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Gérard de Pouvourville Mathieu Joyau Impact sur la longévité et croissance économique INNOVATION EN SANTÉ : RECHERCHE

Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

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Gérard de PouvourvilleMathieu Joyau

Impact sur la longévité et croissanceéconomique

INNOVATION EN SANTÉ :

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Association loi 1901 représentant 13 filiales françaisesde Laboratoires Internationaux de Recherche, le LIRa pour vocation d’analyser, de proposer et d’agirpour faire avancer le progrès thérapeutique.

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Gérard de PouvourvilleMathieu Joyau

Rapport de recherche pour le LIR - Juillet 2008

Impact sur la longévité et croissanceéconomique

INNOVATION EN SANTÉ :

Page 3: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 5

SOMMAIRE

ÉDITO PAGE 7

INTRODUCTION PAGE 9

1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR PAGE 21

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE PAGE 31

3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE PAGE 49

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS PAGE 59

5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE PAGE 103

CONCLUSION PAGE 113

Page 4: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 7

ÉDITO

Les déficits cumulés de notre système d’assurance maladie, le vieillissement

de notre population, l’augmentation de son espérance de vie, et l’augmentation

des coûts associés à l’apparition de nouveaux équipements, posent avec

acuité le problème du financement des dépenses de santé.

Si différentes réformes ont été introduites au cours des dernières années

pour stabiliser nos dépenses de santé, les effets potentiels sur le secteur de

la santé, l’innovation dans les industries et la croissance, ont trop rarement

fait l’objet d’analyses approfondies.

Dans son rôle de « think tank » santé, le LIR a confié au Professeur Gérard de

Pouvourville - directeur de la chaire Essec Santé - des travaux

de recherche dans le but de décrypter les mécanismes nécessaires à la

compréhension de l'impact de l'innovation en santé sur la longévité comme

sur la croissance économique.

Bousculant les idées reçues, cette brillante revue de la littérature nourrit

l’échange et le dialogue entre tous les acteurs de santé sur la valeur du

progrès thérapeutique d’un point de vue médicale, économique et sociétale.

Page 5: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

Introduction

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 9

Page 6: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 11

INTRODUCTION

1. Position du problème

L'industrie des biens de santé, entreprises du médicament, des équipements

et des dispositifs médicaux, partage avec d'autres secteurs industriels

l'importance de son investissement en R&D et l'intervention sur des marchés

réglementés. Dans les autres secteurs, cependant, la libéralisation du

commerce international et la construction de l'espace européen ont poussé

vers le démantèlement de réglementations qui se concrétisaient souvent par

l'existence de monopoles publics ou de relations très fortes de collusion entre

des administrations nationales et des opérateurs industriels. De ce point de vue,

la réglementation du secteur de la santé présente des différences importantes

économiquement parlant.

Une première différence tient à la nature du bien « santé » : bien premier dont

la possession conditionne la possibilité d'une vie normale et autonome, entre

autres l'exercice d'une activité productive. Deuxièmement, la dimension de la

sécurité des personnes existe dans d'autres secteurs, mais elle prend une

ampleur particulière en santé par le nombre de personnes exposées et la fina-

lité du produit. Une troisième différence tient à la médiation de la relation

avec l'utilisateur final par les services de soins de santé et en particulier par

les médecins, qui sont les premiers clients de l'industrie. La dernière diffé-

rence tient à la solvabilisation du marché par des mécanismes d'assurance,

avec, au sein de la plupart des pays développés qui constituent les premiers

marchés de l'industrie, des systèmes de couverture universelle. Ces systèmes

universels ont été fondés sur des principes de droit à la santé, mais aussi de

la reconnaissance de l'importance du capital santé dans le développement

économique et social des pays.

Ces caractéristiques ont un impact important sur les industries des biens de

santé. L'existence d'une couverture universelle et la forte priorité accordée à

la santé dans les pays développés ont garanti le financement des produits sur

des marchés de masse en croissance régulière depuis cinquante ans. En

France, la DREES a publié en 2007 une étude rétrospective sur 55 ans de

consommation des soins et des biens médicaux : son rythme annuel moyen

de croissance a été de 11,2% en valeur et de 6,2% en volume, contre respec-

tivement 8,7% et 3,6% pour le PIB sur la même période1.

1 Fenina Annie. Cinquante-cinq années de dépenses de santé. Une rétropolation de 1950 à 2005. Etudes et Résultats n° 572, DREES, mai 2007.

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12 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

INTRODUCTION

En contrepartie, les conditions économiques de l'accès à ce marché (accès

au remboursement et fixation des prix) sont soumises dans tous les pays à

encadrement par les « payeurs », qu'ils soient décideurs publics ou assureurs.

L'industrie des biens de santé est donc un secteur industriel capitaliste et

concurrentiel, qui doit dégager des profits pour continuer d'investir dans le

développement de produits nouveaux et qui fait face à des « clients » en position

de monopsone sur leurs marchés nationaux.

Contrairement à un marché concurrentiel classique, les facteurs déterminant

la marge de ces entreprises font l'objet de négociations dans des cadres régle-

mentaires. Elles disposent d'atouts non négligeables dans ces négociations :

la protection par le brevet en est un, qui leur concède un monopole temporaire

sur l'exploitation de leurs découvertes. La forte demande de santé en est un

autre, mais celle-ci est de plus en plus canalisée par les « payeurs », qui sont

mandatés par les citoyens-assurés pour décider de l'allocation des ressources

collectives des systèmes de protection sociale. Dans ce contexte, les décideurs

se substituent aux mécanismes habituels des marchés concurrentiels pour

évaluer l'innovation thérapeutique et décider de rendre un produit accessible

financièrement à tous. Mais malgré cette barrière à l'accès, le « payeur »

contrôlera plus ou moins, selon les pays, la demande finale qui va s'adresser

au produit par l'intermédiaire, d'une part, des recours aux soins des patients,

d'autre part, par les prescriptions réalisées par les médecins.

Cette situation présente également des avantages pour les « payeurs ». En

effet, peu de pays disposent de suffisamment de ressources collectives pour

entreprendre le développement de produits nouveaux à l'échelle de l'industrie,

avec la prise de risque correspondante. Même si les chiffres varient selon les

auteurs, le coût du développement d'un médicament nouveau se situe entre

800 millions et 1 milliard de dollars. A titre de comparaison, le budget de

l'INSERM en 2007 était d'un peu plus de 600 millions d'euros et celui des

sciences du vivant au CNRS de l'ordre de 450 millions d'euros. Il s'agit certes

de montants dédiés à la recherche fondamentale, mais on imagine mal l'Etat

français investir à une échelle suffisante pour le développement d'innovations

thérapeutiques, de la découverte scientifique initiale jusqu'à l'autorisation de

mise sur le marché. Les Etats-Unis d'Amérique sont le seul pays capable de

mobiliser des sommes considérables pour la recherche publique à l'échelle

des sommes consacrées par le secteur privé : le budget du NIH est de l'ordre

de 27 milliards de dollars. Aujourd'hui, les seuls concurrents crédibles des

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INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 13

INTRODUCTION

entreprises du médicament seraient éventuellement les fondations de bien-

faisance, comme la fondation Bill et Melinda Gates, mais il est important de

souligner qu'il s'agit là de réinvestissements de bénéfices privés.

Malgré cet intérêt objectif conjoint, les relations entre « payeurs » nationaux

et industrie sont conflictuelles. Même si les premiers sont convaincus des

bénéfices des innovations thérapeutiques, ils doivent tenir compte de leur

capacité de financement des soins de santé, en fonction de la situation éco-

nomique globale du pays et des finances publiques et aussi des autres

besoins collectifs, y compris dans les services de santé : les dépenses de

médicaments et des autres biens médicaux sont partiellement en concurrence

avec le financement des soins ambulatoires et des services hospitaliers.

A court terme, dans une contrainte budgétaire, l'innovation médicamenteuse

est en concurrence avec d'autres innovations de services. La seconde,

l'industrie, est naturellement concernée par un niveau suffisant de profit pour

maintenir son potentiel de recherche et son attractivité pour ses financeurs.

Un marché administré mais portant sur des produits de masse présente par

ailleurs une autre caractéristique par rapport à un marché équivalent, mais

concurrentiel (l'électronique grand public par exemple). Dans le second cas,

s'il y a plusieurs producteurs, l'apparition régulière d'innovations ou de

produits différenciés entretient la concurrence sur les prix sans qu'il y ait

besoin en principe d'interventions d'un régulateur. Dans le cas du marché du

médicament, il y a concurrence entre des produits dans un même domaine

thérapeutique, mais cette concurrence a des règles particulières. En théorie,

le ou les brevets pris pour un médicament nouveau octroient au laboratoire

un monopole temporaire d'exploitation de son produit. Cependant, un

laboratoire ne peut pas empêcher ses concurrents de développer des

produits analogues mais différents, donnant lieu à d'autres brevets ; ces produits

seront dans les faits en concurrence directe sur une indication thérapeutique

donnée. Ceci est attesté par les efforts promotionnels consentis par les labo-

ratoires pour gagner des parts de marché. Mais comme les conditions d'accès

au marché sont administrées, les effets éventuels de cette concurrence sur

les prix sont médiatisés par la régulation. Les « payeurs » publics tentent de

récupérer par la règle ou par la négociation une partie de la rente privée de

l'innovation, soit par des accords prix/volume, soit par des quotas de parts de

marché, soit, comme en Angleterre, par le contrôle des profits réalisés par

l'industrie au travers des ventes au Service national de santé.

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14 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

INTRODUCTION

Cependant, sur cette opposition entre « acheteurs » et « offreurs » de soins en

termes de partage de la rente de l'innovation, se greffe une autre problématique

économique. Il n'est pas indifférent pour un pays d'avoir une industrie des

biens de santé dynamique et créatrice, dont les centres de contrôle se trouvent

sur son territoire. Cette industrie emploie une proportion importante de

personnels qualifiés à très qualifiés, elle investit plus de 10% de son chiffre

d'affaires en R&D ; ses produits nouveaux ont vocation à être vendus bien

au-delà des frontières du pays, elle a donc un fort potentiel d'exportation.

Un gouvernement national ne peut donc pas négliger les opportunités de

croissance liées à l'industrie des biens de santé, au-delà des effets des

produits nouveaux sur la santé, en même temps qu'il est « acheteur » de ces

biens pour la population nationale. Un gouvernement peut donc être

confronté à un arbitrage entre l'intérêt de bénéficier d'externalités positives

de croissance liées à la présence d'une industrie qui investit sur son territoire

et le rendement en santé de la dépense publique.

Un pays comme la Suisse est de ce point de vue dans une situation favorable

avec deux champions nationaux, Novartis et Roche, pour lesquels le marché

suisse ne peut suffire seul à rentabiliser leurs produits. A l'autre extrême et

de façon simpliste, les Etats-Unis d'Amérique cumulent l'existence d'un vaste

marché national, la présence des centres de décision de la plupart des « bigpharmas » et une R&D publique et académique très dynamique en sciences de

la vie. L'industrie se confronte à un oligopole d'assureurs privés (et publics)

en situation de concurrence, face auquel elle agit plus comme un « price

maker » que sur les marchés européens. Une fois l'accès garanti sur ce marché

par les autorisations de la Federal Drug Administration (FDA), cette industrie

se tourne vers les marchés extérieurs pour accroître son développement.

La situation française est intermédiaire : notre pays est exportateur net de

produits pharmaceutiques, même si le solde positif des échanges tend à diminuer

au cours des dernières années. Cette capacité d'exportation est liée à la fois

à l'existence d'une industrie nationale et de centres de production d'entreprises

multinationales. Mais les centres de recherche de ces entreprises ne sont

pas, pour la plupart, localisés en France. Les centres de production corres-

pondent certes à des investissements importants, mais ne présentent pas le

caractère stratégique des laboratoires de recherche dans la création de

connaissances et de produits nouveaux.

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INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 15

INTRODUCTION

La problématique macroéconomique du secteur des biens de santé peut alors

se résumer de la façon suivante. Il existe un intérêt pour la puissance publique

d'un pays à favoriser l'investissement dans ce secteur, compte tenu d'exter-

nalités positives attendues sur la croissance et l'emploi : en termes économiques,

le rendement social de cet investissement serait supérieur au rendement

privé. La puissance publique a également intérêt à investir dans la santé de

sa population et les bénéfices en santé des innovations qui résultent de cet

investissement font partie de son rendement social.

D'un autre côté, le financement public des dépenses de santé peut avoir des

effets négatifs sur la croissance économique, essentiellement par l'effet

d'éviction qu'elles peuvent produire pour d'autres postes de dépenses collec-

tives elles-mêmes productrices de croissance ; par exemple, en limitant la

capacité d'un pays à investir dans la recherche fondamentale en sciences de

la vie ou à favoriser les investissements privés par des incitations fiscales.

Dans cette équation, la modalité choisie de financement des dépenses de

santé peut intervenir : des prélèvements assis principalement sur les salaires

ont un impact sur le coût du travail et donc sur la compétitivité des entre-

prises, avec un impact dérivé sur la croissance. Dans ce cas, un cercle vicieux

peut s'enclencher par le développement du chômage avec une diminution

induite des recettes de la protection sociale. A contrario, le maintien d'un haut

niveau de dépenses de protection sociale et notamment de santé joue un rôle

contra-cyclique, par le biais des revenus de transfert et par le maintien des

emplois dans le secteur des services. En France, le secteur de la santé au

sens large du terme emploie plus de 1,7 million de personnes, dont une

grande majorité dans des emplois protégés.

Enfin, on peut faire l'hypothèse d'une relation positive entre l'augmentation

du bien-être induite par l'amélioration de l'état de santé de la population et la

croissance économique, par sa contribution à la capacité productive d'un pays.

Mais dans la mesure où la croissance économique génère une croissance

plus rapide des dépenses de santé prises en charge, le bilan économique global

est difficile à établir dans les pays développés qui ont atteint un haut niveau

de développement. Parallèlement, on peut aussi supposer que l'augmentation

de la richesse nationale a un effet positif sur la sécurité matérielle des individus

et donc sur leur santé, indépendamment de l'amélioration de l'offre de soins.

Les travaux sur les inégalités sociales de santé suggèrent qu'une condition

nécessaire à un lien positif entre croissance économique et santé est le

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16 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

INTRODUCTION

caractère équitable de la distribution des fruits de cette croissance, ce qui fait

intervenir un autre facteur en partie exogène au système de soins de santé

dans l'analyse économique globale2.

2 Wilkinson RG. Unhealthy societies. 1996, Routledge, Londres, 255 pages.

Page 12: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 17

INTRODUCTION

2. Le contexte français

Peut-on appliquer le raisonnement global qui précède dans le contexte

français ? La situation actuelle est celle d'une croissance économique faible,

d'un chômage encore élevé et de déficits des finances publiques et de la

protection sociale. De surcroît, la croissance française comme celle d'autres

pays développés a été soumise récemment à des chocs exogènes importants :

crise financière internationale, hausse des prix des matières premières et, sur

le moyen terme, concurrence accrue des grands pays émergents. Il est même

prévisible que cette concurrence se fera à terme sur la production de

connaissances scientifiques, l'Inde et la Chine ayant un potentiel de dévelop-

pement de leurs élites scientifiques sans commune mesure avec celui des

pays européens.

Ce contexte de quasi stagnation (et peut-être bientôt de stagflation) entre-

tient un cercle vicieux. En l'absence d'une réduction drastique des dépenses

publiques, une faible croissance signifie une faible marge de manœuvre pour

rembourser la dette et diminuer sa charge dans les budgets courants de

l'Etat. Cela signifie également une faible marge de manœuvre en termes de

dépenses d'investissement destinées à relancer la croissance à moyen

terme, par exemple en investissant dans la recherche publique. Cette faible

croissance limite aussi les possibilités de réduction du chômage, même si une

décrue s'est amorcée en partie grâce au départ à la retraite des générations

du baby-boom de l'immédiat après-guerre. La capacité de financement des

dépenses de protection sociale est donc limitée par l'insuffisance du rendement

de l'impôt. En revanche, l'introduction de la CSG a découplé en partie les

recettes de l'Assurance Maladie du taux de chômage.

Dans ce contexte, la confrontation « payeurs »/industrie se pose essentiellement

dans des termes budgétaires : toute innovation thérapeutique apporte certes des

bénéfices en santé mais génère des dépenses supplémentaires. Le « payeur »

souhaite concentrer ses efforts sur ce qu'il évalue comme étant des innovations

majeures : la part « contribution à la santé » du rendement social de certains

nouveaux produits est jugée insuffisante. La publication de méta-analyses,

comme celle récente sur les antidépresseurs, conforte cette thèse d'un

apport thérapeutique faible, voire nul, de certains médicaments. On fait

observer qu'il n'y a pas ou peu de relations entre les différences d'espérance

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18 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

INTRODUCTION

de vie entre pays et la dépense médicamenteuse par tête. La progression des

pathologies chroniques et les dépenses afférentes d'ALD font resurgir des critiques

à l'égard d'un système de santé essentiellement curatif, alors que les princi-

pales causes de ces pathologies sont d'ordre comportemental : tabagisme,

prise excessive d'alcool, sédentarité et alimentation trop riche ou déséquilibrée

sont des facteurs de risque reconnus et importants des pathologies cardio-

vasculaires, métaboliques et tumorales. Les pratiques de marketing de

l'industrie sont dénoncées, accusées de pratiquer une information biaisée

auprès des praticiens et d'inciter à une sur-prescription propre à notre pays.

La priorité affichée est celle d'une réduction des déficits publics dont celui de

la sécurité sociale et de la part attribuable à l'Assurance Maladie.

De son côté, l'industrie pharmaceutique et des biens de santé met en avant

des succès thérapeutiques indéniables obtenus au cours des décennies, dans

le domaine du SIDA, du cancer, même si ce progrès se fait dans certains

domaines de façon incrémentale, par l'accumulation de petites avancées,

lorsqu'une voie thérapeutique nouvelle a été ouverte. D'un point de vue

macroéconomique, elle peut mettre en avant sa contribution à l'emploi, au

PIB, aux exportations et au financement de la R&D comme autant d'apports

à l'économie nationale qui ne sont pas pris en compte dans un bilan économique

d'ensemble.

Page 14: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 19

INTRODUCTION

3. L'objectif du rapport : la chaîne de création devaleur autour de l'innovation thérapeutique

Les débats autour de l'innovation thérapeutique et la dépense de médicaments

sont radicalisés au point que les perspectives des deux parties apparaissent

inconciliables. Dans le travail entrepris à la demande du LIR, nous avons pris le

parti d'examiner les arguments un par un à la lumière des travaux scientifiques

publiés sur le sujet et en utilisant les outils de l'analyse économique.

Trois questions ont guidé notre recherche :

• Que sait-on sur l'impact de l'innovation sur la croissance ? Que sait-on

en particulier de l'impact de l'innovation pharmaceutique sur la

croissance économique ? Si rendement social il y a, de quelle ampleur

est-il ? Est-il plus important pour la pharmacie que pour d'autres

secteurs ?

• Que sait-on de l'impact des dépenses de soins sur la santé des

populations ? Que sait-on en particulier de l'impact de l'innovation

médicamenteuse sur cet état de santé ? Comment cet impact se

compare-t-il avec celui d'autres innovations thérapeutiques ?

• Les dépenses d'assurance maladie ont-elles un impact négatif ou

positif sur la croissance économique ?

Obtenir des réponses à ces quatre questions est une condition nécessaire

pour savoir si l'on peut passer de ce qui apparaît actuellement comme un cercle

vicieux en enclenchant une spirale vertueuse gagnant/gagnant. Dans une

première partie, on présente brièvement la logique économique sous-jacente

à cette spirale vertueuse de création de valeur autour de l'innovation médica-

menteuse. Une deuxième partie est consacrée à un état des lieux de la situation

française du point de vue macroéconomique, de façon à situer les ordres des

grandeurs économiques qui sont en jeu. Puis, les trois parties suivantes

documentent les réponses aux questions posées. Enfin, la dernière partie est

consacrée à l'identification des leviers d'actions possibles pour se rapprocher

d'une situation gagnante/gagnante dans le contexte français.

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INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 21

1ère partie : La chaîne de création de valeur

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INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 23

1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR

1. Un modèle intégrateur

On présentera ici de façon simplifiée les différents apports des théories éco-

nomiques de la croissance, permettant de mettre en évidence les liens entre

santé, innovation en général et innovation en santé en particulier, et crois-

sance économique. Des schémas successifs permettront d'illustrer la dyna-

mique des relations qui existent entre ces différents facteurs.

Le point d'entrée de l'analyse est tiré des théories économiques du dévelop-

pement, notamment des modèles de croissance endogène. La notion de

croissance endogène renvoie à l'opposition entre des modèles explicatifs de

la croissance économique reposant sur le rôle joué par des facteurs macroé-

conomiques « exogènes » et considérés comme autonomes dans la crois-

sance économique, tels que l'accumulation du capital ou la démographie, et

des modèles qui laissent une part explicative à des comportements explicites

d'agents économiques qui peuvent modifier la dynamique de la croissance.

Pour simplifier, dans un modèle exogène, on expliquera la croissance par des

facteurs macroéconomiques agrégés observés ex post, alors que les modèles

endogènes prendront en compte des variables stratégiques mobilisées de

façon différente par les acteurs économiques, Etat, entreprises, ménages,

dans le but d'obtenir un avantage économique supérieur. Deux dimensions

particulières ont été étudiées par les théoriciens de la croissance endogène :

d'une part, l'investissement par la puissance publique dans l'éducation, la

santé et les infrastructures publiques, d'autre part, le facteur « recherche » ou

« progrès technique »3.

D'une façon générale, on considère que les facteurs suivants sont détermi-

nants (nécessaires, mais pas suffisants) dans la genèse de la croissance éco-

nomique d'un pays : l'existence de ressources naturelles, la disponibilité de

capital financier, une population éduquée et en bonne santé, des institutions

politiques et économiques stables permettant aux agents économiques de

faire des anticipations et de prendre des risques. Il peut exister plusieurs

combinaisons possibles de ces facteurs conduisant à des régimes différents

de croissance. Ces théories donnent tout leur sens au terme « endogène » :

les acteurs économiques et politiques d'un pays peuvent jouer un rôle déter-

minant dans les choix qu'ils font d'allocation de ressources rares. Le progrès

technique n'apparaît pas en tant que tel dans cette liste : dans les théories de

3 Notons cependant que les modèles de croissance « exogène » ou néo-classique montrent, tout comme les modèles « endogènes », que le progrès techniquejoue un rôle important en tant que l'un des moteurs de la croissance.

Page 19: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

24 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR

la croissance endogène, il est le fruit de l'action des agents économiques,

dont l'inventivité et la capacité de découverte trouvent un environnement plus

ou moins favorable au développement de produits et de services nouveaux.

On met dans un premier temps l'accent sur l'investissement en capital humain,

éducatif et santé. La logique de l'investissement en santé est simple : il vise

à garantir la disponibilité d'une main d'œuvre productive. L'avantage direct

est simple. L'allongement de la longévité permet une augmentation de la

population en bonne santé et donc de la force de travail l'avantage à long

terme est la capacité des individus à se projeter dans le futur et donc à déve-

lopper un comportement d'épargne. Dans un premier temps, cet investissement

ne passe pas nécessairement par la disponibilité de services de soins modernes,

mais par la disponibilité d'eau potable, de ressources alimentaires suffisantes

et par l'éradication de pathologies infectieuses endémiques, soit par l'hygiène

publique, soit par des programmes de vaccination et de promotion de la

santé. Il existe alors une interaction entre l'investissement dans l'éducation

et la santé : l'éducation permet aux individus de s'approprier des règles

élémentaires de conduite de santé, elle permet de diminuer la mortalité infantile

en éloignant les enfants d'un travail trop précoce. A son tour, elle permet

d'élever par palier le niveau de qualification de la population et sa créativité.

Le schéma suivant illustre ces interactions et la croissance économique.

Schéma 1 : les facteurs d'amorçage

Système éducatif

Investissement santé

Capitaux Public/privé

Croissanceéconomique

+

+

+

Page 20: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 25

1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR

Une fois la croissance économique amorcée, il s'enclenche un cercle

vertueux qui a les conséquences suivantes. La croissance de la richesse

nationale a plusieurs effets positifs. Elle permet d'augmenter les ressources

publiques prélevées par l'impôt qui seront réinvesties dans les services exis-

tants, dans l'infrastructure du pays ou dans de nouveaux services. Elle a donc

des effets rétroactifs directs favorables sur l'investissement dans le système

éducatif et dans la santé. A terme, l'investissement dans le système éducatif

peut favoriser le développement non seulement de l'éducation primaire et

secondaire, mais également du système d'enseignement supérieur et de

recherche. Sur le long terme, celui-ci peut commencer à produire un stock de

connaissances qui pourront donner lieu à des brevets et être utilisées par des

investisseurs privés prenant le risque du développement de l'idée et de sa

transformation en produit, procédé ou service nouveau. L'accroissement de

la sécurité matérielle et de la santé de la population se traduit par

l'émergence d'un comportement d'épargne privée et par la possibilité de

développer une épargne de prévoyance (santé, retraite), forcée ou non par les

pouvoirs publics. Cette épargne de prévoyance peut « solvabiliser » une offre

de soins de santé d'un caractère nouveau. L'amélioration de la santé des

individus liée à une plus grande sécurité matérielle fait émerger une demande

de santé d'un nouveau type, à laquelle répond l'offre d'innovations privées

stimulée par la croissance économique et par l'existence d'un stock de

connaissances. Les schémas suivants représentent ces différents effets

positifs et, en synergie, par sous-systèmes.

