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FiLLeS eT mAThS : une equATiOn LumineuSe Annick BoIssEAu Véronique sLoVACEk-ChAuVEAu Pour femmes et mathématiques reperes - irem. N° 104 - juillet 2016 A l’opposé, certaines études 1 ont montré le renforcement des stéréotypes de sexe dans les groupes mixtes, avec pour effet la diminu- tion des performances scolaires — des gar- çons dans les matières dites « féminines » et des filles dans les matières dites « masculines » — , ainsi que, pour ces dernières, une détériora- tion de l’estime de soi. Pour autant, il ne s’agit pas, pour nous, de prôner un retour à des classes non mixtes. La mixité nous semble nécessaire pour progresser vers l’égalité mais elle n’est pas suffisante et doit être accompagnée. Le temps d’une journée, nous tenons, simplement, à manifester à ces jeunes filles un intérêt spéci- Depuis 2009, les associations Animath et femmes et mathématiques organisent des journées intitulées « Filles et mathéma- tiques : une équation lumineuse », destinées exclusivement aux filles, de Troisième et seconde, ou bien de Première s et Termina- le s ou même de classes préparatoires ou en licences scientifiques. La mixité à l’école nous semble un acquis tellement important et relativement récent (loi haby juillet 1975) qu’il peut paraître étonnant, voire rétrograde, que nos deux associations organisent des journées réservées aux jeunes filles. La mixité suscite encore des débats et même des polémiques. Pour beaucoup, la mixité suffirait à réali- ser l’égalité des sexes à l’école. Il suffit de regarder les choix d’orientation différenciés des filles et des garçons pour comprendre que ce n’est pas aussi simple. 73 1 marie Duru-Bellat, Ce que la mixité fait aux élèves, revue de l’oFCE n° 114, juillet 2010 http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/10-114.pdf

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Annick BoIssEAuVéronique sLoVACEk-ChAuVEAu

Pour femmes et mathématiques

reperes - irem. N° 104 - juillet 2016

A l’opposé, certaines études 1 ont montréle renforcement des stéréotypes de sexe dansles groupes mixtes, avec pour effet la diminu-tion des performances scolaires — des gar-çons dans les matières dites « féminines » et desfilles dans les matières dites « masculines » —, ainsi que, pour ces dernières, une détériora-tion de l’estime de soi.

Pour autant, il ne s’agit pas, pour nous, deprôner un retour à des classes non mixtes.

La mixité nous semble nécessaire pourprogresser vers l’égalité mais elle n’est passuffisante et doit être accompagnée. Le tempsd’une journée, nous tenons, simplement, àmanifester à ces jeunes filles un intérêt spéci-

Depuis 2009, les associations Animath etfemmes et mathématiques organisent desjournées intitulées «  Filles et mathéma-tiques : une équation lumineuse », destinéesexclusivement aux filles, de Troisième etseconde, ou bien de Première s et Termina-le s ou même de classes préparatoires ou enlicences scientifiques.

La mixité à l’école nous semble un acquistellement important et relativement récent (loihaby juillet 1975) qu’il peut paraître étonnant,voire rétrograde, que nos deux associationsorganisent des journées réservées aux jeunes filles. La mixité suscite encore des débats et même despolémiques.

Pour beaucoup, la mixité suffirait à réali-ser l’égalité des sexes à l’école. Il suffit deregarder les choix d’orientation différenciésdes filles et des garçons pour comprendre quece n’est pas aussi simple.

73

1 marie Duru-Bellat, Ce que la mixité fait aux élèves,revue de l’oFCE n° 114, juillet 2010 http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/10-114.pdf

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fique. un temps de liberté accordé pour leur per-mettre de réfléchir sereinement à leur avenir etde parler librement.

Parce que les filles n’ont pas les mêmes par-cours scolaires que les garçons, parce que lesstéréotypes véhiculés par la société sur les rôleset les compétences différenciés selon le sexe sontintériorisés, parce qu’à niveau égal, elles ne s’enga-gent pas autant que les garçons dans les filièresscientifiques, il est nécessaire de les encoura-ger et de leur donner confiance.

Mais pourquoi vouloir plus de femmes dans les métiers scientifiques et techniques ?

