8

Click here to load reader

Évaluation de l’état nutritionnel

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Évaluation de l’état nutritionnel

BIOCHIMIE DE LA NUTRITION

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2014 - N°465 CAHIER 1// 53

article reçu le 18 avril, accepté le 5 mai 2014.

© 2014 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

RÉSUMÉ

En raison de l’augmentation du risque de morbimortalité dû à un état nutritionnel altéré, avec allongement de la durée d’hospitalisation, l’évaluation de l’état nutritionnel et son suivi prend une place gran-dissante dans la prise en charge des patients dénutris. Cet examen consiste à dépister les risques de dénutrition et de la diagnostiquer puis d’évaluer le risque de complications avant une prise en charge adaptée et rapide. Il faut ensuite vérifier l’efficacité de cette prise en charge. Les paramètres biologiques sont principalement basés sur la mesure des protéines dites de la nutrition (albumine et transthy-rétine). Néanmoins, aucun paramètre évaluant l’état nutritionnel n’étant très spécifique, de nombreux outils sont utilisés. Ils sont environnementaux, cliniques, anthropométriques, diététiques, et il existe des indices composites permettant d’augmenter la sensibi-lité de ces marqueurs. Pour le biologiste, l’interprétation du bilan protéique nécessite d’intégrer les aspects nutritionnels (albumine, transthyrétine) et inflammatoires (CRP), ainsi que les causes non-spécifiques de variation des concentrations sériques en protéines. La transthyrétinémie permet de poser le diagnostic d’une dénutrition et de suivre l’efficacité de la prise en charge. L’albuminémie permet d’évaluer le risque de complications liées à la dénutrition. Au plan analytique, le développement des automates multiparamétriques polyvalents entraîne une augmentation de l’utilisation des méthodes turbidimétriques aux dépens des méthodes néphélémétriques, qui restent pourtant les plus sensibles et spécifiques pour réaliser le dosage immunologique des protéines. Comme le dosage de l’albuminémie n’est pas actuellement standardisé, il existe des biais importants entre les méthodes analytiques. Ceci conduit à des erreurs de prise en charge nutritionnelle car les seuils de mor-bimortalité de l’albuminémie ne sont pas donnés en fonction de la technique de dosage utilisée. Il existe une contradiction entre l’utilisation de l’albuminémie comme outil servant au codage PMSI de la dénutrition modérée ou sévère et le fait que l’albuminémie ne permet pas de poser le diagnostic de dénutrition.

Dénutrition – évaluation  – protéines sériques – 3-méthylhistidine – azote – dosage.

Christian Aussela,b, Frédéric Zieglerc,d,*

Évaluation de l’état nutritionnel

ti l l 18 il té l 5 i 2014

a Unité de nutrition – PUIGroupe hospitalier Henri-Mondor51, av. du Maréchal de Lattre-de-Tassigny94010 Créteil cedex b Laboratoire de biologie de la nutritionEA 4466 – Faculté de pharmacieUniversité Paris-Descartes4, av. de l’Observatoire75006 Paris c Laboratoire de biochimie médicaleInstitut de biologie clinique

Centre hospitalier universitaire de Rouen1, rue de Germont76031 Rouen cedex d INSERM UMR 1073Faculté de médecine et de pharmacieUniversité de Rouen22, bd Gambetta76183 Rouen cedex

* [email protected]

SUMMARY

Assessment of the nutritional status

Because of the increased risk of morbidity and mortality due to impaired nutritional status, with longer length of hospital stay, nutritional assessment and monitoring is of increasing importance in the medical treatment of malnou-rished patients. Biological parameters used to assess the efficiency of the nutritional support are mainly based on the measurement of visceral protein levels (albumin and transthyretin). Due to the lack of specificity of individual markers, many tools are commonly used, including environ-mental, clinical, anthropometric, dietary and also composite index, in order to increase the sensitivity of the nutritional assessment. The biological interpretation of protein status by the biologist requires integrating nutritional (albumin, transthyretin) and inflammatory (CRP) aspects and to take in account non-specific causes of serum protein variations. Serum transthyretin should be measured for the diagnosis of malnutrition and to monitor the efficiency of the treatment whereas serum albumin evaluates the risk of complications related to malnutrition.Currently, the development of multiparameter automated laboratory systems increases the use of turbidimetric methods at the expense of nephelometric methods which is still the most sensitive and specific for carrying out the immuno-logical determination of protein concentrations. This may distort the interpretation of the results especially of serum albumin due to an underestimation of the concentrations. Indeed, official recommendations indicate albumin thres-holds values which does not take in account the analytical method used.

Malnutrition – assessment – visceral proteins – 3-methylhistidine – nitrogen – measurement.

1. Introduction

L’évaluation de l’état nutritionnel permet de diagnostiquer la dénutrition ou le risque de dénu-trition, ainsi que le surpoids ou l’obésité. Cette évaluation comprend des critères environne-mentaux, cliniques, anthropométriques et biolo-giques. Les situations de surpoids et d’obésité sont explorées principalement par des éléments anthropométriques : évaluations du poids corporel et de l’indice de masse corporelle (IMC).Les marqueurs biologiques prennent toute leur importance dans le domaine de la dénutrition protéino-énergétique par la détermination des concentrations sériques de certaines protéines,

Page 2: Évaluation de l’état nutritionnel

54 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2014 - N°465 CAHIER 1

exogènes, l’utilisation anabolique des acides aminés par les tissus et les organes et le catabolisme protéique mus-culaire [7]. C’est dans le foie que s’effectue la synthèse de l’albumine, de la transthyrétine et de la CRP mais aussi le catabolisme des acides aminés. L’utilisation massive des acides aminés en situation catabolique entraîne des altérations fonctionnelles responsables de morbidité et de mortalité.En situation de dénutrition chronique, la créatinine étant localisée exclusivement dans le muscle, ce paramètre trouve une place dans le bilan nutritionnel car son excré-tion urinaire est corrélée avec la masse musculaire, en l’absence d’insuffisance rénale. Le rapport entre la masse musculaire (kg) et l’excrétion urinaire de créatinine (g/24 h) est compris entre 17 et 22 [8, 9].