L'enchaînement décrit plus haut est évidemment idéalisé et contracté dans

le temps. L'histoire du développement de la connaissance scientifique et du

progrès technique a pris plusieurs siècles dans les pays occidentaux, mais

l'émergence des pays du groupe BRIC suggère qu'il peut y avoir des

phénomènes de rattrapage rapide, surtout si le gouvernement d'un pays fait

de l'accumulation du capital une priorité compte tenu d'une main d'œuvre

abondante et à bon marché. Nous raisonnons également dans le cadre d'une

économie isolée, sans tenir compte de la concurrence entre pays et du rôle

du commerce international. Par ailleurs, il existe aussi des conditions institu-

tionnelles et organisationnelles nécessaires pour qu'il y ait également inter-

action positive entre recherche publique et R&D privée. Nous reviendrons sur

ce point plus loin.

Page 21: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

26 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR

Schéma 2 : La rétroaction sur le système éducatif et de recherche

Schéma 3 : Impact de la croissance sur la santé et les services de soins

Investissement dans la recherche

publique

Effet de rétroaction positive

Croissanceéconomique

+ de ressourcesfiscales

Potentialités de R&D privée

Renforcement du système

éducatif

Le schéma 3 présente les effets de rétroaction sur la santé des individus et le

développement des services de soins de santé.

Croissanceéconomique

+ de ressourcesfiscales

Nouveaux services de santé

Epargne de prévoyance

Sécurité matérielleaccrue

Santé++

Page 22: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 27

1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR

2. Discussion

Aussi simplistes soient-ils, les schémas précédents permettent de mettre en

évidence les interactions entre progrès technique, investissement dans le

capital humain et croissance économique. Cependant, chacune de ces inter-

actions n'est effective que sous certaines conditions ; il s'agit aussi d'en

connaître la force relative ; enfin, ce modèle s'applique dans notre cas non

pas à toute l'économie, mais au secteur particulier des sciences du vivant et

de l'industrie des biens de santé. Dans ce domaine, la puissance publique est

aux deux bouts de la chaîne de création de valeur.

En amont, les investissements qu'elle réalise en recherche ont potentiellement

plusieurs retombées. Si cette recherche est performante, elle devient attractive

pour des investisseurs privés, nationaux ou internationaux. Le flux induit de

capitaux vient en complément des financements publics, opérant ainsi un

effet de levier. Une première retombée est l'augmentation de la production de

connaissances nouvelles, donc du potentiel d'inventions et d'innovations. Si

ces innovations sont des succès, les droits d'exploitation des brevets repré-

sentent une première retombée économique directe d'un partenariat

public/privé. Si, de surcroît, une grande partie du développement de l'innovation

est faite sur le territoire national, il y a création directe d'emplois de haute

qualification, avec création de débouchés pour les étudiants de l'enseignement

supérieur (docteurs ès sciences, ingénieurs et techniciens). Par ailleurs, le

marché de la pharmacie est un marché mondial : si la production des innovations

est localisée dans le pays, il y a aussi développement des exportations,

contribuant là encore à la création de richesse supplémentaire. Enfin, on peut

faire l'hypothèse qu'un investissement dans les sciences de la vie trouvera

des applications dans d'autres domaines : au plus près de la santé humaine,

la santé animale, mais également l'agriculture, l'environnement ou d'autres

applications industrielles. Pour résumer, l'investissement en amont peut se

traduire par un partage de la rente privée d'innovation (par le biais des droits

d'exploitation) et par des externalités positives de croissance. Dans ce raison-

nement, on a volontairement fait abstraction du rendement « santé » spécifique

à l'innovation médicamenteuse.

En aval, la puissance publique devient « acheteuse » des innovations par

le biais des systèmes publics d'assurance maladie. Le rendement social de

Page 23: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

28 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR

l'innovation est alors l'amélioration de l'état de santé de la population.

Supposons que l'on sache valoriser ce rendement social avec un équivalent

monétaire. D'un point de vue économique, la problématique des pouvoirs

publics est celle de l'allocation optimale des ressources collectives entre les

différents services contribuant à l'amélioration du bien-être de la population.

A court terme, cette allocation se fait dans une enveloppe fermée, celle des

ressources publiques disponibles dans le cadre d'une fiscalité donnée et en

fonction de la richesse nationale. Cette enveloppe n'a pas vocation à rester

fixe : les dépenses publiques ont augmenté en volume et en part relative du

PIB dans tous les pays développés. Mais en théorie, sa gestion doit se sou-

mettre à la règle suivante : le rendement marginal d'un euro supplémentaire

de dépense publique doit être supérieur ou égal à son coût d'opportunité. En

première approximation, ce coût est égal à l'impact négatif sur la croissance

économique d'un euro supplémentaire de dépense publique. Cette règle

pourrait alors servir de critère décentralisé d'allocation de ressources entre

les différents services publics. Pour chaque secteur, tant que le rendement

social d'un investissement nouveau est supérieur à ce coût d'opportunité, cet

investissement est légitime.

C'est le raisonnement appliqué en Angleterre et au Pays de Galles par le

National Institute for Clinical Excellence (le NICE) pour le compte du service

national de santé (le NHS). En fixant à environ 30 000 £ par QALY (année de

vie ajustée sur la qualité), le NICE considère explicitement que toute innovation

en santé dont le rendement serait inférieur à cette limite (dont le ratio coût

par QALY serait supérieur à 30 000 £ par QALY) dégraderait le rendement global

de la dépense publique. A contrario, le gouvernement français ne fixe pas de

limite au rendement social attendu d'une innovation thérapeutique, si celle-ci

a franchi la barre de l'évaluation de son service médical rendu (le SMR) et

l'accès au remboursement. En faisant ce choix, le gouvernement affirme deux

principes : celui de l'accès à tous de l'innovation thérapeutique, mais aussi

celui d'une préférence collective pour le secteur de la santé par rapport à

d'autres secteurs de dépenses publiques. En revanche, considérant l'amélio-

ration du service médical rendu (l'ASMR), il en détermine la valeur pour la

collectivité par le biais de la négociation des prix et des volumes de vente. Par

ailleurs, il considère que les conditions de concurrence sur le marché et l'exis-

tence d'un monopole temporaire de l'industriel légitiment un partage négocié

dans le temps de la rente privée de l'innovation, grâce à des accords prix-

volume, et de la décroissance programmée des prix dans le temps.

Page 24: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 29

1ÈRE PARTIE : LA CHAÎNE DE CRÉATION DE VALEUR

Synthèse de la première partie

Comment agréger les bénéfices potentiels d'un investissement en amont

et le rendement social de la dépense publique en aval ? Autrement dit,

comment rendre compatible le bon emploi de la ressource collective

en aval tout en engrangeant les bénéfices de l'amont ? La discussion

qui précède a eu pour objet de préciser les termes généraux de la pro-

blématique présentée en introduction : quelles sont les conditions

requises pour que le rendement social en amont vienne s'ajouter au

rendement social en aval ; dit autrement, pour que le gouvernement

d'un pays ait la possibilité , soit de bénéficier d'une partie de la rente

privée en amont, soit de créer des externalités positives de croissance,

qui viendraient en atténuation du coût d'opportunité de la dépense

publique de santé ? Avant d'apporter des éléments de réponse à cette

question, on rappellera quelle est la situation macroéconomique

actuelle de la France, de façon à situer l'ordre de grandeur des enjeux.

Page 25: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude
Page 26: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

2e partie : Le contexte macroéconomique en France

Page 27: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude
Page 28: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 33

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

1. Les agrégats macroéconomiques ayant un impactsur le financement de l'Assurance Maladie et les dépenses de santé

1.1 La richesse nationale

Selon les données de la comptabilité nationale, le PIB de la France a été de

1 892 milliards d'euros en 2007, soit environ 30 700 € par habitant. Sur les dix

dernières années, le taux de croissance annuel moyen du PIB a été de 4,1%

en valeur et de 2,33% en volume. Le taux de croissance attendu en volume

pour 2008 par rapport à 2007 serait de 1,6% selon les estimations de l'INSEE

publiées en juin 2008, contre une fourchette attendue de 1,7% à 2% affichée

par le gouvernement. Ces prévisions ont été revues très à la baisse à la suite

de la crise financière de l'automne 2008.

Source : www.insee.fr

1.2 Les dépenses publiques

Le montant total des dépenses publiques en 2007 était de 991,5 mds d'euros,

soit 52,4% du PIB selon les critères de Maastricht. De 2001 à 2007, ce taux

des dépenses publiques a augmenté moins rapidement que le PIB (voir gra-

phique 2), l'élascticité s'établissant à 0,87% en 2007.

0

1

2

3

4

5

6

Taux de croissance en volume

Graphique 1 - Taux annuel de croissance du PIB en %

Taux de croissance en valeur

1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

Page 29: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

34 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

Source : www.insee.fr

La répartition de la dépense publique entre administrations de l'Etat, adminis-

trations locales et organismes de sécurité sociale était la suivante en 2007 :

Tableau 1

Dépenses des administrations françaises en 2007 (en mds d'euros)

Administrations publiques centrales 411,4 38,0%

Administrations publiques locales 212,2 19,6%

Administrations sociales 459,7 42,4%

Parmi les dépenses des administrations sociales, les dépenses d'assurance

maladie ont été de 151,2 mds d'euros (accidents du travail et indéminités

journalières inclus), soit environ 1/3 des dépenses de protection sociale et

14% des dépenses publiques totales.

1.3 La dette publique

La dette publique de la France était de 1 209 mds d'euros en 2007, soit 63,9%

du PIB. Cette part a été croissante de 2001 à 2005, pour connaître un léger

fléchissement en 2006 et une reprise en 2007. Son élasticité par rapport au

PIB a toujours été supérieure à 1 sur la période (cf. graphique 3). Ceci s'explique

que les recettes collectives ont évolué comme le PIB sur la période, avec une

croissance plus rapide des dépenses.

0

1

2

3

4

5

6

Taux de croissance des dépenses publiques

Graphique 2 - Élasticité des dépenses publiques/PIB

Taux de croissance du PIB

Élasticité dép/PIB

2002 2003 2004 2005 2006 2007

Page 30: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 35

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

Source : www.insee.fr

Le graphique 4 représente la part des différents débiteurs dans la dette totale4.

La catégorie ODAC recouvre différents organismes rattachés à l'administra-

tion centrale, dont notamment la CADES (Caisse d'amortissement de la dette

sociale), qui a pour mission d'amortir la dette des organismes de sécurité

sociale. La CADES couvre la majeure partie des dettes des ODAC. La part des

organismes de sécurité sociale dans la dette est donc de l'ordre de 11%, soit

du même ordre de grandeur que les administrations locales.

Selon le rapport annuel de la Cour des Comptes sur les finances publiques, la

charge d'intérêt de la dette a été de 51,8 mds d'euros en 20076.

0

2

4

6

8

10

12

Taux de croissance de la dette

Graphique 3 - Élasticité de la dette/PIB

Taux de croissance du PIB

Élasticité dép/PIB

2002 2003 2004 2005 2006 2007

Graphique 4 - Part dans la dette des différents

État

Administrations locales

ODAC

Administrations de la Sécurité Sociale

77,6%

3,5%7,9%

11,1%

4 Ministère de l'Economie et des Finances. Projet de loi de Finances 2008, Rapport économique, social et financier, tome II, annexe statistique5 Cour des Comptes. Rapport annuel sur la situation et les perspectives des finances publiques, juin 2008.

Page 31: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

36 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

1.4 La dette de l'assurance-maladie

Il est plus difficile d'identifier de façon précise le poids de la dette de l'assu-

rance-maladie seule, ainsi que sa charge annuelle d'intérêts. En effet, ses

déficits courants Assurance Maladie(et du régime général de la sécurité

sociale) alimentent le découvert de trésorerie de l'ACOSS (Agence centrale

des organismes de sécurité sociale). Cette dette est elle-même régulièrement

transférée à la CADES qui doit procéder à son financement, au paiement des

intérêts et à son remboursement par un impôt dédié, la Contribution au

remboursement de la dette sociale (CRDS), dont le rendement a été de

5,7 mds d'euros en 2007. Le montant de la dette non amortie de la CDES était

de 72,9 mds d'euros à la fin 2007. Le rapport d'information de la Commission

des Affaires sociales du Sénat6 fait état d'une dette cumulée du régime général

auprès de l'ACOSS de 20,1 mds d'euros à la fin 2007, mais qui atteindrait près

de 30 mds d'euros à la fin 2008. Les charges d'intérêt sur la dette de 2008

atteindraient alors 1 md d'euro. La dette cumulée des organismes de sécurité

sociale serait alors de l'ordre de 90 à 100 mds d'euros, dont une majeure

partie attribuable sur les dix dernières années au Régime général de l'assu-

rance-maladie. Une autre approche consiste à additionner les déficits du

régime général de l'assurance-maladie depuis la création de la CADES en

1997. Selon les comptes de la sécurité sociale, on aboutirait à un déficit brut

non amorti de 90,2 mds d'euros. La CADES ayant amorti environ 1/3 de la

dette transférée depuis sa création, on peut donc estimer la dette cumulée de

l'assurance-maladie à 60 mds d'euros.

Ce montant est difficile à comparer avec la dette cumulée de l'Etat, compte

tenu d'une estimation faite sur une période plus restreinte. Néanmoins, il

convient d'observer que ce montant cumulé est sans commune mesure avec

la dette publique globale, dont elle ne représenterait qu'environ 5% sur la base

de l'estimation précédemment calculée. A l'évidence, la maîtrise des déficits

de l'assurance-maladie et le financement de la dette sociale ont reçu une

attention beaucoup plus soutenue de la part des gouvernements successifs

que la dette de l'Etat ou des administrations locales.

6 Vasselle A. Rapport d'information de la Commission des affaires sociales, n° 456, séance du 9 juillet 2008.

Page 32: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 37

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

1.5 Le chômage

L'évolution du taux de chômage sur la longue durée est représentée par le

graphique suivant.

L'introduction de la CSG en 1990 a découplé partiellement le financement de

l'assurance-maladie du niveau et des variations du taux de chômage. En effet,

son financement est assuré aujourd'hui pour moitié par les cotisations sociales

et pour moitié par la CSG. La CSG est un impôt assis sur l'ensemble des revenus

et son rendement varie à peu près proportionnellement au PIB (coefficient

d'élasticité égal à 1). Les cotisations sociales sont assises sur la masse salariale.

Mais l'évolution de celle-ci peut également être partiellement découplée de

l'évolution du chômage. Si la part des salaires et des profits dans la valeur

ajoutée nationale évolue peu au cours du temps, alors la masse salariale va

évoluer également de façon parallèle au PIB, si le chômage ne varie pas

lui-même.

Graphique 5 - Taux de chômage

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 20070

2

4

6

8

10

12

Page 33: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

38 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

De 1993 à 1999, le taux de chômage est resté à peu près constant, aux

alentours de 10% de la population active, alors que le PIB augmentait en

moyenne de 3,2%. L'augmentation du chômage n'aurait un impact majeur sur

le financement de l'assurance-maladie que si elle était accompagnée d'une

baisse de la part des salaires dans le PIB, induite par une baisse des salaires

nominaux et accompagnée d'un ralentissement de la croissance.

Paradoxalement, une baisse du chômage pourrait ne pas avoir d'effets

majeurs à court terme sur les recettes de l'assurance-maladie, à taux de

croissance du PIB inchangé. C'est le cas lorsque le moteur principal de cette

baisse est le départ à la retraite d'une classe d'âge nombreuse, comme la

génération des baby-boomers. La base des cotisations est constituée

aujourd'hui à la fois des salariés actifs et des retraités. Ces derniers continuent

de cotiser, mais moins, leurs revenus ayant baissé et le taux de cotisation

étant plus faible. Les premiers arrivent sur le marché du travail avec pour

partie d'entre eux des salaires plus faibles que ceux qui partent à la retraite.

Un dernier paramètre est le taux de remplacement. Le bilan global de ces flux

sur l'assiette des cotisations peut donc être neutre, voire négatif, si le taux de

remplacement est bas.

Autrement dit, la baisse du chômage augmente relativement les recettes

sociales si la population active avec un emploi augmente ou si les salaires

Page 34: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 39

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

moyens augmentent. Sur 2007, il semble qu'on ait observé ce phénomène

avec une croissance vive de la masse salariale des emplois privés (4,4%,

comptes de la sécurité sociale), se traduisant par un apport net de recette.

Autrement dit, s'il y a une différence de rythme entre les créations d'emplois

et la croissance économique, il peut y avoir une amélioration conjoncturelle

des recettes de l'assurance-maladie. Combinée avec une politique drastique

de diminution des dépenses, ceci pourrait conduire à un retour à l'équilibre.

Cependant, sur le moyen terme, il est plus prudent de faire l'hypothèse que le

taux d'élasticité des recettes de l'assurance-maladie par rapport au PIB est à

peu près égal à 1, sauf si l'on se rapproche du taux de chômage structurel

associé à une absence d'inflation. Dans ce cas, une situation tendue sur

l'offre de travail peut conduire à une augmentation du salaire moyen

augmentant sa part dans la valeur ajoutée nationale. C'est également le cas

si, de façon massive, les emplois créés sont en moyenne d'un niveau de

qualification plus élevé.

L'analyse qui précède ne tient pas compte des politiques actives d'aide à

l'emploi qui ont été mises en œuvre en France, dont le vecteur principal a été

une baisse des charges sociales des employeurs. Ces exonérations de charges

se sont traduites mécaniquement par une baisse des recettes des organismes

d'assurance-maladie. En théorie, cette baisse était compensée à l'euro près

par le budget de l'Etat, ce qui a été approximativement vrai sur le moyen

terme, mais s'est traduit dans le court terme par une augmentation conjonc-

turelle du déficit des caisses. Cette politique, préconisée notamment par

Blanchard et Fitoussi en 1998 dans leur rapport au Conseil d'analyse écono-

mique, a été mise en œuvre de façon massive ces dernières années, afin de

rendre attractives les embauches pour les entreprises françaises, d'améliorer

ou de maintenir leur compétitivité au niveau international dans un contexte de

renchérissement de l'euro et de bénéficier d'un effet de demandes par la

baisse du chômage. Ces exonérations ont été respectivement de 21,6 mds

d'euros en 2006, 25,2 mds d'euros en 2007 et le montant prévisionnel pour

2008 est de 29,3 mds d'euros. Ces exonérations valent pour tous les risques,

mais portent en partie sur l'assurance-maladie. Leur effet ne doit intervenir

dans le jugement porté sur le déficit actuel que si l'Etat n'a pas compensé

cette perte de recette (il semblerait qu'il reste une dette de l'ordre de 1 md

d'euros à l'égard de l'assurance-maladie). En revanche, ces mesures doivent

être jugées en fonction de leur rendement en termes de création d'emplois

par rapport à leur coût, notamment en termes d'impact sur les finances publiques.

Page 35: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

40 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

2. Les dépenses de santé

Ce qui nous intéresse est la tendance longue d'évolution des dépenses de

santé et la capacité de l'économie nationale à les financer sans créer à

nouveau un déséquilibre des comptes de la Nation. Rappelons que l'endettement

spécifique dû à l'assurance-maladie est réel mais petit par rapport à la dette

de l'Etat et des collectivités territoriales ; par ailleurs, le déséquilibre le plus

menaçant viendrait plutôt dans les années à venir des régimes de retraite.

2.1 L'évolution des dépenses de santé sur le long terme

On s'appuie, dans un premier temps, sur l'étude rétrospective de la DREES

déjà citée pour indiquer les tendances lourdes du passé. Cette étude porte

sur la consommation des soins et biens médicaux (CSBM), remboursée ou

non par les régimes d'assurance-maladie obligatoires, et sur la période 1950-

2005. Les résultats les plus marquants sont les suivants. Sur la période, la

CSBM a un taux de croissance annuel moyen supérieur à celui de PIB de 2,6%

en volume et de 2,5% en valeur. Ceci traduit une baisse relative du prix des

biens de santé de 0,2% par an par rapport aux prix du PIB.

Cette croissance relative par rapport au PIB a été très forte en début de

période et s'établit autour de 2% au cours des 15 dernières années, comme le

montre le tableau suivant extrait de l'étude DREES.

Tableau 2.

Taux de croissance annuels moyens en % de la CSBM et du PIB

CSBM en volume PIB en volume Prix relatif de la santé1

1950-1955 9,4 5,7 1,9

1955-1960 6,3 5,8 0,3

1960-1965 10,8 5,9 -0,2

1965-1970 8,5 5,4 -0,1

1970-1975 8,8 3,5 -1,5

1975-1980 5,8 3,3 -0,7

1980-1985 5,5 1,5 -1,4

1985-1990 4,7 3,3 -0,6

1990-1995 3,0 1,2 0,4

1995-2000 2,3 2,8 0,0

2000-2005 3,6 1,5 -0,1

1950-2005 6,2 3,6 -0,21. Rapport entre les indices de prix de la CSBM et du PIB.Sources - Drees, rétropolation des comptes de la santé

Page 36: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 41

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

Cette augmentation de la CSBM peut être expliquée par les facteurs suivants.

L'effet démographique pur (la population française a augmenté de 46% sur la

période) expliquerait à lui seul 0,8% par an d'augmentation de la CSBM, à taux

de couverture inchangé. La généralisation de la couverture expliquerait en

moyenne annuelle 1,67% de l'augmentation. Le solde, soit 3,6% - 2,5%= 1,1%,

serait dû à un effet de cohorte (recours accru aux soins face à une offre plus

abondante), de longévité (accroissement des effectifs des classes d'âge les

plus élevées) et au progrès technique.

Pour notre propos, on retiendra de cette étude les éléments suivants. Sur le

long terme, les auteurs constatent une relative stabilité de la part des trois

composantes majeures de la CSBM, les dépenses hospitalières, les dépenses

de soins ambulatoires et les dépenses de médicaments. En réalité, ces

composantes ont des évolutions différentes : au cours de la période, la part

en valeur des médicaments a d'abord décrue de 25% dans les années

cinquante avec un plancher de 17,5% atteint en 1983, puis une reprise de sa

croissance pour atteindre 20,8% en 2005. La dernière tendance correspond

à une augmentation des volumes, dont le moteur essentiel a été la croissance

du nombre de patients pris en charge en ALD depuis 2003. Le nombre

d'assurés sociaux bénéficiant du 100% est en effet passé d'environ 5 millions

en 2000 à plus de 8 millions en 2007. Sur la longue période, en revanche, les

prix du médicament ont baissé et ce, relativement plus vite que les prix des

autres composantes, comme le montre le graphique suivant tiré de l'étude.

Page 37: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

42 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

Selon les Comptes de la santé 2006, les derniers connus, la consommation

de médicaments aurait cru en 2006 de 5,4% en volume mais seulement de

1,5% en valeur, traduisant donc une baisse de prix de 4,7% Cette modération

serait due selon les auteurs à la pénétration accrue des génériques, aux

baisses imposées de prix, au déremboursement de spécialités à SMR insuffisant

et à la montée en charge de conditionnement à trois mois. Ces facteurs

modérateurs ont en partie compensé l'extension des prises en charge en ALD

et la part plus importante prise par des médicaments coûteux à l'hôpital.

Dernier point, le taux de couverture des dépenses par la protection collective

(assurance-maladie + Etat) est resté relativement stable, autour de 75%,

depuis 1990. Compte tenu de l'extension des ALD, cette stabilité traduit un

transfert de charges vers les assurés non ALD.

Graphique 7 - Évolution du prix relatif de la consommation de soins et de biens médicaux et de ses composantes, par rapport au prix du PIB (1950=100)

1950

Hôpital

1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 20050

20

40

60

80

100

120

140

160

180

Ambulatoire Médicaments CSBM

Page 38: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 43

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

Ce sont plutôt les soins ambulatoires qui ont donné lieu à une moins bonne

couverture, comme le montre le graphique 9.

