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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 348–353 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Jurisprudence Hospitalisation d’office : en cas d’annulation, l’indemnisation doit être totale Gilles Devers (Avocat) 22, rue Constantine, 69001 Lyon, France Disponible sur Internet le 26 septembre 2013 Résumé Après l’annulation d’un arrêté d’hospitalisation d’office, l’indemnisation doit être totale, même si le dossier laissait apparaître la réalité d’un diagnostic psychiatrique. Le médecin qui a rédigé un certificat d’une qualité non professionnelle, à l’origine de l’hospitalisation, engage sa responsabilité civile personnelle. © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. Par un arrêt du 5 décembre 2012 (n o 11-24527) la Cour de cassation, statuant dans le cadre de l’indemnisation qui fait suite à l’annulation d’un arrêté d’hospitalisation d’office, se trouve amenée à censurer un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait entendu limiter l’indemnisation au motif que le dossier laissait apparaître la réalité d’un diagnostic psychiatrique. Outre la rappel de cette solution classique, la Cour de cassation prend position sur la responsabilité civile personnelle du médecin qui a rédigé des certificats d’une qualité non professionnelles, ces certificats ayant été à l’origine de l’hospitalisation. 1. Faits 1.1. L’hospitalisation d’office À la suite d’une dénonciation pour mauvais traitements sur leurs enfants, M. X. . . et Mme X. . . ont été placés en garde à vue le 21 mars 1997. Dans ce cadre, ils ont été examinés par un médecin, le Docteur Y. . ., qui a établi des certificats évoquant un diagnostic psychiatrique grave mais sans description des troubles. À la suite, les deux époux ont été hospitalisés d’office au centre hospitalier de Narbonne par deux arrêtés préfectoraux. Adresse e-mail : [email protected] 1629-6583/$ see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.04.008

Hospitalisation d’office : en cas d’annulation, l’indemnisation doit être totale

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Droit Déontologie & Soin 13 (2013) 348–353

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Jurisprudence

Hospitalisation d’office : en cas d’annulation,l’indemnisation doit être totale

Gilles Devers (Avocat)22, rue Constantine, 69001 Lyon, France

Disponible sur Internet le 26 septembre 2013

Résumé

Après l’annulation d’un arrêté d’hospitalisation d’office, l’indemnisation doit être totale, même si le dossierlaissait apparaître la réalité d’un diagnostic psychiatrique. Le médecin qui a rédigé un certificat d’une qualiténon professionnelle, à l’origine de l’hospitalisation, engage sa responsabilité civile personnelle.© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

Par un arrêt du 5 décembre 2012 (no 11-24527) la Cour de cassation, statuant dans le cadrede l’indemnisation qui fait suite à l’annulation d’un arrêté d’hospitalisation d’office, se trouveamenée à censurer un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait entendu limiter l’indemnisation aumotif que le dossier laissait apparaître la réalité d’un diagnostic psychiatrique. Outre la rappel decette solution classique, la Cour de cassation prend position sur la responsabilité civile personnelledu médecin qui a rédigé des certificats d’une qualité non professionnelles, ces certificats ayantété à l’origine de l’hospitalisation.

1. Faits

1.1. L’hospitalisation d’office

À la suite d’une dénonciation pour mauvais traitements sur leurs enfants, M. X. . . et Mme X. . .

ont été placés en garde à vue le 21 mars 1997. Dans ce cadre, ils ont été examinés par un médecin,le Docteur Y. . ., qui a établi des certificats évoquant un diagnostic psychiatrique grave maissans description des troubles. À la suite, les deux époux ont été hospitalisés d’office au centrehospitalier de Narbonne par deux arrêtés préfectoraux.

Adresse e-mail : [email protected]

1629-6583/$ – see front matter © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.http://dx.doi.org/10.1016/j.ddes.2013.04.008

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Leur avocat, le 24 mars 1997, a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance deNarbonne et ce juge a statué le lendemain, missionnant un médecin psychiatre des hôpitaux,expert inscrit sur la liste de la cour d’appel de Montpellier.

1.2. Les données médicales

Le dossier comporte plusieurs certificats établis par le médecin psychiatre du service.

1.2.1. Situation de M. X. . .

Un certificat du 27 mars 1997 fait état de troubles de la personnalité de type paranoïaque quise manifestent par la méfiance, la froideur affective, la psychorigidité, l’agressivité continue etla haute estime de soi, et un autre du 2 avril 1997 explique que l’hospitalisation a confirmé destroubles de la personnalité de type paranoïaque, mais que la sortie doit être prononcée.