2. Les protéines sériques

L’interprétation d’un bilan des protéines de la nutrition, la transthyrétinémie (pour le diagnostic et le suivi d’une prise en charge) ou l’albuminémie (pour le risque de complica-tions liées à la dénutrition) doit se faire en tenant compte de l’existence de facteurs interférents [10]. Ces protéines étant synthétisées par le foie, leurs concentrations sont diminuées en cas d’insuffisance hépatocellulaire, indépen-damment de l’état nutritionnel. Par ailleurs, en présence de variations hémodynamiques, on peut observer soit une baisse des concentrations par hémodilution, ou une hausse par hémoconcentration. Les pertes excessives au niveau du tractus digestif (malabsorption), du rein (syndrome néphrotique) et de la peau (brûlure grave) entraînent une diminution des concentrations plasmatiques en protéines. L’inflammation provoque une modification des priorités des synthèses hépatiques aux dépens de ce groupe de protéines et au bénéfice de celles de la réaction inflam-matoire (notamment CRP et orosomucoïde). En pratique, il est indispensable de doser la CRP en parallèle de l’albu-mine et de la transthyrétine afin de pouvoir interpréter les variations de ces dernières.Enfin, il faut connaître les méthodes de dosage utilisées, car les variations inter-méthodes sont parfois importantes [11]. Classiquement, Il faudrait se rapporter aux valeurs normales du laboratoire qui réalise le dosage. Mais plus que ces valeurs normales il faudrait pouvoir disposer des valeurs seuils de décision en fonction de la technique utilisée pour le dosage.

2.1. L’albumineL’albumine représente 55 à 65 % des protéines circu-lantes. Elle a un rôle majeur dans le maintien de la pression oncotique et participe au transport de nombreux ligands endogènes.À partir du secteur intravasculaire, l’albumine s’échange avec le compartiment interstitiel ; sa distribution dans le secteur extravasculaire est de l’ordre de 60 % [12]. Dans les conditions physiologiques, 5 % par heure de l’albumine intravasculaire rejoint le secteur extravasculaire. Ce flux augmente grandement lors des syndromes inflammatoires, notamment sous l’influence des cytokines pro-inflamma-toires et participe à la baisse de l’albuminémie [13, 14].

albumine et transthyrétine ou du bilan azoté [1]. La diminu-tion de la biodisponibilité en acides aminés nécessaires à leur synthèse hépatique, que ce soit d’origine alimentaire ou provenant des protéines endogènes, en particulier musculaires, est responsable d’une diminution de leurs concentrations plasmatiques [2, 3]. Mais d’autres situa-tions physiopathologiques (inflammation, agression, post-chirurgie, vieillissement etc..) influencent la concentration plasmatique des protéines circulantes.La population à risque de dénutrition, quantitativement, la plus importante est celle des sujets âgés en raison des modifications physiologiques et environnementales liées à l’âge.Chez les patients souffrant d’anorexie mentale, l’adapta-tion métabolique très progressive conduit à des valeurs paradoxalement normales des marqueurs nutritionnels sanguins tant que la phase de décompensation n’est pas atteinte [4].En milieu hospitalier, il a été bien montré que la dénutrition constitue un risque de morbi-mortalité indépendant de la pathologie causale ; ainsi, le risque de survenue d’une infection nosocomiale est 4 fois plus élevé que chez des malades normonutris de gravité équivalente [5].La dénutrition doit donc être traitée rapidement et pour cela, elle doit être dépistée, diagnostiquée et sa gravité doit être évaluée. Chacune de ces étapes met en jeu des outils différents.Le dépistage du risque de dénutrition relève de la capacité à identifier les facteurs psycho-sociaux (veuvage, isole-ment social…), environnementaux (institutionnalisation…), d’handicap (séquelles d’accident vasculaire cérébral) ou diététique (par l’évaluation des ingesta) qui exposent le patient à la dénutrition. Il existe des scores obtenus par l’interrogatoire et l’examen clinique, tels que le MNA (mini nutritional assessment), le MUST (malnutrition universal screening tool) ou le NRS-2002 (nutritional screening risk) qui répondent à cet objectif [2, 6].Le diagnostic de la dénutrition utilise l’examen clinique, des outils anthropométriques tels que la perte de poids en fonction du temps (1 mois ou 6 mois), l’indice de masse corporelle (poids/taille2), la mesure de la masse maigre et de paramètres biologiques (transthyrétine, CRP).L’évaluation du risque de complications (en particulier infectieux) liées à la dénutrition comprend l’albuminémie ou mieux la détermination d’indices composites avec deux marqueurs, l’un anthropométrique (perte de poids) et l’autre biologique (albuminémie) tels que le NRI (nutritional risk index), le GNRI (geriatric nutritional risk index) ou avec plusieurs marqueurs biologiques comme le PINI (prognos-tic inflammatory and nutritional index), qui permettent de décider de l’urgence d’une renutrition.Le suivi d’une prise en charge nutritionnelle consiste à vérifier la reprise du poids, les ingesta et l’augmentation de la transthyrétinémie. En service de réanimation, l’uti-lisation du bilan d’azote permettra d’ajuster les besoins aux pertes azotées.L’interprétation des marqueurs biologiques et leurs varia-tions par le biologiste nécessite la connaissance du méta-bolisme azoté, dont les mécanismes sont complexes et décrits dans le premier article de ce numéro thématique. Ils incluent la phase de digestion et d’absorption des protéines

