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Institut Arabe des Chefs d’Entreprises
Quelles réformes pour le système financier tunisien :
Chokri Mammoghli / Abdelkader BOUDRIGA
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Au lendemain de grands bouleversements politiques et sociaux qui vont, sans aucun doute,
trouver un écho dans la sphère économique, de nombreuses institutions tunisiennes, du monde
académique, de celui des affaires ainsi que de la société civile sont en phase de réflexions afin
d’identifier les meilleures orientations qu’il convient de donner à différentes politiques
sectorielles telles que celle de l’investissement, du développement régional et de
l’aménagement du territoire, du commerce extérieur, de la fiscalité directe et indirecte ou de
la couverture sociale.
Quelles incitations faut-il mettre en place afin d’attirer les investissements dans certaines
régions et dans certains secteurs, faut-il encourager l’investissement dans les services, dans
l’industrie ou dans les activités primaires ? Faut-il encourager les IDE ou les investissements
de portefeuille ? Faut-il maintenir la politique d’ouverture commerciale actuelle avec l’UE en
poursuivant ainsi, les négociations dans le secteur des services, dans celui de l’agriculture et
des industries agro-alimentaires avec l’UE ? Quelles relations commerciales faut-il avoir avec
les pays de la Grande Zone Arabe de Libre Echange ? et avec ceux de l’Afrique Sub-
Saharienne ?
Telles sont quelques questions qui se posent et auxquelles il faut apporter des réponses
novatrices et au diapason des grands bouleversements qu’a connu le pays.
Ces réflexions sont d’autant plus importantes et opportunes qu’elles coïncident avec une
période charnière, historique même, du pays et qui est celle de la formation du premier
gouvernement issu des premières élections véritablement démocratiques.
Les questionnements portant sur le secteur financier et sur son évolution s’inscrivent, donc,
dans ce contexte spécifique révélateur d’une Tunisie nouvelle au lendemain de sa mutation.
Toute la sphère financière est, en effet, appelée à évoluer afin d’accompagner l’effort de
mobilisation des ressources internes et externes que va nécessiter le financement de la
croissance de l’économie nationale. Les questions qui se posent à ce niveau sont en rapport
avec :
• La nature du financement à encourager. Faut-il développer la finance directe, via le
marché boursier, au détriment de la finance d’intermédiation via le secteur bancaire?
• L’opportunité de la mise en place de barrières à l’entrée et/ou à la sortie des
investissements de portefeuilles,
• Le désengagement de l’Etat ou le renforcement de son rôle dans le secteur bancaire,
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• La structure du secteur et sa répartition en termes de banques nationales et de banques
étrangères,
• L’implantation des banques tunisiennes à l’étranger dans un effort
d’internationalisation des entreprises tunisiennes.
Ces interrogations portent également sur la gouvernance des banques. Il s’agit en effet de
d’imaginer le meilleur système de gouvernance permettant d’éviter de retomber dans les
dérives qui ont lieu par le passé. Cette gouvernance devrait également favoriser une célérité
dans la prise de décision ainsi que la responsabilisation des ressources humaines, de haut
niveau, dont regorge ce secteur.
Ces réflexions portent enfin sur l’opportunité du développement de nouveaux services
bancaires disponibles dans de très nombreux pays du monde arabo-musulman mais également
dans des régions à traditions différentes. Ces services sont ceux en rapport avec la finance
islamique. Celle-ci est-elle à même de contribuer à une meilleure bancarisation de la
population tunisienne et d’aider à une plus grande mobilisation de l’épargne ?
Le présent papier est une contribution à cet effort national de réflexion. Il ne prétend pas
répondre à toutes ces interrogations mais propose quelques pistes en partant de comparaisons
internationales avec des pays relativement similaires à la Tunisie.
Les réflexions sont en rapport avec :
• la structure du système financier dans sa globalité,
• La structure du système bancaire,
• La gouvernance de ce système,
• Le développement de nouveaux services et de nouvelles formes d’intermédiation.
I- Investissement de portefeuille ou financement bancaire ?
Le financement à travers le marché boursier constitue la seconde source de financement
majeur à coté du financement bancaire. Les entreprises peuvent en effet, sous certaines
conditions de taille, de performance financière et de statut juridique (SA notamment) recourir
à des émissions obligataires, à des émissions d’actions sur le marché primaire ou à des
émissions de titres hybrides (obligations convertibles en actions). En Tunisie cette forme de
financement, disons le directement et sans détour, n’a pas connu le succès rencontré dans
d’autres pays. Malgré toutes les incitations mises en place par les Autorités publiques pour
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promouvoir la finance directe et quoiqu’on en dise, cette politique n’a pas connu le succès
qu’elle mérite. Les raisons d’un tel échec sont connues des différents opérateurs du marché et
des Pouvoirs publics. Cette timide évolution de la finance directe incombe principalement à :
• Une certaine réticence de la part des entreprises privées, à divulguer les informations
obligatoires exigées par les autorités de marché ainsi que la discipline requise par le
marché en terme de délais et de transparence financière,
• Les entreprises privées tunisiennes sont pour leur majorité des sociétés familiales,
désireuses de maintenir l’anonymat sur leurs activités et entretenant généralement
d’excellentes relations avec leurs banquiers. Il va de soi que le recours au marché
boursier s’avère être une alternative non envisageable pour ces investisseurs,
• L’imposition des plus values latentes des anciens actionnaires lorsqu’il s’agit d’une
cession d’une partie du capital et non d’une augmentation de capital sur le marché
• Cette réticence est confortée, dans de nombreux cas (mais pas toujours), par un
comportement « non incitatif » et parfois agressif de la part des actionnaires
minoritaires lors des Assemblées Générales et au sein des Conseils d’Administration,
• Le faible nombre d’entreprises tunisiennes ayant la surface financière leur permettant
d’envisager sérieusement un financement par le marché,
• La réticence de la part des entreprises, à la séparation entre le management et
l’actionnariat, condition de succès d’un grand nombre d’entrées en bourse,
• La complexité perçue, des procédures administratives préalables à l’accès au
financement de marché. A titre d’exemple, citons les conditions d’approbation
d’émission d’emprunts obligataires (notation financière ou aval bancaire pour les
sociétés non financières).
• Le caractère tatillon des interventions de l’administration, notamment fiscale, dans la
conduite des entreprises cotées.
