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1
Evolution culturelle comptable ou Acculturation ?
Cas de la Tunisie
Basma CHOUCHANE*
4ème Journée :
Gestion des Ressources Humaines et Contrôle de Gestion
« Comptabilité, Contrôle et Audit Sociaux » *Correspondance
IAE de Paris - Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Laboratoire de recherche : GREGOR
Email : [email protected]
Tel : 06 67 44 69 18
2
Objectif
La réforme comptable en Tunisie, nous offre un bon exemple d’harmonisation comptable
internationale, d’un passage d’une culture comptable plan comptable général inspiré du plan
comptable français à un système comptable anglo-saxon.
Dans le cadre de cette recherche, nous avons tenté de transposer le modèle d’acculturation de
Berry, utilisé dans une politique psychosociale, dans l’objectif de déterminer l’influence de
l’adoption des nouvelles normes comptables anglo-saxonnes sur la culture comptable
tunisienne.
Introduction
Les systèmes comptables évoluent. Les mutations à l’œuvre ne sont pas sans poser de
multiples questions quant à leurs déterminants. La peur du risque et de l’ambiguïté est un
moteur puissant d’évolution.
Les influences sont variées et parfois contradictoires; elles ont fait l’objet de plusieurs
systématisations dont certaines placent la culture au centre des réflexions comme le modèle de
Doupnik et de Salter (1995).
Nous plonger dans les changements introduits par le nouveau système comptable tunisien
requiert d’examiner plusieurs questions. Quelle définition retenir de la culture et de
l’acculturation dans la littérature comptable ?
Comment fut modélisée l’évolution du système comptable tunisien ? Et quelles sont les
conséquences de telles évolutions ?
Nous décrirons dans ce qui suit l’évolution du système comptable en relation avec la culture
ainsi que les autres facteurs de changements en empruntant le modèle de Doupnik et Salter
(1995). Et nous analyserons ensuite les conséquences de l’évolution du système comptable en
relation avec la culture en empruntant le modèle de Berry (1989).
3
1. Evolution culturelle
Antérieurement, l’importance de la culture dans l’influence et l’explication du comportement
dans les systèmes sociaux a été largement reconnu spécifiquement dans les littératures
psychologiques, sociologiques et anthropologiques (Parsons et Shils, 1951 ; Kluckhohn
et Strodtbeck, 1961 ; Inkeles et Levinson, 1969 ; Douglas, 1977)1.
L’importance de la culture n’a été reconnue que récemment dans la littérature comptable.
Des recherches comptables se sont efforcées de prendre en compte l’importance de la culture
en s’inspirant dans la plupart, des travaux d’Hofstede (1980) qui a dégagé quatre variables
permettant selon lui de caractériser toute culture : l’individualisme, la distance au pouvoir,
l’aversion à l’incertitude et la masculinité.
Gray (1988) a tenté d’établir une correspondance entre ces variables et certaines
caractéristiques des systèmes comptables.
Le modèle de Hofstede et Gray (1988) a constitué une référence théorique pour différentes
recherches en gestion.
S'inspirant des travaux de leurs prédécesseurs, Doupnik et Salter (1995) ont proposé un
modèle général de développement des systèmes comptables qui s'efforce de combiner les
facteurs environnementaux, culturels et institutionnels.
Le changement comptable est en effet, le produit du changement lié au conjoncturel et à
l’interaction continuelle du système comptable et des systèmes connexes. Il s’agit de s’ajuster
aux évolutions de l’environnement.
Nous nous intéressons dans cette recherche au contexte tunisien. Nous considérons le cadre de
Doupnik et Salter (1995) comme un modèle approprié pour expliquer le choix de la réforme
comptable en Tunisie.
Nous commençons par définir le concept culture, et nous exposerons après le modèle de
Doupnik et Salter (1995).
1 Etudes citées par Gray (1988).
4
1.1. Définition de la culture
C’est à Taylor (1832-1917), anthropologue britannique, que l’on doit la première définition
du concept ethnologique de culture « Culture ou civilisation, pris dans un sens ethnologique le
plus étendu, est ce tout complexe qui comprend la connaissance, les croyances, l’art, la
morale, le droit, les coutumes et les autres capacités ou habitudes acquises par l’homme en
tant que membre de la société » (Taylor, 1871). Cette définition est purement descriptive et
objective, et non normative. Par ailleurs, elle rompt avec les définitions restrictives et
individualistes de la culture : pour Taylor, la culture est l’expression de la totalité de la vie
sociale de l’homme. Elle ne se caractérise pas de l’hérédité biologique. Cependant, si la
culture est acquise, son origine et son caractère sont en grande partie inconscients (Cuche,
1998).
Le premier chercheur de gestion selon Löning (2000) à échapper à une définition de la
culture comme un ensemble d’habitudes, de traditions, de coutumes et d’attitudes apprises a
été Hofstede (1980). Il est le premier et tous, jusqu’à Iribarne, le suivront, à s’appuyer sur une
conception plus profonde de la culture, empruntée aux travaux d’anthropologues
contemporains et qui décrit celle-ci comme un code interprétatif, un système « donner de
sens », une programmation mentale collective (Hofstede, 1987) qui se préoccupe de schémas
mentaux, de systèmes de signification.
Nous retenons dans le cadre de cette recherche la définition offerte par Hofstede (1980).
Celle-ci est la plus largement répandue dans les sciences de gestion et les recherches
comptables depuis le début des années 1990.
Hofstede définit la culture comme étant " une programmation mentale collective et c'est cette
partie de notre conditionnement que nous partageons avec les autres membres de notre nation,
mais aussi de notre région, de notre groupe, et non avec ceux d'autres nations, d’autres
régions".
