).

2) La solidarité organique Elle est celle des sociétés complexes, où existe une diversité de statuts et de positions, et une variété de devoirs qui y sont liés. Les règles y sont non seulement répressives (droit pénal), mais il existe aussi un contrôle mutuel lié à des dépendances mutuelles ; leur institutionnalisation produit le droit civil (commercial, etc.). Par exemple, les métiers et les corporations. Modèle intéressant, la solidarité organique n’est cependant pas identique en tous lieux, par exemple sur une chaîne ou dans une organisation du travail fondée sur la qualification.

2 – Des formes de solidarité

Vers une « solidarité numérique » ? Créée à l’occasion du SMSI, par le Président du Sénégal, la formule vise à souligner les devoirs de solidarité des pays les mieux pourvus au bénéfice des plus pauvres.

14 Emile Durkheim, De la division du travail social (1893), PUF, 1986.

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Elle est assortie d’une proposition : une taxation sur les produits informatiques, ou sur les connexions. Elle a le mérite de mettre en évidence l’extension de la division du travail (soutenue par les TIC), l’accroissement des interdépendances, et la nécessité d’une redéfinition des règles de solidarité. Cependant, elle fait silence de la question des « droits de l’homme » à faire appliquer.

La conséquence de ce point est que la constitution des règles est un véritable enjeu social. 3 – Les communautés Définition15 : Un groupe est capable d’action collective dans la mesure où il accepte (il institue) une régulation. Dans la mesure où il accepte une régulation commune, il constitue une communauté16. Un syndicat, un groupe religieux, etc. constituent une communauté. Formation des communautés : Les communautés reposent sur un projet, c’est-à-dire sur un mouvement. Elles ne naissent pas du néant : elles héritent d’autres communautés, dont elles bricolent l’histoire, les manières de faire, les règles – ce qui les conduit à des fins nouvelles (leur histoire n’est simple qu’à posteriori). Vie des communautés : Les communautés sont rarement stables : elles sont d’autant plus instables que le groupe est peu contraignant. Les communautés sont rarement homogènes. Vues de près, il peut exister de fortes différences en leur sein : genre, âge, qualification. Il peut donc y avoir des « groupes » au sein d’une communauté, et certains de ceux-ci peuvent y être

15 De communis, probablement « qui partage les charges ». 16 Jean-Daniel Reynaud, Les règles du jeu. L’action collective et la régulation sociale, Armand Colin, 1989.

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hégémoniques (parce qu’ils disposent des moyens d’affirmer la communauté par rapport à l’externe, de l’aider à se perpétuer). Les communautés sont rarement cohérentes : pour élaborer de nouvelles solidarités, elles utilisent des éléments de solidarité préexistants (par exemple les groupes féministes) ; elles peuvent aussi de construire par l’expression de désaccords (par exemple, la formation du syndicat SUD). 4 – Les communautés numériques Si on rapporte les définitions précédentes aux « communautés numériques », « communautés virtuelles », « communautés de pratiques », on voit qu’une communauté n’est pas obligatoirement localisée. Certes, le plus souvent, dans le vocabulaire courant, la « communauté » évoque des individus vivant côte à côte, voisins. Mais ce n’est pas obligatoire - la proximité géographique ne garantit absolument pas la circulation de la parole et la contagion des idées ne s’est pas faite sur la base de la proximité physique. La « communauté » suppose des individus qui se parlent, qui ont accès à des moyens de communication et qui en usent. Cela signifie aussi que les membres de la communauté sont susceptibles de se comprendre, parce qu’ils ont non seulement les moyens (techniques et linguistiques) de se parler, mais surtout un projet commun. Or celui-ci nécessite la régularité, la persistance - et la présence le facilite. Et donc, qu’est-ce que la « présence à distance »17 ? Comment est-elle possible, non seulement techniquement, mais aussi par les esprits18 ? 4 – Les « communautés de pratique » La formule est due à Etienne Wenger19. Se situe dans le cadre de « l’économie de la connaissance »

