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Homo Mobilis - Le nouvel âge de la mobilité

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Un ouvrage FYP éditionsLe nouvel âge de la mobilité. Éloge de la reliance. auteur : George Amarpréface : Armand Hatchuel, membre de l'académie de technologies. La mobilité est devenue un quasi-droit social, comme la santé ou l’éducation, un bien public, comme l’eau ou l’électricité. Pourtant, la multiplication des déplacements devient insoutenable (CO2, pollutions, congestion, etc.) et parfois, elle est plutôt subie que souhaitée.En fait, en même temps qu’elle se généralise, la mobilité commence à changer de sens et de valeur. Aller le plus vite possible, le plus loin ou le plus souvent possible, ne constitue plus la condition nécessaire ni suffisante d’une bonne mobilité. Ce qui compte désormais, c’est la richesse des opportunités, des rencontres, des expériences procurées ou favorisées par nos déplacements.L’auteur met ainsi le concept de « reliance », ou création de relations fécondes, au coeur de son analyse du changement de paradigme qui traverse les transports, les technologies de l’information et la vie urbaine en général. Fort d’une longue expérience et d’une expertise reconnue au plan international, Georges Amar nous éclaire sur les innovations qui vont, dès demain, transformer notre vie mobile, et la mettre sur la voie d’un développement durable. Cet ouvrage concerne chacun d’entre nous : professionnels, acteurs publics, élus, innovateurs, créateurs de nouveaux services, et l’Homo mobilis que nous sommes tous.

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Copyright © 2010 FYP éditions

Collection Présence / Essai

Une collection dirigée par Philippe Bultez Adams

Édition : Florence Devesa, Séverine David

Photogravure : IGS

Imprimé en France sur les presses de l’imprimerie Chirat.

Cet ouvrage a reçu le soutien du Conseil régional du Limousin et du ministère de la Culture et de la Communication, DRAC du Limousin, avec le concours du Centre régional du livre en Limousin.

f pyéditions

ISBN : 978-2-916571-42-3

© 2010, FYP éditions (France)

[email protected]

Tél. : 05 55 33 27 23

www.fypeditions.com

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Homo mobilis

Éloge de la reliance

Le nouvel âge de la mobilité

Georges Amar

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Georges Amar est né en 1950 à Rabat. Le baccalauréatobtenu en 1968, il se lance dans des études d’ingénieurà l’École des mines de Paris, où il s’initie à toutes sortesde sciences et à... la ville !Il entre en 1976 à la RATP, grande entreprise aux mul-tiples métiers, riche de traditions techniques et sociales,plongée dans la modernité, et qui aime la ville. Il y

exerce de nombreuses fonctions, de l’inspecteur de lignes au chef d’entretien,puis en bureau d’études où il devient le spécialiste de l’analyse et du traite-ment des phénomènes d’irrégularité des bus. Il alterne fréquemment les fonc-tions opérationnelles, notamment de direction de projet, et des activités derecherche et de prospective. Il anime pendant les années 1980 le programmede recherche « Réseau 2000 » et le séminaire « Crise de l’urbain futur de laville », démarches de coopération intensive avec le monde de la rechercheen sciences humaines, qui contribuent à l’évolution culturelle et au renouveaude l’entreprise. Les années 1990 le voient diriger des projets de « complexesd’échanges urbains » (comme celui du quartier de la Défense à l’ouest deParis) ou de services innovants (les « bouquets de services » du métro). Dansles années 2000, il met en œuvre une activité de prospective résolumentorientée vers l’innovation, devenue facteur indispensable de développementconcurrentiel et durable. Il s’agit de renouveler les méthodes de conception,les savoirs scientifiques, et la connaissance des transformations et innovationsdans les milieux et les pays les plus divers. C’est dans ce cadre qu’il élaboreprogressivement une réflexion générale sur l’évolution des usages, des sys-tèmes et des acteurs de la mobilité, et sur le « changement de paradigme »qui traverse l’ensemble de ce secteur.

Cette trajectoire professionnelle consacrée à la mobilité urbaine est enpermanence accompagnée d’une activité « polymathique » dans le champculturel, plus particulièrement dans les arts plastiques, la littérature, la poésie.De nombreuses expositions, personnelles ou collectives, des publicationsdans des revues (Cahiers de géopoétique et Les Annales de la rechercheurbaine, entre autres), et plusieurs livres jalonnent ce parcours. En outre, ilcoopère depuis de nombreuses années au mouvement transdisciplinaire fondépar le poète franco-écossais Kenneth White, l’Institut international de géo-poétique, qui apporte une dimension culturelle essentielle à la perspectiveécologique contemporaine.

Biographie

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Manhattan et autres poèmes urbains, L’Harmattan, 2007.

L’Inde danse : une saison de musique, L’Harmattan, 2005.

Mobilités urbaines : éloge de la diversité et devoir d’invention, Éditions de l’Aube, 2004.

Art poétique élémentaire : journal du rivage, L’Harmattan, 1998.

Subitement, voir : journal des encres, Éditions A.L.T.E.S.S., 1992.