La « programmation » à laquelle Hofstede (1980) fait référence, indique simplement les
réactions probables et vraisemblables, en fonction du passé, de la personne considérée.
Ces programmes mentaux trouvent leurs origines dans les divers environnements sociaux
rencontrés au cours d’une vie. La programmation commence dans la famille, elle se poursuit
avec la vie de quartier, l’école, les groupes de jeunes, le lieu de travail et le milieu de
5
vie…Autant d’environnements sociaux différents, autant de programmations mentales
différentes.
Selon le même chercheur la culture est toujours un phénomène collectif, du fait qu’elle est, au
moins en partie, partagée par ceux qui vivent ou qui ont vécu dans le même environnement
social où ils l’ont acquise. Nous pouvons la définir comme la programmation collective de
l’esprit qui distingue les membres d’un groupe2 ou d’une catégorie de personnes par rapport à
un autre.
La culture est un acquis, pas un héritage ; elle provient de l’environnement social d’un
individu, pas de ses gènes. Elle doit être distinguée à la fois de la nature humaine et de la
personnalité individuelle, même si les frontières entre ces trois concepts font l’objet de
discussions entre les experts des différentes sciences sociales (Hofstede, 1980).
1.2. Evolution du système comptable tunisien et application du cadre de Doupnik et
Salter (1995)
Dans le modèle comptable, l’environnement (système scolaire, économie, politique) est
déterminé par des facteurs institutionnels (corporations, bourse, et régulation…), et par les
décideurs (investisseurs, émetteurs) (Anderson et Lanen, 1999). L’environnement et les
institutions, dans le cadre d’une trame culturelle nationale, fournissent l’information, au
public, afin de livrer les meilleures décisions. Le changement comptable serait à la fois le
produit du changement lié au conjoncturel et à l’interaction continuelle du système comptable
et des systèmes connexes.
S'inspirant des travaux de leurs prédécesseurs notamment Hofstede (1980) et Gray (1988),
Doupnik et Salter (1995) ont proposé un modèle général de développement des systèmes
comptables qui s'efforce de combiner les facteurs environnementaux, culturels et
institutionnels.
Le modèle proposé par Doupnik et Salter (1995) se base sur les propositions suivantes :
2 Un groupe représente un certain nombre de personnes qui sont en contact les unes avec les autres. Une catégorie regroupe des gens qui, sans nécessairement entrer en contact, ont quelque chose en commun.
6
1.2.1. Les propositions du modèle de Doupnik et Salter (1995) Ce modèle est basé sur les propositions suivantes :
1- Il existe dans chaque pays une structure institutionnelle qui comprend différents systèmes
(comptable, juridique, éducatif, etc.).
2- Le système comptable est composé de plusieurs sous-systèmes (des agences de
réglementations, des organisations professionnelles, des entreprises, etc.). Les principes et
la pratique comptable dérivent du système comptable du pays.
3- La structure institutionnelle de la société, incluant le système comptable, est déterminée
par l'environnement externe, les normes et les valeurs culturelles.
4- Les normes et les valeurs culturelles de la société, sont influencées par l'environnement
externe.
5- L'environnement externe crée des événements liés qui agissent comme un stimulant pour
l'action et la structure institutionnelle. Chaque intrusion est évaluée par un membre du
système à l’intérieur de la société. Les normes culturelles et les valeurs se modifient en
fonction de l’importance des événements.
6- Un sous-système comptable interagit pour développer une réponse aux événements liés.
Les normes culturelles et les valeurs affectent l'interaction parmi les différents systèmes.
7- Le système comptable n'agit pas comme un évacuateur mais interagit avec d’autres
systèmes afin de développer des réponses appropriées culturellement, face à des
événements influençants. La culture affecte l'interaction entre les différents événements.
8- Les événements influençants sont classés dans deux catégories :
- La première catégorie de facteurs regroupe les événements marquants tel que la
colonisation, l'inflation, le passage d'une économie planifiée à une économie de marché,
les directives communautaires.
- La deuxième catégorie regroupe les évènements isolés, comme les dévaluations, les
scandales.
La figure suivante constitue le schéma représentatif du modèle de Doupnik et Salter (1995).
7
ENVIRONNEMENT EXTERNE Evènements influençants - marquants - isolés
CULTURE STRUCTURE INSTITUTIONNELLE - Système juridique C - Système éducatif U - D'autres systèmes L - Système comptable T U - Agences de réglementation R - Les organisations professionnelles E - Les entreprises commerciales - Autres CULTURE
PRATIQUES COMPTABLES
Figure 1 : Le modèle général d’évolution comptable Source : Doupnik et Salter (1995)
1.2.2. Eléments de compréhension du cas de la Tunisie En analysant les différentes propositions précédemment décrites du modèle de Doupnik et
Salter (1995), nous pouvons affirmer que ce modèle constitue un cadre approprié pour
expliquer le cas de la Tunisie. En effet, la Tunisie a connu des mutations économiques
profondes visant à instituer une économie de marché :
- signature des accords du GATT, création d'une zone de libre échange avec l'Union
Européenne, libéralisation des taux d'intérêts et des taux de change, convertibilité du dinar...
- ainsi que la dynamisation du marché boursier,
L'ancien système comptable ne répondait plus aux exigences des besoins en informations de
plus en plus diversifiés de l'utilisateur des états financiers.
8
En outre, dans un souci d'harmonisation du système comptable tunisien avec le référentiel
international de l'IASC, le nouveau système comptable3 a été crée en adoptant des normes en
harmonie avec celles de l'IASC.