Page 3: Évaluation de l’état nutritionnel

BIOCHIMIE DE LA NUTRITION

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2014 - N°465 CAHIER 1 // 55

Dans ces situations, l’albumine fuit dans le secteur interstitiel et sa vitesse de dégradation est augmentée. Les quantités d’albumine échangées par passage transcapillaire entre le compartiment plasmatique et le compartiment interstitiel est de l’ordre de 120 g/j, alors que la synthèse correspond à 15 g/j. On peut comprendre ainsi les fluctuations de l’albuminémie puisque la quantité échangée représente 10 fois la quantité synthétisée par jour. Ces variations peuvent notamment être observées chez les malades hos-pitalisés en services de réanimation. L’hypoalbuminémie est accompagnée de la formation d’œdèmes par passage d’eau dans les tissus.En pratique clinique, l’albuminémie est le marqueur biolo-gique nutritionnel le plus utilisé avec des valeurs usuelles comprises entre 38 et 48 g/L. Malheureusement, dans la très grande majorité des cas, l’albuminémie sert au dia-gnostic de la dénutrition alors qu’elle reflète un risque de complications liées à la dénutrition [15]. Chez les sujets de moins de 70 ans, le risque de complications liées à la dénutrition est modéré quand l’albuminémie est comprise entre 25 et 30 g/L, et sévère quand elle est inférieure à 25 g/L. Chez les sujets de plus de 70 ans, le risque de complications liées à la dénutrition est modéré quand l’albuminémie est comprise entre 30 et 35 g/L, et sévère quand elle est inférieure à 30 g/L.Depuis de nombreuses années, la relation entre la diminution des protéines circulantes et le risque de morbi-mortalité a été rapportée. La dernière méta-analyse sur le sujet, regrou-pant 90 études et près de 300 000 patients, rapporte que le risque de décès est augmenté de 137 % pour chaque perte de 10 g/L d’albuminémie. De façon intéressante, ce risque reste vérifié après ajustement par l’IMC [16]. Ainsi, quel que soit l’état nutritionnel, l’albuminémie est le reflet d’un risque de mortalité et l’hypoalbuminémie est corrélée à l’augmentation de la morbimortalité quelle que soit la pathologie considérée [17].L’albuminémie a toute sa place dans un bilan nutritionnel pour évaluer le risque de complications liées à la dénu-trition et donc l’urgence de mettre en place une prise en charge nutritionnelle. L’albuminémie seule ou mieux, un indice composite, peut être utilisé. Les indices composites sont calculés à partir de l’albuminémie et la variation de poids, soit par rapport au poids de forme, pour l’adulte, soit par rapport au poids idéal pour le sujet âgé (cf. supra).Cette protéine n’est pas directement un marqueur nutrition-nel et cela pour de nombreuses raisons [18]. Ainsi, dans la dénutrition sévère, comme le marasme ou l’anorexie mentale, l’albuminémie est normale. Par ailleurs, il n’y a pas dans la littérature de corrélation nette entre la perte de masse maigre, « gold standard » d’une dénutrition protéino-énergétique, et une hypoalbuminémie. Chez le sujet âgé nous avons montré que masse maigre et albu-minémie n’étaient pas reliées [19]. Enfin, parmi l’ensemble des recommandations professionnelles concernant le diagnostic de la dénutrition, seule l’HAS en 2007 préco-nise de faire porter le diagnostic de la dénutrition chez les personnes âgées de plus de 70 ans, sur la perte de poids, l’IMC et/ou sur l’albuminémie. Ainsi, l’HAS, dans le cadre des recommandations pour la stratégie de prise en charge de la dénutrition chez la personne âgée, donne les chiffres de < 35 g/L et < 30 g/L pour respectivement le diagnostic

d’une dénutrition et d’une dénutrition sévère [20]. Ces valeurs seuils sont issues d’articles rapportant la relation entre hypoalbuminémie et risque de morbi-mortalité. Il y a donc bien une confusion entre l’albuminémie marqueur de morbi-mortalité et marqueur de dénutrition.De plus, en raison de ses concentrations sériques élevées, cette protéine peut montrer fréquemment des variations non spécifiques dans le sens de l’augmentation (déshydratation extracellulaire, perfusion d’albumine) ou de la diminution (syndrome néphrotique, insuffisance hépatocellulaire). En dehors du syndrome néphrotique, une valeur faible indique un syndrome inflammatoire marqué [21]. En raison de son temps de demi-vie long (20 jours) ce marqueur n’est pas adapté à la mesure de l’efficacité de la renutrition.Ce qui rend parfaitement confus l’utilisation en clinique de l’albuminémie est le guide méthodologique de production des informations relatives à l’activité médicale et à sa fac-turation en médecine, chirurgie, obstétrique et ondotologie, publié dans le bulletin officiel 2013/6 bis par le ministère des Affaires sociales et de la Santé en juillet 2013. Il s’agit du guide méthodologique de codage du PMSI. Celui-ci utilise les critères de l’ANAES 2003 [22] et de l’HAS 2007 [20] pour coder une dénutrition modérée (E44.0) ou sévère (E43). C’est-à-dire qu’il faut la présence d’au moins l’un des cri-tères définissant une dénutrition, l’IMC, la perte de poids, l’albuminémie ou la transthyrétinémie, alors même qu’il est bien indiqué dans l’ANAES 2003 qu’il n’y a pas d’accord professionnel sur la mesure systématique de l’albuminémie comme marqueur diagnostique de la dénutrition.Il est donc difficile de faire passer le message que l’albu-minémie n’est pas un marqueur biologique permettant d’établir le diagnostic de la dénutrition alors que les auto-rités de santé françaises affirment le contraire.

2.2. La transthyrétine (TTR)La TTR circule sous la forme d’un complexe entre son tétramère et deux molécules de protéine vectrice du rétinol (RBP). La fonction de la TTR est donc le transport du réti-nol et des hormones thyroïdiennes. L’ancienne appellation de préalbumine donnée à la TTR perdure mais n’est pas souhaitable : le terme de préalbumine évoque qu’il s’agit du précurseur de l’albumine, alors que cela réfère à sa migration électrophorétique, située avant celle de l’albumine.La TTR est considérée comme un marqueur de l’état nutritionnel de choix pour le diagnostic précoce des états de dénutrition aigus et le suivi de la prise en charge nutri-tionnelle, en raison de sa spécificité et de son temps de demi-vie court, de 48 h [23]. Les valeurs usuelles habituelles sont comprises entre 0,20 et 0,40 g/LEn situation catabolique très importante, les concentra-tions plasmatiques de TTR ont une valeur pronostique de morbidité et de mortalité et cette protéine peut être utilisée pour identifier à l’admission à l’hôpital les patients devant bénéficier d’un support nutritionnel [24, 25].La mesure de la TTR doit être systématiquement réalisée pour évaluer l’efficacité de la prise en charge nutrition-nelle, par voie orale, entérale ou parentérale [26]. Chez les patients en situation hypercatabolique, le dosage de la TTR devra être impérativement accompagné par celui d’une protéine de la réaction inflammatoire, telle que la CRP, afin de pouvoir faire la part d’une diminution de la

Page 4: Évaluation de l’état nutritionnel

56 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2014 - N°465 CAHIER 1

TTR d’origine purement nutritionnelle ou bien mixte, avec une cause à la fois nutritionnelle et inflammatoire.L’ANAES préconise d’évoquer le diagnostic de dénutrition quand la transthyrétinémie est < 0,11 g/L et le diagnostic de dénutrition grave pour un seuil < 0,05 g/L [22]. Ces valeurs nous semblent bien trop faibles en égard à notre pratique bioclinique car les valeurs < 0,05 g/L sont excep-tionnelles. Il nous semble qu’une valeur < 0,16 g/L signe une dénutrition et une concentration inférieure à 0,10 g/L une dénutrition sévère, à interpréter en fonction de la CRP.

