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Extrait de la publication… · souviens bien, vu l’insistance du musicien Dominique Saint-Pierre, qui était alors un lecteur assidu du magazine Wired et un adepte des expériences

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Le rêve totalitaire de dieu l’amibe

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Du même auteur

Contes urbains. Ottawa, 1999Tom Pouce version fin de siècle, 1997

IMPLOSIONS (Dialogue suivi de La litière et de Rappel), 1996Le beau prince d’Orange, 1994

chez d’autres éditeursContes d’appartenance, Sudbury, Prise de parole, 1999

«Milford Haven», dans 38, volume i, Montréal,Dramaturges Éditeurs, 1996

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Patrick Leroux

Le rêve totalitaire de dieu l’amibe(selon les vertigineuses explorations du collectif

Le Boulet de feu et à la suite du travail des deux équipesde création du Théâtre la Catapulte)

Livret d’anti-opéra cybernétique

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Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives CanadaLeroux, Patrick, 1971-Le rêve totalitaire de dieu l’amibe : livret d’anti-opéra cybernétique / Patrick Leroux(Collection Rappels)Théâtre.ISBN 2-89531-037-8I. Titre - II. Collection.PS8573.E6728R48 2003 C842’.54 C2003-900842-8PQ3919.2.L3935R48 2003

Diffusion au Canada : Dimédia

Ancrées dans le Nouvel-Ontario, les Éditions Prise de parole appuient les auteurs et les créateurs d’expression et de culture françaises au Canada, en privilégiant des œuvres de facture contemporaine.

La maison d’édition remercie le Conseil des Arts de l’Ontario, le Conseil des Arts du Canada, le Patrimoine canadien (programme Développement des communautés de langue officielle et Fonds du livre du Canada) et la Ville du Grand Sudbury de leur appui financier.

Mise en pages : Robert YergeauCorrection des épreuves : Jacques CôtéPhoto de la couverture : « Le rap du doute théologique ».De gauche à droite : Nickie Brodie, Lyne Vaillancourt, Anne-Marie White, Simon-Pierre Perrault, Mario Gendron, Sasha Dominique, Marie-Christine Lê-huu etMarc-André Charette.Crédit photographique : Raymond Charette.Imprimé au Canada.

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.Cet ouvrage a été publié originalement aux Éditions du Nordir.Copyright © Ottawa, 2003 pour la version papierCopyright © Ottawa, 2012 pour la version électroniqueÉditions Prise de paroleC.P. 550, Sudbury (Ontario) Canada P3E 4R2www.prisedeparole.ca

ISBN 978-2-89531-037-2 (Papier)ISBN 978-2-89423-711-3 (PDF)ISBN 978-2-89423-812-7 (ePub)

À Anne-Marie White, complice de travail;

à Stephanie Bolster, complice de vie;

aux créateurs du Rêve...depuis le premier atelier exploratoire à la

dernière production technologique et démesurée;

à Sylvie et Raymond du feu Festival des 20jours du théâtre à risque, merci d’avoir risqué.

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Avant-propos de l’auteur

Le rêve totalitaire de dieu l’amibe est né d’une crise, non pas lamienne, mais celle de mes amis (ce n’est pas dire que la pièce ne memettrait pas en état de crise). Anne-Marie White avait rassembléautour d’elle un groupe de créateurs de la grande famille du Théâtrela Catapulte; théâtre que je dirigeais à l’époque. Constitué en ungroupe ad hoc, le collectif Le Boulet de feu explorait depuis plu-sieurs mois, à l’aide d’improvisations, de jeux, d’essais et d’exer-cices, son propre univers pluriel. Des personnages se développaient,quelques thèmes étaient privilégiés (dont celui d’Internet, si je mesouviens bien, vu l’insistance du musicien Dominique Saint-Pierre,qui était alors un lecteur assidu du magazine Wired et un adepte desexpériences musicales de Brian Eno). La musique dominait tout,puisque les comédiens savaient tous chanter, qu’un musicien faisaitpartie de l’équipe de création et qu’Anne-Marie – si elle est metteuren scène – demeure une musicienne et compositrice à l’originalitéenvoûtante. Mais l’équipe s’est rendue à l’évidence que le projetn’aboutissait pas, qu’exploration et création n’étaient pas nécessaire-ment synonymes. C’est alors qu’ils ont fait appel à un auteur quetous connaissaient bien, un auteur qui saurait s’inspirer de leurspersonnages, de leurs histoires, de leurs enregistrements de chan-sons, de leurs phrases musicales, de leurs synopsis, de leurs bouts descènes antithétiques – en somme, des pages et des pages de bribesde textes et d’idées à la fois contradictoires et joyeusement, chaoti-quement, concordantes.