En revanche, les entrées en bourse sont motivées, notamment,
• par le faible taux d’impôt qui est appliqué aux entreprises durant les premières années
qui suivent leur entrée. La loi de finance 2010 relative à la restructuration des groupes
permettant l’exonération fiscale des plus values est venue consolider ces avantages et
incitations,
• par une volonté de protection contre les « prises de participations forcées ». De
nombreuses entreprises ayant été obligées, en effet, de céder une partie de leur capital
de manière « forcée ».
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Ce manque de succès se traduit par des indicateurs de développement boursiers, très en deçà
de ceux des pays similaires.
Le tableau 1 donne le rapport :(capitalisation boursière/PIB) pour la Tunisie ainsi que pour
différents pays similaires :
Tableau 1 : Capitalisation boursière en % du PIB
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Moy. (10 ans)
Egypte 32,3% 41,8% 66,1% 81,4% 91,2% 101,7% 114,0% 61,6%
Jordanie 89,0% 129,2% 222,9% 242,0% 225,2% 208,8% 192,7% 150,7%
Malaisie 141,4% 144,8% 136,6% 134,8% 156,0% 180,3% 210,6% 151,6%
Maroc 21,9% 34,0% 44,7% 59,0% 85,5% 124,0% 184,2% 63,6%
Tunisie 9,3% 9,1% 9,6% 11,9% 14,1% 16,6% 19,6% 12,8%
Turquie 16,9% 21,3% 27,0% 30,9% 34,3% 37,9% 41,9% 29,2%
Source :Banque Mondiale, 2011.
Il apparait ainsi que la Tunisie présente le rapport le plus faible parmi les cinq pays
considérés. La capitalisation boursière rapportée au PIB n’a représenté
approximativement que 20% de celui-ci, en 2009. Ce même indicateur a été, en moyenne,
de 13% sur la dernière décennie. Ce ratio a été de 42% en 2009 pour la Turquie et de
184% pour le Maroc.
Soulignons tout de même, le fait que depuis l’année 2005, cet indicateur n’a cessé
d’évoluer. Il a ainsi pratiquement doublé.
Ce constat est confirmé par l’évolution que retrace le tableau 2 qui rapporte le volume de
transactions en bourse, au PIB :
Tableau 2 : Volume de transaction en % du PIB
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Moy. (10 ans) Egypte 4,0% 7,1% 28,3% 44,2% 41,4% 39,0% 36,6% 21,9%
Jordanie 25,6% 46,7% 188,8% 142,2% 110,1% 83,0% 63,2% 68,9%
Malaisie 48,2% 48,0% 36,4% 42,9% 83,0% - - 47,0%
Maroc 1,4% 3,0% 7,0% 20,6% 35,9% - - 9,4%
Tunisie 0,7% 0,8% 1,6% 1,7% 1,9% 2,1% 2,4% 1,7%
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Turquie 32,7% 37,5% 41,6% 43,0% 46,0% 49,7% 53,8% 44,1%
Source :Banque Mondiale, 2011.
Ce volume de transactions a été de l’ordre de 2,4% en 2009 alors qu’il était de près de
37% en Egypte et de près de 54% en Turquie.
Ce faible niveau peur être expliqué par le fait que la partie flottante du capital, c'est-à-dire
celle faisant, effectivement, l’objet de transactions sur le marché secondaire, ne
représente qu’une faible part du capital. Les actions étant ainsi détenues de façon
permanente et de manière stratégique par des actionnaires qui ne comptent pas s’en
dessaisir (notamment l’Etat dans le capital des banques).
Le tableau 3 donne pour le même groupe de pays l’évolution des flux internationaux au
titre des investissements de portefeuille. Il convient de signaler à ce niveau que le rôle de
ces flux dans le financement de la croissance est très mitigé. Ces flux de capitaux, bien
qu’ayant un effet positif sur les réserves de change du pays, sur la liquidité de son marché
boursier et par conséquent sur le coût de financement des entreprises, présentent quelques
inconvénients majeurs. Il s’agit en effet de capitaux très volatils qui rentrent dans le pays
et en ressortent très rapidement, à la moindre difficulté, ce qui peut avoir des effets très
déstabilisateurs sur la balance des paiements et par suite sur le taux de change de la
monnaie. Dans de nombreux cas, des crises boursières se sont en effet transformées en de
graves crises de change (et inversement d’ailleurs). Cela a été notamment le cas pour les
pays du sud-est asiatique à la fin des années 1990.
La mise en place de barrières (surtout à l’entrée) afin d’éviter l’apparition de bulles
spéculatives et les mouvements de sorties intempestives est donc une précaution que tous
les pays ayant des marchés boursiers émergents ou pré-émergents sont en train de
prendre.
La règle consistant à encourager les IDE qui constituent à l’instar des investissements de
portefeuille, des substituts à la dette mais qui se caractérisent, en plus, par une certaine
stabilité et par des effets directs sur l’emploi, est donc toujours de rigueur.
L’évolution que retrace le tableau 3 confirme cette propension à la prudence observée
chez les pays qui nous sont les plus comparables (Egypte, Maroc, Jordanie). Les flux
d’investissements sont modestes et du même ordre que ceux de la Tunisie, malgré des
capitalisations boursières et des volumes de transaction bien plus importants.
Tableau 3 : Investissement de portefeuille (en millions de US$)
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Pays 2005 2006 2007 2008 2009 Egypte 8 209 18 482 24 567 10 781 8 563
Jordanie 441 851 1 198 1 580 1 548
Malaisie 49 608 60 709 101 255 50 974 69 366
Maroc 2 185 2 669 6 325 3 138 2 088
A. du Sud 80 639 85 052 105 409 64 219 109 563
Tunisie 3 613 3 589 4 193 3 927 4 185
Turquie 60 412 76 522 95 075 58 655 87 263
Source :Banque Mondiale, 2011.
Il apparait donc clairement que les entreprises tunisiennes ne recourent pas au marché
pour assurer le financement de leurs activités. Le nombre faible d’entreprises cotées,
la faiblesse du volume de transaction ainsi que la nature des investisseurs opérant sur
le marché expliquent, en partie, ce manque d’enthousiasme aux produits de marché.