Outre les facteurs classiques qui influencent les concen-trations des protéines circulantes, l’insuffisance rénale provoque une augmentation des concentrations sériques de la RBP par défaut de catabolisme tubulaire, mais aussi de TTR, par l’effet induit de stabilisation du complexe TTR-RBP [27, 28]. Chez les patients hémodialysés, la TTR est liée à 3 facteurs : l’insuffisance rénale, le niveau de dénutrition et le catabolisme protéique induit par le passage des acides aminés à travers la membrane de dialyse. Chez ces patients, la TTR est un facteur pré-dictif de mortalité indépendant de l’albumine [29]. Ainsi, une étude a montré chez des patients hémodialysés ou présentant une insuffisance rénale une hypertransthy-rétinémie dans 13 % des cas avec absence de corréla-tion entre albumine et TTR dans cette sous-population. De plus, une relation inverse entre le débit de filtration glomérulaire et la concentration de TTR est observée [30]. En pratique, les néphrologues rehaussent les valeurs usuelles de 0,1 g/L (0,3-0,5 g/L) lors de l’évaluation de l’état nutritionnel des patients, pour tenir compte de la pathologie rénale.

2.3. La transferrineLa transferrine est une protéine à temps de demi-vie inter-médiaire, de 8 jours, avec une valeur usuelle habituelle de 2 à 4 g/L. Dans l’exploration d’un état de dénutrition, l’interprétation des résultats est délicate : en l’absence de dénutrition protéino-énergétique, une carence martiale aura pour effet de stimuler sa synthèse hépatique afin d’épar-gner les réserves résiduelles de fer et de faciliter son utili-sation métabolique. Dans ce cas, on observe une hausse des concentrations en transferrine. Néanmoins, chez un patient présentant une dénutrition protéino-énergétique, une baisse de la transferrine existe si le bilan ne montre pas de carence en fer (objectivée par une anémie micro-cytaire hypochrome et/ou une baisse de la ferritinémie). Si cette carence existe, la variation de la transferrinémie n’est plus interprétable dans le bilan de dénutrition protéique.

2.4. Les marqueurs de la réaction inflammatoireL’inflammation induit une baisse de la synthèse hépatique des protéines de la nutrition afin d’augmenter la biodisponi-bilité des acides aminés pour la synthèse des protéines de la réaction inflammatoire [31]. Pour cette raison, l’évaluation de l’état inflammatoire est indissociable de l’exploration biologique de l’état nutritionnel (figure 1).Un état inflammatoire est objectivé sur le plan biologique par une augmentation de la protéine C-réactive (CRP) (demi-vie de 19 h, valeur usuelle < 5 mg/L), définissant un syndrome inflammatoire aigu ou de l’orosomucoïde (demi-vie de 72 h, valeurs usuelles 0,5 à 1,2 g/L) pour l’exploration d’un syndrome inflammatoire chronique. À l’électrophorèse, le syndrome inflammatoire entraîne une augmentation des fractions α-1 (présence de l’orosomucoïde) et/ou α-2

(présence de l’haptoglobine). Ce profil électrophorétique n’est pas spécifique de l’inflammation : l’augmentation de l’orosomucoïde peut aussi refléter une insuffisance rénale et l’augmentation de l’haptoglobine peut être annulée par la coexistence d’une hémolyse intravas-culaire, même discrète. C’est pourquoi il est préconisé, pour l’interprétation de l’électrophorèse, de croiser les résultats avec ceux des autres marqueurs dispo-nibles, notamment la CRP. Les résultats des bilans hématologiques peuvent éga-lement être consultés, les paramètres les plus pertinents étant l’augmentation des concentrations en fibrinogène et en polynucléaires neutrophiles.Un état inflammatoire significatif au plan clinique est défini par la coexistence de deux éléments, parmi les trois suivants :- VS > âge / 2 (homme) ou VS > (âge + 10) / 2 (femme)- CRP > 15 mg/L- haptoglobine > 2,5 g/LAu total, les variations des protéines de la nutrition doivent être interprétées à l’aide d’au moins une protéine spécifique de l’inflammation, de préférence la CRP,

Figure 1 – Effet d’une intervention chirurgicale chez 10 patients

[gastrectomie (6), hémicolectomie (4)] sur les concentrations sériques en

orosomucoïde, transferrine, transthyrétine et protéine vectrice du rétinol.

D’après Carpentier Y, et al. Proc Nutr Soc 1982;41:405-17

Page 5: Évaluation de l’état nutritionnel

BIOCHIMIE DE LA NUTRITION

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2014 - N°465 CAHIER 1 // 57

et éventuellement de paramètres hématologiques d’intérêt, en fonction du caractère respectivement aigu ou chronique du processus inflammatoire, lorsque celui-ci est connu. En l’absence de données cliniques et considérant qu’un syndrome inflammatoire caché est fréquent, en particulier chez le sujet âgé, le bilan nutritionnel initial doit toujours associer la CRP.

2.5. Formules composites comportant des marqueurs biologiquesLe dosage d’une protéine isolée ayant une signification limitée, des indices associant une ou plusieurs protéines, éventuellement à des critères anthropométriques, ont été proposés. Le but de ces indices est d’identifier les patients à risque de complications, en particulier infectieuses, liées à la dénutrition.

et ses variantes

Le PINI a été proposé par Ingenbleek et Carpentier [32] : il associe la détermination de deux protéines de l’inflamma-tion, CRP et orosomucoïde (Oroso), et de deux protéines de la nutrition, albumine et TTR.

PINI = [CRP (mg/L) x Oroso (g/L)] / [Alb (g/L) x TTR (g/L) Le PINI est normalement voisin de 1. Il est bien corrélé avec l’évolution clinique des patients, on distingue alors quatre groupes :- de 1 à 10 Risque faible de complication- de 11 à 20 Risque modéré de complication- de 21 à 30 Risque élevé de complication- > 30 Risque vitalCes valeurs seuils concernent les malades dénutris chro-niques, enfants, adultes et sujets âgés. Des valeurs seuils beaucoup plus élevées ont été définies chez les patients agressés [33]. Il ne s’agit pas d’un indice nutritionnel mais d’un indice du risque de morbi-mortalité lié à la dénutrition. Plusieurs études ont retrouvé une association entre une valeur de PINI élevée et l’accroissement de la mortalité à court terme [34].Dans la formule du PINI, la CRP a un poids très important compte tenu de sa vitesse d’augmentation (en 12 à 48 h) et des valeurs très fortes (jusqu’à 600 mg/L) observées chez les malades présentant un syndrome inflamma-toire aigu (services de réanimation, de soins intensifs et d’infectiologie).Dans le but de diminuer le poids de la CRP dans le PINI et pour faciliter le calcul de l’indice en pratique courante, de nouvelles formules ont été étudiées. Ainsi, dans l’explo-ration et le suivi d’un syndrome inflammatoire, il s’avère que la détermination de la CRP est suffisante, le dosage de l’orosomucoïde ne trouvant plus d’indication chez le patient adulte. Ainsi, les essais ont porté sur des for-mules alternatives ne comportant pas l’orosomucoïde et dans lesquelles la CRP a été remplacée par son loga-rithme. Etudiées chez 86 patients consécutifs hospita-lisés en réanimation, chirurgie digestive ou thoracique, pneumologie, ou médecine interne, avec prescription conjointe d’albumine (ALB), de transthyrétine (TTR) et de CRP, les formules suivantes ont été comparées au PINI : CRP/(ALBxTTR), LogCRP/(ALBxTTR), CRP/TTR, LogCRP/TTR, CRP/ALB et LogCRP/ALB.