En empruntant le cadre théorique de Doupnik et Salter (1995), nous pouvons souligner que le
passage d’une économie planifiée à une économie de marché, ainsi que les autres facteurs
dont l’accord du GATT, souci d’harmonisation comptable …constituent les évènements
« influançants ».
Nous remarquons que le passage d’une économie planifiée à une économie de marché et
l’ensemble des facteurs « influançants » ont été suivies par une réforme au niveau comptable :
un passage d’un plan comptable général, inspiré du plan français, à un système comptable
doté d’un cadre conceptuel et des normes comptables inspirées des normes internationales.
Le système comptable tunisien a ainsi interagit avec d’autres systèmes (dont le système
comptable international) pour développer une réponse à ces évènements influançants : d’où le
passage du Plan Comptable Général (PCG) au Système Comptable des Entreprises (SCE). Ce
passage constitue alors le résultat de ces différentes interactions (proposition 74 du modèle de
Doupnik et Salter (1995)).
La proposition 5 du modèle Doupnik et Salter (1995) énonce que « les normes culturelles et
les valeurs se modifient en fonction de l’importance des événements ».
Quelles sont les conséquences du passage du PCG au SCE ? Est-ce qu’il existe une évolution
des valeurs culturelles tunisiennes, d’une culture PCG à une culture comptable anglo-
saxonne ? Par conséquent y a-t-il une acculturation ? Ou bien au contraire allons-nous
assister à une tentative de retour au plan comptable général et il y aura création d’une culture
comptable propre au contexte tunisien?
3 La loi n°96-112 du 30 décembre 1996 qui a institué un nouveau système comptable pour les entreprises tunisiennes (SCE97). Ce système comptable des entreprises (SCE 97) s'applique à toute personne physique ou morale assujettie à la tenue d'une comptabilité et ce, à l'exception des entreprises soumises, pour la tenue de leur comptabilité, aux dispositions du code de la comptabilité publique, des entreprises qui répondent aux conditions fixées par des législations spéciales pour la tenue d'une comptabilité simplifiée définie par les normes comptables et certaines entreprises étrangères qui, après accord du Ministère des Finances, sont autorisées en vertu d'une disposition individuelle prise par décret, de mettre en œuvre un système comptable autre que le système tunisien. 4 Le système comptable n'agit pas comme un évacuateur mais interagit avec d’autres systèmes pour développer des réponses appropriées culturellement face à des événements influençants.
9
2. Acculturation et application des normes comptables internationales
Pour apporter des réponses à ces différentes interrogations, nous avons tenté de transposer le
modèle théorique d’acculturation de Berry utilisé dans une politique psychosociale. Mais
auparavant, nous avons jugé utile de définir le concept d’acculturation.
2.1. Définition
Proposé en 1880 par des anthropologues américains, le terme acculturation a reçu des
acceptions diverses, notamment en migrant dans des disciplines proches. En psychologie
sociale, il a souvent désigné "le processus d'apprentissage par lequel un enfant reçoit la
culture de l'ethnie ou du milieu auquel il appartient" (Redfield, Linton, Herskovits, 1936).
Comme le note Roger Bastide, il serait plus juste de parler alors d'enculturation ou de
socialisation. Quoi qu'il en soit et pour s'en tenir au champ proche de l'anthropologie
culturelle, nous retiendrons la définition du Social Science Research Council, élaborée en
1936: " L'ensemble des phénomènes résultant du contact direct et continu entre des groupes
d'individus de cultures différentes avec des changements subséquents dans les types de culture
originaux de l'un ou des autres groupes".
De ce point de vue, l'acculturation apparaît comme un phénomène se réalisant au niveau des
groupes. Cependant, depuis l'article de Graves (1967)5, il y a eu extension du concept à la
dimension de l'individu, identifié par le terme de l'acculturation psychologique.
A ce deuxième niveau, l'acculturation englobe également les changements psychologiques des
individus au sein de la collectivité, qui est un processus d'acculturation au premier niveau
(culturel).
Il est important de noter que la définition implique, en principe, des changements mutuels
entre les groupes en présence et cela, à deux niveaux : culturel et psychologique. En pratique,
il arrive souvent qu'un groupe qui est le dominant, jouisse d'une influence plus forte que le
groupe non dominant. Etant donné ce déséquilibre, il est utile d'utiliser le terme
d'acculturation pour ce dernier. 5 Cité par Berry (1989).
10
Il y a donc une hiérarchie des cultures mais ce n’est pas pour autant que l’on peut dire qu’il
est possible d’imposer une culture. Culture dominante et culture dominée constituent en
quelque sorte une métaphore des rapports de domination et une culture dominée n’est pas
forcément une culture aliénée. Les rapports de ces deux types de culture fonctionnent sur la
base de rapports symboliques dont la nature diffère de celle des rapports sociaux. Par ailleurs,
aucune situation n’est jamais stabilisée. Comme le souligne Cuche (2004) : « ce qui est
premier historiquement, c’est le contact, ce qui est second, c’est le jeu de la distinction qui
produit les différences culturelles. Chaque collectivité, à l’intérieur d’une situation donnée,
peut être tentée de défendre sa spécificité en s’efforçant par divers artifices de convaincre (et
de se convaincre) que son modèle culturel est original et lui appartient en propre. Que le jeu
de la distinction pousse à valoriser et accentuer tel ensemble de différences culturelles plutôt
que tel autre résulte du caractère de la situation ».
Bastide a proposé le « principe de coupure » indiquant que l’individu peut vivre dans deux
univers culturels, la marginalité culturelle ne se transformant pas en marginalité
psychologique. C’est ainsi que des «coupures font que l’intelligence peut être déjà
occidentalisée alors que l’affectivité reste indigène ou réciproquement », Bastide (1970). La
coupure peut ou non s’imposer suivant le type de rapports entre les groupes de cultures
différentes et caractérise surtout les minorités en tant que logique de défense de l’identité.