Il n’est pas possible de garantir à un-ejeune lycéen-ne qu’elle ou il trouvera à coupsûr du travail après un certain type d’études.Néanmoins, des tendances se manifestentdepuis bon nombre d’années. Des études pros-pectives 2 permettent d’évaluer les besoins enpersonnel de différentes branches de l’écono-mie dans les années à venir. Parmi les domainesprofessionnels où les créations d’emplois seronten hausse, sont mentionnés «  ingénieurs etcadres techniques de l’industrie  », «  ensei-gnement-formation »… Il est clair que les pro-fessions scientifiques et techniques sont por-teuses d’emplois d’avenir car notre société,dont la technicité augmente, a de plus en plusbesoin de profils de ce type.

La société du XXIème siècle est confron-tée à de grands défis : ressources en eau, éner-gie et alimentation  ; réchauffement clima-tique ; développement durable ; communicationet connaissance ; santé ; etc. relever ces défisexige la mise en œuvre de connaissances scien-tifiques et de solutions technologiques lesplus avancées, et pour cela des personnelsqualifiés, avec la plus grande diversité decompétences, de qualités, donc incluant autantles femmes que les hommes. or des inquiétudes

se font jour sur le remplacement des scientifiqueslors du départ massif à la retraite de la généra-tion née après la seconde guerre mondiale.

« Les choix d’orientation des bacheliers s sontde plus en plus dispersés. Ils se dirigent demoins en moins vers les formations scienti-fiques traditionnelles. Dans le même temps,ils vont de plus en plus souvent en médecine (oupharmacie) ou dans les écoles recrutant aprèsle baccalauréat dans des domaines très variés.Ces évolutions concernent tous les lauréats dela série s, quelle que soit leur spécialité ou leurmention mais ces évolutions sont encore plusmarquées chez les filles (…) Les écarts dans leschoix d’orientation qu’ils font tendent a secreuser. Les filles sont ainsi deux fois plusnombreuses a opter pour une formation dudomaine médical ou paramédical que les gar-çons (37 % contre 18 %). La moitie des garçonss’engagent dans une filière scientifique tradi-tionnelle : l’écart est surtout important surl’orientation en CPgE scientifiques, dans les IuTindustriels ou les premiers cycles d’écolesd’ingénieurs, très peu choisis par les filles ». (Noted’Information 12.10, mEN-DEPP, août 2012)

Quelles explications 3 pouvons-nous avancer ?

La première est que les métiers scientifiquessont mal connus, peu valorisés. Les jeunes, filleset garçons, en entendent peu parler et n’ont pasconscience de leur intérêt et de leur diversité.

2 Les métiers en 2022, rapport du groupe Prospectivedes métiers et qualifications, avril 2015. rapport réalisé conjoin-tement par France stratégie et la Direction de l’animationde la recherche, des etudes et des statistiques (Dares)http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs_rapport_metiers_en_2022_27042015_final.pdf3 Nicole mosconi. * Comment les pratiques enseignantesfabriquent de l’inégalité entre les sexes. Les Dossiers dessciences de l’éducation, 5. (2001)* De l’inégalité des sexes dans l’éducation familiale et sco-laire. Ville, école, Intégration – Diversité, 138, 15-22. (2004)

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De plus, les stéréotypes sexistes ont la viedure. Parents, enseignants, spécialistes del’orientation et élèves sont plus ou moins per-suadés, même inconsciemment, que les disci-plines et les métiers sont « sexués ». Les dif-férents acteurs de l’éducation sont égalementimprégnés de ces stéréotypes. Certain-e-s ensei-gnant-e-s portent moins d’attention aux habi-letés en sciences des filles que des garçons, neles incitent pas à s’exprimer autant que les gar-çons en cours de sciences. sans aller jusqu’àdécourager les filles, ces enseignant-e-s etconseillers d’orientation (hommes ou femmes)ne mettent pas autant d’efforts à encourager lesfilles que les garçons à s’orienter vers lessciences et les techniques.

Il n’est pas question de critiquer, d’accu-ser, de chercher des coupables. mais il s’agitplutôt de prendre conscience, d’avoir en tête toutesles formes que peut prendre le sexisme ordinairedans le monde éducatif et d’en tenir compte. Lesinégalités de sexe qui perdurent dans notre sys-tème scolaire ne résultent pas d’une mauvaise

volonté délibérée des acteurs et actrices du sys-tème éducatif. Bien au contraire, ils/elles sontplutôt animé-e-s, dans leur majorité, par unsouci d’égalité mais ils/elles manquent de tempset d’outils pour s’interroger efficacement. Deplus la formation, aussi bien initiale que conti-nue, reste inexistante.