17 Jean-Louis Weissberg. 18 Michèle Descolonges. 19 ewenger.com

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Au sein du concept large d’économie de la connaissance, l’OCDE a défini les industries fondées sur la connaissance comme « celles qui sont directement fondées sur la production, la distribution et l’utilisation de la connaissance et de l’information » (OCDE 1996) et y regroupe les industries manufacturières de haute et moyenne technologie et deux grandes catégories de service : les services fournis à la collectivité, sociaux et personnels et les activités de banque, assurance et autres services aux entreprises. Selon cette définition, l’OCDE a estimé que les industries de la connaissance représentaient plus de 50% du PIB de l’ensemble de la zone OCDE à la fin des années 90 contre 45% en 1985 (OCDE, 1999). Au-delà des débats théoriques, parler d’économie de la connaissance signifie qu’il existerait une rupture dans le mode de fonctionnement des économies et que cette rupture tient largement au rôle nouveau joué par la connaissance. Ce rôle tient moins à un changement dans la quantité de savoir produit qu’à l’organisation des acteurs. L’entrée dans l’économie de la connaissance se caractérise traditionnellement par une accélération du rythme des innovations, un changement dans le mode de production des savoirs, celui-ci étant de plus en plus collectivement distribué, une croissance massive des retombées (externalités) de la production des connaissances. Insistance sur les acquis « informels » opposés aux structures organisationnelles rigides. Voir, par ailleurs, les notions du « bazar » et de la « cathédrale », dans le mouvement des logiciels libres, ou encore innovation vs bureaucratie. « Redécouverte » de questions déjà balisées, mais cette redécouverte implique de nouvelles définitions

de la notion de « communauté » de la nécessité d’être actif pour acquérir des connaissances.

Partie 3

Les processus d’appropriation symbolique des espaces d’accès public au numérique

1 – Définitions Commençons par décortiquer chacun des termes composant la notion de « processus d’appropriation symbolique ».

Processus, renvoie à la notion de progrès, de marche, de développement. Appropriation, est issu du latin proprius. D’où : l’avoir en propre ; rendre propre à un usage ; adapter.

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Symbolique, Sumballein, de « jeter » ou « mettre ensemble », primitivement un objet coupé en deux dont deux hôtes conservaient chacun une moitié qu’ils transmettaient à leurs enfants : le rapprochement des deux parties servait à faire reconnaître les porteurs et faisait la preuve que des relations d’hospitalité avaient été contractées antérieurement. Au XVe siècle, symbolon désigne le symbole des apôtres, résumé des principales vérités du christianisme, dont la récitation est le signe de reconnaissance de ceux qui partagent cette foi > signe de reconnaissance. Le « symbole » est un groupe d’images représentant quelque chose d’abstrait, partagé par un ensemble d’individus. Exemples : le drapeau, que ce soit celui d’une nation, celui d’une confession, d’une corporation, d’un groupement politique, etc. Ce peuvent être aussi un tatouage, des scarifications, des manières de se vêtir, d’arborer des marques, etc. Le symbole est matérialisé, comme dans les exemples précédents, il peut être aussi principalement verbal, par ex. les argots de métiers.

Le symbole (l’emblème) n’est pas seulement un procédé commode qui rend plus clair le sentiment que les sociétés ont d’elles-mêmes :

- il sert à faire ce sentiment ; - il en est même un élément constitutif20. - il est une manière de se rallier à un groupe (en adoptant des manières de

parler, de se vêtir, de prier, etc.). En conséquence, le processus d’appropriation symbolique est la manière dont un ensemble d’individus vont faire leur (rendre propre à leur propre usage) des objets, des politiques, etc. en leur conférant une valeur de rassemblement. 2 – Enjeux Parler de processus d’appropriation symbolique revient à cumuler deux principales idées :

- D’une part, celle de « processus d’appropriation » est de nature politique. Elle fait état d’un ensemble de démarches visant des populations moins favorisées ou plus démunies que d’autres. Elle résulte d’un projet politique : en quelque sorte, si les premières s’appropriaient des biens et/ou des services (les outils informatiques, les usages des réseaux de télécommunications, etc.), cela témoignerait des capacités des sociétés les plus riches à démocratiser, c’est-à-dire à rendre ces biens et ces services accessibles à tous.