Le médecin expert a déposé son rapport le 4 avril, indiquant que l’hospitalisation n’était plusjustifiée.

L’hospitalisation a été levée le 3 avril.

1.3. Situation de Mme X. . .

Un certificat du 26 mars décrit un état délirant aigu de type paranoïaque qui peut être àl’origine de comportements dangereux pour elle-même et pour autrui, et un autre certificat du3 avril 1997 indique que malgré l’amélioration clinique, la persistance des troubles du jugementrend nécessaire la poursuite de l’hospitalisation d’office.

Le psychiatre expert, dans son rapport du 4 avril, a conclu :

« J’ai relevé un état d’exaltation psychique en rapport à un épisode délirant aigu, épisodede type paranoïaque essentiellement à mécanisme interprétatif.L’activité délirante, à thème persécutoire prédominant est à l’origine d’accusations gravesportant sur des maltraitances à enfants dans le milieu scolaire où Madame X. . . travaille etau complot, dans lequel participe divers acteurs de l’institution scolaire, destiné à la fairetaire.Cet état délirant aigu, toujours actif quoiqu’en voie d’amélioration légère grâce au traite-ment que Madame X. . . recoit depuis son hospitalisation, responsable de graves désordresintellectuels et ayant induit d’innombrables démarches quérulentes et processives, justifietout à fait la mesure d’internement dont elle est l’objet actuellement ».

Mme X. . . a alors saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Narbonne, quia refusé le 10 avril 1997 la mainlevée de la mesure, puisque le médecin expert avait conclu quel’examen mettait en évidence un état délirant aigu, toujours actif quoiqu’en voie d’amélioration.

Finalement, son hospitalisation a été levée le 18 avril 1997.

2. Les demandes en procédure

Les époux X. . . soutenaient, chacun pour leur part1, que :

1 Contentieux sur la loi ancienne : J. Hadley Starck, L’hospitalisation psychiatrique sous contrainte dans la jurisprudencecontemporaine, JCP G. 2005, I, no 155 ; Contentieux sur le loi nouvelle : Y. Benhamou, Le contrôle du juge judiciaire sur

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• les certificats délivrés par le docteur Y. . . étaient insuffisamment circonstanciés en ce qu’ils nedémontraient pas la réalité de l’affection mentale citée, ni les troubles en découlant qui auraientpu compromettre la sûreté des personnes, motif allégué de l’hospitalisation, de telle sorte queles arrêtés d’hospitalisation, fondés sur ces certificats, doivent être annulés ;

• l’annulation par la juridiction administrative de la mesure de placement est suffisante pourconsacrer l’atteinte à la liberté individuelle et par voie de conséquence le droit à réparation dela personne qui en a fait l’objet, sans qu’il y ait lieu de rechercher si celle-ci était médicalementjustifiée.

3. Annulation des arrêtés d’hospitalisation

Le 6 juillet 2000, la cour administrative d’appel de Marseille a annulé les arrêtés préfectoraux.L’affaire est jugée sous l’empire de la loi ancienne, avec le partage de compétence entre le

juge administratif pour la régularité de la mesure et le juge judiciaire pour l’indemnisation2. LeConseil constitutionnel a depuis exigé que le renouvellement soit placé sous le contrôle du jugejudiciaire3. La loi du 5 juillet 2011 a unifié le contentieux – régularité et indemnisation – devant lejuge judiciaire4.

On ne connaît pas le détail de cette procédure, mais elle répond vraisemblablement aux clas-siques : l’absence de motivation du certificat médical entraîne l’annulation de l’arrêté, si celui-cine se fonde que sur ce certificat5.

4. Indemnisation

Par actes des 21 et 28 décembre 2001, M. et Mme X. . . ont assigné le Docteur Y. . ., le centrehospitalier de Narbonne et l’agent judiciaire du Trésor en déclaration de responsabilité et répara-tion des préjudices consécutifs à leur mesure d’internement.

Le tribunal a condamné l’agent judiciaire du Trésor, qui dans la procédure représente l’État,au paiement de dommages-intérêts et a rejeté les autres demandes.

La procédure a été particulièrement longue, pour des raisons qui ne sont pas expressémentrapportées. L’affaire a été jugée par la Cour d’appel de Paris le 18 juin 2010 et on comprend doncque le jugement de Narbonne a été frappé d’appel et que l’arrêt de la Cour d’appel de Montpelliera été cassé par la Cour de cassation, qui a renvoyé le dossier devant la cour d’appel de Paris.

