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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 2 113 MISE AU POINT Iléus postopératoire Frédéric Duflo, Dominique Chassard (photo) Après toute chirurgie abdominale, le transit digestif se ralentit pendant environ 3 à 5 jours. La durée de ce dysfonctionnement varie selon les segments digestifs : elle est de 24 h environ au niveau du grêle, de 24 à 48 h au niveau de l’estomac et de 48 à 72 h au niveau du côlon. Les critè- res de reprise du transit sont encore discutés. La présence de bruits hydro- aériques au niveau abdominal n’est pas synonyme de norma- lisation de la motricité digestive. Celle-ci peut en effet repren- dre dans le grêle et être toujours défectueuse au niveau colique. Les bruits digestifs peuvent correspondre à un phé- nomène moteur normal, propulsif, ou au contraire, à des phénomènes moteurs anarchiques. La simple auscultation ne permet pas de différencier les bruits entériques des bruits coliques. La notion du passage des gaz dépend entièrement de la reprise de la déambulation du patient. Une émission de selles peut correspondre à une vidange distale du côlon n’excluant pas des alté- rations de la motricité des segments d’amont. Malgré ces dernières réserves, le passage des selles reste sans doute le signe le plus objectif de la fin de l’iléus. PHYSIOLOGIE DU TRANSIT DIGESTIF Au niveau du fundus gastrique, il existe des phénomènes mécaniques non propagés chargés d’entretenir un tonus. Le rôle du fundus se rapproche de celui d’un réservoir. Au cours d’un repas, le fundus contrôle, en grande partie, l’éva- cuation des liquides alors que l’antre asure la plus grande part de la vidange des solides. Les contractions antrales ont un rôle de trituration des aliments, et réduisent la taille des particules alimentaires jusqu’à un niveau millimétrique. Les contractions antrales déplacent le contenu gastrique vers le pylore. À jeun, il existe une succession de cycles d’une durée d’environ 90 à 120 minutes, appelés complexes myoélectriques migrants (CMM), se propageant de l’antre à l’iléon à une vitesse de 4 à 7 cm/min. Ces phases de contraction permettent d’évacuer vers le côlon le contenu du grêle et sans doute de prévenir la pullulation micro- bienne. Les CMM disparaissent dès la prise alimentaire et laissent place à une activité motrice coordonnée assurant une activité de segmentation et de propulsion du contenu digestif. Au niveau colique, on ne note que des potentiels de pointe sans action motrice de courte durée et des poten- tiels propulsifs. Ces activités motrices sont sous la dépen- dance du système parasympathique (tonus accélérateur) et sympathique (tonus inhibiteur) avec de très nombreux relais au niveau des complexes nerveux contenus dans les plexus myentériques d’Auerbach et de Meisner (1). ALTÉRATIONS DU TRANSIT DIGESTIF EN POSTOPÉRATOIRE Les cellules musculaires digestives se contractent norma- lement à une fréquence de 3/min dans l’estomac et de 12 à 9/min dans le grêle. Des dysrythmies apparaissent après la chirurgie, perturbant la vidange gastrique pendant au moins 24 h (2). Au niveau du grêle, les CCM sont en grande partie désorganisés, avec la présence d’ondes rétrogrades, une absence d’ondes pulsati- les et surtout l’absence de disparition des CCM lors de la prise alimentaire (3). On observe fréquemment une réduction de la durée des cycles des CMM et des pres- sions intraluminales. En postopératoire, une action pharmacologique accélérant la motricité du grêle modifie peu la durée totale de l’iléus, étant donnée l’impor- tance des altérations au niveau colique. Dans ce segment, un aspect myoélectrique partiel réapparaît dès le deuxième jour mais la normalisation complète nécessite environ 5 jours (4). Physiopathologie de d’iléus postopératoire Le rôle d’une hyperréactivité sympathique inhibitrice dans la genèse de l’iléus a été démontré par la section des nerfs splanchniques au début de ce siècle par Cannon (5). L’inhi- bition sélective des afférences splanchniques par la capsaï- cine réduit aussi l’iléus, alors qu’une section du vague est sans effet. L’origine de ces afférences sympathiques inhibitri- ces est en grande partie péritonéale : en effet, une incision cutanée seule, contrairement à l’ouverture du péritoine, ne génère pas d’iléus (6). Un deuxième mécanisme inhibiteur survient dans un deuxième temps. Il s’agit d’un réflexe neurogastrique dont le point de départ est l’inflammation de la paroi entérique L’iléus postopératoire concerne essentiellement le côlon et l’estomac.