C’est à ce titre qu’à la lumière de ce principe, il est possible de donner une acception moderne
au concept de culture, vu comme un processus dynamique, qui dépasse la vision en structures
élémentaires de Claude lévi-Strauss. Comme le souligne Cuche (2004), « plutôt que de
structure, il faudra parler de « structuration », « déstructuration », « restructuration ».
Certes, certains facteurs de déculturation peuvent entraver la restructuration culturelle et
aboutir à une perte du sens. Mais des fragments originaires peuvent aussi coexister avec les
éléments actuels sans pour autant créer un problème. Quand la discontinuité l’emporte sur la
continuité, on est alors face à une mutation culturelle et Bastide parle « d’acculturation
formelle » quand elle touche les formes mêmes du psychisme (et les structures de
l’inconscient marquées par la culture) et « d’acculturation matérielle » quand elle ne touche
que à ce qui fait la matière même de la conscience (valeurs, représentations...). Ceci justifie
11
également l’existence d’une «contre-acculturation » avec les tentatives de « retour aux
sources » qui apparaît quand la déculturation est telle qu’elle interdit la recréation de la
culture originelle mais elle ne touche que l’acculturation formelle et la contre-acculturation et,
en dépit de son projet de revenir à la situation passée, c’est un acte de création d’une situation
nouvelle. Il n’y a donc, à des degrés divers, que des cultures mixtes et l’affirmation de la
continuité d’une culture n’est qu’un discours de « l’idéologie de la compensation ».
Il n’y a donc pas véritablement de discontinuité entre les cultures, surtout dans un champ
éclairé par le fait de la mondialisation où le contact des cultures les unes avec les autres est
privilégié et la vertu de ce projet est donc essentiellement d’ordre herméneutique (Pesqueux,
2000).
Ce concept d’acculturation peut donc nous sembler particulièrement pertinent pour analyser
notre travail de recherche.
En effet, dans un souci d'harmonisation du système comptable tunisien avec le référentiel
international de l'IASC, le nouveau système comptable tunisien a été créé en adoptant des
normes en harmonie avec celles de l'IASC. Ainsi, nous avons assisté à un passage d’une
culture comptable plan comptable général inspiré du plan comptable français à un système
comptable anglo-saxon. Suite à ce passage, allons-nous ainsi assister à une « acculturation
formelle », avec une tendance à une culture comptable anglo-saxonne, ou bien au contraire,
assisterons-nous à une « acculturation matérielle », avec une tentative de « retour aux
sources » qui est, dans notre cas, une tentative de retour au plan comptable général ?
2.2. Modèles de recherche
Parmi les modèles qui permettent de saisir la réalité sur l'acculturation celui que propose
Berry (1989) est le plus utilisé.
12
2.2.1. Modèle de Berry
Dans une optique psychosociale, ce modèle comporte quatre options d'adaptation qui vont de
pair avec des changements plus ou moins "profonds" au niveau du groupe et des individus. En
réponse aux deux questions primordiales : (1) Est-il important de conserver son identité et ses
caractéristiques culturelles ? (2) Est-il important de maintenir des relations avec d'autres
groupes ? Ces quatre options ou stratégies adaptatives seraient : l'intégration (réponses
affirmatives aux deux questions), la marginalisation (réponses négatives aux deux questions),
l'assimilation (réponse négative à la première question et affirmative à la seconde), et la
séparation/ségrégation (réponse affirmative à la première et négative à la seconde).
A ces différentes options est associé un degré relatif de changement culturel et
comportemental. C'est ainsi que Berry (1989) associe l'intégration et la marginalisation à un
changement élevé, l'assimilation à des changements culturels et comportementaux très élevés,
et la séparation/ségrégation à un changement plutôt faible. Ce modèle est résumé dans la
figure ci-dessous (Figure 2).
Est-il important de conserver son identité et ses caractéristiques culturelles?
OUI NON
OUI
INTEGRATION
Changements élevés
ASSIMILATION
Changements très élevés
Est-il important de maintenir des relations avec
d'autres groupes ?
NON
SEPARATION/SEGREGATION
Changements faibles
MARGINALISATION
Changements élevés
Figure 2 : Stratégies d'adaptations et changements culturels et comportementaux associés
Source : Berry (1989)
13
Nous avons tenté de définir ces différentes stratégies à partir d'une revue d'articles sur
l'acculturation abordant ce concept dans le cadre de la migration ou dans le cadre
d’acquisition d’une entreprise, étant donné l’absence de recherches comptables réalisées dans
ce cadre.
2.2.1.1. Intégration
Les individus qui maintiennent leurs cultures d'origine alors qu'ils participent dans la culture
dominante pratiquent l'intégration. Magan et ali. (1996) nomment ce groupe les
"incorporateurs" et trouvent que les individus qui le composent ont une grande et forte
tendance à avoir un sens égal à la familiarité et la fierté avec les deux cultures (Mcmillan et
Lopez, 2001).
Dans le cadre d'une acquisition d'entreprise, l'intégration est déclenchée lorsque les membres
de l'entreprise acquise essayent de préserver leurs cultures et leurs identités et veulent rester
autonomes et indépendants. Selon Berry, l'intégration comme mode d'acculturation entraîne
l'assimilation structurelle des deux cultures, mais avec une petite assimilation culturelle et
behaviorale.