Le corps enseignant partage avec la socié-té dans laquelle il vit les conceptions du mas-culin et du Féminin, les représentations sexuéesdes disciplines, celles des métiers, des rôlessociaux et familiaux. Et il ne les abandonne pasen entrant dans un établissement scolaire. Quantaux manuels scolaires4 de mathématiques, les

4 une analyse des manuels de mathématiques par le centrehubertine Auclert  sur  : http://www.centre-hubertine-auclert.fr/outil/les-representations-sexuees-dans-les-manuels-de-mathematiques-de-terminale-etudeEt le rapport d’information n° 645 (2013-2014) du sénat :Lutter contre les stéréotypes sexistes dans les manuelsscolaires : faire de l’école un creuset de l’égalité surhttp://www.senat.fr/rap/r13-645/r13-645.html

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filles y sont moins souvent représentées et lesénoncés des exercices sont très conformes auxstéréotypes sexués : on en trouvera une illus-tration dans le livre de maths de Ts chez hachet-te, collection repères (figure 1).

Cette division sexuée des compétencesentre garçons et filles n’est d’ailleurs pas res-treinte aux livres de sciences  : son écho serépercute dans les exemples des livres d’anglaisou les textes étudiés en cours de français. Lesfilles enregistrent tous les signaux émis par lesdifférents acteurs de la société. Elles sont sou-mises aux stéréotypes de façon insidieuse et sys-tématique, à dose homéopathique.

soulignons que les programmes scolairesne sont pas étrangers à cet état de fait. unexemple récent : jamais une auteure n’a été auprogramme de littérature en terminale L. Voirle texte de la pétition  sur https://www.chan-

ge.org/p/najatvb-donnez-leur-place-aux-femmes-dans-les-programmes-de-litt%C3%A9rature-au-bac-l

En 2014 et 2015, dix-sept associations,dont femmes et mathématiques, ont tenté envain d’alerter le conseil supérieur des pro-grammes 5 sur cette question.

Comment agissent les stéréotypes ? Qu’appelle-t-on « menace du stéréotype » ?

Les stéréotypes sociaux sont des croyancespartagées, à des degrés divers, par les per-

Figure 1 – Livre de mathématiques Ts Enseignements spécifique et spécialité, édition hachette, collection repères, année 2012

5 Audition au sénat par marie-Christine Blandin des repré-sentant-e-s des 17 associations : http://www.anef.org/wp-content/uploads/2016/02/Doc-3_CsP_se%CC%81nat_Cr-Vd_17-association.pdfLettre ouverte au CsP du 19 octobre 2015 :http://reussirlegalitefh.eu/media/files/Lettre%20ouver-te%20CsP%20octobre%202015%281%29.pdf

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sonnes, les membres d’une société sur les attri-buts, les caractéristiques personnelles, les com-portements que sont censés posséder ou produireles personnes qui appartiennent à un mêmegroupe. on attribue aux membres de ce grou-pe cet ensemble de caractéristiques qui serontconsidérées comme typiques du groupe.

une idée très répandue dans nos sociétés :l’infériorité des femmes (et des filles) relativementaux hommes (aux garçons) en mathématiqueset plus largement dans les disciplines scienti-fiques et techniques.

or les stéréotypes sociaux de sexe nous sonttransmis depuis le plus jeune âge par les parents,l’école, les médias, la société tout entière.

Dans le cadre de son enseignement, VirginieBonnot, enseignante-chercheuse en psycholo-gie sociale à l’université Paris Descartes, asoumis des étudiantes en psychologie sociale,qui le plus souvent s’estiment ‘nulles en maths’,à un test de statistiques présenté comme une éva-luation de leur niveau et avant lequel il leur estaffirmé soit que « dans cette faculté, les étudiantspensent que les femmes et les hommes sont aussibons en maths », soit que « dans cette faculté,les étudiants pensent que les femmes sont moinsbonnes ». Les performances du premier grou-pe se sont révélées bien meilleures que cellesdu second.