Iléus postopératoire

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Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 2 113

M I S E A U P O I N T

Iléus postopératoireFrédéric Duflo, Dominique Chassard (photo)

Après toute chirurgie abdominale, letransit digestif se ralentit pendantenviron 3 à 5 jours. La durée de cedysfonctionnement varie selon lessegments digestifs : elle est de 24 henviron au niveau du grêle, de 24 à48 h au niveau de l’estomac et de 48à 72 h au niveau du côlon. Les critè-res de reprise du transit sont encorediscutés. La présence de bruits hydro-

aériques au niveau abdominal n’est pas synonyme de norma-lisation de la motricité digestive. Celle-ci peut en effet repren-dre dans le grêle et être toujours défectueuse au niveaucolique. Les bruits digestifs peuvent correspondre à un phé-nomène moteur normal, propulsif, ou au contraire, à desphénomènes moteurs anarchiques. La simple auscultation nepermet pas de différencier les bruits entériques des bruitscoliques. La notion du passage des gaz dépend entièrementde la reprise de la déambulation du patient. Une émission deselles peut correspondre à une vidangedistale du côlon n’excluant pas des alté-rations de la motricité des segmentsd’amont. Malgré ces dernières réserves,le passage des selles reste sans doute lesigne le plus objectif de la fin de l’iléus.

PHYSIOLOGIE DU TRANSIT DIGESTIF

Au niveau du fundus gastrique, il existe des phénomènesmécaniques non propagés chargés d’entretenir un tonus. Lerôle du fundus se rapproche de celui d’un réservoir. Aucours d’un repas, le fundus contrôle, en grande partie, l’éva-cuation des liquides alors que l’antre asure la plus grandepart de la vidange des solides. Les contractions antrales ontun rôle de trituration des aliments, et réduisent la taille desparticules alimentaires jusqu’à un niveau millimétrique. Lescontractions antrales déplacent le contenu gastrique vers lepylore. À jeun, il existe une succession de cycles d’unedurée d’environ 90 à 120 minutes, appelés complexesmyoélectriques migrants (CMM), se propageant de l’antre àl’iléon à une vitesse de 4 à 7 cm/min. Ces phases decontraction permettent d’évacuer vers le côlon le contenudu grêle et sans doute de prévenir la pullulation micro-bienne. Les CMM disparaissent dès la prise alimentaire et

laissent place à une activité motrice coordonnée assurantune activité de segmentation et de propulsion du contenudigestif. Au niveau colique, on ne note que des potentielsde pointe sans action motrice de courte durée et des poten-tiels propulsifs. Ces activités motrices sont sous la dépen-dance du système parasympathique (tonus accélérateur) etsympathique (tonus inhibiteur) avec de très nombreuxrelais au niveau des complexes nerveux contenus dans lesplexus myentériques d’Auerbach et de Meisner (1).

ALTÉRATIONS DU TRANSIT DIGESTIF EN POSTOPÉRATOIRE

Les cellules musculaires digestives se contractent norma-lement à une fréquence de 3/min dans l’estomac et de 12 à9/min dans le grêle. Des dysrythmies apparaissent après lachirurgie, perturbant la vidange gastrique pendant au moins24 h (2). Au niveau du grêle, les CCM sont en grande partie

désorganisés, avec la présence d’ondesrétrogrades, une absence d’ondes pulsati-les et surtout l’absence de disparition desCCM lors de la prise alimentaire (3). Onobserve fréquemment une réduction dela durée des cycles des CMM et des pres-sions intraluminales. En postopératoire,

une action pharmacologique accélérant la motricité du grêlemodifie peu la durée totale de l’iléus, étant donnée l’impor-tance des altérations au niveau colique. Dans ce segment, unaspect myoélectrique partiel réapparaît dès le deuxième jourmais la normalisation complète nécessite environ 5 jours (4).