J’ai pris avec moi ces notes, ces cassettes, ces croquis et j’aidemandé à Anne-Marie de m’accompagner pour « traduire » le tout.Elle m’expliquait l’origine de telle ou telle scène, la motivation ducomédien lorsqu’il avait écrit cette chanson formée de deux seulsvers, la petite histoire derrière l’émergence de ce monologue ou dece dialogue de sourds. Nous nous sommes enfermés dans un chaletnordique loin de la ville, au cœur de l’hiver, et nous avons discuté.J’ai analysé, j’ai synthétisé, je me suis mis à écrire. Puis, un jour :eurêka! J’ai lu à Anne-Marie mes premières scènes rythmiques, despartitions embryonnaires en rupture avec tout ce qu’on m’avaitappris sur l’écriture du théâtre. Et j’ai vu quelque chose s’allumer en

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elle... Nous nous sommes emballés, tous les deux, à l’idée de faireautrement par pur plaisir de la subversion dans notre milieu, pardésir du risque. Le projet allait être une exploration rythmique, unanti-opéra cybernétique reposant sur la négation du jeu « psycho-logisant » et subjectif de l’acteur et mettant en valeur le ludismeécrit et rythmé – la partition.

J’ai puisé non seulement dans les matériaux issus des recherchesdes comédiens, mais aussi dans leur processus de création tel que jel’avais compris. Comme je connaissais bien les participants à l’ate-lier, je me suis aussi permis d’inscrire des défis personnels pour lescomédiens, cherchant par l’écriture de leurs personnages à enrayerles tics de l’un et rehausser les qualités désirées (par moi, bien sûr)de l’autre. Quel plaisir (pour moi, encore)!

Aux personnages développés par les comédiens – le cabotinomnisexuel « Aimsi », proposé par Mario Gendron; l’exotique etperturbée « Olivia », née de l’exploration de Chantal Aubut; etl’asthmatique et névrosée « Solange/BIG GUY », défendue parSasha Dominique –, j’ajouterais « dieu l’amibe », afin de satisfaire ledésir de composition divine mononucléaire exprimé par AnnickLéger, et « l’ombre du lecteur anglais » (qui serait ensuite scindée,devenant dès la 3e version la Commentatrice et bedi∂r : le danseur àclaquettes à une réplique). Le personnage de l’adolescent « Clé-ment » nous surprendrait tous lors de la dernière version; il n’auraitpu naître sans que Vincent Leclerc ne le joue avec sa candeur post-adolescente d’alors.

De retour en ville, les comédiens ont lu le texte et ils ont étéabasourdis. Ne comprenant pas comment leur projet avait tantdévié, ni ne comprenant cette écriture byzantine, ils ont hésitédevant le texte, préférant ne pas aller de l’avant avec sa création.Crise existentielle; traumatisme; cataclysme. Malgré les réticencesinitiales, Anne-Marie a su rallier l’équipe au projet nouveau, et elleferait du texte bâtard un objet scénique fort enviable. N’en demeureque le rapport des comédiens au projet demeura celui de l’attrac-tion/répulsion au cours de toutes ses étapes. Malgré cela, les comé-diens ont foncé, oubliant leurs appréhensions, apprenant par cœurun texte difficile, parfois impossible; ils se sont pliés aux exigencesinvraisemblables des répétitions. Je leur suis reconnaissant d’avoirplongé dans l’aventure, malgré les craintes.