Selon London (1967), malgré que l'intégration implique l'interaction et l'adaptation entre deux
cultures et requiert une contribution mutuelle par deux groupes, elle n'implique pas la perte de
l'identité culturelle par acquisition. Au résultat, les employés de l'entreprise acquise essayent
de maintenir les éléments culturels, les croyances, les suppositions de base ainsi que les
pratiques et systèmes organisationnels qui sont uniques. En même temps, ils essayent de
s'intégrer dans la structure de l'acquéreur. Cependant, l'intégration ne peut avoir lieu sauf si
l'acquéreur permet une telle indépendance. Au total, l'intégration permet le changement dans
les deux groupes, dans la culture et dans les pratiques : le flux des éléments culturels est
équilibré car il n'y a aucun groupe qui essaye de dominer l'autre (Nahavandi et Malekzadeh,
1988).
Dans le cas d'une migration, l'individu veut préserver sa culture d'origine tout en ayant des
contacts avec la culture d'accueil.
14
2.2.1.2. Assimilation
Contrairement à l'intégration, l'assimilation est toujours un processus unilatéral dans lequel un
groupe peut adopter l'identité et la culture de l'autre (Berry, 1989).
Dans le cadre d'une acquisition d'entreprise, l'acculturation se réalise lorsque les membres de
la firme acquise vont renoncer à leur culture, ainsi qu’à leurs pratiques et systèmes
organisationnels et vont adopter la culture et le système des acquéreurs. Ceci peut être le cas
dans une entreprise qui a échoué, dans laquelle les employés et managers pensent que les
pratiques et la culture sont en dysfonction et gênent la performance organisationnelle. Après
la fusion, l'assimilation structurelle, l’assimilation culturelle ainsi que l’assimilation
behaviorale se réalisent. Au total, la firme acquise sera absorbée par la firme acquéreur et
cesse d'exister en tant qu'entité culturelle.
De même, pour ce qui concerne les migrants, lorsque ceux-ci ne veulent pas conserver leur
identité culturelle et veulent être en contact avec la culture d'accueil.
2.2.1.3. Séparation
La séparation comme mode d'acculturation implique l'essai de préserver la culture et les
pratiques en restant séparé et indépendant du groupe dominant (Berry, 1989).
Ainsi, les individus qui choisissent de maintenir leurs cultures d'origine et d’éviter
l'interaction avec la culture dominante, utilisent la stratégie de séparation.
Dans le cas d’une acquisition d'une entreprise, la séparation a plus de probabilité de se réaliser
lorsque les membres de l'organisation acquise essayent de préserver leur culture et système
organisationnel et refusent l'assimilation à tous les niveaux. Les membres résistent à chaque
essai d'adaptation et conciliation et essayent de rester séparés de l'acquéreur.
Si on leur permet de réaliser ceci, ils vont fonctionner comme une unité séparée de leur
entreprise mère.
En conclusion, la séparation veut dire qu'il y a un échange culturel minimum entre les deux
groupes, chacun fonctionnant indépendamment.
15
En ce qui concerne les migrants, ceux-ci adoptent la stratégie de séparation lorsqu'ils
maintiennent leur culture d'origine et évitent le contact avec la culture d'accueil.
2.2.1.4. Déculturation
Ce mode d'acculturation s'appelle déculturation ou marginalité.
Un individu qui a le moindre intérêt de maintenir une relation avec la culture des individus et
un moindre intérêt de participer dans la culture du groupe dominant fait preuve de
marginalisation.
Nous parlons de marginalisation quand le groupe migrant n'a que peu d'intérêts à garder sa
culture et ne veut pas non plus avoir de contact avec la culture d'accueil.
La déculturation se réalise dans le cadre d'une acquisition d'entreprise lorsque les membres de
l'entreprise acquise ne valorisent pas leurs propres cultures, pratiques et systèmes
organisationnels et ne veulent pas être assimilés dans les deux entreprises. Au résultat,
l'entreprise acquise a une probabilité de se désintégrer comme une entité culturelle.
2.2.2. Modèle de Minoura
Pour sa part Minoura (1992) propose un modèle centré sur l'aspect psychologique du
changement. Selon ce chercheur japonais, les changements dus à la migration se font sur trois
niveaux : les cognitions, les comportements et les affects.
Le niveau de la cognition se rapporte à la connaissance de la culture d'accueil. Avant de
pouvoir se comporter de manière adéquate dans un nouvel environnement, il faut en connaître
les règles minimales. C'est à ce niveau, selon Minoura, que surviennent les premiers
changements lorsque le migrant établit ses premières distinctions entre son milieu d'origine et
son nouveau milieu de vie. Une fois acquis un minimum de connaissances, le migrant peut
plus adéquatement ajuster certains de ses comportements aux exigences de la société
d'accueil.
Le dernier niveau est celui des affects. Bien que connaissant les règles et pouvant évoluer en
conformité avec elle, dans cette culture qui n'est pas la sienne, le migrant ne reste pas neutre
16
devant les changements qu'il doit apporter à son comportement et à sa manière de voir les
choses; il peut les juger favorablement ou non, et en conséquence y adhérer pleinement ou
superficiellement. Selon Minoura, à ce niveau affectif, il n'est pas possible d'être biculturel.
La différence va soit à la culture d'origine, soit à la culture d'accueil, et cela malgré la capacité
de l'individu à différencier les deux cultures et à pouvoir se comporter, en fonction du milieu,
selon les critères de l'une ou de l'autre. Partant de ces réflexions, Minoura établit une
typologie d'acculturation, schématisée dans la figure suivante (Figure 3).