Physiopathologie de d’iléus postopératoireLe rôle d’une hyperréactivité sympathique inhibitrice dans lagenèse de l’iléus a été démontré par la section des nerfssplanchniques au début de ce siècle par Cannon (5). L’inhi-bition sélective des afférences splanchniques par la capsaï-cine réduit aussi l’iléus, alors qu’une section du vague estsans effet. L’origine de ces afférences sympathiques inhibitri-ces est en grande partie péritonéale : en effet, une incisioncutanée seule, contrairement à l’ouverture du péritoine, negénère pas d’iléus (6).Un deuxième mécanisme inhibiteur survient dans undeuxième temps. Il s’agit d’un réflexe neurogastrique dontle point de départ est l’inflammation de la paroi entérique

L’iléus postopératoire concerne essentiellement

le côlon et l’estomac.

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 2114consécutive à la chirurgie. En effet, la manipulation desanses digestives provoque une infiltration de la paroi pardes cellules inflammatoires, initialement des macrophages,puis secondairement des polynucléaires neutrophiles, desmonocytes, des mastocytes et des lymphocytes (7). Lasécrétion de médiateurs par ces cellules est responsabled’une inflammation de toute la paroi digestive, altérant lespropriétés contractiles du tube digestif, à la fois localementet à distance (8). Ainsi, la motricité gastrique peut être engrande partie rétablie par des inhibiteurs des récepteursnicotiniques ou du système adrénergique, et les propriétéscontractiles des cellules gastriques sont intactes quand ellessont isolées in vitro. Il s’agit donc d’un réflexe entérogas-trique dont le point de départ est l’inflammation locale. Lamotiline, la substance P, le VIP, le NO et le peptide calcito-nine, les opioïdes endogènes et le corticotropin releasingfactor (CRF) sont les principaux médiateurs sécrétés aucours de ces réactions (9-11).

Lors de toute intervention chirurgicale, on constate aussi uneréponse inflammatoire généralisée associée à une réponsemétabolique hyperadrénergique. Les catécholamines inhi-bent la motricité digestive. Ainsi, l’administration d’inhibiteurde l’interleukine 1, le blocage des cyclo-oxygénases 2 ou lesbêtabloquants améliorent la reprise du transit (12, 13).

Enfin, au niveau systémique, une hypokaliémie, une hypona-trémie, une hypomagnésémie, une hyperglycémie ou unehypoxémie sont des facteurs favorisants de l’iléus (14, 15).

Influence des anesthésiques généraux

Les anesthésiques généraux sont susceptibles d’inhiber laconduction nerveuse dans les portions du tube digestif où ilexiste une interaction forte entre système nerveux extrinsè-que et cellules intestinales, comme dans le côlon, alors queles autres segments digestifs y sont moins sensibles. Le thio-pental respecte la motricité digestive (16). Chez le chien, lakétamine la modifie peu, jusqu’à la dose de 30 mg/kg/h (17).Tous les halogénés inhibent la vidange gastrique et ralentis-sent la motricité digestive (18). Freye et coll. (19) ont mon-tré que le propofol à une dose de 0,11 mg/kg/min avait lesmêmes effets inhibiteurs sur la vidange gastrique qu’uneanesthésie par isoflurane sur la motricité digestive. D’autrestravaux ont montré que les effets inhibiteurs sur la vidangegastrique étaient identiques avec le propofol seul ou avecune association propofol-enflurane ou propofol-fentanyl(20). À faible dose, le propofol [0,04 mg/kg/min) ne modifiepas la vidange gastrique [21]. L’administration peropératoirede morphinomimétiques a peu d’effet sur l’iléus. Le pro-toxyde d’azote provoque une distension des anses intestina-les et pourrait contribuer au ralentissement du transitdigestif (22). Au total donc, la grande majorité des hypnoti-ques inhibe la motricité digestive, mais pour une courtedurée seulement, même lorsque l’anesthésie a été prolon-

gée. On ne peut donc les tenir pour responsables de l’iléuspostopératoire (23).