En effet, rares sont les entreprises, même cotées, qui recourent à des levés de fonds sur
le marché. Ceci s’explique, entre autres, par la facilité d’accès aux crédits bancaires
dont bénéficient les grandes entreprises tunisiennes.
La dynamisation de la place financière de Tunis passerait nécessairement par
l’augmentation du nombre d’entreprises cotées. Il serait par exemple opportun de
procéder à l’introduction en bourse des grandes entreprises étatiques (l’Etat pourrait
garder le contrôle) à l’instar de la STEG, la SONEDE, le Groupe Chimique, la STIR
ou la CTN. Il est également possible de réfléchir à la possibilité de sortie sur le marché
des entreprises confisquées après le 14 janvier. Ceci éviterait les destructions de
valeurs que sont entrain de subir ces entreprises et d’assurer un partage équitable et
diffus des richesses.
En outre, une Bourse développée constituerait un facteur d’attraction des
investissements de portefeuille étrangers de manière stable et durable et fournirait des
solutions de montages financiers aux entreprises internationales voulant s’installer en
Tunisie. A cet égard, la BCT pourrait jouer un rôle essentiel en imposant aux
entreprises sous-capitalisées de faire des sorties sur la bourse dans le but de consolider
leurs fonds propres et de réduire le recours aux financements bancaires classiques.
II- Des banques de petites tailles et peu compétitives
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Les banques jouent un rôle essentiel dans le financement de l’économie tunisienne. En
effet, plus de 95% des concours à l’économie transitent par ces institutions financières.
Le financement concerne aussi bien le développement des entreprises, que le
renouvellement de l’appareil productif ou de l’innovation et l’accompagnement des
entreprises à l’international. Il concerne également le cycle d’exploitation. Les
changements politiques et sociaux que la Tunisie est en train de vivre appellent une
transformation substantielle dans les fondements même du métier de la Banque.
Les banques sont ainsi appelées à revoir le partage de la valeur créée. Du point de vue des
entreprises, et en considérant les résultats de l’enquête menée, les marges réalisées par les
établissements financiers sont très élevées et dénotent d’une relation de type
oligopolistique dans laquelle l’acteur le plus fort, en l’occurrence la banque, est en train
d’imposer ses conditions. Les taux d’intérêt sont élevés et les garanties toujours exigées.
En outre, le système bancaire tunisien composé d’une trentaine de banques, semble sur-
bancarisé, et ne permettant pas, par conséquent, un financement efficient de l’économie.
En effet, un tel nombre de banques, laisse supposer que celles-ci ne bénéficient pas de
rendements d’échelle.
L’industrie bancaire est en effet, fragmentée et dominée par des banques de petites tailles.
Les trois premières banques ne représentent que 60% des actifs du secteur contre 86% en
Jordanie et plus de 90% au Maroc. Ces taux sont par contre supérieurs à ceux observés en
Malaisie et en Turquie.
La fragmentation des banques constitue un double handicap. Elle les prive de réaliser les
économies d’échelle et de gammes indispensables à l’amélioration de leur compétitivité.
Ce faisant, elle réduit les possibilités de leur implantation à l’étranger.
A cet effet, la première banque tunisienne pointe à la 48ème place sur le plan africain (STB)
et son total de bilan représente 1/39ème du total de bilan de la première banque africaine (la
Standard Bank Group, Afrique du Sud). A titre de comparaison, deux banques marocaines
se classent dans le top 10 des banques africaines. Il s’agit d’Attijari Wafa Bank (7ème) et du
Crédit Populaire du Maroc (10ème).
L’émergence de grandes banques tunisiennes ayant une stratégie claire
d’internationalisation avec un plan de développement précis semble devenir une nécessité.
Les entreprises tunisiennes sont en effet de plus en plus présentes sur les marchés
européens, arabes et africains.
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Des opérations de croissance interne par augmentation de capital ou externe par fusions
amicales et négociées devraient être suscitées par les Autorités publiques.
A ce propos signalons qu’une opération de fusion entre la STB et la BH a été envisagée au
cours de la dernière période. Malgré les arguments qui viennent d’être avancés nous
pensons qu’une telle opération, qui serait réalisée dans la précipitation et sans concertation
préalable, ne parait pas souhaitable. Ce genre d’actions réalisées avec empressement
risquerait en effet de créer plus de problèmes qu’il ne va en résoudre. La recherche de
synergies serait en effet handicapée par le choc de cultures internes qui sont très fortes
dans les deux institutions, par les conflits aux niveaux des systèmes d’information ainsi
que par la résistance aux changements organisationnels qui accompagneraient une telle
opération.
L’autre alternative consisterait à encourager (ou pousser) les banques privées à réaliser des
opérations de fusions. Une première solution serait d’augmenter le capital minimal exigé
(100 Md actuellement jusqu’à 2014). Nous pensons qu’en dépit des bienfaits d’un niveau
de capitalisation élevé, cette mesure n’aurait pas d’incidence directe sur la taille des
banques. En Afrique du Sud par exemple, le capital minimal est de 37 millions de dollars.
Ceci n’a pas empêché les banques sud africaines d’occuper les cinq premières places à
l’échelle du continent. En même temps, l’internationalisation d’Attijari Wafa Bank au
Maroc s’est faite par le biais d’emprunts obligataires. Les leviers de la croissance semblent
être situés ailleurs qu’au niveau des fonds propres.
Tableau 4 : Classement africains des banques tunisiennes 2009 2010 2011 1ère Banque africaine/
Banque Tunisienne STB 47 44 48 39 fois BIAT 50 42 50 41 BNA 49 47 53 42 BH 57 52 56 50 Amen Bank 67 60 60 55 ATB 69 61 70 66 Attijari 74 65 69 66 BT 83 76 83 84 UIB 89 83 53 92 UBCI 104 102 109 120
Source : Jeune Afrique, différents numéros.
Le taux de bancarisation reste cependant faible en Tunisie. La densité par agence est de
12000 habitants (Maroc : 6000 habitants par agence, pays de l’OCDE moins de 2000
habitants par agence).