Types Cognitions Comportements Affects I II II a III b IV V
O O/A O/A A/O A/O A
O O
O/A A/O A A
O O O A ? A
Figure 3 : Les cinq types d'acculturation
Source : Minoura (1992)
O = modèle de la culture d'origine, A = modèle de la culture d'accueil
O/A = possession des deux modèles, mais utilisation plus fréquente du O
A/O = possession des deux modèles, mais utilisation plus fréquente du A
Ces deux modèles - Berry et Minoura - ne sont pas opposés. Ils traitent du même processus,
mais à deux niveaux différents. L'approche de Berry se situe au niveau psychosocial, c’est-à-
dire au niveau des stratégies d'adaptation de l'individu dans la société qui l'accueille. Minoura
observe, quant à lui, les effets de l'acculturation au niveau psychologique. Selon Leanza et
Lavallée, ces auteurs modélisent deux aspects complémentaires de la même réalité. Tous deux
établissent des catégories qui peuvent être placées sur un continuum partant de la séparation
ou du type I, c’est-à-dire d'un niveau de changements nuls ou faibles, et allant jusqu'à
l'assimilation ou type V, c’est-à-dire un niveau de changement très élevé et profond. De même
toutes les positions intermédiaires sont possibles.
17
Tableau 1 : Correspondance des Modèles de Minoura et Berry
Minoura Berry Type I Type II Type III Type IV Type V
Séparation/ségrégation ….. intégration ….. assimilation
2.3. Application du modèle de Berry (1989)
Nous proposons de transposer le cadre théorique de Berry dans le cadre de notre recherche.
Pour cela, la question d'acculturation pourrait se poser de la manière suivante :
Est-ce que les comptables tunisiens, nantis d’une culture comptable « Plan Comptable
Général (PCG) », assimileront ce nouveau Système Comptable des Entreprises (SCE) et par
conséquent acquerront une nouvelle culture comptable, la culture anglo-saxonne ?
L'identité culturelle sera alors dans ce cas la culture PCG6 ;
Et la culture d'accueil est le SCE7 (culture anglo-saxonne).
Colasse (1997) a constaté en comparant le système comptable tunisien au système comptable
international que :
- Le cadre conceptuel est, sous beaucoup d'aspects, un très proche parent du cadre de
l’IASC, qui n’est qu’un guide pour l’élaboration des normes ;
- La norme générale est une synthèse des normes internationales et du plan comptable
tunisien ;
Elle comprend trois parties : la première est consacrée aux dispositions relatives à la
présentation des états financiers, la deuxième à l’organisation comptable de l’entreprise et la
6 Plan Comptable Général tunisien (PCG). 7 Système Comptable des Entreprises tunisien (SCE).
18
troisième à la nomenclature des comptes, assortie de quelques règles de fonctionnement des
comptes.
A partir de ce constat nous affirmons que lorsque les comptables appliquent la norme
comptable générale (anciennement PCG), ces derniers appliquent le SCE.
Par ailleurs, il y a lieu de signaler qu’en Tunisie, la profession comptable est réglementée et
l'application du SCE97 est obligatoire8.
A partir de ces constats, nous pouvons en déduire les stratégies suivantes :
1- Intégration : préserver sa culture d'origine (PCG) tout en ayant un contact avec la culture
anglo-saxonne : dans ce cas, les comptables vont appliquer la norme comptable générale
(puisque l'application du SCE97 est obligatoire) tout en essayant d'intégrer cette nouvelle
culture anglo-saxonne : application partielle.
En effet, l’application de la norme comptable générale implique l’application du SCE, même
s’ils n’appliquent pas toutes les autres normes comptables.
Par ailleurs, il y a lieu de signaler que les entreprises habituées à appliquer le PCG depuis 30
ans9 ont des difficultés à se débarrasser d’une culture en faveur de l’application du SCE97.
Ainsi, les entreprises vont surtout appliquer la norme comptable générale (ou le PCG) et vont
se référer parfois aux normes comptables (NCT10).
2- Assimilation : changements très élevés (SCE).
Dans ce cas les comptables vont assimiler le nouveau SCE et vont l'appliquer (cadre
conceptuel, norme comptable générale et NCT) : Application du SCE.
3-Séparation /Ségrégation : changements faibles PCG (norme comptable générale). Dans ce
cas les comptables vont maintenir leur culture d'origine et évitent d'appliquer le SCE97.
Comme nous l'avons signalé au départ, nous sommes face à une profession réglementée et
une application du système comptable obligatoire ; cette stratégie va se confondre avec
8 C’est une obligation légale (loi n°96-112). 9 Le PCG a été appliqué de 1968 jusqu’au début de 1997 date de publication du Système Comptable des Entreprises. 10 Normes comptables tunisiennes.
19
l'intégration. En pratique, il y aura donc une application de la norme générale (qui est une
synthèse du PCG et des normes internationales).
4-Marginalisation : changements élevés. Dans ce cas les comptables ne vont pas grader leur
culture d'origine et ne vont pas accepter la culture d'accueil (SCE). Mais puisque la profession
est réglementée et l’application du système comptable est obligatoire, les comptables ne
seront pas face à cette situation (ne pas appliquer ni la norme comptable générale, ni les
NCT).
Devant ces quatre stratégies, nous pouvons affirmer qu'il y a eu un phénomène d'acculturation
pour les comptables tunisiens, s'ils suivent la stratégie II.
En suivant le modèle de Berry nous pourrions schématiser les différentes stratégies de la
manière suivante :
Est-il important de conserver son identité et ses caractéristiques culturelles?
OUI NON
OUI
I-
INTEGRATION Changements élevés
Application partielle du SCE
II-
ASSIMILATION Changements très élevés
SCE
Est-il important de
maintenir des relations avec
d'autres groupes ? NON
III-
SEPARATION/SEGREGATION Changements faibles
Norme Comptable Générale (PCG)
IV-
MARGINALISATION Changements élevés
?