Plusieurs études cliniques ont montré que l’iléus postopé-ratoire était plus bref au cours d’une anesthésie périmé-dullaire par des anesthésiques locaux (24). Cela pourraits’expliquer par le blocage sympathique, la réduction desbesoins postopératoires en morphiniques, l’augmentationdu débit sanguin splanchnique et la diffusion vasculaire desanesthésiques locaux injectés en périmédullaire (25, 26). Laplupart des études montrent que les anesthésiques locauxseuls ou les mélanges anesthésiques locaux-morphiniquessont ici plus avantageux qu’un morphinique seul (27, 28).La diminution de l’iléus dépendant de la qualité de l’analgé-sie périmédullaire, il semble souhaitable d’obtenir une anal-gésie segmentaire atteignant le niveau T4 dès le début del’intervention. La pose d’un cathéter en position thoraciqueest préférable à une position lombaire (27) et la durée dubloc doit être prolongée (> 48 h) en postopératoire pouravoir un effet positif sur l’iléus (29).

IMPACT DES MORPHINIQUES SUR LE TRANSIT DIGESTIF

Les morphiniques ont tous tendance à ralentir le transitdigestif, que ce soit par voie intraveineuse, orale ou périmé-dullaire (30, 31). La naloxone, antagoniste des morphini-ques, diminue cet effet inhibiteur mais au prix d’une levéepartielle ou totale de l’analgésie. De nouveaux inhibiteursdes opiacés qui préservent l’analgésie tout en antagonisantles effets secondaires de la morphine devraient être bientôtdisponibles (32). En effet, ces inhibiteurs ne franchissentpas la barrière hémoméningée ce qui restreint leur effetantagoniste aux récepteurs périphériques et en particulierdigestifs des opiacés.

La morphine, comme la naloxone, diminue la vidange gas-trique (33). Cet effet est de courte durée (environ 7 heures).Quand elle est administrée par PCA en revanche, le ralentis-sement de la vidange gastrique se prolonge au prorata de ladurée d’administration. L’alfentanil à doses équianalgésiquesaltère moins la vidange gastrique que la morphine, alors queles effets du fentanyl sont, eux, plus prononcés que ceux dela morphine.

Au niveau du grêle et du côlon, les effets des morphiniquessont complexes. Une hypertonie avec spasmes est habituelleau niveau du grêle, avec augmentation de l’amplitude desondes non contractiles et baisse de l’amplitude des ondespropulsives. Au niveau du côlon, les contractions propulsivessont elles aussi diminuées alors que les contractions non pro-pulsives sont augmentées. Il y a alors augmentation de laréabsorption colique d’eau, ce qui épaissit le contenu intes-tinal et majore encore le retard de transit observé sous mor-

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 2 115phine (34). En postopératoire, les effets inhibiteurs de lamorphine sont plus prononcés que ceux du tramadol.Parmi les autres agents utilisés en anesthésie, signalons quela clonidine ralentit le transit intestinal chez des volontaires(35). Associée à la morphine, elle a, selon les doses, deseffets antagonistes ou synergiques sur le ralentissement dutransit digestif (36).

COMMENT AMÉLIORER LE TRANSIT DIGESTIF ?

Règles généralesToute perturbation hydroélectrolytique ou hémodynamiquefavorise le ralentissement du transit digestif et doit donc êtrecorrigée en premier lieu. Les effets des agents de l’anesthé-sie étant de courte durée, leur influence sur la reprise dutransit postopératoire est modeste. La réalisation d’une anes-thésie périmédullaire limitée à la période peropératoire nemodifie pas non plus la vitesse de reprise du transit digestif.La prescription d’AINS, de paracétamol ou de la kétaminepeut-être bénéfique sur la durée de l’iléus en diminuant lesquantités de morphine nécessaires (37, 38). L’administra-tion intraveineuse de morphine en PCA ralentit notable-ment le transit digestif.

