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1 Homo cybernetus HOMO CYBERNETUS Francis MARECHAL [email protected] Comédie dramatique en 5 actes Durée : 1H 50 Distribution : Noé : jeune homme séduisant, mais rebelle. Judith : jeune compagne de Noé ; jolie et souriante. Fernand : colocataire et ami de Noé ; d’origine bourgeoise. Kris : mère de Judith, encore très séduisante, mais malade. Peut avoir un accent slave. Jeremy : jeune homme prétentieux et sûr de lui. Thomas : jeune garçon autiste, de 12 à 16 ans. Laura : infirmière, dynamique et souriante. Infirmière : mécanique. Tante : dame d’un certain âge. La fille : jeune femme sexy. Encarté 1 : femme ou homme Encarté2 : femme ou homme Caractéristiques de décors : ambiances très dépouillées avec uniquement table(s) et chaises. Présence dobjets symboliques participant à l intrigue : cadre photo, plantes vertesCostumes : les personnages encartés peuvent apparaître en sombre et les non encartés en coloré. Synopsis : s’encarter, c’est se mettre un portable minuscule dans l’oreille qui communique directement avec le cerveau et qui permet d’accéder à un nombre incroyable de services. Un moyen imparable de rendre dépendant toute une population…et d’en faire des esclaves. Noé et sa compagne Judith essaient de résister, mais les pressions sont énor mes, d’autant que des informations que dévoilent Kris, la mère de Judith, sur leur passé va considérablement compliquer les choses. Fernand, l’ami de Noé, malgré ses efforts, ne sera pas d’un grand secours. Un engrenage infernal va entraîner tout ce petit monde dans le piège de l’encartement. Il n’y aura qu’un rescapé à cette hécatombe : Thomas, un jeune autiste amoureux des plantes. Tout public

HOMO CYBERNETUS · 4 Homo cybernetus Noé : M’oui ! En tout cas, pour les nanas, je ne vois pas pourquoi t’es jaloux, tu tombes toute les filles que tu veux ! Fernand : oui, enfin…faut

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    Homo cybernetus

    HOMO CYBERNETUS

    Francis MARECHAL [email protected]

    Comédie dramatique en 5 actes Durée : 1H 50

    Distribution : Noé : jeune homme séduisant, mais rebelle. Judith : jeune compagne de Noé ; jolie et souriante. Fernand : colocataire et ami de Noé ; d’origine bourgeoise. Kris : mère de Judith, encore très séduisante, mais malade. Peut avoir un accent slave. Jeremy : jeune homme prétentieux et sûr de lui. Thomas : jeune garçon autiste, de 12 à 16 ans. Laura : infirmière, dynamique et souriante. Infirmière : mécanique. Tante : dame d’un certain âge. La fille : jeune femme sexy. Encarté 1 : femme ou homme Encarté2 : femme ou homme

    Caractéristiques de décors : ambiances très dépouillées avec uniquement table(s)

    et chaises. Présence d’objets symboliques participant à l’intrigue : cadre photo, plantes vertes… Costumes : les personnages encartés peuvent apparaître en sombre et les non

    encartés en coloré. Synopsis : s’encarter, c’est se mettre un portable minuscule dans l’oreille qui communique directement avec le cerveau et qui permet d’accéder à un nombre incroyable de services. Un moyen imparable de rendre dépendant toute une population…et d’en faire des esclaves. Noé et sa compagne Judith essaient de résister, mais les pressions sont énormes, d’autant que des informations que dévoilent Kris, la mère de Judith, sur leur passé va considérablement compliquer les choses. Fernand, l’ami de Noé, malgré ses efforts, ne sera pas d’un grand secours. Un engrenage infernal va entraîner tout ce petit monde dans le piège de l’encartement. Il n’y aura qu’un rescapé à cette hécatombe : Thomas, un jeune autiste amoureux des plantes.

    Tout public

    mailto:[email protected]

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    Homo cybernetus

    Acte I Scène 1

    Terrasse d’un café, proximité de l’université, ambiance jeune. Noé et Fernand sont attablés… Noé : Declerc, c’est un prof vraiment balaise ! Il a une pêche et on voit qu’il possède vraiment son domaine ! Fernand : Un peu trop pour moi : depuis un mois, je suis complètement largué dans ses cours de biophysique! Noé : Pourtant je trouve qu’il est très clair…

    Fernand : Comme du jus de boudin ! Enfin, pour moi ! Faut dire que toi…

    Noé : Quoi moi ?

    Fernand : Tu as toujours tout compris avant les autres, même des fois mieux que le

    prof lui-même! Noé : Dis donc, tu es jaloux ? Fernand : Tu es le meilleur, donc meilleur que moi, c’est tout !…Mais quand je vois ta petite copine, là oui, je suis jaloux ! Noé : Allez, ne fais pas ta crise ! Ta dernière était pas mal non plus !

    Fernand : Oui, mais le problème, c’était le prénom ! Radegonde ! Je sais qu’elle n’y

    est pour rien, mais dans l’intimité !...Radegonde ! Je ne pouvais pas ! Noé : si tu veux, je peux t’aider… Fernand : Pour les nanas ? Pas question ! Noé : Non ! Pour les cours de Declerc ; on pourrait reprendre… Fernand : Non, c’est gentil Noé, et tu as toujours été vraiment sympa avec moi pour me donner un coup de main, mais là, j’atteins mes limites…je crois que je vais laisser tomber ! Noé : Ce serait vraiment trop con, insiste encore un peu ! Fernand : Non, vraiment! Y a des fois, je me dis que ce serait plus simple de me faire encarter ! Noé : Tu plaisantes, j’espère ! Te faire encarter ? Toi ?

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    Homo cybernetus

    Fernand : ce portable minuscule qu’on t’introduit dans l’oreille et qui communique

    directement avec ton cerveau, c’est génial, non ?!

    Noé Noé : Machiavélique tu veux dire!

    Fernand : en attendant, fini les douleurs, adieu les soucis ! On s’envoie en l’air en

    virtuel à longueur de journée où on veut avec qui on veut, et en plus, fini les problèmes d’embauche puisque TELNETSOFT gère ton activité professionnelle à ta place, le pied !

    Noé Noé : Qu’est-ce que ça peut bien te faire, toi ? Avec tes parents pleins aux as qui

    t’entretiennent, ne me dis pas que tu cherches du boulot ? Fernand : c’est à toi que je pensais en disant ça ! Noé : Merci, vieux frère, mais je ne cherche pas de boulot moi…enfin, pas pour l’instant ! Fernand : celui que tu as au fast-food, ce n’est pas un boulot d’esclave peut-être, à

    récurer les gamelles et palucher des friteuses à longueur de journée ! Noé : Ce job, je l’ai choisi moi-même, pour payer mes études figures-toi !...Et puis, t’as beau être un bon pote, tu ne peux pas comprendre ! Fernand : je n’ai pas le niveau, je sais !

    Noé : Non, c’est surtout que t’es un fils à papa et…

    Fernand : dis-donc, tu ne serais pas jaloux ?...

    Noé : Bon d’accord ! Match nul !

    Fernand : que tu es con ! Je te mets en boîte et tu pars au quart de tour!

    Noé : Ben voyons !

    Fernand : tu devrais comprendre que je déconne !

    Noé : Tu peux te permettre de plaisanter, toi !

    Fernand : t’es chiant aujourd’hui ! Qu’est-ce qui t’arrive ? Judith ne t’a… Noé : Laisse Judith où elle est ! Ce que je voulais dire, c’est que c’est plus facile de déconner sur des sujets sérieux quand on n’est pas dans le besoin! Fernand : je n’abuse pas de ma situation, reconnais-le !

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    Homo cybernetus

    Noé : M’oui ! En tout cas, pour les nanas, je ne vois pas pourquoi t’es jaloux, tu

    tombes toute les filles que tu veux ! Fernand : oui, enfin…faut dire que celles que j’ai draguées, c’était des thons à côté de ta Judith ! Et puis si ça continue, toutes les super nanas finiront par se faire encarter aussi et là… Noé : Raison de plus pour continuer à lutter avec des mecs comme Declerc justement ! C’est ce que j’aime en lui aussi : l’un des rares intellectuels de l’Université qui a le courage de s’opposer à cette saleté… Fernand : n’exagérons rien ! Noé : Je n’exagère pas Fernand : Telnetsoft, c’est le futur pouvoir absolu sur les gens qui, en échange d’un bien-être virtuel distillé en perfusion, deviennent de véritables drogués ! Fernand : de quoi ? De leur portable ? Noé : Tu le fais exprès ou quoi ? Ils sont mis à disposition des entreprises qui ont choisi d’être partenaires de Telnetsoft ! Fernand : au moins ils ont un boulot !

    Noé : Un boulot ?! Ils sont embauchés à n’importe quel moment, pour n’importe

    quelle tâche, sans contrat. Si c’est ça que tu appelles un boulot ?! Avec cette nouvelle génération de portables, Telnetsoft a découvert un opium du peuple nettement plus efficace que la religion ! Fernand : pourtant, tous les encartés ont l’air très heureux, non ? Noé : Ils sont contents, nuance ! Fernand : content, heureux…après tout, je m’en fiche !...Allez ! Rassure-toi ! Je ne suis pas encore tenté de me faire un gueuleton en virtuel, et je préfère encore peloter une vraie fille, en chair et en os, pour satisfaire mes autres appétits ! Quant au boulot, il peut encore me courir après ! Noé : Alors profites-en, petit père ! Moi, j’ai besoin de mon job au fast-food…

    Fernand : et alors ?…

    Noé : Alors au train où vont les choses, ils finiront par ne plus embaucher que des encartés qui ne comptent pas les heures et acceptent d’être payé au lance-pierre. Fernand : tu sais bien qu’en cas de coup dur, tu peux compter sur moi !

    Noé : Je n’aime mieux pas penser au coup dur…

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    Homo cybernetus

    Scène 2 Fernand : ce n’est pas Judith que je vois arriver ?

    Noé : Oui, c’est elle,…je ne comprends pas : d’habitude, elle n’aime pas venir ici ;

    l’ambiance potache l’intimide ; Fernand : elle n’est pas seule d’ailleurs : la femme est pas mal ! Oui…enfin…elle n’en n’est pas à son premier vol! Noé : je ne la connais pas ;

    Fernand : remarque, les femmes mures ont souvent de l’expérience ; et moi, je suis

    un puit de savoir, je ne demande qu’à apprendre ! Noé : écrase, elles arrivent ! Judith : salut les intellos ! (Judith va faire une bise à Fernand et embrasser Noé) Fernand : salut Judith ! Noé : bonsoir petite fleur ! Je ne m’attendais pas à te voir dans le quartier ! Judith : voici ma mère ! Elle devait aller à l’hôpital, et comme c’est à deux pas…maman, je te présente… Kris : bonsoir Noé !

    Noé : vous me connaissez, mais…

    Kris : Judith m’a parlé de toi, ça vaut toutes les photos d’identité !

    Kris : et toi, c’est Fernand, l’ami de Noé, je me trompe ?

    Fernand : pas du tout ! Avec une mère comme vous, je comprends maintenant

    pourquoi Judith est si jolie… Kris : je serai plus à l’aise si tous les deux vous m’appelez Kris ! Pour ma part, je n’ai jamais su vouvoyer, surtout les gens que j’apprécie. Noé : vous n’avez rien de grave j’espère !

    Kris : pourquoi ?

    Noé : l’hôpital !

    Kris : Ahh !

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    Homo cybernetus

    Judith : ma mère a…

    Kris : non ! Une simple visite de routine…mais on vous dérange peut-être !