Quand l’environnement apparaît inégalitaire,les femmes adhèrent plus au stéréotype, se per-çoivent comme moins compétentes en mathé-matiques, et réalisent de moins bonnes perfor-mances que lorsque l’environnement se révèleplus égalitaire.

Voici un autre exemple 6 : des étudiants,femmes et hommes, de l’université de stanfordsuivant un cursus de mathématiques de haut niveausont soumis a une série de tests mathématiques

très difficiles. Deux groupes de niveaux équi-valents sont constitués. L’un des groupes passeles tests  en situation standard d’évaluation.Quant à l’autre groupe, on lui fait savoir qu’onn’observe pas de différences de performancesentre les femmes et les hommes. Cela suffit àmodifier les résultats : on voit de gros écarts deperformance entre les femmes et les hommesdans le premier groupe et les écarts sont infimesdans le 2ème groupe.

Les exemples sont nombreux et aboutis-sent toujours au même résultat. Commentl’expliquer ?

La notion d’intériorisation des stéréotypespermet d’expliquer leur impact sur nos com-portements. si les femmes se croient elles-mêmes moins compétentes que les hommes enmathématiques, elles vont effectivement obte-nir de moins bons résultats. Pour reprendrel’exemple de nos étudiantes en psychologie, ellesarrivent avec l’idée qu’elles ne sont pas faitespour les statistiques, qu’elles ne sont pasbonnes. Elles pensent «  ça m’ennuie, je nesuis pas bonne, je ne vais pas y arriver  »  :cette « rumination », appelée « pensées inter-férentes », empêche la personne de se concen-trer complètement sur ce qu’elle est en train defaire. Ce sont des doutes qui viennent finale-ment interférer avec la concentration sur latâche en elle-même.

une autre notion, celle de menace du sté-réotype, montre que, même en l’absence d’inté-riorisation, chez des femmes ou des filles quirejettent complètement le stéréotype ou quiconsidèrent qu’il ne s’applique pas à elles,celui-ci peut faire des dégâts. En effet, certains

6 (steele, C. m., & Aronson, J. (1995). stereotype threatand the intellectual test performance of African-Americans.Journal of Personality and Social Psychology, 69, 797-811).

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contextes peuvent les amener à penser qu’ellesseront potentiellement jugées par le biais de cestéréotype. Par exemple, dans les écoles oùelles sont peu représentées, le fait de passer unexamen entourées de garçons peut avoir uneffet délétère parce qu’elles peuvent penserque leurs performances vont être comparées àcelles des garçons. Ce type de contexte peutconduire à une baisse de leurs performances alorsque dans d’autres contextes elles obtiendraientles mêmes résultats que les garçons. 

La menace du stéréotype mise en éviden-ce par steele & Aronson 7 en 1995 corresponda la crainte qu’un individu, appartenant a un grou-pe négativement stéréotype, peut ressentir lors-qu’il risque de confirmer, par sa performanceou son comportement, le stéréotype négatifassocie a son groupe. Cette crainte, en retour,le mènerait involontairement a confirmer lestéréotype. Le fonctionnement cognitif desmembres des groupes stigmatisés serait altéréuniquement lorsque la situation rend saillant lestéréotype négatif associé à leur groupe. Ainsi,les différences observées entre les membresdes groupes négativement stéréotypés et lesautres dépendent en partie de la situation commele montrent les exemples précédents, quand legroupe stigmatisé est le groupe des femmes etle stéréotype négatif est la moindre compéten-ce des femmes en maths.

une analyse à partir des résultats de l’enquê-te Pisa 2012 portant sur « des élèves » en géné-ral, sans distinction entre filles et garçons :

« La corrélation entre l’efficacité perçue enmathématiques et la performance dans cettematière se renforce mutuellement. Tandisqu’une meilleure performance en mathéma-tiques entraîne un niveau supérieur d’effica-cité perçue, les élèves présentant un niveauinférieur d’efficacité perçue en mathéma-tiques sont quant à eux plus susceptiblesd’être peu performants dans cette matière, indé-pendamment de leurs capacités réelles.

si les élèves ne croient pas en leur capa-cité à mener à bien certaines tâches, ils nedéploieront pas les efforts nécessaires poury parvenir ; un niveau insuffisant d’efficaci-té perçue devient alors une prophétie auto-réa-lisatrice. » 8

Ce constat met bien en évidence que les filles,étant doublement amenées à douter de leurs capa-cités dès leur plus jeune âge et surtout à partirde l’adolescence, se trouvent majoritairementdans une situation de retrait ou de refus par rap-port à cette matière considérée comme mascu-line que sont les mathématiques.