Médicaments prokinétiquesLes résultats des études expérimentales ne peuvent pas tou-jours être extrapolés à l’homme car la répartition des récep-teurs responsables des effets des molécules citées ci-dessousest variable selon les espèces. Une molécule qui augmentein vitro la puissance de contraction au niveau d’un segmentintestinal n’a pas forcément un effet prokinétique in vivo sicette contraction n’est que segmentaire (contraction favori-sant la segmentation) et non propulsive (déplacement longi-tudinal).Le bétanéchol est un agent cholinergique dépourvu d’acti-vité nicotinique. Il agit sur les récepteurs muscariniques M2du muscle lisse. Il augmente les forces résistives pyloriqueset n’accélère que modestement la vidange gastrique. Seseffets sur la motricité colique sont mineurs. Le bétanacholn’a d’intérêt que dans certains reflux gastro-œsophagiens.La pyridostigmine (Mestinon®) et la néostigmine (Prostig-mine®) stimulent la motricité colique mais leurs effets surl’iléus postopératoire sont discutés (39). Ce produit ne sem-ble pas favoriser les déhiscences de suture.Le métoclopramide (Primpéran®) est un dérivé de l’acidepara-aminobenzoïque agissant sur des récepteurs dopami-nergiques centraux. Au niveau périphérique, il stimule lamotricité par inhibition des neurones dopaminergiques etsérotoninergiques. Au niveau gastrique, il élève la pressiondu SIO, diminue le tonus du pylore et facilite la vidange gas-trique essentiellement liquidienne. il est sans effet sur l’iléus

postopératoire (40). Des lâchages de sutures lui ont étéattribués chez l’animal. Le cisapride (Prépulsid®), a uneaction cholinomimétique indirecte en stimulant la libéra-tion d’acétylcholine au niveau des fibres nerveuses desplexus mésentériques. Il est aussi agoniste des récepteurssérotoninergiques 5HT3 et 5HT4. Il accélère la vidange gas-trique. Ses effets sur l’iléus postopératoire sont bien établispar voie intraveineuse mais ils restent modestes par voieorale ou intrarectale (41). En raison de troubles du rythmesévères (allongement du QT, torsades de pointes), la formeintraveineuse n’est plus disponible.

La dompéridone (Motilium®), dérivé des butyrophénones,est douée d’une activité antidopaminergique D2 périphé-rique. Elle augmente la pression du SIO et favorise lavidange gastrique par un effet dose dépendant sur la coor-dination antroduodénale. Ses effets sur la motricité coli-que n’ont pas été explorés.

L’effet gastrokinétique des motilides (érythromycine) appa-raît à des doses faibles (200 mg intraveineux) et à ces agentsont été initialement utilisés dans la gastroparésie diabéti-que. Ils provoquent une évacuation rapide des particulesalimentaires, en particulier de celles de taille supérieure à2 mm. Au niveau du grêle et du côlon, les résultats sont pluscontradictoires avec soit un ralentissement, soit l’absenced’effet, soit encore accélération du transit digestif (42, 43).En postopératoire, les motilides ne diminuent pas la duréetotale de l’iléus (44), ce que l’on explique par la très faibledensité des récepteurs à la motiline au niveau colique. Destroubles du rythme, à type de torsades de pointes, ont étédécrits avec l’injection d’érythromycine.

Parmi les autres classes proposées, la trimébutine (Débri-dat), l’octréotide (sandostatine) et les bêtabloquants dimi-nuent la durée de l’iléus postopératoire mais les résultatsdisponibles sont encore parcellaires. L’antagoniste des mor-phiniques, ADL 8-2698, à la dose de 6 mg (Adolor®), a uneffet qui pourrait intéressant sur la durée de l’iléus, mêmes’il reste modeste, et une évaluation complémentaire estnécessaire. Les antagonistes des récepteurs 5-HT3 ont despropriétés partiellement prokinétiques. Les agonistes 5-HT4quant à eux semblent être des prokinétiques plus puissantsmais on dispose de peu d’études cliniques à ce jour (45).Les antagonistes de la cholécystokinine (loxiglumide), lesagonistes de la GH-RH (leuprolide) et les prostaglandines(misoprostol) induisent quelques modifications électromé-caniques au niveau colique mais leur utilisation clinique estlimitée. Enfin, les produits de contraste hyperosmolairespeuvent en partie accélérer la motricité colique.