Multiples contributions à des ouvrages collectifs et des revues, entre autres :

« Le sens de la Terre », Cahiers de géopoétique, n° 1, 1990 ;

« Du surréalisme à la géopoétique », Cahiers de géopoétique, n° 3, 1992 ;

« Notes cursives sur la joie de l’existence, la grâce des apparences, l’art géopoétique, et ce diable d’homme de Marcel Duchamp... »,

Cahiers de géopoétique, n° 4, 1994 ;

« Pour une écologie urbaine des transports », Les Annales de la rechercheurbaine, n° 59/60, 2001 ;

« Complexes d’échanges urbains, du concept au projet, le cas de la Défense », Les Annales de la recherche urbaine, n° 71, 1996 ;

« Le bonheur d’une ville », Les Annales de la recherche urbaine, n° 94, 2003 ;

« Orientation poétique avec Kenneth White et Gilles Deleuze », in Autour de Kenneth White, Jean-Jacques Wunenburger (éd.),

Centre Gaston Bachelard, 1996 ;

« Polymathie et illumination. Le génie poétique d’Arthur Rimbaud », in Les Nouveaux Régimes de la conception,

Armand Hatchuel et Benoît Weil (dir.), Vuibert, 2009.

Le site web d’œuvres plastiques de l’auteur :

www.res-extensa.com

Du même auteur

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Dédicaces 9

Préface 11

INTRODUCTION

Le nouveau paradigme de la mobilité 15

CHAPITRE 1

Quelle prospective en régime d’innovation intense ? 23

Une prospective de l’innovation 26La prospective comme analyse des paradigm shifts 29Transports urbains : enjeux et ambivalences de l’innovation 32Vers un changement de paradigme : du transport à la mobilité 35

CHAPITRE 2

Du transport à la mobilité : la mutation des usages 39

Homo mobilis : l’émergence de la « personne mobile » 44Qu’est-ce qu’un lieu à l’âge de la mobilité ? 48On a retrouvé le temps perdu ! 57Santé, longévité, mobilité 64L’enfer c’est les autres ? 71Le travail en mouvement 78Une mobilité (éco)vertueuse 80

CHAPITRE 3

Repenser les valeurs de la mobilité : 87le concept de reliance

De la valeur transit à la valeur reliance 89Au-delà du kilomètre : une autre croissance de la mobilité 96

Sommaire

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CHAPITRE 4

Des champs d’innovation inédits 101

Une innovation paradoxale ? 102Pas l’optimum, la variété 103Les champs d’innovation : soft, services, lieux et énergies 108Les mutations de l’information voyageurs : la softmobilité 109De nouveaux services : l’empowerment du voyageur 122L’« immobile », lieu d’innovation ! 131Les énergies nouvelles de la mobilité 142

CHAPITRE 5

L’innovation modale : la « transmodalité » 147

Une innovation conceptuelle 147Le génie de Curitiba : un métissage bus-métro 150Vers la « voiture publique » ? 159La redécouverte des pieds ! 167Mort et résurrection du tramway 176Vélib’, un « transport public individuel » 179Demain, le métro des échanges 182Une nouvelle génération d’infrastructures de la mobilité urbaine 189

CHAPITRE 6

Des acteurs métamorphosés : 193l’opérateur de mobilité

Les acteurs « classiques » 194Les individus acteurs de la mobilité urbaine 196Les « non-transporteurs » 198

CONCLUSION

Mobilité et innovation, les chemins de la reliance 203

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Étais-je donc destiné aux transports en commun ? Né pour la mobi-lité ? Nous le sommes tous peut-être. En tout cas mon enfance est richedes odeurs d’essence et de moteurs qui flottaient dans le garage de monpère, rue de Bordeaux à Rabat. C’est ma madeleine à moi ! Mon père,à qui je dédie ce livre, était un drôle de garagiste : humaniste bienveillant,amoureux des sciences et de la langue française. Dans mon jeune espritces valeurs s’alliaient donc sans peine au commerce des pneumatiques,carburants, véhicules en tous genres. Il y avait le magasin, avec sa gram-maire d’outils et de « pièces détachées », classées, bien étiquetées, etl’atelier, avec ses ouvriers aux bleus tachés de graisse plongés dans lesentrailles de voitures éventrées. Se peut-il que la poésie des machines rou-lantes ait pour moi précédé celle des livres, ou qu’elle l’ait profondémentimprégnée ? Que la mécanique du déplacement ait d’emblée été pour moichose humaine, chaleureuse, investie d’affect et de pensée ?

Hasard ou prédestination d’une enfance, j’ai passé l’essentiel de mavie professionnelle dans une entreprise de transports en commun, et parextension dans l’univers de la mobilité urbaine. Mais, comme dans legarage de mon père, les outils du transport m’ont toujours paru être desingrédients essentiels – la rencontre, le voyage – de la vie humaine eturbaine la plus large, riche d’avenirs et de sens.

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***

Un salut à François Ascher, dont l’amitié chaleureuse, la liberté intellectuelle, l’éclectisme professé et pratiqué,

l’engagement critique et bienveillant dans la cité, continuent de m’inspirer.

***

Bien que nourri d’une longue expérience professionnelle, de nombreux échanges,d’aventures partagées, ce livre n’engage évidemment que son auteur.

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À l’apparition des premières lignes de chemin de fer, peud’observateurs pensèrent qu’elles annonçaient une révolu-tion du voyage, des villes et de l’ensemble des activités éco-nomiques. On était plus enclin à y voir un perfectionnementdes anciens modes de transports : un train de diligences...sans chevaux, à peine plus puissant grâce à la vapeur. Avecla découverte des ondes radio, on pensa d’abord à une com-munication sans fil, une sorte de télégraphe immatériel...On était loin des bouleversements de la communication, dela culture, et de la politique qu’engendra la « radio ». C’estainsi : face à l’inconnu, il est plus facile et plus rassurantde ne déceler qu’un perfectionnement du connu.