0 %

10 %

20 %

30 %

40 %

50 %

60 %

70 %

80 %

90 %

100 %

%

%

%

%

%

%

%

%

%

%

%

Soins ambulatoires

Transports de malades

Officines pharmaceutiques

Autres biens médicaux

Graphique 9 - évolution du taux de couverture par la Sécurité Sociale des divers postes de dépenses de 1950 à 2005

Soins hospitaliers

Part Sécurité sociale dans CSBM

1950 1960 1970 1980 1990 2000

Source : Drees, rétropolation des comptes de la santé.

0 %

10 %

20 %

30 %

40 %

50 %

60 %

70 %

80 %

90 %

100 %

Mutuelles

Graphique 8 - Structure du financement de la consommation de soins et de biens médicaux de 1950 à 2005

Ménages et autres assurances complémentaires

1950 1955 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005

État et collectivités locales

Sécurité sociale

Source : Drees, rétropolation des comptes de la santé.

Page 39: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

44 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

2.2 Les projections

Quelles sont les tendances futures d'évolution des dépenses de santé dans

l'absolu et par rapport au PIB ? On raisonnera ici en volume, car il est difficile

d'anticiper l'évolution relative des prix des biens et services de santé par

rapport aux prix du PIB. Selon les projections démographiques réalisées par

l'INSEE, la population française devrait passer de 60,7 millions d'habitants à

66,2 millions en 2025, soit un taux moyen d'augmentation de 0,4% par an. On

fera l'hypothèse que le taux de couverture de la population ne changera pas

sur cette période. L'effet moteur principal est alors celui de l'allongement de

la longévité, se traduisant par un nombre croissant de personnes âgées en

nombre absolu et en pourcentage de la population totale. Un scénario de

base simpliste consiste à faire l'hypothèse que les coûts relatifs par classe

d'âge resteront constants, l'effet longévité étant alors seulement un effet

d'accroissement en part relative et en effectif des classes d'âge des personnes

âgées dans la population totale. L'effet supplémentaire en termes d'accrois-

sement des dépenses de santé remboursées par rapport au PIB est alors de

0,9% par an (Grignon, 2003)8. Donc, toutes choses égales par ailleurs, les

dépenses remboursées augmenteront plus vite que le PIB.

Cette estimation est évidemment simpliste et les simulations qui ont été réa-

lisées intègrent d'autres hypothèses. La première série d'hypothèses

concerne l'évolution de l'état de santé des classes d'âge élevées. Elles vont

augmenter en effectif, mais le débat porte sur la part de personnes qui seront

en bonne santé dans cette classe d'âge dans le futur. Deux scénarios s'oppo-

sent : soit la part des personnes en bonne santé va augmenter dans chaque

classe d'âge (compression de la morbidité), soit elle va diminuer (augmentation

de la morbidité). On peut compliquer ce scénario en gardant une hypothèse

de compression de la morbidité en part relative, mais faire l'hypothèse que

les personnes en mauvaise santé seront en bien plus mauvaise santé

qu'aujourd'hui. En effet, les personnes qui atteignent une classe d'âge élevée

aujourd'hui sont des survivants qui sont en bonne santé, alors que dans dix

ans, pour la même classe d'âge, elles auront été maintenues en vie plus long-

temps malgré une maladie grave.

A titre d'illustration, le tableau suivant montre, avec des chiffres fictifs,

l'impact de différents scénarios sur les dépenses globales de santé et sur le

8 Grignon M. Les conséquences du vieillissement de la population sur les dépenses de santé. Questions d'économie de la santé, IRDES, n° 66, mars 2003.

Page 40: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 45

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

coût unitaire de prise en charge. L'année 0 correspond à la situation actuelle.

La classe d'âge des plus de 75 ans a un effectif d'un million de personnes.

60% d'entre elles sont en bonne santé et dépensent 4 500 € par an, 40% sont

en mauvaise santé et dépensent 7 500 € par an. La dépense totale pour cette

classe d'âge est de 5,7 milliards d'euros et la dépense moyenne par personne

de 5 700 €.

La première colonne correspond au scénario de base de Grignon. Les structures

de coûts et de morbidité sont les mêmes, l'effet mesuré est uniquement

démographique. La deuxième colonne correspond à une hypothèse de

compression de la morbidité, à coûts constants selon l'état de santé. La

dépense totale augmente, mais la croissance relative des dépenses de santé

par rapport au PIB n'est plus que de 0,62%. Si l'état de santé des personnes

en mauvaise santé se dégrade et leurs dépenses augmentent (augmentation

de la morbidité), le taux de croissance relatif par rapport au PIB passe à

1,87%. Si le pourcentage de personnes en mauvaise santé augmente sans

que leur état s'aggrave et sans que les dépenses n'augmentent, l'évolution

relative par rapport au PIB est de 1,03%. Un scénario mixte d'augmentation

du pourcentage des personnes en bonne santé mais d'augmentation de la

morbidité des personnes en mauvaise santé montre que l'effet de compression

de la morbidité l'emporte sur l'effet d'augmentation de la gravité. La dernière

colonne est optimiste : grâce aux progrès techniques et aux effets positifs

d'une politique de prévention, les personnes âgées en bonne santé sont plus

nombreuses et tous les patients coûtent moins cher. Il n'y a pas de différentiel

de croissance entre les dépenses de santé et le PIB.

Ces simulations illustrent la difficulté des prévisions quant au rythme de

croissance futur des dépenses de santé. Par ailleurs, elles négligent une

composante importante, qui est l'effet du progrès technique. Celui-ci peut

avoir deux effets : diminuer le coût de la prise en charge pour les pathologies

existantes, mais aussi augmenter les moyens d'action et répondre à des

besoins non satisfaits ou à des pathologies nouvelles. De ce fait, les estimations

de la progression future des dépenses de santé et de leur rythme relatif par

rapport au PIB varient selon les auteurs. Le Haut Conseil pour l'avenir de

l'assurance-maladie avait retenu dans son rapport de janvier 2004 trois

scénarios : les dépenses de santé remboursées pouvaient augmenter soit de

1% de plus que le PIB, soit de 1,5%, soit de 2%. Au vu des simulations réalisées

plus haut, ces trois scénarios sont plausibles.

Page 41: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

46 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

Deux études réalisées aux Etats-Unis pour les assurés de Medicare donnent

des indications intéressantes sur la plausibilité des scénarios d'évolution des

dépenses pour les personnes âgées. Dans une première étude de Lubitz et al.9,

les personnes âgées de 70 ans en bonne santé vivent plus longtemps que les

personnes de même âge en santé dégradée, mais leurs dépenses de santé

cumulées jusqu'au décès sont équivalentes. La différence se fait sur les

dépenses de prise en charge de la dépendance. Spillman et al.10 comparent

deux cohortes par simulation : des assurés de Medicare ayant 65 ans en

2000 ou 65 ans en 2015. L'accroissement de la longévité dans la deuxième

cohorte a un impact faible sur la dépense cumulée de 65 ans au décès,

notamment sur les dépenses de soins ; la différence est faite principalement

par les dépenses d'hébergement en section de long séjour. Ces deux études

suggèrent d'une part que les personnes âgées du futur auront une meilleure

santé que celles d'aujourd'hui et coûteront moins cher par an, ce qui compenserait

l'accroissement de la longévité.

S'il est difficile de trancher sur un chiffre d'élasticité des dépenses de santé par

rapport au PIB, il est cependant raisonnable de retenir que celles-ci augmen-

teront plus vite que la richesse nationale, induisant ainsi un besoin de finan-

cement supplémentaire dans les années à venir. Les solutions préconisées

ont été l'augmentation régulière du taux de la CSG et de la TVA sociale.

L'augmentation de la CSG et de la TVA sociale a un impact sur le pouvoir

d'achat des ménages, avec un effet négatif potentiel sur la demande de biens

et de services. Mais la CSG est neutre sur le coût du travail. L'amortissement

de la dette de l'assurance-maladie pourrait être accéléré par une augmentation

du taux ou de l'assiette de la CRDS. Enfin, l'assurance-maladie reçoit les

recettes liées à la taxation du tabac et de l'alcool. Dans les deux cas, une

augmentation significative de ces taxes aurait à la fois un effet sur la santé de

la population et sur les recettes.

9 Lubitz J et al. Health, Life expectancy and Health Care Spending among the elderly NEJM 2003;349:1048-105510 Spillman B, Lubitz J. The effect of longevity on spending for acute and long term care NEJM 2000; 342:1409-1415

Page 42: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 47

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

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Page 43: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

48 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

2E PARTIE : LE CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE EN FRANCE

Synthèse de la deuxième partie

L'examen simplifié des fondamentaux de l'économie française et de

l'Assurance Maladie a mis en évidence les points suivants, qui sont

directement pertinents pour notre analyse. Compte tenu des déficits

publics et de l'endettement du pays, les pouvoirs publics ont peu de

marges de manœuvre pour investir de façon significative dans l'amont,

c'est-à-dire dans le potentiel public de recherche. De plus, cet inves-

tissement ne portera ses fruits que sur le moyen terme et s'il est

soutenu. Les déficits de l'assurance-maladie sont récurrents, mais d'un

ordre de grandeur bien inférieur à celui des déficits publics. Le moteur

principal de l'augmentation des dépenses est l'extension du nombre

d'assurés pris en charge à 100% et l'amélioration de cette prise en

charge par la rationalisation des pratiques. Face à des perspectives de

croissance plutôt moroses et incertaines, les leviers d'action pour le

retour conjoncturel à l'équilibre sont, d'une part, la continuation de la

réduction du chômage par l'effet de renouvellement démographique,

et d'autre part, l'amélioration de l'efficience du système de soins et la

diminution du taux de couverture des risques pour maintenir la solidarité

pour les pathologies lourdes et chroniques. Cependant, ce retour à

l'équilibre sera remis en cause par une élasticité des dépenses de

santé par rapport au PIB supérieure à 1 : le maintien du système passe

donc par le recours à des prélèvements supplémentaires, qui préser-

veraient la composante de solidarité, ou par le recours accru à la

contribution des assurés eux-mêmes. Dans ce contexte, la fenêtre

d'action conjointe entre les pouvoirs publics et l'industrie pharmaceu-

tique pour agir sur l'amont est étroite, d'autant qu'elle dépend de la

volonté et de l'intérêt à agir de sociétés multinationales pour lesquelles

le marché français est certes attractif, mais pour lesquelles il existe

également d'autres opportunités d'investissement en termes de R&D

et de production. Pour autant, il existe plusieurs raisons d'agir pour la

puissance publique : le domaine des industries de santé présente un

potentiel de création de richesse par la valorisation de la recherche

publique, par la création d'emplois de haute qualification et par le

potentiel à l'exportation. L'objectif de la 3e partie est d'évaluer les

ordres de grandeur de ce potentiel.

Page 44: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 49

3e partie : Innovation et croissance

Page 45: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude
Page 46: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 51

3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE

La relation entre l'innovation et la croissance économique est un domaine à

part entière de la science économique. Une interrogation sur ce thème sur

Econlit, la base documentaire de référence en économie, a fait ressortir plus

de 1 000 références. Il n'est pas possible dans ce rapport de rendre compte

de la richesse des connaissances produites, d'autant que les auteurs ne sont

pas macroéconomistes de formation. Dans cette introduction, on reprendra

à grands traits les résultats essentiels de ces travaux, en s'appuyant sur

l'ouvrage de Philippe Aghion11 et Peter Howitt, d'une part, sur le rapport

présenté en 1998 par Robert Boyer et Michel Didier au Conseil d'Analyse

Economique en 199812, d'autre part. La question centrale est de connaître les

ordres de grandeur de la relation entre innovation et croissance économique

en général, et si possible en particulier en relation avec le secteur pharma-

ceutique. L'enjeu est d'évaluer ce que l'on pourrait attendre d'un investissement

accru en R&D et sous quelle forme de l'industrie pharmaceutique en France.

En cela, nous poursuivons notre hypothèse d'un jeu gagnant/gagnant pour

les pouvoirs publics et l'industrie.

1. Les théories de la croissance et le rôle de l'innovation

Les points de départ reconnus de la réflexion théorique sur les liens entre

innovation et croissance sont les articles de Solow13 et de Swan, publiés en

1956. Solow montre qu'un régime de croissance économique continu n'est

pas possible sans l'introduction du progrès technique, qui permet de pallier

les rendements décroissants du capital au cours du temps. Dans ce modèle,

le progrès technique intervient comme un facteur autonome, exogène et indé-

fini quant à sa forme. Solow ne s'intéresse pas à la genèse de ce progrès : son

objectif est de montrer qu'il est un ingrédient indispensable à la croissance.

Un résumé très simplificateur des travaux qui ont suivi la voie ouverte par

Solow conduit à dire que les travaux théoriques et empiriques ultérieurs ont

tenté d'améliorer le modèle de Solow en restant dans un modèle au sein

duquel le progrès technique est exogène, soit par des spécifications plus

complexes du progrès technique, soit en intégrant d'autres variables à l'effet

supposé sur l'établissement d'un régime de croissance ; ou bien, à l'instigation

de travaux plus qualitatifs d'analyse de la croissance économique des pays,

de changer de perspective en considérant que le progrès technique n'est pas

11 Aghion Ph, Howitt P. Théorie de la croissance endogène/ Paris : Dunod, 750 p. 2000.12 Boyer R, Didier M. Innovation et croissance. Rapport préparé pour le Conseil d'analyse économique, Paris : La Documentation française, 195 p. 13 Solow R. A contribution to the theory of economic growth Quarterly Journal of Economics 1956 70:1;65-94Swan TW Economic growth and capital accumulation Economic Record 1956 32: 334-361.

Page 47: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

52 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE

une donnée autonome d'une économie, mais qu'il est le fruit de l'action

d'acteurs économiques poursuivant un objectif de renforcement de leur position

concurrentielle. On passe alors de modèles avec progrès technique exogène

à des modèles qui rendent endogène ce facteur. Notre réflexion se situe dans

ce courant, puisque nous nous intéressons aux décisions que pourraient

prendre les pouvoirs publics en France et les industriels du médicament, dans

le but de bénéficier pour les premiers d'externalités positives d'innovations en

santé et pour les seconds d'augmenter leur rentabilité.

En première analyse, la genèse du progrès technique requiert un stock de

connaissances, nouvelles ou anciennes, qui seront combinées pour développer

une application, une invention porteuse de fonctionnalités nouvelles. Cette

invention trouvera un débouché sur un marché et c'est à ce moment qu'elle

sera considérée comme une innovation. L'existence du progrès technique est

donc liée à une activité de recherche (au sens large du terme), mais aussi une

volonté d'exploiter les fruits de cette recherche à des fins économiques. La

difficulté de caractérisation du progrès technique dans une perspective de

modélisation économique est la variabilité des formes que peut prendre cette

genèse. Une innovation peut naître d'une combinaison nouvelle de connais-

sances ou de techniques existantes : l'innovation est l'idée du développement

d'un produit ou d'un procédé nouveau, mais pas connaissances nécessaires

à sa réalisation. La recherche entreprise est alors le travail de bureaux d'études

composés de techniciens et d'ingénieurs compétents. En sciences de la vie,

la recherche fondamentale sur les mécanismes du vivant et l'innovation

thérapeutique sont à la fois étroitement liés et néanmoins autonomes. La

recherche fondamentale est certes conduite au sein de structures publiques

ou non lucratives, comme les grandes universités américaines, mais l'industrie

finance aussi des laboratoires propres conduisant des recherches qui peuvent

être parallèles à celles des centres académiques. Mais les deux organisations

ont des finalités différentes : la production de la connaissance quelle que soit

son application dans un laboratoire économique, la production de la connais-

sance pour aboutir à une application commercialisable dans le second cas. Il

y a donc a priori dans la recherche publique ou à but non lucratif production

de connaissances qui ne trouveront jamais d'application et d'incorporation

dans une innovation.

Page 48: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 53

3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE

L'innovation serait donc la concrétisation dans un bien ou service nouveau du

progrès technique. Boyer et Didier soulignent alors que l'impact que peut

avoir cette innovation sur l'économie dépend de la forme qu'elle prend effec-

tivement. Ils reprennent la distinction classique entre innovation de procédé

et innovation produit. La première conduit, si elle est adoptée, à modifier la

façon de produire plus que le produit lui-même, avec une recherche de gains

de productivité. La deuxième permet à l'entreprise de conquérir de nouvelles

parts de marché en obtenant une position de monopole temporaire. Ils distinguent

également les innovations selon le potentiel de changement qu'elles contiennent,

en opposant de innovations de rupture et innovations incrémentales. Cette

distinction peut néanmoins être difficile à définir a priori, des innovations en

apparence incrémentales à leur apparition pouvant induire au fil du temps et

de leur diffusion des changements majeurs. Enfin, Boyer et Didier distinguent

soigneusement innovation et recherche, ce qui découle logiquement de ce

qui précède. L'innovation se prête à une appropriation privée des bénéfices

qui en découlent, c'est même l'anticipation de cette rente privée qui incite

des entrepreneurs à la développer.

Qu'en est-il des liens empiriques démontrés entre innovation et croissance

économique ? Boyer et Didier distinguent deux niveaux d'analyse : celui des

entreprises innovantes et celui de la croissance économique d'un pays.

Malgré les remarques sur la distinction entre recherche et innovation, la

variable d'intérêt de ces études est toujours la dépense en R&D. L'ensemble

des travaux présentés conclut à une relation positive entre intensité de la

R&D et productivité globale, l'élasticité variant de 0,1 à 0,3 selon les secteurs ;

elle serait d'autant plus forte dans les secteurs à forte intensité de R&D.

Autrement dit, 1% de dépenses supplémentaires en R&D se traduirait par 0,1

à 0,3% de production globale en plus. Plus précisément, ces études étant faites

sur des données de panel, comparant plusieurs entreprises entre elles en

coupe transversale, l'élasticité mesure la différence de productivité entre les

entreprises qui investissent le plus ou le moins en R&D : une entreprise qui

investirait 10% de son chiffre d'affaires en R&D aurait une productivité globale

supérieure de 3% à celle qui n'investirait que 5%. Cette relation

R&D/productivité est également retrouvée de façon systématique pour

l'emploi et les performances à l'exportation. La relation positive à l'emploi

est d'autant plus forte que la recherche de l'innovation est menée de façon

continue. Enfin, les secteurs à forte R&D ont une croissance plus forte. Les

auteurs citent une étude française qui montre que les secteurs à très forte

Page 49: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

54 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE

intensité technologique développent simultanément leur croissance et l'em-

ploi, l'élasticité étant de l'ordre de 1/3. Les exemples cités sont précisé-

ment le secteur pharmaceutique et les machines de bureau.

Les résultats sont plus nuancés dès lors que l'on passe à l'étude du lien entre

innovation et croissance à long terme et au niveau macroéconomique. On

dispose cependant d'une étude récente réalisée en France à la demande du

Sénat par l'Ecole Centrale de Paris14. Les auteurs utilisent un modèle avec

« endogénéisation » de la variable R&D, pour simuler les effets sur la croissance

d'une convergence européenne à l'horizon 2010 vers l'objectif de Lisbonne

d'un effort de R&D égal à 3% du PIB. L'année d'origine de leur simulation est

2003. L'hypothèse de convergence introduit une limitation de l'effort à

accomplir pour la France, dont l'effort à l'origine est de 2,2%, mais également

une limitation des bénéfices attendus. A la valeur actuelle du PIB, cet effort

correspond à un investissement en R&D de 15 mds d'euros sur 7 ans, soit

environ 2 mds d'euros par an sur 7 ans. Cet effort est financé dans le modèle

pour 2/3 par l'industrie et pour 1/3 par les pouvoirs publics, soit environ

700 millions d'euros par an pour l'Etat français (l'équivalent du budget actuel

du CNRS en sciences de la vie).

Avec ces paramètres de parts, le modèle prédit une contribution à la

croissance du PIB de 0,22% à 0,34% par an jusqu'en 2030. La richesse nationale

se serait alors accrue de 6,5% à 9,5%. La création d'emplois serait de 0,8 million

à 1,3 million, dont 350 000 à 400 000 dans la recherche. Avec un effort bud-

gétaire annuel relativement modéré mais soutenu, les effets sur la croissance

économique et l'emploi sont néanmoins substantiels.

2. L'innovation dans l'industrie du médicament et la croissance économique

Nous n'avons pas trouvé de modèle spécifique permettant d'estimer la contri-

bution potentielle du secteur pharmaceutique à la croissance d'un pays. Dans

les études trans-secteurs citées par Boyer et Didier, la pharmacie est identifiée

comme secteur à haute intensité de R&D et par là même créditée d'un potentiel

élevé de croissance et d'emplois. En France, on dispose de l'étude réalisée

14 Rapport d'information n°391 présenté par M. Joël Bourdin, sénateur, le 20 juin 2004. ERASME- Evaluation pour la France des conséquences de l'augmentation de l'effort de R&D-Modèle NEMESIS- Annexe au rapport n° 391.

Page 50: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 55

3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE

par CEMKA15 pour le compte du LEEM sur l'année 2004, dont l'objectif était

d'évaluer le potentiel de création de richesse du secteur. Mais on ne dispose pas

de données équivalentes sur plusieurs années, ce qui permettrait d'estimer

une relation entre croissance du secteur et croissance économique nationale.

La méthode adoptée est celle des tableaux entrées-sorties, selon la méthode

développée par Leontief en 1965. Le principe en est le repérage des flux

économiques directs et indirects entre un secteur industriel et les autres

secteurs de l'économie, en termes d'activité induite par le secteur étudié. Les

principaux résultats de cette étude sont présentés sous la forme de multipli-

cateurs (d'emplois, de valeur ajoutée, etc.). Trois effets sont analysés : les

effets directs, liés à l'activité propre du secteur, les effets indirects, liés à

l'activité induite par le secteur sur ses fournisseurs, et les effets induits,

conséquences de l'utilisation des revenus des salariés du secteur et des

fournisseurs, la formation brute de capital fixe de l'industrie et de ses

fournisseurs, ainsi qu'auprès des administrations.

En 2004, le chiffre d'affaires HT du secteur était de 38,2 mds d'euros générant

une valeur ajoutée de 10,3 mds d'euros, soit 0,63% du PIB et 16 mds d'euros

à l'exportation. Le secteur employait 95 819 salariés. Le budget interne de

R&D était estimé à 1,5 md d'euros et la R&D externalisée et réalisée en

France à 2,4 mds d'euros. Le ratio R&D sur CA est donc de l'ordre de 10%. Le

total des effets indirects et induits conduisait aux résultats suivants. Le CA HT

induit était de 58,3 mds d'euros, soit un coefficient multiplicateur de 1,53. La

valeur ajoutée indirecte et induite était de 20,8 mds d'euros (coeff. 2.01) : la

part totale dans le PIB du secteur était donc de 1,9%. Le coefficient multipli-

cateur des emplois était proche de 4. Enfin, le montant total des dépenses

directes et indirectes de R&D était de 4,7 mds d'euros, mettant l'industrie

pharmaceutique en tête de l'impact du CA sur la R&D.

L'application des résultats du modèle Nemesis au secteur donne un ordre de

grandeur du potentiel de valeur ajoutée induit par la R&D pharmaceutique. La

part actuelle de R&D dans la valeur ajoutée du secteur est de 38,6%. Une aug-

mentation de 0,8% de cette part sur sept ans correspondrait à une dépense

supplémentaire de 32 millions d'euros, dont les effets induits sur la valeur

ajoutée totale (directe et indirecte) varieraient entre 0,22 % et 0,34%, soit

d'environ 69 millions d'euros à 145 millions d'euros. L'effet multiplicateur de

15 Fagnani F, Saint-Cast F. Impact macroéconomique de l'industrie pharmaceutique en France. Etude pour le LEEM. Référence 2005-101, Paris, 44 p.

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56 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE

croissance varierait entre 2,15 et 4,5. Un effort supplémentaire de 5% étalé

sur 7 ans conduirait alors à une contribution de 1 md d'euros à la richesse

nationale.

Il existerait donc un potentiel important de contribution du secteur à la crois-

sance nationale par un investissement accru en R&D. Néanmoins, il convient

de prendre garde à une extrapolation rapide de résultats obtenus sur des

modèles globaux. De surcroît, l'investissement en R&D en France est princi-

palement concentré sur la recherche appliquée et expérimentale (les déve-

loppements cliniques), la recherche fondamentale ne représentant que 6% du

montant total (source : LEEM). Or, c'est cette recherche qui est à l'origine des

innovations thérapeutiques. L'application des coefficients de Nemesis à la

recherche fondamentale donnerait alors des résultats beaucoup plus modestes.

Page 52: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 57

3E PARTIE : INNOVATION ET CROISSANCE

Synthèse de la troisième partie

Les travaux théoriques et empiriques sur la croissance économique

confirment l'importance de l'innovation comme facteur de richesse.