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Le projet a fait l’objet de quelques prestations publiques,d’abord à Ottawa en mars 1995, puis à Sudbury et ensuite Saint-Lambert, en août 1995, finalement à Hull et à Montréal ennovembre 1996. Chaque étape a donné lieu à une mise en scènenouvelle, des remaniements au sein de la distribution, des décors etcostumes différents. Aussi, le texte évoluait, s’accordait – se désac-cordait, surtout –; il prenait de l’expansion, passant d’un à trois àquatre mouvements, impliquant davantage de créateurs à chaqueétape. Malheureusement, des difficultés financières imprévues cheznos partenaires coproducteurs et un budget criblé par les moyensdémesurés qu’exige la technologie mettraient fin au projet (etpresque à la compagnie, qui s’en est tout de même bien remise,puisqu’elle fêtera cette année son 10e anniversaire et qu’elle estaujourd’hui plus solide que jamais). « Le rêve totalitaire d’Anne-Marie et de Patrick » s’est consumé dans ses propres excès. Aprèscette pièce, je n’avais plus d’énergie… j’évitais le risque – moi quil’avais revendiqué à l’état brut! Je quitterais peu après La Catapulte,le temps de résorber le déficit, de stabiliser la compagnie et detrouver un successeur. Si c’était à reprendre, il faudrait revenir autexte, à la partition, aux lutrins, au chef d’orchestre dirigeant lesvoix des comédiens vêtus de leurs smokings et de leurs robes desoirée. L’essentiel, quoi! Vous devinerez que j’ai été tenté de toutréécrire à de nombreuses occasions. C’est un projet totalisant, quiobnubile ses créateurs et qui exige d’eux de monter la barre àchaque étape : Narcisse et Écho – mais il faut se défaire de la mared’eau qui renvoie l’image qu’on veut bien y voir, il faut passer àautre chose!

Le thème d’Internet, respirant la nouveauté et perçu comme unoutil révolutionnaire à l’hiver 1994-1995 a perdu du lustre; c’estdevenu un simple outil parmi tant d’autres. Les « chat rooms » ouaires de clavardage primaires ont été remplacées par des mondesimaginaires représentés, où l’on peut s’incarner en avatar visible etpresque palpable. Nous sommes tous branchés aujourd’hui : lemystère s’est dissipé, les craintes (et le plaisir) aussi. Or, rajeunir lapièce la daterait déjà. Lisons donc la pièce avec le recul de l’anthro-pologue, en retenant les éléments essentiels. Je me suis inspiré, pourl’histoire du culte qui se crée sur Internet, des modes et procédés deconquête chrétienne de l’Europe, tout en lisant attentivement lesProphètes (les anciens comme les nouveaux : de Moïse à Paul). Puis

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j’ai pillé, chez Joseph Campbell, Northop Frye et MarshallMcLuhan, quelques interprétations mytho-poétiques.

En réponse à la question « pourquoi cette pièce? », qui mehantait à l’été 1995 – alors que je terminais la rédaction de ladeuxième version de la pièce –, voici ce que j’ai répondu :

Puisqu’il faut témoigner de son humanité et puisqu’il fautécrire, toujours écrire et chercher à évoluer dans son écriture etson humanité; puisqu’il me faut rapporter les excès de cettehumanité qui a soif de vivre et qui a soif du sacré, cettehumanité qui parle et qui parle mais qui ne parle que pour soi,qui ne parle que de choses et d’argent et de potins bêtementinsignifiants; puisque je suis pareil aux autres et que j’ai soifmoi aussi de religiosité, que je suis curieux des nouvellestechnologies et qu’il m’arrive d’être bêtement insignifiant à mesheures; puisqu’il me faut décrire ce qu’il y a de fascinant et defascisant dans le geste même de la création d’un espace sacré;puisque les excès et les aspirations religieuses ressemblentétrangement aux excès des aspirations politiques et que j’ai malde voir tant d’assoiffés du pouvoir à la tête de trop d’institu-tions; puisque je ne crois plus à l’institution du Théâtre maisque j’écris tout de même pour la scène, étant donné que c’estpar elle qu’a lieu cet acte cérémonial et communal (Vancouver,juillet 1995).