Peut-il en être autrement ? Par sa méthode et ses conclu-sions, l’ouvrage de Georges Amar démontre remarquable-ment que l’on peut penser et agir différemment. Chercheurinfatigable, pratiquant avec rigueur l’interdisciplinarité, théo-ricien des villes et de la mobilité, Georges Amar est interna-tionalement connu pour avoir pensé très tôt les mutations

PRÉFACE

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des modes de transports collectifs et particuliers. En outre,sa démarche reste aussi importante que ses conclusions, carelle développe une prospective qui se veut inventive pourmieux être... réaliste !

L’idée est simple, d’une surprenante rationalité, et sesconséquences ont une grande portée. Face à l’inconnu, il nes’agit pas de prévoir, mais au contraire d’innover ! Car pourcomprendre le futur, il faut agir non en devin mais en inven-teur, c’est-à-dire en concepteur des choses qui n’existentencore qu’à l’état de simple potentiel ! Et si cette attitudepeut paraître troublante, elle est pourtant d’une logique irré-prochable, voire la seule logique tenable.

Car elle est d’abord consciente de la puissance d’innova-tion du monde contemporain. Puissance décuplée par lacompétition mondiale, la transformation des sociétés et lesefforts de recherche colossaux consentis par la majorité desÉtats. Du reste, depuis deux siècles, la puissance relative dechaque pays se rediscute, à nouveaux frais, à chaque arrivéede nouvelles idées techniques ou avec la formation de nou-velles valeurs. Ainsi, les États émergents, comme la Chine,le Brésil ou l’Inde, ont saisi depuis vingt ans toutes lesvagues d’innovation comme des occasions d’infléchir, unpeu plus en leur faveur, l’équilibre relatif des nations. Maisn’est-ce pas ce que les jeunes États-Unis d’Amérique avaientdéjà réalisé, au XIXe siècle, en inventant, mieux que la vieilleEurope, un nouveau machinisme industriel ?

Aujourd’hui, la mobilité constitue un tel champ mondiald’innovation, et Georges Amar le démontre en attirant notreattention sur une série de ruptures qui vont en s’amplifiant.Mais il insiste aussi sur l’idée que le « nouvel âge de lamobilité » qui se dessine n’est pas réductible à une série de

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solutions techniques qu’il suffirait d’acquérir. Son dévelop-pement exige une capacité et des méthodes d’innovationrenouvelées qui seules permettront de concevoir les nou-veaux systèmes techniques, sociaux et communicationnelsen germe dans ces ruptures. C’est donc à la fois une invita-tion et une alerte à l’adresse des acteurs de la mobilité : pou-voirs publics, opérateurs et équipementiers.

Invitation à comprendre les bouleversements inédits de lamobilité que prépare la conjonction entre de nouvelles tech-nologies de la communication et du transport, entre de nou-velles approches du temps, de la qualité de vie et del’échange social.

Alerte, parce que ces bouleversements ne se donnent pasaisément à voir ou ne seront clairement visibles que lorsqu’ilsera trop tard pour en être les véritables pionniers ! Car rienne semble aussi immuable que les systèmes de mobilité. Onpeut imaginer un métro plus rapide ou plus automatique,mais il s’agira encore d’un métro ! On peut aussi penser àdes bus électriques ou à des tramways high-tech, mais toutnous pousse à penser que ce seront toujours des bus et destramways.

Il faut ici toute l’expérience de Georges Amar et surtoutun effort de conceptualisation peu commun, pour nous pré-munir contre des raisonnements trop hâtifs qui nient la trans-formation en cours de l’identité des systèmes et des modesde transport sous l’influence des nouvelles techniques decommunication et des nouvelles valeurs de la rencontre. Ilattire de même notre attention sur les postulats implicitesqui sous-tendent les définitions de la mobilité elle-même ;ainsi que celles de sa signification sociale, corporelle etémotionnelle.

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Enfin, ses analyses des vélos en libre service, des bus deCuritiba, du « métro des échanges », ou ses propositions surl’avenir insoupçonné de la marche, constituent de limpidesillustrations d’une théorie de la « reliance » qui éclaireremarquablement la mutation en cours. Cette percée théo-rique est le meilleur signe du caractère créatif de la réflexion.Car les nouveaux systèmes de mobilité ne seront pas de lamobilité classique additionnée de nouvelles techniques.Inévitablement, ce que l’on appelle « mobilité » sera étendu,enrichi et révisé. La notion de « reliance » marque bien cetteexpansion nouvelle de l’idée de mobilité et devrait connaîtred’importants développements tant sur le plan de la rechercheque sur le plan des pratiques des concepteurs.

On l’aura compris, ce livre nous fait d’abord prendreconscience des multiples révolutions de la mobilité. Maisl’auteur va plus loin en nous montrant la profondeur etl’unité théorique de cette mutation. Munis de tels outils,tous les acteurs de la mobilité pourront mieux penser leursmissions, et surtout mieux se doter de méthodes et d’équipespermettant de conduire les innovations qui marqueront lessystèmes de mobilité du XXIe siècle.

Georges Amar nous offre ainsi un ouvrage sans équi-valent et d’une rare qualité d’écriture. Dans un domaineessentiel de la vie moderne, il nous apprend à penser et àparticiper, si nous le souhaitons, à la puissance créatrice dumonde.

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Armand Hatchuel est professeur à Mines ParisTech,

chaire de théorie et méthodes de la conception,membre de l’Académie des technologies.