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Les tableaux 5 et 6 donnent quelques indications en rapport avec le taux de bancarisation
et l’inclusion financière :
Tableau 5 : Inclusion financière (chiffres 2009) Jordanie Malaisie Maroc Afrique du sud Tunisie Turquie Nombre d’agences par 100000 habitants (> 15 ans)
16,17 11,5 11,59 8,03 13,3 17,3
Nombre de comptes par 1000 habitants (> 15 ans)
160 972 296 175 315
Nombre ATM par adulte (>15 ans)
43,25 16,64 54,85 14,26 40,98
Nombre de comptes de dépôts par 1000 adultes ((>15 ans)
814,23 2226,74 277,36 671,98 788,13 1851,15
Source : Banque mondiale, WDI, 2011 Le nombre d’agences par 100000 adultes a atteint selon les derniers chiffres publiés par la
Banque Mondiale, 13,3 agences en Tunisie contre 11,59 au Maroc et 17,3 en Turquie. La
disponibilité des services bancaires présente néanmoins, de fortes disparités entre les
régions. Le tableau 6 montre que dans le centre ouest du pays, il existe une agence pour
22000 habitants alors que dans le grand Tunis ce chiffre passe à 7000 habitants. Par ailleurs,
l’utilisation des services bancaires semble être très en retard comparativement à d’autres
pays ayant un niveau de développement similaire. Ainsi, le nombre de comptes pour 1000
adultes est seulement de 175 en Tunisie contre 296 en Afrique du Sud, 315 en Turquie et
972 en Malaisie. Enfin, le nombre de machines ATM est de 14,26 en Tunisie alors qu’il est
supérieur à 40 dans les autres pays.
Tableau 6 : Réseau bancaire : répartition par région au 30 septembre 2011 Population par
agence Nombre d’agence % Nombre
d’agences Centre ouest 22072 92 6,71% Grand Tunis 7001 551 40,16% Nord ouest 14500 68 4,96% Région côtière 9354 575 41,91% Sud 11536 86 6,27% Total général 12618 1372 100% Source : APTBEF et calculs des auteurs
La dernière mesure en rapport avec la structure du secteur que nous présentons est la
concentration. Le tableau 7 retrace ainsi, pour le même groupe de pays, le poids des trois
premières banques sur la dernière décennie.
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Tableau 7. Concentration bancaire : Total des actifs des trois premières banques en % du
total du total des actifs des banques
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Moy.
Egypte 0,57 0,58 0,57 0,57 0,55 0,58 0,59 0,57 0,55 0,53 0,57
Jordanie 0,85 0,90 0,90 0,90 0,89 0,85 0,85 0,85 0,86 0,86 0,87
Malaisie 0,48 0,44 0,40 0,40 0,41 0,41 0,46 0,47 0,49 0,50 0,45
Maroc 0,53 0,62 0,63 0,64 0,68 0,66 0,66 0,78 0,91 0,91 0,71
Tunisie 0,45 0,45 0,45 0,46 0,46 0,45 0,45 0,49 0,54 0,59 0,48
Turquie 0,74 0,66 0,74 0,71 0,70 0,96 0,50 0,46 0,42 0,39 0,63
Source : Banque mondiale, Financial Development and structure Database
Il apparait que ce poids a été en moyenne de l’ordre de 48% sur l’ensemble de la décennie.
Nous notons qu’il a néanmoins augmenté de manière significative à partir de 2007, passant
ainsi de 49% à 59% en 2009.
Comparé aux pays du groupe, ce poids moyen apparait nettement inférieur à celui observé au
Maroc où il est égal à 71% et à celui de la Jordanie qui est de l’ordre de 87%. Ce constat
confirme l’image tracée précédemment qui est celle d’un secteur fortement émietté composé
d’un grand nombre de petites banques. Aucune de celles-ci ne dominant significativement le
secteur. Cependant ce nombre élevé ne se traduit pas par une forte bancarisation et une grande
inclusion financière. Les différentes mesures moyennes de ces deux dimensions sont
relativement faibles par rapport celles d’autres pays. Leur décomposition en paramètres
régionaux révèle également d’assez fortes disparités.
III- Performance et solidité des banques tunisiennes Les développements qui suivent sont en rapport avec la gestion des établissements bancaires
et avec leur gouvernance. Le premier constat qui s’impose et sur lequel il y a une quasi-
unanimité est celui relatif à la qualité de l’information produite et divulguée. Les banques
tunisiennes apparaissent ainsi comme étant très conservatrices dans ce domaine. Les
documents produits s’intéressent davantage aux informations patrimoniales, à la solidité des
garanties réelles ou personnelles produites, qu’aux capacités de remboursement et à la
situation financière future des entreprises financées. Les projections sont effectuées mais
rarement prises en compte de manière décisive.
La situation financière projetée est pénalisante lorsqu’elle est mauvaise mais rarement
déterminante lorsqu’elle est bonne. L’ancienneté de la relation ainsi que la qualité du
12
patrimoine sont les éléments décisifs. Lorsque ces conditions sont satisfaites, les relations sont
jugées plutôt bonnes.
La prépondérance des garanties dans les décisions de financement bancaires pourrait
s’expliquer par les carences observées au niveau de l’information financière en général (bilans
non certifiés, des rapports annuels non fournis) ainsi que par la quasi indisponibilité de
l’information sur la qualité du crédit (l’indice de divulgation d’information sur les entreprises
est égal à 5/10). Il semble également que le non respect des règles de droit (score égal à 3
pour l’année 2012) constitue l’une des raisons principales pour l’utilisation jugée excessive
des garanties, par l’ensemble des entreprises ayant participé au questionnaire sur les réformes
du secteur financier.
Le tableau 8 laisse apparaître un taux de recouvrement (% du montant récupéré par le
créancier en cas de faillite) de l’ordre de 52,2 %. Ce taux semble assez satisfaisant
comparativement aux autres pays du panel. Néanmoins cela traduit en premier lieu la forte
utilisation des garanties et la faible prise de risque par les banques.
Pour sortir de cette impasse, deux axes d’amélioration peuvent être envisagés. Le premier
consiste à améliorer l’offre d’information sur les entreprises et sur leur solvabilité. A titre
d’exemple, le lancement de bureaux de crédits privés à l’instar des autres pays devrait
permettre de renforcer les capacités d’évaluation des banques et de discipliner l’ensemble des
opérateurs.
En second lieu, les banques doivent être encouragées à rendre l’offre de crédit plus sensible
au risque. Autrement dit, elles sont appelées à prendre plus de risques (mesurés) et à faire
preuve d’esprit entrepreneurial (voir questionnaire). Une des pistes à envisager de manière
approfondie consisterait à développer la fonction « Etudes, analyses et prospectives » au sein
des institutions bancaires.