    Fernand : non, non ! Au contraire ! Asseyez-vous ! …

    Kris : en fait, c’est moi qui ai insisté pour venir vous voir ! Depuis le temps que Judith

    me rabattait les oreilles avec son petit ami, j’étais curieuse de faire sa connaissance… j’étais sûre qu’elle avait du goût ! Fernand : bon, ben, je vais peut-être vous laisser ; on se…

    Kris : non, non ! On ne voulait pas te chasser Fernand, et puis…ce qu’on a à

    demander vous concerne tous les deux je crois, mais tu es peut-être pressé ? Fernand : non, pas du tout… Kris : toi non plus Noé ? Noé : non, je dois juste prendre une douche avant d’aller prendre le service du soir au fast-food! Kris : en fait, j’en ai pour trente seconde…

    Judith : je peux parler maman si tu veux !

    Kris : je préfère le demander moi-même !... voilà, peut-être que Judith vous a déjà

    mis au courant de ma situation…précaire : je suis obligée de vivre, pour résumer, à ses crochets… Judith : maman !

    Kris : oui, Judith, à tes crochets ! il n’y a pas d’autres mots !... Le problème est que

    ses faibles revenus au fast-food ne suffisent plus à couvrir nos charges ; nous avons des arriérés de loyer, et nous avons un préavis de deux mois pour quitter notre appartement… Judith : et comme tu m’avais dit que vous cherchiez des colocataires pour votre logement ! Noé : logement ! il ne faut rien exagérer : c’est un grand hangar qu’un commerçant

    nous prête pour ne pas qu’il soit squatté par n’importe qui. On l’a juste un peu aménagé comme on a pu ! Fernand : l’avantage, c’est son faible loyer! Pour le reste, ça ressemble à … Noé : …à un hangar !

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    Kris : pour nous, ce serait une planche de salut ! On partagerait les charges aux

    conditions que vous nous fixeriez, et puis, même si je ne suis pas très costaud, je me ferai un plaisir d’assurer l’aménagement et l’entretien ! Noé : ben, pour le coup…

    Judith : vous n’êtes pas obligés d’accepter parce que c’est ma mère qui vous le

    demande ; En fait, au départ, c’est moi qui en ai eu l’idée… Noé : ce n’est pas ça !… le local est peut-être suffisant pour des jeunes pas très regardants pour le confort, mais… Kris : c’est vrai, excusez-moi ! Je comprends bien que Noé veuille bien héberger la

    fille sans avoir à s’encombrer de la mère ! Je réalise maintenant le ridicule de ma demande, oui…c’est vraiment ridicule, je…Excusez-moi…je suis vraiment heureuse de vous avoir rencontrés. (elle se lève) Fernand : enfin Noé ! Si ça peut leur rendre service ! Moi, je n’y vois aucune objection, et je ne vous trouve absolument pas ridicule Kris ! Noé : C’est toi qui as trouvé le local après tout !

    Fernand : faut que vous sachiez que nous sommes des étudiants libres, pleins de

    vigueur…pas toujours très sages…pas toujours très calmes ! Noé : parle pour toi ! Fernand : ce n’est donc pas un endroit pour quelqu’un qui recherche le calme et l’isolement si vous voyez ce que je veux dire… Kris : le bruit ne m’incommode pas du tout et je vous assure que je saurai rester

    discrète pour vous laisser tous trois mener votre vie comme bon vous semblera. Je n’ai d’ailleurs à ce sujet aucune leçon à donner à qui que ce soit et puis… Noé : et puis?

    Kris : vous n’aurez peut-être plus à me supporter longtemps !

    Judith : dis pas de bêtises maman !

    Noé : que voulez-vous dire ?

    Kris : disons que, dès que je pourrai, je…partirai, voilà ! Fernand : vous voulez vous faire encarter ? Kris : ah, ça non, jamais ! D’ailleurs, je ne les intéresse pas : je ne sais rien faire, à part chanter, j’ai un sale caractère et je suis à un point où … Judith : arrête maman ! Faites pas attention à ce qu’elle dit !

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    Homo cybernetus

    Noé : il faudrait tout de même que vous voyez le local avant de vous décider, car j’insiste ! ça ne ressemble vraiment pas à ce qu’on pourrait appeler un logement ! Kris : je n’ai jamais connu le confort, et vivre parmi les jeunes, pour moi, ce serait un

    vrai bonheur ! Noé : alors venez nous voir…je ne sais pas moi, vendredi- soir par exemple ! Qu’en penses-tu Fernand ? Fernand : oui, super !

    Noé : ça t’obligera à faire un peu le ménage !

    Fernand : pourquoi moi?

    Noé : avec tout ce que tu laisses traîner !

    Fernand : qui ? Moi ?

    Noé : oui…enfin ! Toi ou tes partenaires !

    Fernand : t’insinue quoi, là ?

    Noé : rien, je plaisante ! Judith vous amènera ;

    Kris : bien, je vous laisse, et merci …merci, vraiment ! A vendredi !

    Fernand : je vous accompagne si vous voulez !

    Kris : non, non ! Ne vous dérangez-pas ! Je suis tout de suite à la station de métro !

    Fernand : si, si ! ça me ferait vraiment très plaisir, et puis Judith pourra rester avec

    Noé… Kris : alors d’accord ! Judith : merci Fernand ! Moi et Noé, on ira au boulot ensemble pour sept heure ! Kris : bon courage à tous les deux ! (Fernand et Kris s’éloignent)

    Scène 3

    Judith : je crois qu’elle est heureuse !

    Noé : pourquoi ? Elle n’a encore pas vu !

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    Homo cybernetus

    Judith : moi, je sais que ça lui plaira ! Et puis, on vivra enfin ensemble ! Noé : tu n’auras même pas à faire le mur ! (ils s’embrassent) Pourquoi elle a dit qu’on n’aurait pas à la supporter longtemps tout-à-l’heure ? Judith : ma mère a eu le cancer du sein, qu’on lui a enlevé et depuis…

    Noé : le cancer du sein, on n’en meurt pas toujours !

    Judith : elle a fait deux récidives ; à chaque fois, des chimiothérapies de plus en

    plus lourdes, de plus en plus épuisantes. Elle est actuellement en rémission, mais le moral ne va pas fort… Noé : et…elle n’a que toi pour l’aider ? Je veux dire…ton père…

    Judith : je ne le connais pas, je ne l’ai jamais vu … elle n’a jamais voulu en parler…

    Noé : pourquoi ?

    Judith : Je n’en sais rien ! Absolument rien !

    Noé : tu dois en souffrir, non ?

    Judith : pas autant qu’elle !

    Noé : tu ne m’as jamais parlé de tout ça, tout juste qu’elle était une ancienne

    chanteuse au chômage et qu’elle vivait avec toi ! Judith : je n’aime pas en parler ! Et puis, quand je suis avec toi, j’ai l’impression de sortir de tout ça, de respirer, de vivre, tu comprends ? Noé : elle s’est arrêtée de chanter à cause de son cancer ?

    Judith : oui, elle chantait dans un cabaret du 19eme ! Elle marchait bien !

    Noé : quel style ?

    Judith : plutôt jazz, blues, mais elle savait tout chanter ! Elle avait une voix !

    Noé : pourquoi elle avait ? Elle ne chante plus ?

    Judith : plus du tout, devant moi en tout cas ! Ils ont trouvé quelqu’un d’autre évidemment. Après sa maladie, plus personne n’a voulu d’elle, à part quelques piges par ci ou par là …On dirait Jérémie ! Noé : où ça ? Judith : là !...Mais, il parle tout seul, on dirait ?

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    Homo cybernetus

    Jeremy : oui, continuez mes belles, oui ! C’que c’est chaud…

    Noé : non, il est en communication !

    Jeremy : oui, Jason, je te vois !... au bord des chutes Niagara ? Vous sautez dans

    les chutes ? Judith : au boulot, on ne se parle jamais ! Jeremy : j’ai un petit travail à terminer et je te rejoins, super !... Euh, oui Maestré ! Noé : c’était pourtant un type bien avant ! Je ne comprends pas ! Jeremy : tout de suite Maestre, ils sont là et… !...je serai au rapport dans 10 minutes ! A vos ordres Maestre ! Judith : avant quoi ?...j’crois qu’il vient vers nous !

    Noé : qu’est-ce qu’il nous veut ?

    Scène 4 Jeremy (d’une voix très monocorde, dépourvue de sentiment) : Bonsoir chers collègues ; Judith : bonsoir ;

    Noé (méfiant) : salut ! Qu’est que tu veux ?

    Judith : Noé, je t’en prie !

    Jeremy : discuter un peu avec vous…euh, non, les jolies…(en aparté) tout- à-

    l’heure, je... je m’occuperai de vous, c’est promis, je travaille là ! Noé : au fast-food, tu ne nous adresse plus la parole depuis que t’es fait poser ton excroissance, alors pourquoi tu voudrais parler maintenant. Jeremy : au travail, je travaille, je ne discute pas, chaque chose en son temps !

    Noé : ben justement, nous on ne l’a pas, le temps, il faut qu’on reprenne le service à

    19H ! Jeremy : il vous reste du temps devant vous, surtout que j’ai des choses très intéressantes à vous dire ! Noé : on va avoir droit à une augmentation, c’est ça ? …Non ? Alors, lâche- nous !

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    Homo cybernetus

    Judith : laisse-le au moins parler, chéri, après tout… Jeremy : et c’est pour votre bien ! Parce que je vous connais, je travaille avec vous, je sais que vous avez de grandes capacités, mais si vous persistez à ne pas vous faire encarter, on vous licenciera…dans un premier temps, et après… Noé : et après ? Jeremy : à quoi bon résister ? Quand vous êtes encarté, la réalité n’a plus aucune prise sur vous ! Adieu les douleurs physiques, les chagrins, les soucis ; Telnetsoft vous ouvre des mondes virtuels dont vous êtes le maître ! ! Suivant le montant de votre abonnement, vous avez accès à des niveaux de licence dont vous êtes loin d’imaginer les limites ! Noé : Dis-moi Jeremy, est-ce que tous les gens de ta famille se sont laissés encarter ? Jeremy : hem ! Bien sûr ! Pourquoi cette question ?...Un abonnement de base vous

    laisse déjà, par exemple, une grande liberté sexuelle : adultère, amour à plusieurs, zoophilie etc. Noé : vraiment tous ?

    Jeremy : oui, enfin…il y bien mon cousin Judas, mais il est sculpteur : irrécupérable !

    Quant à ma mère… Vous pouvez enfin visualiser et mettre en mémoire vos rêves les plus fous. Tiens, par exemple, tout à l’heure… Judith : votre mère ?

    Jeremy : elle n’a pas encore sauté le pas !..Oui, tout-à-l’heure, je vais plonger

    Judith : sauter le pas ? Vous voulez dire plonger ?

    Jeremy : mais non ! De toute façon, ce n’est plus ma mère : j’en ai maintenant une

    plus belle, plus jeune, moins conne !...Donc, je disais que tout-à-l’heure, j’irai plonger, en virtuel, dans les chutes du Niagara, avec un ami : un plongeon après 400m de chute libre ! Noé : on s’en fiche, mon vieux ! Jeremy : peut-être, mais Internet illimité, liaison multiplex avec n’importe quel encarté, accès instantané à toute les banques sonores et hvidéo du monde entier, qui peut vous offrir ça à l’heure actuelle, hein ? Les clés du paradis sont à portée de votre cerveau ! Judith : peut-on toujours vivre avec les personnes qu’on aime ? Jeremy : …Si vous le voulez, le mot chômage sera rayé de votre vocabulaire : Telnetsoft va gérer, pour vous, votre carrière !

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    Homo cybernetus

    Judith : je vous ai posé une question : est-ce qu’on peut toujours vivre avec les personnes qu’on aime ? Jeremy : qu’on aime ! Du verbe aimer ?...

    Judith : oui, bien sûr !