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La mobilité urbaine croît continûment et partout dans lemonde, mais cette croissance, pourtant créatrice de richesse,est globalement de moins en moins soutenable. Rejets deCO2, pollutions diverses et congestion augmentent, lesfinancements publics traditionnels deviennent insuffisants,l’équité sociale en matière de mobilité reste très imparfaite.L’enchérissement tendanciel de l’énergie provoque la satu-ration des réseaux de transport public. Tout cela constitueune puissante incitation à l’innovation, bien au-delà de sesformes habituelles. En fait, tiré par la crise écologiquelatente de la mobilité et poussé par le développement rapidedes technologies de l’information et de la communication(TIC), se produit sous nos yeux un véritable changement deparadigme : une évolution profonde et simultanée des

INTRODUCTION

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usages, des outils, des acteurs, et finalement des valeurs –voire des imaginaires – de la mobilité urbaine.

Le terme même de « mobilité », qui s’est récemmentimposé, sinon substitué, à ceux de « transport », « déplace-ment », « trafic » ou « circulation », est un bon indicateurde cette évolution. Il signale notamment que, par-delà lesdivers systèmes de transport qui en sont les outils, la mobi-lité (des personnes et pas seulement d’elles) est désormaisle mode de vie et de fonctionnement dominant de notresociété. À ce titre, elle est d’ailleurs devenue un quasi-droitsocial, un peu comme la santé ou l’éducation ; ou un bienpublic, comme l’eau ou l’électricité, dont nul ne saurait êtreprivé. Or, il ne s’agit pas, dans la transition actuelle du trans-port à la mobilité, d’une simple extension de domaine oud’une reformulation, mais d’une mutation qui affecte sasignification même. Pour en résumer l’esprit, on peut direque la mobilité est de plus en plus comprise en termesde création de liens, d’opportunités et de synergies, plutôtque de pur franchissement de distances, à vitesse plus oumoins grande. Autrement dit, la « reliance » devient lavaleur nouvelle de la mobilité, englobant et dépassant lavaleur vitesse-distance qui présidait au paradigme dutransport.

Cette évolution se traduit par une série de transformationsau plan des usages, dans la manière dont les gens vivent leurmobilité. Le temps de transport, par exemple, n’est plusconçu ni accepté comme une pure et simple « perte detemps » ; la notion d’attente elle-même, pourtant si liée autransport collectif, a tendance à se dissiper, devenant grâceà l’information dynamique un temps de transition utilisable.La notion de lieu est elle aussi affectée : les étapes et relais

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du mouvement urbain (gares, stations et d’autres) deviennentles lieux à haute valeur de la ville. Même la relation au corpset à la santé se transforme, depuis qu’il est démontré quel’activité physique prévient de nombreuses pathologies, ouque longévité heureuse rime avec mobilité. La relation auxautres, que les technologies de l’information à la fois disten-dent et intensifient, offre des opportunités et des défis nou-veaux au transport public, lieu traditionnel du brassagesocial. En fait, la transition « transport-mobilité », s’inscritdans le cadre une évolution plus profonde correspondant àl’émergence d’une « vie mobile » (et, d’ailleurs, d’une« ville mobile »). Le paradigme classique du transport estcentré sur l’efficacité, la fiabilité et la sécurité de la « gestionde flux », conçus comme flux de particules-voyageurs rela-tivement uniformes et passives. Le nouveau paradigme,celui de « la mobilité pour tous et chacun sa mobilité », yintroduit l’individu, la « personne mobile », multimodale etcommunicante, coconceptrice et coproductrice de sa propremobilité.

Autant que dans les usages, le changement de paradigmese manifeste dans les outils et les offres de services. L’inno-vation s’intensifie, mais elle n’est pas toujours là où on l’attendait ! C’est ainsi que l’accent longtemps mis sur lapuissance de transit (la vitesse, la capacité, la portée) sedéplace en partie sur des aspects « périphériques » ou« immatériels », jusqu’alors au second plan : les interfaceset l’accessibilité, les lieux et la partie « immobile » de lamobilité, la facilité d’usage, la relation et les services et, defaçon générale, sur les aspects soft. C’est désormais l’intel-ligence (le smart) et les usages de la puissance, plutôt queson seul accroissement, qui font l’objet de l’innovation.

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L’information sous toutes ses formes devient un ingré-dient essentiel des systèmes de transport. Au-delà de sa fonc-tion classique de signalétique spatio-temporelle ou de moded’emploi, elle est à présent le software d’un système dont lesvéhicules et les infrastructures sont le hardware... L’intelli-gence « distribuée » au niveau des individus équipés desmartphones de plus en plus performants, transformera lagestion en temps réel de la mobilité.

À côté des développements technologiques, la dimensionde service vient au premier plan du métier des transporteurs,au point de le redéfinir en partie comme service à la per-sonne mobile, qui s’enrichit de nouvelles offres tournéesvers l’empowerment du voyageur, c’est-à-dire son autonomieet sa maîtrise dans l’usage des ressources multimodales etl’usage enrichi de son temps mobile. Par exemple, des ser-vices de pédagogie, des services de voisinage et de mise enrelation, qui valorisent les espaces-temps de la mobilité.

Parallèlement, les interfaces, la partie « immobile » dutransport, les lieux de la mobilité, dont le spectre va du pointd’arrêt de bus ou de la station vélo (voire du banc public !)jusqu’au pôle d’échanges multimodal et multiservice, sontdevenus en quelques années les véritables charnières dessystèmes de transport, où se joue une grande part de la qua-lité de service et de la valeur économique.

La mutation conceptuelle en cours affecte égalementl’une des notions centrales du monde du transport, celle demode de déplacement. C’est l’émergence de la « transmo-dalité », une nouvelle manière d’innover qui touche tous lesmodes de transport, publics, privés ou individuels. Au-delàdes identités modales traditionnelles, leurs métissages ou« croisements génétiques » constituent aujourd’hui un for-

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midable champ d’innovation. Voiture partagée, vélo public,pédibus, bus-métro, tram-train, et bien d’autres, sont lesnouvelles figures du transport. Même les catégories géné-rales et longtemps tenues pour contraires, comme l’opposi-tion VP/TC (voiture particulière/transport en commun) ouplus généralement « transport individuel versus collectif »,sont en train de s’hybrider comme on le voit avec les ser-vices de type Vélib’ ou Autolib’, qui ressortent clairementdes transports publics individuels (ou TPI), catégorie para-doxale mais non moins réelle, et sans aucun doute pleined’avenir !