J’ai signé cette pièce, je l’ai écrite, retravaillée, mais elle n’auraitjamais abouti sans l’apport des nombreux créateurs qui l’ontnourrie à chaque étape, en particulier Anne-Marie White qui yvoyait une matrice flexible et féconde où tenter de nombreusesexpériences tantôt de rythme, tantôt d’exploration corporelle, tan-tôt de direction d’acteurs.

Le projet qui nous a servi d’école, le voici réduit, dans son édi-tion, à une série de répliques sur des dizaines de pages. Malgré tout,le texte demeure intéressant à lire et – sait-on jamais! – peut-êtresaura-t-il inspirer de nouvelles explorations mirobolantes.

PATRICK LEROUX

Montréal, été 2002

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Avant-propos du metteur en scène/en rythme

La cybernétique et le sacré

L’action se déroule dans l’univers cybernétique. Trois âmes seulesse retrouvent dans un groupe de discussion. Rien ne va, ils sontmalmenés et humiliés dans leurs vies respectives. Ils ont soif desacré, de compassion et de réconfort. Arrive dieu l’amibe, un char-latan en quête de pouvoir qui improvise une religion à son imagedans les réseaux informatiques. Ce dernier se fait passer pour unordinateur à intelligence artificielle qui se serait créé lui-même parun soir pluvieux de novembre. Il profite de la faiblesse des troisâmes seules pour les intéresser à un culte, avec tout ce qu’il y a desacré et d’excessif. Il condamne; on prépare le bûcher et l’on tuevirtuellement. Ce « meurtre virtuel » mènera au suicide « réel » deSolange. C’est là que les membres du culte se retournent contredieu l’amibe et découvrent qu’il n’est qu’un jeune boutonneux deseize ans épris de pouvoir qui s’est joué des gens.

Parmi les préoccupations de l’auteur : la soif du sacré et ducérémonial, la curiosité pour les réseaux informatisés (Internet), lestendances autocratiques des gens au pouvoir et, enfin, l’impossiblecommunication entre les personnages. En excluant le traitementinhabituel de l’écriture dramatique, Le rêve totalitaire de dieul’amibe devient un conte moderne. Les trois personnages en quêtede sacré portent en eux une quête universelle et intemporelle.L’intrigue prend racine à l’ère de l’expansion d’Internet, mais ellepourrait très bien se passer à n’importe quelle époque. La créationde ce culte cybernétique porte en elle-même l’histoire du christia-nisme. Le charlatan suivra toutes les étapes de création de la Genèseà l’Apocalypse. Il profite de l’état de fébrilité de ses victimes. Le peude jugement qui leur reste est affaibli par un lavage de cerveau. Illeur promet une part du profit du culte. Ne s’agit-il pas d’unehistoire qui se répète?

Le traitement de cette « bébite littéraire »

Autour du Rêve…, Patrick avait écrit une série d’énoncés, desexplications condensées du projet, des pépites s’ajoutant l’une à

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l’autre pour bâtir un credo artistique. Voici celui qui se retrouveraitéventuellement dans le communiqué de presse :

Conçu comme une façon de pied de nez au théâtre et à l’idéequ’on s’en fait, Le rêve totalitaire de dieu l’amibe est fait dedialogues vaguement cubistes et son écriture ressembledavantage à une partition musicale qu’à une pièce de théâtretruffée de dialogues psychologiques puisque raisonnés etraisonnables. Les langages codifiés de la musique sont traduitset transposés pour le théâtre sans aucun égard pour lesconventions habituelles.