    Jeremy : je… je ne comprends pas ! On peut aimer travailler, aimer explorer

    l’histoire, le sport, la montagne, le jeu au casino ! On ne peut qu’aimer Telnetsoft, mais aimer des personnes, franchement, je ne comprends pas ! Judith : pourquoi donc ?

    Jeremy : parce que c’est ringard, passéiste, rétrograde, dépassé, ça va à l’encontre

    du progrès et du développement de notre société, parce que c’est un verbe qui ne s’applique qu’aux choses, pas à des personnes ! Noé : ta plaisanterie ne me fait pas rire, Jeremy !

    Jeremy : je ne plaisante jamais quand je suis en service!

    Noé : tu es en service ? Et de qui ?

    Jeremy : sans importance, je ne plaisante que quand je joue en multiholovision

    avec mes partenaires ! Noé : dans ce cas, je te conseille d’aller vendre ta soupe ailleurs : elle est fermentée ! J’te préférais avant que tu sois cybernetisé ! ! Jeremy : c’est vraiment dommage, car vous êtes deux, j’aurais une belle promotion

    à vous proposer et… Noé : Vous, les encartés, vous ne savez plus ce que c’est que d’avoir mal, mais moi, ça me fait mal de t’entendre parler, alors la prochaine fois que tu nous adresses la parole, au boulot ou ailleurs, choisis un autre sujet de conversation, sinon je risque de devenir violent !, Allez viens Judith ! Je crois que j’ai vraiment besoin de prendre une douche, je me sens vraiment crasseux tout-à-coup ! Judith : au revoir… (Ils s’en vont) Jeremy : Jeremy BCF213 au rapport ! Réceptivité correcte chez l’individu féminin ; l’homme sera plus long à convaincre…. Entendu Maestré, je vous maile l’enregistrement immédiatement !... Je vais y travailler Maestré ! A tout-à-l ‘heure ! …Oh oui ! Mes chéries, allez-y, continuez ! Caressez-vous, juste le temps de m’envoyer en l’air dans les chutes du Niagara !...

    NOIR

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    Homo cybernetus

    ACTE II Scène 1

    Thomas est sur scène et s’applique à dessiner, une plante devant lui…Entre Noé ; surprise. Noé : bonjour ! …Thomas s’affole…Fernand est avec toi ? Thomas ne comprend

    pas…Comment t’appelles-tu ?...ton nom ?...Tu n’es pas français ? Thomas : français (il hoche la tête et rit) ? Si, si ! Noé : comment tu es rentré ? Thomas de nouveau a peur. Tu as peur ? Je ne te ferai pas de mal !....je veux juste savoir d’où tu viens !...Je m’appelle Noé ! Thomas montre de la curiosité ; Thomas : Noé ! En faisant la grimace, puis repart à son travail

    quand Noé s’approche de la table, Thomas vient pour sauvegarder son « domaine » Noé : ta maison, elle est où ?... Thomas : ma, ma …mai…son…avec une intense réflexion et des difficultés d ‘élocution : je mon nom m’appelle heu…il tire Noé vers la plante sur la table et en donne le nom à intelligible voix. Votre bergénia cordifolia a soif et manque de sels minéraux, il faut l’arroser et mettre un peu de corne broyée. Noé : tu connais cette plante ?

    Thomas : beaucoup de plantes ! (va les montrer) Philaris Atundinacea picta…

    Heuchera Brizoïdes, appelée aussi « pluie de feu »…petroselinum, ou plus simplement persil… Noé : je l’utilise pour la cuisine ; dis-donc, tu es très fort…et toi ? …Ton nom à toi ?

    Thomas : moi, Thomas !

    Noé : en latin, c’est Thominus, Thominum ou Thominae ? ils rient

    Thomas : Toi ?

    Noé : moi, c’est Noé !

    Thomas : SéNoé ! SéNoé !

    Noé : non ! Pas SéNoé, Noé, tout court !

    Thomas : Noétoucour !

    Noé : laisse tomber ! Il voit le papier et le crayon sur la table. Tu faisais tes devoirs ?

    Il prend la feuille pour la regarder, panique de Thomas qui veut la récupérer…Mais dis-donc, c’est superbe !...Très beau ! On voit le dessin détaillé de plante

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    Homo cybernetus

    Une très bonne reproduction ! Tu es vraiment doué ! Thomas récupère son dessin puis, après une hésitation, le tend à Noé. Merci, je suis très touché ! Je vais la faire encadrer. Tu as soif ? (incompréhension)…Tu veux boire quelque chose ? Thomas : boire, oui, oui ! Noé va à la cuisine, suivi de Thomas ; ils ressortent très vite, Thomas a une bouteille de coca qu’il boit goulûment ! Doucement ! Tu vas t’étrangler ! Thomas s’étouffe à moitié, Noé l’aide à reprendre sa respiration, et l’assoit. Arrivée Fernand, suivi d’une jeune fille Fernand : qu’est-ce qu’il se passe ? On égorge un mouton ici ?

    Noé : ah, tu étais rentré ?...Bonjour

    La jeune fille : bonjour ;

    Noé : bonjour …C’est toi qui l’as amené ? (montrant Thomas)

    Fernand : pas du tout ! Je te présente Cyntia !

    Noé : moi, c’est Noé

    Thomas : séNoétoucour !

    Fernand : et lui, Qui c’est ?

    Noé : je n’en sais absolument rien! Tout ce que je sais, c’est son prénom : je te

    présente Thomas, et lui, c’est Fernand (Fernand s’approche, mais Thomas s’éloigne en emportant sa bouteille). Fernand : je n’veux pas te la prendre, mon gars! Et puis le coca, j’aime bien, mais

    uniquement avec du whisky ! (à Noé) Il a l’air bizarre, non ? Noé : spécial, je dirai. La fille : bon, faut que j’m’en aille ! Tu m’appelles ce soir ? Fernand : d’accord, chérie, à plus tard ! (il l’embrasse et elle sort) La fille : au revoir ! Noé : au revoir !

    La fille : salut Thomas ! (Thomas se cramponne à sa bouteille).

    Fernand : en tout cas, il ne doit pas être du quartier ! Une tronche comme ça, ça se

    remarque, non ?

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    Homo cybernetus

    Noé : moi, je ne l’ai jamais vu …elle non plus d’ailleurs !

    Fernand : elle fait dentaire !

    Noé : elle embrasse bien alors ?

    Fernand : oh, ça, c’est malin !

    Thomas (qui a fini son coca) : Thomas …veut… core

    ..caco…coca…encare…encore (il se dirige vers la cuisine, mais Noé l’arrête) Noé : nous n’avons plus de coca…fini, le coca ! Thomas se met à pleurer…Noé a soudain une idée : Noé : j’aimerais que tu écrives ton nom sur ton dessin…pour me faire plaisir,

    d’accord ? Thomas sourit, puis se met en place pour écrire, très laborieusement, sur le dessin Fernand : qu’est-ce que tu comptes en faire ?

    Noé : il doit bien appartenir à quelqu’un, avoir des parents ! Il s’est sans doute

    égaré ! Fernand : ou ses parents ont voulu s’en débarrasser, vu le spécimen ! Noé : là, t’es salaud ! Fernand : non, juste réaliste ! On va téléphoner à la … On entend frapper à la porte Noé : tiens, ça, c’est peut-être la réponse… Il sort , en voix off : Bonsoir madame.. un garçon ? …oui, je pense que c’est lui, entrez ! puis une dame pénètre suivie de Noé Tante : ah, te v’là, enfin ! (à Fernand) Une heure que j’ le cherche ! J’aurais pu jamais l’ retrouver, dans c’ quartier ! Noé : oui, c’est une zône industrielle !

    Tante : heureusement qu’un ouvrieux du chantier d’à côté l’avait r’péré ! Un

    spécimen comme ço, ço s’remarque ! (à Thomas) Allez viens ! T’as assez dérangé ces jeunes gens ! Thomas (négation) : hon, hon ! Il continue à dessiner Tante : j’espère qu’y vous a pas fait trop de’ catastrophes ou de saleté ! Noé : non, non !

  • 16

    Homo cybernetus

    Tante :ah, ben alors ! Vous m’en bouchez un coin ! Partout où y passe, c’est

    l’apocalippe ! Il a la tête un peu gâtée ! Il a 18 ans mais il est pire qu’un bébé ! Le docteur dit qu’il est autisse, ou quetchose comme ço ! Fernand : autiste, madame, autiste ! Pour les parents, ce n’est pas facile à gérer !

    Tante : pas facile à quoi ?

    Fernand : à gérer !...Oui, enfin, vous devez avoir du mal avec lui !

    Tante : pour ço, oui ! Mais j’pouvais pas l’laisser, vu qu’c’est presqu’un orphelin !

    Noé : vous n’êtes pas sa mère ?

    Tante : j’suis qu’la Tante au p’tit ! Ils l’ont r’tiré d’ses parents qu’étaient pochards

    tous les deux après que l’père a failli tuer ma sœur à coup de rouleau à pâtisserie : le pauv’ gosse, il avait droit au pestaque à chaque fois qu’y se chiaient sul’nez ! De temps en temps, le père devait le taper un peu aussi. Faut pas s’étonner qu’il est resté un peu brintzingue. Et qui c’est qui a bien voulu l’adopter : c’est bibi ! Noé : et les parents ?

    Tante : le père va régulièrement s’faire désincoc.. désintotsiquer, et ma sœur, elle

    s’est fait encarter ! Au moins, elle se fait plus cogner ! Mais pour moi, c’est pas facile ! Y a des jours, j’frais bien comm’elle ! Mais lui, qui va s’en occuper ? D’autant qu’y veulent pas l’encarter, lui ! y’z’encartent pas les autisses ! C’est trop dangereux qu’y disent ! Noé : il a l’air d’être très fort en botanique ! Si vous voulez, vous pouvez le faire venir

    de temps en temps ici, quand je ne travaille pas ! Je pourrais l’occuper un peu ! Hein Thomas ? Thomas : hon ?

    Tante : ben vous, vous êtes sympa ! Ou complèt’ment inconsistant !Z’êtes ben le

    premier à…personne n’en veut ! A l’école, y l’ont j’té d’puis longtemps ! Ah pour ça, oui ! De temps en temps, j’dis pas, ça m’dépannerais ! Noé : si vous voulez…

    Tante : J’repasserai alors ! Allez Thomas, on y va !

    Thomas : hon, hon ! Noé : il faut vraiment que tu partes, Thomas, mais tu reviendras ! Tiens, tu peux emporter la plante, je te la donne, pour que tu la soignes, OK ? Thomas : OK ! OK ! OK ! OK !... Il s’en va brusquement ;

    Tante : bon ben, faut pas qu’je l’perde encore une fois! A bientôt et merci !

  • 17

    Homo cybernetus

    Elle s’en va…

    Scène 2 Fernand : ouf ! Des deux, je ne sais pas lequel a le plus de problèmes ! Doit y avoir

    de l’ambiance, le soir à la veillée ! Noé : pauvres gens ! Fernand : et toi qui te propose pour t’en occuper de temps en temps, alors là ! Tu te prendrais pas pour l’abbé Pierre ? Noé : et alors ? S’il est content de venir !