Les nouveaux processus d’innovation, privilégiant le soft-ware et l’hybridation modale, produiront un nombre crois-sant de modes de transport. Ainsi, l’optimisation de lamobilité d’un territoire n’est plus la recherche du « modeidéal », mais la variété elle-même, intégrant modes rapideset lents, mécanisés et « doux », individuels et collectifs (etleurs mix), etc. La multimodalité la plus large s’imposedésormais : il faut la considérer comme un principe d’éco-logie urbaine, la diversité modale constituant, pour l’éco-système urbain, un équivalent de la biodiversité pour lesécosystèmes naturels.

Cette diversité croissante met encore plus en valeur undes points notables de l’évolution en cours : le « mode » quiconstitue la clé de voûte de l’architecture multimodale est...l’individu, la personne mobile elle-même : avec son corps– jambes et cerveau compris – avec son smartphone auxinnombrables applications, avec les multiples équipementsportables, prothèses créatives et « services mobiles » enplein essor. C’est lui/elle, Homo mobilis « augmenté » –dans son corps et ses fonctions cognitives, mais aussi par

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ces « bottes de sept lieues » que sont le vélo, l’auto, le métro,etc. –, qui est le centre actif des systèmes de mobilité duXXIe siècle. Le « marcheur hypermoderne » (pour paraphra-ser François Ascher (1)) pourrait être vu comme l’« inframodedécisif », sensible et intelligent, de l’infrastructure complexede la ville durable.

Le principe de reliance, qui caractérise le paradigme dela mobilité au plan des usages, inspire également les nou-velles formes d’optimisation et d’innovation. La mise encorrespondance, l’intermodalité et l’interconnexion desréseaux sont des facteurs d’efficacité aussi importants, sinonplus, que la performance de chaque mode ou réseau prisséparément. Ce principe n’est d’ailleurs pas réservé aux sys-tèmes de transport : la notion de smart grid (réseau intelli-gent) issue du domaine électrique tend à se diffuser dansd’autres. L’une des perspectives les plus prometteuses enmatière d’infrastructures urbaines est précisément celled’une reliance, création de liens et de synergies, entre desréseaux de flux urbains de natures très diverses : flux devoyageurs, d’informations, d’énergies, de marchandises, dechaleur, de déchets, de services, de formes culturelles, etc.

La grande leçon de l’écologie, c’est que les êtres ne sontrien sans les relations qu’ils entretiennent avec les autres,avec les milieux dans lesquels ils vivent, avec leur environ-nement. La vertu du nouveau paradigme de la mobilité estde redécouvrir la valeur de la relation, de la reliance (acte derelier aussi bien que son résultat) dans le cadre d’une évo-lution générale des comportements et des valeurs, à laquelle

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(1) François Ascher, Le Mangeur hypermoderne, Odile Jacob, 2005.

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les TIC ont donné des ailes. Nous sommes entrés dans« l’univers des échanges », et ce n’est pas le moindre para-doxe que les puissantes technologies de la communicationà distance aient aussi pour effet la redécouverte du local, duproche et du prochain ; et même une reprise de pouvoir duconsommateur-citoyen sur les objets et services de son quo-tidien. La street corner society (société des proximités) faitbon ménage avec Google Streets, et le débat public est sou-vent numérique. L’innovation technologique dans les trans-ports n’a plus pour seul objet l’automatisation des processus,mais aussi l’enrichissement des capacités d’interaction desindividus et la reliance des sous-systèmes urbains, induisantde nouvelles coopérations et synergies.

Un nouveau paradigme émerge. Cela ne signifie pas queles outils hérités du XXe siècle vont disparaître ! S’il est utilede parler de changement de paradigme, c’est pour se souve-nir qu’il serait dangereux et inefficace de chercher des solu-tions aux problèmes du XXIe siècle dans la seule « boîte àoutils » du XXe siècle. Pour autant, les (r)évolutions dans lemonde du transport consistent souvent en une réécritureinnovante du passé : quel meilleur exemple que celui duretour triomphant (et « transfiguré ») du tramway et du vélodans les villes françaises ? Le transport de masse est lui-même à repenser dans le cadre du paradigme de la mobilitépersonnelle. C’est en s’appuyant sur l’intelligence « massi-vement parallèle » de l’ensemble des voyageurs (si l’on saitl’orchestrer) et sur les principes du crowdsourcing (faire dela foule une ressource), que l’on pourra aborder autrementles difficiles problèmes de régulation et de développementdes grands systèmes.

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Le champ d’innovation qui s’ouvre pour les transportsurbains est lui-même de nature « éco-logique » : moins enquête de solution optimale unique, que de diversité dans lesmanières de se mouvoir et d’habiter. Nous traversons unepériode de transition majeure dont l’enjeu est le développe-ment durable de la mobilité urbaine, et qui suppose unedynamique d’innovation continue et d’apprentissages croi-sés. Les solutions actuelles, même améliorées, ne suffirontpas à relever ce défi. Les solutions de demain, il faudra leschercher dans le nouveau paradigme de la mobilité. Pour encomprendre les enjeux, il faudra les examiner sur troisplans :

- Le passage du transport à la mobilité, et du transit à lareliance, qui transforme radicalement les usages et lesvaleurs ;

- Le passage du hardware au software et de la puissanceaux interfaces, qui renouvelle en profondeur les outils et lesmoyens ;

- La mutation des acteurs, stratégies et métiers vers l’opérateur de service mobilité (ce troisième volet débordantdu cadre du présent ouvrage, il ne sera qu’effleuré dans ladernière partie).