Tableau 8 : Evaluation de risque et information 2012
Pays Egypte Jordanie Malaisie Maroc A. du Sud Tunisie Turquie Indice de divulgation d’information sur les entreprises (de 1 à 10)
3 5 10 6 8 5 9
Taux de recouvrement (%)
17,7 27,2 44,6 38,3 35,2 52,2 22,3
Règle de droit (0 à 10)
3 4 10 3 10 3 4
13
Couverture par des bureaux de crédit privés (% adultes)
13,7 0 83,4 14,6 54,7 0 60,5
Source : Doing business, 2012.
La qualité de la gestion opérationnelle des banques et de la mise en œuvre des ressources
semble être raisonnable. Le tableau 9 retrace l’évolution dans le temps, du coefficient
d’exploitation (rapport : charges d’exploitation/Produit net bancaire.) pour le même
groupe de pays. Les charges d’exploitation contiennent notamment les charges salariales,
les dotations aux amortissements et aux provisions ainsi que les autres charges. Le PNB
est en gros égal à la différence entre intérêts perçus et intérêts servis.
Ce coefficient a atteint 33% pour la Tunisie en 2009 et a présenté un niveau moyen de
56% sur la dernière décennie. Seule la Turquie présente un ratio de meilleure qualité en
2009. Soulignons tout de même que la faiblesse de ce ratio peut être due non pas à la
faiblesse des charges et à l’optimalité de la gestion mais plutôt à l’importance du PNB qui
est le résultat de taux d’intérêts élevés. La faiblesse des taux de provisionnement des prêts
non performants qui a atteint 58% en Tunisie contre 74% au Maroc (tableau 13) peut être
une seconde explication.
Tableau 9. Coefficient d’exploitation
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Moy. (10 ans) Egypte 0,484 0,575 0,527 0,588 0,533 0,478 0,425 0,517
Jordanie 0,615 0,582 0,421 0,447 0,439 0,428 0,419 0,522
Malaisie 0,373 0,374 0,391 0,382 0,404 0,430 0,461 0,407
Maroc 0,641 0,593 0,655 0,546 0,483 0,418 0,360 0,565
Tunisie 0,725 0,728 0,627 0,561 0,476 0,396 0,331 0,562
Turquie 1,126 0,812 0,598 0,656 0,514 0,389 0,297 0,719
Source : Banque mondiale, Financial Development and structure Database
Cette même conclusion peut être également établie en considérant non pas un indicateur de
l’optimalité de l’exploitation mais une mesure de la rentabilité. Il s’agit en l’occurrence du
score Z qui est en fait une mesure normalisée de la rentabilité des fonds propres des banques.
Formellement ce score est égal au rapport :
14
(Rentabilité des fonds propres – Rentabilité moyenne des fonds propres) / Variabilité des
Rentabilités
Le niveau du Z score semble être plus faible que pour les autres pays à l’exception de
l’Egypte indiquant une plus grande fragilité du système bancaire tunisien. L’évolution à la
baisse (donc une fragilité accrue) de ce score peut être expliquée par deux phénomènes qui
sont :
- Le niveau élevé des provisions pratiquées durant les cinq dernières années. Ces
provisions additionnelles concernent les prêts non performants. En effet, sous la
pression du FMI, les autorités monétaires ont été acculées à réduire les taux des prêts
non performants et à augmenter les taux de provisionnement (les objectifs annoncés
étaient respectivement de moins de 15% pour les PNP et de 70% pour les provisions).
Ceci a eu pour effet d’augmenter la volatilité des revenus.
- L’effort de recapitalisation (augmentation du capital social, mises en réserves des
bénéfices) qui implique une baisse du ROE et par conséquent du Z score.
Tableau 10. Z-score : Solidité du système bancaire 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Moy. (10 ans) Egypte 10,4 8,5 4,4 6,6 4,8 3,4 2,4 6,7 Jordanie 10,9 15,6 13,7 17,7 15,8 14,7 13,7 13,1 Malaisie 11,7 12,3 14,8 13,7 13,4 10,3 8,0 11,4 Maroc 10,3 18,2 24,8 24,5 9,7 22,0 - 15,9 Tunisie 14,4 10,6 13,4 7,4 8,5 7,6 6,7 11,9 Turquie - - - 6,7 13,6 17,1 21,4 14,7 Source : Banque mondiale, Financial Development and structure Database
IV- Présence l’international et concurrence marocaine sur le continent
africain : Les premières installations de banques tunisiennes à l’étranger datent du milieu des années 70
avec la création de l’Union Tunisienne de Banque (UTB, à l’initiative de la Banque Centrale
de Tunisie) en 1977 à Paris. Dix ans plus tard, la Société Tunisienne de Banque a créé la
Banque sénégalo-tunisienne (BST), une autre au Liban, et a pris une participation dans une
15
banque au Burkina Faso.
Depuis, les banques tunisiennes n’ont pas étendu leur présence à l’international, et ont même
reculé. La BST a été rachetée en janvier 2007 par Attijari Wafa Bank, et la filiale libanaise de
la STB a été cédée à des investisseurs Libyens. Seule l’UTB continue à exister.
A l’inverse, les banques marocaines ont mis en place une véritable stratégie
d’internationalisation, notamment en Afrique francophone subsaharienne. Menées par Attijari
Wafa Bank, la BMCE et le groupe Banque populaire, les institutions financières marocaines
ont conquis plusieurs pays africains à l’instar du Sénégal (ou il détiendrait plus que 60% du
total bilan des banques du pays), le Madagascar, Le Kenya, l’Ouganda, l’Ile Maurice, la
Guinée, la République Centrafricaine, et la Mauritanie. Leurs activités s’étendent à tous les
instruments de financement : investissement, leasing, banque de détail et les banques
d’affaires.
La présence des banques tunisiennes à l’étranger, tant souhaitée par les opérateurs tunisiens
(du moins ceux qui ont participé au questionnaire) a été handicapée par divers facteurs. Il a
été souvent avancé que la faible taille de nos institutions financières constitue le principal
obstacle à l’internationalisation. Nous pensons au contraire que c’est grâce à une stratégie
d’internationalisation agressive que les banques tunisiennes pourraient atteindre des tailles
importantes leur permettant chemin faisant d’améliorer leur efficience.