Les résultats ont montré que toutes les formules variantes du PINI étaient très bien corrélées à ce dernier (p < 0,001) [35]. L’étude de la sensibilité et de la spécificité de chaque formule pour évaluer le risque d’infection et de la corrélation entre les indices et la durée d’hospitalisation a montré que la formule la plus performante est LogCRP/ALB, qualifiée sous le nom de S-PINI. De plus, cette formule montre de meilleurs résultats que le PINI dans cette population de patients [36]. En fixant un seuil de CRP à 15 mg/L pour un syndrome inflammatoire significatif et, pour l’albumine, de 30 g/L chez l’adulte et 35 g/L chez le sujet âgé [20], les valeurs usuelles du S-PINI seraient respectivement de < 0,1 (adulte) et < 0,08 (sujet âgé).

Cet index prend en compte les variations de poids et de l’albuminémie. Dans cette étude, une population de patients hospitalisés en chirurgie a été classée selon l’évolution clinique en trois groupes (patients décédés, patients avec complications, patients sans complication) [37]. L’albu-minémie et le rapport poids actuel/poids habituel étant, parmi d’autres marqueurs nutritionnels, les plus pertinents pour prédire une complication ou le décès. Les auteurs ont construit l’équation de régression du NRI [38] :

NRI = [1,519 x albumine (g/L) ] + [41,7 x (poids actuel / poids usuel)]

Le poids usuel correspond au poids de forme ou le poids avant la maladie. Cette formule ne s’applique pas chez les patients obèses : quand le quotient poids actuel/poids usuel est > 1, le chiffre 1 est utilisé. Les résultats permettent de classer les patients en 4 catégories en fonction du risque de morbimortalité :- NRI > 100 Absence de risque- 97,5 ≤ NRI ≤ 100 Risque faible- 83,5 ≤ NRI ≤ 97,5 Risque modéré- NRI < 83,5 Risque majeurLes patients ayant une perte de poids masquée par des œdèmes mais associée à une hypoalbuminémie seront classés dans la catégorie à risque de complications. Cet indice, initialement appliqué aux patients chirurgicaux comme index prédictif du risque de morbi-mortalité post-opératoire, a été appliqué à tort sur d’autres populations pour établir la prévalence de la dénutrition [39].Le Programme national nutrition santé (PNNS) a retenu le NRI pour le dépistage de la dénutrition chez l’adulte de moins de 75 ans hospitalisé en soins intensifs ou réanimation en court séjour ou en soins de suite et de réadaptation. En fait, le NRI n’a jamais été validé à cette fin et son utilisation doit être réservée à l’évaluation d’un risque de complications liées à la dénutrition et donc atteste de l’urgence de la mise en place d’une stratégie nutritionnelle [15].

Sur la base de l’indice de Buzby, un index applicable aux sujets âgés a été développé, le GNRI [40]. En effet, chez le sujet âgé, le poids habituel étant difficile à obtenir, ce paramètre a été remplacé dans la formule de Buzby par le poids idéal théorique (Pi) selon Lorentz :- Homme : Pi (kg) = T – 100 – [(T – 150) / 4] - Femme : Pi (kg) = T – 100 – [(T – 150) / 2,5]La taille T est exprimée en cm.

Page 6: Évaluation de l’état nutritionnel

58 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2014 - N°465 CAHIER 1

Étudié chez 181 patients, le GNRI était corrélé à un score de gravité qui prend en compte le décès ou des compli-cations (infections et/ou escarres). Les valeurs seuils du GNRI sont définies en fonction de bornes spécifiques aux sujets âgés. 4 groupes de sujets ont été définis en fonction du risque de morbimortalité :- GNRI > 98 Absence de risque- 92 ≤ GNRI ≤ 98 Risque faible- 82 ≤ GNRI ≤ 92 Risque modéré- GNRI < 82 Risque majeurLa prédiction de la mortalité et de la morbidité chez ces patients de médecine gériatrique était plus souvent vérifiée en utilisant le GNRI que l’albuminémie ou l’IMC. De nombreuses publications récentes ont confirmé l’intérêt de l’utilisation du GNRI chez les personnes âgées et chez les dialysés pour sa sensibilité à déterminer le risque de complications liées à la dénutrition à court et à moyen terme [41-45].

2.6. Méthodes usuelles de dosage des protéines 2.6.1. L’immunonéphélémétrieToutes les protéines utilisées dans le cadre des bilans nutritionnels et inflammatoires peuvent être dosées par cette méthode.La mesure est faite soit à un temps donné, soit en ciné-tique. Le coefficient de variation inter-série est inférieur à 5 %. La spécificité du dosage en fait la méthode de choix, d’ailleurs largement utilisée. Il est recommandé d’utiliser les anticorps fournis par le fabricant de l’analyseur, sinon l’éta-blissement de valeurs usuelles locales est indispensable.

2.6.2. L’immunoturbidimétrieCette méthode a l’avantage de pouvoir être mise en œuvre avec des automates multiparamétriques. Elle ne nécessite donc pas d’appareil dédié comme c’est le cas de l’immuno-néphélémétrie. Les inconvénients par rapport à la néphélé-métrie sont une moindre sensibilité, le risque d’excès d’anti-gène et d’interférences par les macromolécules (fibrinogène, hémoglobine, bilirubine, chylomicrons…) et sa précision est moins bonne [10]. Enfin, le coût en réactifs est plus élevé car requérant une quantité d’anticorps plus impor-tante, mais pour ce dernier point, il faut aussi considérer le moindre coût de l’appareillage, puisqu’il s’agit d’automates multiparamétriques implantés dans tous les laboratoires.