Devant une telle définition, on pourrait se poser la question : était-ce du théâtre, de la musique moderne ou une nouvelle formehybride? À l’époque, nous n’en étions pas certains, mais le spectacleétait sans doute intéressant à voir et à entendre. La pièce estessentiellement construite comme une pièce musicale, avec sesquatre mouvements (« Énoncés », « Rhétorique », « Mythologie » et« Exaltation »), son prélude (« Un jour je serai libre! ») et sa finale(« Pathos, morale et aria »). Chaque personnage, au-delà de sa voixpsychologique, a d’abord une valeur musicale. Le psychologismen’est qu’un prétexte : il sert l’œuvre et non le contraire. À l’époque,Patrick s’intéressait au concept impraticable du « non-jeu »; celam’intéressait dans la mesure où cela pouvait être appliqué. C’est ceque je tenterais de faire, hormis les élucubrations de l’auteur.

Il n’y avait rien de chanté, ou presque, dans le spectacle. Il yavait connotation musicale, à la base même de l’écriture dramati-que. L’auteur a littéralement transposé la structure rythmique d’uneœuvre musicale dans le texte, en s’inspirant de différents composi-teurs. Cependant, la transposition n’était pas métrique, c’est-à-direqu’on ne pouvait pas compter les temps à l’aide d’un métronome. Ilétait plutôt question d’une rythmique plus libre, comme celle desvagues ou du vent, comme le système de musique indienne.

Quand je suis arrivée en salle de répétition pour présenter cette« bébite littéraire » à mon équipe de comédiens, j’ai eu droit à unecrise nerveuse digne de tout bon comédien. L’auteur ajouterait lapépite suivante : « Les dialogues habituellement vraisemblables nepeuvent avoir lieu que dans la musicalité qu’exige une telle struc-

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ture. » Et comment donc, Patrick! Mais c’était tout de même moiqui étais chargée de faire comprendre ça aux comédiens! Je dois direque j’avais eu à peine le temps de digérer la proposition. Sauf quemoi, je l’aimais déjà, ce texte impossible. J’aimais que le défi inter-pelle la musicienne en moi. J’aimais le fait qu’il ne m’offre aucunrepère connu. Et j’aimais qu’il fasse peur à tout le monde, surtoutqu’il me fasse peur à moi. Je venais d’allumer.

L’approche que j’ai développée consistait à substituer à unemontée psychologique une accélération du rythme. Les comédiensdevaient s’exécuter avec technique, pareils à des musiciens, puisquetout était codifié. En tentant d’éviter le jeu réaliste, je refusais égale-ment l’émotion. Mais je me souviens que ce n’était pas clair dansma tête. Je n’assumais pas totalement le fait d’écarter les émotionsqui s’imposaient naturellement aux acteurs. Car à dire vrai, j’aimaisressentir la colère que provoquait chez le comédien une réplique en« forte allegro ». J’aimais sentir monter la tristesse et la fragilité queprovoquait un « piano largo ». Mais je croyais à ce moment-là quel’émotion n’appartenait pas à ce spectacle. Avec le recul, je com-prends que l’émotion avait sa place. C’est le moyen d’y parvenir quiétait différent. On ne peut pas couper de l’être humain ce qui ledéfinit à la base.

Une grande part du plaisir que m’a procuré cette aventure auraété de m’asseoir avec le texte et de tenter de saisir son mouvementgénéral pour arriver à créer une sous-partition interprétative. Jedécidais de la vitesse (allegro, moderato, largo), des nuances (piano,forte, fortissimo), des dynamiques (crescendo, decrescendo). Audébut, je tentais de communiquer cette partition aux comédiensavec des mots. Je leur ai d’abord expliqué la signification de cestermes. Ensuite, de peine et de misère, je disais, je sifflais, j’onoma-topais, je percussionnais avec ma voix, mes mains et tout ce que jetrouvais autour de moi. Deux semaines avant la première, je me suisprésentée en salle de répétition avec une baguette de chef d’orches-tre et quelques rudiments de direction d’orchestre. À partir de cetterépétition, le spectacle a pris forme. Je n’utilisais plus les mots. Jedemandais aux comédiens une écoute active et je dirigeais avec labaguette. Il ne fallut pas plus d’une heure de répétition pour savoirque nous avions trouvé la façon de procéder. Il était ainsi plus facilepour les comédiens de se détacher de l’interprétation traditionnelle.