    Fernand : tu ne te rends pas compte du boulet que ça peut être ? Il va nous foutre

    l’appart en l’air ! Tu t’imagines, quand les femmes vivront ici ? Noé : je n’avais pas pensé à ça…tu sais…quand j’étais petit, j’avais un voisin qui était comme lui ! Enfin, pire parce qu’il ne parlait pas du tout ! Son père s’était barré et sa mère, qui ne dessoulait jamais, passait son temps à lui fiche des roustes ! Je le revois encore avec son pauvre short, été comme hiver, la morve au nez…Les autres se moquaient de lui, le harcelaient sans arrêt ; ils voulaient toujours le chasser, mais lui, il revenait malgré les brimades, et quand il pouvait, il me suivait partout où j’allais, sans rien dire, toujours content ! Du jour au lendemain, on ne l’a plus revu ! On n’a jamais su ce qu’il est devenu ! J’ trouve que Thomas lui ressemble ! Fernand : ben ce n’est pas une raison ! On ne va pas transformer la coloc en asile

    psychiatrique ! Noé : ne t’inquiète pas, c’est moi qui m’en chargerai ! C’est mon problème, d’accord ? Et puis si ça se passe mal, je demanderai au plus grand bienfaiteur de l’humanité de le prendre en charge ! Fernand : qui ça ? Noé : tu ne devines pas ? … Telnetsoft évidemment !... Fernand : tu m’excuseras ! A propos de Telnetsoft, tu savais qu’ils étaient en passe de racheter leur dernier concurrent sérieux ! Noé : Intelcom ?

    Fernand : tout juste !

    Noé : et la loi anti-trust ?

  • 18

    Homo cybernetus

    Fernand : quand je dis racheter, je veux faire allusion aux sociétés écran qui

    rachètent des parts d’actions : au bout du compte, le consortium Telnetsoft sera majoritaire au CA d’Intelcom. Noé : …et aura donc la main mise sur la toile et la communication mondiale !

    Fernand : faut dire qu’Intelcom avait du plomb dans l’aile : le nouveau portable

    universel Telnetsoft les a torpillés ! Noé : ça sent la conspiration ! Fernand : tu vois trop de films, Noé ! C’est du business, rien de plus ! Remarque… j’ai appris aussi que Telnetsoft allait mettre ses fichiers clients à disposition du ministère de l’Intérieur ! Noé : comment t’arrives à savoir tout ça toi ? Fernand : par mon père … Noé : oui, évidemment ! Et lui, qu’est-ce qu’il dit de tout ça! Fernand : c’est un haut fonctionnaire de l’état, il n’a jamais parlé boulot à la maison ; de temps en temps, il me balance une information qu’il croit utile que je connaisse, par internet bien sûr, car on ne se voit pratiquement plus : j’évite de discuter avec lui, à chaque fois, on finit par s’engueuler ! Noé : il y a beaucoup d’encartés chez les VIP ?

    Fernand : qu’est-ce que tu crois ? Les dirigeants n’ont pas besoin de ça pour

    s’envoyer en l’air ! Par contre, plus on descend dans la hiérarchie, plus ils deviennent nombreux, même parmi les cadres, Noé : et pourquoi ?

    Fernand : sous la pression de leurs patrons pardi !

    Noé : c’est bien ce que je disais : une conjuration des nantis sur le reste de

    l’humanité à qui on propose le bonheur en virtuel pendant que eux se l’approprient dans le réel ! Fernand : t’es vraiment d’un anticapitalisme primaire ! T’es le petit fils à Laguiller ou

    quoi ? Si c’est le bonheur des deux côtés, où est le problème ? Noé : tu me poses cette question ? Toi, mon meilleur ami ?

    Fernand : pour les classes défavorisées, les pauvres, les chômeurs, les sans-

    papiers, les SDF, ça leur permet d’oublier leur misère, non ? Noé : ce serait donc pour moi la solution à tous mes problèmes, si je te suis bien !

  • 19

    Homo cybernetus

    Fernand : ce n’est pas de toi que je parlais !

    Noé : si, puisque je fais partie des pauvres, je ne suis pas fils à papa moi !!

    Fernand : je n’ai pas demandé à l’être quand je suis né, figure-toi ! Et je fais tout

    pour sortir de ce milieu, crois-moi ! Noé : oui, mais au fond de toi, tu ne peux pas faire autrement que de penser comme chez les friqués ! Fernand : Je suis bien con de ne pas vivre comme eux alors ! De rouler dans une

    belle bagnole, avoir un super appart, avec des potes friqués qui s’éclatent à la coke, et se fringuent chez Armany ! Noé : qu’est-ce que t’es con ! Ce n’est pas ce que je voulais dire !

    Fernand : non seulement j’ai des parents friqués, mais en plus, je suis con, alors

    évidemment, ça fait beaucoup de handicaps pour être le copain de Môssieur Noé, parce que lui, il est intelligent, il comprend tout, et il est pauvre, lui ! Noé : oui, mec, je suis pauvre, et le peu de fric que je gagne, je le gagne en bossant,

    mais jamais, tu m’entends, jamais je n’accepterai qu’on me fiche un bitoniau dans le ciboulot pour me transformer en légume robotisé ! Fernand : personne ne t’y oblige …

    Noé : mais ça viendra, c’est sûr ! Oh, et puis, tu me gaves, je me casse ! Je vais

    bosser ma biophysique pour le partiel, c’est plus sain ! Fernand : on a encore presqu’une semaine ! Noé : je ne suis pas un branleur, moi ! Fernand : dis tout de suite que… Noé : c’est vrai qu’avec papa derrière, tu peux te permettre de rien foutre ! Il s’en va Fernand : c’est ça, fiche le camp, connard ! Noé : connard toi-même ! On entend une porte claquer… Fernand : fait chier ! Mossieur a ses vapeurs, et sur qui ça retombe ? Mes zigues ! Judith a pas voulu baiser avec lui ou quoi ? J’y suis pour rien moi! Mais Je veux bien le remplacer ! Et là, Judith ! Oh Judith, je ne ferais pas de politique, moi ! Sûr que je saurais t’envoyer au ciel ! Mais qu’est-ce qu’elle lui trouve de plus que moi, hein ? Plus chiant, c’est ça ! Elle doit aimer les mecs chiants ! Tu vois, Fernand, pour tomber les canons, il faut être pauvre et chiant ! Ah oui, j’oubliais : j’ai un autre handicap, et de taille celui- là : je suis con ! Eh oui, je n’y peux rien, c’est de famille ! Je suis grillé quoi ! Carbonisé ! Quelle connerie…

  • 20

    Homo cybernetus

    On sonne…Fernand sort, puis revient très vite, précédé de Judith

    Scène 3 Fernand : tu peux y aller, il est dans sa chambre en train de bosser ; Judith : merci ! Et toi, ça va ? Fernand : super : à part les études où je m’entraîne pour la brasse coulée et les potes qui me tirent la gueule, tout baigne ! Judith : tu as des problèmes ?

    Fernand : oh, rien de grave ! On vient de s’engueuler un peu avec Noé : de temps

    en temps, les mecs ont besoin de se mettre des baignes pour se défouler! Vous ne connaissez pas ça, vous, les nanas ? Judith : oh si ! Mais nous, on ne frappe pas, on griffe, on mord, ça fait encore plus

    mal ! Je tombe mal alors ! Fernand : non ! Non, vas-y ! Il sera certainement plus câlin avec toi ! Elle se dirige vers la chambre… Judith : Je voulais tout de même te poser une question…personnelle on va dire … Fernand : bien sûr, Judith, et si c’est pour me demander de sortir avec toi, je préfère te le dire tout de suite, c’est oui ! Judith : te fiches pas de moi !

    Fernand : mais je suis très sérieux !

    Judith : non…je voulais simplement te demander … il faut vraiment que tu me le

    dises sincèrement, sans arrière-pensée Fernand : je sais que Noé n’attendait que le moment où je viendrais vivre avec lui, avec ou sans ma mère, mais toi, tu ne me dois absolument rien ; je comprendrais que tu ne veuilles pas d’intruses chez toi ! Fernand : ma réponse est sincère, Judith ! Franchement, il n’y a aucun problème ! Et puis je vais te dire : je vais te voir plus souvent, et ça, pour moi… Judith : merci Fernand ! Tu es vraiment un chic type ! De toute façon, ce ne sera

    que provisoire tu sais ! Dès qu’on pourra trouver… Noé : il me semblait que j’avais reconnu ta voix ! Bonjour chérie ! Judith : bonjour Noé ! ça va depuis hier soir ?

  • 21

    Homo cybernetus

    Noé : oui, enfin…

    Fernand : Bon, ben, je vous laisse…

    Judith : ouh la !! Vous êtes en guerre ou quoi ?

    Fernand : demande à Noé, moi, il faut que j’aille au ravitaillement : ça fait trois jours

    qu’on mange dans le même plat de pâtes, je vais finir par devenir nouille! Allez, à plus tard, et amusez-vous bien! Fernand sort après avoir fait la bise à Judith

    Scène 4 Judith : vous vous faites vraiment la gueule ?

    Noé : non ! Enfin, si, un peu ! Il me gave des fois !

    Judith : et pourquoi ?... après tout, ça ne me regarde pas !

    Noé : ce n’est pas ça …Fernand est un bon copain, mais c’est son côté fils à papa

    qui ressort qui fait qu’on ne voit pas certaines choses de la même manière ! Les nantis continuent à exploiter les pauvres, mais à l’entendre, c’est pour leur bien, évidemment ! Judith : tu es peut-être injuste avec lui ! Tu ne crois pas qu’il a du courage vivre avec toi, dans les mêmes conditions, sans tirer avantage de la fortune de sa famille ? Noé : peut-être… mais il sait qu’il a toujours une corde pour se rattraper s’il chute !

    Judith : Et alors ? Après tout, il n’est pas responsable de ses origines !

    Noé : dis- donc ! Il ne t’aurait pas tapé dans l’œil par hasard ?

    Judith : il est beau gosse, je l’avoue, et si …

    Noé : si quoi ?

    Judith : j’aime quand tu es jaloux comme ça ! C’est toi que j’aime, gros bêta, et

    personne d’autre ! Noé : ... peut-être que je suis un peu nerveux en ce moment avec tout ce qui se passe autour de nous : cet encarté qui a encore voulu te mettre la main aux fesses au boulot à midi, je n’ai pas pu supporter ! Judith : tu n’aurais pas dû intervenir ! A cause de ce coup de poing, te voilà avec un blâme ; la prochaine fois, ils te ficheront à la porte, et tu seras bien avancé !

  • 22

    Homo cybernetus

    Noé : ces salauds peuvent tout se permettre, il faut que ça s’arrête ! Judith : oui, mais lui, il est chef de cuisine, disponible à toute heure du jour et de la nuit, d’une efficacité redoutable dans son boulot, et nous, on est à ses ordres ; une main au panier, ce n’est pas bien grave ! Il suffit juste de s’esquiver rapidement, et puis, avec un jean bien épais…! Noé : tu n’y prendrais pas plaisir par hasard ?

    Judith : …j’avoue que oui…mais (câline) pas n’importe quelle main…alors viens, si

    tu veux vraiment connaître la réponse : il nous reste une petite heure devant nous avant d’aller au boulot …. Noé : tu es sûre que ta mère va supporter ici ?

    Judith : ce qu’elle supporterait le moins, c’est la solitude ! Et puis, c’est la seule

    famille que j’ai jamais eue, j’aimerais en profiter au maximum…c’est égoïste, non ? Noé : non, c’est naturel ! C’est un sacré brin de femme ! Judith : elle a ses défauts…Je me rends compte que je sais très peu de choses sur elle, sur sa jeunesse, son passé… Noé : elle n’en parle jamais ?

    Judith : à chaque fois que je lui pose des questions, elle esquive en disant : « plus

    tard ! Il sera toujours temps pour que je t’en parle ! » ; Noé : elle n’a pas de famille ? Judith : c’est une immigrée russe, toute sa famille est restée là-bas, et je n’ai jamais connu personne ! Juste une photo jaunie de ses parents en costume de mariés ; sur les quelques photos d’elle que j’ai retrouvées, on la voit toujours en chanteuse, dans sa loge, sur scène ou dans un bar, avec des personnes toujours différentes…et la photo là, sur le meuble, ce sont tes parents ? Noé : oui… Judith : ça faisait déjà un moment que je voulais poser la question ; ils habitent où ? Noé : je ne sais pas ! Judith : comment ça, tu ne sais pas ? Oh, excuse-moi, désolée, je ne voulais pas…

    Noé : il n’y a pas de mal ! Ils sont encartés tous les deux...Bon, je crois qu’il est

    temps qu’on aille vérifier si cet encarté ne t’a pas abîmé l’un des plus beaux sites de ton anatomie ! Judith : qu’est-ce qu’il faisait comme boulot, ton père ?