2.6.3. La colorimétrieL’albumine sérique peut être dosée de manière automatisée en utilisant un colorant spécifique, le vert de bromocrésol. La méthode donne un CV inter-séries inférieur à 3 %. Cepen-dant, sa spécificité est médiocre : à faible concentration en albumine et forte concentration de globulines, ce colorant réagit avec des protéines de l’inflammation présentes dans les α-globulines et également des protéines de la fraction β [46]. C’est pourquoi nous ne recommandons pas cette méthode dans le cadre de l’exploration nutritionnelle.

2.6.4. L’électrophorèseL’albumine est la seule protéine qui puisse être séparée sélectivement par l’électrophorèse des protéines sériques. Compte tenu de leurs faibles concentrations par rapport à

l’albumine (100 fois moins), les autres protéines utilisées dans le cadre du bilan nutritionnel et inflammatoire ne sont pas quantifiables par électrophorèse. L’orosomucoïde, qui migre au sein de la fraction des α1-globulines, et la CRP, dans la zone des γ-globulines, ne sont pas identifiables.Connaissant la concentration en protéines totales, la déter-mination du pourcentage d’absorbance de la bande d’albu-mine après coloration permet d’évaluer sa concentration. Cette méthode est intéressante pour les dépistages d’hy-poalbuminémies sévères, avec la possibilité d’interpréter les résultats en fonction de ceux obtenus pour les autres fractions des protéines sériques, notamment les fractions α1 et α2 qui contiennent les protéines dont la synthèse augmente lors d’un processus inflammatoire (respective-ment orosomucoïde et haptoglobine) [21]. Néanmoins, les sources d’erreurs qui se cumulent (sur le dosage des pro-téines totales et au niveau de l’intégration des pics) rendent cette méthode inutilisable pour déterminer l’albuminémie dans un contexte de bilan nutritionnel.

2.7. Les problèmes analytiques posés par la non standardisation du dosage de l’albuminémieEn pratique, il existe trois modalités de dosage de l’albumi-némie comme le montrent les résultats des programmes de contrôle de qualité des laboratoires de biologie médicale. On assiste à une utilisation croissante de la colorimétrie et de la turbidimétrie aux dépens de la néphélémétrie [11]. Ceci s’explique d’une part par le coût-réactif de la colo-rimétrie qui est en moyenne 7 fois moins élevé que celui des techniques immunologiques et, d’autre part, la néphé-lémétrie nécessite un matériel spécifique, contrairement à la turbidimétrie qui s’adapte aux automates multipara-métriques de haut débit.Les fournisseurs de réactifs pour le dosage de l’albuminémie ne semblent pas utiliser un étalon permettant de standar-diser les techniques. En effet, le biais entre les techniques peut aller jusqu’à 4 g/L si l’on considère les résultats des programmes de contrôle de qualité, et jusqu’à 6 g/L si l’on observe le biais sur des sérums (données personnelles). Ainsi, la codification de l’état nutritionnel par le PMSI dépend en grande partie de la technique utilisée pour le dosage de l’albumine. Quand un laboratoire de biologie médicale change de technique et passe d’une technique néphélémétrique ou colorimétrique à une technique turbi-dimétrique, le risque de complications liées à la dénutrition passe de modéré à sévère pour 30 % des patients. Il est donc urgent que le dosage de l’albuminémie soit stan-dardisé ou que les valeurs définies par les autorités de santé soient données en fonction de la technique utilisée.

3. Le bilan d’azote

Le bilan d’azote (BA) permet de suivre l’efficacité de la prise en charge nutritionnelle et d’adapter les apports azotés aux besoins d’un malade donné [47]. Le BA repré-sente la différence entre les ingesta (I) et les excreta (E) ; soit BA = I – E où BA est exprimé en g d’N/24 h En règle générale, un bilan azoté positif reflète un état anabolique, un bilan négatif reflète un état catabolique.

Page 7: Évaluation de l’état nutritionnel

BIOCHIMIE DE LA NUTRITION

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2014 - N°465 CAHIER 1 // 59

3.1. Mesure des ingestaL’apport azoté peut être déterminé facilement lorsque le malade est sous nutrition artificielle totale. En cas d’alimentation spontanée, le calcul de l’azote des repas est souvent approximatif ; il faut connaître le contenu en protéines de chaque aliment, connaître la quantité absor-bée et convertir les protéines en azote (en moyenne 1 g de protéines animales contient 0,16 g d’N).

3.2. Mesure des excretaChez l’homme, les pertes azotées sont essentiellement urinaires (90 %) sous forme d’urée essentiellement (85 %). La précision du BA dépend pour une grande part du recueil des urines de 24 heures, ce qui est souvent difficile en pra-tique clinique. En pratique, deux méthodes sont utilisées. Le dosage de l’azote total, soit par la technique de Kjeldahl

soit par chimiopyroluminescence. Si le dosage de l’azote a été réalisé au niveau urinaire, fécal et d’autres pertes diges-tives (fistule, drainage, stomie), il faut ajouter 320 mg d’N/j qui correspondent aux pertes par la peau et insensibles, afin d’obtenir les pertes azotées totales. Quand seules les pertes azotées urinaires ont été mesurées, il faut ajouter les pertes azotées extra-urinaires qui sont estimées à 20 mg/kg/j pour obtenir les pertes azotées totales. L’estimation des pertes à partir de l’urée urinaire. Il s’agit

de la méthode la plus souvent employée. Les pertes azo-tées (PA) urinaires sont estimées à partir de l’urée urinaire de 24 heures. Des formules sont décrites dans la littéra-ture pour exprimer les pertes azotées. On peut retenir la formule de Lee et Hartley :

Pertes azotées (g N/24 h) = [(urée urinaire (mmol/24 h) x 0,06) / 2,14)] x 1,2

Le facteur 0,06 est utilisé pour convertir les mmol en g et le facteur 2,14 est utilisé pour tenir compte du poids de l’azote dans la molécule d’urée. Le facteur 1,2 est utilisé pour tenir compte des pertes azotées urinaires non uréiques.