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La prospective, dans son sens courant, est l’effort dedétecter et d’analyser les tendances évolutives probablesd’un système ou d’un domaine. Mais nous savons de mieuxen mieux que ce qui arrive n’était, bien souvent, ni probable,ni même envisagé ou envisageable ! La liste de ce quioccupe aujourd’hui le devant de la scène et que « nousn’avions pas prévu » il y a trente, vingt ou même dix ans,serait édifiante... Nous savons désormais que l’avenir estimprévisible. Et nous savons même pourquoi. L’avenir n’estpas imprédictible pour quelque raison mystérieuse ou méta-physique, mais tout simplement parce que nous innovonsde plus en plus ! Et parce que le propre de l’innovation estprécisément de « changer l’avenir ».

Quelle prospective en régime

d’innovation intense ?

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Il y a peut-être aujourd’hui dans un garage de Califor-nie (2) (ou d’Île-de-France, de Shanghai ou de Bangalore) ungarçon ou une fille de 20 ans en train d’inventer une tech-nologie, un service ou une molécule qui vont changer notrevie dans les cinq ou dix prochaines années, d’une façon quenous n’imaginons même pas ! L’avenir résulte, pour unelarge part, de nos propres créations. Est-ce si vrai que cela ?En tout cas, nous le croyons, le craignant presque autant quenous le désirons. En témoigne le fait que la « créativité »est devenue un leitmotiv dans les milieux les plus variés.Pour le dire dans les termes de Claude Lévi-Strauss, noussavons désormais que nous vivons dans une société« chaude » qui, contrairement aux sociétés « froides »(qu’étudient généralement les ethnologues), fait de l’inno-vation son principe même d’existence. On peut dire à cetégard que notre société – que l’on ne peut même plus borneren la qualifiant d’occidentale – est de plus en plus chaude.Et, par conséquent, que les évolutions qui la traversent sontde moins en moins prédictibles. Cela, après tout, pourraaussi bien nous rassurer que nous inquiéter : même le piren’est pas certain !

Mais alors, comment faire de la prospective ? Est-ce pos-sible ou seulement concevable ? C’est une question quim’intéresse particulièrement, puisque la prospective est monmétier ! Observons d’abord que l’idée que l’on se fait de laprospective (et de toute démarche relevant du « rapport aufutur », de la planification à la... voyance) dépend de celleque l’on se fait de l’avenir. L’avenir est en effet la notion la

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(2) C’est évidemment un mythe romantique d’imaginer que les grandes inventions et les grandesfortunes des TIC se sont forgées dans des garages. Elles ont nécessité des ressources, de longsefforts de recherche, des stratégies structurées et répétées. Mais ce « mythe du garage » exprime à sa façon la part d’imprédictible de l’innovation.

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plus « culturelle » qui soit ! Si l’on pense, croit, sait oudécide que « demain sera comme aujourd’hui », on dévelop-pera des rituels de répétition des origines destinés à assurerla stabilité du monde. Si l’on croit raisonnablement que lesévolutions les plus probables suivront linéairement des ten-dances (la pente de la droite ou de la courbe) déjà mesu-rables, alors on pourra faire de la planification ; et s’il y aplusieurs tendances alternatives vraisemblables, on se livreraen outre à des exercices de « prospective par scénarios »(encore appelés « futurs possibles »). Mais si l’on a quelquesraisons de croire que le devenir est radicalement nonlinéaire, que faire ? Une « prospective de l’imprévisible »n’est-elle pas un oxymore ?

Sans cultiver davantage le paradoxe, il est clair que seuleest pertinente une prospective qui assume la nature complexedu processus évolutif réel. Nous avons besoin d’une pros-pective qui tienne compte de l’innovation comme facteuressentiel de production de l’avenir. La prospective tradition-nelle a pour principe de prolonger les tendances en cours, ensupposant l’absence d’innovation significative, ou de « révo-lution » si l’on préfère, entre le moment de l’anticipation etcelui de la réalisation. Pour être plus exact, on dira qu’ellefonctionne « à concept constant » : elle considère que beau-coup de choses peuvent changer, mais que notre langage dedescription de la réalité demeure quant à lui stable. Unexemple, dans le monde des télécoms, serait de penser quemalgré l’innovation qui y préside, un téléphone est un télé-phone, c’est-à-dire que sa définition reste pour l’essentielinchangée. L’iPhone serait alors un pur ovni ! Si une telleprospective linéaire a pu, dans un contexte de relative sta-bilité (réelle ou crue telle), constituer une approximation

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acceptable ou un instrument utile pour la gouvernance del’évolution, ce n’est plus le cas face à la pression d’innova-tion exercée par le contexte écologique et économiquecontemporain.