  • 23

    Homo cybernetus

    Noé : c’était un mec brillant : il s’est vite fait remarquer dans les hautes sphères de l’industrie ; devenu PDG à 32 ans, il a commencé à racheter des petites boîtes à la limite du dépôt de bilan, et comme il avait du savoir-faire, il les remettait à flot avant de les revendre avec une coquette plus-value…mais pourquoi je te parle de lui ? Il y a urgence, il faut que je profite de mon droit de cuissage avant que les robotisés me l’enlève… il l’attire à lui, lui met la main sur la fesse. Judith : eh, doucement ! Je n’ai rien en dessous !

    Noé (en l’entraînant) : t’avais tout prévu hein !?

    Judith (lui montrant son sac) : oui, même le jean épais dans le sac pour aller au

    boulot ! Noé : viens vite ! Judith : non ! Termine d’abord ! Noé : bon, mais je te préviens, ce sera encore plus chaud après ! Judith : j’espère… Noé : bon…c’est la grande vie, l’opulence : maison à Nice, hôtel particulier à Paris, femmes à gogo… Judith : et ta mère ?

    Noé : oh, ma mère. je crois qu’elle s’était adaptée à cette vie-là aussi ; comme elle

    était jolie, elle ne manquait pas d’amants non plus, bref, je crois qu’entre eux, c’était le statu- quo ; c’est quand il a commencé à faire de la politique que ça s’est gâté : pot-de-vin, malversations, montages financiers illicites, jusqu’au jour où i l a perdu son odeur de sainteté ; les politicards véreux, sentant que le vent allait tourner, se sont retournés contre lui et lui ont envoyé les chiens de la justice ; maman a vite quitté le navire aussi avant d’être elle-même emportée dans le naufrage ; lui est resté seul et après plusieurs procès retentissants, s’est retrouvé sur la paille ; plutôt que d’aller en taule, il a préféré se faire encarter : voilà ; bon maintenant, à nous deux ! Judith : tu ne les revois plus ?

    Noé : non, allez, viens, sinon je te viole, là sur la table !

    Judith : non, c’est trop dur là-dessus, et puis ce ne serait pas un viol… Il l’entraîne vers la chambre et disparaissent Noé : c’est le plus beau panier que j’aie jamais vu ! Judith : ce n’est pas la première fois que tu le vois!...chéri, tu es fou ! Noé: fou de toi oui...

  • 24

    Homo cybernetus

    Judith : oh oui ! Ce que tes mains sont douces….

    Noé : plus que celles de ce con d’encarté ?

    Judith : oublie- le, je te veux, tout entier !

    Noé : mon amour…

    Judith : oh oui ! Oui ! Nonnnnnn !

    NOIR

    ACTE III Scène 1

    Intérieur propre, mais pauvre : meubles ordinaires… Kris et Judith en pleine altercation. Judith : mais enfin, qu’est-ce qui t’as pris de t’enfuir comme ça, sans l’ombre d’une explication ! C’est tout juste si tu leur as dit au revoir ! Kris : je ne sais pas, je… je ne sais pas ce qui m’as pris !

    Judith : alors qu’ils t’avaient fait visiter l’appart de fond en comble et que t’arrêtais

    pas de dire que c’était super… Kris : désolée…. Judith : tu peux l’être oui ! J’ai eu honte ! Je ne comprends pas ; eux non plus, ils n’ont pas dû comprendre ! Ils ont dû se dire que tu pétais un plomb, te prendre pour une cinglée ! Kris : je t’en prie Judith… Judith : c’est vrai enfin : t’arrêtes pas de répéter que c’est super, tu te mets à faire des suggestions d’aménagement, tu leur demandes à nouveau s’ils sont d’accord pour nous héberger, on va même jusqu’à fixer une date possible de déménagement, et au moment de sabler le champagne, toi, tout ce que tu trouves de mieux à faire, c’est poser ton verre et de plaquer l’assemblée en claquant la porte ! Je ne me rappelle même plus ce que j’ai dû dire pour nous excuser… Kris : je n’ai pas pu me retenir…

    Judith : mais enfin, pourquoi, maman ? Pourquoi ?... Tu ne te voyais pas vivre là-

    bas tout d’un coup ? Kris : non…

  • 25

    Homo cybernetus

    Judith : alors c’est quoi ? Kris : je ne sais pas, j’ai perdu la tête… Judith : pour quelle raison ?... oh ! Mais je réalise… on parlait du père de Noé, de son hôtel particulier dans le quinzième et…oui, c’est ça ! Au moment où je t’ai fait remarquer la photo de son père sur le meuble, je me trompe ?...Réponds ! Dis, réponds maman !... Tu connais son père, c’est ça ?...Hein ? C’est ça ? Kris : oui…enfin, je ne suis pas sûre, mais…

    Judith : mais même si c’est vraiment le cas, qu’est-ce que ça peut faire ?

    Kris : en fait, je l’ai connu dans des circonstances vraiment …particulières…

    Judith : Il n’aurait pas été ton amant par hasard ? Par le plus grand des hasards ?

    Kris : oui, on peut dire ça comme ça…enfin je crois que c’est lui !

    Judith : s’il a été ton amant, pourquoi tu dis que tu n’es pas sûre que c’est lui ? Tu

    as dû le reconnaître sans difficulté, d’ailleurs, ta réaction a été suffisamment éloquente, ce n’est pas vrai ? Kris : oui…je pense que c’est lui …

    Judith : et alors, qu’est-ce qu’il y a de dramatique ?! J’aurais même été heureuse si

    un jour tu étais revenue avec un homme à la maison, même si ça n’avait pas été mon père ! Kris : il n’en n’a jamais été question, chérie…

    Judith : mais tu n’as jamais voulu me parler de ces choses-là ! Quand j’étais gosse

    encore, je comprends que tu n’osais pas, mais maintenant je suis une femme maman, et je suis capable de comprendre beaucoup de choses, tu ne crois pas ? Kris : les comprendre, c’est une chose, les accepter en est une autre…

    Judith : quand on aime quelqu’un, on peut accepter beaucoup de choses...en plus,

    je ne vois pas en quoi le fait d’avoir eu une liaison avec le père de Noé doit nous empêcher d’habiter sous son toit ! Et si tu crains de te retrouver nez à nez avec lui, je peux te rassurer, Noé a totalement coupé les ponts avec ses parents ! Kris : si c’était que ça…

    Judith : maman, j’en ai marre ! Je ne sais rien de toi, de ta vie, de tes amours, parce

    que tu n’as jamais voulu m’en parler ! Quand j’étais petite, je ne comprenais pas pourquoi tous les enfants autour de moi avaient un père et moi pas ! Quand j’ai pris conscience que j’en avais forcément un, je me suis torturé des heures et des heures pour essayer de comprendre ! Qui était cet homme qui m’avait conçu et que tu avais

  • 26

    Homo cybernetus

    effacé de ta vie et que tu voulais effacer de la mienne ? Un amoureux de passage, un soldat en campagne, un gars qui t’avait violé…oui, violé, j’ai été jusqu’à penser ça, maman ! Et toi, qu’est-ce que t’en penses ? …J’ai besoin de savoir, maman, faut que tu me dises sinon… Kris : je vais te le dire, oui ! Car maintenant, je n’ai plus le droit de me taire ! Mais quand tu sauras, tu comprendras pourquoi j’ai gardé le silence aussi longtemps !... Judith : alors ?...

    Kris : ton père, c’est peut-être Germain, le père de Noé…

    Judith : comment ? Je, j’ai dû mal comprendre !

    Kris : Germain, c’est le père de Noé, et peut-être le tien !

    Judith : enfin, c’est… c’est incroyable, inimaginable ! Je suis la sœur de Noé alors !

    Kris : j’ai dit peut-être !

    Judith : mais enfin, pourquoi peut-être ? On fait l’amour avec un homme et on

    tombe enceinte, il n’y a pas de peut-être là-dedans, non ? Kris : sauf si on est une pute !.... Comment crois-tu qu’une jeune russe issue d’une famille de paysans tatares misérable ait pu payer son voyage jusqu’en France, son visa, ses papiers ? Avant ta naissance, je me prostituais, oui, et le gigolo qui me relevait le compteur, ce n’était pas l’abbé Pierre ! Ma clientèle, c’étaient en général des gens de la haute, c’est comme ça qu’on m’a mis dans les pattes de son père ! Un beau gars son père, pas une brute, un gars bien ! Le gars qui m’avait fait passer en France clandestinement était soit disant un ami de la famille ; c’était en fait un mac qui, en échange du transit, m’a pris à son compte… Judith : il t’a fait faire le trottoir ?

    Kris : non car je pense qu’à l’époque, j’avais de l’allure : c’est donc chez les riches

    qu’il me faisait faire mes passes, parfois à domicile ou dans des hôtels chics des beaux quartiers… Judith : tu…tu vendais ton corps à des gros pleins aux as ?

    Kris : oui Judith, et je peux te dire que je ne chômais pas !

    Judith : t’aurais pas pu t’en sortir autrement ?! Kris : enfin, je viens de te dire que j’étais maqué ! Il ne m’aurait jamais laissée partir…vivante ! Judith : comment tu as pu supporter ça ?

  • 27

    Homo cybernetus

    Kris : les premières fois, t’as envie de mourir, tu passes des heures sous la douche

    à nettoyer tes souillures, et puis progressivement tu te détaches de ton corps, tu t’oublies, tu mets ton cerveau en sommeil, tu te protèges avec des gestes professionnels, tu apprends à simuler ! Judith : tous ces hommes, ils te violaient ! Kris : pas exactement ! Ils pénétraient mon corps mais je gardais mon esprit fermé, intact ! Je restais détachée comme si j’étais double ! Il m’arrivait même de prendre plaisir, non pas à l’acte, mais à simuler la jouissance, à donner à mon corps l’apparence du plaisir…oh, ma fille, jamais je n’aurais cru devoir te dire tout ça ! Judith : et moi, tu m’as désiré ?

    Kris : je savais que tu me le demanderais; il fallait tout faire pour empêcher de

    tomber enceinte car ça remettait en cause le contrat, mais malgré les précautions que je prenais, c’est arrivé ; c’était à une période où je voyais régulièrement Germain . Comme il m’avait à la bonne, j’ai été sa régulière un bon moment, jusqu’au jour où j’me suis retrouvée en cloque, enceinte pardon ! Judith : les préservatifs, ça n’existait pas à l’époque ?

    Kris : un préservatif, ça peut glisser, ça peut se déchirer! Le problème, c’est qu’à ce

    moment- là, j’avais d’autres clients, occasionnels ceux-là ! Alors, je ne sais pas ! J’ai longtemps gambergé pour savoir d’où c’était venu ! Une érection qui flanche, ou un préservatif mal enfilé, ou périmé ! J’ai même soupçonné une de mes colocataires qui n’arrivait pas à m’encadrer parce qu’elle, elle devait tapiner les ouvriers ! Elle aurait été capable de me refiler en douce des préservatifs percés ! Elle était d’ailleurs bien heureuse quand elle a su que j’étais enceinte ! Judith : et ton mac, comment il a réagi ?