Quels sont les objectifs de nos journées ?

D’une part, nous cherchons à aider lesjeunes filles à dépasser leur représentationdes métiers scientifiques et techniques, à nepas minorer leurs ambitions, à leur ouvrirl’éventail des choix possibles vers les filièresscientifiques.

Pour cela, nous leur donnons l’occasion derencontrer des jeunes femmes scientifiques,qui deviennent des modèles accessibles en leurracontant leur parcours, en essayant de leurtransmettre le goût des sciences et de les infor-mer sur les débouchés concrets qu’offrent desétudes scientifiques.

D’autre part, nous essayons à la fois deles aider à prendre confiance en elles, de leur

7 et reprise par J-P LEVENs, J.-C. CroIZET, m. DEsErT,La menace du stéréotype : une interaction entre situationet identité, in L’année psychologique, année 2002http://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_2002_num_102_3_29606.8 Pisa à la loupe – octobre 2015 – 56 http://www.oecd.org/pisa/pisaproducts/pisainfocus/pisa-in-focus-n56-%28fre%29-final.pdf

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faire prendre conscience des stéréotypessociaux de sexe dont nous sommes toutes ettous imprégné-e-s et de leur rôle dans les« choix » d’orientation.

Comment se passe une journée ?

Le lieu où se déroule une journée est depréférence un établissement d’enseignementsupérieur. C’est une occasion pour les parti-cipantes de visiter et de se familiariser avecun lieu susceptible de les accueillir dans lesannées à venir.

Le programme de la journée est structurésur le modèle suivant :

• une promenade mathématique, conféren-ce donnée par une mathématicienne,

• un atelier de réflexion autour des mathé-matiques, des métiers sur lesquels peuventdéboucher ces études, des idées reçues surcelles et ceux qui en font,

• un repas offert aux participantes,

• plusieurs temps d’échanges en petits groupesentre les jeunes filles et les femmes scien-tifiques présentes sur leurs parcours, leursmotivations, leurs expériences, etc.

• une pièce de théâtre-forum, intitulée Déri-vée, proposée par la compagnie LAPs/équi-pe du matin.

La promenade mathématique

La conférencière présente un aspect de sontravail de recherche, en l’adaptant au niveau desélèves et en le reliant à des problématiquescontemporaines.

Cette partie, proposée en début de journée,est souvent considérée comme trop théoriquepar les jeunes filles. Il nous semble néanmoinsimportant de leur montrer que les mathématiques

sont vivantes et en plein développement, qu’ilexiste des femmes, jeunes ou moins jeunes,ayant décidé de se lancer dans ce domaine etqu’elles y réussissent.

Les speed meetings

Ils constituent un moment privilégié oùles jeunes filles, réparties en petits groupes, seretrouvent autour d’une femme exerçant unmétier scientifique et volontaire pour venir à larencontre des jeunes. Au bout d’une vingtainede minutes, les interlocutrices changent degroupe, ce qui permet aux filles de découvrirdes profils et des métiers différents. A chaquefois, la discussion s’engage d’abord timide-ment entre les participantes, puis les échangesdeviennent riches et constructifs. Les jeunes fillesapprécient la proximité et la disponibilité de leursinterlocutrices.

Les ateliers

La forme et les thèmes varient selon les choixdes organisatrices. Ils sont menés de manièreinteractive et ont pour but de faire prendreconscience, puis de tenter de déconstruire lesstéréotypes sexistes associés aux mathéma-tiques, aux sciences, aux métiers scientifiquesou non, aux personnes qui les exercent.

Le plus souvent, les animatrices de cesateliers proposent une réflexion à partir dedocuments, d’abord individuelle ou en binôme,puis par groupes de façon à faire émerger desquestions, des idées, des prises de conscienceet à provoquer un débat. Comme point dedépart, la publicité fournit des exemples tout àfait significatifs, en particulier celles de laCommission européenne en 2012 :

https://www.youtube.com/watch?v=gmoqpxlW66E

ou de l’Education Nationale en 2011  : voirfigure 2.