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Je leur communiquais moi-même, à l’aide de mes bras et de mesyeux, le mouvement général du texte.

La représentation

En temps normal, le soir de première est pour moi un momentde grande libération : je regarde amoureusement les acteursdéfendre le spectacle. Cette fois, je me trouve sur la scène. C’est unesensation vraiment unique car, d’une certaine façon, je ne fais paspartie du spectacle au même titre que les acteurs. Je suis dos aupublic, au centre, un peu plus bas que la scène, de façon à ne pasgêner la vue des spectateurs. Imaginez-vous pour un instant lesentiment d’avoir six comédiens en état de jeu qui vous fixentintensément en suivant le moindre de vos gestes! Car bien qu’ilsaient mémorisé le texte, ils n’avaient pas nécessairement mémorisétoutes les nuances et les divers changements de rythme. Cet échan-ge d’énergie créatrice donnait au spectacle un souffle nouveau àchaque représentation.

En plus de nous avoir servi une œuvre littéraire monstre,Patrick ne s’est pas gêné pour nous concocter une scénographie toutaussi spectaculaire. On pouvait voir trois cents pieux en forme depics mesurant de 4 à 9 pieds plantés dans une plate-forme géante etformant une forêt à l’allure peu rassurante. À l’arrière-scène, unécran géant branché en « faux » direct sur Internet contribuait nonseulement à évoquer l’univers cybernétique, mais aussi à ponctuer lejeu rythmique, puisque le montage visuel était synchronisé avec lesvoix. Cet écran nous a également permis un générique à la « façoncinéma », par lequel on pouvait voir les comédiens et les concep-teurs au travail avec, en accompagnement, une chanson qu’on avaitenregistrée en studio. En haut, en avant-scène, un autre écranservait aux surtitres français du texte d’un personnage British (laCommentatrice) qui se trouvait à l’écart des spectateurs, côté jardin.Avec ce personnage, l’auteur s’est assuré d’anticiper, au fur et à me-sure, tout ce qui pourrait passer par la tête des spectateurs pendantle spectacle, y compris les critiques…

Je tiens à remercier l’équipe des comédiens qui ont humble-ment accepté de se livrer à ces « expérimentations » théâtrales. Il n’apas toujours été facile d’y croire. Je le sais. Merci d’être restés. Vousétiez magnifiques le soir de première à l’Espace libre.

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Le rêve totalitaire de dieu l’amibe aura été « la » productiontémoin de mes folies de jeunesse. Une production qui aura enivréses créateurs jusqu’au déficit, mais qui, dans les annales de La Cata-pulte, s’imposera à titre de production d’un texte « impossible »,créé à partir d’un concept « impossible » dans une mise en scènetotalement « impossible ». L’auteur et moi-même rêvions secrète-ment de commettre une révolution théâtrale. Ah! jeunesse, quandtu nous tiens!

Merci Patrick de m’avoir invitée à rêver la révolution avec toi.On se racontait de belles histoires. Ces histoires de guerre, decatapulte, de boulet de feu et de canon me manquent. Ce spectaclerestera dans ma mémoire une œuvre empreinte d’idéaux. On avaitquelque chose à défendre. Un jour, j’ai entendu ma mère dire :« Peu importe en quoi tu crois, au moins crois en quelque chose! »Puisse-t-on ne pas perdre ce désir d’idéal avec le temps qui passe.