Les entreprises dont l'effort de R&D est le plus important connaissent

des taux de croissance et d'emploi élevés, ainsi qu'une plus grande

productivité. En France, l'impact économique d'un effort de R&D

permettant de passer en 7 ans de 2,2% du PIB à 3% serait un surcroît

annuel de croissance estimé entre 0,22% et 0,34%. L'analyse de l'activité

économique induite par le secteur pharmaceutique en France montre

qu'il existe un potentiel de création de richesses supplémentaires,

malgré sa part modeste dans la création globale de valeur ajoutée.

Page 53: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude
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INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 59

4e partie : Impact des dépenses de santé sur la santé des populations

Page 55: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude
Page 56: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 61

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

1. Introduction

Le question de l'impact du recours aux soins, et partant de la consommation

de médicaments, sur l'état de santé des populations resurgit de façon régulière

dans les débats publics, généralement sous des formes rhétoriques qui ne

permettent pas de trancher entre des positions parfois radicalement opposées.

Il est donc nécessaire dans un premier temps de revenir au point de départ de

la controverse, afin de poser de façon claire les bonnes questions, puis de se

référer aux données publiées qui ont tenté d'y apporter des réponses rigoureuses.

La controverse s'inscrit dans une opposition entre tenants d'explications

différentes de l'amélioration observée de la longévité dans les pays développés

et du poids relatif de déterminants de la santé. Schématiquement, cette

controverse oppose ceux qui se consacrent à l'étude des causes immédiates

et des manifestations de la maladie à ceux qui s'intéressent aux facteurs de

risques et aux causes plus lointaines des mêmes affections. Les deux se

rejoignent dans la mesure où l'étude approfondie de la maladie peut permettre

d'identifier des causes et des facteurs de risques, sur lesquels il est possible

d'intervenir en amont de leur survenue, et où les autres peuvent avoir besoin

de connaître les agents pathogènes impliqués pour agir dessus. Une

deuxième dimension oppose ces deux visions : les premiers s'appliquent plutôt

à prendre en charge l'individu malade, les seconds ont une vision plus « popu-

lationnelle » de leurs actions, puisqu'ils cherchent à agir sur l'environnement

de celle-ci.

Cette controverse a un enjeu en termes d'allocation de ressources. Si l'on

considère qu'il est plus efficace d'agir sur les causes lointaines que sur les

causes immédiates, car on évite alors la survenue de la maladie, alors les

ressources rares consacrées à la santé et même à la recherche doivent

plutôt être orientées vers des programmes de santé publique, d'actions sur

les comportements à risque et sur l'environnement. Par exemple, une vision

de santé publique conduit aujourd'hui à souligner que la survenue des patho-

logies chroniques qui font la masse des patients pris en charge en ALD est en

grande partie due à des comportements à risque en matière d'alimentation,

de consommation de tabac et d'alcool ou d'absence d'exercice physique. Une

version radicale de cette approche irait jusqu'à soutenir que l'innovation

médicale apporte des bénéfices marginaux, voire insignifiants, en termes

Page 57: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

62 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

d'amélioration de la santé de la population par rapport à son coût. Il en

découle alors une critique radicale des industries de santé, qui captureraient

une partie des ressources collectives au détriment d'actions de santé moins

coûteuses et plus rentables.

Le travail de Thomas McKeown16 est souvent cité comme exemple d'une

démonstration de l'apport marginal des interventions médicales dans l'amé-

lioration de la longévité de la population. Dans deux ouvrages publiés en

1976, il étudie le déclin de la mortalité en Angleterre et au Pays de Galles

entre 1850 et 1971. On peut résumer sa thèse de la façon suivante :

- le déclin observé de la mortalité est essentiellement lié à un déclin

de la mortalité due aux agents infectieux ;

- or, au cours de la période étudiée, il n'existait pas d'interventions

médicales qui avaient démontré leur efficacité dans la guérison de ces maladies ;

- les antibiotiques sont apparus dans les années 40 quand les gains

en termes de mortalité étaient déjà acquis ;

- ce sont donc d'autres facteurs, notamment l'amélioration générale

des conditions de vie, qui ont contribué aux progrès de la longévité.

Ce travail de recherche sert de « mythe fondateur » pour ceux qui contestent

la contribution des services curatifs de soins de santé à l'amélioration de

l'espérance de vie. D'autres arguments viennent en renfort : le rapport de

l'OMS en 2000 sur la performance relative des systèmes de santé montrait

que des pays dépensant peu pour les soins de santé par rapport au PIB,

comme la Grèce, pouvaient néanmoins avoir d'excellentes performances en

termes de longévité. A contrario, l'augmentation de la mortalité pour des

pathologies guérissables dans les pays de l'Europe de l'Est, suite à la disparition

des régimes communistes et l'effondrement des services publics de santé,

témoigne d'un effet réel d'un système de santé curatif.

Parmi d'autres, Johan Mackenbach17, spécialiste hollandais de la santé publique,

a mené une critique constructive de la thèse de McKeown, en remarquant

d'une part que l'apparition des antibiotiques dans les années quarante avait

contribué à accélérer la baisse de la mortalité par maladie infectieuse. D'autre

part, il souligne le caractère daté de l'étude et s'applique à montrer l'apport

des moyens d'intervention de la médecine au cours de la deuxième moitié du

16 McKeown Th. The role of medicine-dream, mirage or Nemesis ? London: Nuffield Provincial Hospitals trust, 1976McKeown Th. The modern rise of population. London: Edward Arnold, 197617 Mackenbach JP. The effects of health care on the health of populations. Conférence prononcée à la Honda Foundation Conference, “Determinants of health:prosperity, health and well-being”, Toronto, 16-18 Octobre, 1993.Mackenbach TH et al. Post-1950 mortality trends and medical dare: gains in life expectancy due to declines in mortality from conditions amenable to medicalintervention, Social Science and Medicine 1988 27:889-894.

Page 58: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 63

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

20e siècle. Il a comparé l'évolution de la mortalité en Hollande entre la

période 50/54 et la période 80/84, pour des maladies pour lesquelles des

progrès avérés des interventions médicales étaient apparus. Il montre alors

un gain d'espérance de vie de près de 3 ans pour les hommes et de 4 ans pour

les femmes, pour ces maladies, soit 1,2 mois par an pour les hommes et 1,6 mois

pour les femmes.

Sur le fond, cette opposition n'a pas de sens. On ne peut que louer l'efficacité

de l'action entreprise en France depuis 2002 pour diminuer le nombre d'acci-

dents de la circulation, néanmoins il faut continuer à prendre en charge les

accidents qui se produisent et les victimes passées ; il faut également continuer

les travaux de recherche qui permettent d'améliorer autant que faire se peut

la qualité de vie des patients survivants polytraumatisés. La politique de lutte

contre la mortalité infantile combine des mesures de santé publique et un

recours accru aux services de santé au cours de la grossesse, ainsi que le

déploiement de services hautement spécialisés en réanimation néo-natale.

D'un point de vue d'une politique de santé publique, l'enjeu est de déterminer

quelle est la meilleure stratégie combinant programmes de santé publique

(au sens large du terme) et services de soins de santé. D'un point de vue

économique, l'identification de cette stratégie optimale passe par la mesure

de la contribution relative de chaque action et de sa mise en relation avec son

coût pour la collectivité.

On peut alors reformuler les questions précédentes de la façon suivante :

- Que sait-on de l'impact du recours aux soins de santé sur la morbidité

et la mortalité de la population ? Quel rôle les innovations jouent-elles dans

cet impact ? On raisonne alors qualitativement et en volume sur les recours

au système de santé.

- Que sait-on de l'impact des dépenses de soins de santé induites par

ces recours ? On raisonne alors en valeur, pour comparer le rendement de ces

recours au rendement d'autres interventions visant à diminuer la morbidité

ou à augmenter la longévité.

- Que sait-on du rendement relatif de différentes actions de soins ?

On compare alors l'euro investi dans le système hospitalier, les actions de

prévention primaire et secondaire, les médicaments, les innovations diagnostiques.

- Que sait-on des bénéfices tirés d'une adoption plus ou moins rapide

et plus ou moins étendue d'innovations thérapeutiques ?

Page 59: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

64 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Dans la suite de cette partie, on traitera les trois dernières questions, en se

concentrant pour les deux dernières sur l'innovation médicamenteuse. Les études

qui abordent ces questions se sont heurtées à des obstacles importants de

méthode et d'accès aux données. En termes de méthode, il est très difficile

de ne pas introduire de biais dans l'évaluation des effets d'une intervention,

parmi l'ensemble des autres facteurs. Par exemple, la forte corrélation entre

accroissement du PIB et augmentation des dépenses de santé peut conduire

à des attributions causales erronées. La longévité augmente-t-elle principalement

parce que la richesse apporte plus de sécurité matérielle, qui elle-même

conduit à consommer plus de soins ? Un autre problème de méthode est lié

à l'attribution à un type d'intervention d'effets sur la santé. Des interventions

chirurgicales innovantes ne sont pas possibles sans l'utilisation combinée de

médicaments nouveaux : les médicaments qui permettent de diminuer les

réactions de rejet aux greffes d'organes en sont un bon exemple.

Réciproquement, l'administration de certains produits efficaces mais toniques

en cancérologie ne sont pas possibles sans un ensemble de dispositifs de

diagnostics, de monitorage et des dispositifs médicaux. Enfin, les études

requièrent dans l'idéal la disponibilité sur le temps et l'espace de données de

morbidité, de consommation de ressources et de longévité.

2. Impact des dépenses de santé sur la longévité

Pour répondre à cette question, on s'appuie sur un article de Nixon et Ulmann18

qui présente à la fois une revue de la littérature sur cette question et une

étude originale sur 15 pays européens. Les 16 articles retenus présentaient

les caractéristiques suivantes : a) ils traitaient principalement de la relation

entre dépenses de santé et résultats, ou dépenses de santé, crois-

sance économique et résultats ; b) ils présentaient des résultats empiriques

en utilisant des méthodes économétriques au niveau macroéconomique ; c) ils

portaient sur des pays européens ou de l'OCDE ; d) ils pouvaient également

inclure des panels de pays développés et en voie de développement. L'étude

originale a examiné l'impact sur l'espérance de vie à la naissance des hommes,

des femmes et sur la mortalité infantile des variables suivantes : la dépense

de santé par tête, la dépense de santé en part du PIB, la densité médicale, la

densité de lits hospitaliers, le nombre d'admissions à l'hôpital par tête, la

18 Nixon J, Ulmman Ph. Relationship between health care expenditures and Health Outcomes. European Journal of Health Economics 2006 7:1;7-18

Page 60: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 65

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

durée moyenne de séjour, le taux de couverture des dépenses par un système

d'assurance maladie, le taux de chômage, les consommations de tabac et

d'alcool, les comportements alimentaires et des indicateurs de pollution

atmosphérique. La période d'étude était de 1980 à 1995.

Les résultats marquants de la revue de la littérature, tels qu'ils sont résumés

par les auteurs, sont les suivants. Dans 12 études sur 16, une relation signi-

ficative et positive a été trouvée entre dépenses de santé per capita et au

moins l'un des indicateurs de longévité. Cinq études ont trouvé de plus que le

revenu avait un effet indépendant, alors que cet effet annule l'effet « dépenses »

dans une étude. Pour notre propos, les auteurs notent que les quatre études

qui ont inclus la dépense de produits pharmaceutiques par tête ont trouvé

une relation positive entre cette consommation et la longévité. Les compor-

tements à risque ont été associés avec une moindre longévité.

L'étude originale a abouti aux résultats suivants : pour les trois indicateurs de

résultats, la longévité masculine, la longévité féminine, la mortalité infantile,

les dépenses de santé et la densité de médecins ont un impact positif sur la

longévité. Pour les hommes, les comportements alimentaires à risque et la

pollution ont un effet péjoratif qui n'existe pas chez les femmes. L'estimation

des gains de longévité obtenus grâce aux dépenses de santé a été de

2,6 années pour les hommes, de 2,8 années pour les femmes. Le taux de

mortalité infantile a baissé de 0,63% en relation avec les dépenses de santé.

Rapportés à l'année, ces gains de longévité correspondent à une moyenne de

1,18 mois chez les hommes et de 2,24 mois chez les femmes. Les auteurs

concluent à un effet marginal, alors que cela correspondrait à un peu moins

de la moitié de l'augmentation annuelle d'espérance de vie observée

aujourd'hui dans les pays développés, qui est de trois mois par an ! Sur la

base des données françaises de 2006, la dépense moyenne de santé percapita est de 2500 € ; la moyenne des gains pour les hommes et les femmes

serait de 1,8 mois par an, soit un coût par année de vie gagnée de l'ordre de

17 000 €.

Page 61: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

66 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

3. Impact de la consommation de médicaments sur la longévité

3.1 Méthode

La méthode de recherche adoptée a été l'interrogation de Pubmed et de

Econlit avec comme association de mots clés « drug innovation and health,health care expenditures and health, drug expenditures and health, drug inno-vation and mortality, pharmaceutical innovation/utilization and mortality » ;, on

a procédé par la suite en utilisant les références citées dans les premières

publications sélectionnées.

Au total, dix-sept publications ont été identifiées sur les thèmes d'intérêt,

avec une forte concentration (douze) d'articles émanant du National Bureau

of Economic Research (NBER, USA) et d'un seul auteur, Frank R. Lichtenberg.

Malgré une recherche approfondie, il n'a pas été jusqu'à présent possible de

trouver d'autres articles publiés sur ce thème, qui n'apparaît pas comme une

priorité des économistes de la santé ou des économistes de l'innovation.

Compte tenu du petit nombre de travaux, on a choisi de présenter les résultats

de chacun (le numéro renvoyant à la référence en fin de texte).

3.2 Résultats

Lichtenberg FR. The effect of pharmaceutical utilization and innovation onhospitalization and mortality. 1996(publiée dans American Economic Review 2001 86(2):384-388)

L'objectif de l'étude était de démontrer l'impact de l'utilisation de médicaments

sur le recours à l'hôpital et sur la mortalité, en utilisant des données des USA.

L'étude est fondée sur une comparaison du recours à l'hospitalisation, la

durée de séjour, le nombre d'interventions chirurgicales et sur l'âge moyen au

décès entre deux dates, 1980 et 1991, en fonction des changements intervenus

dans la quantité et la structure des prescriptions de médicaments réalisées

en médecine de ville, ajustées sur les maladies traitées.

Page 62: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 67

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Matériau et méthode

De façon opérationnelle, l'auteur teste si la variation en quantité et en qualité

des prescriptions médicamenteuses entre les deux dates a un impact sur le

nombre d'hospitalisations pour chaque maladie traitée, le nombre de journées

d'hospitalisation et la mortalité par cause. De façon secondaire, l'étude analyse

aussi le rôle de l'innovation chirurgicale sur les mêmes variables, en particulier

sur le recours à l'hospitalisation. L'hypothèse de base est que l'innovation

chirurgicale devrait augmenter le recours à l'hospitalisation et l'innovation

médicamenteuse le réduire.

La même méthode est utilisée pour toutes les variables d'intérêt. Par exemple,

pour le recours à l'hospitalisation, le nombre d'hospitalisations décroît-il plus

pour les maladies (les diagnostics) pour lesquelles l'intensité et la nouveauté

des traitements médicamenteux ont augmenté le plus ? Adopter cette démarche

permet à l'auteur de ne pas avoir à introduire d'autres variables de contrôle

dans son modèle, comme par exemple des changements de niveau de rem-

boursement. La technique utilisée est un modèle de régression avec la

méthode des moindres carrés.

Neuf modèles sont testés, dont le pouvoir explicatif est relativement faible (la

part de variance expliquée varie entre 2,3% et 43%).

Résultats

On n'indique ici que les résultats les plus solides.

Premièrement, la quantité et le degré de nouveauté des médicaments prescrits

ont un impact négatif sur le recours à l'hospitalisation. Plus une pathologie a

bénéficié d'une intensification et de l'apparition de nouvelles molécules,

moins il y a de recours à l'hôpital pour les malades qui en souffrent. L'ordre

de grandeur de l'effet relatif est le suivant : une augmentation de 10% du nombre

de différents médicaments prescrits (à incidence constante des pathologies)

entraînerait une diminution de 3,9% des hospitalisations. Dans le contexte

des USA et compte tenu des données fournies par l'auteur, l'intensification

des traitements médicamenteux a été de 9,2%, induisant une diminution de

3,6% des hospitalisations. Sur la période d'étude, celles-ci avaient baissé de

Page 63: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

68 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

21,7%. L'intensification des traitements médicamenteux aurait donc contri-

bué à hauteur de 42% (3,9%/21,7%) à cette baisse.

Cet effet se retrouve dans une moindre mesure pour la variable mesurant un

effet structure dans la prescription médicamenteuse (apparition/disparition

de molécules). Pour un effet structure de 10%, la baisse des hospitalisations

serait de 2%.

L'intensification des traitements a aussi un effet sur le nombre de journées

d'hospitalisation et le nombre d'interventions chirurgicales par séjour. Les

résultats sont plus ambigus en termes d'impact sur la mortalité. L'auteur

trouve bien un effet bénéfique de l'intensification et de la diversification des

traitements sur la mortalité intra hospitalière et la mortalité totale, mais ces

résultats sont sans doute biaisés dans le modèle par le non ajustement des

données sur la structure âge/sexe dans les deux échantillons de patients des

années 1980 et 1991. De ce fait, il n'y a pas d'impact sur la longévité. Enfin,

les deux variables de traitement médicamenteux ont un impact très faible sur

le nombre de consultations.

Conclusion

En résumé, plus les traitements d'une pathologie s'intensifient et serenouvellent dans le temps, moins il y a de recours à l'hospitalisation, etcelle-ci durent moins longtemps. La limite majeure du modèle est le faiblepouvoir explicatif des modèles estimés, qui peut s'expliquer par le trèspetit nombre de variables explicatives utilisées dans le modèle. Sous laréserve de ces limites importantes, cette publication met néanmoins enévidence de façon agrégée pour les pathologies étudiées une réductiondes hospitalisations et de leur intensité.

Page 64: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 69

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Lichtenberg FR. Pharmaceutical Innovation, mortality reduction and economicgrowth. 1998 NBER Working Paper # 6569, Cambridge, USA

La méthodologie utilisée dans cette publication est la même que celle de la

publication précédente : l'étude reprend comme objectif principal l'impact de

l'innovation médicamenteuse sur la longévité. Celle-ci est mesurée de deux

façons : par l'âge moyen au décès par cause et par le nombre d'années de vie

perdues liées aux décès par cause avant 65 ans. La mesure de l'innovation

médicamenteuse est également plus précise. Comme dans l'étude précé-

dente, on compare la contribution à l'évolution de la mortalité du changement

dans la structure de prescriptions des médicaments, mais l'indicateur retenu

est cette fois-ci la part des nouvelles entités chimiques (NEC) apparues au

cours des dix années dans la prescription totale. L'auteur mène également

une analyse plus fine en distinguant dans les NEC celles qui ont été classées

« prioritaires » de celles qui ont été classées « standard ». Deux périodes sont

étudiées : 1970-1980 et 1980-1991. La question posée est la suivante : les

maladies qui ont bénéficié du plus grand nombre d'innovations thérapeutiques

au cours de la décennie précédente ont-elles vu leur taux de mortalité baisser ?

Plus exactement, la longévité des patients, mesurée par l'âge moyen au

décès, a-t-elle augmenté pour ces maladies et le nombre d'années de vie

perdues pour décès précoce a-t-il également baissé ?

Matériau et méthode

La méthode est la même que dans l'étude précédente.

Résultats

Les principaux résultats sont présentés avec les deux mesures adoptées de

l'innovation médicamenteuse : la part des médicaments nouveaux sur

l'ensemble des médicaments sur la période, la part des médicaments « prio-

ritaires » sur l'ensemble des médicaments sur la période. Lorsqu'on utilise la

première mesure du degré d'innovation (la moins spécifique), les modèles

estimés ont peu de pouvoir explicatif : la part de variance expliquée par le

degré d'innovation varie ente 0% et 10%. Il n'y a donc pas d'effet mesurable

sur la longévité. Le modèle estimé le meilleur est obtenu lorsqu'on étudie la

part de médicaments nouveaux sur la période 1970-1980 et son impact sur le

Page 65: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

70 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

nombre d'années de vie perdues pour mortalité précoce (part de variance de

32%). Dans ce cas, on observe que sans nouveaux médicaments, le nombre

d'années de vie perdues pour mortalité précoce aurait légèrement augmenté.

En revanche, les pathologies pour lesquelles le pourcentage de nouveaux

médicaments est le plus élevé ont bénéficié d'une réduction de cette mortalité

précoce. Une différence de 10% de degré d'innovation pour une pathologie

donnée (la part prise par les nouveaux médicaments aurait augmenté de 10%

sur la période) se traduirait, pour cette pathologie, par une réduction de 31,7%

du nombre d'années de vie perdues par mortalité précoce sur les dix ans étudiés,

soit un impact substantiel de 3,2% par an.

Ces résultats se retrouvent lorsqu'on utilise le taux d'innovations « priori-

taires » : des modèles à faible pouvoir explicatif pour la longévité, et moins

bons pour la période 1980-1991 que pour la période 1870-1980. En revanche,

le modèle qui estime l'impact du taux d'innovations « prioritaires » sur le nombre

d'années de vie perdues pour mortalité précoce est meilleur sur la première

période et avec cette mesure du degré d'innovation. On retrouve sur cette

période le fait que l'absence d'innovation aurait aggravé la mortalité précoce ;

une différence de 10% du taux d'innovations prioritaires sur la période se traduit

par une réduction de 42,7% du nombre d'années de vie perdues pour mortalité

précoce, soit 4,2% par an, la part de variance expliquée est de 50%.

Conclusion

En résumé, l'auteur confirme les résultats de l'étude précédente en nemettant pas en évidence d'effet probant sur l'âge moyen au décès. L'impactsur le nombre d'années de vie perdues par mortalité précoce est plus probant,mais uniquement sur la période 1970-1980. L'effet de l'innovation seraitdonc variable dans le temps. Par ailleurs, il reste à expliquer pourquoi ceteffet sur la mortalité précoce n'a pas d'impact sur l'âge moyen au décès parpathologie. Une analyse plus fine montre que l'effet principal de l'inno-vation sur la période 1970-1980 a porté sur la classe d'âge de 0 à 1 ans,ce qui laisse à supposer qu'il y a dans l'analyse un facteur de confusionentre l'amélioration de la mortalité infantile au cours de cette période,causée par la combinaison de multiples facteurs, et le degré d'innovationmédicamenteuse. De ce fait, les résultats de cette étude sont ambigus,voire peu convaincants.

Page 66: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 71

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Lichtenberg FR. Are the benefits of newer drugs worth their cost? Evidencefrom the 1996 MEPS. 2001 Health Affairs 20(5): 241-251.

Cette étude analyse les données disponibles sur la prescription de médi-

caments tirées du panel Medical Expenditure Panel Survey de 1996 aux

Etats-Unis. Comme dans les études précédentes, l'hypothèse testée par

l'auteur est que le degré d'innovation des médicaments prescrits permet de

diminuer le recours aux autres types de dépenses de santé et d'améliorer la

longévité des bénéficiaires.

Méthode

La méthode employée est similaire à celle des études précédentes : il s'agit

d'une analyse transversale des données de consommation de services de

santé par pathologie sur un an. La mesure adoptée du degré d'innovation des

médicaments prescrits est celle de l'âge des molécules, mesuré par la dif-

férence entre 1996 et la date de première commercialisation. Par ailleurs,

l'auteur calcule les dépenses de santé par pathologie et par poste pour chaque

individu. Le panel permet par ailleurs d'identifier des caractéristiques indivi-

duelles des patients (âge, sexe, ethnie, niveau d'éducation, couverture

d'assurance). L'unité de base de son analyse est donc la pathologie : pour

tous les individus souffrant d'une même pathologie, on connaît, outre leurs

caractéristiques individuelles, l'âge moyen des molécules prescrites et le

total des dépenses non médicamenteuses relatives à cette pathologie. Les

variables d'intérêt sont la mortalité (pour une pathologie donnée, on sait si le

patient est décédé ou survivant sur la période), les éventuels arrêts de travail

ou confinements au lit, les dépenses de soins non médicamenteuses.

Résultats

Les principaux résultats sont les suivants. En ajustant l'âge des molécules

prescrites dans le panel sur la dépense de médicaments par pathologie,

l'auteur estime que la dépense marginale de médicaments liée à la réduction

d'un an de millésime est de 18 $.

Il y aurait un impact négatif de l'âge des médicaments sur la mortalité : les

pathologies pour lesquelles l'âge moyen des molécules est le plus grand corres-

pondent à des taux plus forts de mortalité, mais ce résultat n'est pas significatif.

Page 67: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

72 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Plus les molécules prescrites sont récentes, moins les individus s'arrêtent de

travailler. Cet effet est très significatif mais faible, puisqu'il faudrait que

la journée de travail perdue coûte 4 500 $ pour compenser le surcoût de

prescription dû à l'innovation.

