mars 2007
revue littraire mensuelle
PIERRE-ALBERT JOURDAN
AGUI
GRARD DENERVAL
europe
Nerval demeure lune des figures les plus touchantes et singulires de notre littrature. Hant par le spectre de la folie, il mena une vie souvent marginale, tissue derrances et de libert, avant de mourir tragiquement, une nuit de janvier, dans la plus grande misre. Dans le romantisme quil traverse, et auquel il parat tranger, Grard de Nerval semble une apparition , observait Pierre Jean Jouve, ajoutant : son uvre scoule part, comme sil tait la foisen avant de son poque et en arrire . Nerval possdeune tonalit toute personnelle, faite de simplicit, de fantaisie, en mme temps que de mlancolie profonde. Sa plonge vers les abmes intrieurs de lhomme, et le dmoniaque, le rapproche de certains potes allemands dont il fut un fin connaisseur. Et sans doute est-ce cette singularit, cette irrgularit,cette position isole parmi ses contemporains, qui lui a valudtre si longtemps tenu lcart, et si mal lu
TUDES ET TEXTES DE
Anne Struve-Debeaux, Paul Louis Rossi, Bernard Vargaftig, Franoise Hn, Marie tienne, Grard Mac, Jean-Luc Steinmetz, Michel Jeanneret, Daniel Sangsue, Hisashi Mizuno, Dagmar Wieser, Corinne Bayle, Jacques Demarcq, Jean-Nicolas Illouz, Jacques Bony, Jean-Yves Tadi, Anne Simon.
PIERRE-ALBERT JOURDANlodie Meunier, Pierre-Albert Jourdan, Jean-Yves Pouilloux, Yves Leclair, Gilles Jourdan, Aymen Hacen, Jacques Rda, Ren Char, Philippe Jaccottet, Lorand Gaspar, Yves Bonnefoy, Paul de Roux, Roger Munier, Alain Lvque, Franois Lallier, Jacques Hartmann.
AGUIJacques Ancet, Claude Mouchard, Pierre Pachet, Pierre Lartigue, Lionel Ray, Charles Dobzynski, Lon Robel, Michel Deguy, Jacques Roubaud, Agui.
CAHIER DE CRATION
La veille de Vnus (Anonyme latin) Les Murray Franois Lescun John Baude.
85e anne N 935 / Mars 2007
SOMMAIRE
GRARD DE NERVAL
Anne STRUVE-DEBEAUXPaul Louis ROSSI
Bernard VARGAFTIGFranoise HN
Marie TIENNEGrard MAC
Jean-Luc STEINMETZ
Michel JEANNERET
Daniel SANGSUEHisashi MIZUNODagmar WIESERCorinne BAYLE
Jacques DEMARCQJean-Nicolas ILLOUZ
Jacques BONY
Jean-Yves TADI et Anne SIMONAnne STRUVE-DEBEAUX
Grard MAC
Singulier Nerval.La Fontaine des brumes.Pote des rgions de lme.Rue de la Vieille Lanterne.Le livre introuvable. Je suis lautre .
Le texte et la vie, ou le retour de Jenny Colon. Jaime conduire ma vie comme un roman .Le canard de Nerval.Le lyrisme nervalien.Posie et douleur.Nerval et la musique.Le Nervalois.Nerval, sentimental et naf .Frontires, limites, seuils...
Proust et Nerval.Giraudoux, une autre lecture de Nerval.Une voix que jai dj entendue.
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PIERRE-ALBERT JOURDAN181
lodie MEUNIER, Pierre-Albert JOURDAN, Gilles JOURDAN, Jean-Yves POUILLOUX, Yves LECLAIR, Aymen HACEN, Jacques RDA, Ren CHAR, Philippe JACCOTTET,
Lorand GASPAR, Yves BONNEFOY, Paul de ROUX, Jacques HARTMANN, Roger MUNIER,Alain LVQUE, Franois LALLIER.
AGUI261
Jacques ANCET, Claude MOUCHARD, Pierre PACHET,Pierre LARTIGUE, Lionel RAY, Charles DOBZYNSKI, Lon ROBEL,
Michel DEGUY, Jacques ROUBAUD, Guennadi AGUI.
348Max ALHAU, Marie-Claire BANCQUART, Henri BHAR, Roger BOZZETTO, Jean-Paul CHAGUE,Benot CONORT, Michel DUGU, Claire GRUSON, Franoise HN, Sylvie HUMBERT-MOUGIN,Daniel LANON, Benot LEGEMBLE, Serge MARTIN, MNACH, Jean MINIAC, Claude MINIRE,Jean-Baptiste PARA, Thomas SCHLESSER, Pierre SILVAIN, Bertrand TASSOU, Stphane ZKIAN.
La machine crire
Le thtre
Le cinma
La musique
Les arts
Pierre GAMARRA Actualit de Dostoevski.322
ANONYME LATINLes MURRAY
Franois LESCUNJohn BAUDE
La veille de Vnus.Le sens de lexistence.Vingt filigranes.Derrire la colline.
289296298303
Ariane DREYFUS Une aventure entre soi et le monde.318
Karim HAOUADEGLev DODINE et Claude LISCIA
corps perdu.Des mots qui peuvent toucher encore.