Ainsi, derrière la logique de « l’appropriation » des outils et services des changements liés à l’informatique et aux réseaux, un ensemble de

20 Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, 1912.

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programmes sont déroulés, par des responsables politiques, des élus, des associations. Cette logique conduit certaines personnes à parler d’internet comme d’un « bien commun »21.

- D’autre part, la notion du « symbolique » renvoie à celle de communauté

humaine. En effet, « la fonction symbolique est fondatrice de l’être humain »22. Selon cette conception, l’appropriation n’aurait de sens que si elle permettait de donner forme à une participation à une communauté – celle-ci reposant sur un projet et partageant des valeurs.

3 – De quoi les liens sociaux sont-ils faits? Parler de « lien », c’est évoquer des situations de partage et d’échanges, de domination, d’influence, etc. Quand on parle de lien social, on s’intéresse à ce qui lie, relie, délie, …, les humains. On remarquera que l’étymologie de lien, est commune avec allier, rallier, se mésallier, se liguer, religion, obliger (forcer quelqu’un à se lier). En quoi consiste ces « liens » ? Nous avons déjà évoqué l’existence de « projets », de « valeurs », la négociation de règles communes nécessaires à une communauté. Nous venons de voir l’importance des symboles communs. Nous partageons aussi avec d’autres humains

Des croyances : ce sont des états de l’opinion, elles consistent en représentations. Autrement dit, les acteurs collectifs se représentent ce qui va guider leur action.

Par exemple, une certaine idée du « bien commun », une manière d’en

appeler aux politiques publiques ou bien au marché. Les croyances ne sont actives que si elles sont partagées. Un individu

qui développerait ses propres croyances, sans jamais les faire partager, serait considéré comme un délirant.

Des rites : le rite est un acte, un mode d’action déterminé, il est une espèce de

langage, qui traduit une idée. Tous les groupes ont leurs rites.

Il existe des rites portés par les religions (par ex., la prière) ou certaines d’entre elles (par ex., la messe pour les catholiques), par des groupes politiques ou syndicaux et par des associations (les manifestations de rue, qu’elles soient celles d’une organisation syndicale ou la techno parade), par

21 Cf. le FSE de Saint-Denis, 2003. 22 Françoise Dolto, « Au jeu du désir », Points-Seuil, Paris, 1981, p. 270.

18

des villages (par ex., la fête du pain), par des groupes spécifiques (par ex., une manière de se saluer), etc.

Des mythes, ce sont les « grands récits », qui donnent un sens aux rites et aux

croyances et plus généralement à la vie. Par exemple, le mythe de la genèse.

Contrairement à ce qu’on peut penser, les mythes ne sont pas spécifiques aux Grecs anciens, ni réservés aux religions. Toutes les sociétés, y compris laïques, en portent. Par ex., le mythe d’un « monde meilleur ».

Les croyances, les rites et les mythes existent dans toutes les sociétés. Parler des croyances, des rites et des mythes d’une société, c’est faire état de ses liens sociaux. Les religions (cf. étymologie) sont un système solidaire de croyances et de pratiques (les rites) relatives à des choses sacrées, c’est-à-dire séparées, interdites, croyances et pratiques qui unissent en une même communauté morale, appelée Eglise, tous ceux qui y adhèrent. 4 – Analyser les représentations et les symboles Comment conduire l’analyse des représentations et des symboles ? Les symboles se diffusent au sein des groupes (permettant à ceux-ci de prendre conscience d’eux-mêmes) : Nous sommes des êtres de langage, capables de se raconter leur histoire et ce faisant d’en découvrir de nouvelles interprétations : et de peser sur leur transmission. La force des émotions et des sentiments tient à ce qu’ils se propagent entre les générations (d’où l’importance de l’histoire des individus) et au sein des générations, par

transfert. Le transfert revient à reporter des sentiments (d’amour, de haine, de rivalité,…) et des réactions sur une personne (ou une institution) qui réincarne un personnage important de l’enfance.