Figure 4 : Stratégies d'adaptations
20
3. Méthodologies et résultats de recherches empiriques
Cette recherche n’a pas de prétention à l’universalité (Belkaoui, 1997) et ne vise pas à aboutir
à une typologie. La nation ne se définit ici pas comme un contexte ou comme une unité
d’analyse. On considère le système comptable tunisien en tant qu’objet (Wallace et Gernon,
1991).
La méthodologie adoptée pour répondre à notre objectif de recherche est d’administrer des
questionnaires auprès des préparateurs des états financiers.
53 questionnaires ont été administrés directement auprès des préparateurs des états financiers
des entreprises tunisiennes.
Différentes recherches (dont Perera (1989), Perera et Mathews (1990) et Radebaugh et Gray
(1993)) ont montré que le degré de conservatisme dans une culture comptable a une
influence sur les pratiques comptables appliquées. En effet, plus le degré de conservatisme est
élevé, plus le lien avec les pratiques de mesures traditionnelles est grand. Ainsi, nous
considérons comme des pratiques conservatrices, les pratiques des comptables qui ont une
tendance de retour aux anciennes règles (PCG). L’application des pratiques conservatrices
nous permet en effet, de montrer qu’il n’y a pas d’acculturation comptable.
Afin de déterminer le niveau de conservatisme des pratiques comptables tunisiennes, nous
avons choisi d’examiner les réponses aux questions relatives aux pratiques suivantes :
- La détermination des taux d’amortissement :
Le Système Comptable des Entreprises a prévu l’application des taux d’amortissement
économiques pour les immobilisations corporelles11.
L’application des taux fiscaux au lieu des taux d’amortissement économiques prévus dans le
SCE montrent un degré de conservatisme des comptables tunisiens et une tendance de retour
aux anciennes règles.
11 Norme Comptable relative aux immobilisations corporelles (NC5).
21
En effet, par mesure de prudence, en vue d’éviter le risque de voir des charges non admises en
déduction, le comptable tunisien applique les taux fiscaux (pour garantir la déduction de ces
charges). Il s’agit donc d’une attitude conservatrice et une manière moins risquée d’aborder
les problèmes.
Nous expliquerons de la même façon l’application des règles fiscales en cas de divergences
entre les règles comptables et les règles fiscales. Par conséquent, nous considérons que le
niveau de conservatisme est élevé dans le cas où les comptables appliquent les règles fiscales
au lieu des règles comptables en cas de divergences entre les deux.
- La détermination de la valeur des immobilisations:
Nous avons demandé aux comptables des entreprises s’ils estiment les immobilisations selon
la valeur du coût historique ou la valeur récupérable. L’application de la méthode du coût
historique indique un degré de conservatisme des comptables tunisiens.
En effet, le SCE a prévu la possibilité d’estimer les immobilisations constatées dans l’actif
de l’entreprise à la valeur récupérable. Cette évaluation des immobilisations selon la valeur
récupérable est une notion nouvelle pour les comptables des entreprises tunisiens. Ainsi, par
mesure de conservatisme, il appliquera le coût historique, étant donné que le comptable
tunisien a des grands liens avec les pratiques de mesures traditionnelles.
Nous expliquons de la même façon l’application du raisonnement plan comptable général au
Système Comptable. Par conséquent, nous considérons que les comptables qui appliquent le
raisonnement plan comptable comme étant une tendance de retour au Plan Comptable
Général. En effet, le raisonnement Système Comptable des Entreprises comporte des notions
nouvelles pour le comptable tunisien. Etant donné que ce dernier a des liens avec les
pratiques traditionnelles, il appliquera le raisonnement plan comptable et les pratiques
traditionnelles.
Nous précisons ces liens avec les pratiques traditionnelles par la présentation des tableaux de
flux de trésorerie et de l’Etat de résultat selon le modèle autorisé.
En effet, le SCE a prévu une présentation de référence et une présentation autorisée. La
présentation selon la méthode de référence suppose une comptabilité anglo-saxonne (Colasse,
1997). Cependant, la présentation selon la méthode autorisée suppose des pratiques
conservatrices et des liens avec le Plan Comptable Général et les pratiques traditionnelles.
22
Nous considérons que la pratique est conservatrice, si la majorité des répondants appliquent
des pratiques conservatrices. Comme il s’agit d’une variable qualitative, nous utiliserons des
méthodes de statistiques descriptives dont le calcul de la fréquence. Il s’agit donc de calculer
le pourcentage des répondants qui appliquent une pratique conservatrice.
Nous traduirons ainsi, l’ensemble des résultats obtenus relatifs aux pratiques comptables
étudiées en : pratique conservatrice ou non conservatrice.
Par conséquent, nous avons crée six variables qualitatives relatives aux différentes pratiques
comptables étudiées dont :
CONSERVAMT relative aux « pratiques des amortissements ». Variable qualitative binaire,
elle prend la modalité :
« 1 » si les entreprises appliquent la méthode d’amortissement économique.
« 2 » si les entreprises appliquent la méthode d’amortissement historique.
CONSERVIMMO relative aux « estimations des immobilisations ».Variable qualitative
binaire, elle prend la modalité :
« 1 » si les entreprises appliquent la valeur récupérable.
« 2 » si les entreprises appliquent le coût historique.
CONSERVPCG relative au « raisonnement Plan Comptable». Variable qualitative binaire,
elle prend la modalité :
« 1 » si les entreprises ne raisonnement pas en Plan Comptable.
« 2 » si les entreprises raisonnement en Plan Comptable.