Enfin, il y a aussi un lien significatif et positif entre le millésime d'un médicament

pour une pathologie donnée et le nombre de séjours hospitaliers pour cette

pathologie. Pour une augmentation du 18 $ du coût d'une prescription,

l'auteur estime à 56 $ l'économie liée à la diminution des séjours hospitaliers.

Un résultat identique est trouvé pour l'ensemble des dépenses de soins non

médicamenteuses : 18 $ supplémentaires du coût d'une prescription conduisent

à une économie de 72,2 $ du total des dépenses hors médicaments.

L'auteur conclut que l'augmentation des dépenses liées à l'innovation théra-

peutique est très largement couverte par les économies sur les autres dépenses

de santé : le gain moyen serait de 121 $ par personne traitée.

Discussion

L'article publié et la note de travail associée ne donnent pas assez d'éléments

sur la méthode pour pouvoir évaluer complètement le travail de recherche. En

particulier, le modèle est très complexe et il est difficile de comprendre com-

ment l'auteur a réglé les questions d'imputation des dépenses et de mortalité

par pathologie pour les patients présentant plusieurs affections. L'auteur ne

précise pas non plus comment les caractéristiques sociodémographiques et

économiques des patients ont été utilisées. La méthode statistique utilisée et

son pouvoir explicatif ne sont pas précisés. Le modèle mélange trois niveaux

d'analyse, le patient, la pathologie et la prescription, mais n'utilise appa-

remment pas des modèles d'analyse multi-niveaux qui seraient requis dans

ce cas d'espèce.

Zhang et Soumerai ont repris en 2007 l'analyse de Lichtenberg. La première

critique adressée est celle de l'ajustement des données aux caractéristiques

des patients, notamment en matière de sévérité de la maladie. Ils notent par

ailleurs que, tant pour l'étude de la mortalité que pour celle des dépenses hos-

pitalières, la distribution des données est très asymétrique : les décès et les

hospitalisations se concentrent sur un petit nombre de patients. Ils préconisent

donc une analyse en deux étapes : vérifier dans un premier temps si l'âge des

Page 68: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 73

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

médicaments a un impact sur la probabilité d'une hospitalisation, puis, sur le

groupe des patients hospitalisés, vérifier si on retrouve le même effet de l'âge

des médicaments sur les coûts des hospitalisations. Ils ont par ailleurs

procédé à une réévaluation de l'âge des médicaments et du coût de l'innovation.

Ils aboutissent aux résultats suivants.

Diminuer d'un an l'âge moyen des molécules prescrites coûterait 57 $ et non

pas 18 $. Après ajustement sur la sévérité de la maladie des patients et adoption

d'une méthode en deux temps, les auteurs ont confirmé l'existence d'une

réelle économie liée à l'innovation, mais de 23 $ par patient et par année de

millésime et non plus de 121 $.

En résumé, en tenant compte à la fois du travail princeps et de sa révisionpar Zhang et Soumerai, cette étude apporte des éléments de démonstrationde la productivité de l'innovation médicamenteuse, puisquecelle-ci permettrait de diminuer les autres dépenses de santé au-delà ducoût marginal de l'innovation. Les limites principales à ce résultat tiennentà la complexité de la méthode utilisée et de sa présentation, ainsi qu'àdes choix discutables.

Lichtenberg FR, Virabhak S. Pharmaceutical embodied technical progress,longevity, and quality of life: drugs as “equipment for your health”. 2002 NBERWorking Paper # 9351, Cambridge, USA.

Dans cette publication, les auteurs testent l'hypothèse d'un impact agrégé de

l'utilisation de médicaments et de leur degré d'innovation sur l'état de santé

des bénéficiaires. Leur étude s'apparente à une étude avant/après. Ils utilisent

à nouveau les données du panel MEPS, présenté pour le travail précédent.

Ils exploitent les données déclaratives des patients sur leur état de santé, à

l'entrée et à la sortie de l'enquête. Ils étudient donc l'impact de l'innovation

médicamenteuse sur l'état de santé final conditionnel à l'état de santé initial.

Ils utilisent plusieurs variables d'intérêt : la probabilité de décès, la santé

perçue, un index de qualité vie similaire aux QALYs, la présence ou l'absence

de limitations aux activités professionnelles et domestiques, la présence ou

l'absence de limitations aux relations sociales, la santé mentale perçue, la

présence ou l'absence de limitations cognitives, la présence ou l'absence de

limitations physiques ou fonctionnelles, un index composite de difficultés

rencontrées liées à la santé.

Page 69: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

74 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Matériau et méthode

Un modèle de régression avec la méthode des moindres carrés et pondération

des variables par la fréquence relative des pathologies est utilisé. L'unité

d'analyse reste la prescription. L'équation de régression inclut à nouveau des

variables de différents niveaux : prescriptions, individus, pathologies.

L'originalité du modèle est la prise en compte de l'état de santé en début de

période d'enquête comme variable explicative. Par ailleurs, il fait l'hypothèse

qu'entre le début de la période d'enquête et la fin les individus peuvent avoir

des problèmes de santé considérés comme « chocs exogènes » avec un

impact sur la santé en fin de période. Ces variables sont donc prises en

compte dans le modèle sous la forme du nombre total de prescriptions, de

consultations et d'hospitalisations sur la période. Le modèle présente

plusieurs variantes, selon la méthode utilisée, pour estimer le millésime des

médicaments et la prise en compte ou non des « chocs » de santé.

Résultats

On ne présente ici que les résultats obtenus en tenant compte de la consom-

mation des services de soins sur la période et de l'état de santé initial. Le

millésime a un impact significatif et positif (plus le médicament est récent,

meilleur est le résultat de santé) quoique modeste sur les indicateurs suivants :

la probabilité de décès, l'état de santé perçue, la qualité de vie, l'absence de

limitations dans les relations sociales et le niveau moyen de difficultés

rencontrées. La prise en compte des « chocs » de santé diminue cet impact

par rapport à un modèle qui ne les prend pas en compte, ce qui traduit la

contribution des services de santé à l'amélioration des indicateurs. Les auteurs

procèdent à des estimations de la rentabilité marginale de chaque facteur des

indicateurs de santé, mais il n'explicite pas complètement ses calculs.

Discussion

Les auteurs continuent de perfectionner leurs analyses en les enrichissant de

données complémentaires. En l'occurrence, le modèle aboutit à des résultats

originaux, puisqu'il met en évidence un effet positif du millésime sur l'amélio-

ration de l'état de santé des bénéficiaires mesuré par plusieurs indicateurs. Il

reste néanmoins difficile d'évaluer la validité des résultats présentés, faute

d'un détail suffisant sur certains calculs et des questions en suspens sur les

Page 70: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 75

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

méthodes d'analyse utilisées : mélange de trois niveaux d'analyse, problème

d'imputation des résultats aux patients qui souffrent de plusieurs maladies.

De plus, dans ce travail, il est discutable de considérer le recours aux services

de santé sur la période comme des chocs exogènes, alors qu'ils pourraient

être simplement la conséquence de l'état de santé en début de période.

L'auteur ne justifie pas l'exclusion d'un modèle de régression logistique pour

expliquer la probabilité de décès. Enfin, la qualité des ajustements réalisés

n'est pas rapportée dans les résultats, ce qui rend difficile leur validation.

En résumé, cette nouvelle étude suggère que l'innovation médicamenteusea un impact positif et mesurable par plusieurs indicateurs d'état de santé,en utilisant un design original d'étude avant/après. Les limites observéespour les autres travaux du même auteur, Lichtenberg, demeurent.

Lichtenberg FR. The effects of changes in drug utilization on labor supply andper capita output. 2002 NBER Working Paper # 9139, Cambridge, USA (publié en 2005 dans le Journal of Occupational and Environmental Medicine,47(4): 373-379).

L'objectif de l'étude est de montrer que l'innovation médicamenteuse a un

impact positif sur l'offre de travail et la productivité. Le schéma général de

l'étude est le même que celui adopté dans les travaux antérieurs de l'auteur,

mais la variable d'intérêt est cette fois-ci la probabilité d'un arrêt de travail

pour maladie. L'auteur teste deux hypothèses : la quantité et le millésime des

médicaments prescrits ont-ils un impact positif sur la capacité à travailler ?

Matériau et méthode

Les données utilisées sont celles du panel MEPS pour trois années consécutives,

de 1996 à 1998. Ces données permettent de calculer la probabilité d'un arrêt

de travail pour les maladies identifiées dans les résultats du panel. L'unité

d'analyse est la pathologie.

Dans le premier modèle, la variable d'intérêt est la probabilité d'un arrêt de travail

dans l'année pour une pathologie donnée. Les variables explicatives sont le nombre

moyen de prescriptions pour cette pathologie, le nombre moyen de consultations

et le nombre moyen d'hospitalisations. Ces données sont calculées pour les

trois années étudiées et introduites par le logarithme de leur valeur.

Page 71: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

76 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Dans le deuxième modèle, la variable d'intérêt est la même, mais la variable

explicative principale est le millésime moyen des médicaments prescrits pour

une pathologie donnée dans l'année. Dans ce modèle, ce qui est effectivement

mesuré est le nombre moyen par personne de nouveaux médicaments

prescrits pour une pathologie. Les variables « nombre de consultations »

et « nombre d'hospitalisations » ont été exclues de la deuxième analyse.

Dans les deux cas, les données par pathologie relatives aux trois années sont

analysées simultanément avec un modèle d'économétrie de panel à effets

fixes. L'auteur fait en effet le postulat de l'existence de deux effets fixes, un

relatif à la pathologie, l'autre à l'année.

Résultats

Les résultats du premier modèle sont présentés succinctement. Seule la

variable « nombre moyen de prescriptions » par pathologie et par année a un

impact significatif sur la probabilité d'au moins un arrêt de travail. Une aug-

mentation de 10% du nombre moyen de prescriptions par pathologie se

traduirait par une diminution de 0,17% de la probabilité d'avoir au moins un

arrêt de travail sur la période. Les nombres de consultations ou d'hospitalisations

n'ont pas d'impact significatif sur les arrêts de travail. Ce premier résultat

conduit l'auteur à ne pas inclure dans son deuxième modèle ces deux dernières

variables explicatives.

Dans le deuxième modèle, l'auteur examine l'impact de la nouveauté des

médicaments prescrits sur une série d'indicateurs mesurant la capacité à

mener une activité normale :

- le nombre de personnes souffrant d'une maladie dont l'activité principale

est limitée, en % du nombre total de personnes souffrant de cette maladie ;

- le nombre de personnes dont la capacité à travailler est limitée,

principalement à cause de cette maladie, en % du nombre total de personnes

souffrant de cette maladie ;

- le nombre de personnes souffrant d'une maladie dont la capacité à

travailler est limitée, pour toutes causes, en % du nombre total de personnes

souffrant de cette maladie ;

Page 72: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 77

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

- le nombre de personnes souffrant d'une maladie incapables de

travailler à cause de cette maladie, en % du nombre total de personnes souffrant

de cette maladie ;

- le nombre moyen de journées d'activité restreinte due à la maladie

au cours des deux semaines de l'enquête.

Le millésime est mesuré en cinq classes, l'âge moyen de toutes les prescriptions,

le % de prescriptions post-1970, post-1980, post-1995, post-1990. Des variables

de moyenne des caractéristiques des patients par pathologie sont introduites

comme variables de contrôle. Les résultats présentés ici portent sur le % de

tous les médicaments post-1980, sauf les médicaments OTC et les combinaisons

de molécules, et en tenant compte des changements éventuels de prévalence

des pathologies étudiées.

Le millésime des médicaments a un impact significatif et diminue tous les

indicateurs de capacité à travailler, sauf le nombre moyen de journées d'activité

restreinte. Une augmentation d'une unité du nombre moyen de médicaments

post-1980 se traduit par une diminution de 2,4% du pourcentage de personnes

dont l'activité professionnelle est limitée à cause de la maladie et de 1,3% du

pourcentage de personnes incapables de travailler à cause de la maladie. Une

deuxième série d'analyses montre que cet impact augmente avec le millésime

des médicaments : il est plus important lorsqu'on analyse la part des médica-

ments dont le millésime est postérieur à 1990.

L'auteur présente également une évaluation chiffrée du coût comparé de

l'innovation thérapeutique et des gains de productivité qui en découlent. S'il

conclut là encore à une économie globale, ses évaluations sont dérivées

d'extrapolations simples de ses résultats économétriques et nécessitent une

réévaluation plus approfondie.

Discussion

Les limites de l'étude présentée tiennent, comme pour les autres études, à la

méthode utilisée (une analyse transversale) et au manque de précisions relatives

à la puissance explicative des analyses réalisées. Le premier modèle présenté

aboutit à des résultats surprenants : on s'attendrait à ce que le nombre

d'hospitalisations ait un impact positif et significatif sur la probabilité d'un

arrêt de travail, compte tenu de l'hébergement forcé. L'absence d'une telle

Page 73: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

78 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

relation est sans doute liée au caractère concentré des dépenses d'hospitali-

sations, qui ont sans doute un impact plus important sur la durée des arrêts

de travail plutôt que sur leur fréquence. Le deuxième modèle est plus solide

et les résultats confirment les autres travaux des auteurs : en ajustant sur la

maladie, les patients qui bénéficient de médicaments plus récents sont moins

sujets à des limitations d'activité liées à leur maladie. Cependant, ce

deuxième modèle n'a pas ajusté pour les recours aux autres services de

santé, sans que ce choix ne soit justifié par l'auteur. Par ailleurs, la méthode

utilisée (agrégation des données par pathologie) ne permet pas de s'assurer

d'un biais éventuel de sélection.

En résumé, cette étude confirme les travaux précédents du même auteur.Moyennant les limites méthodologiques soulignées, elle montre que ledegré d'innovation médicamenteuse a aussi un impact sur la capacité desindividus à mener une activité normale et en particulier à travailler.

Lichtenberg FR. The impact of new drug launches on longevity: evidence fromlongitudinal, disease-level data from 52 countries. 2003 NBER Working Paper #9754, Cambridge, USA(publié dans International Journal of Health Care Finance and Economics5(1):47-53 )

L'objectif de l'étude est de montrer l'impact de l'innovation médicamenteuse

sur la longévité, en utilisant une méthode d'analyse transversale internationale.

Le principe de l'étude est d'expliquer une partie des gains de longévité

observée dans 52 pays par le poids des molécules récentes dans l'arsenal

thérapeutique.

Matériau et méthode

Il s'agit d'une étude transversale sur 52 pays pour lesquels l'auteur a recueilli,

d'une part, l'âge moyen au décès par cause de mortalité et, d'autre part, la

liste des médicaments commercialisés entre 1982 et 2000, en distinguant

nouvelles entités chimiques (NEC) et autres, ainsi que la date de leur lancement.

Les médicaments ont été reclassés par classe thérapeutique de façon à les

associer aux causes de décès. La variable d'intérêt est l'âge moyen au décès

par cause. La principale variable explicative est le nombre de molécules

commercialisées. Deux modèle sont testés : le premier avec seulement les

Page 74: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 79

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

NEC, le deuxième avec toutes les molécules. Des co-variables par pays ayant

un impact sur la mortalité ont été introduites. Les modèles estimés sont en

fait des modèles à effets fixes : effet fixe par pays, effet fixe par pathologie et

par année. Le modèle fait l'hypothèse d'un effet retardé de la commercialisation

de nouvelles molécules et permet le test sur plusieurs périodes de décalage

(de 1 ans à 10 ans). Dans ce cas, la variable est le nombre cumulé de nouvelles

molécules sur la période de décalage choisie.

Résultats

Sur une augmentation moyenne de 1,96 année de la longévité de 1986 à 2000,

le lancement des NEC contribuerait à 0,79 année, soit près de 40%. Le gain le

plus important est obtenu pour les molécules qui ont été commercialisées

dans les trois années précédentes. L'impact des NEC est cependant très

différent d'un pays à l'autre et le nombre de NEC n'a qu'un pouvoir explicatif

réduit des différences de longévité entre pays. Les molécules qui ne sont pas

des NEC n'ont pas d'impact sur la longévité. L'impact est même négatif,

conditionnellement au stock de NEC. Une plus grande consommation de

molécules anciennes au détriment des NEC limite l'impact positif de ces

dernières et, par suite, a un impact négatif.

Discussion

Les limites de l'étude tiennent ici à celles de l'appariement des données

relatives aux molécules et aux données de mortalité, ainsi qu'à l'hypothèse

de l'existence d'effets fixes pays/pathologie/temps. Cette hypothèse se

substitue à la prise en compte dans le modèle de variables de contrôle pour

des facteurs ayant une influence sur la mortalité, comme par exemple la

richesse nationale. On ne dispose pas dans l'article publié de données sur le

pouvoir explicatif du modèle.

En résumé, dans cette étude, l'auteur réussit à mettre en évidence auniveau agrégé un lien entre l'innovation médicamenteuse et la longévité,ce qu'il n'avait pas réussi à faire auparavant. L'ordre de grandeur del'impact des nouvelles molécules est important, puisqu'il représente 40%du gain moyen de longévité observé dans tous les pays, mais il esthétérogène d'un pays à l'autre.

Page 75: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

80 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Lichtenberg FR. Sources of US longevity increase, 1960-2002. 2004 TheQuarterly Review of Economics and Finance, 44:369-389.

L'article étudie la relation entre l'innovation médicale et les dépenses de

santé par habitant et la longévité de la population américaine, de 1960 à

2001. L'impact de la dépense de santé est décomposé en dépense publique

et dépense privée sur la même période.

Matériau et méthode

La longévité est mesurée par l'espérance de vie à la naissance qui provient

des données statistiques nationales. Les dépenses de santé per capita sont

tirées également des statistiques publiques et déflatées en dollars courants

(base 100 en 1982-1985). L'innovation médicale est mesurée uniquement par

le nombre annuel de nouvelles molécules mises sur le marché, tiré des

données publiées par la FDA.

Le modèle utilisé est un modèle log-log. La variable d'intérêt est le log de

l'espérance de vie à l'année t. Elle est fonction des dépenses de santé percapita à l'année t-1 et du nombre de molécules disponibles sur le marché à

l'année t. L'auteur introduit également la longévité à l'année t-1 comme

facteur régressif. Cette spécification découle d'une hypothèse d'un taux de

dépréciation constant du stock disponible des ressources du système de

soins. La spécification en log permet d'interpréter les résultats en termes

d'élasticité de la longévité en fonction de la variation de la dépense de santé

et du stock d'innovations médicales. La justification du décalage d'un an

entre longévité et dépenses de santé est la suivante : ceci permet d'éviter un

problème de causalité endogène, la longévité contribuant à augmenter les

dépenses de santé. Ce décalage n'est pas envisagé pour le stock d'innovations

médicamenteuses, alors que ceci aurait été possible.

Résultats

Compte tenu de l'auto-régression de l'espérance de vie, la part de variance

expliquée par les modèles est excellente et supérieure dans tous les cas à

0,99. Dans toutes les variantes explorées, il y a une relation hautement signi-

ficative entre le nombre de nouvelles molécules mises sur le marché une

année donnée, la dépense de santé publique per capita de l'année précédente

Page 76: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 81

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

et la longévité. L'auteur ne trouve aucun lien entre PIB par tête, consommation

de cigarettes par tête et un test de tendance temporelle avec la longévité.

Les coefficients estimés permettent ensuite de calculer un rendement des

différents facteurs de production.

Une augmentation de 1% par an des dépenses publiques de santé par tête

conduirait à une augmentation de 4,3% de la longévité. En dollars 1982-1984,

la dépense moyenne par tête était de 545 $. Donc 1 $ supplémentaire corres-

pond à une augmentation relative de 0,18% de cette dépense, qui en retour

induirait une augmentation relative de 0,18% x 4,3% = 0,00008 de longévité,

soit pour une espérance de vie de 75 ans, une augmentation de 2,1 jours.

Rapportée à la population américaine, cette augmentation de 1 $ par an corres-

pondrait à une augmentation globale des dépenses de 224 millions de $ et de

23 245 années de vie. Le coût d'une année de vie gagnée serait donc de 9640 $.

Le même calcul est fait pour l'innovation médicamenteuse. Sont comptabilisées

en dépenses uniquement les dépenses de R&D moyennes pour une molécule,

estimées à 500 millions de $ dans l'article. En utilisant le même principe, on

aboutit à un coût de 926 $ par année de vie gagnée.

Discussion

Le modèle proposé présente les limites suivantes, malgré l'intérêt de ses

résultats. En premier lieu, la spécification d'un modèle autorégressif en log est

fondée sur l'hypothèse d'un taux constant de dépréciation du stock d'innovations

médicamenteuses et des dépenses passées de santé, ce que semblent

contredire les résultats du modèle, mais l'auteur n'approfondit pas ce point.

En deuxième lieu, on peut contester que la seule mesure de l'innovation médicale

soit celle de l'innovation médicamenteuse. Ce choix a été fait faute de disposer

de séries temporelles longues et cohérentes pour les autres innovations, dont

le rôle est de ce fait pris en compte dans les dépenses per capita.

Troisièmement, le coût de l'innovation médicale est réduit à la dépense de

R&D requise pour mettre les produits sur le marché, alors qu'il devrait inclure

aussi la rémunération du capital investi, c'est-à-dire la dépense de médicaments

par tête per se. Par ailleurs, il serait plus exact de calculer ce coût lié à la

consommation de médicaments en incluant le coût de sa prescription : celle-ci

est l'aboutissement d'un travail de diagnostic réalisé par le médecin, sans

lequel le médicament ne serait pas prescrit. Autrement dit, il faudrait ré-imputer

Page 77: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

82 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

une partie de la dépense de santé par tête (notamment les honoraires des

consultations) à la dépense de médicaments pour calculer son rendement. Le

fait que le PIB n'apparaisse pas comme une variable explicative est normal,

puisque la progression du PIB par tête est fortement corrélée avec la dépense

de santé. En revanche, il aurait été intéressant d'intégrer d'autres variables

explicatives portant sur des facteurs ayant un impact sur la santé dans le

modèle, notamment des dépenses sur la santé de la population.

En résumé, cette étude apporte un éclairage intéressant sur la contributiondes dépenses de santé à l'amélioration de la longévité au cours du temps.En effet, elle permet de mesurer un rendement moyen en termes de lon-gévité de cette dépense. Le coût en dépense publique par année de viegagnée serait d'environ 10 000 $, ce qui donne une indication précieusesur le coût d'opportunité de la dépense de santé par rapport à celle d'autressecteurs de l'action publique. Enfin, l'étude propose un cadre méthodologiquequi pourrait être répliqué facilement dans d'autres pays, compte tenu dela nature des données requises.

Yang Z, Gilleksie D, Norton E. Prescriptiopn drugs, medical care, and healthoutcomes: a model of elderly health dynamics. 2004 NBER Working Paper #10964, Cambridge, USA

L'objectif de l'article est d'estimer l'impact sur l'état de santé et les dépenses

de l'extension du programme Medicare à la couverture des dépenses de

médicaments décidée par le Congrès américain en 2003. L'intérêt de l'étude

pour notre propos est l'estimation faite par les auteurs de l'impact de cette

couverture étendue sur la santé des bénéficiaires.

Méthode

L'étude est fondée sur le développement d'un modèle complexe visant à

simuler sur cinq ans la consommation de soins des bénéficiaires de Medicare et

leur état de santé, suite à l'extension de la couverture des dépenses de médi-

caments. Le modèle se propose d'identifier et de quantifier les effets suivants :

- en premier lieu, l'extension de la couverture devrait se traduire par

une augmentation de la consommation pour les bénéficiaires qui n'étaient

pas couverts jusqu'alors ou jusqu'à présent ;

Page 78: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 83

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

- cette extension peut avoir des effets contradictoires sur le recours

aux autres services de santé ; elle peut augmenter dans un premier temps le

recours aux médecins, pour pouvoir bénéficier de prescriptions nouvelles

(effet rattrapage), mais cet effet peut s'atténuer au cours du temps. En même

temps, la prescription de médicaments nouveaux pour les patients pourrait se

traduire par une surveillance intensive ;

- la consommation supplémentaire de médicaments peut réduire le

recours à l'hôpital, certaines études antérieures ayant montré qu'une restriction

de l'accès à certains médicaments s'était traduite par une augmentation de

la morbidité et des incapacités fonctionnelles requérant un hébergement

médicalisé ; mais les médicaments peuvent aussi requérir une surveillance

plus intensive avec recours accru à l'hôpital ;

- l'accès aux médicaments peut se traduire par une amélioration de

l'état de santé des patients et donc un moindre recours aux soins ; mais en

améliorant la longévité, elle augmente le nombre de patients bénéficiaires de

Medicare et donc les dépenses totales. Par ailleurs, si les patients survivent

mais dans un état de santé dégradé, les dépenses de santé augmenteront.