Une prospective de l’innovation

Faire de la prospective en régime d’innovation intenseest possible – et même indispensable, si l’on veut optimiserun tant soit peu l’effort d’innovation, gérer la prise de risqueque cela comporte nécessairement. C’est au fond ce que faitd’instinct un innovateur : il sait, croit, ou sent que telle direc-tion d’investigation est propice, il y va et il « creuse », un peucomme un chercheur d’or ! Il ne creuse évidemment pas auhasard, même si la découverte d’une pépite reste une divinesurprise ! Même en l’absence de connaissance assurée, ladétection par tous les moyens possibles des champs propicesest une ressource essentielle. On pourrait dire que le pros-pecteur (d’or ou d’autre richesse) fait de la prospectivecomme Monsieur Jourdain faisait de la prose ! Commentcette prospective de prospecteur peut-elle avoir des basessolides et dépasser le stade de l’intuition ou de la rumeur ?Il faut à présent oublier la métaphore du chercheur d’or, oùla source d’incertitude est liée à une insuffisance provisoirede connaissances géologiques. Dans le domaine de l’inno-vation, c’est le futur lui-même qui serait frappé d’un « prin-cipe d’incertitude », du fait même de notre existence et notreactivité, qui introduisent des innovations dont les effets nesont, par définition, pas tous connus ! Nous intervenons defaçon de plus en plus intrusive sur l’évolution des systèmes

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de tous ordres dans lesquels nous vivons (jusqu’au systèmeTerre), et nous avons, pour cela même, besoin de com-prendre le mieux possible cette évolution. Tel est le cahierdes charges de la prospective dans le contexte actuel. Uneprospective en régime d’innovation intense, qui serait parlà même une prospective de et pour l’innovation.

Les différentiels de vitesse d’évolution

La possibilité d’une telle prospective de l’innovationrepose sur la compréhension des différentiels de vitesse detransformation des diverses strates d’un système évolutif.C’est ainsi, par exemple, que dans une entreprise les tech-nologies changent généralement plus rapidement que lescompétences, ou que les modes de gouvernance ; les dimen-sions culturelles étant en principe celles qui évoluent le pluslentement. Disons, pour aller au plus simple dans ce quinous intéresse ici, qu’il est nécessaire et possible de distin-guer deux plans, correspondant respectivement aux innova-tions effectives et aux champs conceptuels sous-jacents. Unetelle distinction permet de dépasser l’apparent paradoxed’une « prospective de l’imprévisible ». Le plus imprévi-sible, en effet, c’est que telle innovation concrète (produit ouservice nouveau), à tel moment et en tel lieu, prenne commeune traînée de poudre tandis que d’autres, pourtant fondéessur d’aussi bonnes idées, piétinent. En revanche, aussi sur-prenants que soient leur émergence et leur destin, les inno-vations concrètes renvoient à des innovations conceptuellesqui n’ont pas du tout les mêmes rythmes et modalitésd’existence. Un même concept nouveau pourra donner lieuà des générations d’objets extrêmement différents (parexemple l’automobile : de la 2CV à la Ferrari). Inversement,

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des innovations apparues d’abord de façon pragmatique,pourront induire des expansions conceptuelles nouvelles etfécondes.

Innovations effectives et « nappes conceptuelles » : le cas Vélib’

Vélib’ est un bon exemple contemporain de ce décou-plage : ce système de vélo en libre service lancé en 2007dans la ville de Paris a connu un succès foudroyant (un peutempéré ensuite par de sérieux problèmes de vandalisme etde maintenance). L’ampleur de ce succès n’était guère pré-dictible, la pratique du vélo n’étant pas une tradition à Paris,comme elle peut l’être dans des villes comme Amsterdam ouCopenhague. Mais indépendamment de l’analyse circons-tancielle que l’on pourrait faire de l’événement Vélib’ dansle contexte sociologique et politique d’une ville particulièreà un moment bien précis, il reste possible et nécessaired’identifier le champ conceptuel qui à la fois sous-tend ets’enrichit de l’aventure Vélib’. Ce succès surprenant auracontribué à clarifier et à crédibiliser un concept longtempstenu pour inconsistant ou contradictoire : le transport publicindividuel. Par-delà la séparation, croyait-on étanche, entretransport public et transport individuel, apparaissent desformes hybrides, dont Vélib’ est à présent l’emblème. Et iln’est pas besoin d’être prophète pour prédire avec confianceque beaucoup de systèmes de mobilité de demain seront desTPI. Le concept de transport public individuel, que Vélib’ a« validé » et popularisé, a évidemment un spectre bien pluslarge que celui du vélo en libre service parisien (et lyonnais,qui a été le premier à le réaliser). Il inspire déjà d’autres pro-jets, au-delà du vélo (par exemple le système Autolib’), etconduira certainement à des innovations encore inconnues...

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La prospective comme analyse des paradigm shifts

Comme on le voit sur cet exemple, c’est le décalage entreles deux plans, opérationnel et conceptuel, qui permet defaire de la prospective. Le rapport entre le plan des conceptset celui des objets (ou des actes) n’est évidemment pas unrapport de causalité simple. Les allers-retours sont fréquentset s’étendent sur d’assez longues périodes de temps. Il arrivesouvent que les faits, les réalisations, anticipent sur les théo-ries et les conceptualisations qui les « expliqueront », et sur-tout leur permettront de se déployer et de rebondir dansd’autres dimensions. La mise en évidence, la formulationet l’analyse des concepts porteurs du processus évolutif dansun certain domaine et à une époque donnée permet non pasde prédire les innovations à venir, mais de dire dans quellesdirections, dans quelles « régions » elles vont probablementse produire. On pourrait également dire, en termes contem-porains, que la prospective est un « accélérateur de sérendi-pité (3) » : sans nier le rôle du hasard, ni le rapport à l’inconnuqu’entretient toute démarche de recherche et d’innovation,elle contribue à augmenter les chances de trouver quelquechose, qui nous intéresse ou nous intéressera, sans que l’onsache quoi exactement...

La prospective de l’innovation a pour principe d’analyserdes cas d’innovation effective, pour en inférer des nappesconceptuelles, encore mal identifiées, que ces cas n’épuisentpas, mais dont on perçoit au contraire la fécondité potentielle.