Par ailleurs, il semble que la stratégie d’internationalisation des banques marocaines a été
motivée essentiellement par un souci de recherche de rentabilité suite à la réduction des
marges d’intermédiation sur le marché domestique (après l’arrivée des banques étrangères et
la dérèglementation du marché bancaire). Comme nous l’avons mentionné plus haut, cette
internationalisation a été financée essentiellement par l’émission d’emprunts obligataires et
par la mise en place, de la part de l’Etat marocain, des lignes de crédits.
En Tunisie, l’importance des marges d’intermédiation et le contrôle serré de la BCT
(encadrement des conditions d’octroi du crédit), font que les Banques ne sont pas incitées à
rechercher d’autres marchés.
Nous pensons que la libéralisation des marges bancaires et un désengagement graduel et
planifié de la BCT pourrait conduire à une réduction des taux d’intérêts du fait de la
concurrence qui s’instaurerait. Ce phénomène aurait inévitablement pour conséquence la mise
en œuvre d’opérations de restructuration (fusions) et se traduirait par l’émergence de
stratégies d’internationalisation.
16
Soulignons enfin que l’Etat tunisien a un grand rôle à jouer dans cet effort
d’internationalisation qui est porteur de grandes potentialités en matière d’emploi. L’une des
mesures les plus urgentes à prendre, et qui est réclamée par les opérateurs, consisterait à
mettre en place une ligne de crédit (même modeste au début) gérée par les banques et mise à
la disposition des entreprises travaillant notamment sur les marchés d’Afrique subsaharienne.
Une telle ligne de crédit mettrait les entreprises sur le même pied d’égalité que leurs
homologues d’autres nationalités et permettrait aux banques tunisiennes de se familiariser
graduellement avec un environnement totalement différent de celui local.
V- Présence des banques étrangères et impact sur les performances et la
qualité de la gestion : Les opérations de privatisation, bien que critiquées, ont largement influencé la structure du
secteur bancaire tunisien. En effet, ce dernier comporte de plus en plus de banques privées.
Plusieurs de celles-ci sont des filiales de banques étrangères.
En 2004, on comptait cinq banques privées et filiales de banques étrangères. Aujourd’hui,
elles sont au nombre de sept et pour la plupart d’entre elles, ce sont des filiales de banques
françaises. Il s’agit des banques suivantes : UBCI (50% BNP Paribas), Attijari Bank (34%
AttijariWafa Bank, Maroc), UIB (filiale de de la société Générale, 53%) , BTK ( 60%, Caisse
d’Epargne, France), Arab Tunisian Bank (ATB), filiale de l’Arab Bank Plc (Jordanie), la
Citibank Tunisie qui est une filiale appartenant en totalité au groupe américain: Citigroup,
l’Arab Banking Corporation (ABC) installée en Tunisie avec ses deux branches on-shore et
off-shore, le CIC de Paris et Proparco (filiale de l'Agence Française de Développement) dans
le capital de la Banque de Tunisie (BT), ainsi que la Société Marseillaise de Crédit et Natixis
Banques Populaires dans celui de la Banque Internationale Arabe de Tunisie (BIAT).
La présence des banques étrangères a un impact positif sur l’offre de crédit aux entreprises et
sur la performance du système financier dans sa globalité. Ainsi, grâce à l’apport en expertise
et en savoir faire international les prises de participation par des banques étrangères contribue
à améliorer l’efficience des banques et leur capacité à mieux répondre aux besoins des
entreprises Tunisiennes. En outre, grâce à un réseau international développé, ces banques sont
plus à même d’accompagner les entreprises tunisiennes à l’international et d’aider les banques
tunisiennes à s’internationaliser.
17
L’analyse des réponses au questionnaire laisse apparaitre que 91% des répondants portent un
jugement positif concernant les banques étrangères et réclament même leur présence à
l’intérieur du pays.
Le tableau 11 compare les poids respectifs des banques on-shore et des banques off-shore. Il
ne comporte pas de mesures directes de la présence des banques étrangères en Tunisie. Celles-
ci étant largement présentes dans le secteur off-shore il est possible d’en tirer quelques
enseignements.
Tableau 11.b. Dépôts des banques off-shore / Dépôts des banques résidentes
2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Moyenne Egypte 12,2% 13,2% 13,4% 13,6% 13,2% 12,7% 12,2% 12,5%
Jordanie 27,1% 23,7% 26,3% 29,7% 26,8% 23,6% 20,7% 28,0%
Malaisie 3,6% 3,8% 3,0% 3,2% 3,5% 3,8% 4,2% 3,4%
Maroc 8,7% 7,9% 6,8% 6,8% 7,1% 7,5% 7,9% 8,0%
Tunisie 7,5% 7,5% 6,9% 8,1% 8,5% 8,9% 9,3% 7,8%
Turquie 11,3% 11,0% 10,0% 12,9% 11,5% 10,2% 9,0% 10,8%
Il apparait ainsi que le poids du secteur off-shore a été en moyenne égal à 7,8% du secteur on-
shore en termes de dépôts. Ce rapport a été égal à 9,3% en 2009 ce qui place la Tunisie dans
la moyenne des pays retenus. Seule la Jordanie émerge du groupe avec un rapport égal à
20,7% pour l’année en question et 28% pour l’ensemble de la période. Signalons enfin que
ces banques off-shore reçoivent essentiellement les dépôts des entreprises totalement
exportatrices et qui sont approximativement au nombre de 3000.
VI- Problème de prêts non-performant
Les autorités nationales (BCT) et internationales (FMI), conscientes des taux excessifs des
prêts non performants des banques tunisiennes, recommandent la mise en place d’une
politique de gouvernance stricte. Elles suggèrent en outre de résoudre les problèmes de
gestion au niveau des banques afin de réduire les prêts improductifs, sources de vulnérabilité
de l’ensemble du système financier.
Le taux des PNP qui a connu une nette baisse depuis 2005, reste assez élevé comparativement
aux normes internationales (la moyenne mondiale est de 6,9% en 2009) et surtout par rapport
18
aux pays présentant les mêmes caractéristiques. Plusieurs raisons peuvent expliquer ces taux
très élevés, en particulier l’inefficacité des mécanismes de gouvernance et les pressions
politiques exercées à la fois sur les dirigeants des banques et sur les organes de supervision de
la Banque Centrale.