Le modèle se propose de prendre en compte tous ces effets.

Résultats

Pour notre propos, les résultats essentiels de l'étude sont les suivants.Les auteurs prédisent effectivement une consommation accrue de médi-caments, comprise en 12 et 17%. En revanche, l'extension de la couverturea très peu d'effets sur le recours à l'hôpital et augmente légèrement lerecours aux médecins de ville. La morbi-mortalité des assurés s'améliore.

Lichtenberg FR. The impact of new laboratory procedures and other medicalinnovations on the health of Americans, 1990-2003: evidence from longitudinaldisease-level data. 2006 NBER Working Paper # 12120, Cambridge, USA

L'objectif de l'étude est de tester l'hypothèse d'un impact positif de cinq types

d'innovation en santé sur la mortalité et sur l'incapacité, mesurée par la capa-

cité à travailler et le nombre de jours confinés au lit sur une période donnée.

Les cinq types étudiés sont les examens de laboratoire, les médicaments

prescrits en ambulatoire, les médicaments prescrits à l'hôpital, les actes chi-

rurgicaux et les actes d'imagerie.

Page 79: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

84 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Matériau et méthode

Dans l'étude sur la mortalité, la variable d'intérêt est l'âge moyen au décès par

cause. Les modèles estimés analysent la variation de cet âge moyen sur la

période 1990-1998. Les données d'incapacité sont, pour chaque cause de maladie,

la fréquence des patients qui ont eu au moins un arrêt de travail et la fréquence

des patients qui ont été confinés au lit pendant la période d'enquête.

La période d'étude va de 1996 à 2003. Dans les deux études, la mortalité et

l'incapacité sont mesurées en début et en fin de période.

L'innovation est mesurée par la part relative prise par des traitements apparus

après 1990 sur l'ensemble des traitements reçus par les patients. L'auteur utilise

des bases de données existantes pour estimer ces fréquences. Ces dernières

sont mesurées par cause. Pour les médicaments, l'auteur utilise les données

de dates de commercialisation des nouvelles molécules fournies par la FDA.

Pour les autres actes, l'auteur repère dans les nomenclatures d'actes servant

à établir les tarifs des honoraires médicaux les intitulés apparus après 1990,

en excluant les actes dont le libellé est nouveau ou plus détaillé. L'unité de

base de l'analyse est la pathologie.

Les modèles sont estimés par la méthode des moindres carrés, en pondérant

les observations par le poids des différentes causes de morbi-mortalité.

L'auteur teste plusieurs méthodes d'ajustement. En particulier, compte tenu

du poids particulier du HIV, il teste les relations existantes entre mortalité et

innovation avec et sans les traitements et méthodes de diagnostic afférentes.

Par ailleurs, les modèles sont estimés en ajustant ou non sur la longévité en

début de période.

Résultats

On présente ici uniquement les résultats de l'ajustement réalisé sur la longévité

en 1990 et sans les malades atteints du HIV. La seule variable qui a un impact

significatif et positif sur la longévité est le degré d'innovation des médicaments

prescrits en ambulatoire. L'innovation médicamenteuse aurait induit une

augmentation de 0,31 année, par rapport à une augmentation moyenne de la

longévité de 1,18 année, soit 25%. Le coefficient relatif aux examens de labo-

ratoire est à la limite de la signification (0,056). Le coefficient négatif de l'âge

moyen en début de période suggère un effet de régression vers la moyenne

Page 80: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 85

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

de la mortalité inter-causes : l'augmentation de la longévité serait d'autant

plus faible qu'elle est élevée en début de période. Si tel est le cas, il est

possible que le modèle sous-estime l'impact des innovations, à cause d'une

corrélation entre gravité de la maladie et innovations : plus la maladie est

grave, plus elle va bénéficier d'un effort d'innovations.

Les résultats portant sur l'incapacité sont plus décevants. Aucun type d'inno-

vations n'a d'impact sur la fréquence des arrêts de travail et la fréquence du

confinement au lit sur la période d'étude. Seule l'innovation chirurgicale a un

impact significatif, mais tend à augmenter la fréquence des patients ayant eu

au moins un arrêt de travail sur la période d'étude.

Discussion

Contrairement aux autres modèles développés par cet auteur, cette étude utilise

une approche longitudinale par pathologie pour estimer l'impact des innovations

sur des résultats de santé. Dans la publication, la puissance explicative des

modèles n'est pas précisée, ce qui limite la possibilité d'en valider les résultats.

Le seul résultat conforme à ceux des autres études transversales est celui de

l'impact de l'innovation médicamenteuse sur la longévité. Ces deux études

longitudinales présentent deux limites importantes. La première concerne la

mesure de l'innovation non médicamenteuse, moins précise que celle portant

sur les médicaments. La deuxième porte sur le petit nombre de variables

d'ajustement dans les deux modèles, permettant de connaître la contribution

d'autres facteurs à l'allongement de la vie.

En résumé, cette étude, moins complète que les précédentes, confirme néanmoins

des résultats déjà obtenus concernant l'impact de l'innovation médicamenteuse

sur la longévité. En revanche, cette tentative ne permet pas de conclure sur

l'impact d'autres innovations en santé.

Lichtenberg FR. Pharmaceutical innovation and US cancer survival in the 1990s:evidence from linked SEER-MEDISTAT data. 2006 NBER, Cambridge, USA

L'objectif de l'étude est de tester l'hypothèse de l'impact de l'innovation médi-

camenteuse dans le domaine du cancer sur la mortalité aux Etats-Unis.

L'étude intègre également le rôle de l'innovation dans le domaine de la chirurgie

et de la radiothérapie.

Page 81: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

86 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Matériau et méthode

L'auteur dispose de données, d'une part, de mortalité par localisation cancé-

reuse, d'autre part, de recours aux traitements médicamenteux, chirurgicaux,

de radiodiagnostic et de radiothérapie. Ces sources ne portent cependant

pas sur les mêmes patients, ce qui le conduit à travailler sur la localisation

cancéreuse ajustée ou non sur son stade : l'hypothèse testée est que le degré

moyen d'innovations pour une localisation a un effet sur la survie moyenne

pour celle-ci. La caractérisation de l'innovation est la même que celle adoptée

dans d'autres études similaires : c'est la part des traitements apparus après

1990 dans ceux mis en œuvre entre 1992 et 2003. Dans son modèle de base,

il contrôle la progression de la survie dans la population générale, hors

patients décédés pour cancer. En fait, il mesure l'augmentation relative de

survie des patients cancéreux par rapport aux autres patients. Il utilise deux

techniques différentes d'estimation, un modèle probit et une régression par

la méthode des moindres carrés avec pondération par le poids de la localisation

dans l'ensemble des cancers. Le modèle estime le log de la survie. A nouveau,

plusieurs variantes sont estimées, pour tester la sensibilité des résultats à la

prise en compte de différentes variables d'ajustement. En particulier,

l'ajustement sur les stades de cancer pose le problème de l'évolution des

techniques de diagnostic sur la période, se traduisant éventuellement par des

prises en charge plus précoces ou traitements plus adaptés. Enfin, trois

mesures différentes de la survie ont été utilisées : la survie à 1, 2 et 3 ans. Le

modèle postule un effet fixe centre et un effet fixe année. De ce fait, le résultat

trouvé s'interprète de la façon suivante : la localisation cancéreuse qui aurait

connu le plus fort taux d'innovation est aussi celle qui aurait connu la plus

forte augmentation relative de la survie.

Résultats

Pour information, le pourcentage de médicaments post-1990 est passé sur

l'échantillon de 9% en 1992 à 33% en 2003, traduisant une forte progression des

innovations sur la période. Quelle que soit la spécification du modèle adopté,

la progression du taux d'innovation médicamenteuse est associée significati-

vement à une amélioration du taux de survie relatif (comparé à la mortalité pour

d'autres causes). En revanche, la progression des innovations en chirurgie et

en radiodiagnostic n'a pas d'impact significatif sur la survie. Seule l'innovation

en radiothérapie a un impact significatif sur le taux de survie à deux ans.

Page 82: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 87

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Le gain relatif est le suivant. Avec le modèle probit, la progression du taux

d'innovations médicamenteuses se traduit par une augmentation de la survie

relative qui varie suivant les variables de contrôle utilisées de 26% à 39% en un

an, de 14% à 37% en deux ans, et de 12% à 20 % en trois ans. Une progression

observée de 20% du taux de médicaments nouveaux se traduirait donc, en un

an, par une amélioration relative de la survie pour cancer de 26% à 39%. Avec

le modèle log, les résultats obtenus sont plus importants : par exemple, entre

77% et 121% en un an. Autrement dit, si on prend la limite supérieure de l'estima-

tion trouvée, la progression des innovations médicamenteuses se traduirait

par un gain de survie en un an de 1,21 fois le gain de survie des patients qui

ne sont pas atteints de cancer. En moyenne sur toutes les estimations, le gain de

survie relatif serait de 44%. L'auteur ne donne cependant pas d'estimations

du nombre total d'années de vie gagnées.

Discussion

Le principal biais de l'étude présentée par l'auteur tient à la base de données

permettant d'estimer les recours aux soins durant la période d'étude : celle-ci

n'apparaît pas représentative de la prise en charge des cancers au niveau

national. L'auteur estime que ce biais aurait conduit à sous-estimer les bénéfices

de l'innovation, mais ce point est peu argumenté. La deuxième limite tient à

l'ajustement sur le stade des cancers. La troisième limite tient comme dans

d'autres études aux erreurs de mesure de l'innovation non médicamenteuse.

Cependant, l'absence d'effet de l'innovation hors médicament sur la période peut

s'expliquer par le faible taux d'innovations mesuré sur la période, par contraste

avec les innovations médicamenteuses. Par ailleurs, dans le cas du cancer, on peut

discuter du choix de mesurer de façon indépendante l'impact des différentes

modalités de traitement : chirurgie, radiothérapie et chimiothérapie, alors que

ces trois modalités sont souvent associées. La publication n'indique pas la

valeur explicative des estimations réalisées, ce qui ne permet pas de juger de

la puissance de l'analyse explicative. L'étude suggère néanmoins que les progrès

ont été essentiellement réalisés dans le domaine de la chimiothérapie.

En résumé, cette étude montre de façon solide un réel impact agrégé del'innovation médicamenteuse sur la survie des patients atteints d'un cancer.Cette amélioration est relative à celle des autres patients non cancéreux,ce qui signifie que les patients cancéreux ont à la fois bénéficié des progrèsde survie de l'ensemble de la population et des bénéfices de l'innovation.

Page 83: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

88 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Lichtenberg FR. Why has longevity increased faster in some states than others?2007 NBER, Cambridge, USA

L'objectif de cet article est d'expliquer les différences de progrès de longévité,

de productivité du travail salarié et des dépenses de santé par tête entre les

Etats américains, entre 1992 et 2004. Le modèle conceptuel adopté inclut les

variables explicatives suivantes :

- le millésime moyen des médicaments prescrits en ambulatoire par

les programmes Medicaid ;

- le millésime moyen des médicaments prescrits en milieu hospitalier

dans le cadre du programme Medicare ;

- la prévalence des patients HIV, des patients obèses et du tabagisme ;

- le revenu moyen par tête et le niveau moyen d'éducation ;

- le taux de couverture par une assurance maladie ;

- un effet fixe Etat et un effet fixe année.

Matériau et méthode

On ne détaillera pas ici les différentes sources utilisées pour construire les

données par Etat et par année. La mesure du millésime moyen des médicaments

est la moyenne de l'âge de chaque molécule présente sur une prescription

pondérée par la fréquence des prescriptions comportant cette molécule. Les

modèles sont estimés par la méthode des moindres carrés avec pondération

des variables par Etat par la population de l'Etat. Comme on l'a dit plus haut,

quatre variables d'intérêt ont été retenues :

- l'espérance de vie à la naissance dans chaque Etat et pour chaque

année ;

- l'espérance de vie à 65 ans dans chaque Etat et pour chaque année ;

- la productivité moyenne par salarié, mesurée par le PIB de chaque

Etat par le nombre d'emplois ;

- les dépenses de médicaments par tête, par Etat et par an, et les

dépenses totales de santé, par Etat, par tête et par an.

Les différences d'incidence des pathologies entre les Etats ont été contrôlées

par la distribution de la prescription des médicaments entre les différentes

classes thérapeutiques. L'utilisation de cette mesure indirecte fait l'objet

d'une discussion dans le texte, car les différences observées entre Etats peuvent

autant signaler des différences de morbidité, que des différences de pratiques

Page 84: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 89

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

médicales et de recours aux soins. Compte tenu de l'imperfection de la

méthode, l'auteur utilise la prévalence du HIV comme index de la gravité relative

de l'état de santé de la population des Etats. Par ailleurs, l'auteur fait l'hypo-

thèse que les changements de millésime se font à l'intérieur d'une classe,

sans transfert d'une classe à l'autre, et que ces distributions se modifient peu

au cours du temps.

Résultats

Les variations de millésime pour les médicaments prescrits et couverts par

Medicaid et Medicare ont toutes les deux un impact positif sur l'accroissement

de longévité. Toutes choses égales par ailleurs, les Etats dans lesquels le

millésime des médicaments a le plus augmenté (part prise par les médicaments

les plus récents) sont ceux qui ont vu leur longévité progresser le plus. La pré-

sence d'une forte prévalence du HIV, de l'obésité et du tabagisme a un impact

péjoratif sur la longévité. Les Etats qui ont eu une forte croissance de leur

revenu sont aussi ceux pour lesquels la longévité a augmenté le moins, ce qui

signalerait un rendement décroissant d'un effet richesse. L'augmentation du

millésime des médicaments prescrits sur la période aurait contribué à une

augmentation moyenne de la longévité dans tous les Etats de 2,43 années,

qui représenterait 63% de l'augmentation totale de l'espérance de vie. Cette

contribution à l'augmentation de la longévité était de 1,19 année sur

2,15 années (55%) pour les patients âgés de 65 ans et plus. Les différences

de millésime entre Etats ont un pouvoir explicatif plus faible des différences

de longévité que les évolutions temporelles.

Le degré d'innovation des médicaments a aussi un impact positif sur la

productivité des salariés : l'augmentation du millésime (rajeunissement de la

gamme) sur toute la période s'est traduite par une augmentation moyenne

annuelle de 1% de la productivité du travail.

Les variations temporelles du niveau d'éducation et les taux de couverture

par une assurance maladie n'ont pas d'impact sur la longévité. Finalement,

l'augmentation du millésime augment le coût par tête des dépenses de médi-

caments, à hauteur de 3,5% par an et par année de millésime gagnée. Mais il

n'y a pas d'impact sur les dépenses totales de santé par tête, suggérant qu'il

y a compensation de l'augmentation des médicaments sur les autres dépenses

de soins.

Page 85: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

90 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Discussion

Dans cette publication, contrairement aux autres, l'auteur ne dispose pas

d'une mesure du degré d'innovation des médicaments sur l'ensemble de la

population, mais seulement sur les assurés par Medicare et les programmes

Medicaid. Même si ces programmes représentent environ 45% du total des

dépenses de santé, l'inclusion des autres prescriptions pourrait modifier les

résultats obtenus. Par ailleurs, le contrôle des changements intervenus dans

les causes de morbidité au sein de chaque Etat est fait de façon indirecte, par

le nombre de prescriptions par classe thérapeutique. Enfin, à nouveau, on ne

connaît pas le pouvoir explicatif des ajustements réalisés.

En résumé, on retrouve dans cette étude des résultats déjà publiés par lemême auteur sur l'impact positif des dépenses de médicaments et, surtout,de leur caractère innovant, sur la longévité, la productivité au travail etsur l'ensemble des dépenses de santé. Ces résultats sont acquis avec lesmêmes limites méthodologiques que dans les autres travaux.

Lichtenberg FR, Jonsson B, Wilking N. Pharmaceutical innovation and cancersurvival. 2007, Communication, IHEA 6th Congress in Health Economics,Copenhaguen.

On ne dispose pour cette étude que de la communication orale présentée au

Congrès de l'IHEA en 2007. On ne présentera ici que les résultats de ce

travail. L'auteur a analysé trois études dont l'objectif principal était d'estimer

la part de l'augmentation de la survie pour les patients cancéreux expliqué

par l'apparition de nouvelles molécules. La première étude a déjà fait l'objet

d'une analyse dans ce rapport.

La deuxième étude analyse la survie à cinq ans par localisation cancéreuse

dans cinq pays : la France, l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni,

en 2002. L'auteur montre que la part des médicaments mis sur le marché

après 1985 a un impact positif et significatif sur la survie à 1 an et à 5 ans.

Les différences inter pays en termes de part de ces médicaments expli-

quaient entre 14% et 19% des différences de taux de survie, après ajustement

pour les différences de fréquence des localisations cancéreuses.

Page 86: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 91

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

La troisième étude analyse l'impact de la même variable (avec ajustement sur

d'autres variables) sur le taux global de mortalité par cancer dans vingt pays,

sur la période 1995-2003. L'étude montre que les pays pour lesquels la part

de médicaments innovants était la plus importante étaient ceux qui avaient le

plus fort déclin du taux de mortalité. Un « rajeunissement » de 10 ans du millésime

des médicaments diminuait le taux de mortalité par cancer de 5,9%, après

ajustement sur la croissance de la richesse nationale. Le « rajeunissement »

des médicaments expliquait 30% de la baisse du taux de mortalité.

Legg RF & al. Cost benefit of Sumatriptan to an employer, 1997.(publié dans Journal of occupational and environmental medicine, 199739(7):652-657)

Cette étude s'intéresse à l'une des pathologies les plus fréquentes : la

migraine. Sa prévalence, aux Etats-Unis, varie entre 5,3% et 19% chez les

hommes, et 11% et 29% chez les femmes. La tranche d'âge la plus touchée est

celle des 35-45 ans.

Les conséquences de la migraine sont notamment une baisse de productivité

au travail, et des jours d'arrêt maladie. De plus, il s'agit souvent d'une patho-

logie que les patients détectent et soignent eux-mêmes, ce qui conduit à des

résultats peu fiables d'un point de vue statistique.

Les auteurs proposent ici d'étudier l'impact économique d'un médicament

contre la migraine (le sumatriptan) sur la productivité.

Matériau et méthode

L'étude se base sur un échantillon de patients issus d'une population de 58 000

individus ayant souscrit au plan Qual-Med Health Plan, propriété de Health

Systems International, qui fournit une assurance maladie à 1 million et demi

d'Américains. Les 220 patients retenus dans un premier temps ont été identifiés

comme ayant reçu une injection de sumatriptan (la formule orale n'existait

pas au moment de l'étude) durant l'année 1994. De plus, pour être inclus dans

l'étude, les patients devaient avoir plus de 18 ans et avoir déclaré souffrir de

migraines.

Les individus sélectionnés ont été sondés par téléphone, en deux temps : une

première fois avant le traitement, une seconde fois après, et ce afin de mesurer

les changements en termes de perte de productivité. Lors du sondage, il était

Page 87: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

92 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

demandé aux patients de décrire leur niveau de productivité pendant et avant

le traitement, mais aussi l'impact de la pathologie sur leur temps de loisir,

étant donné qu'il est considéré qu'un temps de loisir réduit a un impact négatif

sur la productivité.

Résultats

17 des 220 patients ont été exclus de l'étude, car ils ne satisfaisaient pas à

tous les critères précisés précédemment. Parmi les 203 restants, 168 ont pu

être joints au téléphone, et 164 ont accepté de répondre, pour un taux final

de participation de 81%.

L'âge moyen des répondants est de 44 ans, très majoritairement des femmes

(91%). 61,6% des répondants travaillent à temps plein hors de leur domicile,

pour 17,2% des employés à temps partiel. Un patient a précisé être dans

l'impossibilité totale de travailler à cause de ses migraines.

Pour les patients travaillant à temps plein hors de leur domicile, l'usage de

sumatriptan a conduit à une baisse de 71% du nombre de jours de travail

manqués par mois, plus précisément une baisse de 2,75 ± 3,03 jours à

0,8 ± 1,64 jour. Concernant le nombre de jours travaillés en présence des

symptômes, les patients ont déclaré une évolution de 6,0 ± 7,32 jours (avant

le traitement) à 4,76 ± 8,40 jours après, soit une baisse de 20,6% (notons

toutefois que le test statistique utilisé n'est pas valide au seuil de 5%,

seulement à 9%). Au final, la productivité (telle que reportée par les patients)

a augmenté de 85%.

Concernant les coûts de ces pertes de productivité, on estime qu'ils sont passés

de 681 $ ± 714 $ à 246 $ ± 522 $, soit une réduction de 64%. Cela représente

un bénéfice net mensuel de 435 $ par employé à temps plein, sans compter

le coût du médicament, qui sera abordé ci-dessous.

Le taux d'utilisation du sumatriptan est passé de 0 (avant le traitement) à

0,73 ± 0,82 prescription par mois. Le coût moyen d'administration du suma-

triptan par prescription (2 injections) est estimé à 60 $, sans tenir compte du

co-paiement à la charge du patient. Le coût par utilisateur est estimé à

43,78$ par mois.

Le sumatriptan coûte donc 43,78 $ par mois, mais engendre un bénéfice de

435 sur cette même période. Cela représente donc un ratio coût/bénéfice

d'environ 1/10, ou encore un bénéfice net de 391 $.

Page 88: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 93

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Du point de vue des employeurs, l'utilisation d'injections de sumatriptan diminue

les coûts liés au temps de travail perdu. Il paraît à cet égard important de

prendre conscience que diminuer les dépenses de santé peut être moins

important qu'en optimiser les conséquences, surtout dans le cas de pathologies

ayant une forte influence sur la productivité, comme la migraine.

Discussion

Dans cette étude, l'auteur obtient des résultats qui vont dans le sens d'un effet

bénéfique du sumatriptan sur la migraine et sur la productivité des individus.

Toutefois, les intervalles de confiance fournis recouvrent quasiment tous la

valeur zéro, ce qui doit inciter à la plus grande prudence dans l'interprétation

des résultats.

Bertram Häussler & al. The impact of pharmaceuticals on the decline of cardio-vascular mortality in Germany, 2007.(publié dans Journal Pharmacoepidemiology and drug safety, 2007 ; 16 : 1167-1176)

L'étude se base sur des données allemandes. Les auteurs observent dans

quelle mesure la mortalité due à des troubles cardiovasculaires a été affectée

par les interventions médicales au cours des 30 dernières années. Il s'agit

surtout d'estimer l'impact des nouveaux médicaments et des actes chirurgicaux.

Matériau et méthode

Une analyse de séries temporelles a été effectuée. Pour davantage de fiabilité

dans les résultats, l'analyse a été restreinte aux maladies cardiovasculaires

chroniques pour lesquelles de nouveaux médicaments ont été développés au

cours des 30 dernières années. Les auteurs ont examiné dans quelle mesure

les nouveaux médicaments ont modifié la mortalité des maladies concernées.

Plusieurs autres facteurs pouvant avoir un effet, comme le développement

des conditions socioéconomiques, les politiques de prévention, l'hygiène de vie

et les interventions non pharmaceutiques, ont été inclus dans l'étude. Leurs

effets sur la mortalité seront estimés par des modèles de régression linéaire.

Les données pharmaceutiques sont celles de la période 1968-2001, uniquement

pour l'ex-Allemagne de l'Ouest, seule zone pour laquelle des données complètes

Page 89: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

94 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

sont disponibles. Concernant les données de style de vie, elles ont été

observées sur une plus longue période, à savoir 1950-2001.

Plutôt que d'utiliser les taux de mortalité classiques, les auteurs ont calculé

les DMDR (Direct Method Death Rates), séparément pour les maladies

cardiovasculaires et hors cardiovasculaires, ce qui permet de tenir compte

des évolutions démographiques au cours de la période. Puis, les séries tem-

porelles des DMDR ont été différenciées à l'ordre 1, afin de distinguer les

effets à court et moyen termes des effets à long terme. En outre, on choisit

comme variable dépendante une mesure qui reflète, non pas directement

l'évolution de la mortalité dues aux maladies cardiovasculaires, mais plutôt la

façon dont l'évolution de cette mortalité (symbolisée par les différences

premières) diffère de celle de la mortalité pour des causes hors cardiovas-

culaires. Cette soustraction de différences premières est appelée « et firstdifference » ou NFD. Cette méthode a permis de se concentrer sur les effets

qui étaient spécifiquement responsables d'un développement de la mortalité

cardiovasculaire différent decelui de la mortalité hors cause cardiovasculaire.