CONSERVDIV relative aux « règles appliquées en cas de divergences entre les règles
comptables et fiscales ». Variable qualitative binaire, elle prend la modalité :
« 1 » si les entreprises appliquent les règles comptables.
« 2 » si les entreprises appliquent les règles fiscales.
CONSERVFLUX relative à la « présentation du tableau de flux de trésorerie». Variable
qualitative binaire, elle prend la modalité :
« 1 » si les entreprises présentent le tableau de flux de trésorerie selon le modèle de référence.
« 2 » si les entreprises présentent le tableau de flux de trésorerie selon le modèle autorisé.
23
CONSERVREST relative à la « présentation de l’état de résultat». Variable qualitative
binaire, elle prend la modalité :
« 1 » si les entreprises présentent l’état de résultat selon le modèle de référence.
« 2 » si les entreprises présentent l’état de résultat selon le modèle autorisé.
La modalité « 1 » représente ainsi pour l’ensemble des pratiques étudiées une pratique non
conservatrice contre la modalité « 2 » qui représente une pratique plutôt conservatrice.
Ainsi, nous considérons que les pratiques sont conservatrices si pour chacune des pratiques
étudiées (CONSERVAMT, CONSERVIMMO, CONSERVPCG, CONSERVDIV,
CONSERVFLUX et CONSERVREST), la proportion des entreprises qui appliquent des
pratiques conservatrices est majoritaire.
Nous montrerons grâce à un test binomial, que le pourcentage des pratiques conservatrices est
majoritaire. L’hypothèse nulle H0 est qu’une proportion équivalente applique ou n’applique
pas une pratique conservatrice.
Nous pouvons donc conclure que le niveau de conservatisme est élevé, dans le cas où le test
montre, pour l’ensemble des pratiques comptables, que la proportion des répondants qui
appliquent des pratiques conservatrices est majoritaire.
Le seuil habituellement retenu pour rejeter l’hypothèse nulle est de 5%.
Résultat du test binomial
Nous présentons ci-après le tableau récapitulatif des résultats obtenus du test binomial relatif à
l’ensemble des pratiques étudiées.
24
Tableau 2 : Résultat du test Binomial
Modalité Prop. Observée
Test Prop. Sig. Asymp. (bilatérale)
2 ,92 ,50 ,000
1 ,08
CONSERVAMT
1,00
2 ,89 ,50 ,000
1 ,11
CONSERVIMMO 1,00
2 ,80 ,50 ,000
1 ,20
CONSERVPCG
1,00
2 ,83 ,50 ,000
1 ,17
CONSERVDIV
1,00
2 ,70 ,50 ,006
1 ,30
CONSERVFLUX
1,00
2 ,70 ,50 ,006
1 ,30
CONSERVREST
1,00
Modalité 1 : pratiques non conservatrices ;
Modalité 2 : pratiques conservatrices et retour aux anciennes pratiques ;
Les résultats du test binomial montre que la majorité des entreprises appliquent des pratiques
conservatrices.
Les probabilités critiques bilatérales obtenus pour le test binomial de CONSERVAMT,
CONSERVIMMO, CONSERVPCG et CONSERVDIV sont toutes égales à 0 et celles de
CONSERVFLUX et CONSERVREST sont égales à 0,006 pour une proportion testée de un
demi. Nous ne pouvons donc rejeter l’hypothèse nulle pour CONSERVAMT,
CONSERVIMMO, CONSERVPCG, CONSERVDIV, CONSERVFLUX et
CONSERVREST pour des proportions testées supérieurs respectivement à 92%, 89%, 80%,
83%, 70% et 70%.
Par conséquent, la population d’origine de l’échantillon applique au moins à 92%, 89%, 80%,
83%, 70% et 70% des pratiques conservatrices pour l’ensemble des pratiques étudiées.
25
Nous pouvons donc affirmer à partir des résultats obtenus que le degré de conservatisme est
élevé dans les pratiques comptables tunisiennes.
L’application par les comptables tunisiens des règles strictes et rigides, qui obéissent parfois à
un intérêt fiscal, nuit à l'existence d'une image fidèle de l'entreprise. Ceci traduit clairement le
raisonnement fondamental du droit continental dans la société tunisienne, qui est tout à fait à
l'opposé de la logique anglo-saxonne.
Nous pouvons noter, par référence au modèle de Berry, une évolution et non pas une
acculturation dans la culture comptable tunisienne. Nous nous situons donc dans le cadre de la
stratégie I- « intégration », où il est important pour les comptables tunisiens de maintenir leurs
identités culturelles et en même temps maintenir des relations avec d’autres groupes.
Pour Conclure……
Le modèle de Berry (1989) développé dans une optique psychosociale, constitue un bon
modèle théorique pour analyser l’évolution de la culture comptable tunisienne suite au
passage du PCG au SCE doté d’un cadre conceptuel et des normes comptables inspirées des
normes comptables internationales. Les résultats empiriques ont montré que l’adoption de ces
normes comptables s’est accompagnée d’une légère évolution de la culture comptable. En
effet, nous avons noté que les comptables tunisiens ont tendance à appliquer les anciennes
habitudes du PCG. Il s’agit d’une «contre-acculturation» avec des tentatives de « retour aux
sources » qui apparaît. La déculturation interdit la recréation de la culture originelle. Et ceci
en dépit du projet de revenir à la situation passée, c’est un acte de création d’une situation
nouvelle : une nouvelle culture comptable propre au contexte tunisien.
Ce modèle d’acculturation pourrait être appliqué dans d’autres contextes et servir de cadre
pour analyser l’évolution culturelle et la pertinence de l’importation d’un système comptable
au pays étudié.
26
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27
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