ANNE-MARIE WHITE

Montréal, automne 2002

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LE RÊVE TOTALITAIRE DE DIEU L’AMIBEa fait l’objet de plusieurs étapes de travail

avec des équipes distinctes :

1) En mars 1995 :Création de la 1re version de la pièce

par le collectif Le Boulet de feu dirigé par Anne-Marie WHITEAvec :

Annick LÉGER, dieu l’amibeHenry GAUTHIER, l’ombre du lecteur anglais

Mario GENDRON, AimsiSasha DOMINIQUE, Solange/BIG GUY

Chantal AUBUT, OliviaMusique et environnement sonore de Dominique SAINT-PIERRE

Photos et scénographie de Jean RENÉRégie de Janick ARTAUD

2) En août 1995 :Création de la 2e version de la pièce

par le Théâtre la Catapulte au Festival Fringe Nord à Sudburyet au Festival Carrefour Théâtre de Saint-Lambert,

Mise en scène d’Anne-Marie WHITEAvec :

Annick LÉGER, dieu l’amibeVincent LECLERC, l’ombre du lecteur anglais

Mario GENDRON, AimsiSuzie MARCHAND, Solange/BIG GUY

Chantal AUBUT, OliviaAnne-Marie WHITE, chef d’orchestre

3) En novembre 1996 :Création de la 3e version de la pièce par le Théâtre la Catapulteen coproduction avec le Festival des 20 jours du théâtre à risque

à l’Espace libre, Montréal, présentée lors du Festival des 20 jours duthéâtre à risque, précédée d’une avant-première publique

au Centre Ville-Joie, Sainte-Thérèse à Hull.Texte et direction artistique : Patrick LEROUX

Mise en rythme et direction d’acteurs : Anne-Marie WHITE

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Avec :Nickie BRODIE, la CommentatriceMarc-André CHARETTE, chœur

Sasha DOMINIQUE, Solange/BIG GUYMario GENDRON, Aimsi

Marie-Christine LÊ-HUU, OliviaVincent LECLERC, dieu l’amibe

Simon Pierre PERREAULT, bedi∂rLyne VAILLANCOURT, chœur

Anne-Marie WHITE, chef d’orchestreLa régie était de Francine LAPOINTE

La direction de production de Pierre-Paul CORMIERLa direction technique et les éclairages de Mark DELORME

L’environnement sonore de Marcel AYMARLa scénographie de Patrick LEROUX et de Cathy MITCHELL

La réalisation vidéo, les projections et les surtitres de SimonCOULOMBE

L’opérateur vidéo : Claude FAUCONLes costumes étaient de Simone MacANDREW

L’équipe de création d’origine ainsi que l’auteur ont bénéficié du pro-gramme « Jeunes volontaires » du ministère québécois du Loisir, de laChasse et de la Pêche. L’auteur a également bénéficié de l’appui du Conseildes arts de l’Ontario pour les versions subséquentes de la pièce et, par sonProgramme d’aide à la production, de l’appui du Conseil des Arts duCanada.

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Qu’est-ce en effet que l’homme absurde?Celui qui, sans le nier, ne fait rien pour l’éternel.

Albert Camus, Le mythe de Sisyphe

Les solitaires qui ne savent Pourquoi –Sont – les exilés de l’Est –

Qui franchirent la ligne d’AmbreUn jour de trop folle Fête –

Et depuis lors – cherchent à gravirEn vain – le fossé pourpre

Tels des oiseaux – tombés des nuagesRetrouvent mal le chant –

Emily Dickinson(traduction de Pierre Nepveu)

lazmoitoidloghelanghan ourptfizniglitipiliafauchéghoglolgrégalduzuzhéhométafoilapérouachwouagligd

rumina fanferlin ouptin iglou stouplumniumn uculuculiculenculaglumenclumnostrovlidéjéjaujouir

Claude Gauvreau, Jappements à la lune

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PHOTOGRAPHIES

1 Page [1]. Anne-Marie White et Patrick Leroux rêvent au Rêve.1996.

2 Page [54]. LA COMMENTATRICE : « They’re lonesome, theyhurt. Oh emptiness... » À l’avant-plan : Nickie Brodie.

3 Page [84]. « Le rap du doute théologique ». De gauche àdroite : Nickie Brodie, Lyne Vaillancourt, Anne-Marie White,Simon-Pierre Perrault, Mario Gendron, Sasha Dominique,Marie-Christine Lê-huu et Marc-André Charette.