Ainsi, furent exclus les effets entraînant une baisse globale de la mortalité,

parmi lesquels on s'attend notamment à retrouver les améliorations socioé-

conomiques. Les variables explicatives incluent l'utilisation de médicaments

appartenant à des classes dont l'introduction a mené à une chute de la

mortalité pour causes cardiovasculaires. Pour mesurer l'hygiène de vie, des

données de consommation ont été agrégées en un « indice de comportement

préventif » (noté PBI) pour tenter de modéliser (de façon forcément approxi-

mative) la réalité à l'aide d'une unique mesure. Cet indice agrège un certain

nombre de variables liées à la consommation de produits jugés bons pour la

santé (fruits, produits ne contenant pas d'acides gras saturés) et de produits

néfastes (tabac, alcool, produits contenant des acides gras saturés). En agrégeant

ces diverses variables, leurs effets individuels ne pourront pas être quantifiés,

mais cela n'est de toute façon pas l'objectif de l'étude. Il y a également un risque

de sur-simplifier un problème en réalité complexe.

Des analyses préliminaires montrent de fortes colinéarités entre les densités

de traitement dans les diverses classes de médicaments. Par conséquent,

toutes les classes ne pourront pas être utilisées dans une même équation. On

résout ce problème à l'aide de deux méthodes différentes :

Page 90: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 95

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

- Dans la première méthode, on transforme toutes les densités en variables

dummy. Ces dernières indiquent si l'utilisation d'un médicament a augmenté

(vitesse de propagation), ou bien encore si cette augmentation est en baisse

(accélération de propagation).

- Un second modèle est établi pour estimer quantitativement l'impact

des interventions. De telles estimations ont été réalisées pour deux phases

distinctes :

- phase I : introduction des diurétiques et des bêta-bloquants,

- phase II : introduction des agents anti-thrombotiques, des calcium-

bloqueurs, des inhibiteurs ECA, des inhibiteurs CSE et des antagonistes

angiotensines II.

Pour chacune des phases, on a commencé par aditionner les quantités des

médicaments concernés, puis on a différencié les séries obtenues à l'ordre un.

Pour la phase I, on modélise le NFD par les différences premières du PBI et

des médicaments concernés par la phase. On utilise ensuite ce modèle pour

prédire les valeurs du NFD durant la phase II. Cette prédiction représente la

mortalité due à des pathologies cardiovasculaires, à supposer qu'il n'y ait pas

eu d'autres influences sur la mortalité que celles des médicaments de phase I.

Autrement dit, on fait l'hypothèse qu'il n'y a eu aucune innovation durant la

phase II.

Résultats

Taux des causes de mortalitéLa mortalité de la population allemande a fortement chuté sur la période

d'étude. Pour les maladies cardiovasculaires, le DMDR a chuté de 731 en

1968 à 395 en 2001 (46%). Pour les autres causes, la réduction a été de 42%

(de 1121 à 648). Ainsi, la proportion de décès dus à des causes cardiovas-

culaires a chuté de 40 à 38% sur la période d'étude. L'évolution de la différence

entre les deux DMDR permet d'identifier deux phases : durant la première, qui

dure jusqu'à 1984, l'évolution des mortalités est en faveur des maladies hors

cardiovasculaires. Mais après 1984, cette tendance s'inverse.

MédicamentsPour toutes les classes de médicaments étudiées, on observe, quelques

temps après la mise sur le marché, une croissance rapide qui s'atténue par la

Page 91: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

96 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

suite. En général, la croissance d'une classe de médicaments est provoquée

par l'arrivée d'un nouveau médicament de cette classe.

Interventions chirurgicalesIntroduites à la fin des années 1960, elles ont connu une hausse lente

jusqu'au milieu des années 1980, avant de connaître une croissance rapide qui

n'a ralenti qu'en 1997. Cette forte hausse est notamment venue des nouvelles

possibilités de traiter des personnes âgées.

Facteurs de style de vieL'indice de prévention (PBI), qui était élevé en 1950, a progressivement chuté

pour atteindre son minimum en 1970, minimum auquel il a stagné jusqu'au

début des années 1980. Les causes majeures étaient l'augmentation de la

consommation de tabac, alcool, beurre et viandes.

L'indice a par la suite progressivement augmenté jusqu'à atteindre, en 2000,

le niveau auquel il se situait 50 ans auparavant et ce grâce à une consommation

accrue de fruits, légumes, huiles végétales et poissons.

On notera que la remontée de l'indice, au début des années 1980, a coïncidé

avec la période où les comportements à risque et leurs effets sur le cœur

commençaient à être connus du grand public, par diverses campagnes de

sensibilisation. L'encouragement à faire une activité physique, s'il n'a pas été

mesuré ici, a certainement contribué lui aussi à cette amélioration.

Modèles de régressionLe premier modèle analyse l'effet sur la mortalité des comportements préventifs

d'une part, et d'autre part de l'apparition des classes thérapeutiques étudiées.

Le meilleur ajustement est obtenu pour un effet différé des comportements

préventifs de 12 ans. Autrement dit, les changements de comportement de la

population ont un effet maximal douze ans plus tard. Dans ce même modèle,

le coefficient du comportement préventif est de -8,3, soit un effet au moins

5,5 fois plus important que ceux des autres variables mesurant l'apparition

des innovations médicamenteuses. Parmi celles-ci, les traitements anti-

thrombotiques sont l'effet les plus importants, (-1,5) suivis par les traitements

de l'hypertension qui ont tous un coefficient autour de 1. Leur effet étant indé-

pendant, la prise en charge de l'hypertension par des médicaments innovants

apparaît comme le deuxième facteur explicatif de la diminution relative de la

mortalité cardiovasculaire, avec un coefficient global de - 5,3. Le coefficient

de l'angioplastie de -0,6 est significatif..

Page 92: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 97

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Le modèle en deux phases analyse la relation entre le volume de consommation

des innovations identifiées précédemment et les progrès de longévité.La première

phase porte sur la période d'apparition d'une première vague de médica-

ments innovants, les diurétiques et les bêta-bloquants, et inclut l'analyse des

effets des comportements préventifs. Les comportements préventifs ont un

effet deux fois supérieur aux innovations thérapeutiques (613,1 contre 6,5)

mais les deux coefficients sont hautement significatifs. Le modèle portant sur

la deuxième phase de diffusion des innovations, incluant l'angioplastie, les

pontages et les autres classes thérapeutiques, considère comme acquis les

bénéfices de la première phase. Les bénéfices du pontage et de l'angioplastie

sont alors supérieurs à ceux des innovations médicamenteuses de la

deuxième phase, les anti-thrombotiques, les inhibiteurs de canal calciques et

les IEC (-9,9 contre -6,9). Il convient cependant de remarquer que les bénéfices

de l'angioplastie et du pontage ne sont pas indépendants de l'utilisation

d'anti-thrombotiques efficaces.

Discussion

L'auteur utilise ici deux approches statistiques, en ajoutant aux modèles

classiques de régression des indicateurs de mortalité issus de séries temporelles,

différant en cela des études plus conventionnelles proposées par Frank

Lichtenberg. Il accorde également beaucoup d'importance aux notions de

comportement à risque et de prévention. Au final, il parvient à montrer que

l'introduction de certaines classes de médicaments a eu un impact significatif

et bénéfique sur la mortalité.

Simon Capewell & al. Contribution of modern cardiovascular treatment and riskfactor changes to the decline in coronary heart disease mortality in Scotlandbetween 1975 and 1994 (publié dans Heart, 1999; 81: 380-386)

Depuis le milieu des années 1960, les taux de mortalité des suites de mala-

dies coronariennes ont chuté de moitié. Plusieurs études suggèrent que cette

baisse est du fait de la baisse du risque coronarien, tandis que le progrès

médical se voit attribuer environ 40% de cette baisse. Certaines études vont

même jusqu'à annoncer que la chute de mortalité est à 80% attribuable à des

changements favorables au niveau des facteurs de risque. Pourtant, il a été

montré que beaucoup de thérapies (thrombolytiques, aspirines, statines...)

réduisent la mortalité.

Page 93: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

98 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Récemment, des méta-analyses, ainsi que plusieurs enquêtes menées

notamment au Royaume-Uni, ont fourni des données importantes sur la

consommation de médicaments, données qui ont permis de réévaluer plus

précisément la contribution des traitements cardiologiques à la baisse de la

mortalité.

Matériau et méthode

Le nombre de décès attendus en 1994, dans le cas où il n'y aurait eu aucun

changement de mortalité par classe d'âge depuis 1975, a été calculé par stan-

dardisation indirecte sur l'âge. Cela signifie que les taux de mortalité par

classe d'âge observés en 1975 ont été appliqués à la population de 1994.

Puis, on a soustrait aux résultats obtenus la mortalité réelle en 1994, pour

obtenir la chute de mortalité entre 1975 et 1994.

Sept traitements ont été considérés pour l'étude :

- traitements initiaux de l'infarctus du myocarde : réanimation cardio-

pulmonaire pré-hospitalière, réanimation hospitalière, aspirine, traitement

thrombolytique, bêta-bloquants par intraveineuse, inhibiteurs ACE ;

- prévention secondaire, faisant suite à un infarctus : traitement à

base d'aspirine, bêta-bloquants, warfarine, rééducation, etc. ;

- prévention secondaire faisant suite à une angioplastie ou une inter-

vention chirurgicale. Traitements identiques :

- traitement hospitalier de l'angine : aspirine, héparine, angioplastie

coronarienne ;

- aspirine pour les patients souffrant d'angine ;

- traitement de défaillances cardiaques à l'aide d'inhibiteurs ACE ;

- traitement de l'hypertension.

Impact des évolutions des facteurs de risque

Les modifications des prévalences des risques mesurables, incluant le tabagisme,

le cholestérol, la pression sanguine, ont été obtenues via divers sondages et

études épidémiologiques. Leur contribution à la chute de mortalité entre 1975

et 1994 a été calculée en prenant la moyenne de deux résultats obtenus avec

deux méthodes distinctes :

Page 94: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 99

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

- La première est une régression linéaire, donnant lieu à un coefficient,

qui décrit le pourcentage de réduction de mortalité que l'on peut attendre en

cas de réduction d'un pourcent du facteur de risque en question. Pour le cas

du cholestérol, une méta-analyse publiée peu avant l'article a également été

utilisée.

- La deuxième méthode a consisté à reprendre une étude qui

déterminait les principales causes de décès. Pour les hommes (resp. femmes),

40% (37%) des décès sont attribués au tabagisme, 31% (39%) à une pression

sanguine accrue, 25% (32%) à la classe sociale et 24% (21%) à un taux de

cholestérol accru.

Pression sanguineEntre 1986 et 1995, la pression sanguine chez les adultes de 45-64 ans du

nord de Glasgow est passée de 6,8 mm Hg à 6,1 mm Hg. L'extrapolation de

ces résultats à la population écossaise a été faite sous trois hypothèses :

(a) la baisse observée a été la même partout dans le pays ;

(b) la baisse entre 1975 et 1986 était égale à au plus la moitié de celle observée

entre 1986 et 1995 ;

(c) la baisse chez les individus de plus de 65 ans est égale à au plus la moitié

de celle observée chez les 45-64 ans.

CholestérolEntre 1985/6 et 1994/5, la concentration moyenne de cholestérol, chez les

individus de 45-64 ans du nord de Glasgow, a chuté de 3,3% chez les hommes

et 4,9% chez les femmes. Pour extrapoler à la population entière, on a fait les

mêmes hypothèses que précédemment.

Changements socioéconomiquesUn indice de privation, tenant compte de la classe sociale, de la surpopulation,

du chômage chez les hommes, et du fait de posséder ou non une voiture, a

été calculé. Les évolutions de mortalité ont ensuite été calculées en se basant

sur les proportions mentionnées précédemment (25% chez les hommes et

32% chez les femmes).

Page 95: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

100 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Résultats

Mortalité en Ecosse entre 1975 et 1994Il y a eu 18 251 décès (dont 10 321 pour les hommes) en Ecosse en 1975 suite

à des troubles cardiovasculaires (codes CIM 410-414). Si cette mortalité était

restée, pour chaque classe d'âge, la même par la suite, et en tenant compte

du vieillissement de la population, il aurait dû y avoir 21 439 décès en 1994.

En fait, il y en a eu 15 234, soit 6 205 (3 690 pour les hommes, 2 515 pour les

femmes) de moins qu'attendu.

Effets des traitements et des interventionsPour chaque type de traitement, on a calculé le nombre minimal de décès évités

ou repoussés, le nombre maximal et l'estimation la plus fiable. Ces valeurs

ont été calculées en multipliant le nombre de patients éligibles par la consom-

mation, l'acceptation et la réduction de risque absolu pour 100 patients traités

par chaque traitement.

Infarctus du myocarde

En 1994, le traitement a évité ou repoussé 694 décès (minimum 366,

maximum 1 083). Les thérapies de prévention post-infarctus, la chirurgie

CABG, ainsi que les angioplasties ont évité 545 morts supplémentaires.

Traitement des angines et des troubles cardiaquesLes traitements de l'angine à l'hôpital, ainsi que l'aspirine, ont évité 329

décès. Les traitements de défaillances cardiaques (inhibiteurs ACE) ont évité

563 décès.

Traitement de l'hypertensionCes traitements ont évité 590 décès.

Réduction totale de mortalitéAu total, les procédés médicaux et chirurgicaux ont évité ou repoussé un

nombre estimé à 2 722 décès en 1994 (minimum 1 373, maximum 5 986).

Page 96: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 101

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Effets des évolutions des facteurs de risque dans la population

TabagismeLa prévalence a chuté de 46% en 1975 à 28% en 1994 chez les hommes, et de

37% à 25% chez les femmes. Cela a permis d'éviter ou de repousser un nombre

de décès estimé à 2 405 (minimum 1 792, maximum 3 126).

CholestérolLa baisse de 5% du taux moyen de cholestérol a occasionné la prévention de

383 décès (minimum 71, maximum 1 859).

Pression sanguineUne baisse de 9% a provoqué une diminution de 1 015 décès (minimum 319,

maximum 2 202).

Changements de statut socioéconomiqueL'augmentation de 7% de l'aisance de la population a évité 213 décès (mini-

mum 82, maximum 456).

Nombre total de décès évités ou repoussésLes effets combinés des traitements et des évolutions de facteurs de risque

ont permis d'éviter un nombre de décès estimé à 6 747 (minimum 4 790,

maximum 10 695).

Comparaison entre les chutes de mortalité estimée et observée entre 1975 et 1994Il était estimé que les traitements existant en 1975 avaient évité environ 544

décès (minimum 234, maximum 1 314). Ainsi, le déclin attribuable aux

nouveaux traitements et aux facteurs de risque pouvait être estimé à 6 203

(6 747 moins 544), une estimation très proche de l'observation réelle (6 205).

Sur les 6 203 décès en moins, 3 558 (57%) concernaient des hommes. Ce

bénéfice était prédominant dans les classes d'âge les plus jeunes (25% chez

les moins de 65 ans, 17% chez les 65-74 ans, et 15% chez les plus de 75 ans).

Chez les femmes par contre, le bénéfice augmente avec l'âge (9%, 11% et 23%

respectivement). Ces estimations restent en accord avec les baisses

réellement observées.

Page 97: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

102 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Discussion

De toutes les études abordées, celle-ci est sans doute l'une des plus prolifiques

en résultats. Toutefois, la prise en compte des facteurs à risque paraît avoir

été effectuée de manière nettement moins rigoureuse que dans l'étude de

Haüssler. D'une façon plus générale, la méthode de calcul (comparer une

valeur attendue en supposant un taux de mortalité constant, à la valeur

réellement observée) paraît simpliste (et suppose entre autres que la structure

âge/sexe de la population écossaise n'a pas changé entre 1975 et 1994, point

qui n'est pas soulevé dans l'article). Enfin, les intervalles de confiance obtenus

dans la dernière partie sont très larges, ce qui indique une variance impor-

tante et une fiabilité modérée des résultats.

2.3 Discussion des résultats précédents

Les travaux présentés ci-dessus émanent en majorité d'un même auteur,

Frank Lichtenberg, de l'Université Columbia, à New York. Ils ont été publiés

sous forme de « working papers » du National Bureau of Economic Research

et peu d'entre eux (3 sur 14) ont été publiés dans des revues à comité de lecture

en économie de la santé. Pour des raisons de manque de disponibilité de données

longitudinales au niveau individuel, l'auteur a la plupart du temps recours à

des unités d'analyse au niveau des pathologies et doit réconcilier des données

provenant de bases hétérogènes. Certains modèles mélangent des données

de niveau différent (prescription/patient/pathologie) sans pour autant diffé-

rencier les contributions de ces niveaux aux résultats obtenus. Les modèles

estimés utilisent peu de variables de contrôle, ou à un niveau agrégé. En par-

ticulier, l'ajustement sur les variations inter-temporelles des incidences des

différentes maladies et de leur sévérité n'est pas toujours réalisé de façon

satisfaisante. Les articles ne donnent pas tous les éléments requis pour juger

du pouvoir explicatif de la variance des estimations réalisées. Mais il est

habituel dans ce type d'études d'obtenir des résultats modestes sur ce point.

Enfin, les articles sont en très grande majorité relatifs au contexte des

Etats-Unis d'Amérique. Les résultats des études portant sur des pathologies

spécifiques (le cancer, les pathologies cardiovasculaires) sont plus solides

méthodologiquement.

Sous réserve de ces limites, certains résultats se retrouvent de manière régulière

d'une étude à l'autre. Le premier résultat est que plus que la consommation

Page 98: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 103

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

globale de médicaments, ce qui compte est le degré de nouveauté des médi-

caments prescrits et sa variation dans le temps. De façon consistante mais

avec des variations quant à l'ordre de grandeur de l'impact, l'auteur trouve une

relation entre millésime des médicaments prescrits et longévité, productivité

du travail et recours aux autres services de santé. Sur ce dernier point, le

degré d'innovation médicamenteuse aurait pour effet de diminuer les recours

à l'hospitalisation. Une étude suggère même que l'augmentation de la

dépense pharmaceutique liée à l'innovation serait compensée au-delà de son

coût par les économies générées sur les autres dépenses. Faute de disposer

de mesures précises de l'innovation dans les autres modalités thérapeutiques

(examens diagnostiques, radiologiques et chirurgie), l'auteur ne parvient pas

à mettre en évidence des résultats similaires pour celle-ci.

Les études qui se concentrent sur une pathologie sont plus convaincantes

d'un point de vue méthodologique. En particulier, Lichtenberg a réalisé trois

études sur l'innovation thérapeutique en cancérologie. L'objectif de la première

est de tester l'hypothèse de l'impact de l'innovation médicamenteuse dans le

domaine du cancer sur la mortalité aux Etats-Unis. L'étude intègre également

le rôle de l'innovation dans le domaine de la chirurgie et de la radiothérapie.

Les résultats sont les suivants.

La progression du taux d'innovation médicamenteuse est associée significa-

tivement à une amélioration du taux de survie relatif (comparé à la mortalité

pour d'autres causes). En revanche, la progression des innovations en chirurgie

et en radiodiagnostic n'a pas d'impact significatif sur la survie. Seule l'innovation

en radiothérapie a un impact significatif sur le taux de survie à deux ans.

Le gain relatif est le suivant. La progression du taux d'innovations médica-

menteuses se traduit par une augmentation de la survie relative qui varie

suivant les variables de contrôle utilisées de 26% à 39% en un an, de 14% à

37% en deux ans, et de 12% à 20 % en trois ans. Une progression observée de

20% du taux de médicaments nouveaux se traduirait donc à un an par une

amélioration relative de la survie pour cancer de 26% à 39%. Si on prend la

limite supérieure des estimations de l'étude, la progression des innovations

médicamenteuses se traduirait par un gain de survie à un an de 1,21 fois le

gain de survie des patients qui ne sont pas atteints de cancer. En moyenne

sur toutes les estimations, le gain de survie relatif serait de 44%. L'auteur ne

donne cependant pas d'estimations du nombre total d'années de vie gagnées.

Page 99: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

104 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

La deuxième étude analyse la survie à cinq ans par localisation cancéreuse

dans cinq pays : la France, l'Espagne, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni

en 2002. L'auteur montre que la part des médicaments mis sur le marché

après 1985 a un impact positif et significatif sur la survie à 1 an et à 5 ans.

Les différences entre pays en termes de part de ces médicaments expli-

quaient entre 14% et 19% des différences de taux de survie, après ajustement

pour les différences de fréquence des localisations cancéreuses.

La troisième étude analyse l'impact de la même variable (avec ajustement sur

d'autres variables) sur le taux global de mortalité par cancer dans vingt pays,

sur la période 1995-2003. L'étude montre que les pays pour lesquels la part

de médicaments innovants était la plus importante avaient le plus fort déclin

du taux de mortalité. Un « rajeunissement » de 10 ans du millésime des médi-

caments diminuait le taux de mortalité pour cancer de 5,9%, après ajustement

sur la croissance de la richesse nationale. Le « rajeunissement » des médi-

caments expliquait 30% de la baisse du taux de mortalité.

On rapprochera ces résultats de l'étude de Jönsson et Wilkings19 sur le taux

d'adoption d'innovations en cancérologie en Europe, qui met la France en tête

des pays étudiés pour la rapidité d'adoption et de diffusion des nouvelles

molécules dans ce domaine. Parallèlement, l'étude Concord20 montre que la

France est dans les cinq premiers pays parmi 31 en termes de survie pour les

cancers du sein, de la prostate, du rectum et du côlon.

Enfin, on retiendra les résultats de l'étude de Haüssler et al. qui mesure l'impact

sur l'amélioration relative de la longévité par rapport à la longévité moyenne

de la population pour les patients souffrant d'une affection cardiovasculaire.

L'auteur conclut qu'environ 40% de la diminution de la mortalité cardiovasculaire

peut être attribuable aux innovations thérapeutiques, avec une part sensiblement

identique entre innovations médicamenteuses et innovations chirurgicales.

19 Wilkinsg N, Jönsson B. A pan-european comparison regarding patient access to cancer drugs. Karolinska Institute, Stockholm School of Economics,Stockholm, 2005. 20 Coleman M e al. cancer survival in five continents : a worldwide population-based study (Concord). 2008 The Lancet Oncology, online.

Page 100: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 105

4E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES DE SANTÉ SUR LA SANTÉ DES POPULATIONS

Synthèse de la 4e partie

Cette partie avait pour objectif de répondre aux questions suivantes.

Les dépenses de santé ont-elles un impact sur la longévité ? La

consommation de médicaments a-t-elle un impact sur la longévité, et

de quelle ampleur ? Quelle est la part jouée par l'innovation dans cet

impact ? Y a-t-il des différences d'effets entre l'innovation médicamenteuse

et les autres innovations thérapeutiques ? A la première question, la

réponse est oui, avec un impact non négligeable, qui pourrait aller

jusqu'à 40% de l'amélioration de l'espérance de vie. Le coût d'une année

de vie gagnée serait de l'ordre de 17 000 € en France. La consommation

de médicaments a également un effet sur la longévité. Cet effet est

surtout marqué par un effet innovation, l'impact sur la longévité étant

d'autant plus important que les traitements disponibles sont plus

récents. Il est en revanche difficile d'estimer le rendement économique

de ces innovations, la méthodologie des études ne permettant pas de

l'évaluer de façon rigoureuse. Les études semblent montrer également

que la consommation de médicaments a un impact sur la réduction des

soins hospitaliers. Il existe peu d'études sur la comparaison du rendement

de l'innovation médicamenteuse par rapport à d'autres formes d'inno-

vations thérapeutiques, aussi est-il difficile de conclure sur ce point,

cela d'autant plus que les innovations peuvent apparaître de façon

combinée. L'impact de l'innovation est plus facile à montrer sur les

domaines pathologiques précis. Ainsi, ont été identifiés deux domaines,

la cancérologie et le domaine des pathologies cardiovasculaires, pour

lesquels l'impact de l'innovation sur la longévité est montré de façon

solide. Dans le cas du cancer, les pays ayant adopté plus rapidement et

plus largement les innovations médicamenteuses auraient de meilleurs

résultats en termes de survie. Dans le domaine des pathologies cardio-

vasculaires, les comportements préventifs sont les plus efficaces et

expliqueraient 60% de la baisse de la mortalité, mais les innovations

médicamenteuses et chirurgicales expliqueraient à part égal les 40%

restants. Les études ne répondent cependant pas à une question impor-

tante, celle du rapport coût/efficacité de la dépense, mais elles

permettent de remettre en cause l'idée selon laquelle l'innovation

médicamenteuse aurait peu, voire pas, d'effet sur la santé des populations.

Page 101: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude
Page 102: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 107

5e partie : Impact des dépenses publiques de santé sur la croissance

Page 103: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude
Page 104: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 109

5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE

1. Introduction

Dans les parties qui précèdent, nous avons montré l'importance du rôle de

l'innovation dans la croissance économique. Nous avons également tenté

d'évaluer la contribution de l'industrie pharmaceutique à l'innovation et, partant,

sa contribution potentielle à la croissance économique d'un pays. Nous avons

également fait état des travaux qui montrent le rôle positif joué par l'amélio-

ration de l'état de santé d'une population dans la croissance économique

d'un pays. Puis, nous avons présenté des résultats de recherche qui plaident

en faveur d'un impact des services de santé sur la santé de la population et

en particulier du rôle joué par l'innovation dans l'amélioration de l'état de

santé. Nous avons donc mis en évidence les contributions positives de l'innovation

thérapeutique pour le bien-être et la croissance économique d'une société,

soit par l'amélioration de la santé des personnes, soit par la contribution

directe à l'activité économique.