Tableau 12. Prêts non performants en % des engagements totaux des banques
Année 2005 2006 2007 2008 2009 2010 Turquie 5.0 3.9 3.6 3.8 5.6 4.9
Malaisie 9.6 8.5 6.5 4.8 3.7 3.5
Egypte 26.5 18.2 19.3 14.8 13.4 -
Jordanie 6.6 4.3 4.1 4.2 6.7 -
Maroc 15.7 10.9 7.9 6.0 5.5 5.2
Tunisie 20.9 19.3 17.6 15.5 13.2 -
A. du Sud 1.5 1.1 1.4 3.9 5.9 5.9
Source: FMI, Global financial stability report 2010.
Le tableau 12 ne donne pas les chiffres pour la Tunisie concernant l’année 2010 et l’année
2011 n’est pas encore achevée. Il y a fort à craindre qu’au terme des évolutions politiques et
sociales récentes, du relâchement dans le contrôle qui s’en est suivi et des difficultés
économiques réelles qu’ont connu certains secteurs (notamment le secteur du tourisme), ce
taux soit reparti à la hausse durant l’année 2011. Le tableau 13 donne enfin le taux de
provisionnement des prêts non performants c'est-à-dire le degré de leur couverture par des
provisions prélevées sur les bénéfices. Il s’agit donc d’un indicateur de robustesse et de
résistance aux éventuelles défaillances. Pour l’année 2009 ce taux a été de l’ordre de 58% ce
qui signifie que 42% des PNP n’étaient couverts par aucune provision. Le niveau de
couverture des prêts improductifs reste très en deçà des normes internationales (la moyenne
mondiale de 90%) et loin de l’objectif convenu par la BCT (70%).
Tableau 13. Taux de provisionnement des PNP en %
2005 2006 2007 2008 2009 2010 Egypte 51.0 76.2 74.6 92.1 100.4 - Jordanie 78.4 79.6 67.8 63.4 51.9 - Maroc 67.1 71.2 75.2 75.3 74.1 72.2 Tunisie 46.8 49.0 53.2 56.8 58.3 - Turquie 88.7 89.7 86.8 79.8 83.6 83.5
19
Source: FMI, Global financial stability report 2010.
VII- Quelle gouvernance pour éviter les dérives
Les modalités d’organisation et de fonctionnement du Conseil d’Administration, ainsi que ses
caractéristiques, sont susceptibles d’affecter la qualité du contrôle et l’efficacité de la gestion.
La place dévolue au Conseil d’administration conditionne, dans une large mesure, son rôle
dans l’édification d’un système de gouvernance bancaire créateur de valeurs et rigoureux.
A cet effet, la circulaire 2011-06 traitant des bonnes pratiques de gouvernance dans les
établissements de crédits a imposé une batterie de règles dont l’objectif est de rendre plus
efficace et saine la gestion des banques. Ainsi, la circulaire prône la séparation des pouvoirs
de contrôle et d’exécution, l’instauration de comités de contrôle et le relèvement de leur rang,
ainsi que l’encouragement de l’indépendance du conseil d’administration.
La séparation entre les pouvoirs de gestion et ceux de contrôle est également prônée par le
guide de bonnes pratiques de la gouvernance tunisien. Mais dans la pratique, les formes de
contrôle sont plutôt caractérisées par la dualité des fonctions. Sur les 10 banques cotées en
bourse, trois seulement ont adopté la séparation des fonctions. La prépondérance du cumul
des fonctions s’explique entre autre par la forte concentration du capital. D’ailleurs, dans ces
banques le pouvoir est détenu soit par l’Etat, directement ou indirectement, soit par des
familles, des groupes d’entreprises, des structures pyramidales ou des établissements
financiers étrangers.
En outre, la nouvelle circulaire a imposé la nomination d’au moins deux administrateurs
indépendants et au plus un administrateur dirigeant. Cependant, en Tunisie il semble que la
présence d’administrateurs externes est souvent recherchée pour des objectifs d’expertise
plutôt que dans une logique de sauvegarde des intérêts des actionnaires minoritaires ou de
contrôle des risques.
L’exercice de la fonction d’audit, notamment au sein des établissements de crédits a connu
une évolution importante en Tunisie. Sous l’impulsion de la Banque Centrale de Tunisie, les
institutions financières se sont activées à la mise en place de structures d’audit interne, dont
20
l’indépendance et l’étendue diffère d’une banque à l’autre. Il n’en demeure pas moins que
l’instauration de ces Comités d’audit qui a eu lieu de manière progressive a contribué à
l’émergence d’une culture de rendre compte indispensable à tout effort d’amélioration du
gouvernement des banques. Cette évolution a été également consolidée par le renforcement du
rôle de l’auditeur externe et l’instauration du co-commissariat aux comptes, obligatoire depuis
2008.
Malgré les efforts déployés, il reste beaucoup à faire sur le chemin d’une gouvernance au
diapason des normes internationales et qui répond aux exigences des changements socio-
politiques que connait le pays. Certes la nouvelle circulaire 2011-06 constitue un premier pas
dans le bon sens, le souci majeur est de s’assurer que ces règles et pratiques soient
effectivement mises en application dans toutes les banques.
Afin de compléter les actions déjà entreprises nous proposons une série de mesures
susceptibles d’améliorer davantage la gestion des banques et d’améliorer ainsi le financement
de l’économie nationale.
Il serait à cet effet opportun d’encourager l’adoption de systèmes de tarification sensibles au
risque. L’objectif étant de renforcer la culture risque et son utilisation sur une base au jour le
jour et dans les décisions de gestion, afin de renforcer le rôle des comités de risque et d’audit.
Il est également souhaitable de mettre en place des mécanismes de calcul des ratios
prudentiels qui favorisent les banques ayant mis en place effectivement des systèmes de
gouvernance interne avancés. Nous pensons notamment à la nécessiter de procéder à la
notation obligatoire de toutes les banques de la place.
Enfin, nous proposons la création d’un observatoire indépendant du respect des bonnes
pratiques dans les établissements financiers et de crédits. Son rôle serait principalement un
rôle d’information sans pouvoir régulateur afin de renforcer la discipline de marché et la
culture d’évaluation externe.