4. La 3-méthylhistidine (3-MH)

urinaire

La localisation de cet acide aminé est presque exclusi-vement musculaire. Lors du catabolisme des protéines myofibrillaires, la 3-MH est libérée en même temps que les autres acides aminés, mais elle n’est ni réutilisée, ni métabolisée ; elle est excrétée exclusivement au niveau urinaire. Ainsi, la 3-MH urinaire constitue un bon index de la dégradation des protéines contractiles et de la masse musculaire squelettique [48].Afin que la valeur de son excrétion soit indépendante de la masse musculaire, celle-ci doit être rapportée à la créatini-nurie des 24 heures. Ce calcul permet aussi de s’affranchir de l’erreur liée à un mauvais recueil des urines de 24 h. Le rapport 3-MH/créatininurie des 24 heures évalue donc la contribution musculaire à un processus hypercatabolique.En situation de dénutrition chronique, ce rapport est utilisé chez les patients sous nutrition artificielle (sans l’interférence de l’apport exogène de 3-MH présente dans l’alimentation carnée),

où l’effondrement de l’excrétion urinaire de 3-MH reflète une adaptation à la situation de carence, en épargnant le capital protéique musculaire. Au contraire, en dehors de la phase hypercatabolique, l’augmentation du rapport signe l’efficacité de la renutrition.

5.

La dénutrition protéino-énergétique a de nombreuses consé-quences métaboliques qui se traduisent par des variations de concentrations plasmatiques des marqueurs biologiques.Le diagnostic de la dénutrition est difficile en pratique clinique, d’une part, parce qu’il n’existe pas de définition claire de cet état et, d’autre part, les paramètres à utiliser pour son diagnostic ne sont pas spécifiques. Les marqueurs devront être choisis en fonction de la situation à étudier, dépistage d’un risque de dénutrition, diagnostic de celle-ci, évaluation des complications liées à la dénutrition ou le suivi de la prise en charge nutritionnelle (tableau I).En pratique, des paramètres anthropométriques, tels que le poids corporel, l’indice de masse corporelle, la perte de poids, ou des marqueurs biologiques comme la transthyrétine et la CRP sont utilisés pour le diagnostic d’une dénutrition. Malheureusement, l’albuminémie et aussi le plus souvent utilisée pour le diagnostic, il faudrait l’abandonner et l’utiliser uniquement pour évaluer le risque de complications liées à la dénutrition. D’autres outils ne sont plus réservés à la recherche comme l’absorptiométrie biphotonique (DEXA) qui mesure de façon précise la masse maigre ou l’impé-dancemétrie bioélectrique (permettant une mesure, moins spécifique, mais réalisable au lit du malade) ou encore l’appréciation de la masse musculaire en mesurant la surface musculaire d’une coupe transversale de scanner au niveau de la troisième vertèbre lombaire. Pour connaître l’urgence de la mise en place d’un support nutritionnel, le NRI et le GNRI ont toute leur place. Certains laboratoires utilisent l’outil informatique pour développer des bilans nutritionnels incluant des renseignements cliniques, anthropométriques et des calculs automatisés d’index nutritionnels ou d’indices de risque de morbi-mortalité qui sont très utiles aux cliniciens.

conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Tableau I – Utilisation pratique des marqueurs nutritionnels

en fonction du but recherché.

DiagnosticRisque de

complications

Suivi de la prise

en charge

Albuminémie - +++ +

Index de Buzby (NRI) - +++ +

GNRI - +++ +

Transthyrétinémie +++ + +++

CRP sérique +++ + +++

PINI - +++ ++

S-PINI - +++ ++

3-méthyl histidine urinaire + 0 +++

Bilan d’azote + + +++

Page 8: Évaluation de l’état nutritionnel

60 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - SEPTEMBRE/OCTOBRE 2014 - N°465 CAHIER 1

Références[1] Fuhrman MP, Charney P, Mueller CM. Hepatic proteins and nutrition assessment. J Am Diet Assoc 2004;104:1258-64. [2] Kondrup J, Allison SP, Elia M. ESPEN Guidelines for nutrition scree-ning. Clin Nutr 2003;22:415-21.[3] Cynober L, Aussel C. Exploration biologique du statut nutritionnel. Nutr Clin Métabol 2004,18 :49-56.[4] Rigaud D. Anorexia nervosa : a model of malnutrition. Ann Med Interne 2000;151:549-55.[5] Schneider SM, Veyres P, Pivot X, et al. Malnutrition is an independent factor associated with nosocomial infections. Br J Nutr 2004;92:105-11.[6] Kaiser MJ, Bauer JM, Rämsch C, et al. Frequency of malnutrition in older adults : a multinational perspective using the mini nutritional assessment. J Am Geriatr Soc 2010,58 :1734-8.[7] Cynober L, Coudray-Lucas C, Ziegler F, et al. L’azote en nutrition arti-ficielle : métabolisme chez le sujet sain. Nutr Clin Métabol 1989;3:87-101.[8] Heymsfield SB, Arteaga C, McManus C, et al. Measurement of muscle mass in humans : validity of the 24 hour urinary creatinine method. Am J Clin Nutr 1983;37:478-94.[9] Wang ZM, Gallagher D, Nelson ME, et al. Total body skeletal muscle mass : evaluation of 24 h urinary creatinine excretion by computerized axial tomography. Am J Clin Nutr 1996;63:863-9.[10] Lesourd B, Ziegler F, Aussel C. La nutrition des personnes âgées : place et pièges du bilan biologique. Ann Biol Clin 2001,59 :445-52.[11] Cardenas D, Blondé-Cynober F, Ziegler F, et al. Should a single cen-ter for the assay of biochemical markers of nutritional status be manda-tory in multicentric trials? Clin Nutr 2001;20:553-8. [12] Balmer PE. Causes and mechanisms of hypoalbuminaemia. Clin Nutr 2011;20:271-3.[13] Reuben DB, Ferrucci L, Wallace R, et al. The prognostic value of serum albumin in healthy older persons with low and high serum interleukin-6 (IL-6) levels. J Am Geriatr Soc 2000,48 :1404-7.[14] Iso-O N, Hashimoto N, Tanaka A, et al. Cytokine-induced hypoal-buminemia in an patient with hemophagocytic syndrome. Direct in vitro evidence of the role of tumor necrosis factor-a. Dig Dis Sci 1998, 43 :67-73.[15] Bernard M, Aussel C, Cynober L. Marqueurs de la dénutrition et de son risque ou marqueurs des complications liées à la dénutrition? Nutr Clin Métabol 2007;21:52-7.[16] Vincent JL, Dubois MJ, Navickis RJ, et al. Hypoalbuminemia in acute illness : is there a rationale for intervention? A meta-analysis of cohort studies and controlled trials. Ann Surg 2003;237:319-34.[17] Mc Claves SA, Mitoraj TE, Thielmeier KA, et al. Differentiating sub-types (hypoalbuminemic VS marasmic) of protein-calorie malnutrition : incidence and clinical significance in a University hospital setting. J Parent Ent Nutr 1992;16:337-42.[18] Aussel C, Cynober L. L’albuminémie est-elle un marqueur nutrition-nel? Nutr Clin Métabol 2013,27 :28-33.[19] Bouillanne O, Hay P, Liabaud B, et al. Evidence that albumin is not a suitable marker of body composition-related nutritional status in elderly patients. Nutrition 2011;27:165-9.[20] Rapport HAS. Stratégie de prise en charge en cas de dénutrition protéino-énergétique chez la personne âgée. Recommandations pro-fessionnelles, 2007. www.has-sante.fr