Cependant, comme nous l'avons écrit en introduction, la caractéristique du

marché des biens et services de santé est d'être lourdement financé par des

prélèvements obligatoires, y compris dans un pays aussi libéral que les Etats-Unis.

Ceci est la règle dans les pays développés dotés d'un système de protection

sociale à vocation universelle, que celui-ci soit financé par l'impôt ou relève

d'un modèle d'assurance sociale. Dans ce cas, la question qui se pose au

décideur public est double. Du point de vue de la rationalité économique, l'uti-

lisation des ressources collectives devrait tenir compte du rendement collectif

des différents services qu'elles financent. Le rendement en santé des services

de soins de santé doit être en théorie comparé à celui d'autres services

publics, comme l'éducation, la sécurité des personnes, l'environnement, etc.

Trop investir dans les services de soins peut induire un effet d'exclusion pour

d'autres dépenses collectives pourtant génératrices de santé. Nous avons

tenté de répondre partiellement à cette question lorsque nous avons traité le

sujet de l'impact des dépenses de santé sur l'amélioration de l'espérance de vie.

Deuxièmement, le décideur public doit se poser à tout instant la question du

niveau de prélèvement obligatoire compatible avec la croissance économique,

puisque par définition ces prélèvements ne sont possibles que s'il y a création de

richesse par la société, en dehors de la sphère publique. Cette question ne

reçoit pas de réponse unique, puisqu'on peut observer conjointement des

modèles nationaux à faible et à fort taux de prélèvement obligatoire et avec

des niveaux de croissance économique comparable.

Page 105: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

110 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE

Dans le contexte économique français que nous avons présenté en 2e partie,

cette question se pose de façon aiguë. En effet, les questions d'arbitrage

entre différents types de dépenses publiques sont réglées en France par le

déficit budgétaire et le recours à l'emprunt. Le constat qui est fait aujourd'hui

est celui d'un recours excessif au déficit pour financer des dépenses de fonc-

tionnement courant, au détriment d'investissements créateurs de croissance.

Or, le contexte actuel de croissance faible, voire de récession, limite considé-

rablement la possibilité pour les pouvoirs publics de dégager des marges de

manœuvre pour réinvestir dans des secteurs potentiellement créateurs de

richesse, y compris dans le secteur de la santé. Dans la mesure où le finan-

cement des dépenses de santé contribue au déficit des finances publiques,

celles-ci présentent un coût d'opportunité qu'il convient d'évaluer au regard

de leur rendement sur la création de richesse qui a été mise en évidence dans

les parties précédentes. Ce coût d'opportunité n'est pas indépendant du

mode de financement de ces dépenses, ce que nous analyserons dans un

premier temps. Dans un deuxième temps, on évaluera à partir des travaux

existants, fort rares, l'impact des dépenses collectives de santé sur la croissance

économique par le biais de leur poids dans les finances publiques. Il conviendra

de distinguer les dépenses globales de soins de santé des dépenses couvertes

par la collectivité : une question ouverte est en effet celle de la part que doit

prendre la collectivité dans le financement des dépenses de soins de santé et

dans quelle mesure l'introduction d'une part plus importante de financement

privé peut contribuer à la fois à l'amélioration de la santé de la population et

à la création de richesse par le secteur de la santé.

2. L'impact du mode de financement des dépenses de soins de santé sur la croissance

Dans cette partie, on limitera la discussion aux systèmes de protection

sociale à vocation universelle. On oppose alors traditionnellement les systèmes

financés par l'impôt, reposant sur un principe de solidarité nationale, aux

systèmes dits d'assurance sociale, dont le financement repose principalement

sur un prélèvement avant impôt d'une cotisation fondée sur les revenus du

travail.

Page 106: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 111

5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE

Dans le premier modèle, si l'on sort de la discussion sur le rendement de

différentes dépenses collectives et sur le niveau optimal des prélèvements

obligatoires, la première question est celle de l'assiette de l'impôt et sur la

contribution respective des ménages, des entreprises et des agents finan-

ciers : un équilibre est à trouver entre le niveau de revenus des premiers

après impôt, qui détermine leur niveau de consommation et d'épargne, la

capacité d'investissement des seconds et le rendement du capital investi

pour les troisièmes. La deuxième question est relative au caractère redistri-

butif de l'impôt, qui détermine en partie le niveau d'inégalités sociales. Ce

niveau est un facteur important du bien-être de la population, et donc indirec-

tement de son état de santé. Mais ce modèle est considéré comme neutre

par rapport à la formation des revenus primaires dans l'économie, en particulier

le niveau du coût du travail.

Dans le modèle d'assurances sociales, le prélèvement primaire avant impôt

sur les revenus du travail a au contraire un impact direct sur le coût de celui-ci,

donc sur la compétitivité des entreprises sur le marché international. Cet

impact peut être modulé par les parts relatives de la contribution des salariés

et des entreprises : l'augmentation de la part des entreprises accroît le coût

du travail, l'augmentation de la part des salariés sans répercussion sur les

salaires bruts diminue le revenu disponible de ces derniers et impacte leur

pouvoir d'achat et leur capacité d'épargne.

Le débat sur le coût du travail en France a pris une acuité particulière, non pas

par rapport aux autres pays européens de même niveau de développement,

mais par rapport au coût du travail dans les pays émergents, conduisant à des

politiques de délocalisation destructrices d'emplois domestiques. En première

analyse, on considère donc que les charges sociales à leur niveau actuel sont

un frein à la croissance économique, par le biais du chômage qu'elles induisent.

C'est ce raisonnement qu'avaient privilégié Olivier Blanchard et Jean-Paul

Fitoussi dans leur rapport au Conseil d'analyse économique en 1998 intitulé

« Croissance et Chômage ». Le rapport retenait comme recommandation une

baisse des cotisations sociales à la charge des employeurs. Dans le court

terme, à recettes fiscales inchangées, de telles mesures augmentent les

dépenses publiques, puisque l'Etat doit compenser le manque à gagner de la

Sécurité Sociale : le pari est celui d'un investissement dans l'emploi, se

traduisant à terme par une augmentation de la masse salariale du secteur

privé, une augmentation de la consommation des ménages, une baisse des

allocations chômage avec, au final, un impact positif sur la croissance écono-

Page 107: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

112 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE

mique permettant une augmentation mécanique des recettes fiscales. C'est

aussi ce raisonnement qui conduit à mettre en place des politiques actives de

soutien à l'emploi financées sur fonds publics, avec le même pari à la clé.

Le modèle français est depuis la création de la CSG un mélange des deux

modèles précédents. La CSG a été créée pour deux raison affichées :

l'augmentation de l'assiette des prélèvements sociaux par son extension aux

revenus du capital, la recherche d'une plus grande justice redistributive.

L'introduction de la CSG en France a partiellement déconnecté le coût du

travail du financement de l'Assurance Maladie, en augmentant ses recettes,

mais en contribuant aussi à augmenter les prélèvements obligatoires. De

même, la politique de l'emploi a conduit à de multiples exonérations de charges

compensées en principe par l'Etat : l'impact direct du financement de l'Assurance

Maladie sur le coût du travail a décru, transformé en impact sur le revenu dis-

ponible des ménages et donc sur la consommation ou l'épargne des ménages.

Selon la Commission des comptes de la Sécurité Sociale, l'évolution des

recettes de l'Assurance Maladie dépend aujourd'hui principalement de la

croissance de la masse salariale du secteur privé et du PIB, qui détermine le

rendement de la CSG. Le premier terme dépend lui-même du taux de chômage,

qui est fonction de la démographie de la population active et de la croissance

économique. Dans ces conditions, le maintien d'une progression des dépenses

collectives pour les services de santé plus élevée que celle du PIB et sans

augmentation des prélèvements obligatoires, n'est possible que si d'autres

secteurs de dépenses publiques voient leur part relative décroître. Dans le

cas contraire, la part des prélèvements obligatoires dans le PIB (financés ou

non par l'emprunt) doit augmenter ou la couverture collective diminuer.

3. Estimation du coût d'opportunité des dépensespubliques d'assurance maladie

Le coût d'opportunité d'une dépense correspond à la perte de surplus écono-

mique générée par un emploi alternatif de la ressource. Pour l'estimer, il faut

alors être capable de répondre à la question suivante : quels bénéfices

aurais-je tirés d'une utilisation autre que l'actuelle de ma ressource ? Du point

de vue du sujet qui nous intéresse, la dépense publique de santé a un coût

Page 108: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 113

5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE

d'opportunité à court terme : celui lié au coût du financement des déficits

cumulés de l'Assurance Maladie par l'emprunt. Dit autrement, ce coût

d'opportunité serait égal aux bénéfices tirés d'un investissement de la charge

de la dette pour une autre dépense publique, par exemple l'investissement

dans la recherche publique. Plus précisément, dans ce cas, le coût d'oppor-

tunité serait égal aux bénéfices induits sur la croissance économique de cet

investissement supplémentaire dans la recherche.

Dans la deuxième partie, nous avons estimé la dette cumulée de l'Assurance

Maladie à 60 mds d'euros. Ce chiffre doit être réévalué à la hausse, compte

tenu de l'annonce récente du transfert à la CADES du déficit courant des orga-

nismes de sécurité sociale, mais nous le conserverons pour les calculs qui

suivent. En 2008, la dette publique est de 1 260 mds d'euros. La dette cumulée

de l'Assurance Maladie est donc de l'ordre de 5% de la dette totale. Selon le

rapport annuel de la Cour des Comptes, déjà cité, la charge d'intérêt de cette

dette publique serait de 51,8 mds d'euros. Si on applique une règle de propor-

tionnalité simple au calcul du service de la dette, les déficits cumulés de

l'Assurance Maladie contribueraient pour 2,6 mds d'euros pour le paiement

des intérêts. Si on ne considère que le déficit prévisible de l'Assurance

Maladie en 2008, de l'ordre de 4 mds d'€, son coût serait alors de 15 fois

moins (60 mds/4 mds), soit d'environ 174 millions d'euros. Le coût d'oppor-

tunité de la dépense publique de santé serait donc égal à la richesse poten-

tiellement créée par l'injection de ce montant dans l'économie, par exemple

pour des dépenses de R&D. Malheureusement, on ne dispose pas d'éléments

chiffrés permettant d'estimer l'impact sur la croissance économique d'une

telle dépense, mais on peut néanmoins procéder à un autre calcul pour évaluer

la part des dépenses de médicaments dans ce montant et, partant, dans la

détermination du coût d'opportunité.

Le calcul suivant permet en effet d'estimer la valeur ajoutée créée par l'industrie

pharmaceutique liée à ce dépassement de 4 mds d'euros des dépenses de

l'Assurance Maladie. La dépense de médicaments remboursés est de l'ordre

de 15 % des dépenses de biens et de services médicaux, soit une dépense de

600 Mos d'euros correspondant aux 4 mds d'euros de déficit. En 2007, le

montant total des dépenses de médicaments remboursés était de 18,7 mds

d'euros, pour un chiffre d'affaires domestique HT de 22,7 mds d'euros. La

dépense totale de médicaments induite par les 4 mds d'euros de déficit est

donc de l'ordre de 728 Mos d'euros (0.6 Mos x 22,7/18,7). Selon les résultats

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114 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE

des comptes de la santé, les dépenses domestiques de médicament (rem-

boursées et non remboursées) étaient d'environ 33 mds d'€ TTC en 2007, soit

environ 31 mds € HT, pour un chiffre d'affaires domestique HT de l'industrie

d'environ 22 mds €. On peut en déduire que la dépense supplémentaire de

728 Mos € correspondrait à un CA de 485 Mos €.

On ne connaît pas l'élasticité de la valeur ajoutée par rapport au chiffre d'affaires

de l'industrie pharmaceutique. On connaît seulement le rapport entre le CA HT

réalisé par l'industrie et la valeur ajoutée directe créée, mesuré par l'étude

CEMKA précitée, qui est de 27%. L'élasticité indique le rendement marginal en

valeur ajoutée de 1 € supplémentaire du chiffre d'affaires de l'industrie. Il pourrait

être établi si l'étude réalisée par CEMKA était répétée sur plusieurs années.

Pour l'exemple, nous supposerons qu'il existe un rendement constant entre le

CA HT de l'industrie et sa valeur ajoutée, qui, rappelons-le, mesure sa contri-

bution au PIB. L'étude CEMKA nous conduit donc à dire qu'un euro supplé-

mentaire de CA génère 0,27 euro de valeur ajoutée. Donc, les 485 Mos € de

CA contribuant au déficit de l'Assurance Maladie généreraient 131 Mos € de

valeur ajoutée directe. Toujours selon les estimations de l'étude CEMKA, les

retombées indirectes de l'activité de la branche pharmacie en valeur ajoutée

seraient de l'ordre de deux fois la valeur ajoutée créée par l'industrie elle-même,

soit 262 Mos €. La valeur ajoutée totale induite par ce chiffre d'affaires

supplémentaire serait donc de 393 Mos €, dont une partie serait dédiée à des

prélèvements obligatoires. Il est donc plausible que les dépenses de médica-

ments remboursées mais non financées contribuent, pour tout ou partie, à

leur financement par le biais de la valeur ajoutée créée par l'industrie.

Il faut prendre garde à plusieurs limites de calcul, à savoir l'hypothèse de

rendement constant du CA en termes de valeur ajoutée directe et indirect, les

règles simples de proportionnalité utilisées et le calcul de la charge d'intérêt

liée à la dette de l'Assurance Maladie. Par ailleurs, ce calcul ne répond

qu'incomplètement à la question posée : nous ne connaissons pas le rendement

en valeur ajoutée de la dépense publique correspondant à la charge de la

dette. Ce calcul ne permet donc pas de justifier une augmentation des prélè-

vements obligatoires pour équilibrer les dépenses d'assurance maladie. Mais

nous avons voulu montrer que les effets économiques induits par la dépense

de santé pouvaient pour tout ou partie compenser leur coût d'opportunité en

termes de dépenses publiques.

Page 110: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 115

5E PARTIE : IMPACT DES DÉPENSES PUBLIQUES DE SANTÉ SUR LA CROISSANCE

Synthèse de la 5e partie

Dans cette partie, on a posé le cadre d'analyse permettant de calculer

le coût d'opportunité de la dépense publique de santé, pour le comparer

à la richesse générée par l'industrie pharmaceutique. Ce coût est égal

à la richesse créée par un emploi alternatif de la dépense publique, par

exemple le financement de la recherche en sciences de la vie. Dans un

premier temps, on a rappelé que la dépense de santé, en tant qu'elle a

un impact positif sur la santé de la population, est en elle-même géné-

ratrice de richesse. La question du coût d'opportunité de la dépense

de santé est liée à son financement collectif et donc à l'effet d'exclusion

qu'elle peut produire par rapport à d'autres dépenses, mais elle est

aussi liée aux modalités concrètes de ce financement. Dans le contexte

français, l'évolution vers un système de financement associant cotisations

sur les revenues du travail et impôt assis sur l'ensemble des revenus a

contribué à atténuer l'impact des prélèvements sur le coût du travail,

et donc sur la compétitivité. Aujourd'hui, c'est plutôt parce que les

dépenses publiques de santé contribuent à l'augmentation de la dette

publique qu'elles ont potentiellement un impact négatif sur la croissance,

par l'effet d'éviction déjà signalé. On a alors proposé une méthode

d'estimation de la valeur ajoutée marginale créée par l'industrie phar-

maceutique, pour montrer que celle-ci, par la richesse qu'elle crée,

peut compenser en partie les charges de la dette publique induites par

le déficit de l'Assurance Maladie.

Page 111: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude
Page 112: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 117

Conclusion

Page 113: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude
Page 114: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 119

CONCLUSION

L'objet de ce travail était la réalisation d'une revue de la littérature dans le but

de répondre aux trois questions suivantes :

• Que sait-on sur l'impact de l'innovation sur la croissance ? Que sait-on

en particulier de l'impact de l'innovation pharmaceutique sur la croissance

économique ? Si rendement social il y a, de quelle ampleur est-il ? Est-il plus

important pour la pharmacie que pour d'autres secteurs ?

• Que sait-on de l'impact des dépenses de soins sur la santé des

populations ? Que sait-on en particulier de l'impact de l'innovation médica-

menteuse sur cet état de santé ? Comment cet impact se compare-t-il avec

celui d'autres innovations thérapeutiques ?

• Les dépenses d'assurance maladie ont-elles un impact négatif ou

positif sur la croissance économique ?

Sur la première question, les travaux qui montrent l'impact positif de l'innovation

sur la croissance économique d'un pays sont nombreux et convergents, même

s'il y a débat sur la nature des relations qui lient ces deux termes et sur les

conditions de la réalisation de ces relations dans un sens positif. En particulier,

une question importante est celle du poids relatif de la recherche fondamentale

publique par rapport à une recherche plus appliquée dans la création de

richesse. Dans le contexte français, le modèle Nemesis, développé à la

demande su Sénat par l'Ecole Centrale de Paris, montre qu'un effort modéré

d'augmentation de la part des dépenses de R&D dans le PIB pendant sept ans

conduirait à une augmentation moyenne annuelle du PIB de 0,22% à 0,34%

par an jusqu'en 2030. La richesse nationale se serait alors accrue de 6,5% à

9,5%. La création d'emplois serait de 0,8 million à 1,3 million, dont 350 000

à 400 000 dans la recherche.

On manque en revanche de travaux sectoriels permettant de mesurer préci-

sément l'impact de l'innovation pharmaceutique sur la croissance, même si

celle-ci est considérée par les auteurs comme une industrie à fort pouvoir

multiplicateur, compte tenu de l'importance de ses dépenses en recherche et

développement. Ce pouvoir multiplicateur a cependant été mesuré sur une année

en France. En 2004, le chiffre d'affaires HT du secteur était de 38,2 mds d'euros

générant une valeur ajoutée de 10,3 mds d'euros, soit 0,63% du PIB et 16 mds

d'euros à l'exportation. Le secteur employait 95 819 salariés. Le budget

Page 115: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

120 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

CONCLUSION

interne de R&D était estimé à 1,5 md d'euros et la R&D externalisée et réalisée

en France à 2,4 mds d'euros. Le ratio R&D sur CA est donc de l'ordre de 10%.

Le total des effets indirects et induits conduisait aux résultats suivants. Le CA

HT induit était de 58,3 mds d'euros, soit un coefficient multiplicateur de 1,53.

La valeur ajoutée indirecte et induite était de 20,8 mds d'euros (coeff. 2.01) :

la part totale dans le PIB du secteur était donc de 1,9%. Le coefficient multi-

plicateur des emplois était proche de 4. Enfin, le montant total des dépenses

directes et indirectes de R&D était de 4,7 mds d'euros, mettant l'industrie

pharmaceutique en tête de l'impact du CA sur la R&D. La répétition d'une telle

étude sur plusieurs années consécutives permettrait alors de mesurer plus

précisément en dynamique les liens entre variations de l'effort de R&D

pharmaceutique sur le territoire français et création de richesse. D'autre part,

les données disponibles montrent qu'en dehors des entreprises françaises,

l'investissement en R&D est surtout centré sur le développement et non la

découverte.

Les travaux portant sur la deuxième question permettent de répondre positi-

vement sur trois points. D'une part, l'investissement dans la santé d'une

population a un impact positif sur la croissance économique, par le biais de

l'amélioration de l'espérance de vie et notamment de la diminution de la mor-

talité précoce évitable. Deuxièmement, les dépenses de soins de santé ont

elles mêmes un impact mesurable et significatif sur l'espérance de vie, parmi

d'autres facteurs, tels que l'amélioration générale des conditions d'hygiène,

de l'alimentation, l'augmentation de la sécurité matérielle liée à la croissance

économique, l'éducation et d'autres investissements collectifs. Troisièmement,

il existe un faisceau d'études convergentes montrant la contribution du médi-

cament, et plus particulièrement du rythme d'innovations, dans le prolongement

de la vie. Le cancer et les pathologies cardiovasculaires sont deux maladies

pour lesquelles des études de bon niveau méthodologique convergent pour

montrer un effet significatif des innovations médicamenteuses sur l'espé-

rance de vie, avec une contribution aussi voire plus importante que d'autres

innovations thérapeutiques. Les résultats publiés suggèrent également que

l'amélioration de la prise en charge des pathologies cardiovasculaires se traduit

non seulement par un allongement de la vie, mais également par un allongement

des années de vie en bonne santé, induisant une diminution des coûts des

soins compensant pour tout ou partie les dépenses de santé supplémentaires

au cours des années de vie gagnées.

Page 116: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE I 121

CONCLUSION

Sur la troisième question, faute de travaux publiés dans le contexte français

sur le lien entre dépenses publiques de santé et croissance économique, on

a montré que dans l'analyse de l'impact budgétaire des ces dépenses, il fallait

tenir compte dans le bilan économique global de la contribution de l'industrie

pharmaceutique à la création de valeur ajoutée. Le coût d'opportunité de la

dépense publique, qui peut se mesurer par la perte relative de bien-être et de

richesse liée à l'effet d'éviction d'emplois alternatifs, et son coût budgétaire

sont en partie compensés par les effets multiplicateurs sur l'emploi et la création

de richesse par l'industrie.

Ainsi, l'innovation thérapeutique crée du bien-être par son effet direct sur la

santé des populations, de la richesse par l'effet d'une amélioration de ce capital

santé sur la capacité productive d'une société et par la création directe de

richesse par son activité économique propre. Néanmoins, il reste difficile de

faire la synthèse complète de ces bénéfices et de les valoriser en rapport

avec la dépense consentie par la collectivité, car nous ne connaissons pas le

coût d'opportunité en termes de croissance économique des prélèvements

obligatoires, que ce soit au niveau global de la dépense publique, ou en ana-

lysant celle-ci secteur par secteur.

Malgré cette absence de synthèse, il ressort des travaux publiés sur les liens

entre innovation et croissance que les pouvoirs publics peuvent améliorer ce

rendement social en favorisant le développement de l'innovation sur le

territoire national. En effet, ils peuvent alors bénéficier non seulement des

retombées directes et indirectes de l'innovation en santé qui ont été citées,

mais également du partage de la rente de l'innovation lorsque les recherches

qu'ils ont financées donnent lieu à exploitation de brevets, au niveau national

mais surtout au niveau international.

Ceci requiert cependant à la fois un effort public spécifique d'investissement

dans la recherche fondamentale pour rendre celle-ci attractive pour des acteurs

du développement, la facilitation de partenariats public/privé et la mise en

place d'incitations économiques à l'investissement privé en R&D. Outre le crédit

impôt recherche, d'autres incitations sont possibles. Le Comité stratégique

des industries de santé a pris acte de l'engagement du CEPS de tenir compte

des investissements des laboratoires en France dans le calcul des reverse-

ments annuels. Une autre piste, pour l'instant rejetée, est que les sommes

ainsi reversées soient fléchées vers des projets de recherche en partenariat

Page 117: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

122 I INNOVATION EN SANTÉ : IMPACT SUR LA LONGÉVITÉ ET CROISSANCE ÉCONOMIQUE

CONCLUSION

public/privé. L'état des finances de l'Assurance Maladie a été évoqué pour

écarter cette mesure. Le calcul présenté dans la dernière partie de ce rapport

suggère qu'il s'agit là d'une vision comptable et partielle de l'équilibre des

finances publiques, dans la mesure où ces dépenses seraient créatrices de

valeur ajoutée.

De façon symétrique, les industriels du médicament ne doivent pas considérer

ces incitations comme des effets d'aubaine et en consacrer effectivement les

montants à une recherche d'amont. Là encore, les chiffres existants sont

fragiles, mais suggèrent en effet que l'effort en R&D en France porte margi-

nalement sur la recherche amont et reste concentrée sur le développement

clinique. Ceci est sans doute lié à la perception négative de la recherche

publique en sciences de la vie en France et au fonctionnement de ses

institutions, mais conduit aussi à négliger les points forts de la recherche

française. Cette perception négative est renforcée par le fait que la majeure

partie des centres de décision des grandes entreprises du médicament n'est

pas située en France.

Page 118: Innovation sante-gerard-de-pouvourville-etude

Gérard de PouvourvilleMathieu Joyau

Impact sur la longévité et croissanceéconomique

INNOVATION EN SANTÉ :

REC

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Association loi 1901 représentant 13 filiales françaisesde Laboratoires Internationaux de Recherche, le LIRa pour vocation d’analyser, de proposer et d’agirpour faire avancer le progrès thérapeutique.

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