La cour d’appel a infirmé le jugement de Narbonne, et a condamné outre l’agent judiciairedu Trésor, le centre hospitalier et le médecin. Pour ce qui est de l’indemnisation, chaque époux

les hospitalisations psychiatriques sous contrainte : l’exemple de la cour d’appel de Douai, Gazette du Palais, 26 avril 2012no 117, P. 5 ; C. Astaing, La volonté des personnes admises en soins psychiatriques sans consentement. Quel droit pourquel juge ?, AJDA 2013, p. 153.

2 T. confl., 17 févr. 1997, no 03045, Préfet de Paris c/ Menvielle, Rec. CE 1997, p. 524, Dr. adm. 1997, comm. no 138,obs. M. Paillet ; JCP G 1997, II, no 22885, concl. J. Sainte-Rose, RTD civ. 1998, p. 72, obs. J. Hauser.

3 Cons. const. QPC, 26 nov. 2010, no 2010-71, X. Roy, AJDA 2011, p. 174, A. Pena, RFD adm. 2011, p. 951, etO. Renaudie, RDSS 2011, p. 304 ; B. Poujade, Question prioritaire de constitutionnalité et hospitalisation sans consente-ment Gazette du Palais, 05 novembre 2011 no 309, p. 16

4 Effet au 1er janvier 2013 : A. Farinetti, L’unification du contentieux des soins psychiatriques sans consentement parla loi du 5 juillet 2011, RDSS 2012, p. 111

5 La jurisprudence de la CEDH est en ce sens, exigeant que le trouble psychique sur la base d’une expertise médicaleobjective : CEDH, 19 mai 2004, no 44568/98, R.L. et M.-J. D. c/ France. Voir aussi : E.-A. Bernard et P. Bernardet, Lamotivation par référence des décisions d’hospitalisation d’office, ou le juge administratif aliéné par son fou, RDSS 1997.

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s’est vu allouer la somme de 7500 D , à partager entre les trois responsables, la cour ayant limitél’indemnisation aux conséquences morales de cette annulation, en expliquant que les piècesmédicales établissent que les soins en psychiatrie étaient, de fait, justifiés.

5. Sur la responsabilité

5.1. Cour d’appel

5.1.1. Responsabilité de l’ÉtatCette responsabilité se déduit de l’annulation de l’arrêté d’internement.

5.1.2. Responsabilité du médecinLe Docteur Y. . . a établi, sur un formulaire qu’il ne lui appartenait pas de remplir, deux

certificats insuffisamment circonstanciés en ce qu’ils ne démontraient pas la réalité de l’affectionmentale citée, ni les troubles en découlant qui auraient pu compromettre la sûreté des personnes.

Ce médecin, qui ne pouvait ignorer les conséquences des documents qu’il rédigeait a ainsipar sa faute directement concouru à l’irrégularité de la mesure d’internement d’office prise àl’encontre des époux X. . . et doit par conséquent en répondre.

5.1.3. Responsabilité du centre hospitalierLe Centre Hospitalier de Narbonne, qui n’est pas le simple exécutant des décisions prises par

l’autorité administrative, a également commis une faute engageant sa responsabilité admettantl’admission sur la base d’un certificat manifestement insuffisant dans ces constatations relativesà l’état de dangerosité qu’ils étaient supposés présenter, qu’il pouvait cependant aisément releversans avoir à se livrer, ce qu’il ne lui appartenait pas de faire, à une analyse approfondie de larégularité des documents administratifs à l’origine de la mesure de placement d’office.

5.2. Cour de cassation

5.2.1. Moyens en défense du médecinLe médecin a formé un pourvoi, et il soutient en défense :

• le médecin requis afin d’établir un certificat médical en vue d’une hospitalisation d’office necommet pas de faute de nature à engager sa responsabilité à l’égard de l’intéressé, en émettantun certificat insuffisamment motivé ;

• subsidiairement, la faute commise par le médecin, requis afin d’établir un certificat médicalen vue d’une hospitalisation d’office, qui motive son certificat de manière insuffisante, ne setrouve pas en relation de cause à effet avec le dommage résultant de l’hospitalisation d’officeprononcée par le préfet au vu de ce certificat.

5.2.2. Réponse de la Cour de cassationLe médecin avait établi des certificats médicaux, destinés à justifier une mesure

d’hospitalisation sous la contrainte, non circonstanciés, ne démontrant pas la réalité de l’affectionmentale qu’il citait ni les troubles en découlant qui auraient pu compromettre la sûreté despersonnes.