Nutrition précoce et drainage gastrique

De nombreux travaux ont montré que l’on pouvait trèssouvent se dispenser d’une sonde nasogastrique en posto-pératoire de chirurgie digestive. Son usage systématique ne

Le praticien en anesthésie-réanimation, 2004, 8, 2116réduit pas la durée de l’iléus (46). On recommande àl’inverse une reprise précoce de l’alimentation, l’alimenta-tion déclenchant physiologiquement la motricité digestive.Cette reprise précoce de l’alimentation est en général trèsbien tolérée et ses avantages, en termes de résolution par-tielle de l’iléus et de durée d’hospitalisation, ont été démon-trés en chirurgie gynécologique ou colique (47).

Choix de la technique chirurgicaleParmi les avantages de la cœlioscopie chirurgicale, on peutciter une reprise de transit plus rapide, vraisemblablementdu fait de la moindre manipulation desorganes et de l’absence d’ouverture dupéritoine. Il est aussi probable que lesmoindres besoins en morphine de cettetechnique expliquent les avantagesobservés en terme de reprise de transit(48).

Autres mesuresLes effets bénéfiques de l’acupuncture ou de l’homéopathiesont discordants ou anecdotiques. L’électrostimulationcutanée, même si elle restaure une activité électrique auniveau de la musculeuse, n’améliore pas la motricité diges-tive. Un régime riche en fibres est efficace, à conditiond’être débuté au moins 8 jours avant l’intervention. Des ins-tructions verbales, orientées sur les mouvements du tubedigestif, ont raccourci de 40 h le délai de reprise du transitet de 1,5 jours la durée d’hospitalisation (49). La mobilisa-tion des patients et l’exercice physique sont sans effets pro-pres sur le transit digestif. Les laxatifs diminuent la durée del’iléus.

Prise en charge multimodaleIl est difficile de choisir parmi tous les traitements propo-sés ci-dessus. Une approche multimodale comprenant laréalisation d’une analgésie médullaire de 48 h par bupiva-caïne, une nutrition débutant le jour même de l’interven-tion, l’usage de laxatif et une mobilisation précoce (dès la8e heure) chez des patients de plus de 65 ans dont 30 %étaient classés ASA 3-4, a permis d’écourter l’hospitalisa-tion pour la réduire à 48 h dans les suites d’une colectomie(50). Une autre étude combinant analgésie périmédullaire,absence de drainage gastrique, reprise immédiate desapports liquidiens (1 l/24 h), la prise de sulfate de magné-sium et une cicatrice abdominale moins délabrante a per-mis la résolution de l’iléus en moins de 48 h chez plus de95 % des patients subissant une colectomie (51). L’hospita-lisation peut-être réduite à 48 h chez la plupart des patientsau lieu des 6-8 jours traditionnels dans ce type de chirurgie(52). L’introduction d’AINS, une adaptation fine des poso-logies des agents morphiniques, l’utilisation d’adjuvants,

d’analogues ou d’antagonistes oraux non réabsorbés sontautant de mesures supplémentaires permettant de parvenirà cet objectif (53).

CONCLUSION

La physiopathologie des altérations du transit digestif estcomplexe et fait intervenir plusieurs mécanismes. Initiale-ment, l’inhibition sympathique est le mécanisme fondamen-tal de l’iléus puis, dans un deuxième temps, l’infiltration des

parois par des cellules inflammatoirespérennise les anomalies du transit. Il estpossible de les corriger partiellement pardes actions thérapeutiques isolées cen-trées sur un des mécanismes de l’iléus.Cependant, les recommandations lesplus récentes préconisent plutôt uneprise en charge multimodale qui chercheà agir sur toutes les causes de l’iléus. Sur

le plan économique, cette prise en charge induit de substan-tiels gains du fait de la réduction conséquente de l’hospitali-sation.

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L’aspiration gastrique ne raccourcit pas la durée de l’iléus postopératoire —

la reprise rapide de l’alimentation orale, oui !

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Tirés à part : Pr Dominique CHASSARD,Département d’anesthésie réanimation,

Hôpital Hôtel-Dieu/Debrousse,69002 Lyon, France.