Les sociétés s’adressent des contes et des récits : ce sont des manières de se raconter les mythes, les croyances, les rites, de constituer les symboles, de mettre en scène les sentiments de montrer qu’ils sont opérants dans la vie (par exemple, Harry Potter) de les propager.

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Dans les espaces numériques, ces récits existent, ils mettent en scène des héros, des hackers,… Les symboles fédèrent. Pourquoi ? Qu’est-ce qui s’y joue ? Car ce sont les manières dont nous nous représentons les relations, c’est-à-dire ce qui nous permet de « faire société ». Peut-on dégager des conduites humaines fondamentales et des symboles qui leur sont associés (dans le domaine technique) ?

- Continuité et abandon, par ex. « immortalité » des robots, - Fusion et distinction, par ex. « télépathie » - Création, innovation, puissance et impuissance, par ex. « ubiquité »

Y a-t-il des symboles permanents ?

o Identiques dans toutes les aires culturelles ? Certains anthropologues

estiment que c’est le cas. Par exemple :

On le constate à travers l’analyse des contes. Par ex. celui de la mère dévorante (la courge

mossi en Afrique), celui des ogres. Certes, les manières de le raconter, les circonstances

changent d’une aire culturelle à l’autre, mais ils sont répandus.

A contrario, la domination des hommes sur les femmes est constatée dans toutes les

sociétés. Et donc, les symboles associés à la virilité sont fortement valorisés.

o Spécifiques à des aires culturelles ?

Ce peuvent être des manières de boire qui diffèrent d’une aire culturelle à l’autre. Par ex.,

des psychanalystes spécialisés en alcoologie évoquent le faible nombre d’alcooliques chez

les Juifs et chez les Chinois.

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> Ainsi, il n’y a pas de « clef des songes », et on doit considérer qu’il est impossible de dresser la liste des symboles qui serait valable en tous temps et tous lieux.

De toute manière, chaque fois, l’analyse est à conduire. Comment s’y prendre ?

- Partir du « matériel » à disposition

Pour une part, celui-ci est composé indépendamment de vous. Il s’agit des récits (cf. les récits de hacks), des films (notamment ceux qui mettent en scène un ensemble de techniques, par ex. X-Men, Matrix, Alien), des jeux (construits sur l’ordinateur) Il est également composé des informations que vous provoquez intentionnellement, par exemple, des entretiens que vous réalisez, les questionnaires que vous administrez.

- Tenir compte :

- De ce qu’on assiste à (on « entend ») une floraison d’images

communes, issues d’émotions et de sentiments. Et c’est particulièrement vrai dans les périodes de forts changements, comme cela est le cas actuellement.

- Examiner les déplacements : l’intensité psychique, le potentiel

d’images passent à de nouvelles pensées ou représentations.

- Examiner les procédés de condensation : les évènements, les images issus de l’histoire de chacun sont en quelque sorte compressés et donnent naissance à de nouvelles images qui font ressortir l’élément commun des précédentes ; c’est ainsi que naissent de nouvelles figures (par ex., celle du héros issu du hack).

5 – Processus d’appropriation Cependant, ces relations représentées sont-elles réelles ou hallucinées ? Des facilitations de l’appropriation :

- Le rôle de l’autorité (celui qui montre la voie, qui augmente)

- Qui représente l’autorité ?

o Les élus o Les « grands frères »

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o Les animateurs o Les représentants d’associations o …

- La constitution d’acteurs collectifs

o La formulation d’un « droit à » o Des projets

5 – Processus d’appropriation En effet, l’action est représentée (mise en forme, mise en scène). Ainsi, les processus d’appropriation symboliques articulent-ils plusieurs registres :

le projet politique lié à la situation économique et sociale sur le plan international (mondialisation, écarts, transformation des solidarités)

la forme d’organisation conception du groupe démocratique (issu des quakers) : le réseau, la communauté

l’élaboration de symboles, et leur diffusion par contagion, contamination, promiscuité (c’est la question du transfert).