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La pièce de théâtre

Le théâtre-forum est une technique dethéâtre mise au point dans les années 1960 parl’homme de théâtre brésilien Augusto Boal,dans les favelas de são Paulo. La meneu-se/le meneur de jeu expose les règles du jeuet présente les comédiennes et les comé-diens, puis les personnages de la pièce. Ensui-te, la pièce est jouée.

Dérivée, c’est le chemin d’Alice, une élèvede Terminale s. Alors qu’elle planche sur uncontrôle de maths avec Bob et Ève, ses amis, lespensées d’Alice se mettent à danser dans satête et l’empêchent de se concentrer. Ces der-

niers jours, sa confiance en elle a été mise à mal.Autour d’elle, sa famille, ses amis, le monde entier,jusque dans ses pires cauchemars, se sont liguéspour lui montrer que les mathématiques ne sontpas faites pour les femmes... et réciproque-ment ! or, jusqu’à ce lundi matin, les mathsont toujours été le pays d’Alice... (voir figure 3)

« Lundi matin, contrôle : les complexes.Quand une équation n’a pas de solution...Pas de solution. Pas d’espace dans ma tête pourles nombres imaginaires. Quant à mon ima-ginaire...».

A la fin de la représentation, le meneur/lameneuse de jeu revient et invite les spec-

Figure 2

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tatrices et spectateurs à réagir à chaud surles comportements des personnages et àvenir sur scène pour proposer une autreversion de certaines séquences choisiesselon les réactions du public. La partieimprovisée est lancée.

L’évaluation

A leur arrivée, la plupart des filles rejet-te la réalité des stéréotypes de sexe, pensantqu’elles ne sont pas personnellement concer-nées et qu’il s’agit « d’exagérations » ne cor-respondant plus à la réalité d’aujourd’hui dansle monde des études supérieures et celuidu travail.

A la fin de chaque journée, les partici-pantes répondent à un questionnaire de satis-faction. globalement, les élèves sont trèscontentes d’avoir participé à une journée etnous remercient chaleureusement. La grande majo-rité d’entre elles sont volontaires pour partici-per à une telle journée même si l’initiative deleur participation émane de leur.s professeur.e.s.En général, elles apprécient les mathématiqueset les sciences.

Certaines suggèrent de faire participer deshommes/garçons aux journées, pour avoir leurpoint de vue sur les stéréotypes et « pour abo-lir les clichés liés aux sciences aussi auprèsdes garçons ».

Figure 3

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La conférence, la ‘promenade mathématique’,malgré les différents thèmes abordés et les dif-férentes oratrices, est souvent jugée trop longueet/ou trop difficile. Les rencontres informelles,par petits groupes, avec des femmes scientifiquessont très appréciées : pouvoir échanger libre-ment avec des femmes, la plupart jeunes, décri-vant leur vie professionnelle mais aussi leursétudes secondaires et supérieures apporte auxfilles une ouverture sur une diversité de parcoursqu’elles ne soupçonnaient pas, la découverte demétiers qu’elles ne connaissaient pas et desdifficultés d’orientation que leurs aînées ont purencontrer quand elles avaient leur âge.

Quant à la pièce de théâtre, c’est toujoursla partie préférée des jeunes filles. Elles peu-vent nier les stéréotypes et s’impliquer vraimentdans la partie « forum » après la pièce. Il ne s’agitplus d’elles directement mais des personnagesde la pièce. Elles peuvent tester des comporte-ments auxquels elles n’auraient pas pensé ouqu’elles n’auraient pas osés dans leur vie per-sonnelle, voire se glisser dans un autre per-sonnage tel que le frère, la mère, etc.

Leur opinion sur la présence et l’impact desstéréotypes évolue au cours de la journée. Leurstémoignages expriment souvent une prise deconscience.

Quelques exemples :

Leurs réactions au cours de la journée,leurs avis recueillis au final sont importants. Ilsnous ont d’ailleurs permis de réagir très vite etde transformer la deuxième conférence initia-lement proposée, qui avait pour ambition de pré-senter et expliquer les choix d’orientation dif-férenciés filles/garçons en un atelier participatif.

A la rentrée scolaire 2015, une trentaine dejournées ont été réalisées. Nous souhaitons enfaire une évaluation plus fine et organiser un suivides participantes pour tenter d’en mesurerl’impact sur leurs choix d’orientation.