    Kris : mal ! Très mal ! Il m’a demandé d’avorter, mais j’ai refusé, et j’ai tenu bon,

    même sous les coups, et puis le Germain m’a soutenu et fait pression sur lui ; je voulais cet enfant, c’était mon laisser passer pour m’en sortir ! Il a accepté de me lâcher, mais j’ai dû lui refiler presque toutes mes économies… Judith : je comprends mieux pourquoi tu ne voulais rien me dire ; c’est pire que tout ce que j’ai pu imaginer ! Kris : j’ai conscience que je ne t’ai pas offert une enfance belle et heureuse,

    toujours en coulisse dans les bras d’Anaël ou de Nathalie quand je chantais, à t’amuser dans les loges ou à faire tes devoirs au fond du bar, mais je la voulais honorable, et j’ai fait mon possible pour qu’elle ressemble à celle d’une fille normale, pas celle d’une enfant de pute… Judith : ne rien savoir sur mon père, c’est ce qui a été le plus douloureux pour moi ! Mais maintenant, je crois que c’est encore pire, maman ! Kris : je sais, ma chérie, mais là, je ne pouvais plus me taire, je…je suis désolée…

  • 28

    Homo cybernetus

    Judith : je ne peux pas continuer avec Noé : il est mon frère ou mon amant, il ne peut pas être les deux à la fois! Maman, je t’en supplie, si tu ne trouves pas un moyen de répondre à cette question, ce sera un calvaire pour nous ! Kris: peut-être essayer de retrouver Germain et lui demander d'effectuer un test ADN afin de le comparer au tien ; Judith : oui, c’est ça ! Il faut que Noé essaie de retrouver son père…enfin, notre

    père…oh, et puis merde, je ne sais plus ! Et Noé, comment est-ce qu’il va prendre la chose ? Kris : je m’en veux tellement chérie ! Tout ça, je ne l’ai pas voulu…

    Judith : je ne sais pas si je t’en veux ; je trouve que c’est injuste ! On n’a rien fait

    pour mériter ça ! Rien !... Bon, il faut que j’en parle à Noé ; Kris : ce serait à moi de le faire Judith, c’est moi la responsable de tout ça ! Judith : non, je ne préfère pas ! C’est à moi de lui dire ! Kris : pourquoi ? Judith : j’en sais rien…je ne suis pas sûre de sa réaction… Kris : justement… Judith : laisse-moi faire maman, je t’en prie ! Kris : comme tu veux…

    Scène 2 Fernand va de long en large dans la pièce en se récitant un cours de géophysique très technique Pour qu’une molécule soit identifiée comme neurotransmetteur, il faut : premièrement, présence du NT putatif dans l’élément synaptique ; deuxièmement, que les précurseurs et les enzymes nécessaires à la synthèse du NT putatif soient présents dans l’élément présynaptique ; troisièmement…euh, troisièmement….le NT putatif est libéré… en réponse à l’activation…du neurone présynaptique et en quantité suffisante pour…pour… Merde ! Je n’y arriverai jamais ! Faut être maso ! Et il reprend…pour provoquer la réponse post-synaptique, ben oui ! C’est évident ! Qu’est que c’est chiant ! Mais chiant ! Survient Noé ; ouf ! Sauvé !

  • 29

    Homo cybernetus

    Noé (de mauvaise humeur) : pourquoi ?

    Fernand : à cause de toi, je ne vais plus pouvoir réviser ces conneries ! Deux heures

    que je rabâche ! J’ai comme un bubon dans la tête qui va éclater ! Noé : y a de la bière dans le frigo ? Noé se dirige vers la cuisine Fernand : je ne sais pas ! Ramène m’en une s’il y en a ! Noé revient avec une canette ; Noé : c’est la dernière, on partage ; Il boit une grande rasade et la passe à Fernand, le visage fermé ; Fernand : ça n’a pas l’air d’aller ! Noé : pas trop, non !...Je suis viré. Fernand : hein ? Noé : je suis viré, saqué, lourdé, t’es sourdingue ?...Excuse-moi ; Fernand : et pourquoi ? Noé : j’ai encore remballé le chef de cuisine qui voulait faire porter des trucs lourds aux filles ! Je lui ai dit qu’on pouvait le faire entre mecs ! Il n’a pas accepté la remarque, et comme j’avais déjà eu des noises avec lui à cause de ses mains baladeuses sur Judith, il est allé voir le patron : c’était la parole d’un encarté contre la mienne ! J’ai été classé comme individu subversif et dangereux pour l’entreprise : mise à pied sur le champ ! Fernand : les salauds ! Qu’est-ce que tu comptes faire ?

    Noé : leur faire un procès ? Aucune chance, surtout contre un encarté ! Non, ce que

    je crains surtout, c’est qu’il se venge sur Judith … Fernand : il n’ira pas jusque-là : les encartés peuvent se défouler en virtuel ; ils sont en général dociles dans le réel, avec leurs supérieurs en tout cas ! Noé : en attendant, faut que je me trouve un autre job ! Sans me faire encarter, ça

    ne va pas être facile ! Fernand : ne t’affole pas : pour l’instant, je peux assurer les dépenses du ménage ! Noé : je ne veux pas vivre aux crochets de qui que ce soit Fernand ! Fernand : tu me l’as assez seriné ! Alors fais ce que tu veux, c’est d’ailleurs ce que

    tu as toujours fait ! Noé : j’essaie de rester libre, rien de plus ! Fernand : en t’aidant, je n’ai pas l’impression de voler ta liberté !

  • 30

    Homo cybernetus

    Noé : je le sais mais…

    Fernand : et Judith, qu’est-ce qu’elle a dit ?

    Noé : rien…

    Fernand : comment ça rien ? Elle n’a pas réagi ?

    Noé : je ne sais pas, elle fait tout pour m’éviter, elle ne m’a pas adressé trois paroles

    depuis qu’elle est venue ici avec sa mère ! Fernand : elle te fait la gueule ? Noé : comment veux-tu que je sache ? Je ne comprends rien ! La mère qui se barre en claquant la porte et la fille qui me fuit comme si j’avais la peste ! Fernand : pourtant, il était bon ce champagne, qu’est-ce qui lui a pris ?

    Noé : je ne comprends pas ! Je n’ai pourtant rien dit de désobligeant ni de blessant !

    Je parlais juste de mes parents… Fernand : oui, c’est ça, de ton père ! Noé : non, franchement, je ne comprends pas ! On frappe à la porte Fernand : entrez, c’est ouvert !

    Scène 3 Entrée Judith Judith (froidement) : bonsoir ;

    Fernand : bonsoir, jolie dame…

    Noé va vers Judith pour l’embrasser, mais elle se détourne, comme avec regret. Noé : où est le problème ? Judith : je suis venue pour en parler… Fernand : tu peux tout de même t’asseoir et boire un petit verre, non ? On partageait une bière à deux et… Noé : ça va, Fernand, tu ne vas pas lui proposer de la partager à trois ?

    Fernand : j’ voulais juste lui proposer à boire, on n’est pas des sauvages ici ! Jolie

    dame, Whisky, vodka, Porto, eau de vie, eau de mort…

  • 31

    Homo cybernetus

    Judith : non merci…et puis si, quelque chose de fort, une vodka oui ! Noé : vodka, mais enfin Judith ! Judith : tu as quelque chose contre ? Noé : non ! Permets-moi seulement d’être surpris, tu ne bois jamais ! Fernand : avec ou sans glace ? Judith: sec, merci ! Faut un début à tout ! Fernand s’active, sort deux verres et la bouteille Noé : qu’est-ce qu’il y a ? Tu fais la gueule ? Judith : non, pas du tout ! Fernand : finalement, tu peux terminer la bière, Noé, je vais accompagner Kris à la vodka ! Judith : c’est très gentil Fernand, mais ce que j’ai à dire concerne avant tout Noé

    et… Fernand : vous préfèreriez que je parte ? Judith : je ne me permettrais pas de te mettre à la porte de chez toi ; mais c’est un service que je te demande… Fernand : il n’y pas de soucis…

    Judith : merci Fernand !... Il s’apprête à partir c’est vraiment chic de ta part !

    Fernand : ma bonté me perdra !

    Judith : j’espère que non !

    Fernand : à plus !

    Fernand sort joyeusement après avoir embrassé Judith, toujours aussi absente…

    Scène 4 Noé : alors ? Peut-être que tu vas m’éclairer sur ton comportement de ces derniers temps ! Judith : … ce que j’ai à te dire va sans doute te faire beaucoup de mal!

    Noé : je m’étais déjà préparé au pire, tu sais, alors dis ce que tu as à dire, vite !

  • 32

    Homo cybernetus

    Judith boit son verre d’un trait Judith : je ne suis pas sûre que tu saches ce que c’est que le pire…

    Noé : parle j’te dis !

    Judith : Je suis peut-être ta sœur !

    Noé : quoi ?

    Judith : Je suis peut-être ta sœur !

    Noé : Toi…ma sœur ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Expliques- toi enfin,

    parce que si c’est une plaisanterie, moi je la trouve complètement nulle ! Judith : ce n’est pas une plaisanterie : on a peut-être le même père ! Noé : écoute, Judith, j’comprends rien là… Judith : c’est pourtant clair ! Ton père a eu une liaison avec ma mère et je naissais peu de temps après, ça y est, t’as compris ? Noé : d’où sa réaction quand elle l’a reconnu sur la photo l’autre soir ! C’est dingue !

    Judith : en fait, ma mère n’en n’est pas sûre…

    Noé : c’est quoi, ce délire ?! Elle l’a reconnu ou non ?

    Judith : elle l’a reconnu oui ! Mais durant cette période, elle était prostituée…

    Noé : quoi ? Kris, une pute ?

    Judith : je t’en prie Noé, ne rends pas les choses plus difficiles !

    Noé : d’accord, d’accord, je t’écoute…

    Judith : elle se prostituait pour… bref, ton père a été son client plus ou moins

    régulier… Noé : ça y est ! Je me souviens : quand je me suis mis à parler de son hôtel particulier dans le quinzième, elle a paru gênée, et c’est très vite après qu’elle est partie brusquement ! Judith : l’ennui, c’est que ton père n’était pas son seul client, elle n’est donc pas sûre

    que ce soit lui mon père…. Noé : enfin, est-ce que tu trouves qu’on se ressemble ? Viens ! Viens ! (il l’amène devant la glace) On se ressemble ou non ? Judith : je ne saurais pas dire Noé, peut-être un peu oui…je n’en sais rien !

  • 33

    Homo cybernetus

    Noé : bon, qu’est-ce qu’on fait, qu'est-ce qu'on fait, hein? Maintenant que vous avez remué toute cette merde? Je ne sais plus qui je dois aimer, ma copine ou ma sœur ! Judith: il y a un moyen : il faut que tu essaies de retrouver ton père et lui demander

    d'effectuer un test ADN afin de le comparer au mien! Noé: mon père? Qu'il aille au diable! Moi qui fais tout pour l’oublier ! Judith : Noé, s’il te plait ! Noé : et puis maintenant qu’il s’est fait encarter, je n’ai plus aucun lien avec lui ! Judith : tu n’auras pas trop de difficulté à trouver, non ? Il s’agit de nous, chéri, de notre amour, mais après tout, je n’ai peut-être été pour toi qu’une aventure, une passade que tu pourras vite oublier ? Noé : Judith, tu sais bien que ce n’est pas vrai ! Judith : alors par pitié, essaie …Oui, retrouver ton père, c’est le seul espoir, tu entends, Noé ? Noé : qu’est-ce que ça peut faire, que tu sois ma sœur ou pas ? On s’aime, un point

    c’est tout ! Le reste, on s’en fout ! Il va vers elle et veut la prendre dans ses bras, elle s’échappe : Judith : non, Noé ! Non ! Je peux plus supporter tes mains sur moi, c’est…c’est horrible ! Rien qu’à l’idée de…de t’embrasser, de… de faire l’amour avec toi me révulse ! C’est affreux, affreux ! Noé : je te dégoûte, c’est ça ? Judith : mais non ! Je t’aime, imbécile, mais à l’idée que tu pourrais être mon frère, je… Noé : qu’est-ce que ça change ?!