VIII- Niveau de supervision, et Indépendance de la Banque Centrale à
l’égard du pouvoir politique Donner un pouvoir accru aux autorités de supervision (Banque Centrale) est, d’un point de
vue théorique, bénéfique pour le développement et pour la stabilité du système financier.
21
En effet, les imperfections du marché peuvent être corrigées par la supervision officielle qui
constitue en quelque sorte un substitut à la faillite des mécanismes de marché et contribue
donc à la solidité du système financier.
Cependant, dans des environnements où la corruption est élevée et où les pressions politiques
sont importantes, un fort pouvoir de supervision peut se transformer en un fort pouvoir de
répression et de détournement des décisions au profit d’intérêts privés.
Tableau 14. Qualité de la supervision bancaire
Indice Capital Règlementaire
Pouvoir de supervision
Indépendance Contrôle privé
Egypte 4 14 2,6 8,4 Jordanie 6,6 14 2,2 8 Malaisie 4,2 11 2,4 8,8 Maroc 5,2 12,7 1 8,6 Tunisie 7 13 2 5 Turquie 6 15,5 1 9 A.du Sud 7,2 6 1,6 9,4 Source : Barth, Caprio et Levine (2008) et calculs des auteurs
Ce risque peut cependant être limité en augmentant l’indépendance de la Banque Centrale à
l’égard du pouvoir politique. Outre les gains en crédibilité que cela procure et leur impact sur
une politique de ciblage d’inflation, cette indépendance est de nature à limiter le risque de
détournement du pouvoir de supervision au profit des intérêts particuliers. Plusieurs études
démontrent que les pressions politiques sur les superviseurs, réduit leur capacité à mettre en
application les actions disciplinaires requises.
Cependant, la question de l’indépendance de l’autorité de supervision ne fait pas l’unanimité
dans les milieux politiques qui veulent toujours avoir le plus grand nombre de leviers. En
définitive, cela dépend essentiellement de la qualité des institutions politiques de chaque pays,
de la performance de ses institutions et du degré de respect des règles de droit. Nous pensons
que la période actuelle est favorable à l’augmentation de l’indépendance de la Banque
Centrale.
Dans le contexte tunisien, l’indépendance et la crédibilité de la Banque Centrale sont
essentielles pour une meilleure performance du système financier. La première tâche concerne
l’assainissement du portefeuille du crédit qui alourdit les bilans des banques et limite leur
efficience. Il semble impératif d’encourager davantage l’indépendance de la Banque Centrale,
22
particulièrement en prévision des changements politiques et économiques qui seront vécus au
cours de la prochaine période. A cet effet, le Gouverneur de la Banque Centrale devrait être
nommé par le Parlement et élu parmi des personnalités indépendantes. Nous pensons qu’i
serait opportun, également, de créer une instance de supervision en dehors de la Banque
Centrale. Cette indépendance vis-à-vis de l’exécutif serait indispensable à l’amélioration de la
supervision bancaire et une application rigoureuse de la réglementation en vigueur.
IX- Recommandations :
1. Accroissement de l’indépendance de la Banque Centrale à l’égard du pouvoir
politique.
2. Maintenir et afficher ostensiblement la volonté de réaliser la convertibilité totale du
dinar à un horizon raisonnable, malgré la faiblesse des réserves de change et malgré
l’existence d’un déficit commercial et d’un déficit courant structurels. Il s’agit
essentiellement d’envoyer un message de confiance en l’avenir à l’intention des
partenaires économiques et financiers de la Tunisie. Ce message s’adressera également
agences de Rating et aux marchés de capitaux sur lesquels le pays sera amené,
immanquablement, à lever des fonds. Le pire des scénarios serait que la pays perde
son « investment grade » et qu’il se retrouve totalement dépendant des agences
internationales (Banque Mondiale, BAD, Banque Européenne etc). Cette annonce est
également un mécanisme de gouvernance publique. Il sera interprété à l’intérieur
comme synonyme de la poursuite de la politique de rigueur.
3. Accroissement du pouvoir des banques en matière de fixation des taux d’intérêts. Il
s’agit de se diriger graduellement vers davantage de responsabilité et de concurrence.
4. Mise à la disposition des banques, par l’Etat, de lignes de crédit (modestes au départ)
afin d’accompagner les entreprises à l’international et notamment sur les marchés
arabes et d’Afrique subsaharienne.
5. Amélioration de la gouvernance des banques privées et publiques en impliquant des
administrateurs indépendants dans les Conseil d’Administration.
6. Création d’un observatoire indépendant du respect des bonnes pratiques dans les
établissements financiers et de crédits.
7. Mise en place des mécanismes de calcul des ratios prudentiels qui favorisent les
banques ayant mis en place effectivement des systèmes de gouvernance interne
avancés.
23
8. Encouragement de la décentralisation des décisions d’octroi de crédit vers les
directions régionales (tout remonte au siège actuellement) afin d’accroître l’inclusion
financière et l’accès au financement dans les régions intérieures.
9. Renforcement des capacités des banques en matière d’évaluation en développant les
fonctions « études et prospectives » (quasi inexistante actuellement) et en insufflant un
certain degré d’esprit entrepreneurial.
10. Favoriser l’installation de banques internationales. Le cadre actuel de négociations sur
la libéralisation des services avec les pays arabes et avec l’UE peuvent être utilisé afin
de mener cette réflexion.
11. Favoriser la création de banques régionales qui pourraient utiliser des lignes qui
seront mis à la disposition des régions afin de développer le concept de banque
entrepreneuriale.
12. Dynamiser le marché boursier en procédant à l’introduction en bourse des grandes
entreprises publiques à l’instar de la STEG, SONEDE, STIR, Groupe Chimique et la
CTN. L’Etat garderait cependant le contrôle des ces entreprises.
13. Imposer aux entreprises sous-capitalisées de procéder à des recapitalisations via des
augmentations de capital sur le marché.
14. Concernant la finance islamique, il serait souhaitable d’autoriser les banques
conventionnelles de créer des fenêtres islamiques afin de commercialiser des produits
conformes à la Shari’a. Ceci permettrait d’améliorer le niveau d’inclusion financière
notamment dans les régions intérieures du pays réputées pour être plus conservatrices
et dont l’accès aux services bancaires reste très limité.