Afin de mettre en place une évaluationplus élaborée et d’apporter un étayage théoriqueaux différentes étapes de nos journées, nous avonspris contact avec la chercheuse en psychologiesociale, Virginie Bonnot.

La psychologie sociale est l’étude de lafaçon dont nos pensées, sentiments, compor-tements sont influencés par autrui, par les situa-tions et les contextes sociaux dans lesquelsnous nous trouvons.

En conclusion

Les statistiques9 montrent que, depuis plu-sieurs années, la proportion de filles en Tsstagne autour de 46%, que celle des femmes dansla recherche en mathématiques fondamentaleset en informatique diminue. La plupart deschercheuses partant à la retraite ne sont pas

9 Filles et garçons sur le chemin de l’égalité de l’école àl’enseignement supérieurhttp://cache.media.education.gouv.fr/file/2016/40/1/Fet

g_2016_542401.pdfPoint sur la parité en mathématiques, Christian Cassel,INsmI

http://www.cnrs.fr/insmi/Img/pdf/Parite_reunion-Du290312-2.pdf

Evolution du recrutement en mathématiques fondamentales http://www.femmes-et-maths.fr/?page_id=2213

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remplacées ou le sont par des hommes. Lesjeunes femmes d’aujourd’hui seraient-ellesmoins performantes que leurs ainées ?

Nous sommes convaincues qu’il est indis-pensable d’agir pour faire évoluer cet état de fait,pour qu’enfin les futurs adultes, femmes ethommes, reçoivent la même formation enmathématiques à la fois pour leur développe-ment et satisfaction personnels, mais aussi pourleur égal accès aux professions auxquelles ellesconduisent.

Les journées « Filles et mathématiques : uneéquation lumineuse » ne sont qu’un aspect denotre démarche. Elles ne suffiront pas à ellesseules à améliorer la situation.

D’autre part, dans la mesure de nos moyens,très limités financièrement, nous agissons danstoutes les directions possibles, en particulier auprèsdes ministères, des éditeurs de manuels scolaires,dans le monde universitaire avec le « Forumdes jeunes mathématiciennes », dans les col-lèges et lycées, et souvent en partenariat avec

d’autres structures, dont une réalisation récen-te est une formation en ligne (FLoT) intitulée« Etre en responsabilité demain : se former àl’égalité femmes-hommes » en ligne depuis juin2015, http://flot.sillages.info/?portfolio=se-former-a-legalite-femmes-hommes. Nous avonsaussi assuré en 2015 - 2016 une session de for-mation auprès de futur.e.s enseignant.e.s dansun EsPE.

La prise de conscience doit se généraliseret les actions pour lutter contre les stéréotypesde sexe s’étendre à l’ensemble de la société. Dansce contexte, le rôle de l’enseignement est fon-damental.

Chaque enseignante et enseignant de mathé-matiques, mais aussi des autres disciplines, duprimaire comme du secondaire, pourrait modi-fier sa pratique sans trop de difficulté, parexemple en précisant avant les évaluations queles filles ont autant de capacités à réussir queles garçons.

La responsabilité nous en incombe….

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FiLLes eT mAThs : uNe equATiON LumiNeuse

Bibliographie succincte

Sites

Convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes etles hommes dans le système éducatif, 2013-2018 egalite-filles-garcons.ac-creteil.fr/Img/pdf/Convention_egalite_filles_garcons_2013-2018.pdfmettre en place des actions pour favoriser l’égalité Filles=garçons. memento à l’usagedes chefs d’établissementhttp://www.centre-hubertine-auclert.fr/sites/default/files/fichiers/egalite-filles-garcons-memento.pdfLutter contre les stéréotypes filles-garçons. un enjeu d’égalité et de mixité dès l’enfance.rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, Paris, 2014http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/archives/CgsP_stereotypes_filles_garcons_web.pdfguide pratique pour une communication publique sans stéréotype de sexe, novembre2015http://femmes.gouv.fr/le-hcefh-presente-son-guide-pour-une-communication-publique-sans-stereotype-de-sexe/rapport relatif à la lutte contre les stéréotypesPour l’égalité femmes-hommes et contre les stéréotypes de sexe, conditionner lesfinancements publicsrapport n°2014-10-20-sTEr-013 publié le 20 octobre 2014http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/Img/pdf/rapport_hce-2014-1020-ster-013-3.pdf

Livres

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