    Judith : tu le fais exprès ou quoi ? Si on décide de vivre ensemble, c’est pour fonder

    un couple, un vrai couple et puis…les enfants ! J’aimerais avoir des enfants de toi Noé ! Pas toi ? Noé :…quelle connerie ! Il va jeter la photo à travers la pièce… saloperie de photo !

    Judith : retrouve ton père, et demande lui qu’il se soumette à un test ADN, s’il te plait ! Mon amour (tout bas) ! Noé :…tu as raison, c’est mieux, comme ça, on saura peut-être à quoi s’en tenir ;

    Judith (soulagée) : merci…je vais moi-même voir ce qu’il faut faire. Se dirige vers la

    porte ; on se retrouve au boulot tout-à-l ‘heure…se rendant compte de la bévue : oh, pardonne moi, je n’ai plus toute ma tête ! De ça aussi je suis un peu responsable !

  • 34

    Homo cybernetus

    Noé : de toute façon, ils m’auraient viré un jour ou l’autre, quelque-soit le prétexte…. Elle s’en va, il l’arrête ; fais gaffe à toi Judith, ce sont des méchants, des vicieux et toi, tu es gentille, et jolie…il veut l’embrasser, elle esquive et s’en va en pleurant. Noé : Noé, t’aurais pas dû te lever ce matin ! Perdre ton boulot et ta nana la même journée, super ! Il voit la bouteille de vodka sur la table, se sert un verre qu’il boit d’un trait avec une grimace ; il tousse ; c’est dégueulasse ! Il s’en ressert un deuxième verre, même jeu ; c’est vraiment dégueulasse !

    Scène 6 On entend frapper à la porte, il ne répond pas ; on refrappe… Jeremy : Noé ! Noé ! C’est moi, Jeremy !...Je sais que tu es là ! Noé : fous le camp ! Jeremy : j’ai des choses à te dire….des choses intéressantes ! Noé : fous le camp, je te dis, vas encarter ailleurs ! Jeremy : je sais où est ton père, Jeremy, je sais où le joindre ! Noé : quoi ? Furieux, il sort chercher Jeremy qu’il ramène par le col ; tu nous espionnais, crevure ! Tu écoutais aux portes !? Jeremy, très sûr, se dégage et répond à un interlocuteur lointain… Jeremy : non, non, maestré, pas de problème, je maîtrise la situation ! Noé (de nouveau sur lui) : espèce de fumier, comment tu sais ? Jeremy : calme toi ! Tu sais, pour nous, il suffit qu’on se connecte sur la ligne de téléphone, ou sur la ligne électrique, et on entend tout ce qui se dit chez n’importe qui, comme si on y était ! Noé : enfoirés ! Vous êtes vraiment des enfoirés, pire que le cancer ou la fièvre aphteuse ! Il s’apprête à le taper ; Jeremy : et comment tu vas retrouver ton père ?... Je serais toi, je ne ferais pas ça !

    Tu n’es pas encarté, ne l’oublie pas !...non, non ! Tout va bien Maestré…. Noé : et alors ? ça te défrises ? Jeremy : tu ne peux donc pas te connecter sur notre réseau ; comme il n’y a plus une seule trace de lui sur les autres réseaux existants…

  • 35

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    Noé : j’ai son adresse mail, ses numéros de portables, je sais où il travaille, où il habite… Jeremy éclate de rire : Ha, ha, ha!... Noé : quoi ? Tu te fiches de moi en plus ? Jeremy : ton père a changé de vie, de maison, de boulot, de look, de tout ! Ton père n’est plus ton père alors courage mon ami, tu en auras besoin… Il fait mine de partir Noé : attends ! …Accepterais-tu de m’aider ?

    Jeremy : je suis là pour ça mon ami !

    Noé : je ne suis pas ton ami…de m’aider gratuitement, sans contrepartie, sans

    condition ? Jeremy : je cherche simplement à te convaincre que l’encartement constitue pour toi la seule issue à ta situation et… Noé : c’est sans conditions oui ou non ?

    Jeremy : sans conditions ;

    Noé : alors retrouve- le en lui demandant…oh, et puis tu sais pourquoi !

    Jeremy : je l’ai en ligne !

    Noé : non, tu plaisantes ?

    Jeremy : pas du tout, c’est comme si il était là…(parlant au père) votre fils n’en

    revient pas que je vous ai déjà devant moi, en image holographique ! Votre costume est superbe…il est encore réticent, mais il est intelligent et…(il rit) oui, bien sûr, c’est votre fils… «c’était », si vous voulez ! Vous désirez lui parler ?...non ?...il souhaitait simplement savoir si vous étiez disposé à vous soumettre à un test ADN pour le comparer à celui de sa petite amie soupçonnée d’être votre fille…oui, c’est sa mère qui l’affirme… une ancienne prostituée, Kris je crois !... (à Noé) il trouve la situation plutôt cocasse… Noé : cocasse ! Décidément, l’encartement ne l’a pas arrangé ! Jeremy : il dit que baiser avec sa sœur, ça peut être excitant, ce n’est donc pas une raison d’en faire un fromage ! Noé : mais c’est justement ce que je voudrais savoir, savoir si c’est ma sœur ! Dites-lui à ce …! Jeremy : il entend ce que vous dites…il dit que pour lui c’est impossible puisque tu

    n’es plus son fils…ça a vraiment l’air de l’amuser…(au père) oui,

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    monsieur…évidemment…je vous comprends, c’est logique…(au fils)tant que tu ne te feras pas encarter, tu resteras un inconnu pour lui ; Noé : salaud !...mais pour le test, il peut bien accepter de le faire, qu’est-ce que ça lui coûte ? Jeremy : (au père) je l’ai vue, oui ! …ah, elle est jolie, c’est sûr !...d’accord…très

    bien…oui, merci encore…pourquoi pas…à bientôt peut-être…(à Noé) charmant votre père ! Noé : ça dépend pour qui, qu’est-ce qu’il vous a dit ?

    Jeremy : que tant qu’à découvrir qu’il a une fille, il voudrait qu’elle soit encartée ;

    Noé : ce qui signifie ?

    Jeremy : qu’il accepte de faire le test, à condition que Julie se fasse encarter, tout

    simplement ! Noé : jamais ! Qu’il aille se faire foutre ! Jeremy : ce serait peut-être à elle qu’il faudrait poser la question, non ? Noé : elle n’acceptera jamais un tel chantage ! Jeremy : qu’en sais-tu ? Non vraiment, c’est la solution ! Moi j’aurais dit la même chose ! Noé : fous le camp, casse- toi avant que je te la casse, ta grande gueule de robot

    vicelard ! Jeremy : d’accord, mais si tu as besoin de moi, j’ai laissé dans ta messagerie un numéro où tu peux me joindre à tout moment, n’hésite pas ! Noé : dégage !

    Jeremy sort : à très bientôt !

    Noé : jamais, tu m’entends ! JAMAIS !

    Jeremy : oh, si, j’en suis certain !

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    ACTE III Scène 1

    Dans le parc de l’hôpital, Judith et Kris sont assises. Kris est en tenue de « pensionnaire de l’hôpital », les cheveux couverts d’un foulard, lunettes noires, visiblement très fatiguée. Kris : j’aime cette saison, celle où tout décline, où les arbres pleurent leur feuilles, où le soleil devient paresseux, celle des frissons du matin, des pluies froides et persistantes, des premières gelées blanches, des premières nuits étranges…Ah ! C’est bon d’avoir froid ! Judith : tu as froid, maman ? Rentrons !

    Kris : non Judith ! Je suis bien là, avec toi ; je voudrais que le temps s’arrête…

    Judith : je t’ai apporté des revues et les deux Simenon que tu m’as demandés !

    Kris : merci ma chérie : les seuls que je n’ai pas encore lus, faut que je me

    dépêche : bientôt je n’aurai plus la force… Judith : ne dis pas de bêtises, je trouve que tu as bien meilleure mine que la semaine dernière ! Kris : merci Judith, mais depuis un mois que je suis là, j’ai vu mes cheveux tomber,

    je perds mes dents, j’ai fondu de 12 kilos, je n’arrive plus à avaler que du liquide, je passe la moitié de mon temps aux toilettes, l’autre moitié à somnoler et à faire des mauvais rêves… Judith : avec ton traitement, c’est normal, maman, mais tu verras, après… Kris : je ne ressortirai pas vivante de cet hôpital, je le sais Judith : et toi, il faut que tu t’y prépares ; Judith : tu t’en sortiras maman, comme les autres fois ; d’ailleurs, tout-à-l’heure, le

    médecin-chef m’a dit que, d’après dernières analyses, le nombre de… Kris : non, Judith ! Je connais le discours des médecins, mais moi, je ne veux plus me battre, je n’ai plus envie de guérir, et les blouses blanches auront beau faire tout ce qu’ils peuvent, je me laisserai bouffer sans résistance, tu comprends ? Judith : c’est parce que tu traverses une phase de dépression, et c’est normal, après ce que ton organisme a subi… Kris : ma chérie, je voudrais tant que tu comprennes que pour moi, c’est fini !

    Judith : mais pourquoi, m’man ?

    Kris : trop de souffrances, et puis, pour tout le monde, ce sera mieux !

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    Judith : qu’est-ce que tu racontes ? Kris : tu crois que je ne réalise pas les sacrifices que tu dois faire pour moi, pour me soigner, m’entretenir ! Judith : ce ne sont pas des sacrif…

    Kris : laisse-moi finir, je t’en prie !...Tu crois que je n’ai pas réalisé le mal que je vous

    ai fait, à toi et à Noé, sans que je ne puisse rien pour vous ? Tu crois que ce que j’ai vécu dans le passé me donne la perspective d’un avenir radieux et heureux ? Et tu crois que le monde ne se passera pas facilement de moi ? Judith : mais moi je n’ai pas envie de te perdre ! Kris : je le sais chérie, mais je sais aussi que tu n’as pas envie d’assister à mon agonie, et si tu m’aimes, je te demande d’accepter les choses, telles qu’elles sont, parce que c’est mieux comme ça ! Judith : plus tu parles et plus j’ai envie de t’écouter, comment accepter que je ne pourrai plus jamais t’entendre ? Kris :…faut que je te dise Judith : la seule chose qui vaille la peine d’être vécue,

    c’est l’amour mais moi, je n’ai jamais eu la chance de rencontrer quelqu’un à aimer ! Les circonstances sans doute : j’ai toujours eu l’impression d’être une barque à la dérive, ballotée d’un lit à un autre dans les bras d’inconnus qui me consommaient oh, pas comme un ballon de rouge ou une pinte de bière à la manière des prolos, non ! Je n’avais pas affaire à des mecs qui sentent la sueur, mais qui puent l’oseille, qui te consomment comme une coupe de champagne, ou une vodka, en balançant le verre au-dessus de l’épaule quand il est vide. J’en suis venue à me dire que les hommes ont le cerveau dans leurs couilles et le cœur dans leur pénis… J’ai jamais pu jeter l’ancre; des amours en stupre, pas en sucre, sans lendemains qui chantent…Et puis j’ai eu toi, de qui, je ne sais pas, mais de toute façon, jamais j’aurais voulu te partager avec un de ces types ; ta naissance a été ma renaissance, et je peux te le dire ma fille, tu m’a fait découvrir le bonheur, celui de sentir quelqu’un contre soi, d’abord tout petit, qui te suce le sein, et puis qui grandit, se blottit sur ton ventre quand il a froid ou peur, quelqu’un que tu aimes et qui t’aime… Une infirmière robot arrive :

    Scène 2 Infirmière : votre température interne est 0,6 degré inférieure à la température

    requise, patiente numéro 456, vous devez vous couvrir, ordre du service post- opératoire ! Elle lui tend une couverture Kris : non, merci ! Je préfère sentir un peu le froid !