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Il s’en déduit que le médecin avait, en raison de ces insuffisances qui lui étaient imputables àfaute, concouru à la réalisation du préjudice subi par les époux X. . . du fait de leur internementirrégulier.

6. Préjudice

6.1. Cour d’appel

6.1.1. Analyse en droitL’irrégularité constatée par la juridiction administrative a rendu a posteriori irrégulière les

hospitalisations d’office prononcées.L’annulation des arrêtés ouvre au profit de chacun d’eux un droit autonome à réparation fondé

sur les dispositions de l’article 5 de la convention européenne des droits de l’homme et ce indépen-damment de l’appréciation du bien fondé de telles mesures. En effet aux termes de l’article 5 § 1 dece texte, nul ne peut être privé de sa liberté (. . .) sauf s’il s’agit de la détention régulière d’unaliéné, l’article 5 § 5 stipulant que toute personne victime de l’arrestation ou d’une détention dansdes conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation.

Toutefois, le préjudice effectivement subi par les demandeurs du fait de l’illégalité des décisionsadministratives nécessite pour être apprécié qu’il soit déterminé si les mesures prises étaient ounon médicalement justifiées.

6.1.2. Analyse en faitLa cour retient ici trois éléments concordants :

• les certificats médicaux établis par le docteur Y. . . bien que peu circonstanciés ont néanmoinsmis en évidence pour chacun des deux époux, un comportement de type paranoïaque ;

• le médecin psychiatre du service, dans ses certificats, a confirmé et explicité ce diagnostic (certi-ficats des 27 mars et du 2 avril 1997 pour M. X. . . et certificats du 26 mars et du 3 avril 1997 pourMadame ;

• les conclusions de l’expert psychiatre, missionné en référé.

Selon la Cour, la mesure d’internement d’office prise à l’encontre des appelants, ses modalitésd’exécution, ainsi que la prescription de traitements au cours de celle-ci étaient médicalementjustifiées et les époux X. . . ne peuvent valablement arguer d’aucun préjudice de ces chefs.

6.2. Cour de cassation

6.2.1. Moyen en défense des personnes internéesLes requérants soutenaient deux moyens principaux :

• l’annulation des décisions administratives d’hospitalisation d’office prive de tout fondementlégal l’hospitalisation d’office qui caractérise ainsi une atteinte portée à la liberté individuelle,peu important le bien ou mal fondé de la mesure, et ouvre droit au profit de la victime àréparation de son entier préjudice. En limitant le droit à réparation au seul titre du préjudicemoral résultant de l’illégalité formelle des arrêtés préfectoraux du 21 mars 1997, quand il yavait lieu de réparer l’entier préjudice né de l’atteinte portée à la liberté par l’hospitalisationd’office irrégulièrement ordonnée, la cour d’appel a violé ensemble, les articles 5-1 et 5-5 de

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la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentaleset 1382 du Code civil ;

• la mesure de placement dont les requérant ont fait l’objet étant dépourvue de toute base légale,la mesure de placement elle-même, ses modalités d’exécution, ainsi que la prescription detraitements au cours de celle-ci, constituaient autant d’atteintes à la liberté individuelle, ensorte que toutes les conséquences dommageables des irrégularités ayant entaché les mesuresde placement ouvraient droit à réparation.

6.2.2. Réponse de la Cour de cassationLa cour d’appel a limité l’indemnisation de M. et Mme X. . . à leur seul préjudice moral

résultant de l’illégalité formelle des arrêtés préfectoraux ordonnant leur hospitalisation d’office,au motif que la mesure d’internement d’office prise à leur encontre, ses modalités d’exécution,ainsi que la prescription de traitements au cours de celle-ci étaient médicalement justifiées etqu’ils ne peuvent valablement arguer d’aucun préjudice de ces chefs.

Or, M. et Mme X. . . pouvaient prétendre à l’indemnisation de l’entier préjudice né de l’atteinteportée à leur liberté par leur hospitalisation d’office irrégulièrement ordonnée. La Cour de cassa-tion reprend là une jurisprudence bien établie6 qui sanctionne une atteinte à la liberté individuelleen l’absence de tout fondement légal7.

6 Cass. 1re civ., 23 juin 2010, no 09-66.026, Bull. civ. I, no 141 ; Cass. 1re civ., 26 janv. 2011, no 09-14.905 ; Cass. 1re civ.,19 déc. 2012, no 11-22.485.

7 Cass. 1re civ., 31 mars 2010, no 09-11.803, Bull. civ. I, no 77.