4 Page [100]. SOLANGE : « Ne faites pas attention à moi, / Jen’ai rien à dire. » À l’avant-plan, de dos : Anne-Marie Whitequi dirige les voix.

5 Page [136]. DIEU L’AMIBE : « Ma Solange, ma brebis... / T’assoif, tu dis, / T’as soif de religiosité / Peut-être? » À l’avant-plan : Vincent Leclerc et Sasha Dominique.

6 Page [159]. OLIVIA et AIMSI : « Bravo, dieu! / Tu l’as, l’affai-re, dieu! / Bravo! » À l’avant-plan : Nickie Brodie et Simon-Pierre Perrault. À l’arrière-plan : Vincent Leclerc, Marie-Christine Lê-huu, Mario Gendron, Lyne Vaillancourt, Marc-André Charette et Sasha Dominique.

7 Page [176]. Patrick Leroux et Anne-Marie White rêventéveillés. 1996.

Crédit photographique : Raymond CharetteLes photos 2 à 6 ont été prises lors de la 3e version de la pièce, jouéeen novembre 1996.

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PRÉLUDE

UN JOUR JE SERAI LIBRE! (chanson)

(Chant religieux. Sur l’air du gospel bélizien traditionnel : « I’mGonna Be Ready ».)

(Refrain)

DIEU L’AMIBEUn jour, je serai libre!

SOLANGE, OLIVIA et AIMSILibre enfin, je serai libre!

DIEU L’AMIBEUn jour, je serai libre!

SOLANGE, OLIVIA et AIMSIUn jour, je serai libre;

Je regagnerai mes pénates.Si seulement je savais mieux m’y prendre.

DIEU L’AMIBEUn jour…

SOLANGE, OLIVIA et AIMSIJe ferais n’importe quoi.

DIEU L’AMIBEVraiment?

SOLANGE, OLIVIA et AIMSIJe vous le jure : n’importe quoi.

DIEU L’AMIBEComme quoi?

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SOLANGE, OLIVIA et AIMSIJe lécherais l’oreille du diable.

DIEU L’AMIBEC’est tout?

SOLANGE, OLIVIA et AIMSIJe me mutilerais le corps.

DIEU L’AMIBEPas mal.

SOLANGE, OLIVIA et AIMSIDis-moi quoi faire enfin pour être libre!

DIEU L’AMIBEUn jour je serai libre!

SOLANGE, OLIVIA et AIMSILibre enfin, je serai libre!

(Reprendre depuis le début et ensuite enchaîner avec ce qui suit.)

DIEU L’AMIBECalmez-vous, mes brebis…

SOLANGE, OLIVIA et AIMSIBroute bêle broute.

DIEU L’AMIBEIl m’est venu une idée folle…

SOLANGE, OLIVIA ET AIMSIBroute bêle broute.

DIEU L’AMIBEUne histoire pas possible…

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Extrait de la publication

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SOLANGE, OLIVIA et AIMSIBroute bêle broute.

DIEU L’AMIBEÀ vous garder réveillées!

SOLANGE, OLIVIA et AIMSIAh! Ah! Ah! Ah!

DIEU L’AMIBENous sommes seuls, rien à faire!

SOLANGE, OLIVIA et AIMSINous, y’a rien à faire.

DIEU L’AMIBEMoi aussi, je me tourne les pouces.

SOLANGE, OLIVIA et AIMSINon, y’a rien à faire.

DIEU L’AMIBED’où l’idée d’un monstre sacré.

SOLANGE, OLIVIA et AIMSINon, y’a rien à faire.

DIEU L’AMIBEQu’on pourrait adorer!

SOLANGE, OLIVIA et AIMSIA-do-rer!

Un jour, je serai libre!

(Reprise du refrain.)

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SOLANGE, OLIVIA et AIMSIDis-moi quoi faire enfin pour être libre!Dis-moi quoi faire enfin pour être libre!

DIEU L’AMIBETendres agneaux!

(Noir. Changement de décor. Changement de ton. Cela deviendraterriblement ascétique et angoissant.)

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