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(3) Ce néologisme dérivé de l’anglais serendipity désigne les découvertes inattendues, faites grâce auhasard et à l’intelligence.

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Elle interprète les innovations concrètes contemporainescomme autant d’indices de vastes changements de para-digmes parfois peu lisibles directement dans toute leurdimension et leur cohérence ; un peu à la façon dont les cra-quements circonstanciels de la croûte terrestre, éruptionsvolcaniques ou séismes, même de faible amplitude et appa-remment aléatoires, sont lisibles comme manifestations degrands mouvements géologiques, glissements de plaquestectoniques continentales. Faire de la prospective consisteraitainsi à « lire » les paradigmes émergents à travers desensembles de transformations et innovations en cours ourécemment intervenues sur des aspects multiples d’un mêmedomaine (celui des transports et de la mobilité, pour ce quinous concerne ici), pour en comprendre la cohérence sous-jacente et la « portance ». En effet, c’est là tout l’intérêt, lesparadigmes changent moins vite que les choses ! Moins viteque les objets techniques, et même parfois que les villes.On se souvient des vers de Baudelaire (4) :

« Le vieux Paris n’est plus (la forme d’une villeChange plus vite, hélas ! que le cœur d’un mortel) »

La notion moderne de paradigme (5) (assez différente deson sens étymologique grec, qui signifie « exempletypique ») a été développée par l’historien des sciences Thomas Kuhn, dans son livre La Structure des révolutionsscientifiques (1962). Ce terme, qui a connu une fortuneconsidérable, désigne un corpus de croyances, concepts,valeurs et techniques, partagé par les membres d’une com-

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(4) Vers dont Julien Gracq a tiré le titre d’un livre bien connu : La Forme d’une ville, José Corti, 1985.

(5) Paradigme : conception théorique dominante d’une époque, admise et intériorisée comme lanorme par la communauté scientifique, qui détermine la manière d’appréhender la réalité.

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munauté scientifique, pour une période donnée. En fait, ildéborde largement le domaine scientifique où il est né,comme cela arrive souvent, pour désigner un cadre concep-tuel global et cohérent, et ses mutations. Car la notion leplus souvent mobilisée est celle de « changement de para-digme » (paradigm shift), pour caractériser des périodes detransformation globale d’un champ de connaissance et decompétence, comme nous allons le faire dans celui du trans-port. Elle permet non seulement d’en appeler à une appré-hension globale complexe des manières de sentir, de penseret d’agir, mais également de renvoyer à un rapport au tempsqui implique à la fois la discontinuité et la durée. Les chan-gements de paradigmes sont des « révolutions », sans pourautant faire table rase du passé. Exemple typique : la phy-sique de Newton se « retrouve » dans celle d’Einsteincomme approximation aux vitesses ordinaires. Un nouveauparadigme est porteur d’avenir. S’inscrivant dans un pro-cessus évolutif qui a déjà commencé, il éclaire la voie sansprédéterminer ce qui s’inventera sur ce chemin.

La prospective, entendue comme lecture des paradigmesémergents, comme repérage, explicitation et analyse deschangements paradigmatiques en train de se produire, per-met de dresser une carte des innovations à venir : une carteheureusement pleine de « blancs », comme l’étaient cellesdes premiers explorateurs des Indes occidentales...

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ISBN 978-2-916571-42-3

La mobilité est devenue un quasi-droit social, comme la santé ou l’éducation,un bien public, comme l’eau ou l’électricité. Pourtant, la multiplication desdéplacements devient insoutenable (CO2, pollutions, congestion, etc.) et parfois,elle est plutôt subie que souhaitée. En fait, en même temps qu’elle se généralise, la mobilité commence à changer de sens et de valeur. Aller le plus vite possible, le plus loin ou le plus souventpossible, ne constitue plus la condition nécessaire ni suffisante d’une bonnemobilité. Ce qui compte désormais, c’est la richesse des opportunités, desrencontres, des expériences procurées ou favorisées par nos déplacements.L’auteur met ainsi le concept de « reliance », ou création de relations fécondes, au cœur de son analyse du changement de paradigme qui traverse les transports,les technologies de l’information et la vie urbaine en général. Fort d’une longueexpérience et d’une expertise reconnue au plan international, Georges Amar nous éclaire sur les innovations qui vont, dès demain, transformer notre vie mobile, et la mettre sur la voie d’un développement durable. Cet ouvrageconcerne chacun d’entre nous : professionnels, acteurs publics, élus, innovateurs,créateurs de nouveaux services, et l’Homo mobilis que nous sommes tous.

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Éloge de la reliance

Éloge de la reliance

Le nouvel âge de la mobilité

Homo mobilis, le nouvel âge de la mobilité Georges AmarGeorges Amar

Georges Amar exerce une fonction de Prospective et conception innovantedans une grande entreprise de transport public. Ingénieur de formation et transdisciplinaire de vocation, il a constamment accompagné et enrichison activité professionnelle dans la mobilité urbaine de dimensionsscientifiques et artistiques. Il est l’auteur de nombreux ouvrages littéraires(récits, essais, poèmes), expositions d’art plastique, conférences internationales, ainsi que de divers articles dans des revues ou publications collectives.

f pyéditions

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Préface d’Armand Hatchuel, membre de l’Académie des technologies

www.fypeditions.com

19,50 € TTCCollection Présence / EssaiQuestions de société / Mobilité / Nouvelles technologies

Photo de couverture : Danseurs dans la présence, peinture de Georges Amar, série « Dance painting », www.res-extensa.com

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