[21] Szymanowicz A, Cartier B, Couaillac JP, et al. Proposition de com-mentaires interprétatifs prêts à l’emploi pour l’électrophorèse des pro-téines sériques. Ann Biol Clin 2006,64 :367-80.[22] Rapport ANAES. Evaluation diagnostique de la dénutrition protéi-no-énergétique des adultes hospitalisés. Service des recommandations professionnelles, Sept. 2003.[23] Devoto G, Gallo F, Marchello C, et al. Prealbumin serum concentra-tions as a useful tool in the assessment of malnutrition in hospitalized patients. Clin Chem 2006;52:2281-5.[24] Cynober L, Prugnaud O, Lioret N, et al. Serum transthyretin levels in patients with burn injury. Surgery 1991;109:640-644.[25] Ingenbleek Y, Young V. Transthyretin (prealbumin) in health and disease : nutritional implication. Annu Rev Nutr 1994;14:495-533.[26] Potter MA, Luxton G. Transthyretin measurement as a screening tool for protein calorie malnutrition in emergency hospital admissions. Clin Chem Lab Med 2002;40:1-6.

[27] Cynober L, Desmoulins D, Lioret N, et al. Significance of vitamine A and retinol binding protein serum levels after burn injury. Clin Chim Acta 1985;148:247-53.[28] Cano NJ. Metabolism and clinical interest of serum transthyretin (prealbumin) in dialysis patients. Clin Chem Lab Med 2002;40:1313-19.[29] Chertow GM, Ackert K, Lew NL, et al. Prealbumin is as important as albumin in the nutritional assessment of hemodialysis patients. Kidney Int 2000;58:2512-17.[30] Ziegler F, Hanoy M, Houivet E, et al. Intérêt et limite de la déter-mination des concentrations sériques en albumine et en transthyrétine comme marqueurs biologiques de l’état nutritionnel chez les patients hémodialysés ou insuffisants rénaux modérés à sévères. Nutr Clin Métabol 2009;23:S78.[31] Raguso CA, Dupertuis YM, Pichard C. The role of visceral proteins in the nutritional assessment of intensive care unit patients. Curr Opin Clin Nutr Metab Care 2003;6(2):211-6. [32] Ingenbleek Y, Carpentier YA. A prognostic inflammatory and nutritional index scoring critically ill patients. Internat J Vit Nutr Res 1985;55:91-101.[33] Gottschlich MM, Baumer T, Jenkins M, et al. The prognostic value of nutritional and inflammatory indices in patients with burns. Burn Care Rehabil 1992;13:105-13.[34] Bonnefoy M, Aysac L, Ingenbleek Y, et al. Usefulness of the pro-gnostic inflammatory and nutritional index (PINI) in hospitalized elderly patients. Int J Vitam Nutr Res 1998;68:189-95.[35] Ziegler F, Codevelle L, Houivet, et al. New prognosis inflammatory and nutritional indexes. Comparison with the PINI as reference index. Crit Care 2011;15(suppl1) :P498 (résumé).[36] Ziegler F, Houivet E, Tharasse-Bloch C, et al. Clinical validation of new prognostic inflammatory and nutritional indexes. Clin Nutr 2012;7(suppl1) :109-10 (résumé).[37] Buzby GP, Williford WO, Peterson OL, et al. A randomized clinical trial of total parenteral nutrition in malnourished surgical patients : the rationale and impact of previous clinical trials and pilot study on proto-col design. Am J Clin Nutr 1988;47:357-65.[38] Buzby GP, Knox LS, Crosby LO, et al. Study protocol : a rando-mized clinical trial of total parenteral nutrition in malnourished surgical patients. Am J Clin Nutr 1988;47:366-81.[39] Naber TH, De Bree A, Schermer T, et al. Specificity of indexes of malnutrition when applied to apparently healthy people : the effect of age. Am J Clin Nutr 1997;65:1721-25.[40] Bouillanne O, Morineau G, Dupont C, et al. Geriatric Nutritional Risk Index : a new index for evaluating at-risk elderly medical patients. Am J Clin Nutr 2005;82:777-83. [41] Cereda E, Pedrolli C. The geriatric nutritional risk index. Curr Opin Clin Nutr Metab Care 2009;12:1-72. [42] Abd-El-Gawad WM, Abou-Hashem RM, El Maraghy MO, et al. The validity of Geriatric Nutrition risk index : Simple tool for predic-tion of nutritional-related complication of hospitalized elderly patients. Comparison with mini nutritional assessment. Clin Nutr 2013 doi : 10.1016/j.clnu.2013.12.005[43] Baumeister SE, Fischer B, Döring A, et al. The geriatric nutritio-nal risk index predicts increased healthcare costs and hospitaliza-tion in a cohort of community-dwelling older adults : Results from the MONICA/KORA Augsburg cohort study, 1994-2005. Nutrition 2011; 27:534-42.[44] Kobayashi I, Ishimura E, Kato Y, et al. Geriatric nutritional risk index, a simplified nutritional screening index, is a significant predictor of mortality in chronic dialysis patients. Nephrol Dial Transplant 2010; 25:3361-5.[45] Panichi V, Cupisti A, Rosati A, et al. Geriatric nutritional risk index is a strong predictor of mortality in hemodialysis patients : data from the Riscavid cohort. J Nephrol 2014;PMID :24430765.[46] Doumas BT, Peters T. Serum and urine albumin : a progress report on their measurement and clinical significance. Clin Chim Acta 1971;31:87-96.[47]. Aussel C, Coudray-Lucas C, Giboudeau J. Le bilan d’azote en pra-tique clinique Nutr Clin Métabol 1992;6:77-81.[48] Wang ZM, Deurenberg P, Matthews DE, et al. Urinary 3-methylhis-tidine excretion association with total body skeletal muscle mass by computerized axial tomography. J Parent Ent Nutr 1998,22:82-6.