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    Homo cybernetus

    Infirmière : désolée, mais ce n’est pas possible ! Votre température interne doit remonter impérativement ! Kris : et pourquoi donc ?

    Infirmière : cela risque de remettre en cause les effets de votre traitement, patiente

    numéro 456 ! Kris : je me nomme Kris, s’il vous le voulez bien, et je ne vois pas en quoi prendre un peu le frais serait nuisible à ma santé ! Infirmière : dans ce cas, je suis contraint de vous ramener à votre chambre, patiente

    numéro 456 ! Kris : il n’en n’est pas question ! Judith : oui, laissez-nous encore quelques instants ! Infirmière : désolé, les ordres sont les ordres… Laura fait irruption : Laura : que se passe-t-il ? Infirmière : la patiente numéro 456 refuse de suivre mes conseils, Infirmière 28 ! Kris : ah, bonsoir Laura ! Pourriez-vous expliquer à cette…entité que j’aimerais encore rester quelques minutes au calme avec ma fille ! Laura : je vais m’en occuper ; auxiliaire Raymond, ne vous inquiétez pas !

    Infirmière : à vos ordres, Infirmières 28, mais je serai obligé de faire un rapport

    circonstancié à la direction ! Laura : c’est effectivement ce que vous savez faire le mieux, allez continuer votre service, je vous prie ! Infirmière : à vos ordres…pour le moment…

    INFIRMIÈRE s’en va Judith : merci Laura ! Laura : ces auxiliaires encartées ! Ils se comportent ici comme à l’armée et voudraient que les patients marchent comme eux, au pas ! Aucune psychologie ! (à Kris) le médecin doit passer dans votre chambre dans dix minutes ; Kris : déjà ? Il ne peut plus se passer de moi ce brave homme !

    Laura : ne vous inquiétez pas, il a toujours du retard dans ses visites ; je viendrai

    vous chercher au dernier moment si vous voulez !

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    Kris : vous êtes un ange Laura ! Merci!

    Laura: vous avez une très jolie robe Judith, Kris ne vous l’a pas encore dit?

    Kris : non ! Faut dire qu’à travers mes lunettes ! (levant ses lunettes) C’est vrai

    qu’elle est très jolie ! Judith : merci Laura ! Laura : il n’y a pas de quoi… Elle s’en va

    Scène 3 Judith : très gentille cette infirmière !

    Kris : un vrai rayon de soleil ! Ses jours sont malheureusement comptés, comme tout

    le personnel non encore encarté ! Bientôt, la totalité du personnel ressemblera à cette...chose de Raymond(e) ! Décidément, il est vraiment temps que je m’en aille ! Judith : maman !

    Kris : détends toi, je plaisante ; et toi, où en es-tu avec Noé ?

    Judith : au point mort : depuis qu’il m’a parlé de la proposition de son père, j’essaie

    de l’éviter le plus possible ; Kris : pourquoi donc ? Judith : pour lui, nous pourrions continuer à être amants, et moi, je ne peux pas, c’est plus fort que moi ! Kris : dire que tout ça, c’est de ma faute !

    Judith : non, maman, tu n’es pas responsable ! C’est le hasard, nous n’avons pas eu

    de chance, c’est tout ! Du coup, Noé se jette à corps perdu dans les actions anti encartement ; il passe de plus en plus de temps en compagnie de ce prof de fac, un dénommé Declerc, très virulent ! Ils veulent former un parti révolutionnaire ; j’ai peur que ça tourne mal pour lui ! Kris : que comptes-tu faire ?

    Judith : depuis un mois et demi, je rumine ; je voudrais tant savoir, et en même

    temps j’ai peur de la réponse ; de toute façon, Noé refuse que je me fasse encarter. Jeremy dit que si nous étions tous les deux encartés, tous les problèmes d’inceste seraient résolus, nous pourrions vivre notre amour en virtuel…

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    Kris : qui est Jeremy ?

    Judith : un ancien copain du fast-food qui s’est fait encarter ; depuis, il n’arrête pas

    de nous harceler pour qu’on le rejoigne ; Kris : il s’est bien gardé de te parler des contreparties je suppose ! Judith : c’est vrai, et comment savoir comment c’est quand on est de l’autre côté : jusqu’à présent, aucun encarté ne s’est désengagé pour critiquer le procédé. Kris : qui te dit qu’un désengagement est possible ?

    Judith : que veux-tu dire, maman ?

    Kris : as-tu remarqué qu’aucune clause de désengagement ne figure dans leur

    contrat ? Judith : j’avoue que je n’y ai pas fait attention… Kris : et puis n’as- tu pas l’impression d’avoir affaire à de véritables mécaniques serviles, exemptes de tout sentiment ? Tous leurs faits et actes sont calculés… Judith : mais ils ne souffrent plus, ils sont heureux !

    Kris : Telnetsoft a savamment substitué au mot bonheur le mot plaisir : en donnant

    du plaisir aux gens, on lui fait oublier leur souffrance… Judith : oui, mais si la vie réelle te rend cette souffrance insupportable ? Kris : …alors je ne sais pas ma chérie ; Judith : qu’est-ce que je peux faire maman ? Kris : aimer, continuer à aimer, c’est ton amour qui guidera tes pas. Je te l’ai dit, une seule chose vaut d’être vécue : l’amour ! Laura entre, visiblement pressée

    Scène 4 Laura : Kris, je suis désolée, mais je dois vous ramener à votre chambre, le médecin sera là incessamment Kris : je suis prête, Laura !

    Judith : au revoir maman, je repasse te voir…

    Kris : non ! Judith, ne reviens plus ma chérie, je te le demande !

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    Judith : maman ! (elle se précipite dans ses bras) Je t’aime ! Kris : moi aussi je t’aime, je n’ai jamais aimé que toi ! Adieu mon bébé…Laura, emmène moi je te prie ! Laura : au revoir Judith, prenez soin de vous !

    Laura soutient Kris et la ramène à l’hôpital, Judith reste effondrée sur le banc.

    NOIR

    ACTE IV Scène 1

    Thomas est assis, la tête entre les bras, boudeur ; Fernand est debout Fernand : il n’est pas là je te dis ! Et têtu en plus !

    Thomas : Noétoucour ! Ici, la maison à Noétoucour !

    Fernand : oui, mais il n’est pas là, et je ne sais pas quand il va rentrer ! Et il s’appelle

    Noé, pas Noétoucour ! Thomas : ça f…ait rien ! Thomas va… attendre Noétoucour ! Fernand : mais Noé ne viendra peut-être pas ce soir, tu comprends ? Thomas : Thomas est bien ici ! Veux pas bouger ! Fernand (tout bas) : qu’il est chiant !…Ta Tante n’est pas avec toi ? Où est-elle ? Thomas : Tante… Très fâchée contre Thomas ! al’a al’a al’a Cassé mon pot ! Fernand : ton pot ? Ton pot de quoi ? On n’est pas sorti de l’auberge ! Thomas : de physalis alkekengi, Fernand : mais elle est où ? Je supporte plus là! Thomas : chais pas… Fernand : chai pas, chai pas…avec ça, on est bien avancé ! Thomas : Thomas a eu peur de Tante…elle a …elle a jeee..jeeeté mon potparrr…parlafff…lafnêtre ! Fernand : quelle famille de siphonnés !

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    Thomas : Thomas s’essssauuuvé ! Trop peur de Tante Fernand : qu’est-ce je peux faire de toi moi, hein ? Thomas….sais pas ! Fernand : on s’en serait douté ! Thomas : Noétoucour, lui gentil ! Fernand : oui, Noé gentil ! Et moi, si ça continue, je crois que je vais devenir méchant! Thomas (qui commence à tourner dans la pièce) tu parles à qui ?

    Fernand : je parle à qui, mais à toi ! A qui veux-tu que je parle ! J’en ai marre de ce

    taré ! Thomas : ah, tu vois ! Tu parles à qu…quelqu’un ! Noétoucour ! Noétoucour ! Fernand : mais non, il n’y a personne, je te dis ! Noé n’est pas là, là ! T’as compris ? Thomas a peur et va se rasseoir en pleurant Fernand : …allons, calme-toi ! Thomas : tu cries, comme Tante ! Fernand : attends ! Tu aimes les chocolats ? Thomas met un temps pour comprendre, puis fait oui de la tête Fernand : reste là, je reviens ! Fernand part à la cuisine et revient avec un paquet de gâteaux Fernand : je n’ai plus de chocolats, tu aimes les gâteaux ? Thomas fait non de la tête, mais au moment où Fernand repart à la cuisine, il va chiper les gâteaux pour aller les manger goulument sur son tabouret Fernand : bon ! Fernand, il faut faire quelque chose, et vite !...Ah ! Dis donc, Thomas, la plante que t’as donnée Noé, elle est toujours chez toi ? Thomas : bergénia cordifolia ?

    Thomas fait oui de la tête ; Fernand : Et...tu n’as pas peur que Tante te la jette par la fenêtre, comme l’autre là,

    le fils à Lise de mes deux ? Thomas s’arrête de manger brusquement : je…jeter bergénia cordifolia ?

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    Fernand : Parce que Noé ne serait pas du tout content de savoir qu’on a cassé sa plante ! Thomas s’agite de plus en plus Thomas : c’est pas vrai ! A peut pas!

    Fernand : et pourquoi ? Elle était très fâchée, non ? Et si elle la jette par la fenêtre

    aussi ! Thomas : nonnnn Tante, nonnn !!! Il se précipite vers la sortie Fernand : ouf ! Bon débarras ! Qui sait, Noé sera là avant qu’il revienne, parce que moi, les fêlés, ce n’est pas mon truc !

    Scène 2 Fernand découvre Jeremy qui était déjà là au moment du départ de Thomas Fernand : mais comment t’es rentré toi ? Jeremy : la porte était ouverte et je pensais… Fernand : pas pour des gens comme toi ! Il veut le repousser vers la sortie ; Jeremy : attends, je t’apporte quelque chose qui t’intéressera certainement ! Fernand : une publicité pour Telnetsoft ? Non merci ! Jeremy : non ! Un paquet de ton père ! Fernand, intrigué Fernand : de mon père ? Qu’est-ce qu’il a à voir avec toi ? Jeremy : il m’a chargé de te l’apporter ; Fernand : et pourquoi toi ?...Pourquoi pas le facteur, ou un employé ? Jeremy : tes parents se sont faits récemment encarté Fernand ! Fernand : non, ce n’est pas possible !...C’est une plaisanterie ! …Moi, ça ne me fait pas rire ! Mon père a beaucoup de défauts, mais pas celui d’être bête ! Jeremy : désolé, mais suite à une ordonnance du gouvernement, cette mesure

    touche tous les hauts fonctionnaires de l’Etat, et ceux qui s’y refusent sont renvoyés; enfin une mesure qui va dégraisser le mammouth ! Le président entend ainsi donner un signal fort à la nation toute entière ! Fernand : tu racontes des bobards !

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    Jeremy : tu es très mal informé mon jeune ami ! Allume ton holoviseur, et tu verras !

    Fernand : nous n’en n’avons pas ici !

    Jeremy : alors je t’apprendrai aussi que le Ministère du Travail vient de passer un

    accord avec Telnetsoft pour que dans les six mois, la totalité des cadres de l’Economie soient sur le Telnet…non, pas pour l’instant chérie, je suis en mission !...Hem, excuse-moi ! Fernand : tout ça ne me dit pas pourquoi mon père t’a envoyé ici ! Jeremy : nous autres les encartés formons un réseau très efficace de traitement d’i