327331
Raphal BASSAN Un essai entre le priv et le social.339
Batrice DIDIER Le scandale dAda342
Jean-Baptiste PARA Un visage clair de mystre.345
CHRONIQUES
CAHIER DE CRATION
NOTES DE LECTURE
SINGULIER NERVAL
Nerval demeure lune des figures les plus touchantes et singuliresde notre littrature. Hant par le spectre de la folie, il mena une viesouvent marginale, tissue derrances et de libert, avant de mourirtragiquement, une nuit de janvier, dans la plus grande misre. Quant son uvre, si son inspiration la rattache au courant romantique dontelle fut contemporaine, elle nen possde pas moins une tonalit toutepersonnelle, faite la fois de simplicit et de fantaisie lon asouvent vu en Nerval lun des derniers reprsentants du XVIIIe sicle en mme temps que de mlancolie profonde. Il y a, plusparticulirement, chez cet crivain une plonge vers les abmesintrieurs de lhomme, et le dmoniaque, qui le rapproche de certainspotes allemands dont il fut un fin connaisseur 1.
Et sans doute est-ce cette singularit, cette irrgularit, cetteposition isole parmi ses contemporains, qui ont valu Nerval nonseulement dtre si longtemps tenu lcart, et si mal lu, mais aussilobjet dvaluations si frquentes et contradictoires. Soit quon laitconsidr comme un auteur de second ordre, charmant , certes,mais sans grande nergie cest la rputation de fol dlicieux 2 que lui forgea le XIXe sicle , soit quon lait rang dans lacatgorie, toujours sujette caution et incertaine, au croisement desdomaines psychiatrique et littraire, des crivains fous , oscillantentre gnie et mdiocrit. Le 16 septembre 1942, Gide note encore
4 SINGULIER NERVAL
dans son journal : Attachante, inquitante figure de Nerval ; mais jene parviens pas faire de lui ce grand pote que nous prsente ThierryMaulnier 3
Cependant, Nerval a survcu cette marginalit et auxdprciations qui ont pu en rsulter. Peu peu sest dvoilelauthenticit profonde et vritablement tragique de son uvre, etimpos ce qui en fait le prix tout particulier pour les gnrationsfutures : son indniable modernit. Car si lon fait souventcommencer la modernit littraire Baudelaire, il est certain queluvre de Nerval elle aussi la prfigure y participant djtroitement, par-del la distance qui la spare de nous.
Une premire rvaluation de lcrivain sest amorce auxalentours des annes 1910-1920, la faveur de la redcouverte du rvepar la psychanalyse. Focalisant lattention des critiques surlimaginaire nervalien, elle a t marque par une srie dapprochesfondamentales sattachant rvler, dans luvre, une exprienceessentiellement intrieure, de nature onirique. Ce sont les pagesclbres de Proust consacres Sylvie dans Contre Sainte-Beuve.Proust y prend le contre-pied de toute lecture qui rduirait le rcit une simple peinture nave , et rappelle : cette histoire [...] cest lerve dun rve . Cest aussi, un peu plus tard, linterprtation dessurralistes dcouvrant en Nerval et au premier chef dans le NervaldAurlia un vritable tmoin du surrel, par lintrication decohrence implacable et de songe ou de cauchemar qui lecaractrise. Puis, dans leur continuit : le beau livre dAlbert Bguin,Grard de Nerval (1945), qui sattache dchiffrer dans ses critslexpression dune vritable qute spirituelle. Ou lessai de Jean-PierreRichard, Gographie magique de Nerval , dans Posie etprofondeur, explorant lunivers de lcrivain au travers dimagesmythiques telles que le labyrinthe, la grotte ou le volcan.
Ensuite, une nouvelle impulsion a t donne la lecture deluvre de Nerval au tournant des annes quatre-vingt, au lendemaindes dcennies formalistes. Dans un contexte qui, en grande partie,domine encore aujourdhui la critique nervalienne, et qui est celui,dans les domaines littraire ou artistique, dune nouvelle apprhensionde luvre comme expression du sujet.
Cest en effet, dsormais, lexpression dun Moi que diverscritiques interrogent chez Nerval. Pour certains, il sagit dereconnatre, par-del les contradictions et les incertitudes de luvre,
ANNE STRUVE-DEBEAUX 5
le fil dune mme tendance mlancolique, et lexigence, en mmetemps que dune transgression vers lailleurs, dune criture lpreuve de ses limites. Dautres sont requis par la pluralit des moiqui composent la figure du pote et par le portrait incessammentmouvant et incertain quils constituent, au gr de lcriture fruitdune laboration symbolique ni tout fait fictive, ni tout faitidentifiable au moi autobiographique. Yves Vad, dfinissant lescaractristiques du sujet lyrique, note ainsi que la plus complteexpression la fois [du] dessaisissement du sujet crivant et de saprojection mythique, cest peut-tre le Desdichado nervalien 4 .
On prte aussi une attention particulire aux affinits qui, danscette uvre, unissent troitement musique et criture lyrique. Ou auxvariations autour de la pratique du rcit de vie que reprsentent lesrcits de Nerval, entre autobiographie et fiction, rve et souvenir.
Ces lectures ne cessent dapprofondir le drame qui fut celui delcrivain. Mais en mme temps, elles rvlent aussi ltrangeconcidence de Nerval avec la sensibilit contemporaine, comme ellevoue lexpression dun sujet lidentit alatoire et problmatique,traverse daltrit. Lincarnent Pierre Pachet, par exemple, ou GrardMac qui, en Nerval, reconnaissent une voix si proche de la leur, et son uvre, entremlent leur propre travail dcriture. Que lon songeaux pages consacres Nerval dans La Force de dormir de PierrePachet 5, ou celles de Grard Mac, auquel Gallimard vient deconfier les prfaces de toutes rcentes rditions du pote 6.
En outre, lune des affinits profondes de Nerval avec notrepoque rside sans doute encore dans le mlange complexe desregistres et des genres auquel son uvre donne lieu, aussi bien quedans le travail de mmoire qui la car
